La Décennie Rouge : Chronique d'une Algérie en flammes
Par Benak
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À propos de ce livre électronique
La Décennie Rouge : Chronique d'une Algérie en flammes
Découvrez La Décennie Rouge : Chronique d'une Algérie en flammes, un roman historique poignant qui plonge au cœur de la décennie noire algérienne (1988-1999). Suivez Nadir Hamidi, un jeune journaliste idéaliste, et sa famille à travers les émeutes d'octobre 1988, l'ascension du Front Islamique du Salut (FIS), les massacres de Bentalha et Raïs, les disparitions forcées et l'exil forcé. Ce récit captivant mêle amour, trahison et résilience, inspiré des événements réels de la décennie noire algérienne, avec des personnages comme Leïla Benmansour, une médecin courageuse, et Karim Ziani, un ami radicalisé.
Écrit par BENAK, ce livre explore les thèmes de la corruption du parti unique, la montée de l'islamisme radical, la brutalité policière et la quête de vérité dans un pays déchiré. Idéal pour les amateurs de romans historiques sur l'Algérie, la décennie noire, ou les conflits du XXe siècle, ce roman offre une réflexion profonde sur l'identité berbère, les droits des femmes et la réconciliation nationale post Concorde civile.
Ce roman historique algérien vous tiendra en haleine. Plongez dans l'histoire contemporaine de l'Algérie, marquée par la violence du GIA, les attentats et l'espoir d'une aube nouvelle. Parfait pour les lecteurs intéressés par la littérature maghrébine, la guerre et les récits d'exil.
Benak
Écrivain, poète et chroniqueur, Benak est surtout un grand rêveur qui croit en la magie des mots et en leur splendeur. Porteur d’un projet d’écriture tant ambitieux que prometteur, il met sa plume au service de l’humanité pour instruire et plaire. C’est au sang de son esprit et à l’encre de son cœur qu’il nous tisse des écrits de lumière. De la fiction à la non-fiction en passant par le roman, le récit, le conte pour enfant et la poésie, il traduit son imaginaire en nous proposant une écriture de belle facture, un agréable moment de littérature. S’escrimant toujours avec les mots pour le plaisir du dire et de l’écrire, il mène une vie simple, mais pas tout à fait tranquille. En citoyen du Monde très sensible, certains événements déteignent sur sa vie en y laissant des empreintes indélébiles. Philosophe, écrivain et poète engagé, il porte en lui les stigmates de l’injustice et de l’iniquité.
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Aperçu du livre
La Décennie Rouge - Benak
La Décennie Rouge
Chronique d’une Algérie en flammes
Benak
© Benak, 2023
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays. L’auteur est seul propriétaire des droits de ce livre.
Note de l’auteur
––––––––
Ce roman s’inspire de faits réels qui ont marqué les mémoires. Toutefois, il demeure avant tout une œuvre de fiction.
Les noms, prénoms, lieux et personnages qui y figurent sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou ont été volontairement modifiés.
Toute ressemblance ou identification avec des personnes réelles, vivantes ou disparues, ou avec des événements précis, serait une coïncidence fortuite et ne reflète en aucun cas l’intention de l’auteur.
Il ne s’agit pas d’un témoignage ni d’un document historique, mais bien d’une création littéraire où l’invention se mêle à des fragments de réalité pour servir le récit et l’émotion.
Conformément aux usages littéraires et juridiques, ce texte ne doit pas être interprété comme une reproduction fidèle de faits réels, mais uniquement comme une œuvre artistique et romanesque.
1.
––––––––
Ce matin-là, le ciel d'Alger s'était levé comme un linceul blême sur la ville. Nadir Hamidi l'observait depuis la fenêtre de sa chambre, dans ce petit appartement familial du quartier de Bab El Oued où les bruits de la rue montaient comme une rumeur incessante. Vingt-trois ans, le corps nerveux, le regard déjà marqué par cette inquiétude propre aux êtres trop lucides, il ajustait sa chemise devant le miroir écaillé. Son premier reportage pour LEPAYS. Une simple couverture des manifestations estudiantines prévues ce jour-là, rien d'extraordinaire selon son rédacteur en chef. Néanmoins pour lui, c'était l'entrée dans le monde qu'il convoitait depuis toujours : celui des témoins, des passeurs de vérité.
