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Saint Jean Cassien et la querelle anthropomorphite : 1. Rappel des faits : En 399, le patriarche Théophile envoie une lettre festale qui fixe la date de Pâques et du jeûne, il traite aussi certains points de dogme. Il attaque en particulier « l’hérésie » des « anthropomorphites », c’est-à-dire ceux qui conçoivent Dieu sous une forme grossièrement humaine ou matérielle. Il insiste sur le fait que bien qu’Adam ait été créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn. 1, 26) cela ne signifie pas que Dieu a une forme humaine. Tous les anthropomorphismes bibliques, qui font mention du visage, des mains, des pieds etc. de Dieu, ne sont que des allégories et le vrai Dieu est incorporel, au-delà de la matière ou du corps Cf. W. Harmless, Desert Christians, Oxford 2004, p. 359 : «  The Origenist Controversy ». Voir aussi Maria Dzielska, Hypatie d’Alexandrie, Des femmes, Paris 2010, p. 121 sq.. Saint Jean Cassien fut un témoin visuel de la réception de cette lettre par les moines de Scété et de « l’absurde hérésie des anthropomorphites saint Jean Cassien, Conférences II, SC 54 bis, 2009, Conférence X, 2, 2, p. 141 « contra ineptam quoque anthropomorphitarum haeresim » » qui se fondait sut une interprétation littérale du verset de la Genèse : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance  Gn. I, 26.». Il nous décrit le vif mécontentement des moines d’Égypte « et dont la simplicité s’était laissé surprendre par l’erreur ». Les moines de Scété font alors bloc contre le patriarche et parmi les prêtres seul celui de sa communauté, l’abba Paphnuce, fit exception. Il nous décrit en termes touchant le désarroi du moine Sérapion qui fondit en larmes amères « Malheur, malheur à moi ! Ils m’ont enlevé mon Dieu !... Qui adorer ? À qui m’adresser, je ne sais plus Sur tout ceci, cf. Conf. X, 2.1 – 3.5 (= SC 54 bis, 2009, p. 141 – 145. ». On peut noter que saint Jean Cassien n’attribue cette prise de position du patriarche à aucune autre raison que la lutte contre le paganisme. Ce combat était bien réel et, en général, a été sous-estimé par les commentateurs. La lutte contre le paganisme battait son plein et se prolongera au 5e siècle. Toutefois l’affaire ne s’arrêta pas là. Les moines ulcérés par la Lettre de Théophile se rendirent en nombre à Alexandrie et firent changer d’avis Théophile sans hésiter à le menacer, c’est alors qu’il aurait dit : « Quand je vous vois, je vois le visage de Dieu ». Il fit une volte-face complète et se tourna contre le parti des origénistes et les « Longs Frères » qui étaient à la pointe du combat contre les anthropomorphites. Il se mit à les persécuter, ainsi l’évêque Dioscore, qui en faisait partie, perdit son évêché et les autres frères furent excommuniés par un concile local en 400, soit un an après la mort d’Évagre. Les historiens du 5e siècle comme Sozomen ou Socrate sont hostiles au patriarche, tout comme d’ailleurs Pallade, ils ne voient dans Théophile qu’un politicien ecclésiastique cynique. Les moines origénistes s’enfuirent en nombre. Une partie d’entre eux se réfugia en Palestine et une autre à Constantinople auprès de saint Jean Chrysostome. Théophile continua ses menées et en 403 convoqué à un concile le « concile du Chêne » il s’appuya sur les ennemis de saint Jean Chrysostome et obtint qu’il soit déposé, ce fut alors la fin du saint qui fut d’abord exilé en 404 et mourut en 407 Ce n’est là qu’un rapide résumé, on se réferrera à W. Harmless, Desert Christians, Oxford Universtu Press, 2004, p. 360 – 362.. Il est donc clair que l’affaire a eu un double aspect, tout d’abord une lutte contre le paganisme, puis, en raison du retournement de Théophile, une lutte contre l’origénisme qui était le fer de lance de l’oppostion aux anthropomorphites. Si le patriarche a laissé de nos jours un souvenir plutôt négatif en raison de sa persécution des origénistes et son rôle dans la chute de saint Jean Chrysostome, sa postérité immédiate à Alexandrie vit plutôt en lui un ardent défenseur de la foi de Nicée et un digne successeur de saint Athanase en raison de la cohérence de sa théologie et aussi de la grande qualité de ses homélies et de ses lettres Norman Russell, Theophilus of Alexandria, Routledge 2007, p. 35. 