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Le manuscrit perdu du Petit Prince
Le manuscrit perdu du Petit Prince
Le manuscrit perdu du Petit Prince
Livre électronique350 pages3 heures

Le manuscrit perdu du Petit Prince

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À propos de ce livre électronique

L'ESSENTIEL EST INVISIBLE POUR LES YEUX

PARFOIS AUSSI, LES MOTIVATIONS D'UN ASSASSIN

Argentine, 1930. Douze ans avant d'écrire Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry travaille en Patagonie argentine comme pilote d'avion. Il profite du moindre moment de temps libre, que ce soit dans un hôtel, sur un aérodrome ou même en plein ciel, pour remplir de son écriture serrée ses inséparables petits carnets.

Barcelone, de nos jours. Santiago Sotomayor, un détective privé au bord de la faillite, est engagé par l'une des femmes d'affaires les plus importantes du pays. Sa fille Ariadna s'est rendue en Patagonie pour y étudier un manuscrit inédit d'Antoine de Saint-Exupéry. Ce devait être un voyage de trois mois, mais cela fait presque un an qu'elle est là-bas. Sa mère soupçonne un endoctrinement par une secte. Cependant, lorsque Santiago arrive en Patagonie, il découvre qu'Ariadna a des problèmes beaucoup plus graves.

UN MANUSCRIT QUI VAUT DES MILLIONS

UN HOMME TORTURÉ PUIS ASSASSINÉ

UNE COURSE À TRAVERS LE MONDE À LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ

Ne passe pas à côté de ce thriller addictif qui te fera voyager en Patagonie, à Barcelone, New York et Paris. Rejoins vite les plus de 200 000 lecteurs.

LangueFrançais
ÉditeurCristian Perfumo
Date de sortie26 mai 2025
ISBN9798230222422
Le manuscrit perdu du Petit Prince
Auteur

Cristian Perfumo

Cristian Perfumo lives in Spain and writes thrillers set in Patagonia, where he grew up. His first novel, The Sunken Secret, was inspired by a true story and has sold thousands of copies around the world. A successful self-published author, he has an established Kindle Direct Publishing following in Spanish-speaking countries. The Arrow Collector is his second novel published in English. Its original, Spanish version won the 2017 Amazon Annual Literary Award for Independent Spanish-Language Authors. Learn more about his work at www.cristianperfumo.com/en.

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    Aperçu du livre

    Le manuscrit perdu du Petit Prince - Cristian Perfumo

    PROLOGUE

    Tel un vieillard centenaire, l'hôtel Touring a non seulement vu mourir ses aînés, mais aussi des jeunes pleins de vie. À ses côtés, ont fermé, ouvert et à nouveau fermé, des magasins de chaussures, des librairies, des kiosques, des bars et des boutiques de toutes sortes et de toutes couleurs. Il n'y a pas de commerce aussi ancien dans toute la ville de Trelew. Peut-être même dans toute la Patagonie.

    La façade fissurée témoigne, elle aussi, du passage du temps. Et dans ses entrailles, il y a des souvenirs sous forme de photographies et de registres couvrant plus d'un siècle. Si nous ouvrions celui qui correspond à l'année 1930, nous découvririons que, durant trois nuits du mois d'août, l'occupant de la chambre 104 se prénommait Antoine et était français. Dans la colonne réservée à la profession, figurerait « pilote d'avion ». Si nous pouvions voyager dans le temps vers ce rude hiver et si nous nous arrangions pour qu'Antoine nous invite à sa table, il laisserait de côté le carnet sur lequel il écrit frénétiquement et se consacrerait à la conversation, comme s'il nous connaissait depuis toujours.

    Il nous raconterait qu'il vit en Argentine depuis deux ans et qu'il travaille pour l'Aéropostale, un service aérien de transport de courrier opérant dans le monde entier à partir de capitales françaises. Il nous expliquerait aussi qu'il a la charge de la ligne de Patagonie. Trois fois par semaine, il monte dans son avion, un Latécoère 25, et il parcourt deux mille quatre cents kilomètres pour aller de Buenos Aires à Río Gallegos, avec sept escales entre les deux villes.

