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comment s'en sortir #1 féminismes noirs Théories féministes et queers décoloniales 4 Arsenal Gianfranco Rebucini, Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas étatsuniennes. Les cahiers du CEDREF, Paris, Éditions iXe, 2011 Comment S'en Sortir ? [En ligne], n°1 | 2015. En ligne depuis le 20 mai 2015. URL : https://commentsensortir.iles.wordpress.com/2015/05/rebucini_recension_cahiers-du-cedref-2011.pdf Il est toujours difficile de rendre compte synthétiquement d’un numéro de revue collectif, notamment lorsque les contributions à l’ouvrage sont d’une importance et d’une épaisseur intellectuelle telle que chaque article mériterait un développement conséquent. Cela est le cas avec ce numéro spécial des Cahiers du CEDREF dédié aux théories féministes et queer décoloniales états-uniennes. Mis à part l’introduction remarquable de Paola Bacchetta, Jules Falquet et Norma Alarcón ce numéro propose, pour la première fois en traduction française, des articles de féministes Chicanas et Latinas qui ont entre autres initié et rendu possibles les études queer aux États-Unis, mais qui ont aussi profondément marqué le champs intellectuel féministe anglo-saxon dans son ensemble. Les articles ici présentés ont été publiés en versions originales entre les années 1980 et le début des années 1990. La mise à disposition de ces textes pour le public francophone est en soi un fait important, tant parfois les passages transatlantiques ont été difficiles en raison d’un manque de traduction, notamment des apports provenant d’auteur·es non-blanch·es. Les travaux qui sont plus généralement connus sous l’étiquette de théorie queer en France (entre autres Butler, Sedwick et De Lauretis) sont pour la plupart le fait d’auteur·es blanch·es. Or, comme l’expliquent les coordonnatrices dans l’introduction, « aux États-Unis, les théories queer blanches peuvent être définies comme celles qui sont quasiexclusivement centrées sur le genre et la sexualité »1, tandis que « les théories et la critique queer of color […] abordent sans les séparer le genre, les sexualités, le racisme, la colonialité, le génocide, l’esclavage, le post-esclavage et l’exploitation de classe »2. C’est donc autour de ces dimensions complexes et imbriquées que les auteures présentes dans ce numéro déploient leur arsenal critique et leurs réflexions. Elles s’y attachent en tenant toujours ensemble production intellectuelle et politique, deux niveaux de l’existence qui donnent naissance à un savoir situé et combattif extrêmement puissant et qui puise ses racines dans 6 Gianfranco Rebucini, Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas états-uniennes. Les cahiers du CEDREF, Paris, Éditions iXe, 2011, Comment S'en Sortir ? [En ligne], n°1 | 2015 les expériences concrètes et matérielles des oppressions spécifiques et multiples auxquelles doivent faire face les femmes queer of color aux État-Unis. Comme le dit par exemple Cherrie Moraga, dans son article « La Guëra », « le danger, c’est de ne pas reconnaître la spécificité de l’oppression. Le danger, c’est d’essayer de faire face à l’oppression en partant d’une base purement théorique »3. Plus largement, la préoccupation de considérer ces expériences comme le produit de la colonisation conduit à la recherche de solidarités et d’alliances construites autour de la catégorie de « Tiers-Monde états-unien », alignant « les mouvements états-uniens pour la justice sociale non seulement entre eux, mais aussi avec les mouvements globaux pour la décolonisation »4. Les auteur·e·s de l’introduction le précisent : la catégorie de « Tiers-Monde états-unien » « inclut principalement des personnes de classe populaire. Ce qui donne sens à cette catégorie […] est à chercher au niveau d’une perspective politique et de classe »5. La perspective politique matérialiste, travaillant les différents rapports sociaux (race, classe, genre, sexualité, etc. ), traverse, même si à différents niveaux, tous les écrits réunis dans ce recueil. Mais c’est peut-être Cherrie Moraga qui le plus précise la démarche politique et épistémologique matérialiste du queer décolonial. Pour elle, en fait, « le lesbianisme est une pauvreté – comme le fait d’avoir la peau brune, le fait d’être une femme, le fait d’être tout simplement pauvre »6. Ou encore, « au niveau économique de base, être Chicana signifiait être “inférieure”. C’est parce que ma mère désirait mettre ses enfants à l’abri de la pauvreté et de l’illettrisme que nous nous sommes “angloisé·es” ; plus nous arriverions à “passer” efficacement dans le monde blanc, plus notre avenir serait assuré »7. Dans la production de Moraga ce matérialisme demeure fondamental pour établir les alliances qu’elle souhaiterait, dans une perspective d’émancipation, entre les femmes de couleur et les femmes de la classe ouvrière