— Tu vas encore traîner avec tes amis révolutionnaires ? lança Malika en passant la tête par l'entrebâillement de la porte.
Sa sœur, de deux ans son aînée, enseignait les mathématiques au lycée. Elle portait déjà son tailleur strict, ses cheveux noirs rassemblés en un chignon sévère qui contrastait avec la douceur de son visage.
— Ce n'est pas traîner, c'est travailler, répondit Nadir en glissant son carnet dans la poche de sa veste. Et ce ne sont pas mes amis.
— Fais attention à toi. Les choses sont tendues en ce moment.
Il acquiesça distraitement. Malika s'inquiétait toujours trop. Certes, l'atmosphère était électrique depuis des semaines. La chute des prix du pétrole avait plongé le pays dans une crise économique sans précédent. Les produits de première nécessité manquaient ; les files d'attente s'allongeaient devant les magasins d'État ; la colère grondait dans les quartiers populaires. Mais de là à imaginer que de simples manifestations d'étudiants pourraient dégénérer...
— Je passerai voir maman à l'hôpital ce soir, dit-il pour changer de sujet.
Leur mère se remettait d'une opération de la vésicule. Rien de grave, mais à cinquante-trois ans, Aïcha Hamidi semblait avoir vieilli d'un coup, comme si le poids des années de lutte pour élever seule ses deux enfants après la mort de leur père s'était soudain abattu sur elle.
— Elle sera contente. Apporte-lui des oranges si tu en trouves.
Nadir sourit. Trouver des oranges en ce moment relevait presque du miracle, mais il promit d'essayer.
Dans la cuisine, l'odeur du café et du pain grillé flottait encore. Il avala rapidement son petit-déjeuner, embrassa sa sœur sur la joue et dévala les escaliers de l'immeuble. Dans la rue, le soleil d'octobre, étonnamment chaud pour la saison, faisait luire les façades décrépites des immeubles coloniaux. Bab El Oued s'éveillait dans sa cacophonie habituelle : klaxons nerveux, cris des marchands ambulants, rires d'enfants en route vers l'école.
Pourtant, quelque chose différait ce matin-là. Une tension palpable, comme l'électricité qui précède l'orage. Les visages semblaient plus fermés, les regards plus fuyants. Devant l'épicerie de Si Mokhtar, un attroupement s'était formé. Des femmes s'agitaient, des voix s'élevaient.
— Plus de semoule ! Plus de lait ! Comment on nourrit nos enfants ?
Nadir s'approcha, sortit discrètement son carnet. Un vieil homme au visage buriné par le soleil et les années le reconnut et lui fit signe d'approcher.
— Tu vois, mon fils ! C'est ça, l'Algérie indépendante qu'on nous avait promise ? Vingt-six ans après, on fait encore la queue pour manger !
Le jeune journaliste nota scrupuleusement. Ces petites scènes du quotidien, ces mots arrachés à la colère ordinaire, c'était la matière première de ce qu'il voulait raconter. Pas les discours officiels, pas les statistiques truquées du ministère, mais la vérité crue des rues, la vie réelle de ce peuple qu'on avait tant de fois trahi.
— Ils ont tous des villas à El Biar, les responsables ! cracha une femme enveloppée dans un haïk blanc. Leurs enfants étudient en France pendant que les nôtres s'entassent dans des classes de soixante !
Nadir acquiesça silencieusement. La corruption du régime n'était un secret pour personne. Le parti unique, le FLN, gangrenait le pays depuis l'indépendance. Chadli Bendjedid, au pouvoir depuis dix ans, n'avait fait qu'accentuer le népotisme et le clientélisme. Son beau-frère, préfet d'Alger, était connu pour ses exactions et ses détournements de fonds.