2. Le contexte historique : la lutte du patriarche contre le paganisme et la fermeture du Sérapéum d’Alexandrie : On sait que depuis l’empereur Valens (328 -378), les cultes païens sont réprouvés et que cela aboutira à l’interdiction par Théodose (347 – 393) à leur interdiction. En Égypte le préfet du prétoire supervisa cette interdiction. Désormais le paganisme se fait clandestin et pratiquer relève du délit Cf. F. Martroye, « La répression de la magie et du culte des gentils au IV e siècle », Revue d’Histoire du Droit, 1930, p. 670- 701.. Les intellectuels païens furent particulièrement visés sous Valens et un philosophe et mage néo-platonicien Maxime d’Éphèse fut étranglé. Selon Ammien Marcellin durant le procès des mages sous Valens « Tous étaient saisis d’une telle terreur que les possesseurs de livres, dans toutes les provinces orientales…firent entièrement brûler toute leur bibliothèque Voir G. Fowden, Hermès l’Égyptien, Les Belles Lettres, 2000, p. 249. ». En Égypte deux grandes bibliothèques de papyrus et de codex furent retrouvées dissimulées, probablement dans des tombes. La première, celle de Louxor, contenait des papyrus magiques en grec et en démotique. La seconde qui est la plus célèbre, est celle de Nag Hammadi qui contenaient essentiellement des textes gnostiques écrits en copte. Les deux bibliothèques datent du 4e siècle et furent probablement dissimulées à l’occasion de la proscription du paganisme. On notera que la bibliothèque de Nag Hammadi se trouvait à proximité du grand monastère pachômien de Phbou. À Alexandrie la campagne anti-païenne impulsée par le patriarche depuis 391, déclencha une véritable émeute, des païens occupèrent le site du Sérapéum et se barricadèrent. L’empereur intervint, et le site fut occupé militairement et la statue du dieu Sérapis détruite, ainsi qu’une partie du temple Cf. W. Harmless, Desert Christians, Oxford 2004, p. 37. On comprend donc que le paganisme était bien une réalité encore vivante en Égypte, et qu’il pouvait avoir laissé des traces au sein des moines locaux. La Lettre festale du patriarche était donc parfaitement justifiée, et on ne peut guère la comprendre sans la situer dans son contexte historique. Comme l’écrit W. Harmless : « One cad read Theophilus’s attack on anthropomorphism as part and parcel of a wider campaign against paganism op. cit., p. 360 et note 70 : « This is the thesis of Elizabeth A. Clarck, The Origenist controversy : The Cultural Construction of an Early Christian Debate, Princeton University Press, 1992, 52 – 58. ». » Le combat contre le paganisme de poursuivra au 5e siècle, mentionnons les émeutes sanglantes de 415 dont la philosophe Hypatie fut la victime Sur l’importance du paganisme au 5e siècle voir l’introduction à la traduction du Contre Julien I, SC 322, Paris 1985, p. 16-17 : « … Il faut le dire nettement : le paganisme est loin d’être mort. » et le Contre Julien de saint Cyrille d’Alexandrie rédigé entre 438 et 441. Alexandrie semble avoir joué un rôle particulier dans cette perpétuation du paganisme ; car c’était aussi une capitale intellectuelle où était formée les fonctionnaires selon les critères du système éducatif traditionnel (paideia) et Julien l’Apostat la considérait comme étant la « ville sainte de l’hellénisme Julien, Lettre 60, 379 a. ». 3. Le contexte théologique : a. Les origines bibliques et patristiques de la non représentation de Dieu. La Bible est particulièrement claire ainsi en Exode 33, 20, Dieu dit à Moïse : « Tu ne pourras voir ma face, car un homme ne peut voir ma face et vivre. » C’est ainsi que Moïse devra se dissimuler dans une infractuosité du rocher ; il ne pourra voir la « face » de Dieu, mais uniquement son dos. Dans la tradition alexandrine Philon reprendra ce thème à plusieurs reprises : « Dieu n’a montré à personne sa nature mais il l’a faite invisible à notre race Leg. All. III, 206, cf. aussi Decal., 120 ; De Abrah. 75 ; Praem. 44. ». Dieu est incompréhensible : « Dieu selon son essence (κατὰ τὸ εἷναι) est incompréhensible à tout être Poster. 15. » · « Νous n’en pouvons comprendre que l’existence et les manifestations Poster. 168.. » Philon introduit le thème d’une double création de l’homme, il distingue l’homme créé « à l’image de Dieu », de celui qui est façonné à partir de la glaise du sol ; celui qui est façonné est sensible « il participe désormais de la qualité ; il est composé d’âme et de corps ; il est homme ou femme, mortel par nature. Celui-là, fait à l’image de Dieu, c’est une idée, un genre ou un sceau ; il est intelligible, incorporel, ni mâle ni femelle, incorruptible de nature Philon d’Alexandrie, « De opificio Mundi », 134. Cerf, 1961, p. 231. » Ce thème de la double création de l’homme sera repris par les origénistes, pour Philon l’image de Dieu dans l’homme « s’applique à l’intellect (le noûs) qui est le guide de l’âme » Origène insistera sur le fait que Dieu n’a pas de corps, ce même le sujet de la première section de son Traité des Principes. Pour lui : «  Celui qui a été fait à ‘à l’image de Dieu’, c’est notre homme intérieur, invisible, incorruptible, immortel Origène,  Homélie sur la Genèse , SC 7 bis, p. 57-59. » Saint Athanase d’Alexandrie, mettra