    Trelew est l'une d'elles. Elle ne devait durer que deux heures, mais elle s'est étendue à plusieurs jours. Un des haubans de l'aile gauche de l'avion s'est rompu et il est impossible de le réparer tant que la pièce de rechange n'est pas arrivée de Buenos Aires.

    Si nous étions une femme, il ne serait pas très difficile d'obtenir du Français qu'il nous propose de monter dans sa chambre. Nous serions surprises de découvrir près du lit deux gros sacs en toile dégageant une forte odeur de carburant. Sans que l'on ait à poser la question, il nous expliquerait que le courrier est sacré.

    Et si, après avoir fait l'amour, tandis que nous regardons le plafond, nous lui demandions comment il imagine sa vie dans quinze ans, qui sait ce qu'il nous répondrait ? Être  un grand pilote, peut-être. Marié, peut-être. Avec des enfants, peut-être.

    Quoi qu'il imagine, cet homme est incapable de visualiser ce qui lui arrivera réellement. Il ignore qu'il y aura une autre guerre mondiale et qu'il mourra au service de son pays. Il ignore que son nom sera connu dans le monde entier. Il ignore que, quelques mois avant que son avion ne soit abattu par les nazis au large de Marseille, il publiera un conte pour enfants qui deviendra le livre le plus vendu et le plus traduit du XXᵉ siècle.

    Au cours de cette froide nuit dans l'hôtel Touring, Antoine de Saint-Exupéry n'est qu'un homme parmi les hommes. Il reste encore treize années avant qu'il ne publie Le Petit Prince et quatorze avant qu'il ne meure sans avoir connu son succès.

    1

    Après avoir laissé derrière moi les Tours Vénitiennes et la Fontaine magique, j'attaquai la dernière volée de marches escaladant la montagne de Montjuïc. Arrivé aux gradins en ciment, au pied du palais qui abrite le Musée national d'Art de Catalogne, je choisis de m'asseoir le plus loin possible de la femme que je suivais depuis une semaine. Je me postai entre un couple de retraités nordiques et un groupe de jeunes filles asiatiques qui se protégeaient du soleil sous de larges chapeaux. Pour une raison ou une autre, ce matin-là, devant le musée, il n'y avait aucun musicien en train de jouer ni vendeurs proposant bière-beer-eau-coca cola.

    Depuis mon arrivée à Barcelone, il y a plus de vingt ans, mon point de vue préféré était le panorama que l'on découvrait en atteignant les dernières marches du musée. Et, même si ce jour-là, je n'étais pas venu pour admirer le paysage, durant quelques secondes, je me permis de détacher le regard de mon objectif. Malgré la distance, les édifices à nos pieds se distinguaient clairement.

    Quand je me recentrai sur la femme, elle était assise et soufflait nonchalamment la fumée de sa cigarette. Je surveillais chacun de ses mouvements depuis une semaine et je n'arrivais toujours pas à croire qu'elle avait presque dix ans de plus que moi. À raison de trois fois par semaine à la salle de sport, son physique semblait bloqué à trente ans, alors qu'elle en avait cinquante et un. Elle s'appelait Rebeca Lafont et tout ce qu'elle avait en élégance, elle l'avait aussi en puissance.

    Selon les données publiques, elle était propriétaire de la plus grande chaîne de discothèques d'Espagne. Et d'après mes contacts dans la police, on la soupçonnait d'être en relation avec plusieurs bandes de trafiquants de drogue parmi les plus importantes d'Europe.

    À sa façon de regarder la ville, je l'imaginai en train d'essayer de résoudre un dilemme. Moi aussi, j'aimais bien ce genre d'endroit pour réfléchir. Et, dernièrement, j'avais vraiment besoin de réfléchir.