Le jeune homme s'éloigna, remontant la rue qui menait vers le centre-ville. Il devait rejoindre la place du 1er Mai, où les étudiants avaient prévu de se rassembler. En chemin, il croisa Karim Ziani, son ami d'enfance, qui sortait de la mosquée.
— Salam, frère ! lança Karim en l'apercevant.
Ils s'embrassèrent sur les joues, trois fois, comme le voulait la coutume. Karim avait changé ces derniers temps. Sa barbe, plus fournie, soigneusement taillée, son qamis blanc immaculé, ce regard plus intense, presque fiévreux. Étudiant en droit, il s'était rapproché des cercles religieux de l'université.
— Tu vas couvrir la manifestation ? demanda-t-il en désignant le carnet que Nadir tenait à la main.
— Oui, mon premier reportage officiel.
— Fais attention à ce que tu écris. Le peuple a besoin de vérité, pas de propagande.
Nadir fronça les sourcils. Ce ton sentencieux, cette façon de parler du « peuple » comme d'une entité abstraite dont Karim serait le porte-parole, l'agaçait de plus en plus.
— Je n'ai pas besoin de tes conseils pour faire mon travail, répliqua-t-il plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
Karim sourit, nullement offensé.
— Tu verras, mon frère. Les choses vont changer. Ce régime corrompu ne tiendra plus longtemps. Le peuple se réveille, et avec lui, la foi.
— La foi n'a rien à voir là-dedans, Karim. Les gens veulent juste manger à leur faim et vivre dignement.
— Et tu crois que c'est possible sans revenir aux vraies valeurs ? Sans purifier la société de tout ce qui l'a corrompue ?
Nadir soupira. Ces discussions devenaient stériles. Karim et lui s'éloignaient inexorablement, comme si leurs chemins, parallèles depuis l'enfance, commençaient à diverger sous l'effet de forces invisibles, mais puissantes.
— Je dois y aller, dit-il en consultant sa montre. On se voit plus tard ?
— Inch'Allah, répondit Karim avec ce même sourire énigmatique.
La place du 1er Mai grouillait déjà de monde lorsque Nadir y parvint. Des centaines d'étudiants s'y étaient rassemblés, brandissant des pancartes aux slogans sans équivoque : « FLN dégage », « Du pain et la liberté », « Non à la corruption ». L'atmosphère était électrique, mais pas encore menaçante. Les jeunes scandaient leurs slogans avec cette ferveur propre à leur âge, cette conviction que le monde peut changer sous la seule pression de leur volonté collective.
Nadir reconnut plusieurs visages familiers : des camarades de l'université, quelques militants des droits de l'homme qu'il avait interviewés pour le journal étudiant. Il sortit son appareil photo et commença à prendre des clichés. Son rédacteur en chef lui avait bien précisé qu'il voulait des images « parlantes », qui captureraient l'esprit de cette journée.
Soudain, un mouvement de foule attira son attention. Un groupe de jeunes hommes qu'il n'avait jamais vus auparavant venait de rejoindre la manifestation. Ils ne portaient pas de pancartes, n'arboraient aucun signe distinctif, mais quelque chose dans leur attitude, dans leur façon de se déplacer en bloc, éveilla sa méfiance. L'un d'eux, grand et massif, semblait donner des instructions aux autres.
Nadir s'approcha discrètement, tentant de saisir leurs paroles. Ils parlaient à voix basse, mais il perçut distinctement : « Quand ça commence, on se dirige vers les banques. »
Un frisson parcourut son échine. Ces hommes n'étaient pas des manifestants ordinaires. Étaient-ils des provocateurs ? Des agents infiltrés ? Ou simplement des opportunistes prêts à profiter du chaos ?
Il n'eut pas le temps de s'interroger davantage. Un bruit assourdissant retentit à l'autre bout de la place. Des cris s'élevèrent. La foule ondula comme un seul corps, d'abord figée par la surprise, puis agitée par la panique. Nadir se hissa sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passait. À travers la masse des corps en mouvement, il aperçut les uniformes bleus de la police qui chargeaient.
