EMILE ZOLA, AU BONHEUR DES DAMES
Séquence élaborée par Mme Cécile FLORY, professeur
agrégé, pour ses élèves de 1ère ES du lycée Victor Hugo à
Marseille.
Objet d’étude : le roman et ses personnages
Objectifs de la séquence :
• Travailler de manière transdisciplinaire entre les lettres et les S.E.S.,
et comprendre ainsi que le roman et la littérature en général ne sont
pas étrangers au monde. En l’occurrence, Zola s’inscrit dans une
époque qu’il tâche de peindre en s’intéressant aux mutations à
l’œuvre dans le commerce et dans la ville de Paris.
• Analyser la construction d’un roman et l’élaboration des
personnages dans le cadre d’un roman d’initiation.
• Maîtriser les éléments d’analyse propres au roman : narrateur,
personnage, narration, description, focalisation, discours rapportés…
• Mettre en rapport les productions littéraires et artistiques de cette
époque dans leur recherche de modernité.
Mise en œuvre : le travail se fait dans une classe de 1 ES, en partenariat
avec le professeur de SES, qui fera le lien entre son cours sur le marché et
la naissance du commerce moderne tel qu’il est présenté dans le roman.
PROGRESSION :
Séance 1 : introduction sur la mode
Séance 2 : rappels sur l’œuvre de Zola et le naturalisme
Séance 3 : lecture analytique de l’incipit
Séance 4 : étude d’ensemble des lieux dans le roman
Séance 5 : comparaison de la première apparition de Mouret et de la fin du
roman
Séance 6 : lecture analytique de la première apparition d’Octave Mouret
Séance 7 : lecture analytique de la grande vente
Séance 8 : comparaison entre la grande exposition des nouveautés d’été
du chapitre IX et la grande exposition du blanc du chapitre XIV
1
Séance 9 : étude d’ensemble de l’approche par Zola du nouveau
commerce
Séance 10 : lecture analytique de l’enterrement de Geneviève
Séance 11 : synthèse sur le roman
Exercices proposés : commentaire, écriture d’invention, entraînement à
l’oral.
On part du principe que les élèves ont lu le roman chez eux, avant que le
cours commence. La lecture peut être contrôlée par une évaluation
initiale.
A la fin de cette séquence, on peut proposer aux élèves un groupement de
textes portant sur la crise du personnage afin d’introduire des œuvres du
XXe siècle.
Tous les textes étudiés et les documents proposés sont disponibles dans
les dernières pages de ce document.
2
Séance 1. Introduction
Support : le corpus de documents sur la mode.
Durée : 1h.
Objectif : Introduire le roman en s’interrogeant sur la pertinence de son
sujet, la mode, afin percevoir dans quelle mesure elle est un élément
important de la société, qui reflète ses évolutions.
Activité 1 : demander aux élèves de noter sur leur feuille trois adjectifs
pour qualifier la mode. On peut s’attendre à trois types de réponse : des
termes évoquant la beauté, l’élégance, d’autres évoquant la fugacité et la
superficialité, d’autres encore la question de l’argent.
Activité 2 : proposer ensuite de lire le texte de Baudelaire. Un rappel est
peut-être nécessaire pour présenter son travail de critique. Leur poser
ensuite la question suivante :
Baudelaire a-t-il la même approche de la mode que la vôtre ? Que
représente-t-elle pour lui ?
Le texte propose deux idées très importantes chez Baudelaire, la première
est que la mode est significative d’une époque, et en cela, elle est
éphémère. L’autre idée est que la mode participe au Beau, dans la mesure
où celui-ci est construit sur une dualité : « un élément éternel » et « un
élément relatif, circonstanciel ».
Activité 3 : on demande ensuite aux élèves d’observer le tableau de
Monet, et si quelque chose les frappe dans le traitement du sujet. Puis on
les mènera vers une analyse plus détaillée.
Le tableau est assez étonnant car le modèle, en tenue de promenade est
de ¾ dos, et donc le spectateur ne peut quasiment pas la voir. On a
l’impression qu’elle va nous quitter, ce qui est assez inhabituel. Par
ailleurs, pas de décor, pas de narration, ce n’est pas vraiment un portrait…
On est très loin des tableaux académiques de l’époque, qui représentent
la femme en naïade ou en Vénus idéalisées, comme le font Cabanel ou
Gérôme, par exemple. Si bien que l’on comprend que le sujet du tableau
est véritablement la robe portée par le modèle, Camille Doncieux : la
traîne, exagérée, structure le mouvement de plongée vers le mur et Monet
s’est attaché à traduire l’effet des rayures chatoyantes, moirées, dont le
vert Véronèse domine le tableau. De sorte que l’artiste met ici la mode à
l’honneur, et pas n’importe laquelle, celle du dernier cri pour l’époque :
sans crinoline, un paletot bordé de fourrure, une silhouette fluide… Le
tableau est aussi scandaleux dans une autre mesure : la jeune femme
représentée n’est ni bourgeoise, ni ouvrière, ni femme du monde, et à la
voir ainsi, on la devine immédiatement comme la maîtresse du peintre.
Comme Baudelaire, on peut ici constater que Monet tient à ce que l’art
peigne les mœurs contemporaines. La révolution impressionniste s’est
servie d’ailleurs de la mode à de nombreuses reprises pour appuyer sa
vision.
3
Activité 4 : SYNTHESE. On peut demander aux élèves de faire par écrit
une courte synthèse pour faire le lien entre les deux documents et les
romans de Zola (Au Bonheur des dames bien évidemment, mais aussi tous
les romans qu’ils connaissent ou qu’ils ont étudiés). Correction et
prolongements :
Zola est lui aussi fasciné par l’évolution de son époque et les changements
incessants qui se manifestent dans la société. C’est ainsi qu’il a entrepris
de décrire dans les Rougon-Macquart l’urbanisme de Paris, l’apparition du
chemin de fer, des grands magasins, du syndicalisme moderne… « Je n’ai
pas à plaider ici la cause des sujets modernes. Cette cause est gagnée
depuis longtemps. » Et à l’occasion, il n’hésite pas à « encourager nos
peintres à nous reproduire sur leurs toiles, tels que nous sommes, avec
nos costumes et nos mœurs. » La littérature qui se veut moderne, de
même que la peinture impressionniste, doit s’intéresser à ce qui fait la
particularité de son temps, et on sent bien dans Au Bonheur des dames
l’attention que porte Zola à la description des toilettes des femmes. Il faut
aussi préciser que la femme semble être le symbole et l’idole de la Belle
Epoque. Elle est chantée partout, qu’il s’agisse des femmes du monde et
de leur élégance, ou des « grandes Cocottes »… Mais l’écrivain n’oublie
pas non plus celles qui travaillent pour des salaires bien inférieurs à ceux
des hommes. Leur niveau social se traduit par leurs habits, ainsi Mme
Desforges, qui est très riche, ne s’habille que chez des couturières
renommées, tandis que Denise ne possède qu’une robe de laine noire
qu’elle doit repriser en permanence. Par ailleurs, leur rapport à la mode
traduit aussi la personnalité des personnages : même lorsqu’elle gagne
plus d’argent, Denise ne s’habille pas richement, et Mme Marty est
habillée de façon extravagante, ce qui reflète son esprit détraqué par la
passion des chiffons.
Il est intéressant de lire le commentaire de Zola à propos du tableau de
Monet Camille ou la femme à la robe verte qu’il a aperçu lors du Salon de
1866 : « J’avoue que la toile qui m’a le plus longtemps arrêté est la
« Camille » de Monsieur Monet (…) son tableau me conte toute une
histoire d’énergie et de vérité. (…) Voyez la robe, elle est souple et solide,
elle traîne mollement, elle vit, elle dit tout haut qui est cette femme. Ce
n’est pas une robe de poupée… » Ce commentaire date de vingt ans avant
l’écriture du Bonheur des dames, mais Zola s’intéresse déjà aux rapports
entre la femme et son costume.
4
Documents complémentaires sur la mode
Document A : Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne,
1863 (extrait)
Si un homme impartial feuilletait une à une toutes les modes françaises
depuis l’origine de la France jusqu’au jour présent, il n’y trouverait rien de
choquant ni même de surprenant. Les transitions y seraient aussi
abondamment ménagées que dans l’échelle du monde animal. Point de
lacune, donc point de surprise. Et s’il ajoutait à la vignette qui représente
chaque époque la pensée philosophique dont celle-ci était le plus occupée
ou agitée, pensée dont la vignette suggère inévitablement le souvenir, il
verrait quelle profonde harmonie régit tous les membres de l’histoire, et
que, même dans les siècles qui nous paraissent les plus monstrueux et les
plus fous, l’immortel appétit du beau a toujours trouvé sa satisfaction.
C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie
rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau
unique et absolu; pour montrer que le beau est toujours, inévitablement,
d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit une ; car
la difficulté de discerner les éléments variables du beau dans l’unité de
l’impression n’infirme en rien la nécessité de la variété dans sa
composition. Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la
quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif,
circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble,
l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est
comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le
premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté et non
approprié à la nature humaine. Je défie qu’on découvre un échantillon
quelconque de beauté qui ne contienne pas ces deux éléments.
Document B : Claude Monet, Camille ou la femme à la robe verte,
1866, huile sur toile, é »& x 151 cm (Hambourg, Hambourger Kunsthalle)
5
6
Séance 2. Rappels sur l’œuvre de Zola et le naturalisme
Support : le roman et le texte du Roman expérimental
Durée : 1h
Objectif : intégrer Au Bonheur des dames dans l’ensemble plus vaste des
Rougon-Macquart, comprendre le mouvement du naturalisme, et son
envergure scientifique.
Travail préparatoire : recherches sur Zola et son œuvre (pour éviter le
copié-collé sur Wikipedia…)
1. Quelles sont ses dates et lieu de naissance et de mort ?
2. Quel peintre est son ami d’enfance ?
3. Quelles furent les premières activités professionnelles de Zola. De
quoi était-il chargé ?
4. Pourquoi peut-on dire qu’il fut un écrivain engagé ?
5. Quel est le projet littéraire qu’il a entrepris ? Comment se déploie-t-
il ?
Activité 1 : correction des recherches préalables
1. Zola est né en 1840 à Paris et est mort en 1902.
2. Cézanne fut son ami d’enfance car ils vécurent tout deux à Aix-en-
Provence. On peut noter que Cézanne voulait être poète, tandis que
Zola désirait être peintre. Zola met en scène son (ancien) ami dans
son roman L’Oeuvre.
3. Zola fut d’abord directeur du service de la publicité de la librairie
Hachette, puis journaliste, rédigeant des « campagnes de presse »,
des critiques littéraires, dramatiques, artistiques, ainsi que des
chroniques d’actualité.
4. On peut dire que Zola fut un écrivain engagé car, grâce à son métier
de journaliste, il participa de façon active à la lute contre le Second
empire finissant, et car il dénonça aux côtés des républicains les
sources illégales du pouvoir. Par ailleurs, on le voit décrire les
conditions de vie terribles des ouvriers et leur exploitation à travers
ses romans sur le peuple, comme Germinal. Surtout, à la fin de sa
vie, son engagement en faveur du Colonel Dreyfus, injustement
accusé de trahison, l’amènera à écrire une lettre célèbre,
« J’accuse », qui l’obligera à fuir un certain temps la France et lui
attira des ennemis acharnés.
5. S’inspirant de La Comédie Humaine de Balzac, Zola a entrepris de
décrire l’évolution d’une même famille dans son cycle des Rougon-
Macquart, dont le sous-titre est « Histoire naturelle et sociale d’une
famille sous le Second empire ». A l’origine de cette famille est
Adélaïde Fouque, surnommée, « Tante Dide », une femme à la santé
mentale fragile, qui eut un enfant de son premier mari, Rougon, et
après la mort de ce dernier, deux autres avec un contrebandier
alcoolique, Macquart. Zola entreprend alors d’observer l’évolution
des deux branches de la famille en fonction de leur hérédité. Il écrit
alors vingt romans qui parcourent cinq générations de cette famille.
Activité 2 : lecture analytique de l’extrait du Roman expérimental
7
de Zola
Lecture du passage. Demander aux élèves à quelles disciplines le texte
fait référence. L’objectif est de faire percevoir aux élèves la dimension
scientifique du travail de Zola. Il mêle deux domaines différents, le champ
lexical du roman, attendu, et celui de la science, plus surprenant dans ce
contexte.
1ère étape :
• relever plusieurs termes scientifiques. Ex : « intra-organique »,
« physiologiste », « chimique », « physique »…
• Relever plusieurs termes spécifiquement littéraires : « roman »,
« romancier », « milieu social », « passion »
• Y a-t-il des termes qui appartiennent à ces deux domaines ?
« milieux », « phénomènes », « rouages », « mécanisme »,
« influences », « solution », « problème » …
= Zola use des méthodes du romancier et du savant. Il procède par
observation et expérimentation.
2ème étape :
Demander aux élèves d’expliquer la phrase suivante : « posséder le
mécanisme des phénomènes chez l'homme, montrer les rouages des
manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous
les expliquera, sous les influences de l'hérédité et des circonstances
ambiantes, puis montrer l'homme vivant dans le milieu social qu'il a
produit lui-même, qu'il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve
à son tour une transformation continue. »
• Analyser l’importance des verbes à l’infinitif qui définissent le travail
de l’auteur : il doit d’abord comprendre comment les hommes
fonctionnent dans leur milieu, pour ensuite les montrer dans ses
romans.
