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Où j’ai enterré Fabiana Orquera
Où j’ai enterré Fabiana Orquera
Où j’ai enterré Fabiana Orquera
Livre électronique344 pages16 heures

Où j’ai enterré Fabiana Orquera

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À propos de ce livre électronique

Une maison au milieu de nulle part.
Un crime que personne n'a résolu en trente ans.
Une lettre qui change tout.

Été 1983 :
En Patagonie, dans une maison de campagne à quinze kilomètres du voisin le plus proche, un des candidats au poste de maire de la petite ville de Puerto Deseado se réveille étendu sur le sol à côté d'un couteau ensanglanté. Sa poitrine est couverte de sang, mais Il n'a pas une égratignure. Désespéré, il cherche en vain son amante, Fabiana Orquera, dans toute la maison. Ils sont venus là pour passer la fin de semaine ensemble loin des regards indiscrets. Il ne le sait pas encore, mais jamais il ne la reverra. Il ne sait pas non plus que le sang qui imbibe sa chemise n'est pas celui de son amante.

30 ans après : Presque tous les étés de sa vie, Nahuel les a passés dans cette maison. Un jour, par hasard, il trouve une vieille lettre dans laquelle l'auteur anonyme confesse être le meurtrier de la maîtresse du candidat à l'élection municipale. L'assassin a laissé une série de problèmes qui, une fois résolus, promettent de révéler son identité ainsi que l'endroit où est enterré le corps. Enthousiaste, Nahuel commence à déchiffrer les énigmes, mais très vite il se rend compte que, même trente ans après, il y a encore des personnes qui ne veulent pas que soit dévoilée la vérité sur l'un des mystères les plus inextricables de cette inhospitalière partie du monde.

Que s'est-il réellement passé avec Fabiana Orquera ?

Si vous aimez les romans de Pierre Lemaitre, Jo Nesbø, Dolores Redondo, Camilla Läckberg et Joël Dicker, vous serez captivés par Où j'ai enterré Fabiana Orquera.

LangueFrançais
ÉditeurCristian Perfumo
Date de sortie16 déc. 2024
ISBN9798230117841
Où j’ai enterré Fabiana Orquera
Auteur

Cristian Perfumo

Cristian Perfumo lives in Spain and writes thrillers set in Patagonia, where he grew up. His first novel, The Sunken Secret, was inspired by a true story and has sold thousands of copies around the world. A successful self-published author, he has an established Kindle Direct Publishing following in Spanish-speaking countries. The Arrow Collector is his second novel published in English. Its original, Spanish version won the 2017 Amazon Annual Literary Award for Independent Spanish-Language Authors. Learn more about his work at www.cristianperfumo.com/en.

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    Aperçu du livre

    Où j’ai enterré Fabiana Orquera - Cristian Perfumo

    OÙ J’AI ENTERRÉ FABIANA ORQUERA

    OÙ J’AI ENTERRÉ

    FABIANA ORQUERA

    Cristian Perfumo

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par

    Jean Claude Parat

    Conception de la couverture : Pablo Rodríguez - http://finderdesign.info/

    Photos : Jorge Combina - https://www.fb.com/jorge.combina

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean Claude Parat, 2017

    Titre original : Dónde enterré a Fabiana Orquera.

    © Cristian Perfumo.

    www.cristianperfumo.com

    Gata Pelusa

    La reproduction totale ou partielle de l’ouvrage sous quelque forme que ce soit est interdite sans l’accord préalable de l’auteur.

    À Angelita,

    que j’ai toujours vue avec un livre entre les mains.

    1

    LA LETTRE

    Quand j’ai découvert la lettre, je n’en savais pas plus sur Fabiana Orquera que quiconque à Puerto Deseado. Je savais qu’il y avait plusieurs années de cela, elle était allée passer un week-end romantique avec un type, et qu’à partir de là on ne l’avait plus jamais revue. Je savais que le type en question, marié et candidat aux élections municipales, avait été retrouvé étendu sur le sol, inconscient et couvert de sang. Je savais que le sang n’était ni à lui ni à elle, et que tout cela s’était passé dans une maison dont le voisin le plus proche se trouvait à quinze kilomètres.

    La maison même où, quelques années plus tard, je passerais la quasi-totalité de mes vacances d’été.

