Destination funeste
Par Luce Fontaine
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À propos de ce livre électronique
Mais Rabbit Hole a ses secrets! Des voisins au passé douteux et la rencontre inattendue de Paul, son amour de jeunesse à l’Académie de police de Pikfield.
Voyageant au cœur des mensonges et de la trahison, la jeune femme devra user de ses talents de policière afin d’élucider des crimes crapuleux et des meurtres sordides perpétrés contre des résidents de son nouveau village d’adoption.
Au fil de ses découvertes, Valérie Morin se retrouvera impliquée au cœur d’un complot terroriste d’envergure internationale. Suivant son instinct, Val tentera de retrouver un certain équilibre en poursuivant son éternelle quête du bonheur, à la recherche de la justice et de la vérité!
La nouvelle vie de la jeune policière à Rabbit Hole lui confirmera alors que toute cette aventure n’est qu’une ironie du destin!
À PROPOS DE L'AUTEURE
Luce Fontaine, est une auteure québécoise, originaire des Cantons-de-l’Est. Cette fois, elle nous présente un roman policier digne de ce nom avec des intrigues et du suspense…
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Aperçu du livre
Destination funeste - Luce Fontaine
Dédicace
Pour Jean-Pierre,
le chêne sur lequel je peux m’appuyer
et pour
mes deux filles, Émilie et Geneviève,
qui sont ma plus belle réussite…
Chapitre 1 - Les habitants
Mady se tenait sur le perron de l’église Saint-John-the-Less, au cœur du village de Rabbit Hole. Elle attendait que Rosario, le marguillier du village, daigne venir lui débarrer la porte de la sacristie. Tous les cahiers de musique s’y trouvaient et l’Adagio d’Albinoni, la pièce qu’elle devait interpréter à l’orgue n’étant pas de tout repos, Mady se devait d’y jeter un coup d’œil, même furtif, avant de s’élancer dans une quelconque interprétation musicale. La vieille femme se repassait en mémoire une époque, pourtant pas si lointaine, où les portes des églises n’étaient même pas barrées. Les gens pouvaient s’arrêter le temps d’une petite prière ou bien encore venir y chercher réconfort et pardon auprès du curé qui les attendait toujours les bras ouverts et le sourire aux lèvres : « Un saint homme », disaient certains. Mady se sentait une fois de plus, prise en otage. Certains marguilliers, fiers de leur pouvoir acquis hardiment auprès des élus, prenaient un malin plaisir à exaspérer la patience de l’organiste de la communauté.
— Rosario, Rosario Michaud, il va entendre parler de moi celui-là ! se surprit à dire à voix haute la septuagénaire.
Mady Leghorn, Mad pour les intimes, ne trahissait pas ses origines irlandaises. Ceux du village qui la connaissaient, ou qui avaient plutôt eu affaire à elle, savaient que cette femme déterminée était dotée d’un caractère autoritaire et bouillant qui remontait à la surface plus souvent qu’à son tour. De silhouette trapue et corpulente, Mady était une amante de la musique et une ancienne pianiste vedette du GOSM, le Grand orchestre symphonique de Montréal. Mais ce jour-là, Mad était pressée, il ne lui restait plus que deux heures avant la cérémonie. Les funérailles de monsieur Pearl devaient être célébrées à 11 heures à l’église Anglicane Saint-John-the-Less de Rabbit Hole. Mady aimait bien jouer sur l’orgue Casavant de grande qualité que possédait la petite église de campagne. Cet orgue avait une valeur inestimable et la qualité sonore n’avait d’égales que les incroyables envolées musicales que se permettait la musicienne à la retraite. Chacune des fois où la femme avait eu à s’asseoir devant cette merveille, elle se rappelait, non sans un pincement au cœur, le bonheur qu’elle éprouvait lorsque, acclamée et portée aux nues, elle posait ses longs doigts sur le clavier et qu’avec une gestuelle mécanique et programmée elle ravissait les mélomanes, même les plus avertis. La musicalité exceptionnelle et l’extraordinaire sonorité du grand piano à queue de marque Baldwin du Grand orchestre symphonique lui procurait une jouissance musicale qui l’avait ravie et lui avait permis de charmer le public venu assister à chacun de ses concerts.