contre les femmes blanches de la classe 7 1 2 3 4 5 6 7 Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas états-uniennes, Les cahiers du CEDREF, 2011, p. 9. Ibid., p. 8. Cherrie MORAGA, « La Guëra », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 49. Chela Sandoval, « Féminisme du tiers-monde états-uniens : mouvement social diférentiel », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 142. Paola Bacchetta, Jules Falquet, « Introduction », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 12. Cherrie Moraga, « La Guëra », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 48-49. Ibid., p. 47. moyenne. Pour elle, « il est essentiel que les féministes radicales affrontent la peur qu’elles éprouvent les unes pour les autres et la résistance qu’elles s’opposent, parce que sans cela, il n’y aura pas de pain sur la table. C’est simple, nous ne survivrons pas »8. C’est donc à partir des expériences concrètes et matérielles que ces alliances nécessaires doivent pouvoir s’installer. Le travail de déconstruction décoloniale que ces auteures accomplissent est avant tout un travail opposé à l’épistémologie occidental de la binarité abstraite. Les concepts de « pont » (Alarcón), « Mestiza » (Anzaldúa), « voyage » (Lugones), « personnalité plurielle » (Sandoval), sont là pour rappeler que les théorisations des femmes du Tiers-Monde états-unien ont pour vocation « à concevoir un monde au-delà des restrictions de la binarité9 » et que « déraciner massivement la pensée dualiste de la conscience individuelle et collective constitue le début d’une longue lutte, mais une lutte qui pourrait, c’est notre plus grand espoir, nous porter vers la fin du viol, de la violence, de la guerre »10. Et c’est la Mestiza, personnage hybride, qui représente pour Anzaldúa à la fois symboliquement et matériellement une nouvelle conscience pour un « nouveau monde ». Mais cet effort pour la constitution d’un sujet de connaissance autonome et décolonial ne se limite pas à un travail théorique ou épistémologique. Cette conscientisation ou prise de conscience pour l’autonomie vise à la constitution d’une stratégie politique globale pour l’émancipation. Pour Anzaldúa alors, « la prise de conscience de notre situation doit avoir lieu avant les changements intérieurs, qui à leur tour précèdent les changements dans la société. Rien n’advient dans le monde “réel”, qui ne se produit avant sous forme d’images mentales »11. Par ailleurs, une des contributions majeures des féministes chicanas et queer pour un féminisme contemporain d’émancipation, est la distinction politique fondamentale entre la tactique et la stratégie. C’est pourquoi, quand elles appellent à l’unité, à l’amour, aux alliances et au dépassement des différences, elles 8 Gianfranco Rebucini, Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas états-uniennes. Les cahiers du CEDREF, Paris, Éditions iXe, 2011, Comment S'en Sortir ? [En ligne], n°1 | 2015 sont aussi conscientes que cela ne pourra se faire qu’à partir du respect de ces différences. Comme l’affirme Anzaldúa, « la culture dominante blanche [en] nous ôtant notre auto-détermination, […] nous a affaibli·es et vidé·es. En tant que peuple, nous avons résisté et nous nous sommes campé sur des positions de survie, mais nous n’avons jamais été autorisé à nous développer sans obstacle – nous n’avons jamais été autorisé à être pleinement nous-même »12. L’affirmation des identités et des différences doit alors se penser comme stratégiquement dépassable, mais elle est toujours tactiquement indispensable. L’article de Chela Sandoval qui termine ce recueil, donne des pistes importantes en ce sens. La cartographie du féminisme du Tiers-Monde états-unien, qu’elle présente dans cet article, permet en effet de penser ce féminisme comme « un modèle de l’activité politique »13 pour le « sujet-citoyen [qui] peut apprendre à reconnaître, à développer et à contrôler les moyens de l’idéologie, autrement dit à canaliser le savoir nécessaire pour “rompre avec l’idéologie”tout en parlant aussi, à l’intérieur et de l’intérieur, le langage de l’idéologie » 14. Pour ce faire, le féminisme du Tiers-Monde états-unien demeurerait dans une position excentrique par rapport aux autres moyens de transformation des rapports de pouvoir que Sandoval identifie en quatre autres formes de consciences oppositionnelles : « égalité des droits » (libéral), « révolutionnaire » (marxiste ou socialiste), « suprémaciste » (radical ou nationaliste) et « séparatiste » (différentialiste). Le féminisme du Tiers-Monde états-unien est ici appelé « différentiel ». Et il est différentiel car il « reconnaît les autres modes de conscience en opposition et elle les travaille pour en transfigurer les significations »15 et parce qu’il « dépend de la capacité de celles et ceux qui le pratiquent à lire la situation de pouvoir qui existe, et à choisir et à adopter consciemment la position idéologique la mieux à même d’en repousser les configurations – technique de survie bien connue 9 8 9 Ibid., p. 56. Norma Alarcón, « Le(s) sujet(s) théorique(s) de This Bridge Called My Back et le féminisme anglo-américain », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 108. 