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Meurtres sur le glacier: Laura Badía, criminologue
Meurtres sur le glacier: Laura Badía, criminologue
Meurtres sur le glacier: Laura Badía, criminologue
Livre électronique506 pages6 heures

Meurtres sur le glacier: Laura Badía, criminologue

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À propos de ce livre électronique

Le corps congelé d'un touriste apparaît dans le glacier le plus grand de Patagonie. Il est mort sur la glace, d'une balle dans le ventre, il y a trente ans.

Mais toi, qui te nommes Julían et vis à Barcelone, tu ignores que cela changera ta vie.

Pour le comprendre, d'abord tu devras savoir que ton père avait un frère dont il ne t'a jamais parlé. Ensuite, que ce frère vient de mourir. Et pour finir, que tu es cité dans son testament comme seul héritier d'une mystérieuse propriété à El Chaltén, un village idyllique de Patagonie.

Tu voyageras jusque là-bas pour la vendre, mais tu commettras l'erreur de poser trop de questions. Tu comprendras alors que, trente ans après le crime, à El Chaltén se cache quelqu'un qui est décidé à te rayer de la carte pour que tu n'arrives pas à la vérité.

Après avoir remporté le Prix littéraire Amazon avec Le collectionneur de flèches (qui est déjà en cours d'adaptation à l'écran), Cristian Perfumo revient avec un thriller addictif qui emmènera le lecteur à la découverte de Barcelone et de certains des coins les plus beaux et les plus reculés de la Patagonie argentine.

LangueFrançais
ÉditeurCristian Perfumo
Date de sortie3 sept. 2024
ISBN9798224503216
Meurtres sur le glacier: Laura Badía, criminologue
Auteur

Cristian Perfumo

Cristian Perfumo lives in Spain and writes thrillers set in Patagonia, where he grew up. His first novel, The Sunken Secret, was inspired by a true story and has sold thousands of copies around the world. A successful self-published author, he has an established Kindle Direct Publishing following in Spanish-speaking countries. The Arrow Collector is his second novel published in English. Its original, Spanish version won the 2017 Amazon Annual Literary Award for Independent Spanish-Language Authors. Learn more about his work at www.cristianperfumo.com/en.

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    Aperçu du livre

    Meurtres sur le glacier - Cristian Perfumo

    PROLOGUE

    Parmi les cent quatre-vingt-huit touristes à bord du catamaran, une bonne moitié n'a jamais vu de glacier. C'est la raison pour laquelle, après quarante minutes de navigation entre les icebergs, quand finalement le bateau contourne la péninsule, le pont de proue est bondé. Il y a des Chinois, des Allemands, des Français, des Brésiliens, des Espagnols, des Argentins et bien d'autres. La majorité avec le téléphone en l'air. Les autres sont équipés d'appareils photographiques munis de longs téléobjectifs. Ils tentent en vain de capter en une seule image les mille kilomètres carrés de glace vers lesquels ils se dirigent.

    Notre touriste, celui qui nous intéresse, est italien. Lui aussi est sur le pont avant, bien qu'il soit l'un des rares à ne pas prendre de photos.

    Les haut-parleurs installés à l'extérieur et à l'intérieur de l'embarcation amplifient la voix d'une guide touristique qui s'exprime tout d'abord en castillan puis recommence en anglais et en français. Notre Italien comprend le castillan. 

    – Le glacier Viedma est le plus grand du Parc national et le second d'Amérique du Sud. Il fait cinq fois la taille de la ville de Buenos Aires. Même si nous avons l'impression d'être proches, il nous reste encore trois kilomètres de navigation avant d'arriver au front du glacier.

    La guide continue sa description, mais les passagers ne lui prêtent aucune attention. Il est impossible de se concentrer sur autre chose que cette langue de glace aux proportions inimaginables qui descend entre les montagnes noires.

    Entre le glacier et le bateau s'interpose un iceberg plus grand que tous ceux croisés depuis le début de la traversée. Le capitaine ne paraît pas vouloir l'éviter. À mesure qu'ils approchent, les moteurs baissent de régime jusqu'à ce que le catamaran reste à flotter librement près de la glace. L'Italien calcule que, s'il le voulait, il pourrait lancer une pierre et atteindre l'iceberg.

    – Ce que l'on dit à propos des icebergs est vrai, entend-on résonner dans les haut-parleurs, la partie émergée ne représente que dix pour cent.

