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Edwige Khaznadar Pau, Avril 2016 Mainmise masculine sur le langage public Le Rapport sur la féminisation de 1998. Au ras des grandes théories linguistiques sur le genre, on part de la double constatation concrète de ce que le français, langue à deux genres, n'est pas près de perdre cette caractéristique personne n'étant prêt à *croquer le pomme ou *choisir entre le vice et le vertu, et de ce qu'il est riche de milliers de substantifs animés humains tous dédoublables sauf exceptions comptées (Khaznadar 1990, 2002, 2015). Si dans ces milliers de substantifs le nom d'humain féminin désigne sans équivoque une femme, le nom d'humain masculin a un statut usuel fluctuant car employé tantôt pour désigner un homme ou des hommes, tantôt pour désigner homme et femme. En raison de ce flottement, malgré un usage profondément implanté du masculin en emploi dit générique qui ne parle que de citoyens avant ou après l'accession des femmes à la citoyenneté en France, des seuls étudiants avant ou après l'accès des femmes à l'Université, usage renforcé par la loi du moindre effort, un mouvement pour la représentation linguistique des femmes dans la vie sociale s'est engagé dans la fin du 20e siècle et n'est toujours pas finalisé aujourd'hui. En fait on ne voit pas exactement où, quand, pourquoi et comment parler et écrire différemment de l'usage implanté. Au vu des fluctuations actuelles, nous nous attacherons à réfléchir au pourquoi de la nécessité principalement sociale d'une évolution vers l'emploi systématisé de la dénomination féminine en dédoublements masculin-féminin dans la désignation de groupes mixtes et dans la désignation généralisante d'individus de l'un ou l'autre sexe, ce qui est une question identitaire, au vu des implications de l’usage du masculin dit générique. Les diverses modalités émergentes d'accord des dépendances des substantifs désignant l'humain sont quant à elles des questions de syntaxe. On examinera ici l'argumentation d'un texte s'affirmant comme légitimé juridiquement dont l'objet est d'imposer la rédaction des textes officiels français en utilisant le seul masculin pour désigner hommes et femmes. Il s'agit du Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de la Commission Générale de Terminologie et de Néologie d'octobre 1998, document de 54 pages, longtemps accessible sur Internet, difficilement trouvable en 2016, si ce n’est une Mise au point de l’Académie française datée du 10 octobre 2014, en rapport avec un incident d'interpellation d'une députée à l'Assemblée Nationale. La Mise au point résume certains des arguments du Rapport de 1998 pour réitérer l'acceptation nécessaire des dénominations féminines lorsque la femme en manifeste individuellement le désir, en même temps que le rejet catégorique de toute dénomination féminine généralisante dans les textes officiels. Ce qui sera étudié ici est mon analyse du texte du Rapport de 1998, que j'ai toujours en ma possession, mais sans buter sur l'une des déclarations de la Mise au point ajoutée comme référence scientifique des délibérations précédentes de l'Académie française, l'affirmation de Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss pour qui: « En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle » afin de légitimer l'emploi du masculin dit générique. Or les quelque cinq mille noms communs de personnes que j'ai relevés et classés au début de mes recherches ont tous la propriété, sauf exceptions comptées, d'alterner en genre selon le sexe de la personne, il est donc surprenant d'attribuer un caractère «accessoire» à la forme féminine d'une dénomination humaine, l'alternance en genre étant une propriété commune des substantifs français désignant l'humain. Le Rapport de 1998 sera examiné d'abord en tant que document se donnant comme législativement légitime, ce qui est sa première revendication, puis comme essai de justification du masculin dit générique suivi d'un mode d'emploi des formes féminines lorsqu'elles sont autorisées selon lui, enfin comme discours marqué idéologiquement. Le Rapport et la loi. Pour adapter le langage à l'évolution sociale, Yvette Roudy, ministre des droits de la femme, met en place, en 1984, une commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métiers et de fonction. Avant tout début des travaux, l'Académie française s'élève contre l'entreprise dans sa «Déclaration de l’Académie française» du 14 juin 1984. A peine le résultat du travail de la Commission de Terminologie Roudy terminé et publié le 11 mars 1986 en tant que «Circulaire du Premier ministre relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre», la droite reprend le pouvoir et la circulaire tombe aux oubliettes. Mais l'idée de féminisation fait son chemin et avec le retour de la gauche au gouvernement en 1997 quatre ministres féminines se font nommer «Madame la Ministre». Le président Jacques Chirac et le Premier Ministre Lionel Jospin sont favorables à l'officialisation du féminin et ce dernier lance le processus législatif en ce sens. Sur convocation du Premier Ministre la Commission générale de terminologie s'assemble pour délibérer de la «féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre». Son Rapport est publié en octobre 1998. L'emploi du féminin dans les textes officiels français est rejeté. Les déclarations académiques de 1984 faites dans l'urgence étaient accompagnées de tels excès polémiques qu'il était relativement facile de se rendre compte de la faiblesse de la position défendue. Ici ce sont vingt hautes personnalités qui ont travaillé