À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Fleur DELESTRE, jeune écrivaine de 29 ans, publie son tout premier ouvrage. Passionnée de littérature, de voyages et de montagne, elle prend la plume pour mettre en lumière la grandeur d’un monde qui la fascine. De nature curieuse et interrogative, elle conçoit l’écriture comme une source de réflexion et de remise en question des rapports humains et de l’environnement dans lequel elle évolue qui, tour à tour, la captivent, l’intriguent ou l’indignent.
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Avis sur Les neiges éternelles - Tome 2
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Aperçu du livre
Les neiges éternelles - Tome 2 - Fleur Delestre
Les neiges éternelles
Tome II
Fleur Delestre
Les neiges éternelles Tome II
Sur les conseils de Martin, Camille essaya de retrouver les éléments remarquables qu’elle avait identifiés à la montée. C’était, avait-il dit, la meilleure technique pour se repérer, même sans téléphone et même sans carte. Une pierre imposante, une souche d’arbre à la forme particulière, une rivière, une intersection ; tant qu’on les retrouvait à la descente, cela signifiait qu’on était sur le bon chemin. Rapidement, elle fut surprise de constater qu’ils étaient déjà arrivés à la lisière de la forêt, le temps courait à une vitesse folle et ils furent bientôt de retour au village. Elle ne ressentait presque plus la fatigue et aurait souhaité que leur expédition dure plus longtemps. À vrai dire, cela avait surtout à voir avec Martin ; sa compagnie était très agréable, qu’il parle pour lui transmettre son savoir ou qu’il se taise pour la laisser apprécier le silence, sa présence suffisait à l’apaiser. Aujourd’hui, elle avait complètement perdu la notion du temps ; elle qui était habituée à scruter sa montre en suppliant les heures de défiler plus rapidement pour que chaque maudite journée se termine enfin n’avait, ce jour-là, aucune envie de voir ce moment s’achever. Et pour cause, elle s’y sentait particulièrement bien. Malheureusement pour elle, même la plus sincère des supplications n’avait pas le pouvoir d’arrêter le temps, et les deux compagnons regagnèrent bientôt leur point de départ, près de la fontaine de la grande place centrale.
« Merci pour cette journée.
– J’espère ne pas t’avoir trop épuisée ? demanda Martin.
– Je me sens en pleine forme.
– Tu changeras d’avis dans quelques heures, dit-il en plaisantant ; les courbatures mettent toujours un peu de temps à arriver. Tu devrais faire quelques exercices d’étirement, tes jambes me remercieront demain matin.
– Où irons-nous ?
– Ça, tu devras attendre demain pour le savoir !
– Je n’aime pas trop les mystères, ils laissent toujours craindre le pire.
– Pas cette fois-ci, tu verras.
– Bon… alors je te fais confiance, de toute façon je n’ai pas tellement le choix.
– Absolument. Je vais te laisser, j’imagine que tu dois avoir beaucoup de travail pour tes articles.
– Euh… oui, je dois encore faire quelques recherches.
– Ne t’endors pas trop tard tout de même ; demain, nous devrons partir plus tôt, nous aurons un peu de matériel à préparer.
– Plus tôt comment ?
– Rejoins-moi au Bureau des Guides à trois heures et demie.
– Du matin toujours, je présume… rétorqua-t-elle désabusée.
– Du matin oui, s’amusa Martin. Crois-moi, ça en vaut la peine.
– Merci pour aujourd’hui, répéta-t-elle.
– Ça, tu l’as déjà dit, répondit-il d’un air rieur.
– Oui eh bien… je le redis.
– Ah et, j’y pense, reprit-il en s’éloignant, si tu as besoin d’aide pour tes recherches, par exemple d’un jeune homme qui connaitrait bien le village pour y être né… n’hésite pas !
– Je m’en souviendrai. »
En le regardant s’éloigner, elle ressentit tout à coup le même sentiment d’apaisement qu’elle trouvait habituellement dans ses rêves. Ce n’est pas son départ qui l’avait provoqué, mais plutôt ce qu’il lui avait laissé. Son assurance, sa bienveillance, son enthousiasme et sa gaieté ; c’était comme s’il n’en avait rien repris et que tout cela demeurait auprès d’elle, alors même qu’il n’était plus là. De leur expédition aussi elle avait retiré quelques fruits appréciables : la joie de la contemplation, la sérénité et la satisfaction de l’effort. Elle se laissait volontiers envahir par cet exquis mélange de sentiments hétéroclites qui avaient pourtant un point commun : celui de la rendre heureuse. Ses tourments semblaient s’être évanouis et ses pensées n’étaient plus déplaisantes. À vrai dire, elle peinait à les distinguer tant elle se sentait enivrée. Parfois, elle parvenait à en attraper quelques-unes au passage.
Mince ! se souvint-elle alors. On a oublié de cueillir les champignons !
Samedi 4 juin 2022
À son arrivée au Bureau des Guides, Martin regroupait sur la table centrale de la pièce divers éléments de matériel dont Camille n’était pas sûre de comprendre l’utilité. Hier, ils n’avaient eu besoin de presque rien si ce n’est de leurs jambes et d’une bonne paire de chaussures. Que diable allaient-ils faire aujourd’hui qui nécessite d’emporter autant de choses ?
« Ah, te voilà ! dit Martin tout sourire. Presque pas en retard !
– Il est à peine 3 h 32, ça ne compte pas comme du retard.
– Le réveil a été difficile ?
– Même pas. Mais quand je vois tout ce matériel, je me demande si je n’aurais pas mieux fait de rester mon lit. Je peux savoir où tu comptes m’emmener ?
– Dans un très bel endroit.
– Mais encore ?
– Qu’est-ce que tu veux savoir ? Un nom ? Tu ne connais rien ici, ça ne t’avancera pas beaucoup, répondit-il d’un air narquois.
