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Mises en scène
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Livre électronique392 pages4 heures

Mises en scène

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À propos de ce livre électronique

Un nouveau polar addictif signé Guillaume Morrissette

Des patrouilleurs répondent à une plainte contre un voisin bruyant. À leur arrivée sur les lieux, une scène à glacer le sang : un homme menotté, mort asphyxié par un sac de plastique, vêtu de sous-vêtements féminins. Accident sexuel malheureux ? Meurtre ?
Deux jours plus tard, dans un jeu d’évasion tenu en pleine nature avec des zombies déchaînés, un participant disparaît. S’est-il perdu dans la forêt ? A-t-il été kidnappé ?
Y a-t-il un lien entre ces deux événements singuliers… et ces gens filmés à leur insu, dont les images ont commencé à circuler ?
Un autre beau mandat pour le lieutenant-détective Jean-Sébastien Héroux et les sergents Jérôme Landry et Brigitte Soucy.
LangueFrançais
ÉditeurGuy Saint-Jean Editeur
Date de sortie17 sept. 2025
ISBN9782898761737
Mises en scène
Auteur

Guillaume Morrissette

Polymathe et membre actif de MENSA Canada, Guillaume Morrissette habite à Trois-Rivières et enseigne à l’UQTR. Après cinq enquêtes de l’inspecteur Héroux (L’affaire Mélodie Cormier, Terreur domestique, Des fleurs pour ta première fois, Deux coups de pied de trop et Le tribunal de la rue Quirion), Guillaume Morrissette nous offre le premier texte 100% québécois de la collection Psycho Thriller.

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    Aperçu du livre

    Mises en scène - Guillaume Morrissette

    Partie I

    1. Une scène singulière I

    Jeudi 30 mai 2024

    C’était une nuit de printemps où la pluie tombait faiblement, mais en continu. Les patrouilleurs de la police municipale de Trois-Rivières venaient de traverser l’heure de fermeture des bars du centre-ville ; la température avait découragé une partie des joyeux festifs de déambuler dehors avant de rentrer chez eux. Bilan : une intervention pour un homme intoxiqué qui hurlait, trempé, au milieu de la rue, et une arrestation pour alcool au volant. À près de 4 heures du matin, le reste du quart de travail s’annonçait tranquille. L’agent Belleville se rendit au service à l’auto du Tim Hortons du boulevard des Récollets et demanda deux grands cafés. La radio grésilla et on entendit la voix du répartiteur.

    — Besoin d’une équipe au 4428, Jean-XXIII, appartement 6. Plainte pour du bruit. Le voisin sur l’étage pense qu’il y a peut-être une bagarre à côté de chez lui.

    La policière Moreau confirma qu’elle avait reçu l’appel et Belleville s’excusa dans le micro extérieur du commerce en disant qu’il devait annuler sa commande. Il bifurqua à gauche dans le stationnement pour ressortir un peu plus loin sur le boulevard, direction nord. Moreau entra l’adresse dans l’ordinateur et une distance de moins de cinq cents mètres s’afficha à l’écran.

    — C’est juste à côté, releva Belleville.

    — On est en route, informa Moreau à la radio. On sera là dans trente secondes.

    Les policiers gagnèrent le boulevard Jean-XXIII et pénétrèrent dans le parking du premier immeuble sur leur gauche. Il s’agissait d’un complexe résidentiel de dix-huit logements à l’apparence identique, sur trois niveaux. La première porte affichait le 4428 ; les agents entrèrent et empruntèrent l’escalier. Ils furent accueillis à l’étage supérieur par un homme qui se tenait debout, devant la porte ouverte de l’appartement numéro 5, comme s’il attendait avec impatience qu’on vienne répondre à ses questions.

    — C’est vous qui avez téléphoné ? demanda Moreau.

    — Oui, c’est moi. C’est plus pareil ! Là, c’est calme, mais tantôt, ça avait pas de bon sens !

    Belleville étudia rapidement le citoyen à l’origine de l’appel. Soixantaine, cheveux gris épars, t-shirt plutôt crotté.

    — Qui habite en face ? s’informa-t-il.

    — Un gars, quarante… quarante-cinq ans. Ben normal.