à construire une argumentation destinée à gouverner le langage officiel représentant les Françaises et les Français au seul masculin. L'aspect positif du Rapport, c'est qu'il présente une argumentation élaborée, qu'il est possible d'examiner et de discuter. Auparavant, concrétisons le problème: il s'agit d'introduire le féminin dans les textes institutionnels. Voici un extrait de la Constitution française: TITRE II LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE Article 5 Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Article 6  Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. TITRE II LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE Article 5 Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Article 6  Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Sans confondre le masculin d'accord, un outil, et le masculin des noms d'humains, une identité, voici ce que permet la langue française: TITRE II La Présidence de la République Article 5 Le Président ou la Présidente de la République veille au respect de la Constitution, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Article 6  Le Président ou la Présidente de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Selon la sensibilité de chacune et chacun, on explose de colère ou de rire devant la deuxième formulation comme relevant de l'utopie, on ressent agacement ou mépris, ou bien on considère que cette formulation marquée du caractère solennel du langage institutionnel ouvre une perspective qui pose explicitement l'égalité des Françaises et des Français. Cette notion d'égalité en principe admise en France mérite, malgré les réticences que l'on peut ressentir, que l'on prenne le temps d'étudier l'argumentation dont le but est d'interdire l'utilisation du féminin dans les textes officiels français. Dès l'introduction du Rapport, la Commission «affirme son opposition à la féminisation des noms de fonction dans les textes juridiques en général» (p.2), déclaration tranchante suivie de considérations judicieuses sur l'usage du féminin dans le langage courant mais: "La commission estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé dans les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Elle doit être appliquée, s’agissant des décrets, dans le titre, dans la mention du rapport, dans le corps du texte et dans l’article d’exécution." (p.3) La commission estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé dans les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Elle doit être appliquée, s’agissant des décrets, dans le titre, dans la mention du rapport, dans le corps du texte et dans l’article d’exécution. (p.3) car il s'agit pour la Commission de «faire des recommandations conformes au génie de la langue et à la spécificité de notre droit». On aura noté la forme injonctive des proclamations, nous sommes dans le domaine normatif avec, de manière inattendue dans ce monde règlementé, l'invocation du génie de la langue hantant les «arrêtés et avis de concours». Le premier souci de la Commission, au Titre I Paragraphe 1, est d'affirmer sa compétence juridique. Nous quittons ici le domaine linguistique pour considérer la succession des textes juridiques invoqués. Mais remarquons qu'il est jugé nécessaire de s'appuyer sur la loi civile pour imposer l'exclusion du féminin. En droit public, une Loi constitutionnelle est supérieure à une Loi ordinaire, qui est supérieure à un Décret, lequel est, de beaucoup, supérieur à une Circulaire. La Commission va utiliser cette hiérarchie. On a en suivant: - Sous le gouvernement Fabius la Circulaire ministérielle du 11 mars 1986 demandant aux administrations d'employer le féminin: la semaine suivante la droite passe aux élections, la circulaire n'est jamais appliquée. - Sous le gouvernement Balladur, sans aucun rapport avec la question du féminin, est votée la Loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dont le but est l'interdiction de termes étrangers dans les textes officiels français, dite « Loi Toubon ». - Sous le gouvernement Juppé, « vu la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française » est pris le Décret du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française. Voici son Article 2: La commission de terminologie a pour mission: - d'établir pour un secteur déterminé un inventaire des lacunes du vocabulaire français; - de proposer les termes nécessaires soit pour désigner une réalité nouvelle, soit pour remplacer des emprunts indésirables aux langues étrangères.  La gauche revenue au pouvoir, le Premier ministre Lionel Jospin signe la Circulaire du 6 mars 1998 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Il y recommande à ses administrations l'emploi du féminin, demande à la Commission de Terminologie et de Néologie créée par le décret précédent de «mener une étude qui [.] fera le point sur la question», et confie à l'Institut National de la Langue Française le soin d'établir des listes de vocabulaire afin de faciliter le travail des administrations. Les idées ont mûri et les médias commencent à utiliser des titres féminins malgré l'opposition de l'Académie. Son travail fini, la Commission se déclare opposée à la politique linguistique du Premier ministre. L'affrontement est de taille: Commission ministérielle contre Premier Ministre. Celui-ci a formulé la promotion du féminin sous forme de circulaire. La Commission pense à asseoir son autorité en s'appuyant sur un texte règlementaire hiérarchiquement supérieur, le décret du 3 juillet 1996, mais pour se déclarer indépendante du Premier ministre: « Aux termes des