Idavoll: Tome 1 : Le Bouclier d'Eira
Par Delphine Arnould
()
À propos de ce livre électronique
Bien malgré eux, ils se découvrent d'étonnants pouvoirs, et sont investis d'une mission plus étrange encore : sauver les neuf mondes et ramener sur terre... le dieu Odin !
Eira et ses amis vont devoir se résoudre à effectuer une plongée fantastique entre deux univers, le nôtre et celui des anciennes divinités celtes et vikings.
Et le voyage ne sera pas de tout repos !
Delphine Arnould
Jeune auteur lorraine, Delphine Arnould est enseignante et collabore au magazine Geek Magazine. Elle est présente à de nombreux salons littéraires et séances de dédicaces.
Lié à Idavoll
Livres électroniques liés
- AIFYSBÒK Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Wolves of magic: Fantasy adolescent Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Judith Winchester et les élus de Wanouk: Judith Winchester - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Hoérra: Les êtres élémentaux Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Le retour du captif: Le Cercle d'Éloan Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5
- Divine fureur Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5
- Sortie de voie: Un roman psychologique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- L'Héritière de Maât Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La Mélodie du Montagnard: Amour Inattendu Entre Les Sommets Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La Déchirure d'une Fée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Le Seigneur des Ombres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La pierre de sang: La pierre de sang Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Les sept chansons Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5
- Les Nuages Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Une mélodie des Highlands: Les Demoiselles des Highlands, #5 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Scorpi - Un mariage fantastique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Le Démon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Celui qui veille Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Aux portes de l'oubli: Roman fantastique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Au coeur de la bataille - La Rune des Celtes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Dans le feu du jour 2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Anthologie - Nouvelles dans l'univers du Windigo: L'univers du Windigo, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Journal d'Aleyna Brook : Le secret des Oxiones Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Récupérer la Luna Blessée Tome 2: Récupérer la Luna Blessée, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La Constellation du Vide Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Les infinis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Gwynn d'Aberffraw: Les iles au nord du monde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Feu d'ange Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Princesse promise - La rose et son destin - Tome 4 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Renaissance Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Idavoll
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Idavoll - Delphine Arnould
Idavoll
Idavoll Page de titre
La prophétie
1. La Lyfia
2. Contemplation
3. Mauvais rêve
4. L'éveil
5. Kenaz
6. Le bouclier d'Awe
7. Beltane
8. Ascension
9. Dans l'antre de Dagan
10. Les Nornes
11. Njord
12. Entraînements
13. Mission Petite sirène
 
14. La déesse de l'amour
15. Reliques
16. Quêtes
17. Le fiel de la victoire
18. Le calme avant l'Aube
19. L'Aube des dieux
20. Eclaircies
21. Plaidoyer
22. Liberté surveillée
23. L'étoile
24. L'attaque d'Idavoll
25. Nouvelles
26. Voyages
27. Grèce
28. Le dieu de l'amour
29. Camp d'été à Idavoll
30. Révélations
31. Fratricide
32. Nouvelle trahison
33. Métamorphoses
34. Pacte de sang
35. Tri nox samonios
36. Ragnarök
37. Convalescence
38. Confidences
Page de copyright
La prophétie
« Le destin des douze sera scellé autour du guide lors de la nuit de l'Apogée, quand le portail sera ouvert pour nous permettre d'accéder au Crépuscule des dieux. »
1. La Lyfia
Eirwen était une habituée des randonnées solitaires. Plus que tout, elle appréciait ces moments de calme profond loin de toute civilisation.
Elle n'était pas sauvage, non. Elle aimait juste se retrouver face à elle-même, face aux éléments, au milieu des sons singuliers de la nature mêlant efforts et introspection. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige ou que le soleil baigne le paysage de sa lumière dorée comme aujourd'hui, Eirwen partait s'isoler dès qu'elle en avait l'occasion afin de pouvoir recharger ses batteries, comme elle aimait le dire. Seule, plongée au cœur de contrées reculées. Seule... pour son plus grand plaisir.
La semaine, les cours de la faculté de médecine étaient passionnants mais souvent elle étouffait, prise dans un tourbillon de sentiments, au milieu du vacarme et de l’agitation des étudiants stressés ou au contraire ne pensant qu'à faire la fête aux dépens de leurs études.