    — Vous savez son nom ?

    — Euh… je me souviens plus.

    — Qu’est-ce que vous entendiez ?

    — Des coups. On aurait dit que quelqu’un mangeait une volée.

    — Vous avez cogné ?

    — Non…

    L’agente Moreau frappa avec ses jointures sur la porte – sans réponse.

    — Il y a quelqu’un ? Police ! Est-ce que tout va bien ?

    — Vous avez le droit d’entrer là pour aller voir, hein ? voulut savoir le voisin.

    — Est-ce que vous avez entendu quelqu’un demander de l’aide ? questionna encore Belleville.

    — Non… seulement des chocs, à répétition. Et des respirations, aussi.

    Les agents considérèrent la possibilité de forcer la porte pour porter assistance aux occupants de l’appartement, mais le voisin les devança en disant :

    — J’ai la clé, si vous voulez.

    — De l’appartement 6 ? s’étonna Moreau.

    — Oui, juste un instant.

    L’homme s’engouffra chez lui et ressortit presque aussitôt avec une clé, qu’il présenta à Belleville.

    — Lui aussi a la mienne. C’est pratique si on oublie la nôtre.

    Sans attendre, Belleville s’annonça à voix haute et fit tourner le loquet de la porte de l’appartement 6.


    Jean-Sébastien Héroux, lieutenant-détective pour la police municipale de Trois-Rivières, occupait cette nuit le rôle de superviseur de garde – c’est-à-dire que si la présence d’un enquêteur était requise, c’est lui qui était responsable de répondre aux demandes et de diriger les troupes.

    Son téléphone avait sonné à 4 h 15, presque deux heures avant son alarme matinale. Il avait reçu quelques informations et s’était pressé hors du lit ; il semblerait qu’un homme avait été retrouvé sans vie dans un appartement et que la mort n’était pas naturelle. Au fur et à mesure qu’il demandait des détails, il devint clair que la situation exigerait la présence de son équipe.

    Il passa donc deux coups de fil.

    Les sergents Jérôme Landry et Brigitte Soucy arrivèrent presque en même temps que lui à l’immeuble du boulevard Jean-XXIII.

    — C’est quel appart ? demanda Brigitte.

    — Celui-là, pointa Héroux en marchant vers le 4428. Jérôme sourcilla.

    — Pourquoi demander trois enquêteurs ?

    — Il y a un mort. Paraît que c’est particulier.

    — J’avais rien d’autre à faire, de toute façon.

    S’il y avait un enquêteur dans toute l’équipe de la police municipale de Trois-Rivières qui pouvait se lever en plein milieu de la nuit comme si c’était tout à fait normal, c’était bien Landry. Il préparait le jour de sa retraite depuis son initiation à l’École de police en accumulant les heures supplémentaires, il avait renoncé à maintes relations quand elles le confinaient à un horaire trop stable et il se plaisait à imaginer que l’amour véritable se révélerait à lui dès qu’il remettrait son arme et son badge.

    Pour l’instant, il suivait son lieutenant comme s’il en était à son premier jour en uniforme.

    Héroux grimpa l’escalier central le premier. À sa gauche, au deuxième étage, un bonhomme en t-shirt observait avec attention ce qui se passait dans le logement en face du sien. Quand il vit l’enquêteur, il s’empressa de demander :

    — Est-ce qu’il est mort ?

    — Aucune idée, mentit Héroux.

    — C’est moi qui ai appelé la police.

    Depuis le tout début de sa carrière, Héroux prenait le temps de bien positionner les gens dans son travail. Témoins, suspects, collègues, techniciens, curieux… tous avaient leur place sur l’échiquier.

    — Merci, monsieur. Votre nom ?

    — Louis Dubord.

    — Je suis le lieutenant-détective Jean-Sébastien Héroux, de la police de Trois-Rivières. Je vais vous demander de demeurer disponible pour répondre à quelques questions, c’est possible ?

    — Oui, oui, ben sûr.

    — Très bien. Je vous laisse.

    Héroux tourna les talons et poussa la porte entrouverte de l’appartement 6. C’est Brigitte qui entra la dernière, pendant que Dubord s’étirait le cou pour tenter de voir ce qui se déroulait.