articles 1 et 8 du décret du 3 juillet 1996, elle [la Commission] peut être consultée sur toutes les questions concernant l'emploi de la langue française. (p.4 du Rapport) Aux termes des articles 1 et 8 du décret du 3 juillet 1996, elle [la Commission] peut être consultée sur toutes les questions concernant l'emploi de la langue française» (p.4), passage qui ne donne qu'un droit consultatif mais qui est à mettre en relation avec l'article 9 du décret: Article 9 Les termes, expressions et définitions proposés par la commission générale ne peuvent être publiés au Journal officiel sans l'accord de l'Académie française. «Les termes, expressions et définitions proposés par la commission générale ne peuvent être publiés au Journal officiel sans l'accord de l'Académie française.» Or la Commission comporte un académicien membre de droit, et c'est en 1998 Maurice Druon, particulièrement enflammé dans son opposition au féminin. En fait, le décret de 1996 donne à l'Académie française un pouvoir règlementaire qu'elle ne possédait pas jusque-là, car par ses statuts historiques elle jouissait d'une grande autorité morale, mais morale seulement. Lisons les articles 1 et 8 de ce Décret: Article 1 En vue de favoriser l'enrichissement de la langue française [.], d'améliorer sa diffusion en proposant des termes et expressions nouveaux pouvant servir de référence, de contribuer au rayonnement de la francophonie [.], il est créé une commission générale et des commissions spécialisées de terminologie et de néologie. Article 8 La commission générale de terminologie et de néologie examine les termes, expressions et définitions dont elle est saisie par les présidents des commissions spécialisées de terminologie et de néologie en veillant à leur harmonisation et à leur pertinence. Il n'est question que d'ajouter quelque chose, et, dans le cadre de la Loi Toubon, ajouter quelque chose qui soit français. De plus, il s'agit d'examiner des termes, des expressions, et non pas tout un système grammatical de la langue française. En excluant des textes règlementaires tout un pan du fonctionnement de la langue française, les féminins français, la Commission a outrepassé le pouvoir que lui confère la législation. On peut ajouter de plus que, en fait de défendre la langue française, elle entérine en réalité l'alignement des textes officiels français sur le système anglo-saxon où le genre n'est grammaticalement pas exprimé, et contrevient de ce fait à la Loi Toubon. En même temps que l'affrontement politique, on observe les effets du conditionnement culturel poussant le raisonnement à la défense non pas de la langue française, mais du masculin dominant, en toute bonne conscience. La féminisation, dans cet état d'esprit inculqué par l'école où le féminin est un sous-produit du masculin, n'est pas l'introduction du féminin dans les textes, mais une transformation, une atteinte que l'on fait subir aux noms d'humains par nature masculins, dont on «altère l'impersonnalité» (p.32 du Rapport). Le conditionnement mental au féminin sécrété par le masculin rend aveugle au grand système d'alternance en genre des noms d'humains français. La Commission et la langue Lorsqu'on aborde ensuite le domaine grammatical et linguistique, avec confiance et intérêt parce que c'est une assemblée de sages tous et toutes admirables et compétents dans leur domaine, qui n'est pas la linguistique du français, sauf pour deux personnes de la Commission, on va d'étonnement en stupéfaction: le conditionnement mental à la primauté du masculin aveugle la logique, et malgré le désir évident d'une réflexion objective, il conduit le discours d'affirmations infondées en amalgames confus. Ainsi, quant à la valeur neutre du masculin, reconnaissant que le neutre n'existe pas en français, mais attachée à cette notion confondue avec celle de générique, la Commission avance solennellement «l'héritage latin» dès la page 2, attribuant au masculin cette filiation prestigieuse qui établirait, selon elle, un lien entre le masculin et le neutre, argument qui lui paraît fondamental : «Héritier du neutre latin, le masculin se voit conférer une valeur générique, notamment en raison des règles du pluriel qui lui attribuent la capacité de désigner les individus des deux sexes et donc de neutraliser les genres.» (p.2) Examinons d’abord la notion d'héritage: en latin les noms d'humains, tous masculins ou féminins, désignaient des hommes ou des femmes. Les noms neutres étaient, tous, des noms de choses ou d'idées, pas même des noms d'enfants comme mädchen en allemand. Dans l'évolution du latin au français, ces neutres sont devenus pour certains des masculins comme templum ou exemplum. D'autres sont devenus féminins parce que le pluriel neutre se termine par -a, par exemple: Pluriel latin folia feuille, Pluriel latin labra lèvre. Mais il doit rester bien clair qu'en latin le neutre n'a rien à voir avec la dénomination humaine. La piste étymologique est une fausse piste, la forme neutre latine n'a rien à voir avec le sens du nom d'humain masculin ni latin ni français, «l'héritage latin» est un rêve, répété sentencieusement de page en page: - «L'héritage latin a opté pour le masculin.» (p.11) - «…le masculin [partage son genre] avec le neutre en raison de l'héritage latin.»(p.33) - «Cette valeur générique du masculin vient de ce qu'il a hérité morphologiquement du neutre latin.»