Mady Leghorn savourait les moments de solitude passés assise sur le petit banc de bois d’érable de l’église de ce coin de pays perdu. Jouer sur l’orgue de cette église de campagne lui permettait de s’évader et d’oublier les problèmes d’arthrite qui la faisaient tant souffrir. Mad sentait son corps l’abandonner peu à peu. Elle qui comptait maintenant plus de soixante-quinze printemps appréhendait l’arrivée imminente de l’hiver en lui faisant craindre le pire. La vieille musicienne, comme les gens de la place l’appelaient, avait donc grandement besoin de ses instants de préparation pour réchauffer ses doigts frêles et de plus en plus déformés par la terrible maladie. Le calme et la sérénité qui se dégageaient de ces lieux inspiraient grandement l’ancienne musicienne. Elle se revoyait jouant la Sérénade pour piano en ré majeur de Mendel Son devant plus de 2 000 admirateurs au MET, le Métropolitan Opéra de New York où elle avait été invitée et acclamée, portée aux nues ! La gloire l’avait amenée à voyager dans le monde entier et elle avait fait de l’argent, beaucoup d’argent ! Mais la célébrité avait un prix et Mady Leghorn en avait payé la facture et le pourboire en plus. « La rançon de la gloire », repensait-elle parfois dans des moments de lassitude.
Seule et célibataire, elle en avait accepté les avantages et les inconvénients. Elle vieillissait retirée et abandonnée au beau milieu de Rabbit Hole, un village perdu des Cantons-de-l’Est. Même la municipalité régionale de comté en avait perdu la trace. Depuis que l’ancienne bourgade avait été annexée à la municipalité centrale d’Armanbourg. Sans compter les cartes routières du ministère du Transport qui ne représentaient plus le minuscule point noir au sud, tout en bas du Québec. Les pancartes officielles avaient également disparu, elles aussi. Les résidents s’étaient résolus à peindre eux-mêmes des affiches vertes et blanches indiquant aux passants qu’ils avaient bien atteint cette contrée oubliée aux pieds des montagnes appalachiennes. À croire qu’on assistait au retour des villes fantômes qui naissaient et disparaissaient au gré des conquêtes de l’Ouest.
Rabbit Hole était encore habité par près de cinquante âmes. Une nouvelle famille était venue s’installer le mois précédent et la jeune femme avait donné naissance à un joli petit garçon, lui avait-on dit, car Mady n’avait en fait jamais vu le bébé ; l’âme « numéro 51 » de la paroisse !
Au bout d’une interminable attente de 45 minutes sur le perron de l’église, Mad se décida enfin à partir et monta dans sa voiture, une Honda Civic du début des années 2000. Si son moteur et sa mécanique ne laissaient pas trop transparaître les signes d’usure, il en était tout autrement de la carrosserie. Les taches de rouille et les perforations dans la tôle témoignaient des durs hivers passés dans la belle province. Les abrasifs et le calcium épandus pour déglacer les routes de campagne en hiver en étaient les grands responsables.
Il allait entendre parler d’elle, le vieux Michaud ! Suivant le chemin de la Montagne, la principale voie d’accès et de sortie du paisible hameau, Mady arriva à l’extrémité du village. Les habitations étaient construites de chaque côté de la voie. À peine stationnée et débarquée de sa voiture, Mady trouva étrange que la porte de la maison de Rosario soit restée entrouverte. En ce début d’automne, l’air commençait à devenir plus frisquet et, ce matin-là, ne faisait pas exception à la règle.
S’engouffrant dans l’escalier de bois pourri de la maison du marguillier, peinte d’un ancien vert lime, la vieille musicienne avança d’un pas discret et frêle dans le corridor qui semblait mener à la cuisine. De là, émana une odeur répugnante qui l’assaillit aussitôt.