en avant le fait que l’homme a bien été créé à l’image de Dieu, c’est-à-dire celle du Verbe, que l’incarnation a rétabli dans l’homme et « n’ayant rien qui l’empêche de connaître la divinité, sa pureté lui permet de contempler sans cesse l’image du Père, le Verbe de Dieu…il s’élève au-dessus des choses sensibles et de toute représentation corporelle, et s’unit, par la puissance de son esprit (noûs) aux réalités divines. » mais cela suppose que l’esprit humain se purifie et n’est pas commerce avec les corps et les passions corporelles Saint Athanase d’Alexandrie, Contra Gentes I, 2 (SC 18 bis, Paris 1977, § 2, p. 53). Ainsi, pour saint Athanase, l’homme en purifiant son esprit des passions et en s’élevant au-delà de toute représentation corporelle, peut retrouver sa ressemblance avec le Verbe, l’image dont il est le porteur qui lui permet de voir le Verbe et « voyant le Verbe, il voit aussi le Père du Verbe ; cette contemplation le réjouit et le renouvelle dans le désir qui le porte vers lui id. , ibid.. » Il précisera aussi : Nous n’avons besoin que de nous-mêmes « Puisque nous avons nous en nous la foi et le royaume de Dieu, nous pouvons facilement contempler et nous représenter le roi de l’univers, le Logos sauveur du Père Saint Athanase, Contre les Païens, SC 18 bis, Paris 1977, § 30, p. 151 ». Charles Kannengiesser note que : « La conclusion de CG sur le salut toujours possible à l’âme souillée par l’idolâtrie est développée au § 34 : « Car de même que par la pensée ils se sont détournés de Dieu, ils peuvent par l’esprit qui est en leur âme monter vers Dieu et se retourner de nouveau vers lui… Car leur âme a été faite à l’image et à la ressemblance de Dieu  « Δύνανται γάρ, ὤσπερ ἀπεστράφησαν τῇ διανοίᾳ τὸν Θεὸν καὶ τὰ ος ﷽﷽﷽﷽﷽﷽﷽﷽andrie, mettr en avant p. 144 - 147. loin le sens que prendrait une simple restauration de ce qui fut à l'ὐκ ὄντα ἀνεπλάσαντο εἰς θεούς, οὔτως ἀναϐῆναι τῷ νῷ τῆς ψυχῆς καὶ πάλιν ἐπιστρέψαι πρὸς τὸν Θεόν.” 68 C. Athanase d’Alexandrie, Contre les Païens, SC 18 bis, Paris 1977, § 34, p. 165. … Tout est rétabli en l’homme dans sa vérité initiale, mais à travers un accomplissement de l’être humain dans le Logos incarné qui dépasse de loin le sens que prendrait une simple restauration de ce qui fut à l’origine l’idéal de l’humanité Charles Kannengiesser, Sur l’incarnation du Verbe, SC 199, Paris 1973, Introduction, p. 144 – 147.. » il n’y a aucune trace d’origénisme dans la pensée de saint Athanase, même s’il insiste sur la nécessité de s’élever « au-delà de toute représentation corporelle ». On peut dire que le cœur de la théologie de saint Athanase repose sur le fait que, dès ici-bas, l’homme puisse être divinisé par grâce et l’on peut considérer que la Vie de Saint Antoine est une illustration de son Traité sur l’Incarnation, dans ce processus le corps du Dieu-homme joue un rôle fondamental, car par son corps il permet à l’homme d’accéder à Dieu. Dans le Traité nous lisons : « Il s’est lui-même fait homme, pour que nous soyons fait Dieu S. Athanase, Sur l’incarnation du Verbe , SC 199, Paris 1973, p. 459 (54, 3). » et dans la Vie : « Le Verbe de Dieu n’a pas erré, mais tout en restant le même, pour sauver les hommes et leur faire du bien, il a pris un corps d’homme, afin qu’en participant au genre humain, il fit participer les hommes à la nature divine et spirituelle S. Athanase, Vie de saint Antoine , SC 400, Paris 1994, p. 325 (74, 4). ». Il s’agit donc clairement d’une participation déifiante à la grâce divine Sur cette question voir de façon plus détaillée : Dumitru Staniloae, « La doctrine de saint Athanase sur le salut », in : Politique et théologie chez Athanase d’Alexandrie, Actes du colloque de Chantilly, 23-25 septembre 1973, édités par C. Kannengiesser, Théologie historique 27, Beauchesne 1974, p. 277-293., qui implique que l’homme n’a pas perdu la capacité de s’assimiler à Dieu, car son image présente dans l’homme, bien qu’elle ait été oblitérée par le péché ancestral, a été rétablie dans sa capacité à être divinisée par l’incarnation du Christ. Au 4e siècle, l’hérésie d’Eunome qui, tout en reconnaissant que l’essence de Dieu est inconnaissable, affirmait que Dieu l’avait révélée : elle consistait dans le fait de n’être pas engendré, concept qui exprimerait proprement (ἀκριβῶς) l’essence divine, en sorte que le concept ne présentant plus aucun mystère, nous connaitrions Dieu comme il se connaît lui-même. Cette hérésie va pousser les théologiens à approfondir la notion de la transcendance divine, et de son incompréhensibilité, sur laquelle saint Jean Chrysostome, le maître de saint Jean Cassien, écrira un traité. Αinsi se constitua le vocabulaire apophatique qui sera désormais celui de la tradition