(p.31 note 44) La surprenante généralisation de la dernière formulation témoigne de la collision sémantique entre la classe des inanimés et des animés humains. «L'héritage latin» a été avancé sans définition de ce qu'est un neutre et un générique, puis a été étendu à tous les masculins que l'on entend promouvoir. Pour assurer la démarche, la question du générique est reprise à la page 10. Il faut une nouvelle fois s'astreindre à tenter de déconstruire un raisonnement complexe fondé sur des approximations: C’est le cas aussi des règles de formation de l’accord au pluriel, qui font qu’une addition de noms masculins et féminins s’accorde au pluriel au masculin (la table et le bureau sont rangés), ou encore de la règle même du pluriel qui veut qu’un groupe composé d’hommes et de femmes soit désigné par un masculin pluriel. “ Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ” n’exclut pas les femmes mais les englobe dans le genre humain. “ Mon mari et moi sommes assis sur un banc ” nous désigne assurément tous les deux bien que l’attribut ne s’accorde qu’avec le masculin. Désigner les hommes par un terme générique, c’est nécessairement inclure les femmes.(p.10) Ici est avancé un fait avéré et un seul, un fonctionnement grammatical constant, l'accord de l'adjectif avec un groupe de noms des deux genres. De cette règle strictement mécanique, la Commission saute à la conséquence que le pluriel sans antécédents: «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits» obéirait au même mécanisme: le raccourci est vertigineux. Après l'amalgame sens latin/sens français, c'est l'amalgame entre sémantique et syntaxe. De plus, non seulement homme masculin ou pluriel a vu son usage évoluer au cours du temps, mais encore la Commission elle-même avoue l'ambiguïté possible du mot: « Il est vrai, cependant, que le terme homme ne lève pas toute ambiguïté. Ce terme désigne à la fois le tout et la partie, l’ensemble des êtres humains et les êtres de sexe masculin qui composent une partie de l’humanité.»(p.31-32) Un terme dont le sens vacille ne peut être l'instrument grammatical de ce que la Commission appelle la «règle même du pluriel», et, dans le mélange entre syntaxe et lexique, «nécessairement inclure les femmes». L'amalgame entre noms de choses et d'idées, invariables en genre, et noms d'humains, alternants, est systématique et atteint le comique lorsque la Commission s'étonne de ce que le mot paternité , considéré comme une «exception», soit un féminin (p.31). On regrette qu'elle n'ait pas pensé aussi, entre autres, à virilité. On lit ailleurs: [.] le français marque de la même manière le genre naturel (avocate et lauréate, fiancée et retraitée, baigneuse et skieuse, cavalière et romancière, nourrice et bienfaitrice, championne et patronne...) et le genre grammatical au sens strict (frégate et patate, denrée et renommée, étiqueteuse et mitrailleuse, police et cicatrice, colonne et consonne...).(p.27) L'amalgame concerne une nouvelle fois noms de choses et de personnes et la Commission oublie aristocrate ou diplomate, pourtant de l'un ou l'autre genre, ou bien sulfate ou nitrate et autres dizaines de disparates bien masculins «marqués de la même manière». La Commission s'est bien amusée en exposant sa vision fragmentaire du lexique. Il faut aussi commencer à se demander pourquoi la loi française doit être écrite au masculin quand les arguments pour écarter le féminin sont aussi frivoles. Flottement des concepts et fluctuations d'emploi du féminin. Le ton est sérieux dans la partie consacrée à la justification juridique du masculin, mais les flottements conceptuels sont surprenants. On trouve dès la page 3 des individus: La commission considère également que, s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante [.] rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon les cas. Mais quels sont les individus visés? Qui fera la demande expresse de la mise en accord de l'appellation avec «le sexe de ceux qui le portent»? Le ceux masculin pluriel est bien commode pour masquer les personnes dont on parle. L'autorisation ou l'interdiction ne concerne que les femmes, cela s'appelle une tutelle, qui rappelle le Code Napoléon. Voyons maintenant les "personnes": [.] le féminin comme le masculin peuvent avoir une valeur générique. La personne ou l’humanité comme l’être humain désignent des catégories qui n’ont rien de spécifiquement féminin ou masculin. La personne ne désigne pas uniquement les femmes, pas davantage qu’on n’entend par l’être humain exclusivement un homme. Le genre masculin n’est pas la propriété des hommes de sexe masculin.» (p.31) En tant «qu’homme de sexe féminin» j’ai donc aussi la propriété du masculin mais je ne comprends plus ni le genre ni la généricité du Rapport, et j’en perds mon latin. Par bonheur arrive «L’héritage latin, le retour»: Conformément à l’idéal républicain qui anime nos institutions, le sujet de droit est une personne, non un individu. Le terme de personne (du latin persona, personnage) désigne étymologiquement un masque de théâtre qui permettait au spectateur de reconnaître à l’avance le rôle qui allait être joué par le comédien. [.] La personne n’est donc pas l’individu (il y a des personnes morales) mais le rôle social qu’il endosse. Être une personne, c’est précisément avoir plusieurs masques, pouvoir assumer plusieurs fonctions, ne pas être seulement soi-même. On peut être à la fois ministre, membre d’un parti politique, président d’une association culturelle, supporter d’une équipe sportive, etc. On ne joue pas dans ces différentes sphères le même rôle et on ne le joue pas en tant qu’individu sexué. (p.43) Petit détail, le jeu théâtral à Rome était interdit aux femmes, aujourd’hui en revanche c’est à la femme de se masquer de la persona. Si dans l'embarras que suscite la