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Miss Best-seller
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Livre électronique391 pages4 heures

Miss Best-seller

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À propos de ce livre électronique

Viviane Carmichael déteste la lecture. Elle a aussi peu de patience à tourner les pages d'un roman qu'elle en a à vendre des vêtements à ses clientes capricieuses. En fait, la jeune femme préfère se concentrer sur ce qui lui importe réellement : décrocher un poste plus prestigieux et dénicher un célibataire potable dans la trentaine.

Un samedi soir, en quête d'un cadeau pour une collègue, elle met les pieds dans une librairie et tombe nez à nez avec ce qu'on annonce comme étant un « futur best-seller » écrit par une dénommée… Viviane Carmichael. Par-dessus le marché, c'est son visage qui figure à l'endos du livre !

S'ensuit une folle tournée de promotion où Viviane se retrouve coincée à incarner l'auteure d'une romance qu'elle ne compte même pas lire, épaulée par un flamboyant homosexuel qui n'est pas exactement son agent, et amenée à côtoyer un séduisant auteur de polars qui ne dévoile pas, lui non plus, tous ses secrets.
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditeurs réunis
Date de sortie28 févr. 2018
ISBN9782895856252
Miss Best-seller

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    Aperçu du livre

    Miss Best-seller - Martine Labonté-Chartrand

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et

    Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Labonté-Chartrand, Martine, 1985- , auteur

    Miss best-seller / Martine Labonté-Chartrand

    ISBN 978-2-89585-625-2

    I. Titre.

    PS8623.A263M57 2018 C843’.6 C2017-942424-6

    PS9623.A263M57 2018

    © 2018 Les Éditeurs réunis

    Éléments de couverture : Freepik

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    ReconnaissanceCanada.tif

    Édition

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    lesediteursreunis.com

    Distribution nationale

    PROLOGUE

    prologue.ca

    LogoFB.tif Suivez Les Éditeurs réunis sur Facebook.

    Imprimé au Québec (Canada)

    Dépôt légal : 2018

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Titre.jpg

    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    Lune de miel accidentelle, roman, 2017

    Fantasmes d’une femme mariée, roman, 2017

    Nos voisines, ces espionnes, roman, 2017

    Jamais trop tard ! – Marion réoriente sa vie, roman, 2016

    Rester jeune – Le défi ultime de Lucy Tremblay, roman, 2016

    Ma vie en horoscope, roman, 2015

    La fée Lakara, roman jeunesse, 2018

    Gardienne avertie !, série jeunesse

    1. Jeune fille motivée cherche contrat bien payé, 2016

    2. De la concurrence à l’horizon, 2016

    3. Épuisement professionnel, 2017

    4. Vacances bien méritées, 2017

    Populaire, série jeunesse

    1. Populaire (et superficielle), 2015

    2. Populaire (et rebelle), 2015

    3. Populaire (et repentie), 2016

    1

    Ding ! Dong !

    Viviane Carmichael leva les yeux de son appareil quand la sonnette de la cabine d’essayage retentit. Elle cacha son téléphone rapidement, sachant que ses patrons n’aimaient pas que les employés consultent leurs messages personnels pendant leurs quarts de travail. Elle descendit rapidement de son tabouret et se dirigea vers le bras qui sortait de la cabine. Un pantalon tout à l’envers pendouillait mollement au bout de celui-ci, attendant sans doute qu’on le raccroche correctement sur son cintre.

    — Je veux une taille plus grande.

    Pas de s’il vous plaît, pas de sourire. À croire que lorsqu’on travaillait dans un magasin à grande surface, on devenait l’esclave des gens dont le portefeuille était bien garni. Viviane jeta un regard rapide sur sa caisse enregistreuse avant d’agripper le vêtement que la femme lui tendait. Il était seize heures cinquante-deux et le magasin fermait ses portes à dix-sept heures. À cause de sa cliente, elle terminerait à coup sûr son quart de travail plus tard que prévu. Elle soupira et se dirigea vers l’endroit où elle était le plus susceptible de trouver ledit pantalon. C’était un problème qu’elle rencontrait souvent : dans les magasins Simons, même les employés n’avaient qu’une chance sur deux de repérer les morceaux placés un peu partout dans les rayons sans ordre logique. Fidèle à son habitude, elle compterait jusqu’à cinquante et, si elle ne trouvait rien, elle dirait à la cliente qu’il ne restait plus de pantalon à sa taille. Souriant à l’idée de mettre en pratique sa stratégie, elle marcha d’un pas assez lent, pensant à la soirée qui l’attendait. Sans trop vouloir se l’avouer, elle était à la fois excitée et anxieuse. Elle se prêtait rarement au jeu des rencontres arrangées, mais si elle ne voulait pas rester célibataire toute sa vie, il fallait bien qu’elle donne un coup de pouce au destin. Elle regarda distraitement autour d’elle… quarante-huit… quarante-neuf… cinquante ! Viviane tourna les talons et se dirigea d’un pas rapide vers la cabine d’essayage où le « bras » attendait toujours patiemment.