    Quelques mois après la disparition, le type avait été jugé. Et même s’ils le déclarèrent innocent à cause du manque de preuves, le procès lui coûta les élections. Voilà tout ce que je savais sur Fabiana Orquera quand j’ai découvert cette lettre jaunie et froissée.

    Du moins c’étaient les faits. Car pour ce qui était des conjectures, il y en avait autant que d’habitants à Puerto Deseado : « C’était sûrement un rite satanique, ce n’était pas la première fois que le gars faisait disparaître quelqu’un. Et l’épouse… parce qu’on sait bien comment sont celles qui ont une tête de sainte nitouche ».

    Pour en revenir à la lettre, je la découvris par pur hasard. Je venais d’arriver à l’estancia[1] Las Maras au bout d’une heure et demie de route depuis Puerto Deseado. Après m’avoir offert quelques matés[2], Dolores et Carlucho, amis de mes parents depuis tant d’années que je les considérais comme ma tante et mon oncle, m’indiquèrent parmi les cinq chambres celle que j’occuperais cet été.

    J’eus droit à l’une des plus grandes. La majeure partie d’un des murs était occupée par une commode en bois massif qui aurait valu une fortune chez un antiquaire et par un miroir posé dessus. Dans les tiroirs, vides à part quelques boules de naphtaline, je rangeai les vêtements chauds que j’avais amenés pour passer l’été dans cette maison au milieu de la Patagonie. Je mis tous mes sous-vêtements dans le tiroir du bas et en le refermant j’aperçus un coin de papier jauni qui dépassait de sous la commode.

    C’était une vieille enveloppe. Quelqu’un y avait écrit, il y a très longtemps, avec des lettres hautes et serrées, la phrase « Pour celui qui la trouvera ». Comme seule indication de l’expéditeur, au dos, il y avait un cachet circulaire en cire rouge.

    Sans être trop sûr que ce soit une bonne idée, j’ouvris l’enveloppe pour en extraire une feuille de papier à lettres, fine et cassante, couverte d’une écriture de la même calligraphie :

    Estancia Las Maras, novembre 1998

    Ce furent dix-huit années de silence absolu, et dix-huit ans c’est beaucoup de temps. Il n’y a maintenant plus aucune raison de le cacher : Raúl est mort depuis presque une année et en ce qui me concerne, je ne sais quelle longueur de fil il me reste sur la bobine.

    C’est pour cela que j’ai décidé de raconter qui je suis et où j’ai enterré Fabiana Orquera.

    La réponse est à la portée de tous, dans les pages que personne ne lit ni ne se rappelle.

    NN

    Quand, pour la troisième fois, je terminai la lecture de la lettre, mon cœur battait très fort. Tandis que j’arpentais la chambre, je me demandais encore et encore qui pouvait bien être NN, ce qu’il avait fait de Fabiana Orquera et à quoi il se référait lorsqu’il écrivait que la réponse était à la portée de tous.

    C’est alors que quelqu’un ouvrit la porte de la chambre.

    2

    LAS MARAS

    ‒ Nous dînons dans cinq minutes, Nahuel, m’a dit Dolores Nievas en passant la tête.

    ‒ Merci, Lola, j’arrive.

    ‒ Ne tarde pas, tu sais comment est Carlucho, et elle disparut en refermant la porte derrière elle.

    Je regardais ma montre. Presque dix heures du soir, et il restait un bon moment de lumière du jour. Par la fenêtre je vis l’énorme soleil qui commençait à se cacher, allongeant les rares ombres de la meseta patagonique. Une petite construction en pierre que nous appelons « la Cabane » et une éolienne étaient les seules à se dresser à plus de cinquante centimètres du sol. Le reste n’était que terre grise et petits buissons entre ma fenêtre et l’horizon.

    Je remis la lettre dans l’enveloppe et la posai à côté de mes vêtements, tout en calculant que plus de quatorze années s’étaient écoulées depuis que NN l’avait écrite. De novembre 1998 à janvier 2013.

    Le 2 janvier pour être précis. La première fois depuis de nombreuses années que ma famille et les Nievas, propriétaires de Las Maras, ne passaient pas les fêtes de fin d’année ensemble. En novembre, mon père avait présenté des symptômes de préinfarctus et le médecin lui avait recommandé de rester en ville, près de l’hôpital. Malgré ses protestations, ma mère et moi l’avions obligé à passer Noël et le Nouvel An à la maison, même si cela voulait dire rompre avec une tradition qui avait plus d’années que moi.