lecture de ce passage, on a recours à un dictionnaire, on y trouve qu'aujourd'hui personne a un sens proche de individu, et qu’il s'agit bien d'hommes ou de femmes dans leur individualité et non pas de personnages de théâtre. Ceci pour dire que la Commission utilise les mots et les concepts en les pliant selon les «rôles» qu'elle entend leur attribuer. Cela s'appelle, euphémiquement, de la subjectivité et de la partialité. Le problème de la Commission de terminologie , c'est l'impossibilité de justifier la subordination linguistique de la dénomination humaine féminine, il faut donc faire feu de tout bois. En dehors de cette explication tendancieuse, toutes les autres personnes du texte (p.25-30-43-44) sont bien hommes et femmes et ne sont nullement des masques. Mais toujours à ce propos il faut citer le passage suivant: «Affirmer son identité dans sa fonction, c’est prendre le risque d’agir par excès de narcissisme, par incapacité à distinguer clairement sa personne de son rôle social. » (p.44) En contradiction avec ce qui précède, la personne et le rôle ne se confondent plus. Mais qui cherche à «affirmer son identité» en utilisant autre chose que le masculin? La Commission oublie que le Narcisse de l'Antiquité comme celui de Paul Valéry est un homme. Il faut maintenant regarder ce qu'est la fonction. N'étant pas tout à fait sûre de ce qu'est le neutre, la Commission utilise volontiers la notion plus diluée de neutralité associée à celle de fonction, aux pages 2, 3, 44, 50. Il faut donc s’interroger sur ce «principe de neutralité des fonctions» (p.50) exprimée au masculin. On dira naïvement que fonction est un nom abstrait. Président, est-ce un nom abstrait? Il semble que dans leur souci de promotion du masculin les tenants et tenantes de la théorie du masculin nom de fonction accomplissent inconsciemment un glissement métonymique, prenant la partie pour le tout, l'espèce pour le genre, et ici l'agent pour la fonction, l'homme pour le poste. Nous sommes dans le domaine des fleurs de rhétorique de même que lorsque nous voyons des voiles sur la mer: ce n'est pas le langage précis que demande un texte législatif. Faut-il bien entendre que, tout comme un verre peut signifier son contenu liquide, en langage administratif le directeur contient la directrice ? La théorie du masculin générique rejoint alors la théorie biblique de la côte d'Adam. Plus subtilement, s'il est possible de boire un verre, c'est que le verre est le contenant adéquat de la boisson. Un directeur vu comme fonction de même que le verre vu comme boisson est dans ce cadre le seul personnage adéquat pour la fonction de direction, une directrice, non. Dans la pensée traditionnelle seul un nom d'homme peut avoir un rapport avec l'action abstraite qu'est la direction. Dans ce contexte, directeur étant défini non pas comme personne mais comme fonction, la direction, nom de fonction véritable, reste orpheline, et la femme qui aspire à une direction doit dans le langage officiel se costumer du masque masculin. Alors qu'il est si facile en français de dire dans un texte législatif : «Les fonctions du directeur ou de la directrice de l'établissement sont.... Il ou elle doit... ». L'élégance consistant ici dans la clarté et non dans une abstraction philosophique qui consiste à présenter un être humain inexistant parce qu'on le déclare sans sexe. Cependant il est difficile à la Commission de nier totalement la grande règle d'alternance des noms d'humains français. Selon la page 13 «Rien ne s’oppose, sur le plan linguistique, à ce que le directeur de cabinet devienne directrice». C'est l'évidence. Mais d'abord cela signifierait, dit le Rapport, une difficulté majeure, la réécriture de tous les textes administratifs. Certes. Mais pour la Commission, la difficulté est insurmontable: «Mieux vaut, quand l’obstacle ne peut être surmonté, renoncer.» En quoi la réécriture des textes est-elle insurmontable avec les moyens modernes? En déclarant qu'à partir de telle date ils doivent inclure les noms féminins? En fait, ce qui est insurmontable, c'est le conflit entre la langue française qui autorise le féminin comme le reconnaît le Rapport lui-même et l'imposition autoritaire du nom de fonction masculin. On contournera la difficulté en distinguant l’appellation statutaire et l’activité proprement dite et l’on dira: «Le médecin des hôpitaux, Mme Isabelle Martin, est nommée directeur de l’hôpital d’Alençon. Dans sa nouvelle activité de directrice, Mme Martin n’exercera plus son métier de chirurgienne.» Attention donc, madame, selon que vous serez vue comme publique ou privée, il faudra vous appeler directeur dans un cas, directrice si vous y tenez, dans l'autre. L’exercice demande un certain entraînement (qui ne concerne que les femmes). Il reste à parler du sujet de droit ou sujet juridique. Ce n'est pas en tant que juriste, ce que je ne suis pas, pas plus qu'en tant que linguiste ici, mais en tant que citoyenne que j'entends exprimer ma pensée sur l'idéologie qui sous-tend le raisonnement de la Commission en ce concept. Le Rapport de 1998 déclare toute idéologie autre que la sienne comme dangereuse: «Non seulement il n’est pas démontré que le langage soit une oppression, mais surtout il est dangereux de lutter contre une idéologie par une autre idéologie. Les phénomènes sociaux ou politiques évoluent et le langage reste.»