• Que montre-t-il chez l’homme ? le mécanisme des phénomènes /
manifestations intellectuelles et sensuelles : homme comme sujet
d’observation scientifique, étudié physiquement et
intellectuellement
• L’importance du milieu : son étude est aussi importante que l’étude
des êtres vivants elle-même. Interaction entre les hommes et leur
milieu qui ne cesse d’évoluer. Pour Zola, le corps social est régi par
les lois de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle.
En étudiant l’homme dans ses romans, Zola veut permettre sa
connaissance approfondie dans l’objectif de pouvoir agir sur la société :
« Dès lors, nous verrons qu'on peut agir sur le milieu social, en agissant
sur les phénomènes dont on se sera rendu maître chez l'homme. »
= importance du romancier dans la vie sociale et politique.
Activité 3 : SYNTHESE. Demander aux élèves de faire, par écrit, le lien
entre ce passage de l’essai Le Roman expérimental qui définit en partie le
naturalisme et Au Bonheur des dames (ils préparent ainsi les questions
d’entretien pour l’épreuve orale des EAF). Selon eux, est-ce que cette
doctrine suffit à rendre compte du travail de Zola ?
• Compréhension des mécanismes du haut commerce et du
8
capitalisme.
• Montrer les mutations à l’œuvre dans la société : travaux de
rénovation urbaine, disparition des boutiques traditionnelles,
évolution des commis…
• Mais en même temps, la puissance du roman dépasse largement les
principes du naturalistes : Zola est un véritable poète et construit un
monde d’une richesse incroyable. = il a la stature d’un démiurge
plus que d’un savant…
9
Document complémentaire :
E. Zola, Le Roman expérimental (1880)
Je donne aussi une importance considérable au milieu. Il faudrait sur la
méthode aborder les théories de Darwin 1; mais ceci n'est qu'une étude
générale expérimentale appliquée au roman, et je me perdrais, si je
voulais entrer dans les détails. Je dirai simplement un mot des milieux.
Nous venons de voir l'importance décisive donnée par Claude Bernard 2 à
l'étude du milieu intra-organique, dont on doit tenir compte, si l'on veut
trouver le déterminisme3 des phénomènes chez les êtres vivants. Eh bien!
dans l'étude d'une famille, d'un groupe d'êtres vivants je crois que le
milieu social a également une importance capitale. Un jour, la physiologie 4
nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions;
nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l'homme,
comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la
passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des
organes agissant sous l'influence du milieu intérieur, ne se produisent pas
au dehors isolément et dans le vide. L'homme n'est pas seul, il vit dans
une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce
milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande
étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de
l'individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le
milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet
d'en trouver les lois aisément. Nous n'en sommes pas à pouvoir prouver
que le milieu social n'est, lui aussi, que chimique et physique. Il l'est à
coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d'un groupe d'êtres vivants,
qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui
régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. Dès lors, nous
verrons qu'on peut agir sur le milieu social, en agissant sur les
phénomènes dont on se sera rendu maître chez l'homme. Et c'est là ce qui
constitue le roman expérimental : posséder le mécanisme des
1
Darwin (né le 12 février 1809 à Shrewsbury dans le Shropshire – mort le
19 avril 1882 à Downe dans le Kent) est un naturaliste anglais dont les travaux
sur l'évolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie. Célèbre au sein
de la communauté scientifique de son époque pour son travail sur le terrain et
ses recherches en géologie, il a formulé l'hypothèse selon laquelle toutes les
espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir d'un seul ou quelques
ancêtres communs grâce au processus connu sous le nom de « sélection
naturelle ».
2
Claude Bernard : né le 12 juillet 1813 à Saint-Julien (Rhône) et mort le
10 février 1878 à Paris, est un médecin et physiologiste français. Considéré
comme le fondateur de la médecine expérimentale, il a en particulier laissé son
nom au syndrome de Claude Bernard-Horner. On lui doit les notions biologiques
fondamentales de milieu intérieur et d’homéostasie.
3
Déterminisme : Théorie philosophique selon laquelle les phénomènes naturels
et les faits humains sont causés par leurs antécédents.
4
La physiologie (du grec, phusis, la nature, et logos, l'étude, la science) étudie le
rôle, le fonctionnement et l'organisation mécanique, physique et biochimique des
organismes vivants et de leurs composants (organes, tissus, cellules et organites
cellulaires).
10
phénomènes chez l'homme, montrer les rouages des manifestations
intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera,
sous les influences de l'hérédité et des circonstances ambiantes, puis
montrer l'homme vivant dans le milieu social qu'il a produit lui-même, qu'il
modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une
transformation continue. Ainsi donc, nous nous appuyons sur la
physiologie, nous prenons l'homme isolé des mains du physiologiste, pour
continuer la solution du problème et résoudre scientifiquement la question
de savoir comment se comportent les hommes, dès qu'ils sont en société.
11
Séance 3. Lecture analytique de l’incipit
Support : extrait du chapitre 1
Durée : 2 heures
Objectif : montrer comment Zola procède pour mettre en œuvre son projet
dès les premières pages. Analyser une description.
Activité 1 : demander aux élèves ce que l’on attend quand on commence
un roman, et ce que les premières pages permettent en général de
préciser. Amener ensuite la notion d’incipit s’ils ne la connaissent pas.
Lire ensuite le passage, et définir ensuite la problématique d’étude du
passage :
Dans quelle mesure cette ouverture de roman présente-t-elle les
enjeux principaux de l’œuvre ?
Leur demander de répondre à cette question afin de définir le plan d’étude
du passage en faisant le lien avec le cours précédent sur le naturalisme :
Zola propose un incipit naturaliste, et il insiste aussi sur la description
du grand magasin.
Proposer aux élèves, en écho avec le travail mené lors de la première
séance, de rédiger une introduction à ce premier chapitre :
Introduction
Zola se veut un analyste scientifique des mœurs de son temps et du
fonctionnement de l’économie ;
Dans ABD, il décrit la mutation du commerce avec l’arrivée des grands
magasins qui met en péril les boutiques traditionnelles.
Dans l’incipit du roman, on découvre l’arrivée à Paris de Denise, une jeune
fille de 20 ans, accompagnée de ses frères, et qui découvre le grand
magasin qui donne son nom au roman.
Problématique : dans quelle mesure cette ouverture de roman présente-t-
elle les enjeux principaux de l’œuvre ?
Demander aux élèves de relever dans le texte tout ce qui correspond
selon eux à un incipit, puis construire avec eux l’analyse :
I. Un incipit naturaliste
A. La présentation du cadre spatio-temporel
• On se trouve dans la capitale, « le vaste Paris », et plus
précisément « place Gaillon », au coin de la rue Michodière et de
la rue Neuve-Saint-Augustin. On peut noter que Zola définit un
cadre extrêmement précis, et situe le roman dans une veine
naturaliste. Cependant, les deux magasins sont fictifs (Zola s’est
inspiré en partie du « Bon marché » de Boursicaut).
• Le temps est lui aussi très précis : « Huit heures sonnaient à
Saint-Roch », « douce et pâle journée d’octobre ». La journée
12
débute seulement, ce qui va permettre à Zola d’utiliser la journée
entière pour permettre à Denise de découvrir le rythme
particulier d’une journée dans cette nouvelle ville. Si la date n’est
pas donnée, on se doute que l’histoire se situe au XIXe siècle
puisqu’il est fait mention du train par lequel Denise est arrivée.
B. Les personnages
• Le personnage principal de cette scène est Denise, qui vient de
province, puisqu’elle arrive par le « train de Cherbourg », et
qu’elle et ses frères habitaient Valogne, comme l’évoque l’un
d’eux. Elle était employée de boutique : « elle avait passé deux
ans là-bas », et elle se rend à paris chez son « oncle Baudu » qui
habite près de ce lieu.
• Les deux garçons qui l’accompagnent sont assez peu
individualisés, mais le narrateur nous présente l’essentiel : l’un
est très jeune, il a cinq ans, l’autre, Jean, est plus âgé et très
beau : « dont les seize ans superbes florissaient ». Surtout, il a
déjà eu des amourettes qui ont entrainé leur départ de province.
• Ils sont pauvres : « dure banquette d’un wagon de 3ème classe »,
« vieux vêtements », « léger paquet » : tout signale ici une
famille qui doit absolument trouver un travail.
• Des personnages sans repères : ce sont des orphelins, qui portent
le « deuil de leur père », les deux garçons semblent dépendre
entièrement de Denise : « se pendait à son bras », et ils semblent
complètement perdus dans cette nouvelle ville : « effarés et
perdus au milieu du vaste Paris ».
C. L’amorce de l’intrigue
• Le magasin : son nom renvoie évidemment le lecteur au titre du
roman. Noter que traditionnellement c’est plutôt un personnage
qui est éponyme, ici, cela consacre l’importance d’un lieu dans
l’intrigue.
• Le lien entre Denise et ce magasin se noue immédiatement :
c’est la première chose qu’elle remarque : « regarde un peu »,
dit-elle à son frère, puis « en voilà un magasin ! » On peut
d’ailleurs noter que cette exclamation précède la mention du
magasin et crée un effet d’attente qui va motiver la description.
On peut noter que les seules phrases au discours direct dans ce
passage concernent le magasin, ce qui traduit son importance.
• Le narrateur s’attarde sur la séduction que le magasin exerce sur
Denise : « et ce magasin rencontré brusquement, cette maison la
retenait, émue et intéressée, oublieuse du reste ». Le rythme
ternaire marque l’importance des différentes émotions ressenties
par le personnage, et qui justifient par la suite le fort désir de
Denise d’aller se faire engager là-bas.
• Avec la précision qu’il apporte au cadre spatio-temporel, on
retrouve bien ici les fondements d’un roman naturaliste : en effet,
13
il est tout de suite perceptible que Zola veut entreprendre de
décrire l’évolution de cette jeune fille dans un milieu donné, ici un
Paris en pleine mutation architecturale et commerciale.
Zola suscite l’intérêt du lecteur en présentant un personnage qui, arrivant
de Paris, va tenter de réussir. Surtout, il donne dès le début de
l’importance à ce nouveau magasin, Au Bonheur des dames.
Activité 2 : demander aux élèves de relire la description du magasin et
de relever les éléments qui leur paraissent importants. Écouter et noter
leurs propositions et construire la deuxième partie avec eux.
II. La découverte du « Bonheur des dames »
A. Un magasin gigantesque
• Valorisation du magasin grâce au présentatif et à l’utilisation d’un
CCL pour créer un effet d’attente : « C'était, à l'encoignure de la rue
de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin, un magasin de
nouveautés… ».
• Hauteur et profondeur : « haute porte » et profondeur : « les vitrines
s’enfonçaient », « fuite de la perspective », « sans fin », énormité :
« outre la maison d’angle, quatre autres maisons ». = nouveauté
absolue de ce type de magasin qui change complètement des
boutiques traditionnelles, ce que fait remarquer Jean : « ça enfonce
Valogne ».
• Luxe du magasin : dans la décoration : « complication d’ornements
chargés de dorures », et richesse aussi des marchandises : « pièces
de soie bleue », jusqu’au personnel : « demoiselle en soie »
B. Un lieu d’intense activité
• La journée n’est pas encore commencée que Denise peut déjà
apercevoir l’activité qui agite le magasin, que l’on peut observer de
l’extérieur. On peut d’ailleurs supposer que cette transparence des
glaces « sans tain » est voulue pour attirer les regards de la rue et
pousser les gens à entrer dans le magasin.
• Comparaison avec une « ruche » qui traduit cette activité intense :
elle voit en effet « une demoiselle, habillée de soie, taillait un
crayon, pendant que, près d'elle, deux autres dépliaient des
manteaux de velours ».
C. Un lieu attractif
• Au bonheur des dames semble être un endroit très joyeux, comme
le représentent les « deux figures allégoriques, deux femmes
riantes » qui sont placées sur la porte centrale. Le narrateur signale
aussi les « notes vives » des tissus présentés dans la magasin. Loin
d’être un lieu sombre comme les anciennes boutiques, ce grand
magasin se veut un lieu agréable à ses clientes.
• Mise en évidence de la dimension attractive du lieu : « il y avait là »
14
suivi de deux complément circonstanciels, qui ralentissent la chute
de la phrase et mettent en valeur cet étalage de tentations,
représenté par un rythme ternaire : « un éboulement de
marchandises à bon marché, la tentation de la porte, les occasions
qui arrêtaient les clientes au passage ». Ces trois termes montrent
bien l’art du commerce qui se révèle dans ce magasin.
• Jean fait remarquer avec justesse, dans un phrasé populaire « c'est
gentil, c'est ça qui doit faire courir le monde ! », et l’attitude de
Denise semble lui rendre justice car elle aussi se retrouve « émue »
et « oublieuse du reste » devant les vitrines.