    Cela fit que cette année les fêtes furent les plus bizarres de ma vie. J’étais habitué à les passer avec mes parents, bien entendu, mais pas chez eux. Pas à Puerto Deseado, à trinquer avec les voisins. Pour moi, le Nouvel An signifiait qu’à minuit cinq nos feux d’artifice étaient les seuls dans le ciel. Que, quand les assiettes de pralines étaient à moitié vides, Carlucho et mon vieux, tous deux à moitié ivres et dans les bras l’un de l’autre, chantaient la énième chacarera[3]. Qu’à quatre heures du matin, nous nous rendions compte qu’il commençait à faire jour et qu’alors nous tirions les rideaux pour prolonger un peu la fête.

    Ce fut justement cette nostalgie qui fit qu’en ce milieu de journée du 2 janvier, après avoir terminé les restes du repas de fin d’année, je décidai d’aller à Las Maras pour rendre visite aux Nievas. Je savais que ce ne serait pas la même chose que de passer les fêtes avec eux, surtout que la plupart des vingt et quelques qui avaient célébré le Nouvel An là-bas seraient déjà rentrés chez eux. Les seuls qui resteraient, jusque tard en janvier, comme toujours, ce seraient Carlucho et Dolores Nievas. Malgré tout, je voulus aller passer quelques jours avec eux à la campagne, sans téléphone, ni Internet, ni un seul gamin pour me crier dans la rue « Salut, prof ! ».

    C’est ainsi qu’après le dessert et quelques matés avec mes parents, j’ouvris la portière de la Fiat Uno et basculai vers l’avant le siège du conducteur. Mon chien Bongo secoua ses poils noirs, lança un petit aboiement en me regardant avec sa tête barrée de cicatrices et monta d’un bond. Durant les quatre-vingts kilomètres qui séparent Puerto Deseado de Las Maras, Charly García et moi chantâmes toutes les chansons de son album de Casandra Lange.

    3

    PABLO

    Comme chaque année à cette époque, quelques planches posées sur des tréteaux rallongeaient la table de la salle à manger. Les quatre convives s’étaient rassemblés à une extrémité. Carlucho Nievas était installé au bout, et à sa droite son épouse Dolores me faisait des signes pour que je me dépêche. En face d’elle, Valeria, l’unique fille du couple, minaudait avec son nouveau fiancé.

    ‒ Allez Nahuel, ça va refroidir, dit Carlucho en me voyant apparaître dans la salle à manger.

    Je m’assis à côté de Dolores, juste en face du fiancé de Valeria.

    ‒ Pardon de vous servir du réchauffé, mais on ne va pas jeter tout ça, dit Carlucho, montrant un plat dans lequel tenait difficilement une épaule d’agneau. Ce sont les restes de l’asado[4] que nous avons fait à midi pour dire au revoir aux derniers parents à partir.

    ‒ Que dis-tu, Carlos ? Si on me servait ça dans un restaurant, ça me coûterait un œil de la tête et l’autre en pourboire, dit le fiancé de Valeria.

    Le commentaire me parut plutôt idiot. Mais, je trouvai normal que le type profitât de toutes les opportunités pour marquer des points avec ses futurs beaux-parents. Après tout, il avait conduit trois-cent-cinquante kilomètres, dont soixante de piste, depuis Comodoro Rivadavia pour connaître les parents de Valeria.

    ‒ Les compliments, garde-les pour ma fille, répondit Carlucho, tout en plongeant un couteau à large lame dans la patte d’agneau.

    Le fiancé – il se nommait Pablo – commença à marmonner quelques excuses, mais il fut interrompu par le rire sonore de Carlucho qui termina de détacher un morceau de viande de l’os et le mit dans l’assiette de Pablo.

    ‒ Je t’ai bien expliqué comment est mon père, dit Valeria en riant, et elle l’embrassa sur la joue.

    Je détournai le regard, feignant un intérêt pour la nourriture.

    Carlucho continua à servir la viande jusqu’à ce que chacun ait son morceau. Dolores nous remplit les verres d’un Torrontés de la région de Salta et nous commençâmes à manger.

    La conversation tourna presque tout le temps autour des questions que posait Pablo à Carlucho sur la vie à la campagne. Combien de moutons par hectare, combien de laine par mouton et les silences au milieu pour des multiplications pertinentes ? Au moment du dessert – des restes de tiramisu et de lemon pie –, Pablo avait maintenant suffisamment d’informations pour savoir qu’avec Valeria il fallait que ce soit par amour. Le seul intérêt qui aurait sa place dans cette relation était l’intérêt bancaire.