    L'Italien imagine l'amplitude de la glace qu'il ne voit pas. La partie qui dépasse a la taille d'une cathédrale, et le catamaran, avec trois étages, quatre ponts et deux cents personnes à bord, paraît petit.

    Un homme et une femme, vêtus de blousons marron et équipés d'appareils photographiques professionnels, se frayent un passage dans la multitude vers les deux proues du catamaran, là où il y a les meilleurs points de vue sur les blocs de glace. Ce sont des photographes officiels du Parc national Los Glaciares. Ils s'emploient à photographier les touristes avec le glacier en arrière-plan pour ensuite leur vendre les clichés. Au cours des quarante minutes de navigation jusqu'au glacier, ils ont attiré l'attention des passagers sur le fait que la glace réfléchit fortement la lumière et qu'il est difficile de faire de bonnes photos avec un téléphone. Si la personne qui pose sort bien, derrière on ne voit qu'un grand éclat blanc. En revanche, si c'est la glace qui sort bien, la personne qui est devant se convertit en une silhouette noire.

    La moitié des touristes choisit de faire la queue pour les photographes. Les autres tentent le coup avec leur téléphone. Ils sont peu nombreux, ceux qui regardent directement la glace sans l'intermédiaire d'un écran ou d'un objectif. Notre Italien est un de ceux-là. 

    Il arrête son regard sur les gouttes qui jaillissent des saillies, sur le bleu foncé des crevasses, sur le noir des veines de sédiment, qui lui rappellent le marbre. S'il veut grossir un détail, il utilise la paire de jumelles qui pend à son cou. Cet iceberg de la taille de dix cathédrales – dont neuf d'entre-elles sous l'eau – est ce qu'il a vu de plus beau au cours de sa vie.  Et penser cela, pour quelqu'un qui a grandi à huit cents mètres du Duomo de Florence, ce n'est pas rien.

    Les moteurs remontent en régime, le bateau s'éloigne peu à peu de l'iceberg. Quelques touristes le suivent comme des papillons de nuit attirés par la lumière, passant du pont de proue au pont de poupe pour capter les dernières images. Lorsque le bloc de glace devient trop éloigné, beaucoup retournent à l'intérieur pour se réchauffer. Certains commandent un café au bar. D'autres regardent sur leurs différents matériels les images qu'ils viennent de capturer. Les photographes du parc connectent leurs appareils à une imprimante qui se trouve au milieu de la salle principale.

    – L'iceberg que nous venons de laisser derrière nous s'est séparé du glacier il y a deux jours, dit la guide. Dans vingt minutes nous serons face à lui et, si nous avons de la chance, peut-être pourrons-nous assister au détachement d'un bloc de glace.

    L'annonce renvoie les plus motivés sur le pont avant pour s'assurer un emplacement privilégié. L'Italien est de ceux-là.

    Quelques instants plus tard, le bateau s'immobilise face au glacier Viedma : une falaise de glace de cinquante mètres de hauteur et de deux kilomètres de largeur. Si les millions de tonnes de neige compactée qui descendent vers le lac étaient une armée, cette paroi serait la cavalerie. Et si notre touriste devait décrire combien il se sent petit et effrayé devant elle, il ne saurait pas comment y parvenir, même en s'aidant des mille gestes propres à la culture italienne qu'il porte dans son ADN.

    Le bateau est maintenant à moins de deux cents mètres de la paroi blanc et bleu. Les gens, entassés sur les ponts, restent silencieux. L’Italien résiste à l'envie de photographier ce qu'il a devant lui. Les images ne pourront pas retranscrire la réalité ni capter le crissement de la glace à l'intérieur du glacier qui craque avec une telle intensité que l'on croit entendre  des coups de canon. 

    Cela fait un bon moment qu'ils flottent au même endroit quand l'Italien entend un nouveau son, différent des autres. Il est plus fort et plus sec, comme quand une boule de billard en frappe une autre. Du coin de l’œil, il détecte un mouvement sur la paroi congelée. C'est un bloc de glace qui se détache et en percute un autre avant de plonger dans l'eau. Comparé au front du glacier Viedma, il est minuscule, mais en réalité, il a la taille d'une voiture.

    La guide s'adresse à tous :

    – Continuez d'observer car il n'est pas rare qu'un autre détachement suive...