orthodoxe Saint Jean Chrysostome, Sur l’incompréhesibilité de Dieu, SC 28 bis, 1970, cf. en particulier p. 18., il insiste tout au long de celui-ci sur le fait que Dieu n’a pas de corps E. g. Homélie II, 191 : « Dieu, l’êtrre qui n’a pas eu de commencement, qui ne subit pas de changement, l’incorporel, l’incorruptible, celui qui est partout présent, qui surpasse toutes choses et qui est supérieur à l’univers entier. » Jean Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu I, SC 28 bis, 1970, p. 159. Pour des théologiens, la discussion se situait à un niveau plus profond, ceux qui furent impliqués dans les discussions trinitaires du 4e siècle, surtout les Cappadociens, avaient déjà affirmés qu’aucune image tiré du domaine de l’homme ne pouvait saisir celui qui existe comme étant « une essence, trois personnes Voir Grégoire de Nysse, Ad Ablabium, Grégoire de Nazianze, Discours théologiques II ( = XXVIII), 7-13, V (= XXXI), 11-22, 31-32 ; Basile de Césarée, Ep. 38. ». Par exemple, saint Grégoire le Théologien affirme : « Ainsi pour nous Dieu n’est pas un corps ; jamais jusqu’ici un des hommes inspirés de Dieu n’a dit ou approuvé cela, et ce n’est pas de notre « bercail » qu’est cette doctrine Grégoire le Théologien, Discours 28, 9 (SC 250, p. 117, § 9.. » Pour les Cappadociens et leurs successeurs, aucune analogie ne pouvait fournir une impression correcte de la divinité, cela influença Evagre  qui avait eu pour maîtres saint Grégoire le Théologien et saint Basile de Césarée. b. Les origénistes et l’image : On sait qu’Évagre a joué un rôle important au sein des moines de Scété et des Kellia, il était considéré comme un véritable maître spirituel. Cependant, ses écrits suivent les divisions de sa doctrine. Il y a d’une part ces écrits purement ascétiques, comme le Traité Pratique, ou son traité sur les Pensées, un écrit comme son Traité sur la Prière se situe à la lisière de ce qu’Évagre considérait être le premier niveau de la vie ascétique, celui de la « pratique », qui avait pour but de permettre au moine de dominer la partie passionnée de son âme, essentiellement l’épithymia et le thymos, qui constituaient les deux puissances inférieures de l’âme. Mais le combat du moine se poursuivait par le combat contre les pensées qui pouvaient s’insinuer dans son intellect et le détourner de sa vocation. Cette partie de l’enseignement d’Évagre nous a bien été conservée par la tradition de l’Église, qui l’a recueilli en l’insérant dans la dynamique spirituelle de la tradition ascétique, telle qu’elle est véhiculée par exemple par la Philocalie. Certains traités comme le Traité sur la Prière ont été attribués à Nil l’Ascète. En revanche, l’enseignement plus spéculatif d’Évagre sur la création et les fins dernières se trouve surtout dans un ouvrage, les Chapitres Gnostiques, ou Kephalaia Gnostica ; qui n’a pas été conservé en grec, mais les Chapitres sont attestés sous la forme deux versions dans la tradition syriaque : l’une étant plus marquée par l’origénisme que l’autre. Cet enseignement, qui est franchement hérétique, est au cœur des condamnations de « l’origénisme » par le concile de Constantinople II. On peut noter que, dans cette tradition, c’est la version la moins « origéniste » qui a surtout circulé et qui était connue des spirituels. Les Kephalaia Gnostica sont une source précieuse pour connaître le fonds de la pensée d’Évagre. Toute son œuvre nous est maintenant bien connue, et cela surtout grâce aux éditions et aux commentaires d’Antoine Guillaumont. Dès la fin du IV ème le patriarche Théophile s’opposa radicalement à l’origénisme qui fut condamné par un concile local en 400, soit un an après la mort d’Évagre en 399. Une nouvelle crise éclata au VI ème siècle, lorsque des moines de Palestine de la « Nouvelle Laure » se réclamèrent de positions origénistes, et à l’occasion du concile de Constantinople II en 553, fut rédigée une liste de quinze anathématismes dirigés contre les « origénistes ». C’est surtout Évagre et ses Kephalaia Gnostika qui furent condamnés. La question de l’image et plus précisément celle de l’image de Dieu en l’homme, n’a rien de secondaire dans le système origéniste d’Évagre. Reprenant un schéma alexandrin les « origénistes » s’inspirent sans doute de certains schèmes d’Origène qui étaient largement admis à son époque « mais les transforment désormais dans un sens totalement hétérodoxe : il y aurait deux créations successives, celle des êtres incorporels et celle des corps, et il y aurait également deux états pour les êtres qui, après être passés à travers différents corps, retrouveraient finalement leur incorporéité originelle Michel Fédou, La Sagesse et le monde, le Christ d’Origène, Desclée 1994, p. 383.. En d’autres