Conclusion :
Zola nous propose dans ce premier chapitre un incipit traditionnel qui
présente le cadre de l’histoire et les éléments essentiels de l’intrigue, et il
insiste surtout sur l’importance de ce magasin qui deviendra le
personnage central de l’histoire, au point de donner son titre au livre. En
effet, Zola veut dans cet ouvrage expliquer le fondement de cette nouvelle
forme de commerce qui modifie complètement le rapport entre les
clientes et les magasins.
15
Séquence Au Bonheur des dames, Emile Zola
Texte 1 : l’incipit
Chapitre I
Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare, où un train de
Cherbourg l'avait débarquée avec ses deux frères, après une nuit passée
sur la dure banquette d'un wagon de troisième classe. Elle tenait par la
main Pépé, et Jean la suivait, tous les trois brisés du voyage, effarés et
perdus, au milieu du vaste Paris, le nez levé sur les maisons, demandant à
chaque carrefour la rue de la Michodière, dans laquelle leur oncle Baudu
demeurait. Mais, comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeune
fille s'arrêta net de surprise.
- Oh ! dit-elle, regarde un peu, Jean !
Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir,
achevant les vieux vêtements du deuil de leur père. Elle, chétive pour ses
vingt ans, l'air pauvre, portait un léger paquet ; tandis que, de l'autre côté,
le petit frère, âgé de cinq ans, se pendait à son bras, et que, derrière son
épaule, le grand frère, dont les seize ans superbes florissaient, était
debout, les mains ballantes.
- Ah bien ! reprit-elle après un silence, en voilà un magasin !
C'était, à l'encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-
Augustin, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient en notes
vives, dans la douce et pâle journée d'octobre. Huit heures sonnaient à
Saint-Roch, il n'y avait sur les trottoirs que le Paris matinal, les employés
filant à leur à bureaux et les ménagères courant les boutiques. Devant la
porte, deux commis, montés sur une échelle double, finissaient de pendre
des lainages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin,
un autre commis, agenouillé et le dos tourné, plissait délicatement une
pièce de soie bleue. Le magasin, vide encore de clientes, et où le
personnel arrivait à peine, bourdonnait à l'intérieur comme une ruche qui
s'éveille.
- Fichtre ! dit Jean. Ça enfonce Valognes... Le tien n'était pas si beau.
Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le
premier marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin, rencontré
brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la
retenait, émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé donnant
sur la place Gaillon, la haute porte, toute en glace, montait jusqu'à
l'entresol, au milieu d'une complication d'ornements, chargés de dorures.
Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et
renversée, déroulaient l'enseigne : Au Bonheur des Dames. Puis, les
vitrines s'enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-
Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d'angle, quatre autres
maisons, deux à gauche, deux à droite, achetées et aménagées
récemment. C'était un développement qui lui semblait sans fin, dans la
fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces
sans tain de l'entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure
des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon,
pendant que, près d'elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours.
- Au Bonheur des Dames, lut Jean avec son rire tendre de bel adolescent,
16
qui avait eu déjà une histoire de femme à Valognes. Hein ? c'est gentil,
c'est ça qui doit faire courir le monde !
Mais Denise demeurait absorbée, devant l'étalage de la porte centrale. Il y
avait là, au plein air de la rue, sur le trottoir même, un éboulement de
marchandises à bon marché, la tentation de la porte, les occasions qui
arrêtaient les clientes au passage.
17
Séance 4. Les lieux dans le roman
Support : le roman et plus particulièrement les passages sélectionnés dans
le corpus.
Durée : 2 h
Objectif : permettre aux élèves de saisir l’importance des lieux dans le
roman, leur montrer la mutation qui est en cours dans Paris à cette
époque, et dans quelle mesure Zola est favorable à aux évolutions.
Travail préparatoire : demander aux élèves de faire des recherches sur
Hausmann et Eiffel.
Activité 1 : Paris et les métamorphoses haussmanniennes
Comparez le document A qui décrit Paris au XVIIIe siècle aux documents B
qui témoigne des modifications apportées par Hausmann en établissant un
tableau qui étudiera les éléments suivants : la circulation, la lumière,
l’hygiène.
Doc A Doc B
circulation Rue étroites et mal percées Grande voie, trouée, large
entaille,
lumière Maison d’une hauteur démesurée Pleine de (…) soleil
= habitants du rez-de-chaussée et
du premier étage sont dans une
espèce d’obscurité
hygiène L’air (…) tue, circulation de l’air Par déduction : espaces
entravée, atmosphère corrompue, aérés, destruction des
influence maligne vieux habitats « abattant
les vieux hôtels »
Note : L’objectif de Napoléon III qui délègue à Haussmann la réalisation du
projet est bien de rénover Paris, pour créer des espaces de circulation (y
compris en cas de guerre civile, comme La Commune pour permettre à
l’armée de charger). Il veut aussi agrandir la ville en avalant les quartiers
de banlieues et la diviser en 20 arrondissements. Il a surtout le projet de
l’assainir en y intégrant des espaces verts, en rejetant les cimetières dans
sa périphérie, et en soignant l’évacuation des eaux usées. Il va aussi
réglementer les hauteurs d’immeuble, en fonction de la largeur des rues,
qui passent en moyenne de 12 m à 24 m.
Activité 2 : Lecture de l’image, Paris par temps de pluie de
Gustave Caillebotte
Demander aux élèves ce qui les frappe sur ce tableau et noter leurs
réponses.
Leur demander ensuite de regarder les dimensions du tableau et
d’imaginer sa taille, et l’effet qu’il produit. En effet, le tableau étant très
grand, les personnages au premier plan sont grandeur nature à peu de
choses près. Le spectateur à l’impression d’être happé dans le tableau et
d’être lui-même dans la rue.
Leur présenter ensuite le peintre : Gustave Caillebotte est un peintre qui
18
exposa à partir de 1876, à l’époque des impressionnistes. Ayant une
grande fortune personnelle, la peinture n’était pour lui qu’un loisir. Il
peignait ce qui l’entourait : parisien, grand bourgeois, on retrouve dans
ses tableaux tout son environnement. Il fut un grand mécène des peintres
impressionnistes. Il aimait aussi beaucoup la photo, et cela se sent dans
son travail.
Revenir au tableau : demander aux élèves de le décrire avec précision :
- Scène de rue dans les beaux quartiers (on est au carrefour de la rue
de Turin et de la rue de Moscou)
- On découvre une rue animée : gens pressés, pas de paroles
échangées entre les personnages
- Le décor à l’arrière-plan : on a une vue plongeante sur les rues de
Paris, décor urbain
- Lumière grise reflétée sur les pavés mouillés.
- Cadre : personnages coupés : effet de dynamisme, d’une scène prise
sur le vif
Proposer aux élèves d’analyser la construction du tableau :
Le tableau est construit en quatre parties égales, puisque une ligne
symétrique le sépare dans la hauteur, grâce au réverbère, et dans la
longueur par la frontière entre les pavés et les boutiques qui atteint le bas
des visages des personnages du premier plan. Il s’agit donc d’une
construction extrêmement rigoureuse, mais celle-ci est adoucie par les
courbes que forment les parapluies, et qui tempèrent la construction rigide
et les lignes fortes que dessinent les immeubles.
Il faut aussi remarquer le travail sur la perspective dans ce tableau : les
personnages diminuent trop vite de taille, comme si Caillebotte avait
voulu proposer une vue en grand angle de la place, et traduire
l’impression d’espace et de profondeur du lieu.
Caillebotte est donc un peintre de l’instant présent, de la modernité, et la
construction rigoureuse de ses tableaux s’accorde bien à la vision
d’Haussmann qui voulut rénover et agrandir Paris pour privilégier la
fonctionnalité et la circulation.
Activité 3 : Les magasins
Lire le premier texte et demander aux élèves quelles sont leurs
impressions à la lecture de la description de la boutique des Baudu ?
Impression d’obscurité de lourdeur, de pauvreté et de saleté.
Puis, quelles impressions se dégagent à la lecture de la description du
BD ?
Modernité, légèreté, hauteur, élégance…
Quelles figures de style Zola utilise-t-il pour représenter chacun des lieux ?
Qu’évoquent-elles ?
Métaphores : « prison », « cave », presque un caveau (cimetière) pour les
Baudu, et « cathédrale du commerce moderne » pour ABD. Ces deux
19
images s’opposent visuellement : immensité et hauteur pour le grand
magasin, et enfoncement, enfermement pour la boutique. Par ailleurs les
connotations assimilées à ces termes montrent que la boutique est vouée
à la disparition, tandis que le grand magasin est voué à être au centre de
la vie moderne, comme une religion.
Activité 4 : SYNTHESE
A partir de tous les éléments étudiés jusqu’à présent, expliquer comment
Zola se positionne par rapport à toutes les mutations présentées dans le
roman.
On sent dans le roman que Zola a valorisé l’esprit d’innovation, et qu’il a
voulu montrer une vision positive du progrès. Il montre en effet que tout
ce qui n’évolue pas est voué à la mort, et c’est pourquoi les Baudu ou
Bourras ne peuvent pas lutter contre le Bonheur des dames. Il s’inspire
bien de Darwin sur ce sujet, et la théorie de l’évolution est ici adaptée au
commerce : Mouret, en véritable génie du commerce trace la voie au
capitalisme et fait évoluer les mentalités.
Il entreprend aussi de montrer les profondes mutations du siècle qu’il
définit comme « un siècle d’effort », et en effet, les rénovation urbaines
entreprises par Haussmann, si elles semblent bien douloureuses à ceux
qui les subissent, sont néanmoins nécessaires pour parvenir à donner à
Paris un nouvel élan, pour le faire entrer dans la modernité.
Prolongement possible : on peut demander aux élèves d’aller sur le site
de la BNF pour voir l’exposition virtuelle consacrée à Zola et Au Bonheur
des dames, où l’on découvre de nombreuses images concernant
l’architecture des magasins de l’époque.
20
Séquence Au Bonheur des dames, Émile Zola
Documents complémentaires sur les lieux dans le roman
A. Paris et les métamorphoses haussmanniennes
Document A : L. S. Mercier, Tableau de Paris, chapitre 4 : « L’air
vicié », 1781
« Dès que l’air ne contribue plus à la conservation de la santé, il tue ; mais
la santé est le bien sur lequel l’homme se montre le plus indifférent. Des
rues étroites et mal percées, des maisons trop hautes et qui interrompent
la libre circulation de l’air, des boucheries, des poissonneries, des égouts,
des cimetières, font que l’atmosphère se corrompt, se charge de
particules impures et que cet air renfermé devient pesant et d’une
influence maligne.
Les maisons d’une hauteur démesurée sont cause que les habitants du
rez-de-chaussée et du premier étage sont encore dans une espèce
d’obscurité lorsque le soleil est au plus haut point de son élévation.
Les maisons élevées sur les ponts, outre l’aspect hideux qu’elles
présentent, empêchent le courant d’air de traverser la ville d’un bout à
l’autre, et d’emporter les vapeurs de la Seine tout l’air corrompu des rues
qui aboutissent aux quais. »
Document B : Au Bonheur des dames, chapitre VIII.
« Cependant, tout le quartier causait de la grande voie qu’on allait ouvrir,
du nouvel Opéra à la Bourse, sous le nom de rue du Dix-Décembre. Les
jugements d'expropriation étaient rendus, deux bandes de démolisseurs
attaquaient déjà la trouée, aux deux bouts, l'une abattant les vieux hôtels
de la rue Louis-le-Grand, l’autre renversant les murs légers de l'ancien
Vaudeville ; et l’on entendait les pioches qui se rapprochaient, la rue de
Choiseul et la rue de la Michodière se passionnaient pour leurs maisons
condamnées. Avant quinze jours, la trouée devait les éventrer d'une large
entaille, pleine de vacarme et de soleil. »
Document C : Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie
1877, Chicago, Art Institute, 212 x 276 cm
21
B. Les magasins d’Au Bonheur des dames
Document D : Au Bonheur des dames, chapitre II, la boutique des
Baudu
« La maison, enduite d'un ancien badigeon rouillé, toute plate au milieu
des grands hôtels Louis XIV qui l'avoisinaient, n'avait que trois fenêtres de
façade ; et ces fenêtres, carrées, sans persiennes, étaient simplement
garnies d'une rampe de fer, deux barres en croix. Mais, dans cette nudité,
ce qui frappa surtout Denise, dont les yeux restaient pleins des clairs
étalages du Bonheur des Dames, ce fut la boutique du rez-de-chaussée,
écrasée de plafond, surmontée d'un entresol très bas, aux baies de prison,
en demi-lune. Une boiserie, de la couleur de l'enseigne, d'un vert bouteille
que le temps avait nuancé d'ocre et de bitume, ménageait, à droite et à
gauche, deux vitrines profondes, noires, poussiéreuses, où l'on distinguait
vaguement des pièces d'étoffe entassées. La porte, ouverte, semblait
donner sur les ténèbres humides d'une cave. »
Document E : Au Bonheur des dames, chapitre IX, le grand
magasin
« Au centre, dans l'axe de la porte d'honneur, une large galerie allait de
bout en bout, flanquée à droite et à gauche de deux galeries plus étroites,
la galerie Monsigny et la galerie Michodière. On avait vitré les cours,
transformés en halls ; et des escaliers de fer s'élevaient du rez-de-
chaussée, des ponts de fer étaient jetés d'un bout à l'autre, aux deux
étages. L'architecte, par hasard intelligent, un jeune homme amoureux
des temps nouveaux, ne s'était servi de la pierre que pour les sous-sols et
les piles d'angle, puis avait monté toute l'ossature en fer, des colonnes
supportant des poutres et des solives. Les voûtins des planchers, les
cloisons des distributions intérieures, l'air et la lumière entraient
librement, le public circulait à l'aise, sous le jet hardi des fermes à longue
portée. C'était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite
pour un peuple de clientes. »
22
Séance 5. Comparaison de la première apparition d’Octave Mouret
et de la fin du roman
Support : deux passages du roman (ci-dessous)
Durée : 1h
Objectif : Saisir l’importance de la construction du roman, percevoir
l’évolution des personnages, et la dimension symbolique de certains
détails.