C'était à chaque fois la même histoire. Assise au cœur de l’amphithéâtre bondé, elle se sentait oppressée, commençait à avoir chaud puis suffoquait. Elle avait l'impression que chaque pensée émanant des autres la faisait frémir comme si elle faisait sienne leurs émotions joyeuses ou tristes. Cela l'épuisait moralement tout autant que physiquement. Souvent, elle était obligée de quitter les lieux à la hâte pour aller reprendre son souffle dans un parc voisin, adossée contre un arbre. A ces moments-là, pourtant entourée de centaines de personnes sur ce campus universitaire très coté, elle se sentait plus isolée que jamais. Elle se sentait différente.
Depuis sa plus tendre enfance. Depuis la mort de ses parents, alors qu'elle n'était qu'un nourrisson, Eirwen ne trouvait de repos que dans la solitude, loin des Hommes. Ses jours étaient peuplés du tumulte de la vie, ses nuits de cauchemars horribles. Seule la nature l'apaisait. Ses parents adoptifs, deux médecins de campagne suédois, avaient même songé un temps qu'elle devait avoir quelques troubles mentaux, résultats du traumatisme subi dont elle n'avait pourtant aucun souvenir. Mais il n'en était rien. Eirwen était juste une petite fille plus sensible que la normale. Une petite fille plus intelligente que la normale également puisqu’ à tout juste 17 ans, elle avait fait son entrée en septembre dernier en seconde année de médecine. Eirwen était brillante mais toujours à fleur de peau appréciant plus que de raison ses exils verts.
Protecteurs, ils avaient décidé d'ouvrir un cabinet dans une toute petite ville à la périphérie de Gävle. Un endroit charmant et surtout calme où elle pouvait profiter du grand air en compagnie des jumeaux Sven et Timo, les fils légitimes de la famille.
Ainsi entourée et choyée, Eirwen avait grandi. Elle était aujourd'hui devenue une jolie jeune fille de dix-huit ans résolument tournée vers les autres pour oublier ses propres angoisses. Elle possédait la plus grande empathie et était toujours la première à se porter volontaire quand il s'agissait d'aider, d'épauler et de soigner toutes les créatures en danger, qu'elles soient humaines ou animales. Elle était tellement plus empotée quand il s'agissait de se faire des amis. Combien d'oiseaux blessés avait-elle rapportés à la maison ? Combien de mains de patients avait-elle prises entre les siennes pour les apaiser dans la salle d'attente du centre médical de ses parents ? En revanche, les soirées où elle avait été conviée se comptaient sur les doigts d’une main. Elle n’était pas populaire mais finalement elle s’en moquait bien. Elle n’appréciait pas du tout se retrouver coincée au milieu d’une foule d’ados plus attentifs à leurs tenues vestimentaires qu’à leur voisin. Elle ne se sentait pas à sa place dans ce genre d’endroits confinés. Non ce qu’elle aimait plus que tout, c’étaient ses périples solitaires du week-end dont elle revenait plus rayonnante que jamais. Chargée d'une énergie nouvelle, presque surnaturelle. Souvent ses frères se moquaient d'elle, la surnommant l'ermite ou suggérant qu'à force d'arpenter la forêt, elle allait finir par y prendre racines. Elle n'en avait que faire car justement des racines, elle n'en avait pas à cause d'un stupide accident de la route.
Ce samedi, Eirwen avait pris le chemin du mont Lyfia, dont elle avait découvert l'existence en feuilletant par hasard un vieux manuel de géographie oublié sur une des tables de la bibliothèque universitaire qu'elle fréquentait assidûment. Cette ascension était devenue depuis une vraie obsession. Elle était la promesse non seulement d'isolement, le parcours atypique n’apparaissant dans aucun guide grand public, mais surtout d'un paysage à couper le souffle comme récompense à son sommet. Elle avait préparé avec soin cette dernière sortie avant le marathon épuisant des examens de fin d’année. Au milieu de la nuit, elle avait emporté son sac à dos en prenant soin de ne pas réveiller la maisonnée encore endormie. Comme à son habitude, elle avait laissé sur la table un post-it en forme de cœur sur lequel était écrit « Je vous aime TOUS. A lundi. Bisous. Eir ». Puis elle était montée dans sa petite voiture vert pomme, un peu cabossée par les chemins de champs qu'elle empruntait souvent, direction le nord du pays. Depuis qu’elle possédait son permis, quel bonheur de pouvoir découvrir le monde seule sans avoir besoin que ses parents ne viennent à la rescousse. Pas de frères encombrants, pas de papa ou maman inquiet. Elle se retrouvait libre, seule, face à des terrains de jeux immenses et variés, lui permettant de s’apaiser durant les deux uniques jours de répit d’une semaine surchargée.