    — Je suis désolée, il n’y a pas la grandeur que vous cherchez.

    Elle ne suggéra pas un autre morceau ni une autre couleur. Elle voulait que la cliente décampe au plus vite pour pouvoir enfin fermer sa caisse, quitter le magasin et se rendre à son rendez-vous. La femme soupira très fort, comme si c’était la faute de Viviane si quelqu’un avait acheté la taille qu’elle convoitait, et tira brusquement le rideau de toile grise. L’employée regagna son comptoir et sourit à une autre cliente qui se dirigeait à grands pas vers la porte. Elle aimait encourager les gens qui complétaient dûment leurs achats avant l’heure de fermeture. Déjà qu’elle devait travailler le samedi, elle détestait quand son temps de travail empiétait sur le début de sa soirée !

    — On ne trouve jamais rien, dans ce magasin, ronchonna sa cliente avant de déposer une pile énorme de vêtements sur le comptoir.

    Viviane s’apprêtait à lui répliquer que pour une femme qui n’avait rien trouvé, elle semblait plutôt comblée, mais une voix masculine l’arrêta dans son élan.

    — Ohhh ! Madame ! Vous n’êtes pas satisfaite ? Viviane, offre à madame dix pour cent de rabais sur ses prochains achats.

    La cliente se retourna et sursauta en apercevant l’homme qui venait de parler et dont le ton de voix ne correspondait aucunement au gabarit. Le gérant du magasin était un grand Arabe de six pieds quatre, avec une barbiche et une petite moustache noires. Il portait des lunettes à monture d’écaille et était assez flamboyant dans son genre, ne laissant planer aucun doute sur son orientation sexuelle. Les femmes semblaient toujours surprises de le voir travailler dans un magasin de vêtements, car il avait plus la stature d’un garde du corps que celle d’une icône de la mode, mais dès qu’elles prenaient un moment pour discuter avec lui, elles voyaient immédiatement que le style était sa passion. Prenant en compte la demande de son superviseur, Viviane sortit un bon de réduction de son tiroir et commença à scanner les articles un par un pendant que son collègue commentait allègrement les achats de la dame qui se remettait tranquillement de sa surprise. Celle-ci sortit finalement avec un sourire à dix-sept heures moins une.

    — Fiou ! Une chance que tu es arrivé, je pensais qu’elle ne partirait jamais ! s’exclama Viviane.

    — Tu ne crois pas que tu aurais plus de chances d’obtenir ta promotion si tu faisais des efforts ? lui fit remarquer son gérant en triturant une paillette sur son pantalon.

    Son look était plus flamboyant que jamais. Ce jour-là, il portait un chandail brodé de fausses perles agencé à un pantalon argenté à paillettes. On aurait dit que ce matin-là, il s’était habillé pour aller dans un party du jour de l’An et non tout simplement pour se rendre au travail. Chaque fois qu’elle le voyait arriver, Viviane esquissait un sourire. Un jour, elle avait osé lui demander pourquoi il s’habillait de la sorte. Il lui avait expliqué que, par égard pour ses parents, il se devait de faire honneur à son prénom – Jazze – d’une façon originale.

    — Ça fait des mois que je l’attends, cette promotion. À ce rythme-là, je ne l’obtiendrai jamais, se plaignit la jeune femme en fermant sa caisse. J’ai l’impression que le grand patron m’a fait miroiter une offre qui n’existe pas.

    — Tu as raison. C’est parce qu’il veut coucher avec toi. Il me l’a dit.

    Viviane suspendit son geste. La franchise de son ami la surprenait toujours. Cette information concernant son patron ne l’étonnait cependant pas. Elle savait qu’il était un coureur de jupons notoire et elle n’avait aucunement l’intention de céder à ses avances : il avait l’âge d’être son père, après tout !

    — Bon ! Je suppose que je peux dire adieu à cette promotion.