Tout s'accéléra alors. Les premiers gaz lacrymogènes explosèrent au milieu de la foule. L'air se chargea d'une brûlure âcre qui prit Nadir à la gorge. Autour de lui, les étudiants se dispersaient en tous sens, certains courant à l'aveugle, d'autres tentant de résister, ramassant les grenades fumigènes pour les renvoyer vers les policiers.
Le groupe suspect qu'il observait s'était mis en mouvement. Comme prévu, ils se dirigeaient non pas vers les issues de la place, mais vers l'avenue où se trouvaient plusieurs banques et bâtiments officiels. Nadir hésita un instant, puis décida de les suivre. Son instinct de journaliste lui soufflait que quelque chose d'important se jouait là.
Il progressait difficilement à travers la foule paniquée, les yeux brûlants, le mouchoir plaqué sur le nez pour se protéger des gaz. Devant lui, le groupe avait atteint la première banque. Avec une efficacité qui trahissait une préparation minutieuse, ils brisèrent les vitrines et commencèrent à saccager l'intérieur. D'autres se joignirent à eux, non plus par calcul, mais emportés par la rage collective qui semblait soudain s'être emparée de la manifestation.
Nadir photographiait frénétiquement, conscient qu'il assistait à un moment historique. La violence se propageait comme une traînée de poudre. D'autres bâtiments étaient pris d'assaut, des voitures renversées, des feux allumés au milieu des rues. Ce qui avait commencé comme une manifestation pacifique se transformait en émeute sous ses yeux.
Un cri déchirant le fit se retourner. À quelques mètres de lui, un jeune homme s'effondrait, le visage ensanglanté. Un policier venait de le frapper violemment à la tête avec sa matraque. Sans réfléchir, Nadir se précipita vers le blessé. Il s'agenouilla à ses côtés, tentant d'évaluer la gravité de sa blessure. Une entaille profonde barrait son front, laissant échapper un flot de sang qui maculait déjà le pavé.
— Il faut l'emmener à l'hôpital, dit une voix féminine à côté de lui.
Nadir leva les yeux. Une jeune femme d'une vingtaine d'années, les cheveux bruns coupés court, le regard d'une intensité troublante, s'était agenouillée de l'autre côté du blessé. Ses mains, fines et assurées, pressaient déjà un foulard contre la plaie pour arrêter l'hémorragie.
— Vous êtes médecin ? demanda-t-il, surpris par son sang-froid.
— Interne en dernière année. Je m'appelle Leïla. Leïla Benmansour.
— Nadir Hamidi. Journaliste.
Elle eut un sourire fugace, presque ironique.
— Eh bien, journaliste, aidez-moi à le porter au lieu de prendre des photos. L'hôpital Mustapha n'est pas loin.
Ensemble, ils soulevèrent le jeune homme qui gémissait faiblement. La foule s'écartait sur leur passage, certains proposant leur aide, d'autres trop absorbés par la fureur collective pour remarquer ce petit drame individuel. Les affrontements s'intensifiaient. Des tirs retentissaient maintenant, probablement des balles en caoutchouc ou des grenades assourdissantes, mais le bruit seul suffisait à accroître la panique.
Ils progressaient lentement, zigzaguant entre les manifestants en fuite et les policiers qui chargeaient. Leïla guidait leur marche avec une assurance étonnante, comme si le chaos ambiant n'avait aucune prise sur elle. Nadir, tout en soutenant le blessé, ne pouvait s'empêcher de l'observer. Il y avait quelque chose de magnétique dans sa présence, une force tranquille qui contrastait violemment avec la frénésie destructrice qui s'était emparée de la ville.
— Vous faisiez partie de la manifestation ? demanda-t-il pour rompre le silence tendu qui s'était installé entre eux.
— Non. J'étais de garde à l'hôpital, mais quand j'ai entendu les premières explosions, je suis sortie voir si je pouvais aider.