Il ne faisait pas encore tout à fait jour quand elle arriva au cœur d'un massif couvert d'arbres majestueux d'où émergeait le petit mont dans la lumière rosée de l'aube. Tout autour s'étendait une plaine verdoyante, immense, balayée par le vent. On aurait dit que s'étalait à ses pieds une mer de verdure, les hautes herbes ondulant comme des vaguelettes.
Eirwen stationna le véhicule sur le chemin de terre, devant un tas de bois empilé avec soin.
Première étape, le gîte qu'elle avait loué pour pouvoir profiter de cette retraite. Le site était perdu au milieu de nulle part, à des kilomètres de la première habitation. Le propriétaire de la fermette en bois peint rouge et blanc, typique du pays, était un jeune homme à la voix caverneuse qui tranchait avec son jeune âge. Il lui confia les clefs, non sans l'avertir des dangers de ce petit sommet, dont l’ascension pouvait paraître aisée mais qui avait la réputation d'être un lieu jadis sacré dont les honneurs se « méritaient ». Quelques aventuriers du dimanche en avait déjà fait, selon lui, les frais par excès de confiance. La randonnée n’était pas rude mais tout randonneur qui s’y aventurait devait s’attendre à quelques surprises pas forcément heureuses. Cela fit sourire la jeune fille. Ainsi, comme elle l'avait pressenti, elle avait peu de chance de croiser le chemin de promeneurs qui auraient dérangé son bain de nature. Le mont était vraiment à elle. À elle toute seule !
L'heure avançait. Eirwen prit congé rapidement mais poliment de son hôte. Fébrile, elle ajusta ses baskets, s'assura qu'elle avait assez d'eau dans sa gourde, tira sur l’élastique qui enserrait ses longs cheveux bruns et leva les yeux juste à temps pour apercevoir un cercle de brume s'installer comme une couronne au sommet de la Lyfia. Le site était à la hauteur de ce qu'elle espérait. Enchanteur.
En route ! Elle allait enfin pouvoir profiter de cette journée pleine de promesses.
2. Contemplation
Son hôte n’avait pas menti, la montée était éprouvante, parsemée de roches et de mousses glissantes. Même si la jeune fille était sportive, elle avait le souffle coupé par la pente de plus en plus raide. Le chemin, minuscule, serpentait au milieu des arbres centenaires, des épineux mais aussi des chênes et des bouleaux. Il lui permettait de s'élever lentement toujours plus haut vers son objectif : le sommet et sa vue ensorcelante.
Eirwen aimait sincèrement ces efforts intenses qui meurtrissaient ses muscles et la faisaient se sentir en fin de compte tellement vivante. Contrairement à ces longues heures de cours où elle devait rester assise dans un amphithéâtre surchargé, mal à l'aise, trop passive. Cette douce souffrance lui assurerait encore plus de plaisir quand arrivée en haut, elle pourrait enfin se poser et sentir la plénitude de son corps fatigué entrant petit à petit dans un état de relâchement total en plein cœur de cette nature sauvage. Les aiguilles de pins formaient un tapis moelleux amortissant ses pas, rendant les sons plus sourds et lointains. Des fourmis noires comme en procession accompagnaient sa lente montée. Le long du sentier courait une source semblant sortir de nulle part mais dont le clapotis régulier et la sensation de fraîcheur l'encourageait à reprendre de plus bel son effort.