    Après être restée quasiment immobile durant une demi-heure, Rebeca Lafont se remit debout. Plutôt que de descendre la place d'Espagne par où elle était venue, elle longea un mur latéral du musée jusqu'à un escalier en piteux état qui descendait la pente de la colline de Montjuïc à travers un bosquet devenant à chaque marche de plus en plus sale et mal entretenu. Je me retrouvai à la suivre sur un terrain miné par des canettes vides, des crottes de chien et des petits sacs ayant contenu des comprimés ou de la cocaïne. Barcelone est ainsi ; on peut passer du meilleur au pire en seulement cent cinquante mètres.

    J'avançais derrière elle avec prudence. Après une petite fontaine qui n'avait pas vu d'eau depuis les Jeux olympiques de 1992, elle prit un chemin disparaissant sous les lauriers et les arbousiers laissés à l'abandon et qui servaient de refuge aux oiseaux, hérissons et touristes pressés par des nécessités physiologiques.

    Elle s'arrêta pour consulter son téléphone. En inclinant la tête, sa robe, décolletée dans le dos, révéla un grain de peau pour lequel il était difficile de ne pas perdre la tête.

    Nous étions juste à mi-chemin entre la zone touristique et le quartier ouvrier, un véritable point aveugle de la ville. Ce qui pourrait se passer au sein de ces fourrés, seuls les oiseaux le verraient. Et, ce jour-là, ce que virent les oiseaux, ce fut le bras d'une personne se refermant sur le cou d'une autre personne jusqu'à l'empêcher de respirer.

    Mon cou.

    Je lançai des coups de pied, me contorsionnai et tentai de mordre toute chair laissée à ma portée par mon attaquant. Cependant, un deuxième homme arriva et me saisit par les chevilles avec la force d'un gorille. À eux deux, ils me descendirent par l'escalier en ruine sans que je puisse opposer la moindre résistance. Ils n'avaient même pas pris la peine de masquer leurs visages.

    Une minute plus tard, ils me jetaient à l'arrière d'une fourgonnette de location. Sans prononcer une seule parole, ils m'attachèrent les pieds et les mains. Ensuite, l'un d'eux empoigna mes mollets pendant que l'autre me retirait une chaussure.

    – Qu'est-ce que vous fichez ? demandai-je pour la énième fois.

    Leurs visages restèrent impassibles. Je leur donnais entre quarante et cinquante ans. Les tatouages mal exécutés et les dents manquantes faisaient qu'il était difficile d'évaluer les âges avec plus de précision.

    Le plus costaud me montra une paire de cisailles rouillées.

    – Pour qui travailles-tu ? demanda-t-il.

    Je gardai le silence.

    L'outil se referma à quelques centimètres de mes yeux avec un grincement désagréable. Il était vieux, très vieux, et les tranchants, autrefois affilés, étaient à présent rongés par la rouille.

    – As-tu déjà essayé de couper de la viande avec un couteau émoussé ? Elle est déchiquetée.

    Je ne sus s'il attendait une réponse, et je préférai me taire.

    – Pour qui travailles-tu ? insista-t-il.

    Je pris une seconde pour réfléchir et, immédiatement, je sentis le froid du métal sur mon petit orteil. Si je ne parlais pas, je sortirais estropié à vie de la fourgonnette. Mais, si je parlais, le résultat pourrait être pire.

    – Je vais te le demander une dernière fois.

    – Je ne sais pas... Le travail m'a été proposé par un intermédiaire.

    Les cisailles se refermèrent avec un claquement métallique. Je serrai les dents, mais la douleur ne vint pas. En baissant les yeux, je vis que mon ravisseur avait reculé les cisailles de quelques centimètres avant de les refermer.

    Dans mon dos, la portière arrière s'ouvrit et la fourgonnette tangua sous le poids d'un nouvel occupant. Le moins costaud des deux m'attrapa par les épaules et me fit pivoter pour que je puisse voir qui venait d'entrer.

    Une paire de chaussures Gucci en peau de lézard amorçait les jambes, fortes comme deux chênes, de Rebeca Lafont.

    La femme me saisit par les cheveux et m'obligea à la regarder dans les yeux.