– Je veux savoir ce qui m’attend.
– Tu le sauras bien assez tôt, dit-il en enroulant une longueur de corde autour de son bras gauche. Que des bonnes choses, fais-moi confiance !
– On aura besoin de tout cela ?
– D’une partie au moins, tout dépendra de l’état de la falaise.
– De la falaise ? !
– Je plaisante, assura-t-il en déposant sur la table le lourd paquet de cordages noués. Ou peut-être pas… Un peu de mystère, ça n’a jamais tué personne ! »
Il était inutile d’insister, elle n’en tirerait rien ; il prenait un malin plaisir à la tourner en bourrique. Même si elle se gardait bien de le reconnaître, ce petit jeu l’amusait beaucoup elle aussi. Lorsque le matériel fut enfin prêt, Martin se chargea d’en transporter la majeure partie et ne lui confia que les pièces les plus légères. Ils prirent la direction opposée de la veille et s’engagèrent rapidement dans les bois du versant nord. Cette forêt était bien moins accueillante ; complètement anarchique, déchiquetée, elle paraissait presque blessée. Martin lui indiqua que les avalanches étaient fréquentes dans le secteur, elles étaient en partie responsables de ce désordre ; les arbres se dressaient fièrement sur leur chemin pour freiner leur progression et les empêcher d’atteindre le Val. D’ici, ils apercevaient les pâturages qu’ils avaient traversés. Le jeune guide lui raconta comment était organisée la vie au Val Fleury autrefois. Les anciens conduisaient les bêtes jusqu’aux alpages où elles passaient l’été et une partie de l’automne. Certains restaient à leurs côtés pour veiller sur elles tandis que d’autres redescendaient au village pour foiner et s’occuper de la ferme. Camille se mit à les imaginer. Elle se laissa aller à penser que ces hommes et ces femmes marchaient à leurs côtés, se figurant leurs visages, les écoutant appeler leurs vaches et autres moutons et envoyer les chiens à leurs trousses pour regrouper le troupeau qui commençait à se disperser. Au détour d’un virage, alertés par l’agitation étrange qui s’échappait d’un bosquet, ils eurent à peine le temps d’apercevoir un renard roux déguerpissant à toute allure. Le pauvre animal s’était enfui si vite qu’on aurait dit qu’il avait été pris en chasse ; le bruit de leurs pas avait dû l’effrayer. Au sortir de la forêt, l’émerveillement la gagna de nouveau ; les sommets s’étendaient à perte de vue, elle venait de quitter le monde des Hommes pour rejoindre celui de la nature. Le chemin s’engagea rapidement dans un pierrier constitué de fragments de roches venus s’écraser ici-bas après s’être décrochés de la falaise qui les surplombait ; certains s’étaient séparés en de minuscules débris à peine plus grands qu’une bille tandis que d’autres avaient conservé toute leur masse et n’avaient pas cédé sous la violence de la chute. Autour d’eux, tout n’était qu’un chaos de pierres enchevêtrées. Pourtant, Camille remarqua de petits amoncellements verticaux très habilement disposés : plusieurs morceaux de cailloux, plats la plupart du temps, avaient été entreposés les uns sur les autres pour former une colonne irrégulière qui menaçait de s’effondrer à tout moment.
« On dirait que certains s’amusent à réaliser de petites constructions.
– Dans un but bien précis. Lequel à ton avis ?
– Eh bien… je ne sais pas. Pour indiquer une zone de danger, peut-être ?
– Ça aurait pu, reconnut-il. Ça s’appelle des cairns, ils indiquent le chemin quand il n’existe aucun tracé précis. Lorsque nous marchons dans la forêt ou dans l’herbe, le sentier est visible ; mais ici par exemple, au beau milieu des pierres, la route est plus difficile à repérer.
– C’est une sorte de panneau d’indication ?
– Si on veut oui, un panneau naturel ; nous en trouverons d’autres le long du chemin.
– J’espère, sinon cela voudra dire que nous nous sommes perdus.
– Avec moi, aucun risque ! répondit-il d’un air facétieux.
– Je vais continuer de vérifier les cairns quand même, répliqua-t-elle avec le même sourire espiègle.
– Regarde plutôt ça, indiqua-t-il en levant le bras pour désigner l’un des sommets qui se trouvait juste devant eux. C’est le Pic du Corbeau. Et maintenant regarde celui qui se trouve à côté, tu vois la différence de couleur au niveau de la face ouest ? Il y a eu un éboulement l’année dernière, tout un pan s’est effondré en quelques secondes. Le réchauffement climatique accentue le dégel et fragilise les roches. Heureusement, il n’y a eu aucun mort cette fois-ci.
– Et cette faille, juste au-dessus ? On croirait qu’une autre partie est prête à céder à tout moment.
– C’est le cas. Depuis cet accident, plus personne ne réalise cette ascension alors qu’elle était l’une des plus courues ; elle est devenue bien trop dangereuse.
– C’est impressionnant, le sommet semble à la fois immense et très fragile. On dirait qu’il ne tient plus sur ses pieds.
– Il est instable. D’ici, nous ne voyons que la faille que tu as repérée, mais il en existe d’autres, nous les verrons une fois arrivés en haut.
– En haut ? Mais tu viens de dire qu’il était trop dangereux d’y aller ?
– Pas d’inquiétude, je tiens à te ramener en vie tu sais. Nous n’allons pas grimper sur celui-là mais sur le Pic du Corbeau, juste en face. Il est parfaitement solide et, une fois en haut, nous apercevrons les autres failles.
– C’est inutile, d’ici je me rends très bien compte du problème.
– Non, nous n’en voyons pas le quart. Tu seras bien mieux au sommet pour prendre les photos qu’il te faut pour ton article.
– Ah oui, mon article… Mais comment allons-nous monter, je ne vois même pas de chemin ?