Activité 1 : les élèves doivent lire en autonomie les deux passages du
roman et doivent remplir le tableau qui leur permet de mettre en rapport
les deux textes.
Chapitre 2 Chapitre 14
Moment de la Le matin Le soir, après la grande exposition
journée du blanc
Lieu Devant le BD, puis à Dans le bureau de Mouret
l’intérieur, dans le bureau de
Mouret
Décor : le Le portrait de Mme Hédouin, Le portrait de Mme Hédouin qui
portrait de qu’Octave observe d’un air semble bénir cette union, par son
Mme Hédouin attendri et qui lui témoigne sa sourire immuable : « comme s'il
reconnaissance. eût regardé la scène »
Denise Mal à l’aise, timide et Après avoir résisté, elle finit par
maladroite épouser Mouret
Mouret et Dominateur, « indifférent » à Mouret s’exaspère de ne pouvoir
Denise Denise, jouisseur, qui passe la l’obtenir, et se met à pleurer :
nuit dehors, qui ne cesse « flot de larmes ».
d’enchaîner les conquêtes
« deux femmes dans les
coulisses », « emporté
continuellement dans de
nouveaux amours »…
Mouret et Bourdoncle : obéissant et
Mouret change de philosophie sur
Bourdoncle respectueux de Mouret, un des
le mariage : « Écoutez, nous
lieutenants de Mouret, « le étions stupides, avec cette
plus cher et le plus écouté ».
superstition que le mariage devait
Bourdoncle est cependant très
nous couler. Est-ce qu'il n'est pas
méprisant envers les femmes.la santé nécessaire, la force et
l'ordre mêmes de la vie !... »
Bourdoncle a le désir de dépasser
Mouret, en voyant celui-ci céder à
la passion, mais Mouret comprend
sa tactique et le menace : « vous
passerez à la caisse comme les
autres ».
Il échoue : « Bourdoncle se sentit
condamné. »
Rapports de Mouret qui domine tout le Denise devient « toute-
force monde : Bourdoncle, Denise, puissante », et consacre la
les commis. « victoire de la femme » annoncée
depuis le début.
Sa résistance à Mouret lui fait
prendre le pouvoir : « Lui, torturé,
l'écoutait, répétait avec passion :
- Je veux... je veux... » et elle
parvient aussi à supplanter
Bourdoncle .
Le magasin Magasin à l’image même de « le million », « l’étalage de cet
Au bonheur son propriétaire : « ses coups argent la blessait ». « Au loin, il
des dames de cœur étaient comme une entendait la clameur de ses trois
réclame à sa vente, on eût dit mille employés, remuant à pleins
qu'il enveloppait tout le sexe bras sa royale fortune. Et ce
de la même caresse, pour million imbécile qui était là ! il en
mieux l'étourdir et le garder à souffrait comme d'une ironie, il
sa merci. » l'aurait poussé à la rue. »
Mouret et son magasin ne font Malgré sa réussite, Mouret ne
qu’un. s’intéresse plus à son magasin,
seule Denise lui importe.
Activité 2 : analyse du tableau comparatif
Proposer aux élèves de synthétiser les éléments présentés dans le tableau
en mettant en lumière trois points majeurs (le travail peut être fait en
classe ou à la maison) :
• la trajectoire des deux personnages : une inversion radicale des
situations des deux personnages l’un par rapport à l’autre : Denise
timide et fragile se retrouve en position de force, tandis que Mouret
est défait par la résistance de la jeune fille.
• La disparition de Bourdoncle : cet homme qui hait les femmes, et qui
voit dans le mariage un danger, finit par perdre lui aussi devant la
force positive de Denise.
• Un détail symbolique : le portrait de Mme Hédouin (mettre ces deux
passages en rapport avec le moment où Denise entre pour la
première fois dans le bureau de Mouret et où elle observe le
portrait)
• Un roman très positif, qui propose une fin joyeuse.
Activité 3 : SYNTHESE sur les personnages principaux.
Séparer la classe en deux groupes, l’un travaillera sur Denise, l’autre sur
Octave.
Les élèves devront analyser leur personnage selon les critères suivants :
• Portrait physique :
• Portrait moral :
• Passé :
• Evolution dans le roman :
Un élève de chaque groupe se charge de faire de le compte-rendu, qui
sera noté par l’autre groupe et inversement.
Séquence Au Bonheur des dames, Emile Zola
Texte 2 : la première apparition d’Octave Mouret
Chapitre II :
Les commis entraient toujours. Maintenant, Denise les entendait
plaisanter, quand ils passaient près d'elle, en lui jetant un coup d'œil
oblique. Son embarras grandissait d'être ainsi en spectacle, elle se
décidait à faire dans le quartier une promenade d'une demi-heure, lorsque
la vue d'un jeune homme, qui arrivait rapidement par la rue Port-Mahon,
l'arrêta une minute encore. Evidemment, ce devait être un chef de rayon,
car tous les commis le saluaient. Il était grand, la peau blanche, la barbe
soignée ; et il avait des yeux couleur de vieil or, d'une douceur de velours,
qu'il fixa un instant sur elle, au moment où il traversa la place. Déjà il
entrait dans le magasin, indifférent, qu'elle restait immobile, toute
retournée par ce regard, emplie d'une émotion singulière, où il y avait plus
de malaise que de charme. Décidément, la peur la prenait, elle se mit à
descendre lentement la rue Gaillon, puis la rue Saint-Roch, en attendant
que le courage lui revînt.
C'était mieux qu'un chef de rayon, c'était Octave Mouret en personne. Il
n'avait pas dormi, cette nuit-là, car au sortir d'une soirée chez un agent de
change, il était allé souper avec un ami et deux femmes, ramassées dans
les coulisses d'un petit théâtre. Son paletot boutonné cachait son habit et
sa cravate blanche. Vivement, il monta chez lui, se débarbouilla, se
changea ; et, quand il vint s'asseoir devant son bureau, dans son cabinet
de l'entresol, il était solide, l'œil vif, la peau fraîche, tout à la besogne,
comme s'il eût passé dix heures au lit. Le cabinet, vaste, meublé de vieux
chêne et tendu de reps vert, avait pour seul ornement un portrait de cette
Mme Hédouin dont le quartier parlait encore. Depuis qu'elle n'était plus,
Octave lui gardait un souvenir attendri, se montrait reconnaissant à sa
mémoire de la fortune dont elle l'avait comblé en l'épousant. Aussi, avant
de se mettre à signer les traites posées sur son buvard, adressa-t-il au
portrait un sourire d'homme heureux. N'était-ce pas toujours devant elle
qu'il revenait travailler, après ses échappées de jeune veuf, au sortir des
alcôves où le besoin du plaisir l'égarait ?
On frappa, et, sans attendre, un jeune homme entra, grand et maigre, aux
lèvres minces, au nez pointu, très correct d'ailleurs avec ses cheveux
lissés, où des mèches grises se montraient déjà. Mouret avait levé les
yeux ; puis, continuant de signer :
- Vous avez bien dormi, Bourdoncle ?
- Très bien, merci, répondit le jeune homme, qui marchait à petits pas,
comme chez lui.
Bourdoncle, fils d'un fermier pauvre des environs de Limoges, avait débuté
jadis au Bonheur des Dames, en même temps que Mouret, lorsque le
magasin occupait l'angle de la place Gaillon. Très intelligent, très actif, il
semblait alors devoir supplanter aisément son camarade, moins sérieux,
et qui avait toutes sortes de fuites, une apparente étourderie, des histoires
de femme inquiétantes ; mais il n'apportait pas le coup de génie de ce
Provençal passionné, ni son audace, ni sa grâce victorieuse.
D'ailleurs, par un instinct d'homme sage, il s'était incliné devant lui,
obéissant, et cela sans lutte, dès le commencement. Lorsque Mouret avait
conseillé à ses commis de mettre leur argent dans la maison, Bourdoncle
s'était exécuté un des premiers, lui confiant même l'héritage inattendu
d'une tante ; et, peu à peu, après avoir passé par tous les grades,
vendeur, puis second, puis chef de comptoir à la soie, il était devenu un
des lieutenants du patron, le plus cher et le plus écouté, un des six
intéressés qui aidaient celui-ci à gouverner le Bonheur des Dames,
quelque chose comme un conseil de ministres sous un roi absolu. Chacun
d'eux veillait sur une province.
Bourdoncle était chargé de la surveillance générale.
- Et vous, reprit-il familièrement, avez-vous bien dormi ?
Lorsque Mouret eut répondu qu'il ne s'était pas couché, il hocha la tête, en
murmurant :
- Mauvaise hygiène.
- Pourquoi donc ? dit l'autre avec gaieté ! Je suis moins fatigué que vous,
mon cher. Vous avez les yeux bouffis de sommeil, vous vous alourdissez, à
être trop sage... Amusez-vous donc, ça vous fouettera les idées !
C'était toujours leur dispute amicale. Bourdoncle, au début, avait battu ses
maîtresses, parce que, disait-il, elles l'empêchaient de dormir. Maintenant,
il faisait profession de haïr les femmes, ayant sans doute au-dehors des
rencontres dont il ne parlait pas, tant elles tenaient peu de place dans sa
vie, et se contentant au magasin d'exploiter les clientes, avec un grand
mépris pour leur frivolité à se ruiner en chiffons imbéciles. Mouret, au
contraire, affectait des extases, restait devant les femmes ravi et câlin,
emporté continuellement dans de nouveaux amours ; et ses coups de
cœur étaient comme une réclame à sa vente, on eût dit qu'il enveloppait
tout le sexe de la même caresse, pour mieux l'étourdir et le garder à sa
merci.
Document complémentaire : la fin du roman, Chapitre XIV
Au moment où le caissier se retirait, navré de l'indifférence du patron,
Bourdoncle arriva, en criant gaiement :
- Hein ! nous le tenons, cette fois !... Il est décroché, le million !
Mais il remarqua la préoccupation fébrile de Mouret, il comprit et se calma.
Une joie avait allumé son regard. Après un court silence, il reprit :
- Vous vous êtes décidé, n'est-ce pas ? Mon Dieu ! je vous approuve.
Brusquement, Mouret s'était planté devant lui, et de sa voix terrible des
jours de crise :
- Dites donc, mon brave, vous êtes trop gai... N'est-ce pas ? vous me
croyez fini, et les dents vous poussent. Méfiez-vous, on ne me mange pas,
moi !
Décontenancé par la rude attaque de ce diable d'homme qui devinait tout,
Bourdoncle balbutia :
- Quoi donc ? vous plaisantez ? moi qui ai tant d'admiration pour vous !
- Ne mentez pas ! reprit Mouret plus violemment. Écoutez, nous étions
stupides, avec cette superstition que le mariage devait nous couler. Est-ce
qu'il n'est pas la santé nécessaire, la force et l'ordre mêmes de la vie !...
Eh bien ! oui, mon cher, je l'épouse, et je vous flanque tous à la porte, si
vous bougez. Parfaitement ! vous passerez comme un autre à la caisse,
Bourdoncle !
D'un geste, il le congédiait. Bourdoncle se sentit condamné, balayé dans
cette victoire de la femme. Il s'en alla. Denise entrait justement, et il
s'inclina dans un salut profond, la tête perdue.
- Enfin ! c'est vous ! dit Mouret, doucement.
Denise était pâle d'émotion. Elle venait d'éprouver un dernier chagrin,
Deloche lui avait appris son renvoi ; et, comme elle essayait de le retenir,
en offrant de parler en sa faveur, il s'était obstiné dans sa malchance, il
voulait disparaître : à quoi bon rester ? pourquoi aurait-il gêné les gens
heureux ?
Denise lui avait dit un adieu fraternel, gagnée par les larmes.
Elle-même n'aspirait-elle pas à l'oubli ? Tout allait finir, elle ne demandait
plus à ses forces épuisées que le courage de la séparation. Dans quelques
minutes, si elle était assez vaillante pour s'écraser le cœur, elle pourrait
s'en aller seule, pleurer au loin.
- Monsieur, vous avez désiré me voir, dit-elle de son air calme. Du reste, je
serais venue vous remercier de toutes vos bontés.
En entrant, elle avait aperçu le million sur le bureau, et l'étalage de cet
argent la blessait. Au-dessus d'elle, comme s'il eût regardé la scène, le
portrait de Mme Hédouin, dans son cadre d'or, gardait l'éternel sourire de
ses lèvres peintes.