    Elle avait tenté de prendre un ton désabusé en disant cela, mais sa voix avait tout de même été un peu chevrotante. Elle travaillait chez Simons depuis plus de quatre ans. Elle avait toutes les compétences pour exercer un poste de haute fonction, mais elle restait bloquée sur le plancher, à chercher des pantalons pour les clientes insatisfaites. Est-ce que ce serait comme ça toute sa vie ?

    — Mais je sais qu’il y a du positif pour toi, ce soir, ajouta Jazze, pour changer de sujet. Tu t’en vas voir le beau Alexandre !

    Il tapa des mains en sautillant sur place, tout excité. C’est lui qui avait planifié cette rencontre, par l’intermédiaire d’un ami. Il était plus enthousiaste que Viviane elle-même.

    — Oui, c’est ce soir. Je vais le rejoindre après le travail, justement.

    Jazze la regarda de la tête aux pieds, d’un air insatisfait.

    — Et c’est ça que tu vas porter, chérie ? lui demanda-t-il d’un air presque dédaigneux.

    — Oui ! C’est mon kit de première date. Pourquoi ? Il ne me fait pas bien ? C’est un peu comme un ensemble chanceux, porte­bonheur, expliqua-t-elle.

    — Je ne pense pas qu’il t’ait vraiment porté chance jusqu’à maintenant, ajouta-t-il d’un ton critique.

    — De toute façon, je n’ai pas le temps d’aller me changer. Je vais rencontrer un fonctionnaire, pas la reine d’Angleterre, s’emporta-t-elle. Et les hommes ne connaissent rien à la mode, les hétéros, en tout cas !

    — Ne t’énerve pas ! C’était une petite critique constructive, c’est tout. J’ai un bon pressentiment pour ton fonctionnaire.

    — Ah oui ?

    La voilà qui s’excitait à son tour à cause d’une impression basée sur absolument rien. La pauvre, elle était plus que mûre pour rencontrer l’homme de sa vie ! Jazze, qui allait ouvrir la bouche pour commenter à nouveau son look, fut hélé par un autre employé.

    — Bon, je vais aller aider le sexy Jordan ! annonça-t-il. Je suis sûr qu’il fait exprès pour me demander de l’aide. J’ai remarqué qu’il me dévorait des yeux.

    — Il est marié et a deux enfants. Je ne pense pas qu’il en a après tes belles fesses, répliqua Viviane.

    Jazze haussa les épaules comme s’il n’avait rien à faire de son commentaire. Il fit un petit coucou de la main à Jordan et se dirigea à pas lents vers lui, après un dernier clin d’œil à son amie.

    — Oh ! N’oublie pas d’aller chercher le cadeau de Nathalie. Sa fête, c’est demain, lui rappela-t-il.

    Merde ! Elle avait complètement oublié qu’elle était responsable de cette tâche. Il faudrait qu’elle trouve du temps pour dénicher le fameux cadeau. Elle aurait dû y penser avant ; ses collègues l’avaient chargée d’effectuer l’achat plusieurs jours plus tôt.

    — Et essaie de ne pas faire le cochon quand tu ris, c’est assez turn off.

    Viviane pinça les lèvres en entendant le dernier commentaire de Jazze. Il se croyait tout permis ou quoi ? Pourquoi restait-elle amie avec un idiot flamboyant qui la critiquait tout le temps ?

    Vingt minutes plus tard, Viviane se stationnait près du restaurant où elle devait rencontrer « son beau Alexandre ». Elle sortit de son véhicule et marcha à pas rapides vers la porte principale. Elle était un peu en retard à cause d’un détour obligatoire qui n’était pas là le matin même. Ça ne ferait pas une très bonne première impression ; elle-même détestait les retardataires. Elle espérait que le jeune homme avait eu les mêmes difficultés qu’elle sur la route. Elle se rendait à ce rendez-vous en tentant de se convaincre qu’il ne servait à rien d’avoir des attentes trop élevées et, même si elle avait mis son ensemble porte-bonheur, elle savait qu’il y avait des risques que cette rencontre n’aboutisse à rien. Depuis quatre ans, elle cherchait la perle rare, comme toutes les femmes célibataires. Avant sa période de célibat, elle avait entretenu une relation d’une dizaine d’années avec son premier amoureux du secondaire, Maxime. Quand était venu le temps pour eux de songer à fonder une famille et acheter une maison, elle s’était rendu compte que ses sentiments pour lui avaient changé : elle ne l’aimait plus. À la grande surprise de tout son entourage, et surtout de son chum, elle l’avait quitté du jour au lendemain, sans autre explication que « ça ne fonctionne plus entre nous ». Par la suite, elle avait regretté sa décision pendant un bon mois, pour ensuite jouir de son célibat au maximum. Après deux ans de ce régime, elle avait commencé à rencontrer des hommes ici et là, souvent des connaissances d’amis, pour se rendre compte que les hommes potables de trente ans étaient pour la plupart déjà en couple. Voilà pourquoi elle n’était pas si enthousiaste d’aller rencontrer son fonctionnaire. Il avait trente-cinq ans et n’avait jamais été marié. C’était suspect !