(p.11) Il est bien aventureux de déclarer que le langage n'est pas une oppression: que l'on prenne William Labov, Umberto Eco ou Roland Barthes, personne n'ignore leurs travaux qui avec ceux de nombreux autres chercheurs et chercheuses démontrent tout le pouvoir si ce n'est la dictature du langage. Et personne n'ignore le soin qu'une dictature nazie ou soviétique apportait au langage dans l'endoctrinement des populations, en commençant par les enfants des écoles, comme le démontrent les récents travaux de Ralph Keysers. Je ne compare pas la dictature du masculin - c'en est une - à la dictature nazie et à sa barbarie, je rappelle l'influence démontrée du langage sur la pensée. La Commission avance des déclarations dangereuses. Reprenons l'introduction : «La féminisation a procédé d’une dénonciation de l’usage du masculin, entendu comme effacement du féminin. Elle a empêché ainsi toute désignation claire du sujet juridique» (p.2) En quoi dire «le directeur ou la directrice a pour mission de...» est moins clair pour comprendre que cela concerne les femmes que de dire "le directeur a pour mission de..."? Pour la Commission l'explicitation équivaut paradoxalement à l'obscurcissement. Qu’est exactement le sujet juridique? S’il faut ne pas l’entendre comme effacement du féminin, signifie-t-il et féminin et masculin ? Non: «Pour nommer le sujet de droit, indifférent par nature au sexe de l’individu qu’il désigne, il faut donc se résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas du neutre. "(p.2) Le sujet de droit est donc une totale abstraction. Mais:   Cependant, quand il est désigné par un substantif masculin, les tenants de la non-discrimination prétendent que ce substantif fait référence implicitement à un sujet masculin et non au sujet juridique abstrait. Le masculin n’aurait donc pas la fonction neutralisante qu’on lui prête, même lorsqu’il désigne des qualités attribuables aux deux sexes. Pour que la présence des femmes soit visible, il faudrait que celle des êtres masculins s’efface. (p.22) Puisque le sujet juridique doit être compris comme un concept abstrait, y a-t-il donc des êtres masculins à effacer ? et si c’est le cas, la présence des femmes empêche-t-elle les hommes d’être des hommes? On touche à des profondeurs relevant de la psychanalyse. Le cœur de la doctrine est enfin exprimé clairement: [.] il s’agit (pour les féministes) de rendre désormais visible la présence des femmes en tant que sujets de droit dans les actes législatifs. Une telle finalité n’est pas sans poser un problème car le sujet de droit n’a précisément pas de sexe. C’est un être indéterminé, représentant des caractéristiques universelles qui sont celles de tout être humain." (p.22) C'est l'universalisme qui commande le Rapport de 1998, doctrine éminemment respectable, qui reconnaît hautement l'égalité entre tous les êtres humains. Mais qui à la fin du 20e siècle a montré ses failles quand les femmes, discriminées politiquement, ont réclamé et obtenu l'explicitation de leur parité en tant que citoyennes. Explicitation très modeste formulée en une seule phrase de la Constitution française, la totalité du texte constitutionnel n'utilisant plus ensuite que des substantifs désignant l'humain masculin. Universalisme et res publica L'universalisme reconnaît l'égalité entre tous les êtres humains, mais nivèle les individus comme asexués. En revanche le principe de parité hommes/femmes reconnaît un statut humain égal aux femmes et aux hommes, les femmes ne sont pas une catégorie, mais l'être humain à part entière comme les hommes, les unes comme les uns indispensables à l'existence de l'humanité. Lisons la suite du Rapport: «Conformément à l’idéal républicain qui anime nos institutions, le sujet de droit est une personne, non un individu » (p.43) En dehors de la frontière incertaine qu'il y a entre personne et individu dans le texte du Rapport, retenons ici l'idéal républicain: En effet, la tradition républicaine distingue nettement l’individu et la personne sujet de droit, l’espace privé et l’espace public. [.] C’est l’égalité des droits qui doit primer sur la différence, sans la nier. L’égalité n’est pas l’identité. La république protège les différences en les maintenant dans la sphère privée afin de sauvegarder le lien social. Elle ne conçoit pas le corps social, contrairement aux démocraties anglo-saxonnes, comme une juxtaposition d’individus ou de communautés dont chacune pourrait revendiquer, au nom de sa spécificité, un traitement différencié. A manifester et à exprimer la différence dans l’espace public, on en oublie l’universalité de la fonction. Les dérives différentialistes ou communautaristes de ces démocraties, le risque d’éclatement social qui les menace les ont toutefois amenées à renoncer à ces revendications. (p.44) Résumons: nous sommes dans une république indifférente aux différences, ce qui est louable, mais les démocraties anglo-saxonnes en revanche ont été attentives aux communautés par des traitements différenciés, d'où les dérives différentialistes ou communautaristes. Les femmes sont donc pour la Commission une communauté et réclameraient des différences. Communauté: minorité sociale, culturelle, religieuse, ethnique... Les femmes sont-elles une minorité? La sexuation est un dénominateur commun, celui de l'humanité entière comme celui de toute minorité, les communautés chinoises à l'étranger sont des Chinoises et des Chinois, les communautés religieuses sont de femmes ou d'hommes, ou des deux, les personnes se reconnaissant dans l'homosexualité sont des hommes et des femmes. Revenons dans l'extrait page 44 du Rapport à "l'idéal républicain... la tradition républicaine... la république... contrairement aux démocraties anglo-saxonnes...". La république française ne serait-elle pas une démocratie? La démocratie n'est pas