— Rosario a dû oublier de sortir ses vidanges depuis des jours, se dit-elle en frottant ses mains ravinées l’une contre l’autre pour les réchauffer.
Elle repensa comment il était difficile pour les vieux du village de faire rouler jusqu’à la route principale l’immense et lourde poubelle verte de 250 litres, dont les roues ne cessaient de se bloquer à cause des débris de feuilles ou de branches qui s’y coinçaient. Les deux pires saisons étaient l’automne, pour ses feuilles et ses branches qui jonchaient le sol, et l’hiver, pour ses accumulations de neige qui rendaient difficile la circulation de l’encombrant bac.
Perdue dans ses pensées, Mad ne réalisa pas immédiatement la scène d’horreur qu’elle avait sous les yeux. Ou plutôt, son cerveau n’acceptait pas l’intolérable image qui lui était projetée. Plissant des yeux comme pour ajuster l’objectif d’une caméra, la vieille musicienne aperçut une marre visqueuse remplie d’un étrange liquide brunâtre. Mais le plus terrible c’est qu’au beau milieu, il y avait une masse inerte. Du sang ! comprit la vieille musicienne. Le corps de Rosario gisait là, comme s’il flottait au beau milieu d’un étang de bordeaux grenat. Ses yeux ouverts étaient sortis de leur orbite et le visage de couleur pourpre était enflé et rempli d’ecchymoses violacées et noirâtres.
Les jambes flageolantes et le cœur au bord des lèvres, Mady Leghorn chercha du regard le coupable, la menace. Mais rien ! Elle était seule avec Rosario, ou du moins ce qu’il en restait. Malgré l’énervement et la peur qui la torturaient, elle trouva le téléphone et composa le 911.
Depuis ces dernières années, la campagne avait beaucoup amélioré ses services d’urgence, d’ailleurs Mad en payait les services à tous les ans sur ses comptes de taxes et également à tous les mois sur son service de téléphonie locale. Mais ce qu’elle ne comprenait pas, c’était que lorsqu’un appel était fait à la centrale d’urgence, c’était un préposé de Longueuil, une banlieue-dortoir de la grande métropole de Montréal, qui répondait. D’ailleurs, quelques mois auparavant, la vieille dame avait déjà expérimenté la pénible situation, son cœur s’étant mis à lui jouer un tour en tambourinant frénétiquement dans sa poitrine, comme un musicien possédé. La soudaine attaque de tachycardie s’était acharnée en un mouvement saccadé sur la pauvre vieille. Puis, finalement, pour ajouter à la tragédie, le positionnement géographique de Rabbit Hole n’aidait en rien la situation. Le minuscule village n’étant plus répertorié sur les cartes routières, cela n’avait pas amélioré la rapidité du service. Cette condition avait de quoi donner la chair de poule. Mady avait l’impression que si elle avait demandé assistance pour une adresse située sur la planète Mars, la préposée aurait compris plus rapidement à quel endroit envoyer les services d’urgence !
Après une attente qui lui sembla une éternité, Mady sentit la frustration la gagner et décida de devancer la réceptionniste de la centrale d’urgence.
— Madame, je vais vous dire qui appeler, ouvrez grand vos oreilles : téléphonez à Marc Aubry, de Bedford, c’est lui qui possède la flotte d’ambulances de la région. Puis téléphonez au poste de la SQ – Sécurité du Québec – d’Abott Corner, se sont eux qui desservent notre MUNICIPALITÉ, vous avez compris ou dois-je trouver les numéros de téléphone moi-même dans le bottin ?
— Oui, Madame, oui, c’est noté, les secours sont en route, mais vous devez rester sur place jusqu’à leur arrivée, lui annonça la préposée.
— Quoi ? Mais ce n’est pas moi qui l’ai tué ! J’ai peur, vous savez, je suis âgée mais pas encore sénile, mais pour qui me prenez-vous ? Je ne reste pas ici un instant de plus. C’est dangereux. Y a un fou en liberté et, qui sait, il est peut-être encore caché dans la maison !
— Mais Madame. Allo, Madame...