    Elle est interrompue par un rugissement assourdissant. En face d'eux s'effondre une colonne  de la taille d'un immeuble de douze étages. Elle est si haute qu'elle semble tomber au ralenti. Un oooh collectif parcourt le pont tandis que le lac engloutit la glace. L'adrénaline envahit l'Italien comme s'il était sur des montagnes russes. Il lève les mains à son visage. Il ne peut pas croire qu'il assiste à tant de beauté.

    Après quelques secondes, le bloc de glace émerge en deux gros morceaux et une centaine de petits. Une vague parcourt la falaise de glace en émettant un shhhh qui semble ne jamais finir.

    Il reporte son regard sur la paroi, espérant assister à une nouvelle rupture. C'est alors qu'il remarque, sur la partie laissée à découvert après la chute du bloc, une ligne verticale d'une couleur entre le grenat et le brun qui détonne avec la gamme des bleus.

    Il porte les jumelles à ses yeux. La ligne a la forme d'une étoile filante se dirigeant vers le haut. Il commence à la suivre depuis le bas, là où la glace touche l'eau. À cet endroit, la trace ocre est ténue. À mesure qu'elle gagne en hauteur, elle s'intensifie. Dans la partie haute, elle est presque noire, comme si de la rouille avait suinté durant des années d'un gigantesque clou planté dans la glace.

    Il n'est pas aisé de mettre au point des jumelles sur un bateau qui vibre et bouge en permanence. Il met quelques secondes pour obtenir une image nette et beaucoup plus pour comprendre ce qu'il voit. 

    – Sangue, murmure-t-il en italien.

    Il agite les mains pour attirer l'attention de ceux qui sont autour de lui, puis il indique la glace. Une nouvelle fois il prononce le mot, mais plus fort. Quelques touristes s'écartent de lui comme s'il avait la peste. Quelqu'un lui demande ce qu'il lui arrive, mais il ne peut rien faire d'autre que montrer le glacier et répéter le mot chaque fois plus fort.

    Sa voix grave parcourt tout le pont du catamaran. Un photographe s'approche et lui demande de se calmer.

    – La tache marron. C'est du sang, arrive-t-il à articuler en castillan.

    Le photographe fronce les sourcils et braque l'objectif de son appareil vers la glace. Dix secondes après, il se dirige vers l'intérieur du bateau en s'ouvrant un chemin parmi les touristes. 

    L'Italien ignore les questions des gens et rassemble son courage pour de nouveau regarder avec les jumelles. Au niveau du point sombre d'où part la ligne, il y a un corps en position fœtale. Il est vêtu d'un blouson noir et d'un bonnet gris. Apparemment des vêtements pour touristes, mais il n'en est pas sûr. En revanche, ce dont il est sûr, c'est qu'il est mort. À cause du sang sombre, donc ancien, qui s'est échappé il y a très longtemps de ce corps, et aussi parce qu'il y a dix mètres de glace au-dessus de sa tête.

    Il ressemble à un moustique emprisonné dans de l'ambre bleu.

    PREMIÈRE PARTIE

    EL CHALTÉN

    CHAPITRE 1

    Je me sentais sale. Il faisait nuit et j'étais sur les Ramblas de Barcelone, ma ville. À chaque pas, une prostituée me souriait, un type me proposait de la cocaïne sans oser me regarder dans les yeux, ou je devais m'écarter pour ne pas être piétiné par un groupe d'Anglais complètement bourrés. Tout ça, avec en permanence les mains dans les poches pour décourager les voleurs à la tire.

    La nuit, les Ramblas sont les neuf cercles de l'Enfer. Mais ce n'était pas pour cela que je me sentais sale. Vingt mètres devant moi marchait Anna, ma femme. Bon, nous n'étions pas mariés, mais nous vivions ensemble depuis deux ans. Le problème, c'est qu'elle me faisait porter les cornes depuis deux mois et ce soir j'étais là pour en avoir confirmation. C'était ça qui me donnait la nausée.

    Je n'avais jamais imaginé que nous tomberions aussi bas. Elle, en me trompant, et moi, en la suivant comme une vulgaire délinquante.

    Elle m'avait dit que cette nuit elle sortirait avec Rosario, mais je savais qu'elle me mentait. Anna ne sortait jamais aussi fréquemment avec ses amies. Et si à cela on ajoutait qu'elle n'avait plus envie de faire l'amour – du moins, pas avec moi – et que depuis deux mois elle avait changé son habituelle douche matinale pour une avant d'aller se coucher...