    – À partir de maintenant, annonça-t-elle, à chaque réponse qui ne me plaît pas, Fernando te sectionne un orteil. Et quand il ne t'en reste plus, on continue avec les mains. C'est donc toi qui décides avec combien de moignons tu sors d'ici.

    J'avalai ma salive et acquiesçai énergiquement. Il y a une semaine, les cent euros par jour plus les frais, négociés avec le client, représentaient, à mes yeux, une petite fortune. À présent, ils me paraissaient une misère.

    – Je m'appelle Santiago Sotomayor, je suis enquêteur privé.

    – Ça, je le sais déjà. Qui t'a engagé pour me suivre ?

    – Mateo Vélez.

    – Mon fiancé ? demanda-t-elle, les yeux écarquillés.

    Les ravisseurs échangèrent un regard perplexe. Sur un geste de la femme, le dénommé Fernando referma un peu plus les cisailles, jusqu'à toucher la peau de mon orteil.

    – Non, s'il vous plaît ! Je dis la vérité.

    – Tu peux le prouver ?

    – Il y a une caméra dans mon bureau.

    Rebeca Lafont me regarda, les sourcils froncés et la bouche étirée par un sourire.

    – Sérieusement ? Mon fiancé ? répéta-t-elle, avec encore plus d'incrédulité.

    – C'est courant, madame Lafont. Quatre-vingts pour cent de mes clients sont des personnes qui doutent de leur conjoint.

    Elle acquiesça. Son sourire, loin de s'effacer, s'élargit. Puis elle éclata de rire.

    – Je n'ai aucune raison de vous mentir, insistai-je. 

    – Et moi qui pensais que c'était sérieux.

    Après avoir secoué deux ou trois fois la tête, Lafont descendit du véhicule.

    – Que fait-on de lui, cheffe ?

    – Ce qu'il convient de faire, répondit-elle en fermant la portière.

    Celui qui tenait les cisailles haussa les épaules et mit une main dans son dos.

    – Je regrette, mon ami, dit-il avec une fausse compassion.

    – Non, s'il vous plaît. Je ne...

    Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase. La main du ravisseur venait de réapparaître... avec un portefeuille en cuir.

    – Toutes nos excuses, monsieur Sotomayor, dit-il en passant au vouvoiement, puis il me tendit un billet de deux cents euros. En souhaitant que ce soit suffisant pour vous acheter de nouveaux vêtements. Ceux que vous portez sont fichus.

    J'acceptai le billet. Mais plus pour remplir mon garde-manger que pour rénover ma garde-robe.

    – En échange, nous vous demandons de ne parler à personne de ce regrettable malentendu. Et, s'il vous plaît, cessez sur-le-champ de travailler pour monsieur Mateo Vélez.

    Je ne laissai à personne le temps d'ajouter un mot. Je remis ma chaussure et déguerpis de la fourgonnette par les rues de Poble Sec, courant comme jamais je n'avais couru en treize années de carrière.

    2

    On dit que si un plan ne fonctionne pas sur le papier, il est impossible qu'il fonctionne dans la vraie vie. Ma feuille de papier, c'était un tableau Excel, et mon plan, ce que je devais gagner le mois prochain pour payer les arriérés de Marcela, l'auxiliaire de vie de maman.

    Je pris un maté tout en vérifiant les chiffres pour la énième fois. Ils étaient encore plus dans le rouge qu'il y a deux jours, lorsque l'incident avec Rebeca Lafont m'avait fait perdre mon unique client rentable.

    La seule solution, pour faire face aux dépenses à venir, était de renoncer au trou à rat que je louais dans le quartier du Raval et qui me servait à la fois de logement et de bureau. Mais sans un local pour recevoir les rares clients qui se présentaient, ce serait la fin. Un éleveur qui mange sa dernière vache parce qu'elle ne lui donne plus assez de lait.

    En fond sonore, Soda Stereo chantait « Tarda en llegar, y al final hay recompensa », ça prend du temps, et finalement on est récompensé. Très bien pour une chanson, mais quand ça fait une vingtaine d'années que tu pédales dans la semoule, il est difficile de ne pas perdre espoir.