    Elle entra enfin dans le restaurant, qui était bondé. Comment repérer Alexandre dans cette foule ? Elle ne l’avait qu’entraperçu en photo. Et le cliché était plutôt flou. Elle s’approcha de l’hôtesse, qui semblait plus préoccupée par la présence de beaux gars au bar que par le travail pour lequel elle était payée.

    — Bonsoir, je viens rejoindre un homme, annonça-t-elle.

    Haussement de sourcils de l’hôtesse. Elle n’en avait rien à faire, assurément.

    — Il mesure environ cinq pieds dix, il a les cheveux noirs et les yeux bleus, mais qui sont sans doute difficiles à remarquer puisqu’il porte des lunettes grises en acier inoxydable, expliqua-t-elle.

    C’était tout ce que Jazze lui avait dit à son sujet. D’ailleurs, pourquoi prenait-elle la peine de faire cette description physique à l’hôtesse ? Comme si ça pouvait vraiment l’aider à retracer l’homme qu’elle cherchait dans la foule… C’était un réflexe pour elle : on aurait dit qu’elle essayait toujours de justifier chacun de ses faits et gestes.

    — C’est une vraie bonne description de moi, que tu as là ! fit une voix grave.

    Surprise, elle se retourna vers la personne qui l’avait interpellée. La description qu’elle venait de donner correspondait effectivement au profil, mais elle ne s’était pas attendue à rencontrer un aussi bel homme. Il semblait amusé de la surprendre ainsi, ce qui la décontenança un moment.

    — On avait dit dix-sept heures quinze, lui rappela-t-il en lui ouvrant le chemin, tout en faisant un signe de tête à l’hôtesse, qui semblait elle aussi le trouver de son goût.

    Viviane eut envie de faire une grimace à la femme, mais elle se retint, préférant justifier son retard convenablement.

    — Je suis désolée ; c’est le risque, le samedi, quand je travaille ! Il y a parfois des clientes qui me retiennent plus tard que prévu, répondit-elle avec un air contrit.

    — En tout cas, moi, je ne m’abaisserais jamais à travailler la fin de semaine. Ça fait tellement… étudiant !

    Viviane se renfrogna. Pour qui se prenait-il, celui-là ? Des tonnes de gens travaillaient la fin de semaine et en soirée. Qu’essayait-il d’insinuer ? Qu’il était trop intelligent et éduqué pour s’abaisser à ça ? Elle inspira profondément et tenta de se convaincre que ce n’était pas du tout ce qu’il avait voulu dire. Elle devait lui laisser une chance. Elle-même n’avait sûrement pas fait bonne impression en arrivant en retard et il était toujours là, devant elle. Elle sourit en s’installant face à lui à la table, et lui dit tout bonnement :

    — Si personne ne travaillait les fins de semaine, l’économie ne roulerait pas autant !

    Il prit le temps de regarder la carte des vins avant de répondre.

    — Tu as raison, approuva-t-il. Et tu sais, avec la conjoncture économique et les profits faramineux engrangés par les mégalopoles…

    Et il continua ainsi jusqu’à ce que la serveuse arrive pour leur proposer un apéritif. Les connaissances de Viviane en politique étaient assez limitées. Elle ne portait d’ailleurs aucun intérêt au sujet, demandant la plupart du temps aux gens de son entourage – et ce, à chaque élection – pour qui elle devait voter. Ce qui la dérangeait le plus, dans la conversation, ce n’était pas le sujet en tant que tel, mais bien le fait qu’elle comprenait à peine un mot sur trois du discours d’Alexandre. Il semblait vraiment enflammé ! Quand ils eurent passé leur commande de boissons, il croisa les bras et la fixa, attendant sans doute qu’elle dise quelque chose d’intelligent à son tour.

    — Hum ! Tu sais, je souffre d’un trouble déficitaire de l’attention, mais sans le H, annonça-t-elle tout bonnement.