- Vous êtes toujours résolue à nous quitter ? demanda Mouret, dont la voix
tremblait.
- Oui, monsieur, il le faut.
Alors, il lui prit les mains, il dit dans une explosion de tendresse, après la
longue froideur qu'il s'était imposée :
- Et si je vous épousais, Denise, partiriez-vous ?
Mais elle avait retiré ses mains, elle se débattait comme sous le coup
d'une grande douleur.
- Oh ! monsieur Mouret, je vous en prie, taisez-vous ! Oh ! ne me faites
pas plus de peine encore !... Je ne peux pas ! je ne peux pas !... Dieu est
témoin que je m'en allais pour éviter un malheur pareil !
Elle continuait de se défendre par des paroles entrecoupées. N'avait-elle
pas trop souffert déjà des commérages de la maison ? Voulait-il donc
qu'elle passât aux yeux des autres et à ses propres yeux pour une
gueuse ? Non, non, elle aurait de la force, elle l'empêcherait bien de faire
une telle sottise. Lui, torturé, l'écoutait, répétait avec passion :
- Je veux... je veux...
- Non, c'est impossible... Et mes frères ? j'ai juré de ne point me marier, je
ne puis vous apporter deux enfants, n'est-ce pas ?
- Ils seront aussi mes frères... Dites oui, Denise.
- Non, non, oh ! laissez-moi, vous me torturez ! Peu à peu, il défaillait, ce
dernier obstacle le rendait fou.
Eh quoi ! même à ce prix, elle se refusait encore ! Au loin, il entendait la
clameur de ses trois mille employés, remuant à pleins bras sa royale
fortune. Et ce million imbécile qui était là ! il en souffrait comme d'une
ironie, il l'aurait poussé à la rue.
- Partez donc ! cria-t-il dans un flot de larmes. Allez retrouver celui que
vous aimez... C'est la raison, n'est-ce pas ? Vous m'aviez prévenu, je
devrais le savoir et ne pas vous tourmenter davantage.
Elle était restée saisie, devant la violence de ce désespoir.
Son cœur éclatait. Alors, avec une impétuosité d'enfant, elle se jeta à son
cou, sanglota elle aussi, en bégayant :
- Oh ! monsieur Mouret, c'est vous que j'aime !
Une dernière rumeur monta du Bonheur des Dames, l'acclamation
lointaine d'une foule. Le portrait de Mme Hédouin souriait toujours, de ses
lèvres peintes, Mouret était tombé assis sur le bureau, dans le million, qu'il
ne voyait plus. Il ne lâchait pas Denise, il la serrait éperdument sur sa
poitrine, en lui disant qu'elle pouvait partir maintenant, qu'elle passerait
un mois à Valognes, ce qui fermerait la bouche du monde, et qu'il irait
ensuite l'y chercher lui-même, pour l'en ramener à son bras, toute-
puissante.
Séance 6. Lecture analytique de la première apparition d’Octave
Mouret, chapitre II
Support : le texte, déjà lu au cours précédent
Durée : 2 h : 30h de préparation et 30 minutes d’exposé et 1h de reprise
et correction.
Objectif : réinvestir la connaissance du texte pour une analyse plus
approfondie. Préparer l’épreuve orale.
Activité : préparation à l’épreuve orale
Demander aux élèves de se mettre dans la perspective d’un exposé oral
et leur proposer une problématique qu’ils doivent prendre en compte pour
construire leur analyse du texte déjà travaillé au cours précédent.
Problématique : comment Zola procède-t-il pour présenter le
personnage d’Octave Mouret ?
Les élèves travaillent individuellement pendant 30 minutes. Proposer
ensuite à un élève de passer à l’oral devant la classe, qui prend en note
son analyse.
Par la suite le professeur effectue une reprise de la prestation, soulignant
les points positifs et s’il y a lieu, les progrès à faire.
Enfin, une correction sera proposée, de façon rapide, sauf si certains
points méritent une attention plus particulière :
Introduction
Au Bonheur des dames raconte, à travers le parcours d’une jeune fille
pauvre, Denise Baudu, l’émergence des grands magasins et la disparition
des boutiques traditionnelles.
Alors qu’elle vient d’arriver à Paris, Denise recherche un travail et décide
d’aller se présenter Au Bonheur des dames. Alors qu’elle attend
l’ouverture du magasin, nous découvrons enfin celui qui est l’origine de la
réussite de ce grand magasin, Octave Mouret dont la réussite a été
racontée dans un roman précédent, Pot-bouille.
Problématique : comment Zola procède-t-il pour présenter le personnage
d’Octave Mouret ?
I. Portrait physique et moral de Mouret
A. Les différents points de vue sur le personnage
• La focalisation interne d’abord : on découvre Mouret, sans savoir
que c’est lui, par le regard de Denise qui attend devant la porte du
magasin : « lorsque la vue d'un jeune homme, qui arrivait
rapidement par la rue Port-Mahon, l'arrêta une minute encore ».
Cela permet de mettre en évidence le respect que les gens lui
montre et son aspect séduisant, puisque son observation la retient
alors qu’elle veut partir.
• La focalisation zéro dans le deuxième paragraphe et jusqu’à la fin
permet de prendre plus de recul par rapport au personnage et de
compléter les informations sur celui-ci. « C'était mieux qu'un chef de
rayon, c'était Octave Mouret en personne. » Le présentatif permet
de mettre en valeur le personnage, dont l’arrivée tardive dans le
roman a été préparée lors du chapitre précédent par la conversation
pendant le repas chez les Baudu. On peut noter l’humour du
narrateur par rapport à la naïveté de Denise qui le prend pour un
« chef de rayon », poste déjà important pour elle.
B. Portrait physique
• Portrait flatteur : jeunesse « jeune homme », beauté : « grand, peau
blanche, barbe soignée » = homme élégant et qui prend soin de sa
personne
• Détail particulier : « yeux couleur de vieil or, d’une douceur de
velours » : yeux, comme miroir de l’âme, donc un détail
particulièrement humain. Mais surtout, la métaphore du vieil or et du
velours signalent que Mouret et son magasin s’accordent.
• Par la suite, on apprend qu’il a « l’œil vif » et « la peau fraiche »
« comme s’il avait passé dix heures au lit » alors qu’il n’a pas dormi
de la nuit et qu’il arrive d’une fête. Son aspect est donc celui d’un
homme plein de ressources et infatigable, à l’image de son magasin
= Physique flatteur et énergique
C. Portrait moral
• Mouret est un homme heureux : « sourire d’homme heureux ». Il
s’adresse d’ailleurs à Bourdoncle en l’incitant à sortir : « amusez-
vous, ça vous fouettera les idées » = personnage positif, lumineux,
non un commerçant cupide et malhonnête. Zola a voulu incarner
une réussite honnête et franche.
• Un jouisseur : on le voit arriver directement d’une soirée, où il a
rencontré deux femmes « ramassées dans les coulisses d’un petit
théâtre », ce qui a même menacé de lui causer des problèmes dans
sa jeunesse : « des histoires de femmes inquiétantes ». Il semble
n’être attaché à personne, si ce n’est sa femme décédée, et encore,
on ne le sent pas vraiment désespéré par cette mort.
II. Un homme d’affaire talentueux
A. Le sens du commerce
• « coup de génie », « audace », « grâce victorieuse » : homme de la
réussite, qui parvient à réaliser tout ce qu’il entreprend.
• Il innove : « avait conseillé à ses commis de mettre leur argent dans
la maison » : l’intéressement de ses vendeurs à son magasin
contribue à les motiver et à augmenter ses ventes.
• gestion rigoureuse : « roi absolu », « conseil des ministres » : ces
métaphores politiques signalent bien qu’il jouit d’une une autorité
incontestée et qu’il aborde son travail avec sérieux..
B. Mouret et les femmes
• C’est la source de sa réussite : Mme Hédouin, qui reste avec lui par
la présence symbolique de son portrait : « souvenir attendri ».
Mouret est un homme qui réussit grâce aux femmes à l’origine (cf.
Pot Bouille qui raconte son arrivée à Paris, ses différentes conquêtes
féminines et son mariage avec Mme Hédouin qui a besoin d’un
homme pour développer son magasin).
• L’attraction de Denise permet de marquer l’empire qu’il exerce sur
elle dans le roman : « toute retournée par ce regard », « émotion
singulière » « malaise » : Mouret lui fait de l’effet.
C. Bourdoncle : le faire-valoir de Mouret
• L’onomastie est déjà très révélatrice : Mouret = amour /
Bourdoncle = bourdon, oncle… L’un a en effet un aspect revêche et
déteste les femmes, tandis que le beau Mouret suscite l’amour et le
désir dès qu’il apparaît. Deux personnages en complète opposition,
le second permettant de révéler la séduction, la légèreté de Mouret.
• Zola insiste sur le fait que le commerce n’est pas qu’une question
d’intelligence : Bourdoncle est décrit comme « très intelligent »,
« très actif », mais pourtant, lui-même reconnaît la valeur de Mouret
dans le commerce qui lu fait supplanter tous les autres.
• Zola propose une explication à la victoire de Mouret, c’est son
amour des femmes, tandis que Bourdoncle les déteste et les
méprise.
• En même temps, la valeur de Mouret est de savoir s’entourer des
meilleurs : Bourdoncle est un homme sage et travailleur.
Conclusion : ce passage où Denise croise pour la première fois le patron
du grand magasin est déterminant pour la suite du roman. Cela permet en
effet de comprendre la réussite de Mouret, homme d’affaire talentueux et
honnête, bien différent du personnage de Saccard présenté dans L’Argent.
Séance 7 : Lecture analytique de la grande vente des nouveautés
d’été
Support : le texte du chapitre IX. De « Oh conclut Vallagnosc… » jusqu’à
« Grands bazars » (texte ci-dessous)
Durée : 2h
Objectifs : comprendre l’intérêt narratif du passage : Zola explique la
réussite des grands magasins, leurs techniques commerciales, tout en
faisant preuve d’un grand lyrisme. Préparer l’épreuve orale.
Activité 1 : lire le passage en classe et demander aux élèves quelles
impressions ils en retirent. Noter leurs remarques, puis leur demander de
formuler une problématique. Proposition de problématique : dans quelle
mesure Zola montre-t-il dans ce passage la puissance de cette nouvelle
forme de magasin ?
Il faudra ensuite leur proposer d’ébaucher un plan d’analyse à partir de
deux idées principales, qu’ils doivent trouver : l’acmé de la vente et un
lieu infernal. Quand ces deux idées sont perçues, leur demander de
travailler à l’écrit au choix sur l’une ou l’autre idée.
Une fois le temps de travail personnel terminé, proposer à des élèves de
lire leur partie, puis corriger.
Introduction :
Zola s’est intéressé aux mutations de son époque, et dans Au bonheur des
dames, il a entrepris de faire « le poème de l’activité moderne », et de se
concentrer sur les nouveaux grands magasins qui viennent détrôner les
anciennes boutiques.
Dans le chapitre IX, Zola nous présente la grande vente qui suit les
travaux magistraux réalisés grâce au baron Hartmann et qui permettent à
Mouret de posséder le pâté de maison et de réaménager l’espace
intérieur. C’est entre 4h et 5h que la vente bat son plein, et que les
inventions de Mouret finissent par séduire complètement les clientes.
Dans quelle mesure Zola montre-t-il dans ce passage la puissance de cette
nouvelle forme de magasin ? Nous verrons tout d’abord que notre passage
se situe à l’acmé de la vente, puis que Zola montre le magasin comme un
lieu infernal.
I. L’acmé de la vente
A. Une réussite commerciale
• Fréquentation accrue : l’utilisation des pluriel : « les femmes »,
« elles », « toutes », mais aussi de terme généralisant et insistant
sur le monde : « la cohue », « la foule ».
• Moments ultimes de la vente : c’est la fin de l’après-midi, et l’on suit
dans cet extrait l’heure de « quatre heures » à « cinq heures ». Zola
explique que c’est le moment où les vendeurs peuvent faire pression
sur les clientes : « arrachaient des victoires à la fièvre dernière des
clientes ».
• Réussite de la réclame, qui permet de rentabiliser l’investissement
financier qu’il représente : « les 60000 francs d’annonces payés aux
journaux ». Zola rappelle aussi les différents dispositifs mis en place
par Mouret pour attirer les clientes, et qui diminuent leur résistance
face aux dépenses : « elles restaient secouées encore de toutes les
inventions de Mouret, la baisse des prix, les rendus, les galanteries
sans cesse renaissantes ».
B. La métamorphose des êtres
• Les clientes toutes-puissantes : Zola les décrit par le biais d’une
métaphore filée qui les associe à un peuple conquérant qui aurait
envahi le magasin : « les femmes régnaient », « souveraines ». Il
utilise ainsi des termes qui évoquent les combats : « horde
envahissante », « pays conquis », « campaient », « pris d’assaut »,
« tyrannie ». En cela, on retrouve bien l’idée affirmée à plusieurs
reprises par Mouret, que les femmes sont chez elles au bonheur des
dames.
• Les vendeurs déshumanisés : ceux qui sont les véritables victimes
de cette tyrannie des clientes, ce sont les commis qui doivent subir
tous leurs désirs, et se voient ainsi réifiés : « assourdis, brisés,
n’étaient plus que leurs choses ».