Mady Leghorn avait quitté en trombe et en état de choc la maison de Rosario Michaud, oubliant même son sac à main aux pieds de la victime.
La Honda Civic noire, ou plutôt grise, depuis qu’elle sillonnait les chemins de campagne en terre boueux dès que la pluie faisait son apparition, roulait à toute vitesse. Mady ne possédait plus les réflexes de conductrice qu’elle avait eus dans sa jeunesse. La route reliant Rabbit Hole à Montréal, elle l’avait faite plus souvent qu’à son tour. Tous les week-ends, elle se faisait un devoir de venir à sa maison de campagne pour y passer ses journées de congé. Cet endroit était ressourçant et serein, avec en prime une vue du mont Pinacle à vous couper le souffle. Elle arriva dans la courbe, sur Memory Lane, la route en forme de cercle avec une embouchure perpendiculaire au chemin de la Montagne et sur laquelle elle avait déniché sa coquette petite maison peinte en bleu « bord de mer ». C’est ici qu’elle se sentait en harmonie avec sa propriété, la terre environnante et sa propre vie. Pourtant, le sort, cette force surnaturelle qui décide de l’avenir des personnes, voulut qu’en cette journée d’automne mouvementée, la vieille voiture de Mady dérape et aille de plein fouet percuter l’érable centenaire qui trônait sur le bord de la route qui devait la mener jusqu’à chez elle. Le gigantesque et impassible érable, aligné avec d’autres de ses semblables depuis bien plus longtemps que les soixante-quinze printemps de la victime, assista comme unique témoin à la triste fin de la vieille musicienne.
L’impact avait été d’une telle puissance qu’il ne restait de la voiture et de son occupante qu’un amas de ferraille tordu et fumant. À l’arrivée des équipes d’urgence, une douce complainte émanait de la radio qui, comme par miracle, continuait d’émettre des airs lyriques et mélodieux. Sous la force de la collision, Mady avait senti son âme quitter son enveloppe corporelle et elle s’était envolée, flottant au-dessus de son village tant aimé, un Rabbit Hole embrumé…
Chapitre 2 - La découverte
Au volant de sa toute nouvelle voiture hybride d’un vert avocat très, très tendance, Valérie Morin déambulait sur l’autoroute 10 en direction de l’est. La jeune trentenaire n’était surtout pas pressée, son emploi à la ville de Montréal lui avait pris « tout son petit change » comme on dit. Guy Daoust, le directeur général du Service policier montréalais, n’avait pas été très doux envers la jeune policière. Misogyne reconnu, Daoust en avait assez de cette marée de femmes qui débarquaient de l’école de police de Pikfield avec, dans leurs bagages, un beau sourire, de l’ambition et un trop grand sens de la conciliation !
— Eh, Daoust ! Tes SPM vont bien ? disaient des collègues de la SQ avec qui il coopérerait trop souvent à son goût.
Ces derniers, pour le faire enrager, se moquaient de sa tête en faisant référence au syndrome prémenstruel de ses agentes !
Le DG à la tête du Service policier montréalais en était estomaqué, de ces petits bouts de femmes qui, du haut de leurs 5 pieds 3 pouces, tentaient du mieux qu’elles le pouvaient d’arrêter une bande de motards trois fois plus grands et plus forts qu’elles, ou encore, comment pouvaient-elles s’interposer à un gang de rue dont les membres n’hésitaient pas à avoir recours aux armes blanches et à des manières sournoises et mesquines.
À quelques reprises, ces derniers mois, lors d’interventions musclées, les policières avaient plus qu’à leur tour été victimes de divers traumatismes et d’états de choc les ayant conduites à l’hôpital. Sans oublier qu’il ne comptait plus les interminables congés de maternité qui ralentissaient le déroulement des opérations de son service. Une enquête récente d’un quotidien montréalais démontrait qu’un de ses postes de quartier figurait parmi ceux qui comptaient le plus grand nombre d’absences pour congés de maladie en Amérique du Nord ! Rien de reluisant et surtout rien pour se péter les bretelles devant les directeurs des autres services. Selon Guy Daoust, le corps policier devait revenir à un modèle plus musclé et viril ; son succès personnel et celui de son escouade en dépendaient.