    C’était le premier concept un tantinet scientifique qui lui était venu à l’esprit.

    — Ah oui ! dit-il, surpris.

    Il se racla la gorge.

    — C’est pour quoi, le H ?

    — Pour l’hyperactivité. C’est sûr que je suis une fille énergique, mais pas tant que ça…

    Dit ainsi, ça semblait pas mal moins intéressant que tout ce à quoi il avait fait allusion dans les dernières minutes. Elle haussa les épaules, comme pour montrer que sa condition n’était pas si dramatique que ça, et prit une gorgée d’eau.

    — Je pensais que seuls les enfants souffraient de cela. Tu es sûre de ce que tu affirmes ? On ne m’en passe pas une petite vite si facilement, j’ai plusieurs années d’études derrière la cravate et une grosse job, précisa-t-il avec un sourire, ramenant encore la conversation vers ses propres intérêts.

    Elle ne voyait vraiment pas le rapport entre son trouble et les études. Il ne s’intéressait pas à elle, c’était évident. Se sentant un peu excédée, Viviane croisa les bras et s’accota à son dossier, un peu nonchalamment.

    — C’est vrai, tu travailles au gouvernement. J’ai entendu dire que les critères d’embauche étaient nivelés par le bas depuis quelques années.

    Il voulait jouer à ce jeu ? Elle pouvait participer, elle aussi !

    — Tu as raison en ce qui concerne les postes les plus bas. Moi, ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas n’importe qui, tu sais, ajouta-t-il avec un sourire en coin.

    — Ah oui ? Qu’est-ce qui fait que tu es si spécial ? Tu nettoies les chaussures du premier ministre ? Tu promènes son chien ?

    — Ha ! ha ! Bien sûr que non !

    Il ne semblait pas comprendre son sarcasme. Heureusement qu’il était agréable à regarder, car dans le cas contraire, elle aurait déserté la table depuis un moment déjà.

    — C’est moi qui rédige les lois spéciales, annonça-t-il.

    — Les quoi ?

    — Les lois spéciales ! répéta-t-il.

    — Je ne comprends pas…

    — Quand les travailleurs de la fonction publique sont en grève, c’est moi qui écris la loi qui les obligera à retourner au travail. Il faut bien que quelqu’un le fasse, non ? La loi 142, par exemple. C’est de moi, ça ! dit-il en se montrant du doigt fièrement.

    Il la regarda avec un grand sourire et elle remarqua que son incisive droite chevauchait une autre de ses dents. Sa mère lui avait toujours recommandé de se méfier des hommes dont les dents étaient croches. Elle ne lui avait pas dit pourquoi, par contre…

    — Tu veux dire que tu rends la vie des travailleurs misérable en leur imposant des conditions impossibles et dégradantes, c’est ça ? lui demanda-t-elle.

    — C’est un peu exagéré, quand même. Je ne fais que mon travail. Et quand les employés retournent travailler, ça stimule l’économie, ajouta-t-il avec un clin d’œil, sans doute pour faire un lien avec le commentaire qu’elle avait fait plus tôt sur le sujet.

    — J’ai de la difficulté à croire qu’un seul homme soit derrière ce genre de projet. Le gouvernement, c’est un ensemble de gestionnaires, pas une seule personne qui prend des décisions.

    — C’est sûr que lorsqu’on n’est pas dans le milieu, on ne comprend pas vraiment comment ça fonctionne, conclut-il.

    Il se pencha vers son menu et regarda la carte des entrées. Un peu insultée par son commentaire, même si c’était vrai, Viviane fit la même chose, laissant planer un moment de silence.

    — De toute façon, c’est toujours mystérieux, ce que vous faites au gouvernement. À croire que vous ne travaillez pas ! ajouta-t-elle avec un sourire forcé.

    — S’ils me paient près de cent cinquante mille dollars par année pour ne pas travailler, eh bien, je vais continuer comme ça.

    Bon, voilà. C’était dit ! Monsieur faisait un gros salaire et il ne lui avait fallu que vingt minutes pour le mentionner.

    — Et toi, tu gagnes combien par année comme vendeuse ?

    Viviane referma son menu et le déposa. Elle jeta un bref regard autour d’elle, comme si elle était à la recherche des toilettes, et se leva.

    — Excuse-moi, je dois aller prendre mes antidépresseurs. Je reviens tout de suite !