    J'étais tout le contraire de l'aveugle qui ne veut pas voir. Et même si je n'avais pas voulu, c'était une évidence.

    Anna tourna vers le Quartier gothique par la rue Ferrán et marcha jusqu'à la place Sant Jaume. De là elle monta la rue du Bisbe en direction de la cathédrale. Quand elle passa sous le célèbre pont qui unit la Generalitat à la Casa de los Canonges, je me demandai si elle se rappellerait ce qui s'était passé ici il y avait presque trois ans.

    Moi, je m'en souvenais : tôt dans la matinée, nous nous promenions dans cette rue lorsque je m'arrêtai sous le pont avec l'excuse de lui montrer le crâne traversé par une dague sculpté sur la partie inférieure du pont, et dont personne ne connaît l'origine. Elle fit semblant de s'intéresser au mystère et resta un bon moment à regarder vers le haut. Quand nos yeux se rencontrèrent, nous nous donnâmes notre premier baiser.

    Si Anna s'en souvenait, cela ne se remarqua pas, car elle passa sous le pont comme si de rien n'était. Peu avant la place de la cathédrale, elle bifurqua à gauche dans une ruelle étroite qui conduisait à la place Sant Felip Neri, un de ses lieux préférés dans Barcelone.

    Quant à moi, je préfère d'autres endroits plus éloignés du centre et moins touristiques, mais je reconnais que la place a beaucoup de charme. Un charme suranné, avec sa vieille fontaine octogonale au centre et la façade de l'église pleine de trous. La légende urbaine dit qu'ici on fusillait des gens pendant la guerre civile. En réalité, ce sont des impacts d'éclats d'obus dus aux bombardements. Elle dit aussi que douze ans avant ces impacts, Gaudi se dirigeait vers cette même église quand un tramway l'a percuté. Quand tu grandis dans une des villes les plus touristiques au monde, tu finis par connaître ce genre d'informations. 

    De l'autre côté de la place il y avait un bar avec une petite terrasse, style romantique, avec lumières tamisées, chandelles sur chaque table et même un violoniste jouant dans un coin. Anna s'y dirigea et, malgré toutes les tables occupées, entra. 

    À partir de là je ne pouvais plus la suivre. L'endroit était trop petit. Je le savais parce qu'Anna m'avait amené ici à l'époque où nous commencions à sortir ensemble. Je décidai d'attendre sous l'arche en pierre de la façade de la maison de la guilde des cordonniers.

    Je sais que c'est moche de rejeter la culpabilité d'une infidélité sur quelqu'un d'extérieur au couple. Cependant, j'ai toujours pensé que Rosario avait sa part de responsabilité. Si, pendant ses cours de Zumba, Anna n'avait pas rencontré cette jeune veuve expatriée d'Argentine après avoir perdu un mari parfait, je n'aurais pas des cornes aussi hautes que les tours de la Sagrada Família.

    Je m'explique : ma femme a toujours eu un faible pour les défavorisés. Anna est une grande fan de la discrimination positive. Même si elle traite bien toutes les personnes, elle en fait un peu plus si elles appartiennent à une minorité. Un jour j'ai compté le nombre de fois qu'elle remerciait le vendeur d'un bazar chinois et l'Espagnol d'une quincaillerie : Chine 4, Espagne 1.

    Quand Rosario – veuve et immigrante – lui raconta son histoire, Anna la prit sous son aile comme une mère poule protégeant son poussin le plus fragile. Elle l'invita à dîner plusieurs fois et lui présenta nos amis. Une semaine avant Noël, elle me demanda si ça me dérangeait que Rosario vienne réveillonner avec nous. Quand j'acceptai, elle bondit de joie et me dit que son frère Xavi serait là et que, peut-être, lui et Rosario pourraient faire bon ménage.

    Ils firent plus que bon ménage. Vers deux heures du matin, ils disparurent dans une chambre avec une excuse plutôt floue. Un moment après, Rosario annonça qu'elle partait parce qu'elle était fatiguée, Xavi dit qu'il allait en profiter et ils descendirent ensemble jusqu'au métro. Quand Anna ferma la porte, après leur avoir souhaité une bonne nuit, elle avait un sourire jusqu'aux deux oreilles.

