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1 Vida AZIMI, Historienne du droit, Directrice de recherche au CNRS, Centre d’études et de recherches en Science administrative et politique/Université Paris II C’est la faute à Shakespeare ! «They ne’er cared for us yet : suffer us to famish, and their store-houses crammed with grain ; make edicts for usury, to support act established against the rich, and provide more piercing status daily, to chain us and restrain the poor. If the wars eat us not up, they will ; and there’s all the love to bear us» (Shakespeare, «Coriolan», acte I, scène1). (Trad.fr. «Ils se sont toujours moqués de nous ; ils nous laissent mourir de faim et leurs entrepôts sont remplis de grains ; ils font des édits pour l’usure qui favorisent les usuriers, ils repoussent les lois salutaires édictées contre les riches et produisent tous les jours de nouveaux règlements barbares pour mieux enchaîner et opprimer les pauvres. Si la guerre ne nous dévore pas, eux le feront et c’est tout l’amour qu’ils ont pour nous.») Voilà la réponse shakespearienne qu’a faite la majorité des Britanniques, les exclus des bienfaits de l’Europe, aux eurocrates, auteurs de directives et de normes si souvent éloignées des préoccupations populaires. Ce n’est pas l’Europe qu’ils ont rejetée mais le dédain des puissants auxquels les medias presque unanimes prêtent ici forte main. On passe de commentaires attristés à une jubilation maligne face à la montagne de difficultés que les Anglais devront affronter. Avec une gourmandise perverse et dénuée du bon sens, on détaille point par point leurs problèmes à venir, comme si l’enfer était leur lot, tout de suite et maintenant. Des esprits farfelus pensent même la guerre probable sur le continent européen, comme ce fut le cas, il y a vingt ans, en ex-Yougoslavie : Ils ont la mémoire bien courte. L’Allemagne et le Vatican furent fauteurs de troubles dans les Balkans, soutenant la sécession croate, début du démantèlement de la Yougoslavie. Tranquillement et sans discours superflus, les Allemands pratiquent de fait une politique de revanche, que ce soit pour l’Ukraine contre la Russie (ex-Union soviétique triomphant du nazisme) ou pour l’Ecosse (contre le Royaume-Uni, autre vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale) que certains responsables allemands au plus haut niveau appellent à la sécession, lui souhaitant bienvenue, même seule, dans l’Union. Ont-ils au moins du respect pour la France ? Que nenni ! Dans le couple franco-allemand de plus en plus déséquilibré, celui qui porte la culotte n’est certainement pas notre Président. Les réactions françaises sont proprement risibles : « On ne peut pas être dans l’à-peu près, 2 dans l’indéfini» (Michel Sapin), comme si nous les Français ne vivions pas au milieu du gué depuis bientôt cinq ans. «Il faut agir vite, il faut agir fort», tel est le message que M. Hollande a porté à Berlin, lui notre Fabius Cunctator (le Temporisateur), dit aussi « Ovicula » (la petite brebis). Quant à la maire de Paris, elle veut sauver Londres que M. Sadiq Khan, son maire, veut rendre indépendant. Le délire ! Vouloir mettre le Royaume-Uni incontinent à la porte est la négation même de l’article 50 du Traité de Lisbonne qui prévoit une procédure de deux ans ; c’est aussi la preuve même de l’autocratie européenne. David Cameron n’a fait que jouer avec le feu qui couvait depuis longtemps sous l’architecture obèse d’institutions vétustes et mal montées qui, en fait de monnaie, paient les Européens en roupie de sansonnet. On se plaît à se faire peur, on donne dans l’affolement devant «le tremblement de terre» qu’auraient provoqué nos amis et alliés d’Outre-Manche, désormais suspects. Il fallait être aveugle pour ne pas voir venir l’appel au peuple qui n’est qu’un rappel à la réalité, d’autant plus que ce référendum à caractère purement politique, n’est juridiquement pas contraignant. Messieurs les Anglais ont tiré les premiers… la sonnette d’alarme. «Coriolan» (écrite en 1607) de Shakespeare- dont le 350ème anniversaire de la mort tombe étrangement cette année- est une pièce intemporelle mais surtout faite pour les jours que nous vivons après le Brexit qui tant de monde excite. Elle contient toutes les déviances de la démocratie, l’intempérance des plébéiens et l’arrogance des patriciens qui tel Coriolan n’ont que mépris pour les gens du peuple, «ces mangeurs d’ail», «à l’haleine fétide», «comme l’exhalaison des marais empestés» («Coriolan», acte III, 3), cette populace dont il y a tout à craindre et rien à gagner si on lui donne la parole. Voici les termes par lesquels, le héros antique exhorte le Sénat de la République romaine:«Ainsi nous rabaissons/La dignité de nos sièges, en permettant à la canaille/D’appeler crainte notre sollicitude ; / Renversons le pouvoir des tribuns dans la poussière» («Coriolan», Acte III, 3). Et voilà qu’on donne des leçons de démocratie à la plus vieille démocratie d’Europe, maîtresse dans le maniement des poids et des contrepoids, en matière politique. Ce qui faisait l’admiration de Montesquieu et de Voltaire et de tous nos anglomanes du siècle des Lumières. La croit-on dupe des bonnes ou des mauvaises manières électorales ? Qu’on se souvienne du premier roman de Charles Dickens, « The Pickwick papers » (1836-1837) où il décrit les rituels électoraux, toujours de mise au XXIème siècle : «Tout a été préparé, mon cher monsieur –absolument tout. Vous 3 trouverez vingt hommes adultes lavés dans la rue devant la porte auxquels vous serrerez la main, six nourrissons dont vous tapoterez la tête et dont vous demanderez l’âge ; faites attention aux enfants, mon cher monsieur, cela fait toujours bonne impression» (chap.13). Or, l’Anglais est vaillant et ne craint point, lui, les larmes et le sang. A l’époque où l’Europe fut nazie, fasciste, vichyste, rexiste, il fit face, seul, à l’affront et aux démons, grâce à Sir Winston et à l’Union Jack, son illustre fanion, exalté par un chant patriotique qui soutint ses troupes et son moral, composé au cours de l’été 1939, «There’ll Always be an England», un chant du départ et non d’adieu, dont voici un couplet: « Red, White and blue, / What does it mean to you ?/ Surely you’re proud/ Shout it aloud. /Britons awake ! /The Empire too, /We can depend on you, /Freedom remains /These are the chains /Nothing can break/There ‘ll always be an England /And England shall be free, /If England means to me». (Trad.fr : «Rouge, Blanc, Bleu/ Que signifie cela pour vous ?/ Sûrement vous êtes fiers/ Criez-le fort/Réveillez-vous Britanniques/ L’Empire aussi/ Nous pouvons compter sur vous, /La Liberté demeure/ Ce sont des liens/ Que rien ne peut rompre/ Il y aura toujours une Angleterre/Et l’Angleterre sera libre/ Si L’Angleterre m’importe.»)