• Des femmes dépossédées d’elles-mêmes : elles dépensent
beaucoup d’argent, mais le plus étonnant est leur métamorphose :
« les minces tenaient de la place », « sans politesse », etc. Dans
l’ivresse de la dépense, les femmes finissent par être dépossédées
d’elles-mêmes, et perdre leurs usages et leur éducation.
= un lieu presque inquiétant, où les bas instincts ont leur place.
C. Le moment de tous les excès
• Zola marque bien dans ce passage la progression de la journée
jusqu’à ce moment d’acmé : « dernier mot », « note aiguë », « fièvre
croissante », « dernière fois », « heure dernière » : « c’était l’heure
où la cohue achevait de se détraquer ». il nous montre un
phénomène de perte de contrôle savamment organisé par Mouret.
• Il met ainsi en valeur tous les excès auquel se livrent les clientes :
excès dans la consommation du buffet : « se ruaient », « se
gorgeaient », « 80 litres de sirop » « 70 bouteilles de vin », 40000
ballons. C’est en accumulant les chiffres qu’il met en lumière
l’énormité de la machine qu’est devenue le magasin.
• La violence entre les clientes : certaines clientes font des caprices,
comme Mme de Bôves qui veut un ballon et Mme Desforges qui veut
des affiches et qui pense à humilier Denise. A la fin, il faut se battre
pour sortir, et Zola évoque le « massacre » des soldes.
Le Bonheur des dames comble les femmes en leur donnant l’impression
qu’elles sont chez elles et en leur proposant des affaires, mais, en fait,
Zola nous le montre comme un lieu véritablement dangereux.
II. « Au Bonheur des dames », le lieu de touts les tentations
A. Un lieu infernal
• Un piège pour les femmes : le BD se présente comme un labyrinthe
dont elles n’arrivent pas à sortir. Mme Marty, par exemple passe de
rayon en rayon sans réussir à sortir : « elle traversait une fois de
plus… » et la succession des verbes à l’imparfait « retombait »,
« retournait » », « poussait » marque bien le côté itératif de son
parcours.
• Zola présente en fait ce lieu comme un enfer par le biais d’une
métaphore filée qui début dès le début du passage, comme on peut
le voir avec la présence de la couleur « rouge » et l’omniprésence du
champ lexical du feu : « incendie » (x2), « flamme », « feu »,
« braise », « brûlait ». Par ailleurs, Zola mentionne que l’atmosphère
est surchauffée, mais aussi que le lieu est entouré de « coulée
d’ombre ».
• Lieu dangereux s’il en est, ce grand magasin est un véritable lieu de
tentation : on trouve en effet le champ lexical de la brillance :
« miroitaient », « s’allumaient », « brûlaient », « diaprés »,
« resplendissaient »…Le magasin est un lieu où s’expose le luxe de
manière à tenter toutes les femmes. Les étalages rivalisent
d’imagination pour mettre en valeur les marchandises : « palais de
gants et de cravates », et Zola use à de nombreuses reprises des
accumulations pour faire ressortir cette abondance de luxe. Et il
n’est pas anodin que l’adultère s’épanouisse « Au Bonheur des
dames », comme on peut le voir avec la rencontre de M. de Bôves et
de Mme Guibal.
• Cet enfer tentateur déteint sur les femmes, et Mme Marty ressort de
ce lieu comme si elle « s’était brûlé la vue et le teint », tandis qu’au
contraire, grâce à ses clientes qui promènent leurs ballons rouges, le
BD atteint « le ciel ».
B. Les femmes, victimes volontaires
• La première phrase de Vallagnosc donne un éclairage particulier à
cette scène : « On ne doit pas tenter à ce point de pauvres femmes
sans défense ». Phrase méprisantes pour les femmes mais qui
évoque des problématiques évoquées à l’époque : les femmes
n’étant pas suffisamment éduquées alors, elles ne parvenaient pas
toujours à résister aux sirènes du marketing naissant.
• On est face à un paradoxe savamment orchestré par Mouret : les
femmes sont reines chez lui, mais en fait elles sont complètement
dominées par leur folie d’achats.
• Elles ne parviennent pas à résister à toutes les « inventions » de
Mouret. Zola use, pour évoquer leur rapport au magasin de termes
métaphoriques évoquant d’un lien impossible à défaire : « ne
pouvant s’en détacher », « retenue par des liens si forts ». Par
ailleurs, certains termes signalent une annihilation de leur volonté :
« lasse », « s’abandonnait ».
• La métaphore qui montre cette incapacité à se contrôler est double :
Mme Marty est assimilée à un « enfant » « ivre » : ces deux termes
renvoient à l’absence de contrôle et de raison.
C. La maladie de la consommation
• Pour rendre compte de la frénésie qui saisit les femmes dans le
magasin, Zola fait référence à des termes médicaux : « fièvre »,
« crise », « nerfs », « névrose ». Il décrit Mme Marty comme si elle
souffrait d’une maladie : « traits tirés », « yeux élargis d’une
malade ». = cette folie de tissus et de vêtements apparaît comme
quelque chose de malsain.
• Idée d’un déséquilibre dans les termes « détraquement »
et « détraquées » ainsi que dans l’évocation d’une « passion ». C’est
en profitant de cela que les vendeurs parviennent à faire acheter
plus aux femmes.
• La force de ce lieu est de faire perdre aux femmes leurs repères, ce
que l’on retrouve à la fin du passage, avec l’effet de chute qui
provient du retour à l’extérieur, au frais, loin de la chaleur du
magasin, de Mme Marty « terrifiée » par la facture et « effarée »
après ces moments passés dans le grand magasin.
Conclusion :
Zola est favorable au nouveau commerce, mais il montre aussi les ravages
qu’il peut faire chez certaines personnes qui ne parviennent pas à résister
aux sirènes des réclames et des bonnes affaires, d’où la comparaison avec
un enfer.
Séquence Au Bonheur des dames d’Emile Zola
Texte 3 : la grande vente, chapitre IX
- Oh ! conclut Vallagnosc, je crois qu'il n'est pas de taille...
Du reste, pourquoi étalez-vous tant de marchandises ? C'est bien fait, si
l'on vous vole. On ne doit pas tenter à ce point de pauvres femmes sans
défense.
Ce fut le dernier mot, qui sonna comme la note aiguë de la journée, dans
la fièvre croissante des magasins. Ces dames se séparaient, traversaient
une dernière fois les comptoirs encombrés. Il était quatre heures, les
rayons du soleil à son coucher entraient obliquement par les larges baies
de la façade, éclairaient de biais les vitrages des halls ; et, dans cette
clarté d'un rouge d'incendie, montaient, pareilles à une vapeur d'or, les
poussières épaisses, soulevées depuis le matin par le piétinement de la
foule. Une nappe enfilait la grande galerie centrale, découpait sur un fond
de flammes les escaliers, les ponts volants, toute cette guipure de fer
suspendue. Les mosaïques et les faïences des frises miroitaient, les verts
et les rouges des peintures s'allumaient aux feux des ors prodigués.
C'était comme une braise vive, où brûlaient maintenant les étalages, les
palais de gants et de cravates, les girandoles de rubans et de dentelles,
les hautes piles de lainage et de calicot, les parterres diaprés que
fleurissaient les soies légères et les foulards.
Des glaces resplendissaient. L'exposition des ombrelles, aux rondeurs de
bouclier, jetait des reflets de métal. Dans les lointains, au-delà de coulées
d'ombre, il y avait des comptoirs perdus, éclatants, grouillant d'une cohue
blonde de soleil.
Et, à cette heure dernière, au milieu de cet air surchauffé, les femmes
régnaient. Elles avaient pris d'assaut les magasins, elles y campaient
comme en pays conquis, ainsi qu'une horde envahissante, installée dans
la débâcle des marchandises. Les vendeurs, assourdis, brisés, n'étaient
plus que leurs choses, dont elles disposaient avec une tyrannie de
souveraines. De grosses dames bousculaient le monde. Les plus minces
tenaient de la place, devenaient arrogantes. Toutes, la tête haute, les
gestes brusques, étaient chez elles, sans politesse les unes pour les
autres, usant de la maison tant qu'elles pouvaient, jusqu'à en emporter la
poussière des murs. Mme Bourdelais, désireuse de rattraper ses dépenses,
avait de nouveau conduit ses trois enfants au buffet ; maintenant, la
clientèle s'y ruait dans une rage d'appétit, les mères elles-mêmes s'y
gorgeaient de malaga ; on avait bu, depuis l'ouverture, quatre-vingts litres
de sirop et soixante-dix bouteilles de vin. Après avoir acheté son manteau
de voyage, Mme Desforges s'était fait offrir des images à la caisse ; et elle
partait en songeant au moyen de tenir Denise chez elle, où elle
l'humilierait en présence de Mouret lui-même, pour voir leur figure et tirer
d'eux une certitude. Enfin, pendant que M. de Boves réussissait à se
perdre dans la foule et à disparaître avec Mme Guibal, Mme de Boves,
suivie de Blanche et de Vallagnosc, avait eu le caprice de demander un
ballon rouge, bien qu'elle n'eût rien acheté. C'était toujours cela, elle ne
s'en irait pas les mains vides, elle se ferait une amie de la petite fille de
son concierge. Au comptoir de distribution, on entamait le quarantième
mille : quarante mille ballons rouges qui avaient pris leur vol dans l'air
chaud des magasins, toute une nuée de ballons rouges qui flottaient à
cette heure d'un bout à l'autre de Paris, portant au ciel le nom du Bonheur
des Dames !
Cinq heures sonnèrent. De toutes ces dames, Mme Marty demeurait seule
avec sa fille, dans la crise finale de la vente.
Elle ne pouvait s'en détacher, lasse à mourir, retenue par des liens si forts,
qu'elle revenait toujours sur ses pas, sans besoin, battant les rayons de sa
curiosité inassouvie. C'était l'heure où la cohue, fouettée de réclames,
achevait de se détraquer ; les soixante mille francs d'annonces payés aux
journaux, les dix mille affiches collées sur les murs, les deux cent mille
catalogues lancés dans la circulation, après avoir vidé les bourses,
laissaient à ces nerfs de femmes l'ébranlement de leur ivresse ; et elles
restaient secouées encore de toutes les inventions de Mouret, la baisse
des prix, les rendus, les galanteries sans cesse renaissantes. Mme Marty
s'attardait devant les tables de proposition, parmi les appels enroués des
vendeurs, dans le bruit d'or des caisses et le roulement des paquets
tombant aux sous-sols ; elle traversait une fois de plus le rez-de-chaussée,
le blanc, la soie, la ganterie, les lainages ; puis, elle remontait,
s'abandonnait à la vibration métallique des escaliers suspendus et des
ponts volants, retournait aux confections, à la lingerie, aux dentelles,
poussait jusqu'au second étage, dans les hauteurs de la literie et des
meubles, et, partout, les commis, Hutin et Favier, Mignot et Liénard,
Deloche, Pauline, Denise, les jambes mortes, donnaient un coup de force,
arrachaient des victoires à la fièvre dernière des clientes. Cette fièvre,
depuis le matin, avait grandi peu à peu, comme la griserie même qui se
dégageait des étoffes remuées. La foule flambait sous l'incendie du soleil
de cinq heures. Maintenant, Mme Marty avait la face animée et nerveuse
d'une enfant qui a bu du vin pur. Entrée les yeux clairs, la peau fraîche du
froid de la rue, elle s'était lentement brûlé la vue et le teint, au spectacle
de ce luxe, de ces couleurs violentes, dont le galop continu irritait sa
passion.
Lorsqu'elle partit enfin, après avoir dit qu'elle paierait chez elle, terrifiée
par le chiffre de sa facture, elle avait les traits tirés, les yeux élargis d'une
malade. Il lui fallut se battre pour se dégager de l'écrasement obstiné de
la porte ; on s'y tuait, au milieu du massacre des soldes. Puis, sur le
trottoir, quand elle eut retrouvé sa fille qu'elle avait perdue, elle frissonna
à l'air vif, elle demeura effarée, dans le détraquement de cette névrose
des grands bazars.