    La sonnette retentit. Dans l'interphone, une voix de femme demanda à parler au détective Santiago Sotomayor. En fait, je suis enquêteur, pas détective. Il y a des différences importantes au niveau légal et en ce qui concerne le diplôme, mais si mes clients veulent m'appeler ainsi, ce n'est pas moi qui vais les contredire.

    Avec des gestes mécaniques, je cachai le maté et la thermos dans un tiroir du bureau et remplaçai Soda Stereo par Joan Manuel Serrat. À la première rencontre avec un client, je préférais ne pas montrer mon côté argentin. Les gens se méfient de ce qu'ils ne connaissent pas.

    J'ouvris la porte et me maudis de ne pas avoir regardé par le judas. Appuyée au cadre de la porte, vêtue d'un tailleur de style cadre supérieur, Rebeca Lafont me souriait. Par réflexe, je jetai un regard par-dessus son épaule.

    – Ne vous inquiétez pas, je suis venue seule. Bonjour à vous aussi.

    Elle interpréta mon silence comme une invitation à entrer puis à s'asseoir sur la chaise face à mon bureau. Elle regarda l'heure sur une montre qui valait plus que l'ensemble des meubles de la pièce. Je repérai sur son menton une ancienne cicatrice que je n'avais pas remarquée jusqu'à présent. Le maquillage la recouvrait presque entièrement.

    – Encore une fois, permettez-moi de m'excuser pour l'autre jour, monsieur Sotomayor.

    – Vous n'avez pas apporté la paire de cisailles ?

    Elle rit et sortit de son sac à main un étui à cigarettes en argent.

    – Ça vous dérange si je fume ?

    – Je préférerais que vous évitiez. Mais si vous en avez besoin, allez-y.

    Lafont alluma une cigarette. Je ne pourrais pas dire qu'elle me souffla la fumée dans la figure, mais elle ne fit rien pour la diriger dans une autre direction.

    – Je veux vous engager.

    Je levai les yeux. C'est sûr, je ne m'y attendais pas.

    – Ces derniers jours, j'ai beaucoup de travail.

    – C'est évident. Et voilà pourquoi je vous trouve dans votre bureau un mardi matin à onze heures.

    Je soutins son regard. J'avais besoin d'argent, mais j'avais encore plus besoin de rester en vie. Et quelque chose me disait que, pour cela, il valait mieux la tenir loin de moi.

    – Au moins, écoutez-moi avant de me donner une réponse.

    – Très bien. Je vous écoute.

    D'un côté, j'avais peur de lui tenir tête, d'un autre, je n'avais rien de mieux à faire dans la journée que de continuer à me lamenter sur l'état de mes finances.

    – Vous êtes argentin, n'est-ce pas ?

    – Oui.

    – Pourtant, vous parlez comme si vous étiez espagnol.

    – Parce que je suis aussi espagnol.

    – Pour ce travail, j'ai besoin d'un Argentin.

    J'ouvris le tiroir du bureau et sortis la thermos. Je préparai un maté et le bus en la regardant dans les yeux.

    – Explique-moi ton problème, et je vois si je peux t'aider, dis-je avec le plus authentique accent portègne.

    Je n'avais toujours pas l'intention de travailler pour elle, mais je ne pus résister à l'envie de voir sa réaction devant mon changement d'accent. En général, les gens étaient surpris et me demandaient si, réellement, j'étais argentin ou espagnol, refusant la possibilité des deux en même temps. Nous sommes habitués à ce qu'un objet rentre dans une boîte ou dans une autre, mais jamais dans les deux.

    Elle, en revanche, eut à peine une grimace de satisfaction.

    Sur un smartphone de dernière génération, elle me montra la photo d'une jeune femme posant devant des montagnes grises et affilées. Au-dessus de l'écharpe pointait un ravissant sourire. Les énormes formations granitiques qui apparaissaient derrière elle faisaient penser à la gueule d'un requin géant.      

    – C'est ma fille, elle s'appelle Ariadna. La photo a été prise dans la cordillère des Andes, en Patagonie argentine.