termes, en premier lieu auraient été créés des intellects (νόες) ; les logikoi ou natures raisonnables, ont été créés intellects purs, car ils ont été créés uniquement pour connaître Dieu. Les intellects déchus de cet état sublime ont reçu le nom « d’âme » ; les différents êtres étant joints à des corps plus ou moins froid selon leur degré de chute. Ce refroidissement est un refroidissement dans l’amour de Dieu, c’est ce qu’il appelle la « négligence », celle-ci est donc associée au « mouvement » (kinésis), acte par lequel l’intellect se détourne de l’Unité, ce mouvement, effet de la négligence, est à son tour cause du mal et de toutes ses conséquences, c’est l’événement décisif qui s’intercale entre les deux créations et va être la cause de la seconde création, celle des corps. Le corps de l’homme est une sorte de remède « comme le collyre pour les yeux », que Dieu condescend à accorder à l’homme déchu pour qu’il retrouve progressivement sa place. Les intellects d’abord créés « nus » ont été revêtus d’un corps après leur chute pour leur permettre de remonter vers leur état premier en s’élevant par degrés de la connaissance sensible à la contemplation naturelle seconde (les natures invisibles), jusqu’à la contemplation de l’Unité. Le corps est donc un instrument de libération et de salut. Le corps est indispensable pour l’accomplissement de la praktiké, premier niveau de l’ascèse par laquelle on arrive à l’impassibilité (apatheia) ou santé de l’âme, qui permet d’accéder à la science spirituelle. À la résurrection se produira un changement de qualité, ce ne sont plus des corps charnels, mais nouveaux. Cet état n’est pas définitif. Il y aura d’autres transformations, et le « huitième jour », le corps spirituel disparaîtra et les intellects nus retrouveront leur état premier et accéderont auprès du Christ à la science de l’Unité, ils bénéficieront alors de la même science que lui Cf. A. Guillaumont, Les ‘Kephalaia Gnostica’ d’Évagre le Pontique, Seuil 1962, p. 104 -117.. Ceci n’est bien sûr qu’un résumé de l’origénisme d’Évagre, on se reférera aux ouvrages d’Antoine Guillaumont et de Elisabeth A. Clarck Elizabeth A. Clark, The Origenist Controversy, Princeton University Press, 1992. p. 71 -74. Comme elle l’explique : « Pour résumer l’enseignement d’Évagre sur la possession par l’homme de ‘l’image de Dieu’, nous avions l’image uniquement lorsque nous existions comme des intellects désincarnés : avec la chute précosmique, nous l’avons perdu. La réacquisition de cette image se produira, non pas quand nous recevrons un corps lors de la ‘première résurrection’, mais uniquement quand nous rejeterons totalement les corps, lorsque nous existerons à nouveau comme des ‘intellects nus’ débarrassés des corps qui obscurcissent la vision de Dieu, la vision sans image « To sum up Evagrius’s teaching on the human possession of the ‘image of God’, we had the ‘image’ only when we existed as unembodied minds : with the precosmic fall, we lose it. The regaining of the ‘image’ will occur not when we receive a body in the ‘first ressurection’, but only when we cast off bodies totally, when again we exist as ‘naked minds’unencumbered by bodies that cloud the vision of God, the vision without image. » Elizabeth A. Clark, op. cit., p. 73 – 74. ». Dans cette perspective, la lutte contre les Anthropomorphites est évidente, il n’y a rien de plus éloigné de l’origénisme d’Évagre que l’idée que Dieu puisse avoir un corps. On comprend alors l’ambiguïté de l’opposition aux anthropomorphites, du point de vue de la tradition, cette opposition est parfaitement justifiée. Mais les origénistes disciples d’Évagre, situait cette hostilité dans une toute autre perspective ; celle de redevenir des intellects « nus ». On a pu considérer qu’Évagre « était l’iconoclaste par excellence, qui a radicalisé et internationalisé la campagne historique menée contre l’idolatrie par Théophile dans la dernière décade du 4e siècle «  The quintessential iconoclast, radicalising and internalizing the historicak anti-idolatry campaign waged by Theophilus in the last decade of the fourth century. » Elizabeth A. Clarck, op. cit., p. 84. » 4. La perspective de saint Jean Cassien : Saint Jean Cassien s’enfuit à Constantinople en 399 auprès de saint Jean Chrysostome qui l’élévera au diaconat. Il considérera saint Jean Chrysostome comme son Père spirituel et il n’est pas exclu que cela ait influencé le choix de son prénom. Il prit ses distances avec l’origénisme. Il ne cite jamais Origène ni Évagre et écrit : « Tout ce qui chez les serviteurs de Dieu est retenu par un seul ou par une minorité, mais n’est pas possédé par tout le corps de la fraternité, tout cela est superflu ou prétentieux et doit pour cette