    — Wo ! lâcha Soucy à voix haute en voyant le tableau.


    La scène était pour le moins singulière. Un homme gisait, face contre le sol, de façon perpendiculaire à l’entrée. Ses pieds arrivaient au pied de la porte de la salle de bain – qui était fermée à l’arrivée des agents, mais maintenant entrebâillée. Il portait des souliers à talons hauts noirs, des bas de nylon de la même couleur auxquels était attaché un porte-jarretelles, une petite culotte et un soutien-gorge foncé. Sa tête était recouverte d’un sac en plastique fixé par un élastique autour du cou. Et, surtout, ses mains étaient retenues derrière son dos par une paire de menottes.

    — Il est mort, constata l’agente Moreau. J’ai pris son pouls à deux reprises. Le corps est encore chaud, ça fait clairement pas très longtemps. On a fait le tour, il y a personne d’autre ici.

    Elle avait éventré le sac à son arrivée pour vérifier si la victime était toujours en vie. À première vue, elle n’avait pas constaté de traces de violence sur le corps. Héroux conclut de façon préliminaire que l’homme s’était asphyxié. Que s’était-il passé ? Tout de suite, le lieutenant se mit en mode opératoire. Il s’adressa aux policiers Belleville et Moreau.

    — Allez interroger les voisins, s’ils ont vu ou entendu quelque chose. Gardez celui de l’appartement 5 pour la fin.

    Une fois ses ordres mis à exécution, Héroux se pencha et examina le corps.

    — Jay, j’ai besoin de savoir qui est locataire ici. Vérifie s’il a un véhicule et s’il est dans le parking.

    Landry opina du chef et sortit son téléphone.

    — Bridge, fais le tour du logement et essaie de voir s’il y avait quelqu’un d’autre ici avant qu’on arrive. Il y a sûrement une porte à l’arrière.

    Héroux réclama ensuite sur place le Service de l’identité judiciaire et le coroner.


    Jérôme revint avec les informations qu’il avait notées dans son calepin :

    — Le bail est au nom d’Étienne Poisson, né le 30 septembre 1983.

    — Quarantaine… calcula Héroux. Ça pourrait être lui.

    — Selon la SAAQ, il conduit un Honda CR-V 2019 blanc. J’ai la plaque, je vais aller voir en arrière.

    — Hum… murmura le lieutenant, en pleine réflexion. Était-ce le dénouement tragique d’un jeu sexuel incluant des menottes ? Si c’était le cas, on pouvait supposer que la clé était accessible. Héroux tourna la tête en direction de la salle de bain et aperçut aussitôt de curieuses traces au bas de la porte – des trous. Après avoir un instant pensé qu’il pouvait s’agir de marques de projectiles, il prêta attention aux souliers de la victime et se leva pour observer la porte de plus près.

    — Bridge, viens voir. Crois-tu que ça provient des talons ?

    Soucy se pencha à son tour.

    — On dirait qu’il l’a frappée avec ses pieds.

    Héroux se pencha sur le carrelage de la salle de bain et scruta le plancher. Il identifia ce qu’il cherchait.

    — J’imagine qu’il voulait ça.

    En dessous du meuble-lavabo se trouvait une petite clé argentée.

    2. Sauve qui peut I

    Mercredi 8 mai 2024

    Véronique Martel est une jeune femme singulière qui travaille chez Sauve qui peut, un commerce qui propose des activités de jeux d’évasion. Adolescente, elle s’est fait connaître des services sociaux de la région en raison de son incarcération dans un centre correctionnel pour mineurs. Véronique s’était amourachée d’un petit délinquant du quartier Saint-Roch, à Québec, et l’avait suivi, accompagnée de deux autres apprentis voleurs, jusque dans les conduits d’aération d’un immeuble qui abritait une bijouterie. Bien avant de voir la couleur d’une pierre précieuse, le commando juvénile s’était fait prendre, et tout le monde avait passé une partie de la nuit à s’expliquer aux enquêteurs. Les policiers espéraient faire craquer la seule fille de la bande et la faire témoigner contre les trois autres, mais Martel s’était avalé la langue. Elle avait accepté les accusations sans broncher, même si cela signifiait qu’elle risquait de sévères conséquences.