    Malheureusement, l'histoire de Xavi et Rosario n'alla pas plus loin que cette soirée. D'après ce que m'expliqua Anna, Rosario ne voulait pas s'attacher à une autre personne. Apparemment, sa façon de faire son deuil consistait à brûler les nuits dans les bars et les discothèques, comme si nous avions vingt ans.

    En ce qui me concerne, ça fait longtemps que ces sorties pour faire la fête ne m'intéressent plus, mais il ne m'est jamais venu à l'esprit d'en empêcher ma femme, surtout quand il s'agit de remonter le moral à quelqu'un qui ne va pas bien. Mais c'est une chose que je sois un rabat-joie et c'en est une autre, bien différente, qu'Anna sorte la nuit pour coucher avec un autre. 

    Pensant à tout cela, j'attendis durant une heure et demie à l'entrée de la place. La tension m'empêchait de sentir les derniers soubresauts d'un hiver qui tardait à se retirer même si nous étions au début du mois de mars. Je ne savais toujours pas comment réagir quand ils sortiraient. J'envisageai plusieurs options. Celle qui m'attirait le plus, c'était de me planter en silence devant Anna pour voir quelle tête elle allait faire.

    Le violoniste avait fini de jouer depuis un bon moment quand enfin je la vis sortir. Et quand Rosario apparut derrière elle, je me sentis le pire type au monde. Ma femme ne m'avait pas menti. Pour la première fois depuis ces dernières semaines, j'envisageai qu'Anna ne me trompait pas. Que tout provenait de mon manque de confiance ! Que j'étais un putain de paranoïaque !

    Je me collai au mur. Si elle me voyait, j'allais mourir de honte. À trente-cinq berges, je m'étais comporté comme un gamin. Ce dont j'avais le plus envie en ce moment, c'était de partir en courant.

    La place avait deux sorties. Je me penchai pour voir si elles venaient vers la mienne ou s'éloignaient vers l'autre. Elles s'étaient arrêtées au centre, près de la fontaine, pour se dire au revoir. Sûrement que chacune allait partir de son côté.

    Comme Gaudi, je fus moi aussi percuté par un tramway. Du moins c'est ce que je ressentis en voyant que le baiser était sur la bouche. Long. Avec la langue.

    Un baiser qui me laissa plus de cicatrices que la façade de l'église. 

    CHAPITRE 2

    L'étude notariale Hernández-Burrull se trouvait sur la place d'Ibiza dans le quartier d'Horta. Pour ceux qui ne connaissent pas Barcelone, c'est bougrement loin de mon appartement de Sants. Avant d'entrer, j'enlevai mes lunettes de soleil et jetai mon chewing-gum à la menthe dans une poubelle. La gueule de bois me donnait l'impression d'avoir dans la tête une vingtaine de singes qui sautaient de branche en branche en hurlant et en montrant les crocs.

    Deux nuits plus tôt, après avoir découvert Anna avec Rosario, je n'avais pas eu la force de l'affronter. J'avais quitté la place en courant vers les ruelles du Quartier gothique. Quand je n'eus plus aucun souffle, j'entrai dans un bar et commandai une bière. Puis une autre, et ainsi jusqu'à ce que le serveur me dise qu'ils allaient fermer et que je devais partir. Au total, il avait suffi de quatre ou cinq bières pour que j’aie mon compte. Je suis plus compléments protéinés et sport à l'air libre qu'alcool et bars. 

    La monumentale cuite m'avait donné le courage dont j'avais besoin. Je pris le métro, décidé à parler avec Anna, mais je changeai d'avis – ou bien j'eus un instant de lucidité – juste à temps et laissai défiler deux autres stations. Je passai la nuit chez mes parents, qui étaient en voyage.

    Le jour suivant j'appelai le client dont je devais peindre l'appartement pour le prévenir que je ne pouvais pas venir. Je passai la matinée à dormir et l'après-midi devant la télé. Vers les quatre heures, j'allumai mon téléphone. J'avais vingt-deux appels manqués d'Anna. Le vingt-troisième arriva dans les cinq minutes. Nous eûmes une discussion dont le ton monta et où je dis des choses que j'avais déjà regrettées plus de cent fois dans les vingt-quatre heures qui suivirent.