Depuis des années déjà, chaque lundi matin, Valérie Morin ressentait la même tension au fond de ses tripes. Une oppression grandissait et rongeait son corps jusqu’à embuer sa tête et lui donner l’envie de vomir. Ce malaise faisait remonter en elle d’étranges souvenirs d’enfance. Ce sentiment trouble et violent à la fois lui projetait des images qu’elle tentait depuis longtemps d’oublier ou d’effacer, comme on nettoie une ardoise d’un simple geste de la main. Valérie pouvait prédire l’arrivée d’une tempête, juste à sentir le vent tourner et lui fouetter les joues. Ce même vent qui, quelques instants auparavant, s’amusait à faire danser les rideaux de dentelle jaune de la fenêtre de sa chambre, située du côté est de la vieille maison de ville, construite sur deux étages, qui l’avait vue naître. « La vilaine sorcière de l’Est dans Dorothée et le magicien d’Oz » ou était-ce celle de l’Ouest. Val ne s’en souvenait jamais, mais ce qu’elle ressentait ne la trompait pas. C’était imprégné en elle à tout jamais. Les frissons qui vous traversent le corps, de la racine des cheveux jusqu’au bout des orteils, le cœur qui bat à plus haute vitesse et que l’on entend résonner en écho dans ses tempes. Non, Valérie Morin connaissait mieux que quiconque les sensations que produisent les montées d’adrénaline dans l’organisme ; comme un prédateur guettant sa proie tapi derrière un arbuste, ou perché sur une branche. Impossible à repérer avant qu’il n’attaque et blesse mortellement. Quand elles se produisent trop souvent, ces hausses d’adrénaline peuvent devenir nuisibles et le corps peut subir une surchauffe, comme un moteur de voiture.
— Bravo ma belle ! Voilà que tu te compares à une voiture. J’espère au moins que c’est une Mustang et pas une Lada à laquelle tu t’identifies. Au moins un peu de respect. Se surprit-elle à penser tout haut, en ricanant joyeusement, et en faisant avec ses doigts le signe « respect » que les jeunes afro-américains du quartier à la chevelure noire comme de l’encre exécutaient pour se saluer entre eux.
Après des années – dix en fait – de vie aux ordres de Daoust, cet impitoyable tyran, Valérie Morin sentait un besoin viscéral de foutre le camp, le plus loin possible de la métropole, histoire de reprendre son souffle pour mieux affronter la prochaine semaine qui reviendrait la heurter plus vite qu’elle ne l’aurait souhaité. Ce truc infaillible lui venait d’une autre policière avec qui elle s’était liée d’amitié dès son arrivée au SPM, Nicole Laforêt.
Laforêt patrouillait à Montréal depuis plus de vingt ans maintenant. Elle en avait vu passer des machos et des escrocs, lui avait dit celle qui avait la jeune quarantaine et qui riait de toutes ses dents d’un blanc immaculé. Grande et élancée, avec une chevelure blonde comme le soleil, Nicole pouvait désamorcer les plus grands complots et remettre à sa place, avec une prise de contrôle physique, le plus costaud des truands. Elle était toute une athlète, et même le directeur général, Guy Daoust, n’hésitait pas à la citer en modèle à l’occasion. « Tout un honneur », se moquaient les deux amies, se référant au caractère misogyne du DG.
— Ne t’en fais pas, Val, c’est sa manière de materner les jolies femmes. Daoust est un tyran, mais un bon tyran, tu verras, ne cessait de l’encourager sa collègue Nicole.
Valérie ne ressentait pourtant pas le besoin de pousser à bout l’hégémonie de son impérieux officier supérieur.
— On sait ben, toi, Nicole, que le DG t’aime parce que t’es lesbienne. T’es pas une vraie femme à ses yeux, donc pas une véritable menace pour lui.
— Qu’est-ce que t’en sais, la bleue. Tu devrais mettre à jour tes infos à mon sujet.