— C'est courageux.
— C'est mon métier, corrigea-t-elle. Et vous ? Vous êtes là pour témoigner ou pour participer ?
La question le prit au dépourvu. Où se situait la frontière entre l'observation et la participation ? En aidant ce blessé, n'avait-il pas déjà franchi la ligne invisible qui séparait le journaliste de son sujet ?
— Les deux, je suppose, répondit-il honnêtement. Je veux raconter ce qui se passe, mais je ne peux pas rester indifférent.
Elle hocha la tête, comme si cette réponse la satisfaisait.
Ils atteignirent enfin l'hôpital Mustapha Pacha, vaste complexe colonial aux murs jaunis par le temps. L'entrée des urgences était déjà envahie de blessés. Des brancardiers couraient en tous sens, des médecins criaient des ordres, des familles éplorées cherchaient leurs proches. L'odeur âcre du désinfectant se mêlait à celle, métallique, du sang.
Leïla prit immédiatement les choses en main. Elle interpella un infirmier, lui confia le blessé avec des instructions précises, puis se tourna vers Nadir.
— Vous devriez faire soigner ça, dit-elle en désignant son arcade sourcilière.
Il porta la main à son visage, surpris, et la retira tachée de sang. Dans la confusion, il n'avait même pas senti la blessure.
— Ce n'est rien, juste une égratignure.
— Toutes les blessures à la tête doivent être désinfectées, insista-t-elle. Suivez-moi.
Il obéit, à la fois amusé et touché par son autorité naturelle. Elle le conduisit dans une petite salle d'examen, lui fit signe de s'asseoir sur la table, puis commença à nettoyer sa plaie avec des gestes précis et délicats. Son visage, si près du sien, dégageait un parfum léger, presque imperceptible sous l'odeur d'antiseptique qui imprégnait les lieux.
— Vous êtes nouveau à LEPAYS ? demanda-t-elle tout en travaillant. Je ne me souviens pas d'avoir vu votre nom.
— C'est mon premier reportage officiel. Avant, je n'écrivais que pour le journal de l'université.
— Et vous tombez sur une émeute. Quelle chance.
L'ironie de sa remarque le fit sourire, puis grimacer lorsque l'alcool toucha sa plaie.
— Désolée, dit-elle sans paraître vraiment désolée. Vous pensez que ça va dégénérer davantage ?
— J'en ai peur. Ce n'était pas spontané, ce que nous avons vu. Certains groupes semblaient organisés, prêts à l'action. Et la réponse de la police a été disproportionnée.
Elle termina de panser sa blessure, puis recula d'un pas pour évaluer son travail.
— Voilà. Vous ne garderez pas de cicatrice, votre visage de jeune premier est sauf.
Il rougit légèrement, pris au dépourvu par cette pointe de flirt inattendue.
— Merci, docteur.
— Pas encore docteur. Mais bientôt, si Dieu le veut.
Un bruit assourdissant les fit sursauter. Quelque chose venait d'exploser à proximité de l'hôpital. Les vitres de la petite salle tremblèrent. Des cris retentirent dans le couloir.
— Je dois y retourner, dit Leïla, soudain grave. Ils vont avoir besoin de tous les bras disponibles.
— Et moi, je dois témoigner, répondit Nadir en se levant.
Leurs regards se croisèrent une dernière fois, chargés d'une intensité nouvelle, comme si cette journée, ce moment précis, avait créé entre eux un lien que rien ne pourrait défaire.
— Faites attention à vous, journaliste, dit-elle doucement.
— Vous aussi, docteur.
Il la regarda s'éloigner dans le couloir, sa silhouette mince se fondant rapidement dans le chaos des urgences. Puis il resserra la bandoulière de son sac, vérifia que son appareil photo était toujours intact, et se dirigea vers la sortie. Dehors, Alger brûlait.