    ‒ Valé nous a raconté que tu travailles dans l’informatique. Tu répares les ordinateurs ? demanda Dolores à son futur gendre.

    ‒ Pas exactement. Je développe des softwares.

    Carlucho et Dolores le regardèrent sans sourciller.

    ‒ Il fait des programmes qui s’exécutent dans un ordinateur, comme Word, ai-je traduit.

    ‒ Merci, Nahuel, dit Pablo. Je travaille pour l’entreprise la plus importante de Comodoro dans le secteur. La majeure partie de nos clients sont des pétroliers.

    ‒ Et ça te plaît ?

    Il me regarda, déconcerté.

    ‒ Je ne me plains pas. On travaille beaucoup, mais c’est une des entreprises qui paye le mieux les programmeurs dans le pays. Et toi, Nahuel, que fais-tu ?

    ‒ Je suis professeur.

    ‒ Des écoles ? me demanda-t-il, comme s’il n’avait pas bien compris.

    ‒ Oui, cours élémentaire, des gamins de sept et huit ans.

    Pablo amena à sa bouche la cuillère remplie de dessert. Quand il la retira, parfaitement propre, il s’en servit pour me désigner.

    ‒ Je t’admire, moi je ne pourrais pas.

    Merci pour l’information, pensai-je. Révélateur.

    ‒ Ce n’est pas fait pour n’importe qui, intervint Dolores, qui était retraitée de l’école où je travaillais. Les enfants sont difficiles, et même parfois cruels. Si tu n’arrives pas à les intéresser, c’est foutu. Mais Nahuel a une patience impressionnante. Ils l’adorent.

    ‒ Toi, tu ne serais pas un petit peu partiale parce que tu m’aimes bien ?

    ‒ Un petit peu partiale ? lâcha Valeria, puis elle continua d’une voix aiguë. « Que veux-tu manger aujourd’hui, Nahuelito ? Non, laisse, ne te lève pas, je t’apporte le maté au lit ».

    ‒ C’est qu’il est difficile de ne pas l’aimer celui-là. C’est le fils que je n’ai jamais eu, expliqua-t-elle à Pablo, et elle me tapota doucement l’arrière du crâne.

    Tandis qu’il acquiesçait d’un sourire, le regard de Valeria et le mien se croisèrent durant une seconde. J’essayai d’avaler, mais je n’y arrivai pas.

    ‒ C’est-à-dire qu’il est à la fois un très bon enseignant et un gars aimé.

    ‒ Et en plus, écrivain, ajouta Dolores, sans me laisser le temps d’ouvrir la bouche.

    ‒ Sans blague, sérieusement ?

    ‒ Attends, tout ce qu’elle te dit, prends-le comme si ça venait de ma mère. Je suis un professeur tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Ça, c’est ma profession. Pour ce qui est de l’écriture, c’est plus un hobby qu’autre chose. Mais de là à…

    ‒ Des romans ? m’interrompit Pablo.

    ‒ Non, cela me serait impossible. Je n’ai aucune imagination. Si je devais mettre un nom sur ce que je fais, je dirais que c’est plus du journalisme que de l’écriture. De temps en temps, je publie un article dans El Orden, le journal de Deseado.

    ‒ Un peu plus que de l’amateurisme, alors. Et tes articles traitent de quels sujets ?

    ‒ C’est difficile à définir, en vérité. On pourrait dire que c’est du journalisme d’investigation, mais au niveau local. Par exemple, en octobre j’ai écrit deux pages qui expliquaient comment un terrain qui était destiné à devenir la place d’un quartier s’est converti en locaux commerciaux après une nuit de poker entre un conseiller municipal et ses copains.

    ‒ « La place des autres jeux », dit Carlucho.

    ‒ C’est comme cela que s’intitulait l’article et c’est aussi comme ça que les gens de ce quartier appellent cette zone qui ne s’est jamais transformée en place, ajouta Dolores.

    ‒ C’est-à-dire que pour ce qui est du gars aimé, ça dépend à qui on demande, conclut Pablo.