    À dix-sept ans et des poussières, elle écopait d’un séjour de six mois, toutes dépenses payées aux frais du contribuable, au Pavillon Bourgeois, à Trois-Rivières, loin de la mauvaise influence de ses complices.

    La jeune femme n’était pas une criminelle de carrière. Elle avait du caractère, certes, mais son potentiel de réintégration dans la société était considéré comme élevé. Lors de son passage au pavillon, Véronique a rencontré quelques personnes qui deviendraient ses amis dans les années à venir, l’incitant à s’établir dans la région trifluvienne une fois adulte. Les conditions de sa remise en liberté la limitaient à une vie sobre et exempte de tout accroc au Code criminel. À sa sortie, Martel a complété un diplôme d’études professionnelles en électronique et s’est déniché un emploi dans une entreprise de divertissement.

    Depuis son embauche, elle ne comptait pas les heures. Elle travaillait dans un environnement souvent sans fenêtres qui lui bloquait la clarté extérieure et qui avait, avec les années, altéré sa notion du temps qui passe. Elle avait vite trouvé sa niche chez Sauve qui peut, l’entreprise lui permettant d’utiliser toutes les facettes d’une créativité qui avait été en dormance pendant la première partie de sa vie. Elle pouvait installer des circuits électriques, souder des composantes électroniques, camoufler des passages secrets derrière des ameublements ou construire de toutes pièces un puzzle sur lequel les clients allaient s’acharner pendant de longues minutes.

    Martel avait développé des concepts payants pour la compagnie : deux de ses scénarios en étaient à leur quatrième année d’exploitation et la demande ne faiblissait pas. Pendant les fermetures répétitives causées par la pandémie de COVID-19, elle avait codé en quelques jours une version en ligne d’un des jeux et, contre toute attente, les recettes générées par cette option avaient évité au propriétaire de devoir mettre la clé sous la porte.

    Le soir, Véronique fréquentait son petit groupe d’amis et de connaissances, plusieurs ayant, comme elle, séjourné au centre correctionnel. Leurs bêtises juvéniles étaient loin derrière, même si certains avaient encore des conditions à respecter et que deux d’entre eux s’étaient à nouveau retrouvés devant le juge pour des délits mineurs. Quand on entrait chez Véronique, on s’y sentait bien. L’alcool et la drogue embellissaient les soirées, la musique jouait fort et le plancher devenait un grand lit commun.

    En 2023, en plein hiver, elle fut expulsée de son appartement manu militari par le locateur après une énième plainte pour du bruit. Faisant fi des normes et des protocoles, l’homme avait vidé l’endroit des maigres possessions personnelles de Martel et changé la serrure. Le mobilier lui appartenait, de toute façon.

    La femme de vingt-trois ans s’était retrouvée à la rue.

    Ce soir-là, elle avait décidé de retourner chez Sauve qui peut. Elle avait entassé ses quelques biens dans un coin de l’entrepôt et dormi sur un divan. La disposition des lieux était parfaite pour l’accueillir quelques nuits, le temps de trouver un endroit où demeurer.

    L’entreprise de jeux d’évasion appartenait à Éric-Pierre Pélissier, affectueusement surnommé EPP par ceux qui le connaissaient. Il travaillait de midi jusqu’à la fermeture – entre 18 heures et 21 heures, dépendamment de la saison et des horaires. Sauve qui peut offrait aussi des aventures en plein air avec une thématique de suspense et d’horreur qui attirait une clientèle aussi hétérogène que possible. Les « chasses », comme on les appelait, faisaient intervenir des acteurs bénévoles qui se maquillaient ou se déguisaient pour pourchasser des joueurs dans la forêt, généralement le soir ou la nuit. Ces immersions promettaient une adrénaline constante et une peur sincère pour quiconque était capable de les supporter. EPP était responsable de ces activités qui se déroulaient durant l’été ; de ce fait, il mettait beaucoup moins les pieds dans les locaux de la rue Bellefeuille.