    J'observai de plus près l'image. Si le sourire et la forme des yeux étaient identiques à ceux de sa mère, Ariadna n'avait pas hérité la peau couleur olive et les yeux noirs de sa mère. Par conséquent, impossible de lui attribuer l'étiquette de brunette méditerranéenne.

    La fille de Rebeca Lafont était d'une beauté plutôt nordique, peut-être scandinave. Ou celte.

    Elle n'avait pas non plus les cheveux raides de sa mère. Les siens tombaient en de douces ondulations bien nettes avec une teinte cuivrée me rappelant la marmite qu'utilisait ma grand-mère pour confectionner les garrapiñadas.

    Je zoomai sur le visage. De subtiles taches de rousseur parsemaient son nez et ses pommettes, soulignant l'intensité du bleu de ses yeux. Pas le bleu froid de la glace ou de l'acier, mais celui d'une mer chaude dans laquelle il est impossible de ne pas plonger. 

    La photographie m'apporta deux certitudes : premièrement, malgré les différences physiques, Ariadna Lafont avait la beauté magnétique de sa mère. Deuxièmement, elle avait autour de trente-cinq ans, ce qui voulait dire que Rebeca l'avait eue quand elle était adolescente.

    – Ariadna termine son doctorat en Histoire à l'université autonome de Barcelone. Elle s'est rendue en Patagonie pour finaliser sa thèse sur Antoine de Saint-Exupéry.

    – L'auteur du Petit Prince ?

    – Lui-même. Elle a toujours été obsédée par l'écrivain. Depuis toute petite, Saint-Exupéry, c'est son monde. Et il se trouve que l'homme a vécu quelque temps en Argentine.

    – Je ne le savais pas.

    – Moi non plus.

    – Vous pensez qu'il est arrivé quelque chose à votre fille ?

    La femme regarda à nouveau la photo sur son téléphone.

    – C'est ce que je veux que vous découvriez. Elle était partie pour trois mois, et elle est là-bas depuis presque une année.

    – Vous êtes restées en contact ?

    – Oui, elle m'appelle chaque semaine.

    – Je ne comprends pas.

    – Je veux que vous trouviez ce qu'Ariadna me cache. Il se passe quelque chose. Je le sais, je suis sa mère.

    – Vous croyez qu'elle est en danger ?

    – Elle pourrait l'être.

    La femme tira une longue bouffée de sa cigarette.

    – Je crois qu'elle est entrée dans une secte. Deux mois après son arrivée en Argentine, elle quittait l'hôtel où elle logeait pour aller vivre avec un homme.

    – Peut-être un coup de foudre, suggérai-je.

    Elle m'arracha le téléphone avec un geste de désapprobation et me montra une photo sur laquelle on voyait sa fille à côté d'un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Lui aussi avait les yeux bleus, mais plus beaucoup de cheveux sur le crâne.

    – Il s'appelle Cipriano Lloyd et il a soixante-cinq ans. À quelques années près, il pourrait être son grand-père. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'ils vivent ensemble loin de tout.

    Et moi, comme la majorité des habitants de Buenos Aires, je ne connaissais absolument pas la région. Le peu que je savais sur la Patagonie, je l'avais lu dans des romans policiers pour lesquels je m'étais récemment découvert une passion. Apparemment, il y avait là-bas des habitations qui pouvaient se trouver à quinze ou vingt kilomètres du plus proche voisin.

    – J'aimerais vous engager pour que vous alliez dans le coin et que vous découvriez pourquoi ma fille vit avec un vieux au milieu de nulle part. Le patelin le plus proche se nomme Gaiman et, bien que je n'aie pas l'adresse exacte de Lloyd, je pense que vous n'aurez pas trop de difficultés pour la trouver.

    – Madame Lafont, pourquoi moi et pas un autre ? Après tout, je n'ai pas vraiment accompli de grandes choses au service de votre fiancé.

    – Dans une telle situation, Sotomayor, n'importe qui aurait craché le morceau. Et si j'ai découvert que vous me suiviez, ce fut par le

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