    ‒ Complètement. Il y a un tas de gens dans la bourgade, qui ne peuvent pas me voir. C’est parfaitement compréhensible, en vérité. Quand quelqu’un s’emploie à sortir au grand jour les torchons sales, dans un aussi petit patelin, il est inévitable de ne pas faire plaisir à tout le monde. De fait, de temps en temps, je reçois telles ou telles menaces. Surtout des appels téléphoniques.

    ‒ Et ça ne te fait pas un peu peur ? demanda Pablo.

    ‒ Peur, non. Je me protège, ça, c’est sûr. Si je reçois des menaces, automatiquement, la semaine suivante, je les publie dans le journal. Si je sais de qui elles proviennent, je le fais avec les noms et les prénoms, sinon je transcris le message qu’ils m’ont laissé et je rédige une lettre ouverte.

    ‒ Ou bien tu vas les chercher chez eux et tu en viens aux mains, précisa Valeria.

    ‒ Ce sont des cas particuliers où j’ai perdu les pédales. En général je me limite à les publier. Une fois que c’est rendu public, tu crois qu’ils vont oser s’en prendre à moi ? De plus, tout ce que je publie n’est pas sujet à polémique.

    ‒ C’est un hobby beaucoup plus risqué que le mien. Je suis numismate. Les pièces de monnaie sont bien plus inoffensives.

    ‒ Et as-tu réfléchi à une nouvelle histoire, Nahuel ? demanda Valeria.

    ‒ J’ai envie d’écrire sur Fabiana Orquera. Ça m’est venu il n’y a pas longtemps.

    Moins d’une heure pour être exact, mais ça je préférai ne pas leur dire.

    En entendant le nom de Fabiana Orquera, les parents de Valeria arrêtèrent de mâcher.

    ‒ Café ? demanda Dolores.

    Tout le monde répondit oui.

    4

    LA DISPARITION

    ‒ Fabiana Orquera, expliqua Valeria à Pablo, est une femme qui a disparu dans cette maison au début des années 80.

    ‒ Mars 1983, précisa Carlucho.

    ‒ Comment a-t-elle disparu ?

    ‒ J’avais votre âge, et je venais de prendre en charge cette propriété, nous dit Carlucho. Ma mère était morte depuis peu et mon père, qui était proche des soixante-dix ans, ne pouvait plus rester seul dans cette maison. S’il lui arrivait quelque chose, il était à quinze kilomètres du voisin et à quatre-vingts de l’hôpital. C’est pour cela que je l’ai convaincu de venir à Puerto Deseado.

    ‒ Et personne n’est resté dans l’estancia ?

    ‒ Ce n’est pas possible de la laisser sans personne, rit Carlucho. Et moi je ne pouvais pas déménager ici, parce que tout se passait très bien à Puerto Deseado avec l’atelier de mécanique, j’ai donc engagé un ouvrier agricole au mois pour s’occuper de la propriété. Moi, je viendrais chaque fin de semaine, quand je le pourrais, pour superviser et aider.

    ‒ Et une seule personne suffit pour s’occuper de vingt mille hectares ?

    ‒ Pour les tâches courantes, oui. Un gars avec de l’expérience suffit amplement pour rassembler les moutons, vérifier les clôtures et entretenir la maison. Maintenant, pour des travaux plus lourds, comme la tonte ou le marquage, il faut embaucher d’autres personnes. Et de fait, c’est comme ça que nous procédons depuis trente ans.

    Pablo ne semblait pas du tout satisfait de la réponse. Je supposai que pour quelqu’un qui ne savait rien de la vie à la campagne en Patagonie, il était impossible d’imaginer que, sur une superficie de la taille d’un petit pays, peut vivre une seule personne. Et encore moins, que son moyen de transport soit le cheval.

    ‒ Et comme nous avons installé l’ouvrier dans la petite maison qui est là-bas de l’autre côté des tamaris, celle-ci est restée inoccupée. Alors je me suis dit que les fins de semaine où je ne venais pas, je pouvais la louer pour me faire un peu d’argent en supplément.

    ‒ Mais, ça marche dans un endroit comme celui-ci ? demanda Pablo. Deseado est à quatre-vingts kilomètres, et Comodoro, presque à trois cents. Quel genre de personne loue une maison au milieu de rien ?

    ‒ Moi aussi, j’avais la même crainte la première fois où j’ai mis l’annonce dans El Orden, il y a trente et quelques années. Et il s’est trouvé que, sans le vouloir, j’ai découvert qu’il y avait un grand nombre de gens mariés qui cherchaient une location.