10 Gloria Anzaldúa, « La conscience de la Mestiza. Vers une nouvelle conscience », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 79. 11 Ibid., p. 90. 12 Ibid., p. 89. 13 Chela Sandoval, « Féminisme du tiers-monde états-uniens : mouvement social diférentiel », in Paola Bacchetta, Jules Falquet, Norma Alarcón (dir. ), op. cit., p. 146. 14 Ibid., p. 148. 15 Ibid., p. 182. des peuples opprimés »16. Mais « dans le champs où se déploie le mouvement social différentiel, les différences idéologiques et leurs formes oppositionnelles de conscience sont appréhendées non comme des stratégies – ce qui est le cas de leurs incarnations dans l’interprétation féministes hégémoniques – mais comme des tactiques »17. À l’heure où en France, dans le champ académique et aussi militant, la mode est à un usage plutôt banalisé de l’intersectionnalité qui tend à raidir les modalités de l’activité politique, le féminisme queer décolonial nous rappelle sans cesse la nécessité d’une stratégie globale d’émancipation à travers une pensée de la totalité (le « nouveau monde » de Anzaldúa). Mais ce projet ne pourra se réaliser qu’à partir d’une position d’autonomie, politique et cognitive, du monde blanc. La solidarité et l’amour à venir entre les différentes positionnalités ne peuvent que se construire sur la base de cette autonomie. On pourrait finalement dire que c’est à un certain internationalisme radical auquel elles appellent : un internationalisme avec toutes les femmes du Tiers-Monde qu’elles vivent dans les pays colonisés où à l’intérieur des pays colonisateurs. 10 Gianfranco Rebucini, Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas états-uniennes. Les cahiers du CEDREF, Paris, Éditions iXe, 2011, Comment S'en Sortir ? [En ligne], n°1 | 2015 11 16 17 Ibid., p. 175-176. Ibid., p. 178. la revue chez iXe : Sommaire : CSS#1 — 2015 Introduction féminismes noirs — Keivan Djavadzadeh & Myriam Paris « Les murs renversés deviennent des ponts. » Du côté obscur : féminismes noirs Rencontre Mettre en théorie et en pratique le principe de déplacement — Françoise Vergès Manifeste Être Noire et femme : un double péril — Frances M. Beal Traverse Les hétérotopies du féminisme noir — Elsa Dorlin & Myriam Paris Bulletin d'adhésion À retourner avec un chèque bancaire à : Éditions iXe – 28, bd. du Nord 77520 Donnemarie-Dontilly Nom : .................................... ......................................... Prénom : ................................. ......................................... Institution : ............................ ......................................... 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TARIFS : (cocher) � 1 numéro 14 € : CSS#... � Abonnement annuel (2 numéros) 26 € © Éditions iXe 2015 ISBN 979-10-90062-25-2 ISSN : en cours d’attribution 28, bd. du Nord – 77520 Donnemarie-Dontilly www. editions-ixe. fr http://commentsensortir.org/ CSS a reçu le soutien du Labtop (UMR CRESPPA-CNRS/Paris 8) Conception éditoriale & graphique : CSS + iXe + Hélène Mourrier Composé en : Bery Roman — Fugue CSS#1 — 2015 la revue sur http://commentsensortir.org Introduction Du côté obscur: féminismes noirs — Keivan Djavadzadeh & Myriam Paris Rencontre Mettre en théorie et en pratique le principe de déplacement — Françoise Vergès Frictions Vers une conscience radicale : la libération féministe mizrahie pour une pensée émancipée — Tal Dor Visages noirs, sorcières et racisme contre les illes — Sharon Kinsella La Doudou contre-attaque : Féminisme noir, sexualisation et doudouisme en question dans l’entredeux-guerres — Jacqueline Couti Femmes modernes Et de traditions musulmanes. Traduction de la modernité coloniale dans les rhétoriques des féministes anticolonialistes — Karima Ramdani Du côté obscur : féminismes noirs « Le jeu de qui ? » Les politiques sexuelles aux Antilles françaises — Vanessa Agard Jones Féministes de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? — Sara Farris Arsenal Générations Audre Lorde ; Autour du documentaire Audre Lorde. he Berlin years 1984 to 1992, Dagmar Schultz, Allemagne, 2012 — Noemi Michel & Eva Rodriguez he Birth Of Chinese Feminism. Essential Texts in Transnational heory, Lydia H. Liu, Rebecca E. Karl, Dorothy Ko, New York Columbia University Press, 2013 — Julie Abbou héories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas états-uniennes, Les cahiers du CEDREF, éditions iXe, 2011 — Gianfranco Rebucini Angela Davis, Blues Legacies and Black Feminism, New York, Vintage Books, 1999 — Keivan Djavazadeh