    Véronique, pour sa part, se concentrait sur les jeux intérieurs, plus cérébraux et moins stressants. Des groupes de participants se succédaient dans trois salles thématiques pour y résoudre des énigmes, et l’entreprise engageait deux personnes pour s’occuper de l’accueil pendant que Martel gérait les caméras et les micros.

    C’est peut-être parce qu’elle savait qu’elle ne croiserait personne durant la nuit que Véronique avait omis de mentionner à EPP qu’elle dormait au travail. La situation serait temporaire – bien entendu –, mais durant les jours qu’elle allait durer, Martel s’en permettrait un peu plus chaque soir.

    Au départ, ça avait été un joint avec un copain. Ils avaient baisé à même le comptoir de réception des clients. Le lendemain, elle avait convié deux autres amis. Le trio avait consommé des champignons hallucinogènes et tout le monde avait dormi sur place. Au matin, Véronique avait évité la catastrophe de justesse en foutant tout le monde à la porte une vingtaine de minutes avant l’arrivée d’EPP.

    Martel n’avait pas cessé ses incursions nocturnes pour autant. Elle s’était trouvé un nouveau logement, petit, défraîchi et peu adapté pour recevoir. Elle avait donc étendu le système de caméras de Sauve qui peut qui épiait les salles de jeux en en installant une dans le coin d’une fenêtre qui donnait sur le stationnement. Elle envoyait le signal sur son téléphone et, de cette façon, elle pouvait garder un œil sur une arrivée inopinée tout en profitant des installations.

    Ce qui, au départ, n’était qu’occasionnel devint rapidement régulier : les amis de Véronique connaissaient les fiestas spontanées organisées chez Sauve qui peut – le seul mot d’ordre était de ne pas l’ébruiter à tout vent.

    Martel consommait de plus en plus d’alcool et de drogue. Elle avait de la difficulté à trouver le sommeil – elle tentait de combattre l’insomnie dans les locaux de son employeur, soit en réparant un truc ou en faisant la fête. C’était un cercle vicieux qui ne l’aidait pas à reprendre le dessus. La situation était maintenant hors de contrôle ; les invités allaient et venaient comme s’ils étaient chez eux, seules les salles avec énigmes et labyrinthes étaient hors limites.

    Véronique n’avait pas le sentiment de faire quelque chose de mal ; les jours et les nuits se suivaient et se ressemblaient.


    Ce soir, ils étaient quatre dans la place, et tout le monde était gelé. Le grand hall d’entrée était parsemé de jeux d’adresse issus d’une autre époque : un vieux jeu de poches, des dards avec des plumes qu’on pouvait lancer sur une énorme cible en liège, un flipper Indiana Jones, une console Atari, une pince mécanique dans un cube vitré rempli de peluches défraîchies… Les poutres métalliques à plusieurs mètres dans les airs étaient les seuls vestiges de l’imprimerie qui avait occupé les lieux cent ans plus tôt. Un mince plafond suspendu recouvrait les pièces accessibles aux clients, mais pour le reste, on se serait cru dans une usine.

    Pour Véronique Martel et ses amis, c’était l’endroit parfait. La bâtisse accueillait plusieurs entreprises paramunicipales au rez-de-chaussée, et aucune d’entre elles n’était en activité après les heures normales de bureau.

    Autrement dit, personne à déranger.

    — Je trippe ben raide sur ce divan-là.

    Véro lança un regard à celui qui venait de parler. Il était étendu de tout son long sur le canapé aux horribles couleurs qu’EPP avait récupéré Dieu seul sait où. Le propriétaire semblait résolu à ce que le mobilier soit le plus affreux possible.

    — C’est le meuble le plus laid de la terre entière, fit-elle. Et j’ose pas imaginer quel genre de bibittes peuvent vivre dessus.

    L’homme se leva d’un bond et se gratta, ce qui déclencha un fou rire.

    — Je pourrais le voler pis l’apporter chez vous, proposa un autre.

    — Personne vole rien icitte. Et puis, de toute façon, c’est tellement petit chez nous que même un miroir sur un mur, ça rentrerait pas.

    Nouveau fou rire.