– Il n’y en a pas, dit-il tranquillement en libérant ses épaules de son sac lourdement chargé. À partir de là, tu changes de catégorie ; hier tu as appris à marcher, aujourd’hui tu vas apprendre à grimper.
– Tu veux que j’escalade ce truc ? ! s’exclama-t-elle en désignant la paroi qui s’élevait devant eux.
– Ce truc ? Ce n’est pas très gentil pour la montagne, continua-t-il tout en déposant au sol le matériel qu’il extrayait de son sac. Regarde comme elle est belle, elle nous fait l’honneur de nous laisser monter, tu n’as pas trouvé un petit nom plus gentil ?
– Martin, je ne plaisante plus. Tu réalises combien la falaise est raide ?
– Je crois que oui, pour y être venu une bonne vingtaine de fois, dit-il en se redressant à sa hauteur. Écoute, au début, c’est toujours impressionnant. Mais tu peux me croire, tu en es parfaitement capable. C’est une course exigeante, mais adaptée à ce que je perçois de ton niveau.
– Et si tu te trompes ?
– De nous deux, rappelle-moi qui est le guide ?
– C’est toi, mais…
– Alors fais-moi confiance. Je suis sûr que tu es curieuse de voir ce qui se cache tout en haut.
– C’est vrai, mais…
– Tu te poses trop de questions.
– Parce que je ne me sens pas prête, je ne sais même pas ce que je dois faire.
– Et c’est là que j’interviens ! dit-il fièrement. Première étape : connaître son matériel. Ça, c’est un baudrier, une sorte de harnais si tu préfères. Tu l’enfiles par les pieds, comme ceci, reprit-il tout en assurant la démonstration, et tu le remontes jusqu’à la taille ; je t’aiderai à ajuster les sangles. Avec ça, tu seras en permanence reliée à la corde. Tu auras aussi besoin de ces gentilles petites bestioles, dit-il en saisissant plusieurs objets métalliques de couleur différente ; ce sont des mousquetons. Pour les ouvrir, tu n’as qu’à tourner la vis avant de faire pression sur le loquet. Ensuite, les cordes ; prends-les en main pour t’y habituer. Il est trop tôt pour t’apprendre les différents nœuds et leurs propriétés, je me chargerai de cette partie ; sache simplement que tu seras toujours bien accrochée. C’est important, cette corde est ta principale sécurité.
– Je pourrai l’utiliser pour monter plus facilement ?
– Tant que tu n’en as pas besoin, grimpe comme si elle n’existait pas. Oublie-la, et concentre-toi uniquement sur tes mouvements comme si tu ne pouvais compter que sur tes jambes et tes bras.
– Elle n’est pas très épaisse, ça ne risque pas de lâcher ?
– Une corde comme ça ? S’il le fallait, elle porterait dix filles comme toi ! Elles sont toutes en parfait état, tu n’as pas à t’en faire pour ça.
– Même si je tombe brutalement et de tout mon poids ?
– Oui, « même si » ! répéta-t-il. Tu ne finiras pas en bas de la falaise, je te le garantis. En revanche, reprit-il tout en décrochant l’un des deux casques attachés sur le côté du sac, la chute pourrait secouer un peu ! D’où ce magnifique casque que tu porteras en permanence.
– Toi aussi ? dit-elle en regardant le deuxième casque.
– Absolument.
– Même alors que tu es guide ?
– Surtout parce que je suis guide. Je montre l’exemple. Et puis, même si j’ai plus d’expérience, personne n’est à l’abri d’un accident, et ce n’est pas parce que je suis guide que ma tête est plus dure que celle des autres.
– Pas faux.
– Deuxième étape : connaître son chemin. Plus tard, je t’expliquerai comment déterminer le meilleur passage lorsque tu t’apprêtes à grimper. Mais pour aujourd’hui, je monterai en tête pour pouvoir t’assurer ; c’est donc moi qui passerai en premier pour ouvrir la voie, tu n’auras qu’à me suivre.
– C’est préférable si on veut avoir une chance d’arriver en haut.
– Troisième étape : sauter le pas !
– Je crois que je n’ai plus tellement le choix.
– Ne dis pas ça comme si je t’emmenais à l’abattoir, dit-il en riant. Tu verras, tout va très bien se passer. Tu me fais confiance ? »
De son point de vue, cette course était une folie, mais Martin dégageait une telle assurance qu’il avait réussi à la convaincre de s’y engager. De toute façon, il était trop tard pour changer d’avis, son guide du jour avait déjà rejoint la paroi. À présent, il était perché plusieurs mètres au-dessus d’elle. Son aisance la rassura ; l’exercice ne devait pas être si difficile finalement, il paraissait même être un jeu d’enfant. Après un bref regard vers le haut qui lui suffisait à repérer son chemin et les bonnes prises auxquelles se fier, le jeune garçon se hissait sans aucune difficulté apparente à la seule force de ses bras et de ses jambes tandis que les mousquetons accrochés à l’arrière de son baudrier s’entrechoquaient dans une douce mélodie métallique. Son corps tout entier embrassait la paroi et en épousait les moindres formes, il semblait la comprendre. Loin de la défier, il respectait avec humilité les limites fixées et ne s’engageait pas dans les passages interdits, ceux qui auraient été trop dangereux pour qu’il n’en sorte vainqueur. Quoique ! Lui y serait peut-être parvenu, mais pas elle ; et puisqu’il était chargé de la guider à travers ce terrain énigmatique, il veillait à emprunter le chemin le plus direct et le plus sûr. À ce compte-là, pensa Camille, l’ascension serait facile. Elle déchanta lorsque Martin, ayant atteint une vire située une dizaine de mètres plus haut, lui fit signe de le rejoindre. Dès les premiers pas, elle se sentit incroyablement malhabile ; elle mit plusieurs minutes à franchir les passages que lui avait avalés en quelques secondes à peine. Sur ses conseils, elle veillait à coordonner les parties supérieure et inférieure de son corps pour s’assurer d’avoir toujours au moins un appui solide. Ce jeu d’adresse, pourtant si naturel chez lui, exigeait d’elle de déployer des trésors de concentration. Rapidement, elle y prit un certain plaisir ; la rigueur, la discipline et cette attention de tout instant éveillaient ses sens. Loin de la couper du monde qui l’entourait, elles l’en rapprochaient. Elle était tout à la fois libre et vigilante, audacieuse et modeste, maître de ses mouvements et soumise au bon vouloir de son environnement. Cette paroi rocheuse est si inhospitalière qu’aucun Homme ne devrait s’y trouver, comment expliquer alors qu’elle s’y sente parfaitement à sa place ? se demanda-t-elle. Sitôt qu’elle atteignit à son tour la plateforme où l’attendait son guide, elle n’eut pour seule obsession que de poursuivre son ascension pour retrouver cette sensation enivrante. La montée se déroula sans incident majeur jusqu’à ce dernier ressaut qui fut plus difficile à franchir que les autres ; l’inclinaison paraissait bien trop prononcée et les prises ridiculement étroites. Camille, qui n’avait jusqu’ici pas eu à souffrir du vertige, eut le mauvais réflexe de prêter attention au vide qui se dérobait sous ses pieds ; à présent, plusieurs centaines de mètres la séparaient du sol.
