Pieter De Corte

C’est durant l’hiver 1886-1887, dans une librairie de Nice, que Nietzsche découvre la première édition française des Notes écrites dans le souterrain, œuvre du traducteur Ilia Halpérine-Kaminsky et du poète français Charles Morice. C’est par l’intermédiaire de cette belle infidèle, intitulée L’esprit souterrain, que Nietzsche pénètre pour la première fois l’œuvre de Dostoïevski, « seul psychologue », affirme-t-il, « dont j’ai eu quelque chose à apprendre ». L’insistance sur la finesse psychologique de l’écrivain russe est en effet un élément fondamental de la réception nietzschéenne, qui se fixera sur la figure dostoïevskienne de « l’homme souterrain » des Notes, mais aussi celles du « nihiliste » des Démons et du bagnard sibérien des Souvenirs de la maison des morts. La « psychologie du souterrain » du dernier Nietzsche et ses réflexions sur la nature du nihilisme européen ont donc pu être influencés, durant les deux dernières années de sa vie consciente, par la lecture de Dostoïevski. Tout en rendant justice à cette influence, nous tenterons cependant de mettre en lumière les profondes divergences qui conduisent ces deux observateurs du nihilisme contemporain à défendre, en réponse au malaise de l’homme souterrain, des attitudes fondamentalement différentes : « Dionysos contre le Crucifié… ».

Most readers of Nietzsche are unfamiliar with the notion of “great politics”, which appears only occasionally in his writings, oftentimes referring to its conventional meaning of large-scale power politics and foreign policy. A close reading of Nietzsche’s published works, letters and Nachlass reveals “great politics” as a recurring theme in his thought, especially by the end of the 1880s. Against the backdrop of Bismarck’s große Politik of German unification and power, Nietzsche appropriates the notion of “great politics” and provides it with a new meaning, firmly
rooted in a philosophy chiefly concerned with the question of culture. But while the “problem of culture” certainly is of paramount importance to Nietzsche, it is absolutely necessary to come to terms with the political aspects of Nietzsche’s thought in order to fully comprehend their cultural significance. In fact, from the onset of his philosophical journey, Nietzsche made very clear that the future of politics and culture were inseparable. This testifies to the lasting influence of Richard Wagner whose calls for a “total revolution” involved politics as well as art, but also to Nietzsche’s continued engagement with the Greeks, whom he calls the “political men as such”. From The Greek State onwards, Nietzsche often insists on the overlap between culture and politics, on the flourishing of high culture in aristocratic societies, and on the decadence of European civilization in the wake of the “democratic movement”. This confrontation with the problem of decadence leads Nietzsche to advocate a profound cultural transformation and the establishment of a new hierarchy of values. The notion of “great politics” is thus central to Nietzsche’s overarching project of a “revaluation of all values”, because it translates the philosopher’s insights into metaphysics, culture and morality into a socio-political concern for the future of Europe.

Cette contribution vise à interroger l’interprétation heideggérienne de la philosophie de Nietzsche à l’aune de la question du monde, et à montrer en quoi la conception nietzschéenne du monde ne saurait être présentée comme le stade ultime du déploiement de la métaphysique, mais doit plutôt être envisagée comme l’établissement philologique d’une lecture du « texte du monde » commandée par la probité intellectuelle et « l’esprit de la méthode ». C’est cette démarche résolument naturaliste et antimétaphysique qui permet au philosophe de proposer l’hypothèse selon laquelle « le monde vu du dedans, le monde déterminé et désigné par son “caractère intelligible” » est « “volonté de puissance” et rien d’autre ».