À ses débuts, Valérie Morin avait été jumelée avec l’agente Laforêt, et les deux coéquipières patrouillaient dans la voiture 15-5, dans un secteur pas trop chaud de la ville. Morin, surprise par les avances de sa collègue, avait vite mis fin aux espoirs de la policière d’expérience. Les plus vieux du poste disaient qu’elle était « gouine », d’autres qu’elle était « bi » ; en définitive, l’agente Laforêt aimait tous les genres.
Perdue dans ses pensées, Val roulait face au soleil levant, l’air frais lui ravivait son teint pâle et faisait danser au vent les quelques mèches brunes bouclées qui s’échappaient de son chignon retenu par une pince verte assortie à la couleur de ses yeux. Ratant la sortie qui devait la mener à Magog, elle emprunta in extremis la sortie suivante et se retrouva sur une petite route de campagne sinueuse, en partie dissimulée par la voûte végétale de centaines d’arbres majestueux aux couleurs automnales flamboyantes qui laissaient à peine filtrer une douce lueur apaisante et feutrée. Valérie se sentit légère et en paix dans ce nouvel environnement tout à fait naturel.
Citadine depuis toujours, habitant la banlieue de Montréal, Val se surprit à éprouver de la joie à l’idée d’être égarée dans les bois, seule, livrée à elle-même. Petite, elle enviait l’autonomie des autres filles de son quartier qui, avec l’arrivée du soleil et des beaux jours de juin, partaient en vacances à la campagne, à la plage ou à leur chalet familial construit à l’abri des curieux dans les montagnes des Cantons-de-l’Est. La famille Morin ne se targuait guère de prendre des temps d’arrêt. C’était plutôt le contraire. Les parents de Valérie étaient d’infatigables travailleurs et ils se faisaient un devoir d’accomplir leurs tâches journalières, même les jours de congé. Val en souffrait quelque peu, mais ne le laissait jamais transparaître. Elle avait les meilleurs parents du monde et, malgré leurs défauts, les Morin s’aimaient profondément.
— Je suis perdue, tu es perdue, nous sommes perdues, se mit-elle à fredonner nerveusement. Allez, Val, tu es une grande fille indépendante, majeure et vaccinée ! Que peut-il bien t’arriver dans cette campagne perdue ? De quoi as-tu peur, ma belle ?
Les mots « autonomie » et « indépendance » lui revenaient souvent en tête, et ce, depuis sa plus tendre enfance. Son père, lui-même policier au service du SPM, lui avait inculqué très jeune la notion d’indépendance et d’autosuffisance. Il croyait fortement qu’en armant son unique enfant de ces essentielles qualités, il la protégerait des dangers de la vie. Et qu’elle échapperait à l’enfer qu’avaient été ses dernières années passées ici bas, au service de la ville de Montréal.
Une enquête interne avait laissé sous-entendre que le père de Valérie avait escroqué la justice en soutirant des pots-de-vin à plusieurs commerçants de la rue Saint-Laurier. La lumière n’avait jamais été faite complètement sur cette affaire, car le sergent Raymond Morin avait été retrouvé mort dans sa voiture personnelle. Une balle à la tête. L’enquête menée par des policiers du même poste où travaillait le sergent Morin avait conclu à une mort par suicide. La mère de Val en avait toujours douté. Et ce doute l’avait rongée jusqu’à son dernier souffle, moins de deux années plus tard.
— Méfie-toi, Val, de ceux qui sont trop gentils avec toi, et surtout, surtout, tiens-toi loin des magouilleurs, lui avait conseillé son père quelques années avant son décès.
Un soir venteux d’octobre, Val n’oublierait jamais cet instant, à jamais gravé dans sa mémoire, inscrit dans le livre de sa vie. C’était l’heure du souper, des odeurs de tomate, de basilic et de laurier émanaient du large chaudron reposant sur les ronds encore chauds de la cuisinière électrique. La jeune fille était affamée, sa mère lui avait cuisiné son plat favori : des pâtes à la sauce tomate. Mais