« Je ne vois aucune prise ! s’écria Camille.
– Il y en a, elles sont simplement moins ouvertes que les autres mais si tu places correctement tes pieds, tu passeras sans problème.
– Et si je glisse ? demanda-t-elle apeurée.
– Ça n’arrivera pas.
– Si ! Je vais tomber, regarde comme je tremble !
– Alors arrête-toi quelques secondes pour retrouver ton calme et, par pitié, arrête de regarder en bas.
– T’es marrant ! Je ne vois que ça ; regarde où on est perchés, qu’est-ce que tu veux que je regarde d’autre ? !
– Moi. Je veux que tu me regardes moi. Lorsque tu seras à ma hauteur, tu auras réussi, c’est le dernier passage difficile avant la fin.
– Je n’aurais jamais dû t’écouter ; pourquoi a-t-il fallu que je monte ici ? !
– Tu paniques, Camille. Prends le temps de respirer.
– C’est facile à dire pour toi !
– On est dans le même bateau, je te rappelle qu’on est encordés. Souviens-toi, tu es accrochée à la corde et la corde te relie à moi. Je l’ai tendue au maximum, il n’y a pas de mou ; si tu ripes, je t’arrêterai aussitôt, tu n’auras pas le temps de chuter.
– Tu me promets que tu me retiendras ?
– Je te le promets, mais ça n’arrivera pas. Aie confiance en toi, tu as fait ce mouvement des centaines de fois depuis que nous sommes partis ce matin. Commence par engager ta main droite, je sais qu’il y a une prise non loin de là, tu la vois ?
– Oui.
– Approche ta main.
– C’est fait.
– Maintenant place ta main gauche.
– Je vois une faille mais elle est trop haute, si je me hisse jusque-là, je n’aurai plus d’appui au sol.
– Tu vois de quoi ancrer ton pied droit à une hauteur raisonnable ?
– Je crois oui, mais l’espace est très fin.
– Ça fera l’affaire. Maintenant, vas-y !
– Je n’y arriverai jamais… dit-elle en peinant à retenir des larmes de panique.
– Tu disais déjà ça au pied de la falaise, et pourtant tu es presque arrivée en haut.
– Là c’est différent, je n’en suis pas capable.
– Camille, tout à l’heure je t’ai demandé de me faire confiance, tu te souviens ?
– Mais c’est le cas enfin, ce n’est pas le problème !
– Maintenant je veux que tu te fasses confiance, à toi », ordonna-t-il d’une voix ferme.
Sans réfléchir une seconde de plus, elle prit une profonde respiration et se lança à l’assaut de ce dernier éperon qu’elle réussit à franchir d’une seule traite, sous l’œil attentif de Martin qui veillait à ajuster la longueur de la corde. Sitôt qu’elle l’eut rejoint au sommet, elle s’effondra dans ses bras, non pas de fatigue, mais de soulagement.
« Eh bien voilà, tu as réussi ! Toute seule, comme une grande.
– Oui enfin, si tu n’avais pas été là…
– Ce n’est pas moi qui ai grimpé à ta place.
– Non, mais c’est toi qui m’assurais avec la corde.
– En l’occurrence elle n’a servi à rien, si ce n’est à te rassurer.
– Sans la sécurité de la corde, je n’aurais jamais franchi le pas.
– Pourtant tu en étais parfaitement capable.
– Mais je n’aurais pas pris le risque.
– Exactement, car tu avais décrété à l’avance que tu n’y arriverais pas.
– C’est sûr que si on m’avait dit que je réussirais à grimper si haut…
– Parfois il vaut mieux ne pas savoir jusqu’où on grimpera.
– Mais il faut bien savoir où on va quand même ?
– Il faut le savoir oui, et l’oublier dès que les premières difficultés se font sentir pour se concentrer uniquement sur l’étape d’après. Sinon, on se trouve effrayé par l’ampleur de la tâche et on finit par se persuader que le projet est irréalisable.
– Je crois que c’est ce qui m’a terrifiée.
– Et c’est normal, ce n’est que ta première ascension, même si en te regardant grimper on aurait vite fait de l’oublier.
– Comment ça ?
– Tu te débrouilles vraiment bien. Je suis presque impressionné, continua-t-il en souriant.
– Ce n’est pas très élégant de se moquer.
– Mais je suis sérieux ! Tu as d’excellents réflexes, le geste sûr et un bon positionnement. J’accompagne beaucoup de débutants en montagne et, tu peux me croire, ce n’est pas toujours le cas.