Le temps s'étirait. Elle se souvint alors des mots du propriétaire du gîte : « L''ascension de la Lyfia se mérite ». Il n'avait pas menti. Eirwen était épuisée mais le temps de la récompense était proche : gagner le soleil après ces heures passées dans la pénombre des sous-bois, ces longues minutes à éviter les pièges de pierres chancelantes ou glissantes, prêtes à l'emporter vers une chute vertigineuse. Creusant sa main, elle prit un peu d'eau fraîche dans le ruisseau et s'aspergea le visage. Il fallait quand même être présentable pour découvrir ce lieu sacré décrit comme magique. Sans sueur, mais le visage tout de même rosi par cette activité physique intense, elle effectua avec une certaine solennité les derniers pas qui la séparaient du Graal. Sous le soleil, un paysage grandiose allait s'offrir à elle tel un cadeau des dieux. Elle se sentit soudain tellement privilégiée.
Haletante, elle arriva sur une longue dalle formant un promontoire lisse au sommet de la Lyfia, d'où on pouvait apercevoir la plaine s'étaler sans fin vers l'horizon. Son logeur avait une nouvelle fois raison. L'endroit avait un je ne sais quoi de… mystique. Le cercle de brume aperçu depuis le gîte enveloppait la cime entière. On se serait cru au cœur même d'un nuage vaporeux et humide. Paradoxalement, baissant les yeux, elle pouvait apercevoir le paysage en contrebas, s’étalant sur des kilomètres.
Voilà pourquoi elle aimait tant ces découvertes du week-end.
Chaque randonnée était comme une sorte d'initiation dont elle ressortait différente. Toutes l’amenaient non seulement à se dépasser physiquement mais lui apportaient des richesses qu'aucun manuel, aucun professeur n'aurait pu lui livrer. Même parcourir les allées de marbre de sa précieuse bibliothèque à la recherche du livre rare ne lui apportait pas autant de plaisir que celui de fouler une terre inconnue. Elle était là, à vivre l'instant présent aussi intensément que possible, ivre de bonheur. Elle était seule face à la pierre, ancrée. Seule dans le vent puissant, sur cette cime aux allures de clairière quasiment dénuée de végétation. Seule sous le feu de l'astre du jour qui brûlait sa peau avec en fond sonore, le bruit régulier, incessant de cette source qui courait le long du mont.
A bout de forces mais en même temps se sentant plus forte que jamais, parcourue d'une énergie nouvelle qui l’emplissait de sérénité, elle entreprit de partir à la découverte du lieu, souhaitant prendre le temps d'en observer chaque recoin. Tous ses sens étaient en éveil. Elle était comme revenue à l'état sauvage.
Au centre se dressait un frêne majestueux, immense dont les branches s'étendaient comme des bras vers le ciel. A ses pieds, une énorme plateforme de granit avec en son centre une cupule remplie d'une eau aux reflets bleus, limpides au-dessus de laquelle voletaient des centaines de libellules. Tout autour, un tapis de fleurs blanches dont elle ne connaissait pas le nom. Elles étaient minuscules mais dégageaient un parfum délicat qui emplissait l'air.
Elle se pencha pour mieux profiter des doux effluves.
Un battement d'ailes la fit sursauter. Elle leva les yeux. Deux énormes corbeaux noirs venaient de se poser bruyamment sur une des plus grosses branches du vénérable arbre. Leurs coassements ressemblaient à une discussion ininterrompue entre deux vieilles commères, ce qui la fit sourire.
Les odeurs, cette chaleur, cette lumière intense alors que ses yeux n'avaient vu que l'ombre durant toute sa marche, la fatigue peut-être... Sa tête se mit à tourner. Elle se sentit soudain très faible, s’affaissant sur le bord du rocher, le dos pressé contre le tronc puissant. Posant son sac, elle s'abandonna à cette sensation d'engourdissement, tentant de se détendre un maximum.
Le lieu était serein.
Elle était seule, rien ne pouvait lui arriver.
Alors elle laissa la somnolence la gagner, restant mi-éveillée, mi-méditative sur cette terre qui lui semblait presque familière. L'exploration serait pour plus tard.
3. Mauvais rêve
Son corps était inerte mais ses yeux verts grands ouverts observaient le ciel dont le bleu se voilait peu à peu. De gros nuages gris poussés par un vent glacial couvrirent bientôt l'ensemble de la voûte céleste. On aurait pu croire que la nuit s’abattait d'un coup sur le lieu... Combien de temps avait donc duré son ascension ? Quatre heures, cinq tout au plus, c’est le temps qui était indiqué sur le vieux livre de la bibliothèque en tous cas. Elle était partie à l’aube. Il devait être aux alentours de midi...