forcément républicaine, il y a des royaumes démocratiques, mais la souveraineté y appartient au peuple. La Constitution de la République française dit dans son Titre 1er , article 3, que «la souveraineté appartient au peuple», peuple précisé quelques lignes plus bas: «Tous les nationaux français des deux sexes.» Nous sommes bien dans une république démocratique. La dichotomie république versus démocratie opérée par le Rapport révèle la crainte du spectre communautaire qui s'agite dans ces démocraties autres, constitué par cette minorité que sont les femmes. Gardant à l'esprit ce spectre effrayant du possible communautarisme des Françaises (plus de 30 millions) face aux Français ( plus de 30 millions), sans oublier que ce qui est demandé c'est non pas une différence mais la parité, et revenant à la page 12 et à l'esprit des institutions qu'invoque le Rapport, nous pouvons apprécier cette entité vague et commode que l'on nomme génie en parlant de la langue, esprit, idéal républicain en parlant des institutions: domaine éthéré, ésotérique, accessible seulement aux connaisseurs, aux initiés, à ceux qui savent, et que ne comprennent pas bien ces personnes agitées revendiquant la représentation des Françaises dans le langage de la République française. Tout cela ne serait que du traditionalisme patriarcal, du passéisme, de la désuétude, mais il y a plus dans le Rapport. Voici ce que de page en page l'on peut relever comme trame: – «...la cohérence et la continuité juridique des textes règlementaires peuvent sembler menacées par la mention du sexe de leur auteur.»(p.7) – «Faire de la féminisation du langage une priorité risquerait d'en faire artificiellement l'enjeu d'un conflit...» (p.11) – «...toute violence faite au langage ne suffirait pas à changer des pratiques sociales…» (p.12) – «Le triomphe d'une égalité bavarde, d'une parité de surface, ne saurait assurer dans la pratique une égalité des chances que seule l'action collective peut promouvoir.» (p.12) – « Il ne sert à rien de vouloir accélérer ce travail [de féminisation]... et décider séance tenante de tordre les mots...» (p.13) – «...au prix de multiples torsions linguistiques...» (p.14) A partir du postulat que le féminin est le sexe, celui du masculin étant totalement évacué, la mention de ce sexe est une menace, un enjeu artificiel mettant en danger l'ordre social, une violence faite au français par un parti frivole, bavardage qui ne sert à rien si ce n'est à tordre les mots. En voici les conséquences redoutables: «Faute de cette acceptation d'une désignation universelle, il faudrait parler des êtres humaines, de toutes les cultures et conditions sociales, mariées ou célibataires, brunes ou blondes, intellectuelles ou manuelles, voire parisiennes ou provinciales...» (p.25) Autrement dit, le chaos: «Cette position mène rapidement à l'absurdité d'un langage qui ne veut plus rien dire...» (p.25) Ainsi, pour la Commission, dire : " Le mandat du Président ou de la Présidente de la République est de cinq ans" ne veut rien dire. L'avalanche hyperbolique fustigeant la proposition pose la question du camp concerné par ladite absurdité. Dans la pratique, voici une conséquence terrifiante pour les femmes elles-mêmes de l'utilisation du féminin: «La neutralité des appellations semble constituer une garantie de ce que les fonctions d'autorité inhérentes au commandement militaire sont exercées de façon identique quel que soit le sexe du titulaire de ces fonctions.» (p.37) Où est ici la limite entre le mépris des femmes et le mépris de leur appellation? Que l'autorité d'une femme ait à peiner pour s'imposer, c'est affaire de sociologie, que la Commission mette en doute cette autorité pour une femme qui veut que sa personne soit reconnue par son appellation, c'est faire le jeu de cette misogynie. Et enfin: «[les grades et les titres] sont des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang, une dignité» (p.40) et comme tels ne peuvent être dits qu'en ce neutre toujours masculin. La réciproque: le féminin est indigne. Il faut hélas continuer: «Il faudrait aussi que l'être juridique ainsi désigné ne soit pas modifié ou altéré par la différenciation sexuelle." (p.41) Altéré: «corrompu» en parlant de nourriture, ou bien «falsifié» en parlant d'un texte. L'appellation féminine corrompt le concept d' être juridique. Ajoutons: à propos d' espace public domaine de la fonction, il est rappelé en note que «Res publica n'est rien d'autre que la chose publique, l'espace public par opposition à la vie privée."(p.43 note 64) Héritage latin toujours à l'appui, le Rapport de 1998 clarifie bien les choses: le féminin et les femmes à la maison. Les implications, amalgames, contre-vérités constituent un ensemble effarant. S’y ajoute dans le raisonnement juridique une misogynie qui semble viscérale, aux détours de l'argumentation le féminin est discriminé comme menaçant, absurde, indigne. Sexisme et misogynie se revêtent de paternalisme conciliateur (p.48). Mais il faut aussi protéger les femmes contre elles-mêmes, le paternalisme se teinte en phrase conclusive de menace: Il est probable qu'à trop vouloir marquer la différence des sexes par la féminisation on risque d'être infidèle au principe républicain de l'indifférence des sexes dans l'exercice des fonctions. Il ne faudrait pas que, de cette infidélité, les femmes payent le plus lourd tribut. (p.50) Quel châtiment pour la femme infidèle? Le Rapport de 1998 a navigué parmi les concepts pour tenter de maintenir à tout prix le masculin dans son rôle dominant: concret mais plus noble du 16e au 18e siècle, puis