– Pourtant ça ne m’a pas empêchée de bloquer sur les derniers mètres.
– Pas en raison de ton niveau ; la preuve, tu es montée sans problème. C’était surtout une question de confiance.
– J’étais complètement paralysée. Je me sentais si vulnérable, j’avais l’impression que le moindre mouvement me conduirait directement dans le vide.
– Ah, la première frayeur en montagne, c’est toujours une sensation particulière ; tu t’en souviendras un moment.
– Tu veux dire qu’ensuite, la peur disparait totalement ?
– Jamais, pas pour moi en tout cas.
– Pourtant quand c’était à ton tour, tu grimpais comme si tu n’avais jamais douté.
– Avec le temps, on apprend à connaitre sa peur, à la maîtriser pour ne pas la laisser jouer contre nous.
– Ça semble si simple dit comme ça.
– Ça ne l’est pas tant que ça. Disons que l’expérience aide beaucoup. Petit à petit, on sait faire la différence entre ce qui est effrayant mais réalisable, et ce qui ne l’est pas. Du moins, on le sait un peu mieux, mais jamais complètement. C’est une bonne chose, il ne faut pas chercher à éradiquer la peur, elle est aussi un indicateur objectif du danger, il faut simplement réussir à la comprendre et à l’analyser.
– Ben dis donc… Réfléchir à tout ça et grimper en même temps, ça fait beaucoup de choses.
– Tu verras, ça viendra sans même que tu t’en rendes compte. Il y a une autre chose qu’il ne faut pas oublier.
– Laquelle ?
– Maintenant que tu te trouves ici et que tu as réussi à en triompher, comment te sens-tu ?
– Fière. Je me sens fière.
– Tu peux. Et ce n’est pas la seule récompense, dit-il en regardant aux alentours.
– C’est splendide ; tu avais raison, on y voit bien mieux qu’en bas !
– N’est-ce pas ? répondit-il d’un air satisfait. Tu reconnais la zone de l’éboulement ? Elle est là, juste en face.
– Ça ressemble à une immense cicatrice gravée dans la roche.
– Lorsque ça s’est produit, le choc a dû être violent, elle a été entaillée si profondément qu’on croirait qu’elle en souffre encore.
– Plus haut, ce sont les failles dont tu me parlais ?
– Absolument. Elles se creusent sous l’effet du gel et du dégel. Il y aura un autre effondrement, ce n’est qu’une question de temps.
– Pourquoi à cet endroit uniquement ?
– Oh ce n’est pas le seul malheureusement. Des mesures sont réalisées chaque année sur l’ensemble du massif, d’autres pics sont menacés.
– Ils pourraient s’effondrer bientôt ?
– Bientôt… plus tard… on ne sait pas vraiment. Il est difficile, même pour les spécialistes, de déterminer une date précise. Même sur les sommets non répertoriés comme étant à risque, les chutes de pierres sont de plus en plus fréquentes ; partout, la roche se fragilise.
– Et vous ne pouvez plus y aller ?
– Il y a beaucoup d’endroits où les guides de la vallée refusent d’emmener leurs clients. C’est une chose de prendre ses propres risques, c’en est une autre de les faire courir à ceux que nous accompagnons.
– C’est triste, je trouve. Si ça continue ainsi, un jour, il sera peut-être interdit d’aller en montagne.
– Heureusement, nous n’en sommes pas encore-là. Profitons de notre chance ! »
Sitôt qu’ils cessèrent de parler, ils se retrouvèrent entourés d’un silence de plomb que rien ne semblait pouvoir troubler, si profond qu’il en était bouleversant. Rares sont les endroits où il est possible de profiter d’un silence absolu, réalisa Camille. En ville, même les moments de calme au cœur de la nuit étaient interrompus par le bruit des passants ou des voitures accélérant et décélérant au rythme des feux rouges. Mais ici, il était si lourd et dense qu’il en devenait impénétrable. Loin d’être désagréable, cette première rencontre avec le silence, en sa forme originelle, n’en était pas moins déstabilisante ; probablement parce que Camille comprit à cet instant qu’elle ne l’avait jamais réellement connu auparavant. Elle songea alors aux mots de cet homme rencontré la veille au magasin de sport, Léo, et regretta les arguments crétins qu’elle lui avait opposés. À son tour, elle ressentait l’appel de la montagne. Malgré les douleurs et les frayeurs de la montée, elle n’aurait voulu se trouver nulle part ailleurs. Déjà, elle la contemplait différemment. Lorsqu’elle regardait les sommets alentour, ce n’était plus uniquement pour profiter de leur beauté, mais pour les envisager. Elle n’avait plus seulement l’œil admiratif de celui qui, ne sachant pas nager, observe l’océan en n’y voyant que ce qu’il comporte d’inaccessible, mais celui du navigateur qui ne jure plus que par elle. Un navigateur fort inexpérimenté, certes, mais que cela n’empêche pas de vouloir prendre la mer. De ces montagnes, elle n’était pas encore redescendue que déjà elle songeait à y retourner. Dans une grande légèreté, un oiseau à l’envergure démesurée survola le pierrier qu’ils avaient emprunté plus tôt dans la journée. En quelques secondes, il avala une distance qu’eux avaient mis plusieurs heures à parcourir. Il se déplaçait avec une telle grâce que cette ronde céleste ne semblait pas lui coûter le moindre effort, ployant et déployant ses ailes au gré du vent. Tout au plus se fendait-il, ci et là, de quelques battements d’ailes pour rejoindre un courant plus favorable ; alors, immédiatement, il se trouvait emporté dans les airs et regagnait les cimes en bien moins de temps qu’il n’en fallait aux Hommes pour les atteindre. Tout en lui était parfaitement adapté au milieu dans lequel il évoluait ; ce doit être pour ça qu’il parvient à voguer avec tant d’aisance et de calme, pensa la