Le ciel s'était assombri, comme si la fumée des incendies avait obscurci le soleil lui-même. Des sirènes hurlaient de toutes parts. Dans les rues adjacentes à l'hôpital, des groupes de jeunes couraient, poursuivis par des policiers. D'autres, le visage dissimulé derrière des foulards, érigeaient des barricades de fortune avec des poubelles renversées, des branches arrachées, tout ce qui pouvait servir d'obstacle.
Nadir s'avança prudemment, longeant les murs pour éviter d'attirer l'attention. Son instinct lui disait de retourner vers le centre-ville, là où l'action était la plus intense. En tant que journaliste, son devoir était d'être au cœur des événements, de capturer l'histoire en train de s'écrire.
Il progressait dans les ruelles étroites du vieil Alger, évitant les grands axes où les affrontements faisaient rage. La ville qu'il connaissait depuis toujours lui semblait soudain étrangère, transformée par la violence en un territoire hostile et imprévisible. Des vitrines brisées, des voitures calcinées, des traces de sang sur le pavé, partout les signes d'une colère trop longtemps contenue qui explosait enfin.
Au détour d'une rue, il tomba sur une scène qui le glaça. Un groupe de policiers avait acculé plusieurs jeunes manifestants contre un mur. L'un des policiers, le visage déformé par la rage, frappait méthodiquement un adolescent qui ne devait pas avoir plus de 17 ans. Les autres regardaient, impassibles.
Sans réfléchir, Nadir leva son appareil photo et commença à mitrailler la scène. Le bruit du déclencheur attira l'attention des policiers. L'un d'eux se retourna, l'aperçut, et cria quelque chose à ses collègues. Deux d'entre eux se détachèrent immédiatement du groupe et se dirigèrent vers lui.
Nadir n'attendit pas. Il fit volte-face et s'élança dans la direction opposée, le cœur battant à tout rompre. Derrière lui, il entendait les pas lourds de ses poursuivants, leurs cris, leurs menaces. Il connaissait les récits de journalistes passés à tabac, d'appareils photo confisqués ou détruits. Il ne pouvait pas se permettre de perdre ces images, ces preuves de la brutalité policière.
Il tourna brusquement dans une ruelle si étroite qu'elle ressemblait plus à une fissure entre deux immeubles. Les murs suintaient d'humidité, l'air était chargé d'une odeur de pourriture et d'urine. Il continua à courir, ignorant les protestations de ses poumons, jusqu'à ce qu'il émerge dans une petite place qu'il reconnut avec soulagement. Il était à deux pas de la Casbah, le vieux quartier d'Alger aux ruelles labyrinthiques où il avait passé une partie de son enfance. Ici, il pourrait facilement semer ses poursuivants.
Il s'enfonça dans le dédale de la Casbah, prenant des tournants au hasard, montant et descendant des escaliers usés par les siècles. Les bruits de la ville en révolte lui parvenaient comme étouffés, lointains. Dans ce quartier ancestral, le temps semblait suspendu, comme si les pierres elles-mêmes refusaient de prendre part à la folie qui s'était emparée d'Alger.
Après s'être assuré qu'il n'était plus suivi, Nadir ralentit enfin sa course. Son cœur battait encore la chamade, sa chemise collait à son dos trempé de sueur. Il s'adossa à un mur pour reprendre son souffle et vérifia que son appareil photo était intact. Les images qu'il avait capturées constituaient un témoignage précieux, la preuve d'une violence d'État que les médias officiels nieraient certainement. Il se promit de les faire parvenir à son rédacteur en chef dès que possible.
Le soleil déclinait déjà, teintant les murs blanchis à la chaux d'une lueur orangée. Nadir consulta sa montre : dix-sept heures. La journée avait filé comme un songe fiévreux. Il devait rentrer, rassurer Malika, puis se rendre à l'hôpital pour voir sa mère. Mais avant cela, il voulait encore prendre le pouls de la ville, comprendre l'ampleur de ce qui se jouait.
Il quitta la Casbah et se dirigea vers la Grande Poste, cœur névralgique d'Alger. À mesure qu'il s'en approchait, le tumulte s'intensifiait. Des colonnes de fumée noire s'élevaient au-dessus des toits, et le crépitement des grenades lacrymogènes ponctuait le vacarme des cris et des sirènes.