raison être jugé mauvais et comme une manifestation de vanité plutôt que de vertu Saintt Jean Cassien, Institutions Cénobitiques, SC 109, Paris 2001, p. 41, § I, 2. » Il distingue l’enseignement ascétique d’Évagre de ses conceptions sur la création et l’apocatatase dont il ne tient aucun compte. Il reprend les divisions de la progression spirituelle, ainsi la praktiké, devient la « scientia actualis » et la theoria, la « scientia spiritalis ». Il remplace la notion d’impassibilité (apatheia) , qui séparait ces deux phases, par celle, plus évangélique de « pureté du cœur » qui fait référence aux béatitudes « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu Mt. 5, 8. ». Ainsi, ce qui est au centre de la problématique de Cassien, ce n’est plus seulement l’intellect (noûs), mais bien aussi le cœur : « La pureté du cœur sera donc le terme unique de nos actions et de nos désirs. C’est pour elle que nous devrons embrasser la solitude, souffrir les jeûnes, les veilles, le travail, la nudité… n’ayant dessein par eux, que de rendre notre cœur invulnérable à toute passion mauvaise, et de monter, comme par autant de degrés, jusqu’à la perfection de la charité (agapé) Saint Jean Cassien, Conférences Ι, SC 42 bis. Paris 2008, p. 101, § 7.1. Toutefois, on peut remarquer qu’Évagre, commentant Mt. 5, 8 explique dans sa Lettre 56 que la « pureté du cœur » équivaut à la gnosis : « Il les déclare bienheureux non pas en raison de la pureté de leur cœur mais à cause de la vision de Dieu, car la pureté c’est l’impassibilité de l’âme rationnelle, alors que la vision de Dieu, c’est la vrais connaissance (γνῶσις) de la Sainte Trinité qu’il convient d’honorer. » cf. Julia S. Konstantinovsky, Evagrius Ponticus, Ashgate 2009, p. 1.. » L’incarnation du Christ ouvre à l’homme la possibilité d’être divinisé par grâce : « Le Christ ‘concorpore’ (concorporeat) Fils de Dieu et Fils de l’homme et unit l’homme à Dieu si bien qu’au point de vue du temps, pas plus que durant la passion on ne peut les diviser Saint Jean Cassien, Traité de l’Incarnation contre Nestorius, Cerf 1999, p. 225 (DI, VI. 22. 5) « Sed ita omnibus scriptis sacris dominicum hominem connectit Deo atque concorporeat, ut nec in tempore admodum hominem quis a Deo, nec in passione possit Deum ab homine discernere. » Joannis Cassiani, In Incarnatione Christi contra Nestorium, Oeniponti (Innsbruck), Libreria Academica Wagneriana, 1876, p. 195. » Avec ce terme de « concorpore », il insiste bien sur le fait que c’est le corps de l’homme, la nature humaine en tant que telle, qui est unie à l’hypostase du Verbe. Saint Jean Cassien utilisera l’expression « homo dominicus » ou « Kyriakos anthrôpos », l’ « homme seigneurial » pour exprimer l’union de l’homme avec la divinité et le mystère de l’union hypostatique Cf. A. Grillmeier, « Jesus Christ, the kyriakos anthrôpos », Theological Studies 38, 1977, p. 844. M. A. Vannier, Jean Cassien. Traité sur l’incarnation, Cerf 1999, p. 98.. Alors qu’Évagre tout en affirmant la divinité du Logos, dénie à Dieu son implication directe avec la matière et la multiplicité, même si Jésus Christ est numériquement identique au Logos. Le Christ est Dieu non pas par nature, mais par « transfert Cf. J. A. Konstantinovsky, Evagrius Ponticus, Ashgate 2009, p. 152. ». Nous ne sommes plus du tout dans la problématique du dépouillement de l’intellect, mais dans celle de la pureté intérieure, à laquelle il convient de rapporter nos actions. Car, « on gagne moins par un jeûne, que l’on perd par un mouvement de colère » et « tout ce qui peut troubler la pureté et la paix de notre cœur doit être évité comme quelque chose de très nuisible, de quelque utilité ou nécessité qu’il paraisse par ailleurs id. ibid. , § 7. 2.. » Les privations ascétiques ne sont pas un but en soi et l’ascèse n’est rien si on la pratique sans l’amour dont parle saint Paul, cet amour pour Cassien est le fond de la pureté du cœur qui englobe aussi bien l’hésychia d’Évagre que l’agapé Conf. I. 6.4. Ce déplacement de l’intellect vers le cœur et l’agapé me semble tout à fait fondamental, et on le retrouvera plus tard dans la spiritualité des Homélies Macariennes. Parmi les thèmes qui l’opposent à Évagre, celui de la finalité de la prière occupe une place importante. Bien sûr, il reprend, avec toute la tradition, la notion de prière pure et sans représentation. Ainsi pour l’Abbé Isaac, dans ses conférences sur la prière, il s’agit pour le moine d’arriver à une « persévérance ininterrompue de la prière, effort vers une immobile tranquillité de l’intellect et une pureté perpétuelle Conf. IX. 1 ; Conférences II, SC 54 bis, Paris 2009, p. 73. ». Il y a un « lien réciproque entre le travail de purification et de vertus et le faîte de