non marqué au 20e,il devient non-genré et républicain avec le Rapport . L'historique de la pensée grammaticale française, qui jusqu'à la deuxième moitié du 20e siècle est une pensée exclusivement masculine, se voit parvenant à son apogée. Les femmes peuvent se nommer au féminin si elles le veulent, mais pas en rassemblement, et pas dans les lieux publics. Lionel Jospin, dans sa préface à l'ouvrage du CNRS - INaLF, Femme, j'écris ton nom, Guide d'aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, s'empresse d'entériner les «recommandations» du Rapport de 1998: «[Le rapport] montre que lorsque les textes visent une fonction, l'emploi du masculin est conforme à la règle. [...] Je ne vois que des avantages à mettre en œuvre ces recommandations» (p.6) et nous nous en accommodons avec la même bonne conscience, dans l'ignorance parfaite des démonstrations spécieuses ou absurdes du Rapport. La représentation linguistique officielle de la citoyenne française continue à être absente et l'hésitation, l'insécurité linguistique concernant sa dénomination se maintient de la même façon que l'insécurité linguistique observée dans le langage des populations et groupes sociaux dominés, comme l'ont établi linguistes et sociologues à partir des études de William Labov. Conclusion Les discussions et polémiques continuent aujourd'hui: l'opinion publique en un consensus mou adopte l'attitude de Lionel Jospin, l'Académie française continue à se référer à ses déclarations précédentes et au Rapport de 1998, lequel est largement ignoré alors qu'il est censé être le document de base régissant la rédaction des textes publics. Certains médias se sont à nouveau déchaîné il y a peu contre la publication en octobre 2015 du Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe par le Haut Conseil à l'Égalité des femmes et des hommes, excellent guide de langage et de comportement qui mérite une lecture attentive dénuée d' a priori malveillant, même si l'on n'adhère pas à toutes les propositions. En ce mois d'avril 2016 passe dans l'émission télévisée de Bernard Pivot un entretien avec Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française et farouche défenseur? défenseure? défenseuse? des titres au masculin (Khaznadar 2012), ce qui montre la passion toujours attachée à la question de la dénomination de la femme, et son importance. Le 18e siècle, celui de nos Lumières, a été l'initiateur des Droits de l'Homme. En ce 21e siècle avec ses convulsions discriminant les femmes dans le monde, la France et sa langue à deux genres est à même de parfaire historiquement, tout au long de ses grands textes, bien plus clairement qu'en anglais, la parité des Droits de la Femme et de L'Homme, Droits Humains hautement affirmés. Références BARTHES Roland, 1957. Mythologies. Paris. Seuil. ECO Umberto, 1989. Lector in fabula. Paris. Le Livre de Poche. KEYSERS Ralph, 2011.L’intoxication nazie de la jeunesse allemande. Paris. L’Harmattan. - 2013. L’enfance nazie - Une analyse des manuels scolaires 1933-1945. Paris. L’Harmattan. KHAZNADAR Edwige, 1990. Le nom de la femme - Virtualisation idéologique et réalité linguistique. Thèse de doctorat sous la direction de Andrée Borillo. Université de Toulouse-Le Mirail. - 2002. Le féminin à la française - Académisme et langue française. Paris. L’Harmattan. - 2012. «Heurs et malheurs de la suffixation -eur-euse». Le Français Moderne n°2. p. 220-245. - 2015. Le sexisme ordinaire du langage - Qu’est l’homme en général? Paris. L’Harmattan. LABOV William, 1976. Sociolinguistique. Paris. Editions de Minuit. Résumé Les textes institutionnels français sont régis par le Rapport de la Commission Générale de Terminologie et de Néologie de 1998, excluant l’usage du nom commun de personne féminin. Le Rapport a une autorité juridique contestable, une argumentation linguistique inexacte et se présente comme l’illustration de positions stéréotypées affectant le masculin à la sphère publique, le féminin à la sphère privée. Mots-clés : féminisation, masculin générique, féminin exclu, discrimination, androcratie. Masculine seizure of public language - Abstract French institutional texts are ruled by the Rapport de la Commission Générale de Terminologie et de Néologie of year 1998, excluding the usage of feminine common nouns of persons. The Report features a questionable legal authority, an inaccurate linguistic argumentation and appears as the illustation of stereotypical positions assigning masculine to public areas and feminine to private ones. Key-words: feminization, generic masculine, excluded feminine, discrimination, androcracy. Dominio masculino en el lenguaje publico - Resumen Los textos institucionales franceses son regidos por el Rapport de la Commission Générale de Terminologie et de Néologie de 1998, que excluye el uso del nombre comun de persona femenino. El Rapport, o Informe, tiene una autoridad juridica discutible, una argumentacion linguistica inexacta, y se presenta como la ilustracion de posiciones estereotipadas destinando el masculino a la esfera publica y el femenino a la esfera privada. Palabras-claves: feminizacion, masculino generico, femenino excluido, discriminacion, androcracia. Edwige KHAZNADAR Professeure honoraire Docteure en Linguistique, docteure ès-Lettres Membre du GrALP (Groupe d’Approche du Langage de Pau), de l’ASL (Association des Sciences du Langage), du CIEF (Conseil International d’Etudes Francophones), des WIF (Women In French) 2, rue des Marnières, 64140 Billère Tél. : 05.59.32.79.09 Courriel : edwigekhaznadar@club.fr Site : www.edwige-khaznadar-parite-linguistique.fr