Au coin d'une rue, il aperçut une silhouette familière qui se détachait de la foule : Karim. Son ami se tenait légèrement en retrait, observant les affrontements avec une expression indéchiffrable. Il n'était plus seul. Autour de lui s'était formé un petit groupe d'hommes barbus, vêtus comme lui de qamis blancs, qui semblaient échanger des informations à voix basse.
Nadir hésita. Quelque chose dans l'attitude de Karim le mettait mal à l'aise. Ce n'était pas la posture d'un simple spectateur, ni même celle d'un manifestant ordinaire. Il y avait dans sa façon de se tenir, dans les regards qu'il échangeait avec ses compagnons, quelque chose de calculé, presque stratégique.
Avant qu'il n'ait pu décider s'il devait l'approcher ou non, un mouvement soudain attira son attention. Un camion militaire venait de déboucher à l'autre bout de la rue, suivi de plusieurs véhicules blindés. Des soldats en armes sautèrent à terre, fusils d'assaut en main.
L'armée. Ils avaient fait appel à l'armée.
Un frisson glacé parcourut l'échine de Nadir. Si la police était redoutable, l'armée était d'une autre nature. Ces hommes n'étaient pas formés au maintien de l'ordre, mais à la guerre. Ils ne portaient pas des matraques mais des armes de combat.
Une voix amplifiée par un mégaphone résonna dans la rue :
— Couvre-feu immédiat ! Tous les citoyens doivent rentrer chez eux ! Toute personne trouvée dans les rues après dix-huit heures sera considérée comme hostile et traitée en conséquence !
La foule hésita un instant, comme figée par la stupeur, puis commença à se disperser. Certains couraient, d'autres marchaient avec une lenteur délibérée, comme pour signifier qu'ils partaient de leur plein gré et non sous la menace.
Nadir chercha Karim des yeux, mais son ami avait disparu, ainsi que le groupe qui l'entourait. Étrange, cette façon de s'évanouir au moment précis où l'armée apparaissait.
Il décida de ne pas s'attarder. L'état de siège venait manifestement d'être décrété, et il ne tenait pas à tester la patience des militaires. Il prit le chemin de Bab El Oued, pressant le pas sans courir pour ne pas attirer l'attention.
Les rues se vidaient à vue d'œil. Une atmosphère surréaliste s'installait : Alger, habituellement si vivante à cette heure, se transformait en ville fantôme. Seul le hurlement lointain des sirènes et le vrombissement des hélicoptères qui survolaient maintenant la capitale rappelaient que la cité n'était pas morte, mais sous le joug d'une force implacable.
Nadir atteignit enfin son immeuble. Dans le hall, plusieurs voisins s'étaient rassemblés, échangeant des nouvelles à voix basse, comme si les murs eux-mêmes pouvaient les dénoncer.
— Nadir ! s'exclama Si Mokhtar en l'apercevant. Dieu soit loué, tu es sain et sauf ! Ta sœur était morte d'inquiétude.
— Je vais bien, répondit-il en serrant la main du vieil homme. Mais la situation est grave. L'armée est dans les rues.
— On sait, dit une voix féminine derrière lui.
Il se retourna. Malika se tenait là, le visage pâle mais composé. Elle s'avança et l'étreignit brièvement, puis recula pour l'examiner.
— Tu es blessé, constata-t-elle en effleurant du doigt le pansement sur son arcade.
— Ce n'est rien. Une égratignure.
— Montons. Il faut que je te parle.
Son ton grave l'alarma. Il la suivit dans l'escalier jusqu'à leur appartement. Dès qu'ils furent à l'intérieur, elle verrouilla soigneusement la porte et se tourna vers lui.
— J'ai reçu un appel de l'hôpital. Maman a été transférée en soins intensifs.
Nadir sentit son cœur se serrer.
— Quoi ? Mais pourquoi ? Son opération s'était