    ‒ Des couples ? demanda Pablo.

    ‒ Plutôt chacun de son côté, corrigea Carlucho.

    Pablo regarda Valeria, perplexe.

    ‒ Voyons, mon amour, imagine que tu vis dans un patelin où chacun sait tout sur son voisin. Imagine que tu es marié et que tu trompes ta femme. Si tu vas chez ta maîtresse, c’est sûr, quelqu’un va te voir. Tu ne peux pas aller à l’hôtel, parce que si le réceptionniste ne te connaît pas personnellement, il connaît quelqu’un de ta famille. Que fais-tu ?

    ‒ Je vais passer un week-end avec ma maîtresse à Comodoro.

    ‒ Tu penses comme quelqu’un de la ville, rit Valeria, pas comme quelqu’un d’un village. Comodoro est plein de gens de Deseado. N’oublie pas que nous habitons une petite agglomération, sans université, sans grand magasin de vêtements et, il y a encore peu, sans opticien. Et où allons-nous quand nous avons besoin de tout cela ? À Comodoro.

    ‒ C’est-à-dire que vous louiez cette maison pour des aventures extra-conjugales.

    ‒ Non. Je louais cette maison pour que des gens viennent passer quelques jours à la campagne et je ne posais de questions à personne.

    ‒ Et que s’est-il passé avec Fabiana Orquera, Carlucho ? coupai-je pour remettre la discussion sur les rails.

    ‒ Raúl Báez est venu me voir un après-midi à l’atelier pour me demander si je pouvais lui louer la maison pour le week-end prochain. Je lui répondis que non, car j’avais prévu d’y aller. De fait, je devais accompagner ton père, ajouta-t-il en me regardant. Nous allions chasser les guanacos et pêcher à Cabo Blanco. À l’époque nous étions célibataires, même s’il fréquentait déjà ta mère et si Dolores et moi étions sur le point de nous marier.

    Mon père et Carlucho étaient amis depuis toujours. Ils s’étaient connus à l’école, la même où j’étais allé et où maintenant je travaillais. Soixante-cinq ans plus tard, ils avaient toujours envie de se voir. Mon père, retraité depuis plusieurs années, allait deux ou trois fois par semaine prendre un maté à l’atelier. Et, sans son problème de cœur, le jour où Carlucho s’apprêtait à nous conter l’histoire de Fabiana Orquera, il aurait été près de lui à Las Maras, l’aidant à vider les bouteilles de Torrontés.

    ‒ Mais Báez insista. Il me dit qu’il avait besoin que ce soit cette fin de semaine à tout prix et me proposa de payer le double.

    ‒ Typique de quelqu’un qui ne manque pas de fric, ajouta Pablo.

    ‒ Non. Ce n’était pas ça. Il avait plutôt le comportement du gars désespéré qui te demande une faveur.

    ‒ Il t’a dit pourquoi il voulait la maison ? demanda Valeria.

    ‒ Ça, c’est la question que j’avais appris à ne pas poser. Je lui ai simplement dit que j’acceptais le double. En fait, dit-il en baissant la voix jusqu’à devenir presque inaudible, avec cet argent j’ai acheté…

    Il leva la main gauche pour nous montrer la paume et avec le pouce indiqua l’alliance à son gros doigt.

    ‒ Mais ce détail, ce serait mieux que tu ne le mentionnes pas, Nahuel, parce que Dolores n’aime pas que j’en parle.

    ‒ Ce n’est pas que ça me déplaise que tu le mentionnes, la voix de sa femme se fit entendre d’un coin de la salle à manger et sa silhouette bien en chair apparut avec cinq tasses fumantes posées sur un plateau. Ce qui ne me plaît pas, c’est que tu relies ces alliances, qui symbolisent toute une vie passée ensemble, avec quelque chose d’aussi laid. Si ce jour-là, à l’atelier, Báez ne t’avait pas payé, c’est à un autre que tu aurais loué la maison ou à qui tu aurais réparé la voiture, oui ou non ? Et les alliances tu les aurais achetées de toute manière.

    ‒ Bien sûr que oui, femme, dit Carlucho en souriant à Dolores. Pour en revenir à l’histoire, Báez me dit qu’il passerait le week-end dans la maison et que le lundi suivant il me laisserait la clef dans la boîte

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