Régulier, lourd, le chant sourd d'une percussion frappa une pulsation de plus en plus rapide à laquelle son cœur répondit à l'unisson. Dans ce mi-sommeil, son corps était paralysé. Sa poitrine peinait à se soulever et l'air commençait à lui manquer. Sans doute était-elle en train de rêver.
Un hurlement guerrier puis un second et des centaines d'autres percèrent le ciel ayant maintenant pris une couleur encre. Des femmes mi-nues, menaçantes, le glaive à la main, surgirent devant elle. Leurs chevaux ailés fendaient l'air. Des gouttes, tout aussi glacées que le vent, martelèrent la peau de la jeune femme. D’instinct, ses membres se mirent à se mouvoir de nouveau et elle découvrit avec stupeur que ce n'était pas de la pluie mais des gouttes de sang qui perlaient sur elle, laissant des traînées rougeoyantes irrégulières. Le tapis blanc de fleurs à ses pieds devint lui aussi, en un instant, écarlate.
Eirwen se leva d'un bond. Elle se mit à courir en direction d'un bosquet qu'elle n'avait pas vu en arrivant sur la cime de la montagne. Tout semblait différent dans la pénombre. Son pied butta contre quelque chose de dur, d'inerte. Un corps ensanglanté gisait à ses pieds. Plus loin une tête roula le long de la pente alors que des ombres couraient tout autour d'elle. La jeune fille hurla mais bizarrement aucun son ne sortit de sa bouche, alors même qu'elle entendait les glaives s’entrechoquer, de plus en plus proches. Les cris lugubres des hommes en armures de cuir dont elle percevait les silhouettes noires, tourmentées, tout autour dans une sorte de brume jaunâtre sentant le souffre, résonnaient de plus en plus fort, répondant au martellement horrible, entêtant.
Que se passait-il ?
Se tournant de tous côtés, elle ne voyait que la mort, la douleur et le feu qui gagnait le long des frêles arbres. Plus elle tentait d'avancer et plus le spectacle était horrible, l'odeur de sang présente. Celle des chairs calcinées lui donnait la nausée. Ces cris de femmes lui perçaient les tympans, l'obligeant à coller ses mains sur ses oreilles.
Soudain, au-dessus de sa tête, elle vit les deux volatiles au plumage noir qui avaient veillé sur son sommeil à son arrivée. Ils semblaient lui indiquer un chemin, plus loin, entre deux ifs entrelacés. Avec une confiance aveugle, elle écarta les deux arbres. Derrière, l'entrée d'une grotte lui apparut, comme un cocon salvateur. Au moins elle n'y voyait ni cadavre, ni feu. L'air y paraissait même frais et léger. Accompagnée des deux corbeaux, elle entra donc dans ce lieu qui d'ordinaire, étant claustrophobe, lui aurait paru si angoissant. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Jamais durant ses cauchemars, ses sens n'avaient été tant sollicités.
Et ce site, il avait l'air si paisible tout à l'heure. Serein même, dans son nuage de coton. L'adrénaline de la situation la poussa à avancer plus loin dans la cavité sans se poser plus de question. Une lueur émanait du fond de l'endroit, provenant d'une sorte de puits au plafond. Une douce clarté qui éclairait les parois. Les sons, les cris, tout ici paraissaient s'être tu. Le silence régnait, à l'exception des bruits d'ailes des deux oiseaux posés près de la source de lumière et d'un goutte à goutte régulier provenant d’un énorme stalactite à la forme acérée rappelant une dent de dragon. Doucement, elle calma sa respiration. Ses yeux s'étaient habitués à ce nouveau clair-obscur.
Elle eut l'impression que les murs étaient remplis de symboles qui lui étaient à la fois inconnus et accessibles, rassurants. Des personnages, des traits, un arbre immense, une étoile... C'était mystérieux et hypnotique comme une langue étrangère qu'elle aurait apprise par le passé mais dont pourtant, à ce moment, elle ne saisissait pas le sens.