la contemplation après avoir évacué les débris des passions Cf. Monique Alexandre, « La prière de feu chez Jean Cassien », in : Cristian Badilita et Attila Jakab (ed.), Jean Cassien entre l’Orient et l’Occident, Beauchesne 2003, p. 176.. » Cette préparation est indispensable aux différentes formes de prières. Mais pour lui, comme la forme suprême de la prière est ineffable et indescriptible : « Notre intellect atteint la pureté de la prière… qui ne se soucie pas de la perception de quelque image que ce soit, ni ne se caractérise par l’accompagnement de son ou de mots mais, la tension de l’intellect étant portée à ignition, cette prière se traduit par une indescriptible extase du cœur, par une insatiable allégresse de l’intellect ; et alors l’intellect ravi hors des sens ou de la réalité sensible, s’épanche vers Dieu au milieu d’ineffables gémissements et soupirs. » (Conf. X. 11. 6) Saint Jean Cassien, Conférences II, SC 54 bis, Paris 2009, p. 174 – 177 : «  Atque ita ad illam orationis incorruptionem mens nostra perueniet…ordo conlationis ascendit : quae non solum nullius imaginis occupatur inuitu, sed etiam nulla vocis, nulla uerborum prosecutione distinguitur, ignita uero mentis intentione per ineffabilem cordis excessum inexplebili spiritus alacritate profertur, quamque mens extra ombes sensus ac uisibiles effecta materies gemitibus inenarrabilibus atque suspiriis profundit ad Deum. ». Cassien décrit la prière de feu avant tout comme une « extase de ou hors de l’esprit ou du cœur. » (excessus mentis ou cordis Cf. Columba Stewart, op. cit., p. 117 et note 27.). Nous sommes ici dans un tout autre contexte que celui d’Évagre, celui-ci reste centré sur l’intellect, le but de la vie spirituelle étant que celui-ci retourne à sa condition véritable, son « état premier » (katastasis) ou encore la « nudité de l’intellect Irénée Hausherr, Les leçons d’un contemplatif. Le traité de l’Oraison d’Évagre le Pontique, Beauchesne 1960, p. 69 : « L’ ‘ἀρίστη κατάστασις’, ‘l’état le meilleur’, absolument parlant, c’est celui qui est requis pour la contemplation de Dieu ; celui qui s’appelle « état d’intelligence », c’est-à-dire intellectuel pur, ou « nudité de l’intellect », ou encore « état premier ». Antoine Guillaumont, Un philosophe au désert, Paris 2004, p. 394 - 5 « nudité de l’intellect ». », pour se fondre en Dieu. À ce sujet, on peut faire deux remarques : d’une part la description que fait saint Jean Cassien d’une expérience extatique de la prière, qui l’éloigne d’Évagre, le rapproche des milieux mystiques syriaques et des Homélies Macariennes, comme l’ont remarqué certains commentateurs Columba Stewart, op. cit., p. 86. . D’autre part, alors que saint Jean Cassien se situe dans la perspective de la Transfiguration car, « Ceux-là seuls contemplent d’un regard très pur sa divinité, qui s’élèvent au-dessus des œuvres et des pensées terre à terre, pour se retirer avec lui sur la haute montagne de la solitude. Libre du tumulte des pensées et des passions de la terre, éloignée de la mêlée confuse de tous les vices, dans les hauteurs d’une foi très pure et des plus éminentes vertus, elle révèle la gloire de la face du Christ et la vue de sa splendeur à ceux qui sont dignes de la contempler du pur regard de l’âme Conf. X. 6. 2 = Conférences II, SC 54 bis, Paris 2009, p. 149 – 151.. » Il n’en est pas du tout de même pour Évagre, qui s’inscrit plutôt dans le sens d’une vacuité abstraite, dans laquelle les « intellects nus » se fondent en Dieu comme les rivières dans une mer. La disparition du corps conduit en fait à la disparition de la personne, dont les caractères sont considérés comme superflus dans le système d’Évagre « les intellects, écrit-il, comme les torrents retournent à mer… Et de même que, quand les fleuves se déversent dans la mer, il ne se produit ni addition dans sa nature, ni changement dans sa couleur ni dans sa saveur, de même aussi, quand les intellects se déversent dans le Père » Lettre à Mélanie § 27. Voir la traduction d’A. Guillaumont, Un philosophe au désert : Évagre le Pontique, Vrin 2004, p. 402.. Comme on peut le constater, les différences entre Évagre et saint Jean Cassien sont considérables, et c’est bien à tort que certains l’ont qualifié d’origéniste C’est le cas par exemple du regretté P. G. Florovsky, dans deux articles : « The Anthropomorphites in the Egyptian Desert » et « Theophilus of Alexandria and Apa Aphou de Pemdje », reproduits dans le volume IV des « Collected Works » : Aspects of Chrurch History, Nordland Publishing Company, 1975, p. 89 – 96 et 97 – 129.. Bien au contraire, Cassien représente une synthèse originale entre le milieu évagrien et les Homélies Macariennes. Comme le note le P. Columba Stewart : « La synthèse que fait Cassien d’Évagre et de la spiritualité syriaque, annonce l’œuvre comparable qui sera accomplie par Diadoque de Photicée, Maxime le Confesseur, et Syméon le Nouveau Théologien Columba Stewart, op. cit., p. 86. ». Une preuve concrète de l’influence de la tradition syriaque sur saint Jean Cassien nous est fournie par un passage de la Conférence XIII Saint Jean Cassien, Conférences II, SC 54 bis, Paris 2009, p. 335 – 337 (XIII. 14. 