    Elle se leva et quitta rapidement la table sous le regard surpris d’Alexandre. Arrivée près des toilettes, elle se cacha derrière une colonne pour l’observer. La surprise passée, il reprit son air nonchalant et regarda autour de lui, sans doute à la recherche d’une autre personne à qui exposer sa « richesse ». Après quelques secondes, il regarda son cellulaire et elle le vit même prendre un selfie. Pourquoi ? Aucune idée. Il devait être très imbu de lui-même. L’hôtesse s’approcha et Viviane présuma, à la voir gesticuler, qu’elle lui proposait de prendre une photo pour lui. Pathétique ! Elle le vit hocher la tête négativement et il chercha quelque chose dans la poche de son veston. Quelques secondes plus tard, il en sortit un selfie stick. Doublement pathétique ! Il déplia le bâton et y installa son téléphone, question de montrer son savoir-faire exceptionnel à l’hôtesse qui avait l’air en pâmoison devant l’ingéniosité de cette invention. Ils prirent même une photo ensemble. Décidant qu’ils s’amusaient assez bien sans elle et qu’elle ne semblait pas leur manquer, Viviane repéra la sortie et s’esquiva rapidement. Tant pis pour le verre qu’elle avait commandé. Au salaire annuel qu’il gagnait, Alexandre pouvait bien le lui payer. Quelle déception pour un samedi soir ! Jazze entendrait parler d’elle. À quoi avait-il pensé en lui organisant un rendez-vous avec ce gars-là ? Ils étaient diamétralement opposés. Viviane avait horreur des gens qui ne perdaient jamais une occasion de se vanter de leur salaire annuel. Bon, il y avait sans doute une petite part de jalousie mal placée là-dedans, mais quand même. On lui avait appris à se montrer discrète par rapport à l’argent qu’elle gagnait. C’était assez facile puisqu’elle peinait à joindre les deux bouts, mais si elle avait un jour la chance de faire beaucoup d’argent, elle ne s’empresserait pas de déballer les chiffres au premier venu. Parlant d’argent, elle se rappela qu’elle avait un montant en poche pour acheter un cadeau de fête à sa collègue. Elle soupira, mais eut ensuite une idée brillante. Nathalie, la fêtée, adorait lire. Elle traînait toujours un livre dans son sac à main et lisait sur l’heure du dîner au travail, s’assoyant même parfois à l’écart de ses collègues pour dévorer son roman. Contrairement à elle, Viviane détestait la lecture. Le seul roman qu’elle se rappelait avoir lu au complet pendant son parcours scolaire était Agaguk. Pas le genre de livre susceptible d’accrocher une adolescente… Peut-être Nathalie ne l’avait-elle jamais lu ? Elle pourrait le lui offrir, ce serait une bonne blague ! Riant déjà de sa surprise, et oubliant un peu du même coup Alexandre et son salaire aussi gros que son ego, la jeune femme se résolut à aller acheter immédiatement le présent. Elle dirait aux autres que Jazze s’en était occupé, ce serait sa petite vengeance personnelle pour le rendez-vous avorté. Toute contente, elle se dirigea à grands pas vers sa voiture. Ça tombait bien, il y avait une librairie toute proche qui était encore ouverte. À croire que les lecteurs devaient avoir accès aux livres à toute heure du jour ou de la nuit !

    Quelques minutes plus tard, elle entra dans l’endroit brillamment éclairé. Plusieurs employés s’y affairaient et des clients feuilletaient des livres dans les rayons. On aurait dit qu’il s’agissait de la nouvelle activité populaire du samedi soir ! Ça ou le cinéma… Viviane s’avança prudemment, comme si elle posait le pied sur un terrain miné, regardant béatement autour d’elle. C’était la première fois qu’elle venait dans ce magasin et elle fut aussitôt ravie de ce qu’elle voyait. Il n’y avait pas que des livres, mais aussi du matériel divers, des films et même des instruments de musique. Appréciant son premier contact avec l’endroit, elle prit quelques minutes pour visiter les lieux. Novembre était bien entamé et les décorations de Noël se trouvaient déjà sur les tablettes. Elle en admira quelques-unes, puis se dirigea vers la section des films. Ensuite, elle alla voir le matériel scolaire. Même si elle n’aimait pas beaucoup l’école, elle avait toujours adoré ce genre de fournitures. Elle manipula quelques plumes colorées et trouva même un agenda vraiment mignon décoré de chatons. En plein son genre ! Dommage qu’elle n’ait pas besoin d’agenda au travail. Finalement, décidant qu’elle avait déjà passé trop de temps, pour un samedi soir, dans cet endroit, elle se dirigea vers une employée qui était juchée sur

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