    Véronique avait délaissé son téléphone et manqué l’arrivée du camion cube dans le parking. Le bruit de la porte d’entrée au rez-de-chaussée provoqua une vague de panique chez les intrus. Trop intoxiqués pour se cacher en silence, ils se résignèrent à se coucher bêtement, immobiles, en pensant que les meubles pourraient les dissimuler.

    Étienne Poisson grimpa les quelques marches qui menaient à l’étage et remarqua immédiatement l’odeur de marijuana. Malgré toutes les précautions de Véronique pour envoyer la fumée par la fenêtre, les effluves s’étaient dispersés à l’intérieur.

    — Ça sent le printemps ! lâcha Poisson tout haut, pour lui-même.

    Il fut surpris d’entendre rire à sa droite.

    — Allô ?

    L’hilarité se répandit comme une traînée de poudre et Véronique n’eut d’autre choix que de se lever pour s’expliquer.

    — Je travaille icitte, dit-elle. On s’est déjà vus, c’est toi qui fais le ménage.

    Étienne constata la présence d’au moins trois hommes. L’un d’eux lui souriait à pleines dents, comme s’il savait qu’il s’était fait prendre la main dans le sac.

    — Je te reconnais. C’est qui, eux autres ? demanda le concierge.

    — Des amis. T’étais pas censé venir juste demain ?

    Chaque semaine, l’entretien de nuit se faisait le jeudi.

    — J’ai pris congé demain, faque j’ai décidé de devancer mon shift. Est-ce que t’as le droit d’être ici dans la nuit ?

    — Oui, mentit-elle. Tu peux travailler, on te dérangera pas.

    En examinant les visages, Étienne constata qu’il était pas mal plus vieux que tout le monde. Il avait l’impression d’avoir interrompu un party. Il se revit vingt ans plus tôt, quand il profitait de la vie, et ressentit aussitôt un brin de jalousie envers ces jeunes. Il s’avança et demanda :

    — Est-ce qu’il vous reste un peu de pot ?

    3. La Chasse-Galerie

    Vendredi 17 mai 2024

    Lydia Saint-Urbain avait été déçue tellement de fois qu’elle ne s’attendait à rien. Sa seule limite, ce soir, était qu’elle avait décidé qu’elle n’aurait pas de relation sexuelle. Pour le reste, autant s’amuser un peu. La conception du couple parfait lui échappait de plus en plus, autant par ses expériences amoureuses à elle qu’en observant celles de ses amies. Les histoires impossibles s’accumulaient plus vite que dans les films et elle n’avait plus confiance en personne – sauf en elle-même.

    Elle poussa la porte et entra dans le bar La Chasse-Galerie, le bistrot-bar de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il était là, assis en solitaire, et toujours aussi beau. Une gueule angulaire, mâchoire fine, des traits méditerranéens qui rappelaient vaguement l’acteur français Thierry Lhermitte quand il était jeune. Elle avait vu Le dîner de cons tellement souvent qu’elle eut le réflexe de se demander si elle n’était pas elle-même victime d’un coup monté. Devant lui, sur la table haute en plein milieu de la place, se trouvait une seule pinte de bière – presque vide.

    — J’ai pas osé en commander une pour toi, se défendit l’homme en se levant. Chus content de te revoir.

    — Moi aussi.

    — Je savais pas si t’aimais la bière.

    — J’aime ça, avoua-t-elle en souriant.

    Il était sympathique comme dans son souvenir, en plus.

    — Je vais t’en chercher une, je reviens.

    Il s’en alla au bar et elle en profita pour s’asseoir. Le cellulaire posé à côté de son verre vibra trois fois de suite. Il s’agissait de messages textes, elle aurait été capable d’en discerner la provenance, mais un réflexe poli lui fit tourner la tête et observer les alentours. Hormis deux filles près d’elle, une douzaine d’étudiants étaient sur l’estrade, tous concentrés sur leurs ordinateurs portables. C’était la session d’été, beaucoup étaient retournés chez eux pour quelques mois et la place d’ordinaire si populaire pendant l’automne et l’hiver était pratiquement vide.

    Elle avait d’ailleurs souvenir d’interminables files d’attente autant pour le bar que pour les toilettes.

    — Une Trou du Diable, la meilleure brasserie en ville, déclara-t-il en posant une blonde devant elle. Lydia,

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