Elle n'eut pas le temps d'en voir davantage. Un râle bestial la fit tressaillir. Elle se retourna et s’aperçut avec effroi que toute tentative de sortie de la grotte lui était désormais interdite. L'entrée était condamnée par une sorte de créature gigantesque faite d'os et de métal incandescent. Elle s'avançait vers elle, menaçante, un large sourire sur son visage décharné, une épée énorme enflammée entre les doigts. Elle sentit son souffle brûlant la frôler tandis que ses pas métalliques résonnaient sur le sol en granite. Elle avait l’intime conviction qu’elle allait finir comme ces pauvres guerriers démembrés qui gisaient dehors, à quelques mètres de son refuge.
Pourtant, au lieu de vaciller ou d’implorer grâce, intuitivement et étrangement calme, elle leva les mains, paumes vers le haut puis ferma les yeux en prenant une profonde inspiration. Un son guttural sortit malgré elle de sa bouche : « Ansuz ».
Par trois fois, elle répéta l’incantation étrange, sans savoir de quoi il s'agissait, poussée simplement par un instinct primaire. Des sphères bleutées scintillantes vinrent alors éclore au creux de ses mains. Toujours malgré elle, elle les dirigea vers le monstre, qui fut instantanément emporté dans un tourbillon puissant, éjecté vers la sortie de la grotte. Il ne pouvait apparemment pas résister à cette tempête de rage polaire provenant du propre corps de la jeune femme. Un corps que, de toute évidence elle ne contrôlait pas, elle ne contrôlait plus.
4. L'éveil
Eirwen ouvrit les yeux, tremblante comme une feuille. La moindre parcelle de son corps lui faisait mal comme si on l'avait roué de coups. Des gouttes de sueur roulaient le long de son front. Au-dessus d'elle, sur la grosse branche, les deux corbeaux continuaient leur conversation, semblant commenter son état avec une certaine malice. Elle aurait même juré les entendre se moquer.
— Deux obscurs volatiles sont-ils capables d'avoir de l'humour ?, se surprit-elle à demander tout haut, ce qui les fit taire.
Dans le ciel, aucun nuage, aucune femme ailée mais un énorme arc-en-ciel aux sept couleurs parfaitement distinctes. Elle soupira de soulagement. Elle avait présumé de ses forces. La fatigue l’avait sans aucun doute emportée et son imagination débordante lui avait joué une nouvelle fois des tours.
Comme presque chaque nuit depuis sa petite enfance, elle avait simplement fait un cauchemar. Mais cette fois-ci, quel cauchemar ! Il semblait si réel qu'elle pouvait encore sentir l'odeur de soufre sur ses vêtements.
Elle se me mit à rire aux éclats. La tension quittait d’un coup ses muscles endoloris, assise près de ce bassin dont l'eau fraîche, limpide l’appelait.
En observant avec plus d'attention l'endroit, elle se rendit compte qu'en fait trois sources jaillissaient de la cupule, se déversant ensuite vers les rus qui dévalaient le mont sans pour autant que cela ne fasse baisser le niveau d'eau devant elle.
Seule sur ce sommet, encore troublée par ce rêve étrange, toute pudeur la quitta. Elle ôta un à un ses vêtements, les déposant en les pliant à peine sur le tapis de fleurs, laissant sa peau nue profiter des doux rais de soleil.
Elle tenta de mettre un pied dans l'eau, puis le second, frissonnant au contact du liquide glacé. Cette chaleur qui l'avait envahie lors de son affreux songe, les douleurs qui meurtrissaient sa chair ; tout disparut au moment même où elle s'immergea entièrement dans la cupule. Une sensation de bien-être et de plénitude l’envahit. Elle se sentait étonnamment bien, comme lorsque l'on rentre chez soi après un long et pénible voyage. Plus encore, elle avait le sentiment que cette eau comblait les vides béants laissés par la mort de ses parents. Ces deux êtres qu'elle n'avait jamais connus mais qui emplissaient ses nuits d'un néant angoissant.