    Un moment après je sortis à la recherche d'un bar. J'avais perdu le compte des bières – au moins trois –, quand je reçus un appel où une femme disant travailler pour une étude notariale me parla d'un héritage et d'un testament. Je l'envoyai se faire cuire un œuf et coupai la communication. Elle rappela immédiatement et insista en disant qu'il était important que je vienne les voir. Je ne mémorisai pas vraiment la conversation, mais par chance elle m'envoya un message avec les détails du rendez-vous.

    C'est ainsi que je me trouvai le jour suivant, avec une double gueule de bois et sans chewing-gum à la menthe, dans les élégants bureaux de l'office notarial Hernández-Burrull.

    – Je m'appelle Julián Cucurell Guelbenzu, dis-je à une jeune réceptionniste qui acquiesça comme si elle n'attendait que moi et m'indiqua des fauteuils en cuir près d'une table basse sans rien dessus.

    – Asseyez-vous, monsieur Cucurell. Le notaire va vous recevoir dans peu de temps.

    On voit bien que, dans le monde des notaires, cinquante minutes c'est peu de temps. Dans celui des simples mortels, qui se consacrent à rénover des appartements, c'est quarante euros de perdus.

    Quand la secrétaire me fit entrer, j'étais déjà pas mal remonté. Et pour comble, dans le bureau, l'air était tiède et ça empestait l'eau de Cologne. Idéal pour une gueule de bois.

    Je fus accueilli par un bureau en bois lustré de la taille du Camp Nou. Il n'y avait quasiment rien dessus, si ce n'est un ordinateur portable, une chemise en carton et un vase en métal sans fleurs. Derrière, au second plan, se mit debout un petit homme maigre aux pommettes saillantes et aux oreilles bien dessinées, qui ressemblait plus à un fossoyeur qu'à un notaire. Il se présenta comme Joan Hernández.

    – Bonjour, monsieur Cucurell. Asseyez-vous, je vous prie. Avant tout, je tiens à vous dire que je suis sincèrement désolé pour votre oncle.

    Je fus sur le point de lui dire qu'il n'avait pas à être désolé parce que, avant le coup de téléphone de sa secrétaire, je ne savais même pas que mon père avait un frère. Mais je préférai ne pas dévoiler cette carte. Ce type avait tout d'un vautour, et je me dis qu'il valait mieux affronter un vautour désolé qu'un vautour qui ne l'était pas. 

    – Excusez-nous de ne pas avoir appelé plus tôt, mais dans un cas comme celui-ci, il est préférable d'attendre que la police confirme qu'effectivement il s'agit bien d'un accident et pas d'un homicide. C'est désagréable, je le sais, mais c'est la loi.

    J'acquiesçai sans prononcer une parole. Hernández ouvrit la chemise en carton et chaussa les lunettes qui pendaient autour de son cou.

    – Fernando Cucurell Zaplana est mort il y a quatre mois, percuté par une voiture à deux cents mètres de son domicile. Voici le certificat de décès. En 1992, monsieur Cucurell a signé dans cette étude un testament vous désignant comme son unique héritier.

    Je comptai : en 1992 j'avais 7 ans, c'est-à-dire que ce supposé oncle connaissait mon existence alors que moi je ne savais rien de la sienne.

    – Monsieur Cucurell avait un compte à la Banque de Sabadell crédité de huit mille cent deux euros et sept centimes. Je vous fournirai un document vous permettant de demander le changement de titulaire pour qu'il passe à votre nom. Cela prendra au moins deux semaines. Signez ici, s'il vous plaît. C'est une autorisation pour que soient débités sur ce compte mes honoraires ainsi que les droits de succession.

    En voyant la somme, je compris pourquoi dans le monde il n'y a pas de notaires pauvres.

    – En plus, votre oncle vous a aussi laissé en héritage un terrain en Patagonie.

    – La Patagonie... Patagonie ?

    – Oui. Un demi-hectare dans un petit village du sud de l'Argentine nommé El Chaltén. Et il lut sur un de ses papiers : situé sur la parcelle 7, lot 2, dans la rue San Martín entre les rues Huemul et Los Cóndores.

    – Je suppose que pour vous charger de la vente de ce terrain vos honoraires seraient là aussi considérables. 

    Le notaire lâcha un rire timide, comme le feraient les gens d'une certaine classe sociale devant une plaisanterie un peu osée.

    – Monsieur Cucurell, je crains de ne pas pouvoir vous aider pour ça. Si vous voulez vendre ce terrain, il va vous falloir aller sur place. Par la même occasion, vous pouvez accomplir la dernière volonté de votre oncle, pour laquelle vous n'avez pas d'obligation légale, mais qui serait une belle attention.