jeune fille. Que ce sentiment devait être appréciable, de ne pas devoir lutter en permanence pour se maintenir à flot. Avant que cette analogie avec sa propre vie ne la replonge dans les affres de ses pensées, elle décida de se concentrer de nouveau sur la vue qui l’entourait et put en profiter de longues minutes encore avant que n’arrive l’heure de repartir. Les sensations nouvelles n’étaient pas finies puisqu’elle expérimenta ensuite une technique dont elle ne soupçonnait pas l’existence : la descente en rappel. Lorsque Martin lui en expliqua le principe, l’angoisse manqua de la submerger une nouvelle fois. Il dut la prendre par le bras pour l’obliger à l’écouter avant de parvenir à la raisonner. L’équipement était le même qu’à la montée, ce n’était pas plus risqué. Le premier pas dans le vide était le plus impressionnant ; si elle le passait, ensuite, ce serait un jeu d’enfant. Il crut utile d’ajouter, non sans une pointe d’humour, que personne ne viendrait installer un ascenseur pour l’aider à redescendre de toute façon, et qu’il faudrait bien se jeter à l’eau si elle voulait rejoindre la vallée un jour. Ayant obtenu d’elle le sourire escompté, il précisa pour finir que, puisqu’il était là pour assurer sa sécurité, elle pouvait sans danger laisser sa peur de côté pour profiter pleinement des sensations qu’elle allait ressentir. À l’entendre, elles seraient incroyables. Elle comprit dès le premier saut en arrière qu’il avait dit vrai. L’espace d’un instant, elle se sentit pousser les ailes de ce bel oiseau qu’elle avait observé quelques instants auparavant. La descente fut une véritable partie de plaisir et Camille regretta presque d’être déjà arrivée lorsqu’elle sentit de nouveau la terre ferme sous ses pieds. Une fois le matériel méticuleusement rangé, les deux compagnons se remirent en route et discutèrent de tant de sujets passionnants qu’ils n’eurent toujours pas terminé lorsqu’ils arrivèrent au Bureau des Guides.
« Viens, je vais te montrer quelque chose », indiqua Martin en rangeant la dernière corde sur son crochet mural en métal. L’entrainant par la main, il la conduisit à l’étage dans une pièce remplie de centaines de portraits, certains récents, d’autres bien plus anciens. Sur la partie inférieure de chaque cadre étaient mentionnés un nom, un prénom et deux dates. Ces hommes et ces femmes étaient les guides de haute montagne du Val Fleury qui y avaient officié depuis la création de la compagnie, expliqua Martin. Pour les plus anciens, le cadre était vide de toute représentation et entourait simplement quelques inscriptions résumant leur vie et leur identité. Ces passionnés de montagne avaient marqué l’histoire de l’alpinisme par des ascensions célèbres ou l’ouverture de voies réputées imprenables dont ils avaient finalement triomphé, parfois après plusieurs jours d’efforts et au prix de quelques phalanges. Martin lui raconta leur vie, leurs exploits et l’influence qu’ils avaient eue sur leur postérité ; aujourd’hui encore, certains passages délicats portaient le nom de celui qui les avait vaincus pour la première fois.
« Pas du tout, je trouve cela fascinant, ce sont des destins hors du commun, répondit Camille lorsqu’il eut fini de conter l’histoire de l’un d’entre eux en précisant qu’il l’avait assez ennuyée pour aujourd’hui.
– C’étaient de grands Hommes.
– Et toi, tu n’as pas eu droit à ton portrait ? Après tout, tu es guide toi aussi, et pas le plus mauvais d’après ce que l’on dit.
– Tu n’as pas remarqué ? Sous chaque portrait, il y a toujours deux dates, ce qui veut dire que…
– Seuls ceux qui sont déjà morts se retrouvent sur ces murs.
– Voilà, c’est une sorte de mémorial.
– En plus du cimetière.
– Tu sais, parfois, il n’y a rien à déposer au cimetière, regretta-t-il.
– Pardon ?
– Désolé pour la brutalité. Dans notre métier nous sommes habitués à parler de la mort mais j’oublie souvent que ce n’est pas le cas de tout le monde. Disons simplement qu’il n’est pas rare que la montagne emporte certains d’entre eux pour toujours ; il arrive qu’elle ne rende jamais les corps.
– Tu veux dire qu’ils disparaissent ?
– Malheureusement.
– Vous ne partez pas à leur recherche ?
– Si, bien sûr. Mais il n’est pas toujours possible de les retrouver. La montagne est plus vaste et plus dangereuse que ce que tu en as vu pour le moment ; tu t’en feras une meilleure idée demain lorsque nous irons sur le glacier.
– Le Glacier des Lendemains ?
– Oui, la météo devrait me permettre de t’y emmener. Quand tu verras la taille des crevasses qu’on peut trouver là-bas, tu comprendras.
– Génial, ça donne envie de t’y accompagner.
– Nous serons prudents. N’oublie pas que tu seras avec le meilleur guide de la vallée
, répondit-il en soulignant ces derniers mots exagérément. Ce n’est pas ce que disent les gens ?
– C’est ce qu’ils disent. Mais, qui sait, peut-être qu’ils se trompent ? rétorqua-t-elle avec malice.
– C’est possible, s’amusa-t-il. Après tout, personne n’est invincible.
– En tout cas, je te souhaite que ton portrait soit affiché ici le plus tard possible, reprit-elle d’un air plus grave.
– Je l’espère aussi. Mais tu sais, ce n’est pas une fin en soi, il ne s’agit que d’une sorte d’hommage. Nous n’avons pas besoin de cela pour être fiers de nos accomplissements ; chacun, à son échelle, peut se surpasser.
– Oui, j’imagine que tu as déjà fait bien des courses mémorables.
– En l’occurrence, je parlais de toi.
– De moi ? s’étonna Camille. Quel rapport avec tout ça ?
– Le dépassement de soi.