9). : « Cherchons dans les choses humaines une comparaison pour l’incomparable clémence de notre Créateur ; non que nous prétendions y trouver quelque égalité de tendresse, mais du moins une certaine ressemblance dans l’indulgente bonté. Je suppose une mère pleine d’amour et de soin. Elle porte son petit enfant dans ses bras, jusqu’à ce qu’enfin elle lui apprenne à marcher. Et d’abord, elle le laisse ramper. Puis elle le redresse, et le soutient de sa main droite, pour qu’il apprenne à poser ses pieds l’un devant l’autre. Bientôt, elle l’abandonne un instant ; mais le voit-elle chanceler, vite elle le prend, soutient ses pas hésitants, elle le relève s’il est tombé, ou le retient dans sa chute, ou bien, au contraire, le laisse tomber doucement, pour le relever ensuite… Combien notre Père à tous qui est aux cieux, sait-il mieux qui il doit porter sur le sein de sa grâce, qui il doit exercer en sa présence à la vertu, en le laissant arbitre de ses volontés ! » Cette image de la grâce comme étant une mère compatissante qui vient en secours à son petit enfant, est empruntée à la tradition syriaque, dans laquelle l’Esprit est au féminin. On la trouve à plusieurs reprises dans la tradition des Homélies Macariennes, aussi bien dans la Collection III, que dans celle des 50 Homélies Pour la Collection III, cf. : Pseudo-Macaire, Œuvres Spirituelles, SC 275, 1980, p. 320 – 323 (Homélie 27. 3. 2, où l’image est la plus développée) : « Et de même, quand la mère prend l’enfant, il ne se calme pas tout de suite, mais continue de se plaindre jusqu’à ce qu’elle l’ait mis dans ses bras et lui ai présenté le sein pour le nourrir de son propre lait etc…. » Pour la collection des 50 Homélies, cf. : P. Placide Deseille, Les Homélies Spirituelles de saint Macaire, Spiritualité Orientale n° 40, Bellefontaine 1984, p. 339 ( Homélie 46. 3) : « En effet, même si un petit enfant ne peut rien faire de lui-même et est incapable d’aller vers sa mère sur ses propres jambes, du moins il se roule ; crie et pleure en cherchant sa mère. Et la mère a compassion de lui etc…. ». . On peut ajouter que saint Grégoire Palamas récapitulera toute cette évolution en expliquant que : « La contemplation n’est donc pas seulement dépouillement et négation ; c’est une union et une divinisation qui survient mystiquement et indiciblement par la grâce de Dieu (c’est ce que Cassien appelle la « prière de feu »), après le dépouillement de tout ce qui vient d’en bas pour marquer l’intelligence ou plutôt l’arrêt de toute activité intellectuelle, ce qui est plus qu’un dépouillement : le dépouillement, en effet, n’est que la marque de cet arrêt. Voilà pourquoi, il appartient à tout croyant de séparer Dieu de toutes les créatures, tandis que l’arrêt de toute activité intellectuelle et l’union qui en résulte avec la lumière venant d’en haut est un état objectif et une fin divinisante ; il appartient seulement à ceux qui ont purifié leur cœur et reçu la grâce Jean Meyendorff, Grégoire Palamas : Défense des saints hésychastes I, Louvain 1959, p. 146.. » Triades, I. 3. 17.  « Les facultés sensitives et intellectives constituent des moyens de connaître les êtres ; elles sont limitées par les êtres et manifestent le Divin à partir de ces êtres. Mais ceux qui ne possèdent pas seulement des facultés de sensation et d’intellection, mais qui ont aussi obtenu la grâce spirituelle et surnaturelle, ne seront pas limités par les êtres de leur connaissance mais connaîtront aussi spirituellement, au-dessus des sens et de l’intelligence, que Dieu est esprit, car tout entier ils deviennent Dieu et connaissent Dieu en Dieu Jean Meyendorff, op. cit., tome II, p. 530 – 533.. » (Triades, II.3.68). « L’expérience concrète du mystère ineffable n’est possible que si l’homme s’engage dans le dépassement de tout acte intellectuel, c’est-à-dire dans l’union avec Dieu au-delà de l’intellect. Cette union n’est pas le produit de l’abstraction comme procédure logique, mais s’accomplit par une « théophanie visible », c’est-à-dire une participation à la lumière divine Métropolite Amphiloque (Radovic), Le mystère de la sainte Trinité selon saint Grégoire Palamas, Coll. Orthodoxie, Cerf 2012, p. 49.. » Yvan Koenig, le 29 septembre 2015 Yvan Koenig : saint Jean Cassien et la querelle anthropomorphite 1