S'abandonnant à ce moment, elle se laissa flotter sur le dos, admirant le magnifique arc-en-ciel au-dessus de sa tête. Il illuminait les cieux de ses couleurs radieuses, étincelantes, formant une demi-sphère parfaite autour de la cime de la Lyfia. Il transformait la brume toujours présente en une sorte de bulle multicolore qui la protégeait de l'extérieur. Étrangement, elle ne sentait plus le froid mais une douce torpeur l'envahir, jusqu'au moment où une brûlure vive se fit sentir au niveau de sa nuque. Spontanément sa main se rapprocha de l'endroit douloureux, la déstabilisant et la plongeant tout entière sous l'eau. Elle se sentait happée par le fond par une force surhumaine.
Sous la masse, privée d'air, elle eut l'impression de revoir cette grotte sombre, son puits lumineux et le monstre d'acier et d'os devant elle. La désagréable impression de s'enfoncer dans les flots de plus en plus noirs la gagna. Le liquide entrait dans sa bouche, dans sa gorge en direction de sa cage thoracique. Dans un sursaut de panique, elle se débattit pour regagner la surface projetant autour d'elle des gerbes d'eau avec ses bras. Une eau qui lui parut à nouveau glacée, tout comme l'air qui s'engouffra soudain dans ses poumons, cet air salvateur chargé de l'odeur douceâtre des fleurs.
Elle était en vie et, chose étrange, ses pieds touchaient le fond de la cupule qui ne semblait pas si profonde finalement. Loin de l’abîme sans fin dans laquelle elle s'était débattue l'instant précédent.
Les végétaux de ce site étaient-ils hallucinogènes ?
La respiration rapide, après ce second épisode apocalyptique et perturbant pour la cartésienne, future médecin qu’elle était, elle allait sortir avec hâte de l'eau quand elle s'aperçut que deux regards étaient posés sur elle.
Il ne s'agissait pas cette fois-ci d'oiseaux mais bien de deux paires d'yeux humains. Les prunelles bleu d’azur et grises de deux jeunes hommes, dont l'un se précipita vers elle, visiblement paniqué, l'observaient avec attention.
Campée sur ses pieds, à demi immergée dans le bassin, elle se rappela soudain qu'elle était entièrement nue et posa ses bras en croix sur sa poitrine poussant un cri d'effroi qui fit reculer son sauveteur potentiel.
— Qui êtes-vous ?, hurla-t-elle, tentant de retrouver son aplomb et éventuellement de sauver le peu de dignité qui lui restait.
Le second, qui s'était emparé de ses vêtements pour les lui tendre avec un air amusé, répondit :
— La brigade des mœurs de la Lyfia, mademoiselle. Vos papiers s'il vous plaît.
Les deux garçons, visiblement très complices, se mirent à rire tout en se retournant pour lui permettre de se vêtir. Ce qu'elle fit le plus rapidement qu’elle put, enfilant tant bien que mal son tee-shirt collant sur sa peau mouillée. C'était bien sa veine. Tomber sur deux voyeurs dans un lieu qui se voulait désert.
Encore dégoulinante, elle se posta ensuite devant eux, jambes écartées, poings sur les hanches, le regard menaçant, ce qui stoppa net leurs moqueries, même si elle sentait bien que le plus grand se mordait la lèvre pour ne pas éclater de rire à nouveau.
Ils avaient sans doute raison d'agir ainsi. Elle imaginait fort bien le spectacle qui se présentait à eux : une jeune fille rouge de honte saucissonnée dans des vêtements enfilés à la hâte, les cheveux trempés et qu'ils avaient découvert quelques minutes auparavant hurlant à la mort dans le plus simple appareil au beau milieu d’une toute petite flaque d'eau. Il y avait de quoi alimenter nombre de conversations lors de leurs soirées viriles à venir. Pourvu que ces deux jeunes hommes ne soient pas des connaissances de ses frères... sinon elle passerait sa vie à devoir entendre et réentendre cet épisode peu glorieux de son existence d'ermite des bois.
Reprenant un peu de contenance et surtout se rendant compte de son attitude puérile, Eirwen tendit fermement la main au blond qui allait courageusement se jeter à l'eau pour elle quelques minutes auparavant. Elle négligea volontairement d'adresser le moindre regard vers le brun qui fit une moue entre le « Je m'en fiche » et le « Oh, je suis fâché ».
— Bonjour, je m'appelle Eirwen et toi ? C'est la première fois que je monte au sommet de la Lyfia, c'est un drôle d'endroit, n’est-ce pas ?