Document complémentaire : la vente de blanc, chapitre XIV
« Ce qui arrêtait ces dames, c'était le spectacle prodigieux de la grande
exposition de blanc. Autour d'elles, d'abord il y avait le vestibule, un hall
aux glaces claires, pavé de mosaïques, où les étalages à bas prix
retenaient la foule vorace. Ensuite, les galeries s'enfonçaient, dans une
blancheur éclatante, une échappée boréale, toute une contrée de neige,
déroulant l'infini des steppes tendues d'hermine, l'entassement des
glaciers allumés sous le soleil. On retrouvait le blanc des vitrines du
dehors, mais avivé, colossal, brûlant d'un bout à l'autre de l'énorme
vaisseau, avec la flambée blanche d'un incendie en plein feu. Rien que du
blanc, tous les articles blancs de chaque rayon, une débauche de blanc, un
astre blanc dont le rayonnement fixe aveuglait d'abord, sans qu'on pût
distinguer les détails, au milieu de cette blancheur unique. Bientôt les
yeux s'accoutumaient : à gauche, la galerie Monsigny allongeait les
promontoires blancs des toiles et des calicots, les roches blanches des
draps de lit, des serviettes, des mouchoirs ; tandis que la galerie
Michodière, à droite, occupée par la mercerie, la bonneterie et les
lainages, exposait des constructions blanches en boutons de nacre, un
grand décor bâti avec des chaussettes blanches, toute une salle
recouverte de molleton blanc, éclairée au loin d'un coup de lumière. Mais
le foyer de clarté rayonnait surtout de la galerie centrale, aux rubans et
aux fichus, à la ganterie et à la soie. Les comptoirs disparaissaient sous le
blanc des soies et des rubans, des gants et de fichus. Autour des
colonnettes de fer, s'élevaient des bouillonnés de mousseline blanche,
noués de place en place par des foulards blancs. Les escaliers étaient
garnis de draperies blanches, des draperies de piqué et de basin
alternées, qui filaient le long des rampes, entouraient les halls, jusqu'au
second étage ; et cette montée du blanc prenait des ailes, se pressait et
se perdait, comme une envolée de cygnes. Puis, le blanc retombait des
voûtes, une tombée de duvet, une nappe neigeuse en larges flocons : des
couvertures blanches, des couvre-pieds blancs, battaient l'air, accrochés,
pareils à des bannières d'église ; de longs jets de guipure traversaient,
semblaient suspendre des essaims de papillons blancs, au bourdonnement
immobile ; des dentelles frissonnaient de toutes parts, flottaient comme
des fils de la Vierge par un ciel d'été, emplissaient l'air de leur haleine
blanche. Et la merveille, l'autel de cette religion du blanc, était, au-dessus
du comptoir des soieries, dans le grand hall, une tente faite de rideaux
blancs, qui descendaient du vitrage. Les mousselines, les gazes, les
guipures d'art, coulaient à flots légers, pendant que des tulles brodés, très
riches, et des pièces de soie orientale, lamées d'argent, servaient de fond
à cette décoration géante, qui tenait du tabernacle et de l'alcôve. On
aurait dit un grand lit blanc, dont l'énormité virginale attendait, comme
dans les légendes, la princesse blanche, celle qui devait venir un jour,
toute-puissante, avec le voile blanc des épousées.– Oh ! extraordinaire !
répétaient ces dames. Inouï ! »
Séance 8 : comparaison entre la grande exposition des
nouveautés du chapitre IX et la grande exposition du blanc
chapitre XIV
Support : le texte du chapitre IX et un passage du chapitre XIV qui décrit la
grande exposition du blanc.
Durée : 30 minutes
Objectif : percevoir la dimension symbolique des descriptions, à partir d’un
relevé de procédés d’écriture.
Activité 1 : relevé
Lire le passage de la vente du blanc et demander aux élèves s’il leur fait la
même impression que celui du chapitre IX. Evidemment, les élèves vont
percevoir la différence entre les deux chapitres : aux images infernales du
chapitre IX répondent ici des métaphore qui font du magasin un pays
merveilleux.
Leur demander de relever et de classer les images, comparaisons et
métaphores utilisées pour décrire le magasin et ses marchandises :
• L’importance des images insistant sur la lumière : « blancheur
éclatante », « allumés sous le soleil », « astre blanc dont le
rayonnement fixe aveugle tout d’abord », « foyer de clarté »
• Un pays nordique et montagneux : « échappée boréale »,
« contrée de neige », « steppes tendues d’hermine », « glaciers »,
« promontoires », « roches », « nappes neigeuses en larges flocons».
Pourtant, loin d’être glacé, au contraire, le blanc est aussi porteur de
chaleur puisque Zola évoque un « incendie » et use du terme
« brûlant ».
• Les marchandises sont assimilées à des oiseaux : « cette montée
du blanc prenait des ailes, se pressait et se perdait, comme une
envolée de cygnes »
• Importance des images religieuses et de mariage : « bannière
d’église », « fils de la Vierge », « autel de la religion du blanc »,
« tabernacle et de l’alcôve », « grand lit blanc », « énormité
virginale », « princesse blanche », « voile blanc des épousées. »
Activité 2 : SYNTHESE
Demander aux élèves d’interpréter leur relevé, et d’essayer de formuler le
sens symbolique de la description.
Zola supprime donc les images assimilant le magasin à un enfer pour
montrer qu’il est devenu un lieu féérique. Par ailleurs, on peut constater
qu’il annonce déjà la victoire de Denise en évoquant des images virginales
associée à la présence d’un lit et au voile des épousées. On retrouve aussi
le terme « toute-puissante » utilisé à la dernière ligne du roman pour
qualifier l’héroïne. Surtout, il faut remarquer le lyrisme avec lequel l’auteur
fait sa description, qui se fonde sur ces images ainsi que sur la répétition
du mot « blanc » et qui font de ce passage un véritable « poème de
l’activité moderne », à l’image de son projet.
Séance 9. Étude d’ensemble : Zola et le nouveau commerce
Support : tout le roman
Durée : 1h
Objectif : en lien avec le cours de SES, percevoir combien Zola s’est
intéressé aux techniques commerciales des grands magasins pour les
reproduire dans son roman. Travailler le sujet d’invention.
Activité 1 : demander aux élèves de noter sur leur feuille quatre
innovations présentées par Mouret pour dynamiser les ventes dans ses
magasins. Puis les élèves proposent leurs résultats.
Les techniques commerciales présentées dans Au Bonheur des dames :
• La rotation très rapide des stocks. L’enquête minutieuse de Zola
lui a révélé que le rayon de mode du magasin du Louvre renouvelait
son stock cinquante-quatre fois dans l’année, contre deux fois pour
les boutiques traditionnelles.
• Les rendus : « les rendus et la baisse des prix entraient dans le
fonctionnement classique du nouveau commerce ».
• Les soldes d’une partie de la marchandise et autre opérations
promotionnelles, et produit d’appel (la soie Paris-bonheur) : « elle ne
résistait pas au bon marché, qu’elle achetait sans besoin, quand elle
croyait conclure une affaire avantageuse ».
• La publicité : « 300000 francs de catalogues, annonces et
affiches », « Il (Mouret) professait que la femme est sans force
contre la réclame, qu’elle finit fatalement par aller au bruit ».
• La distribution de catalogues et la vente par correspondance.
• Les expositions temporaires et autres divertissements offerts
aux clients (salon de lecture, papier pour la correspondance).
• La distribution de ballons et de bouquets de fleurs contre tout
achat.
• La beauté des étalages (la spécialité de Mouret) : « flambants des
couleurs les plus ardentes »
• L’organisation du magasin pour obliger les clientes à traverser
tous les rayons, et ne pas laisser des parties du magasin sans
clientes : « La vie (…) attire la vie, enfante et pullule » « Partout on
avait gagné de l’espace, l’air et la lumière entraient librement, le
public circulait à l’aise ».
• Les vendeurs sont intéressés à la réussite de l’entreprise et
mettent leurs économies dans la société.
• Le contrôle strict des recettes et des vendeurs (voir les nouveaux
carnets qui permettent de vérifier les ventes et éviter la fraude).
Il est important de noter que Mouret réussit de manière honnête, car il a le
génie du commerce. Zola montre bien l’importance du développement du
commerce, comme l’un des quatre mondes fondamentaux de la société
moderne.
Activité 2 : Sujet d’invention (à finir à la maison)
A partir du personnage de Zola, imaginez un Octave Mouret du vingt-et-
unième siècle et écrivez un dialogue dans lequel il développera sa vision
personnelle du commerce, et présentera ses innovations dans le domaine.
Séance 10. Lecture analytique de l’enterrement de Geneviève
Support : le texte, chapitre XIII
Durée : 2h
Objectifs : comprendre la dimension symbolique de la scène,
l’enterrement de Geneviève étant ici associé à la disparition du petit
commerce. Entraînement à l’épreuve écrite, notamment travail sur le
brouillon, de manière à faire comprendre aux élèves l’importance des
relectures pour donner du sens au texte.
Activité 1 : Lecture du passage. Demander aux élèves de noter par écrit
les idées qui leur viennent dans la perspective d’un commentaire écrit. Les
élèves lisent à voix haute ce qu’ils ont trouvé, et on note les idées au
tableau.
Activité 2 : relecture à l’oral du passage. Demander aux élèves de
continuer leur travail de relevé d’idées. Noter les idées supplémentaires
relevées par les élèves. Leur demander ensuite de formuler des
problématiques. En choisir une, notée au tableau.
Activité 3 : Relecture silencieuse du passage. Proposer aux élèves de
construire un plan détaillé en fonction de la problématique choisie.
Proposer une correction en commun.
Proposition de corrigé :
En quoi cette scène de deuil a-t-elle une dimension symbolique ?
I. Un double deuil
A. La mort de Geneviève
• L’évocation du décès de la cousine de Denise débute le passage par
une phrase à la construction étudiée, en effet, Zola crée un effet de
ralenti par la succession de trois compléments circonstanciels de
temps de quatre syllabes chacun : « Le lendemain, à six heures, au
petit jour, Geneviève expirait ». L’impression de pesanteur que
donne cette phrase, ajoutée à la répétition d’indications temporelles,
reflète d’une certaine manière la lenteur de l’agonie du personnage :
« après quatre heures d’un râle affreux ».
• La mort de Geneviève est présentée comme celle d’une innocente :
elle est associée à la couleur blanche et à des objets qui symbolisent
la pureté : « perles », « roses blanches », « cierges ». Cette jeune
fille est morte, notamment, car elle a vu son mariage avec
Constantin repoussé indéfiniment. D’ailleurs son cercueil est
assimilé à celui d’une « fillette » à cause de sa petite taille.
B. La mort du petit commerce
• Le décès de Geneviève est l’occasion pour tous les personnages de
commerçants entrevus jusqu’alors de réapparaître alors que leur
faillite est consommée : « il y avait aussi, dans cet empressement,
comme une manifestation contre le Bonheur des Dames ».
L’enterrement de Denise prend donc une dimension symbolique, en
représentant à la fois la mort de la jeune fille, et en même temps la
mort d’une forme de commerce traditionnel. Cela est d’autant plus
évident que la jeune fille est morte de désespoir car son fiancé est
tombé amoureux d’une vendeuse du BD : « le Bonheur des Dames,
que l'on accusait de la lente agonie de Geneviève ». Le grand
magasin devient donc le facteur commun de toutes ces disparitions.
• On peut alors constater l’ampleur de la débâcle subie par le petit
commerce : la succession de sept noms vient ici convoquer de
nombreux commerçants en faillite, dont plusieurs sont connus du
lecteur. En effet, dans les chapitres précédents, certains d’entre eux
étaient présentés comme mis en péril par le développement du BD,
Mlle Tatin par exemple, ou les fourreurs. On peut constater qu’en
grandissant, le BD les a finalement avalés comme les autres. Zola
les présente aussi de manière métaphorique en utilisant le terme
« victimes ».
• Apparaît ainsi la diversité des métiers touchés par la faillite :
« bonnetiers, fourreurs, bimbelotier, marchands de meubles, lingère,
gantier, … » C’est aussi le moyen de percevoir à quel point le BD
s’est agrandi…
C. Une scène pathétique
• La prédominance de la couleur noire symbolise la mort, et se
retrouve aussi bien dans l’environnement : « temps noir, un ciel de
suie », « l’allée obscure de la maison », que sur les personnages qui
assistent à l’enterrement : « ce monde vêtu de noir ». Par ailleurs,
on peut noter que cette couleur forme un contraste avec la
blancheur associée à Geneviève. Ainsi Zola use d’une métaphore
pour exprimer le contraste entre l’obscurité et la lumière des cierges
: « des étoiles noyées de crépuscule »
• L’expression de la douleur chez les parents participe évidemment au
pathétique de la scène : la mère de Geneviève, « qui ne pleurait
plus, les yeux brûlés de larmes », métaphore qui évoque la force de
son chagrin, et son père : « l'accablement muet, la douleur imbécile
inquiétait la famille »
• L’omniprésence du vocabulaire de la mort dans le passage :
« expirait », « râle », « enterrement », crépuscule », « cave »,
« agonie », « corbillard », « deuil », « mort » et de la tristesse, tant
des parents de Geneviève que des petits boutiquiers, participe en
effet au pathétique de la scène.
II. La victoire de la modernité
A. Un quartier moribond
• Dans les éléments de description du quartier, Zola multiplie les
connotations évoquant la décrépitude et la saleté : « la boue »,
« Tout le vieux quartier suait l'humidité, exhalait son odeur
moisie de cave, avec sa continuelle bousculade de passants sur le
pavé boueux. » C’est ainsi que l’on peut comprendre que le BD
apporte une forme de nouveauté nécessaire pour sauver le quartier
de la vieillesse et de la mort.
• Par ailleurs, jusque dans la mort, Geneviève est rattrapée par la
médiocrité de sa maison et l’insalubrité de son quartier au point
d’avoir son cercueil sali : « l'allée obscure de la maison, au ras du
trottoir, si près du ruisseau, que les voitures avaient déjà éclaboussé
les draperies ».
• Zola décrit donc un milieu nauséabond, et dont la mort est
programmée, à l’image de celle de Geneviève.