– Tu ne peux pas me comparer à tous ces gens enfin, c’est ridicule.
– Qui parle de te comparer à eux ? Je te comparais plutôt à la Camille de ce matin ; elle s’est beaucoup améliorée pour une fille qui était persuadée qu’elle n’arriverait à rien, tu ne crois pas ?
– C’est surtout grâce à toi.
– Tu ne t’arrêtes jamais, n’est-ce-pas ? soupira-t-il.
– De faire quoi ?
– Je me comprends. Nous aurons le temps d’y travailler, après tout il nous reste encore quelques jours, et la montagne n’est pas faite que pour progresser physiquement.
– Si tu te comprends, c’est le principal, parce que de mon côté…
– Ça viendra, un peu de patience. »
La fatigue devait lui faire perdre sa lucidité. Alors qu’il la regardait droit dans les yeux, elle eut, à ce moment précis, la nette impression qu’il n’aurait manqué qu’une seconde de plus pour qu’il ne cède et finisse par l’embrasser. À moins qu’elle n’eût cédé elle-même ? Elle était si troublée qu’il ne tarderait pas à s’en rendre compte, il était urgent que cette conversation reprenne.
« Alors demain nous pourrons bien aller au glacier ? Cette fois c’est sûr ?
– A priori oui, répondit-il calmement. Je jetterai un dernier coup d’œil au bulletin météo du soir pour m’en assurer. D’ailleurs il commence à se faire tard, nous devrions rentrer.
– Vingt-et-une heures ? ! s’exclama-t-elle en regardant l’horloge. Mince ! Je n’ai pas eu le temps de prévoir de quoi manger pour demain, à cette heure la boulangerie doit être fermée ?
– Ce n’est pas un problème, je prendrai ce qu’il faut.
– Quelle tête en l’air, j’aurais dû surveiller la montre, je n’ai pas vu le temps passer.
– Il parait qu’il s’écoule plus vite lorsque l’on se trouve en bonne compagnie. Je dois prendre cet oubli pour un compliment ?
– J’imagine », répondit-elle amusée.
Cette fois, sa lucidité n’était plus en cause ; la tension était palpable, il était impossible qu’elle soit la seule à la ressentir. La maladresse avec laquelle il la salua sur le pas de la porte avant de la regarder s’éloigner le lui confirma. Sur la place du Val Fleury, d’où elle pouvait apercevoir les montagnes que l’obscurité de la nuit n’avait pas encore fait disparaître, elle ressentit une immense gratitude. Même alors qu’elle les avait quittées, elle avait emporté avec elle une partie de leur beauté, de leur assurance et de leur quiétude ; comme si, en récompense de la détermination dont elle avait fait preuve, elle avait été autorisée à leur dérober des fragments de grandeur, de sérénité et de confiance dont elle ne les avait en rien privé mais qu’elle pourrait désormais faire siennes à son tour. C’étaient autant de nouvelles cordes à son arc, précieuses car durement acquises, et dont il lui appartenait à présent de faire bon usage. Ces montagnes, parfois cruelles au point d’emporter la vie de ceux qui les aimaient tant qu’ils leur dédiaient la leur, pouvaient aussi se montrer partageuses. Forte de ces nouvelles aptitudes, une fois arrivée à l’angle de la ruelle qui marquait la fin de la place, elle jeta un dernier regard au Bureau des Guides. Martin n’était plus là ce qui, sans réellement l’attrister, lui provoqua tout de même un léger pincement au cœur. Une fois n’est pas coutume, elle regretta de se trouver seule. Ce soir-là, elle aurait aimé trouver un ami à qui raconter les moindres détails de cette si belle journée. Ce doit être un sentiment auquel les gens qui se trouvent loin de chez eux sont habitués, pensa-t-elle. Elle songea ensuite que, même à Lyon, dans cette ville où elle avait toujours grandi et où se trouvaient toutes ses connaissances, elle n’aurait pas davantage su qui appeler pour partager son bonheur. C’est à cet instant que Camille réalisa de manière consciente ce qu’elle savait déjà depuis fort longtemps : si tant est qu’un ami soit aussi celui en qui l’on place une confiance suffisante pour ne rien lui cacher de nos peines ni de nos joies, elle n’avait jamais eu de véritable ami.
Dimanche 5 juin 2022
Son aveu de solitude de la veille l’avait perturbée plus qu’elle n’avait bien voulu l’admettre et, cette nuit-là, son esprit eut besoin d’être rassuré. Il l’avait de nouveau plongée dans ce rêve qu’elle n’avait pas refait depuis plusieurs jours. Un nouvel élément était apparu : non loin du refuge, un imposant rocher se trouvait au beau milieu du lit d’une rivière qu’il séparait en deux bras distincts. Plus étonnant, elle n’y était pas arrivée directement comme les autres fois mais avait dû franchir en courant une forêt verdoyante avant d’y parvenir ; à son réveil, elle percevait encore cette délicieuse senteur de pin mêlée à une odeur très prononcée de framboise. À force d’avoir tant couru, ses jambes étaient engourdies ce qui, vraisemblablement, était surtout dû à son exploit de la veille puisque ses bras l’étaient aussi alors que, dans son rêve, elle n’avait rien escaladé du tout. Il était toujours très étrange de se réveiller à ce point persuadée d’avoir réellement visité cet endroit alors qu’elle n’avait pas quitté son lit de la nuit ; mais puisque cette impression était toujours aussi délectable, elle ne chercha pas plus que les autres fois à la comprendre. C’est avec la même gaieté qu’elle rejoignit la fontaine près du Bureau des Guides pour y attendre Martin ; en ce troisième jour, ce rituel commençait à devenir une habitude. Elle déchanta rapidement lorsqu’elle le vit arriver, accompagné d’une deuxième personne au visage familier. Laura était là elle aussi. Elle pensa d’abord qu’elle avait croisé son ami par hasard en se rendant au travail pour préparer l’ouverture matinale de la boulangerie. Mais Camille comprit vite, en observant sa tenue, que Laura ne servirait aucun client aujourd’hui.