Lui serrant la main avec douceur malgré son gabarit de maître-nageur, il lui répondit qu'il s'appelait Angus et qu'il était amateur de varappe, ajoutant qu'il était venu sur les conseils d'un vieux du hameau où il logeait depuis la veille dans le but d’escalader la falaise. Falaise qui devait normalement se trouver de l'autre côté du mont. Bizarrement, ils n’avaient rien trouvé. En fin de compte, après quelques heures de vaines recherches, ils s'étaient perdus et avaient entendu des hurlements atroces.
Voyant qu'elle ne daignait pas parler à son compagnon d'escalade, il le pointa du doigt en continuant :
— Et le rigolo là, c'est Thomas, mon frère.
Puis s'approchant d'elle en chuchotant, il ajouta :
— Tu sais, il est plus bête que méchant.
— Hé, rétorqua l'autre qui avait tout entendu. Appelle- moi Tom s'il te plaît. Je suis désolé, je ne voulais pas te vexer mais tu étais si drôle tout à l'heure... et ma foi ce n'est pas tous les jours que l'on découvre une déesse complètement nue au milieu de nulle part.
A la fois offusquée et un peu flattée, il faut bien dire de ce qu'elle venait d’entendre (« Une déesse, moi qui d'ordinaire est plutôt le vilain petit canard de service » pensa-t-elle intérieurement avec un sourire à peine dissimulé), elle lui répondit par une grande tape sur l'épaule qui lui fit pousser un « aïe » douloureux. Eirwen avait deux frères et donc l'habitude de se défendre contre ce genre d'attitude macho envers la gente féminine.
Puis ils se mirent à se moquer tous les trois du ridicule de la situation avant de s’asseoir près du grand frêne où trônaient toujours les deux espions noirs en pleine conversation.
— Connaissez-vous l'histoire de ce lieu ?
Les garçons secouèrent la tête négativement.
— J'ai eu comme des visions en arrivant au sommet, reprit-elle. Peut-être à cause de la fatigue ou des effluves des fleurs ?
— Apparemment, elles n'étaient pas très sympas tes visions, ajouta le brun qui la fixait de ses grands yeux ronds d'un bleu clair envoûtant.
— Remarque, ce lieu possède une aura très bizarre. Comme je te l'ai dit, nous sommes venus pour grimper sur une soi-disant falaise indiquée par un vieux fou mais nous avons cherché pendant des heures en parcourant ce maudit mont sans en trouver la moindre trace. La Lyfia n’est pourtant pas immense. Et dire que nous avons réservé deux nuits dans son gîte pour profiter d’une des plus belles parois de Suède, pfffff ! La belle arnaque, continua Angus qui prit son sac à dos et en sortit un paquet de cookies, le tendant vers la jeune femme en évitant la main de son frère.
— Honneur aux dames, euh devrais-je dire aux déesses, continua-t-il avec calme. Tu avais peut -être simplement faim et cela t'a joué des tours. Le chocolat, il n'y a rien de mieux pour se remettre de ses émotions.
Elle acquiesça d'un signe en prenant un gâteau et en le remerciant. Angus était plus musclé que son frère, plus posé aussi. Ses prunelles grises et ses cheveux frisés blonds aux reflets cuivrés ondulant dans le vent lui donnaient une allure divinement plaisante. Thomas était plus sec avec un regard espiègle, profond et de longs cheveux noirs qui tombaient en cascade dans son dos. On aurait dit un félin prêt à bondir sur sa proie, en l'occurrence le paquet de cookies.
C'était une drôle de rencontre dans un endroit tout aussi étrange. La sauvage qu'elle était, en train de partager un goûter avec de jeunes hommes inconnus qui en connaissent plus sur son anatomie que ses propres parents. Voilà qui était tout aussi surprenant. Qu'importe finalement. La vie lui avait appris à profiter de l'instant présent. Elle mordit donc à pleines dents dans la délicieuse friandise sous l'ombre du grand frêne centenaire, surveillée par deux gros oiseaux et en bonne compagnie. Il ne lui en fallait pas plus pour oublier ces affreux cauchemars... enfin pour le moment.
Tous les trois assis sur la bordure du bassin de roche, ils ne pouvaient quitter des yeux le paysage magique qui s'offrait à eux, mangeant