    L'homme indiqua le vase en métal posé sur le bureau, mit ses lunettes et lut :

    – « Je demande à Julián qu'il éparpille mes cendres sur la Laguna de los Tres, l'un des plus beaux endroits sur la Terre ».

    Je savais bien que le vase ne collait pas avec le style des meubles de l'étude.

    – Ce sont les cendres de Fernando Cucurell, dit-il en poussant le vase vers moi avec un geste solennel. Je remarquai que sous l'urne il y avait plusieurs serviettes en papier pour ne pas rayer le bureau.

    Le métal poli me renvoya mon image déformée. Là-dedans il y avait ce qui restait du frère de mon père dont je n'avais jamais entendu parler.

    – Vous êtes sûr qu'il n'y a pas moyen de vendre sans faire le voyage ?

    – Bon, si vous connaissez un cabinet d'avocats digne de confiance en Argentine, vous pouvez leur signer un pouvoir, l'homologuer avec l'apostille de La Haye pour qu'ils le vendent et vous transfèrent l'argent.

    – Je ne connais personne en Argentine, et encore moins un avocat.

    Le notaire m'adressa un bref sourire qui équivalait à un haussement d'épaules, à s'en laver les mains et à me demander de ne pas lui faire perdre plus de temps

    – Il faut voir si le voyage ne me coûterait pas plus cher que ce que me rapporterait la vente du terrain. Savez-vous, à quelque chose près, combien ça peut valoir ?

    Anna m'avait raconté que Rosario venait d'un petit village d'Argentine et qu'elle avait à peine pu se payer un billet d'avion et ses deux premiers mois de loyer à Barcelone avec ce qu'elle avait récupéré de la vente d'un terrain là-bas.

    – Comme vous pouvez l'imaginer, je ne suis pas trop au fait du marché immobilier en Patagonie. Mais, si je devais faire une estimation, je dirais entre trois cent mille et cinq cent mille euros.

    – Putain. Sérieusement ?

    – Vous n'avez jamais entendu parler d'El Chaltén, n'est-ce pas ?

    – Jamais.

    – Renseignez-vous.

    CHAPITRE 3

    Je passai l'après-midi à peindre en vert pastel la salle à manger d'un appartement situé dans le quartier de Sarrià. Un riche qui a mauvais goût peut faire beaucoup de dégâts.

    En partant, l'idée de retourner taquiner la bouteille me traversa l'esprit, mais n'importe quel enfant d'alcoolique, même si cet alcoolique est abstinent, sait que se saouler trois jours de suite est une très mauvaise idée.

    J'essayai plusieurs fois d'appeler mes parents qui étaient en croisière dans les fjords de Norvège. Ils me répondirent par texto que cet après-midi ils naviguaient dans une zone sans couverture et que le wifi du bateau était très lent. Nous convînmes de nous parler à neuf heures, quand le bateau accosterait à Bergen. 

    Il ne me restait plus qu'une seule option : retourner à mon appartement et avoir avec Anna une des discussions les plus douloureuses de ma vie.

    J'arrivai vers sept heures du soir, l'urne funéraire sous le bras. Sur la table de la salle à manger, je trouvai un mot : « Je crois qu'il est préférable que nous laissions passer un peu de temps avant de parler. Je vais chez mes parents ».

    Face à la douleur, les gens ont recours à différentes drogues. La mienne est la dopamine. Les peines sont plus supportables avec de l'exercice. Soixante tractions et une centaine de flexions sont toujours une bénédiction. Je rassemblai mes forces, me changeai et sortis pour aller chercher la seule façon de me sentir un peu mieux.

    Je me rendis au parc de callisthénie de mon quartier et fis les exercices avec des mouvements explosifs. Les autres pratiquants autour de moi – pour la plupart des adolescents enclins à partager leur  reggaeton favori à travers de puissants haut-parleurs connectés à leurs téléphones – me regardèrent, entre étonnement et préoccupation. Je ne passe pas facilement inaperçu. Je suis chauve, je mesure presque un mètre quatre-vingt-dix et pèse quatre-vingt-huit kilos, en majorité du muscle.