« Ah c’est clair, heureusement qu’on s’était arrêtés à temps ce jour-là ; vu l’orage qu’on s’est mangé à la redescente, on se serait trouvés sacrément mal si on était restés perchés dans la paroi !
– Tu m’étonnes !
– Salut Camille, s’exclama Laura avec enthousiasme.
– Ah, salut Laura, s’efforça-t-elle de répondre sur le même ton.
– J’ai trouvé une pauvre âme en peine qui errait sur la route, plaisanta Martin ; alors je me suis dit que j’allais l’inviter.
– Qu’il est bête celui-là, répondit-elle en le bousculant.
– Bon d’accord, la vraie raison c’est qu’elle connait très bien le Glacier des Lendemains.
– Je le connais par cœur tu veux dire !
– Peut-être encore mieux que moi, même si ça me fait mal de l’admettre.
– D’ici, je peux déjà te dire où sont les crevasses, reprit-elle en désignant au loin une grande langue blanche qui surgissait entre deux sommets et s’étendait en direction de la vallée avant de s’interrompre pour laisser place à une étendue grise, tout aussi large, faite de pierres et de poussière.
– On compte sur toi pour nous éviter de tomber dedans !
– Oh, toi tu peux bien tomber si ça te chante, je veillerai surtout sur Camille, dit-elle en s’approchant. D’ailleurs, il parait que tu as fait une super ascension hier, Martin m’a raconté. Félicitations, le Pic du Corbeau c’est quand même pas rien !
– J’ai fait ce que j’ai pu, répondit-elle mal à l’aise.
– Ah oui, il m’a prévenue que tu étais trop modeste », dit-elle d’un air complice.
Comme à son habitude, Laura était particulièrement avenante et enjouée, ce qui ne suffit pas à décrisper Camille. Fallait-il vraiment qu’il l’invite à se joindre à nous ? se demanda-t-elle. Martin semblait assez compétent, ils auraient aisément pu se passer de l’avis d’un deuxième expert, surtout si cela supposait qu’ils ne puissent plus partager cette journée que tous les deux. Et puis, pourquoi avait-il eu besoin d’aller s’épandre sur leur ascension de la veille dans laquelle elle avait mis tant de cœur et s’était montrée si sincère ? Ce moment lui appartenait, à elle, de quel droit en avait-il parlé ? Empêtrée dans un nouveau cercle de pensées, il lui sembla plus facile d’analyser l’impair qu’il venait de commettre que de mettre un nom sur la nature réelle de ce sentiment amer. La chose était pourtant claire : elle était jalouse ; d’une simple amie, probablement sans raison et surtout sans aucune légitimité puisqu’elle le connaissait à peine, mais jalouse tout de même. Et puis, une simple amie, rien n’était moins sûr ; après tout, elle n’en savait rien. Tout à coup, Laura lui parut bien moins sympathique que les jours précédents. Elle n’était plus une camarade potentielle mais une rivale, bien moins potentielle. Les efforts de pédagogie qu’elle déploya tout au long du chemin pour lui expliquer dans les moindres détails l’impact considérable qu’avait le réchauffement climatique sur ce magnifique glacier ne suffirent pas à rendre sa présence plus agréable à ses yeux. Martin, de son côté, avançait en tête sans prêter attention à son désarroi, ce qui avait le don de l’agacer encore plus. Camille se contentait de répondre brièvement et de ponctuer ses phrases de quelques sonorités d’acquiescement, quand elle ne restait pas complètement silencieuse. Ses pensées étaient ailleurs ; elle n’avait jamais songé au problème, mais il était possible qu’il y ait quelqu’un dans la vie de Martin. Rien ne garantissait que ce soit Laura d’ailleurs, mais elle ne pouvait l’exclure. Après tout, c’est en sa compagnie qu’elle l’avait aperçu la première fois, près de la boulangerie, alors qu’il rentrait à peine de randonnée et n’avait même pas encore pris le temps de ranger son matériel ; il avait dû s’y précipiter pour la retrouver. Et ce vendeur l’autre jour, il avait suffi que Camille évoque sa proximité avec Laura pour qu’il comprenne aussitôt de quel Martin il s’agissait. Tous ces évènements ainsi considérés devenaient très cohérents : ils devaient être ensemble. Quoi de plus logique ? Laura lui était bien mieux assortie : elle venait du même village, le connaissait probablement depuis toujours, partageait sa passion pour la montagne et était bien plus douée que Camille en la matière. Elle devait être plus sportive aussi ; la preuve, pendant toute la montée, elle n’avait cessé de jacasser sans que cela ne semble la fatiguer le moins du monde. Elle devait encore parler de ce pauvre tas de glace qui fondait comme neige au soleil ; de cela ou d’autre chose, de toute façon Camille ne l’écoutait pas. C’est ainsi que lorsqu’ils furent enfin arrivés au pied du glacier et que Laura termina son explication, elle n’en eut pas retenu le moindre mot.
« Et c’est pour ça qu’il s’appelle le Glacier des Lendemains, parce qu’il s’étendait tellement loin qu’il fallait marcher plusieurs jours pour en venir à bout.
– Très intéressant.
– Évidemment quand on le voit aujourd’hui, il est devenu bien plus court.
– À cause du réchauffement climatique, j’ai bien compris.
– Bon ! dit Martin. Je crois qu’il est temps d’enfiler les crampons. Camille, j’ai mis les tiens dans ton sac. »
Puisqu’elle n’avait aucune idée de ce à quoi ces crampons pouvaient bien ressembler, elle s’agenouilla près de son sac et fit mine de plonger le bras à l’intérieur. Ce n’est que lorsqu’elle aperçut entre les mains de ses deux