B. Le contraste entre les magasins
• D’un côté on trouve une forme de commerce à l’ancienne, où
chacun a sa spécialité, et où les commerçants font preuve de
solidarité : « Le petit commerce du quartier voulait donner aux
Baudu un témoignage de sympathie ». Tandis qu’au BD, on a affaire
à une forme de commerce plus déshumanisée : les commis sont
anonymes et ne s’intègrent pas à la vie du quartier : « Quelques
têtes de commis curieux se montraient derrière les glaces ». Ils ne
semblent pas partager le deuil de leur voisine, pourtant située « en
face ».
• L’enterrement de Geneviève est donc ici révélateur de la frontière
entre les mentalités et entre deux formes de commerce : d’un côté
« ce monde vêtu de noir, piétinant dans la boue » et de l’autre un
magasin moderne en plein essor, aux « vitrines claires », « aux
étalages éclatants de gaieté ».
• De sorte que du côté des petits commerçants, le seul sentiment qui
prévaut est celui de « la haine », car ils ressentent la présence du
grand magasin comme une « insulte » à leur deuil.
C. La force invincible du progrès
• Les métaphores fantastiques assimilent le grand magasin à un «
colosse » ou à un « monstre », de manière à mettre en valeur sa
puissance. Elles font écho à l’image qui décrit la disparition des
petits commerçants, comme « balayés depuis longtemps par la
faillite », ce qui rend bien compte de leur petitesse par rapport au
BD. Ce réseau d’images permet à Zola de représenter la défaite
inévitable des petites boutiques devant le progrès.
• Par ailleurs, dans ce passage, Zola présente bien le magasin comme
une entité, et ne fait pas référence à son créateur, Mouret. Tout se
passe comme si Zola voulait montrer que le grand magasin est un
ensemble sur lequel les hommes n’ont pas de prise, et en cela est
donc très différent du commerce traditionnel. Lorsqu’il présente le
BD comme une « machine », cela évoque aussi une forme de
deshumanisation et encore une fois d’absence de sentiment. il décrit
le BD en évoquant « son indifférence de machine lancée à toute
vapeur, inconsciente des morts qu'elle peut faire en chemin. » Les
deux termes « indifférence » et « inconscience », avec leur préfixes
privatifs permettent d’accentuer cette idée d’un progrès inexorable,
et sans sentiment.
• Zola semble donc ambivalent dans sa présentation du commerce :
on sent qu’il est favorable à une évolution des techniques
commerciales, et surtout à un renouvellement des boutiques
traditionnelles, et en même temps, on perçoit une méfiance face à
ce commerce sans sentiments et complètement déshumanisé.
Conclusion : ce passage confronte donc deux mondes très différents,
celui, moribond, du commerce traditionnel, et celui, en plein essor des
grands magasins. L’enterrement de Geneviève est donc l’occasion, pour le
romancier, de liquider le commerce d’antan, et de montrer la victoire de la
modernité. On retrouve en cela une influence darwinienne chez Zola, dans
la mesure où, pour lui, le progrès va de pair avec l’élimination des plus
faibles, ce que l’on retrouve dans le renvoi final de Deloche, incapable, de
faire comme Denise et de s’accoutumer aux exigences du métier.
Séquence Au Bonheur des dames d’Emile Zola
Texte 4 : L’enterrement de Geneviève, chapitre XIII
Le lendemain, à six heures, au petit jour, Geneviève expirait, après quatre
heures d'un râle affreux. Ce fut un samedi que tomba l'enterrement, par
un temps noir, un ciel de suie qui pesait sur la ville frissonnante. Le Vieil
Elbeuf, tendu de drap blanc, éclairait la rue d'une tache blanche ; et les
cierges, brûlant dans le jour bas, semblaient des étoiles noyées de
crépuscule. Des couronnes de perles, un gros bouquet de roses blanches,
couvraient le cercueil, un cercueil étroit de fillette, posé sur l'allée obscure
de la maison, au ras du trottoir, si près du ruisseau, que les voitures
avaient déjà éclaboussé les draperies. Tout le vieux quartier suait
l'humidité, exhalait son odeur moisie de cave, avec sa continuelle
bousculade de passants sur le pavé boueux.
Dès neuf heures, Denise était venue, pour rester auprès de sa tante. Mais,
comme le convoi allait partir, celle-ci, qui ne pleurait plus, les yeux brûlés
de larmes, la pria de suivre le corps et de veiller sur l'oncle, dont
l'accablement muet, la douleur imbécile inquiétait la famille. En bas, la
jeune fille trouva la rue pleine de monde. Le petit commerce du quartier
voulait donner aux Baudu un témoignage de sympathie ; et il y avait aussi,
dans cet empressement, comme une manifestation contre le Bonheur des
Dames, que l'on accusait de la lente agonie de Geneviève. Toutes les
victimes du monstre étaient là, Bédoré et sœur, les bonnetiers de la rue
Gaillon, les fourreurs Vanpouille frères, et Deslignières le bimbelotier, et
Piot et Rivoire les marchands de meubles ; même Mlle Tatin, la lingère, et
le gantier Quinette, balayés depuis longtemps par la faillite, s'étaient fait
un devoir de venir, l'une des Batignolles, l'autre de la Bastille, où ils
avaient dû reprendre du travail chez les autres. En attendant le corbillard
qu'une erreur attardait, ce monde vêtu de noir, piétinant dans la boue,
levait des regards de haine sur le Bonheur, dont les vitrines claires, les
étalages éclatants de gaieté, leur semblaient une insulte, en face du Vieil
Elbeuf, qui attristait de son deuil l'autre côté de la rue.
Quelques têtes de commis curieux se montraient derrière les glaces ; mais
le colosse gardait son indifférence de machine lancée à toute vapeur,
inconsciente des morts qu'elle peut faire en chemin.
Séance 11. Synthèse sur le roman
Support : le roman, le passage sur le phalanstère du négoce et l’ébauche
de Zola
Durée : 1h
Objectifs : clore la séquence en montrant la vision du monde présentée
par Zola dans son œuvre et en donnant une vision d’ensemble du roman.
Activité 1 : lire le document complémentaire sur le phalanstère du
négoce avec les élèves et leur demander si quel est l’objectif de Denise
dans ce passage.
On comprend bien que Denise veut humaniser le grand magasin, qu’ l’on
nous a présenté jusqu’à présent comme un véritable progrès, mais trop
déshumanisé (la scène de l’enterrement par exemple, et surtout tout le
chemin de croix de Denise dans les premiers chapitres). Elle veut en faire
un lieu qui mêle travail, mais aussi bien-être avec l’introduction de loisirs
pour les employés, afin de leur offrir une vie satisfaisante, qui intègre les
contraintes de vie (mariage, famille, etc.)
A travers son personnage, Zola dépeint le nouveau commerce dont il rêve,
et fait de son roman le véhicule d’idées progressistes sur la société et le
monde du travail.
Activité 2 : Demander aux élèves de lire le passage de l’ébauche aux
Bonheur des dames et de relever les champs lexicaux dominants dans le
passage. A quoi renvoient-t-ils ?
Les deux champs lexicaux dominants dans le passage sont celui de
l’optimisme, lié à l’action, et celui du pessimisme lié à la médiocrité. Le
champ lexical de l’optimisme est tout entier consacré au roman Au
Bonheur des dames qui évoque le progrès en marche, la jouissance de
l’activité et de l’évolution , tandis que celui du pessimisme évoque les
autres œuvres de Zola, dont Pot-Bouille qui décrit des êtres ankylosés
dans leurs habitudes et soucieux uniquement des apparences. Dans ce
roman, comme dans d’autres romans de son cycle des Rougon Macquart,
Zola exprime son imaginaire personnel de fécondité, de puissance, de
« germination », et c’est tout cet univers intérieur d’images, de fantasmes
et d’obsessions qui donne à l’ensemble de son œuvre sa force et sa
cohérence.
On pourrait lire, par exemple, la dernière page de Germinal qui reprend
cette idée de « germination », et d’élan vers le futur.
Document complémentaire : le phalanstère du négoce, chapitre
XII
Maintenant, il lui arrivait d'avoir de longues conversations amicales avec
Mouret. Quand elle devait se rendre à la direction pour prendre des ordres
ou pour donner un renseignement, il la retenait à causer, il aimait
l'entendre.
C'était ce qu'elle appelait en riant “ faire de lui un brave homme ”. Dans
sa tête raisonneuse et avisée de Normande, poussaient toutes sortes de
projets, ces idées sur le nouveau commerce, qu'elle osait effleurer déjà
chez Robineau, et dont elle avait exprimé quelques-unes, le beau soir de
leur promenade aux Tuileries.Elle ne pouvait s'occuper d'une chose, voir
fonctionner une besogne, sans être travaillée du besoin de mettre de
l'ordre, d'améliorer le mécanisme. Ainsi, depuis son entrée au Bonheur des
Dames, elle était surtout blessée par le sort précaire des commis ; les
renvois brusques la soulevaient, elle les trouvait maladroits et iniques,
nuisibles à tous, autant à la maison qu'au personnel. Ses souffrances du
début la poignaient encore, une pitié lui remuait le cœur, à chaque
nouvelle venue qu'elle rencontrait dans les rayons, les pieds meurtris, les
yeux gros de larmes, traînant sa misère sous sa robe de soie, au milieu de
la persécution aigrie des anciennes. Cette vie de chien battu rendait
mauvaises les meilleures ; et le triste défilé commençait : toutes mangées
par le métier avant quarante ans, disparaissant, tombant à l'inconnu,
beaucoup mortes à la peine, phtisiques ou anémiques, de fatigue et de
mauvais air, quelques-unes roulées au trottoir, les plus heureuses
mariées, enterrées au fond d'une petite boutique de province. Était-ce
humain, était-ce juste, cette consommation effroyable de chair que les
grands magasins faisaient chaque année ?
Et elle plaidait la cause des rouages de la machine, non par des raisons
sentimentales, mais par des arguments tirés de l'intérêt même des
patrons. Quand on veut une machine solide, on emploie du bon fer ; si le
fer casse ou si on le casse, il y a un arrêt de travail, des frais répétés de
mise en train, toute une déperdition de force. Parfois, elle s'animait, elle
voyait l'immense bazar idéal, le phalanstère du négoce, où chacun aurait
sa part exacte des bénéfices, selon ses mérites, avec la certitude du
lendemain, assurée à l'aide d'un contrat. Mouret alors s'égayait, malgré sa
fièvre. Il l'accusait de socialisme, l'embarrassait en lui montrant des
difficultés d'exécution ; car elle parlait dans la simplicité de son âme, et
elle s'en remettait bravement à l'avenir, lorsqu'elle s'apercevait d'un trou
dangereux, au bout de sa pratique de cœur tendre. Cependant, il était
ébranlé, séduit, par cette voix jeune, encore frémissante des maux
endurés, si convaincue, lorsqu'elle indiquait des réformes qui devaient
consolider la maison ; et il l'écoutait en la plaisantant, le sort des vendeurs
était amélioré peu à peu, on remplaçait les renvois en masse par un
système de congés accordés aux mortes-saisons, enfin on allait créer une
caisse de secours mutuels, qui mettrait les employés à l'abri des
chômages forcés, et leur assurerait une retraite. C'était l'embryon des
vastes sociétés ouvrières du vingtième siècle.
Elle fit aussi la joie de Lhomme, en appuyant un projet qu'il nourrissait
depuis longtemps, celui de créer un corps de musique, dont les exécutants
seraient tous choisis dans le personnel. Trois mois plus tard, Lhomme
avait cent vingt musiciens sous sa direction, le rêve de sa vie était réalisé.
Et une grande fête fut donnée dans les magasins, un concert et un bal,
pour présenter la musique du Bonheur à la clientèle, au monde entier. Les
journaux s'en occupèrent, Bourdoncle lui-même, ravagé par ces
innovations, dut s'incliner devant l'énorme réclame. Ensuite, on installa
une salle de jeu pour les commis, deux billards, des tables de trictrac et
d'échecs. Il y eut des cours le soir dans la maison, cours d'anglais et
d'allemand, cours de grammaire, d'arithmétique, et géographie ; on alla
jusqu'à des leçons d'équitation et d'escrime. Une bibliothèque fut créée,
dix mille volumes mis à la disposition des employés. Et l'on ajouta encore
un médecin à demeure donnant des consultations gratuites, des bains,
des buffets, un salon de coiffure. Toute la vie était là, on avait tout sans
sortir, l'étude, la table, le lit, le vêtement. Le Bonheur des Dames se
suffisait, plaisirs et besoins, au milieu du grand Paris, occupé de ce
tintamarre, de cette cité du travail qui poussait si largement dans le
fumier des vieilles rues, ouvertes enfin au plein soleil.
Document complémentaire : Emile Zola, ébauche d’Au Bonheur
des dames
« Je veux dans Au Bonheur des dames faire le poème de l'activité
moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme
d'abord, ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure
au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son
enfantement. En un mot, aller avec le siècle, exprimer le siècle, qui est un
siècle d'action et de conquête, d'efforts dans tous les sens. Ensuite,
comme conséquence, montrer la joie de l'action et le plaisir de
l'existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, dont les
jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès : ce
sont ces gens-là que je veux peindre, pour avoir l'autre face de la vérité,
et pour être ainsi complet ; car Pot-Bouille et les autres suffisent pour
montrer les médiocrités et les avortements de l'existence. »