    Les endorphines libérées par l'exercice améliorèrent un peu mon état. Mais, quand je revins à mon appartement et relus le mot d'Anna, elles m'abandonnèrent comme des rats quittant un navire en train de couler.

    Après m'être douché, je me préparai un litre d'un mélange de protéines auquel j'ajoutai des fruits et des amandes. Je n'avais pas le courage de cuisiner et il restait moins d'une demi-heure avant de parler avec mes parents.

    J'allumai l'ordinateur sur la table de la salle à manger et poussai sur un côté le mot d'Anna ainsi que l'urne. D'après Wikipédia, El Chaltén était une agglomération de deux mille habitants fondée en 1985, l'année de ma naissance. L'Argentine l'avait créée de toutes pièces pour mettre fin à un différend avec le Chili concernant la souveraineté du lieu. « Ici c'est chez moi et, pour que ce soit bien clair, j'y implante un village ». Même pas peur. Les photos qui accompagnaient l'article n'étaient pas d'un autre monde. Des maisons basses sur un sol dénudé et, au second plan, des montagnes enneigées. Je passai à Google Maps et activai la vue satellite. À l'est du village, il y avait des champs de terre marron et à l'ouest une vaste étendue blanche.

    El Chaltén était constitué d'à peine vingt ou trente pâtés de maisons blottis à la confluence de deux cours d'eau. Mais ce qui attira mon attention, c'était que dans chaque pâté la carte montrait un grand nombre de lieux pour manger et dormir. Le village paraissait avoir plus de bars, hôtels et restaurants au mètre carré que Barcelone.

    J'en étais à la moitié de mon mélange de protéines quand je découvris qu'El Chaltén avait été construit au milieu d'un parc national et, à cause de cela, les perspectives d'extension étaient minimes. Le prix élevé du terrain mentionné par le notaire commençait à avoir du sens.

    Je fouillai dans les papiers à la recherche de l'adresse de la parcelle que m'avait léguée ce supposé oncle. Rue San Martín, sans numéro, entre les rues Huemul et Los Cóndores, sur ce qui semblait être la rue principale. La moitié gauche du pâté était occupée par l'une des plus importantes constructions du village. Google ne montrait aucun panneau publicitaire, je supposai qu'il s'agissait d'un collège ou d'une maison particulière exagérément grande. Mes yeux passèrent rapidement à l'autre demi-hectare. Vide. Stérile. Préservé dans le temps. Une île déserte au milieu d'une mer de panneaux publicitaires, de bars et de restaurants.

    Je terminai les protéines en regardant ce rectangle vide à l'autre bout du monde.

    Combien valait un billet pour l'Argentine ? Je trouvai rapidement. Sans repas ni bagages, huit cents euros aller-retour, mais une stridente fenêtre publicitaire de couleur rouge annonçait une mégaoffre à quatre cents euros si le billet était acheté dans les six heures à venir. Sur mon compte en banque, il y avait mille cinq cents euros desquels je devrais bientôt déduire les trois cents euros de la cotisation des travailleurs indépendants. Il serait préférable que j'attende le versement des huit mille – moins les frais et les taxes – dont m'avait parlé le notaire.

    Le téléphone sonna, annonçant un appel vidéo. Quand je décrochai, apparurent sur l'écran l'oreille de ma mère et le menton de mon père.

    – Éloignez un peu le téléphone, je ne vous vois pas.

    – Et comme ça ?

    – C'est mieux. Maintenant je vois un œil de chacun. Comment ça se passe en Norvège ? Congelés ?

    – Ça va. Il fait un temps magnifique. Il n'a plu qu'un après-midi, et à peine un petit crachin, répondit ma mère qui parlait castillan comme Karlos Arguiñano et catalan avec l'accent de Gérone. C'est ce qui arrive quand on naît à Barakaldo et que l'on grandit à Torroella de Montgrí.

    – La nourriture sur le bateau ?

    – Ça peut aller, dit mon père.

    Ma mère secoua la tête. 

    – Ces gens mangent des patates tous les jours ! protesta-t-elle. Mais bon, si on avait voulu bien manger, nous serions restés à la maison.

    Avec cette phrase, n'importe qui aurait pensé que ma mère était une grande cuisinière, et il se serait lamentablement trompé. La pauvre femme a la phobie des couteaux. Littéralement. Cela s'appelle l'aichmophobie, et elle attribue systématiquement sa nullité culinaire à ça. Si on mange bien à la maison, c'est parce

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