Quand fond la neige, où va le blanc ?: Roman
Par Claudye Sellem
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Claudye Sellem, vit dans le Sud de la France où elle enseigne l’Histoire. D’une sensibilité très riche, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’Homme, l’art et la littérature.
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Aperçu du livre
Quand fond la neige, où va le blanc ? - Claudye Sellem
Claudye SELLEM
QUAND FOND LA NEIGE,
OÙ VA LE BLANC ?
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait totalement involontaire et ne relèverait donc que du hasard.
Car, qu’est-ce que mourir, sinon se tenir
nu dans le vent et se fondre dans le soleil.
Car la vie et la mort sont une,
comme le fleuve et la mer.
Khalil Gibran, Le prophète
A mon fils.
I
«Se lever, faire sa toilette
et puis attendre quelque variété
imprévue de cafard et d’effroi. »
Cioran
Ma femme est morte. La phrase se déroule dans ma tête, aussi froide et impersonnelle qu’un couperet de guillotine. Quatre mots absurdes s’affolent en moi, s’insinuent, enflent et prennent toute la place. Impossible de les chasser, ils parasitent mes pensées. Alors je les dissèque pour qu’ils ne recouvrent aucune réalité, pour qu’ils n’aient plus de signification. Muerta, morte. Comme une comptine d’enfant, je joue avec le mot, le tourne dans ma bouche, le mâche, le mord, le chuchote et le décline. Muerta, morte. Ma langue tape sur mon palais et insiste sur la dernière syllabe « te, te » Morte, mortifère, moribonde, mortuaire, mortelle, morte tout court.
Il pleut. Elle est allongée sous la terre tandis que je traîne dans la maison, en caleçon, le cheveu hirsute, l’œil hagard et la barbe piquante. Elle est à jamais immobile, si seule dans son cercueil, et moi, je me suis levé ce matin, j’ai allumé la radio, bu mon café sans sucre en tournant la cuillère, bruit familier du métal sur la porcelaine de la tasse. Gestes quotidiens. J’ai nourri le chat et les chiens en écoutant les infos, j’ai fait le compte des morts victimes des guerres civiles, des accidents de la route, des meurtres, des catastrophes naturelles, de la famine. Les jeunes, les vieux, rayés de la carte. Chacun, ce matin, a sa part de chagrin, un mort enseveli, un mort en sursis, un vivant à l’agonie. Je fais partie de la masse des endeuillés désormais.
Je suis remonté dans la chambre en parlant tout seul, place vide et lisse dans notre lit qu’elle a déserté. Elle est juste partie travailler, elle rentrera ce soir. Ne pas imaginer son corps dans la boîte. Tache blafarde sur le parquet, dernière trace de sa vie trop pressée, son pyjama gît froissé dans un coin. Je l’ai conservé là où elle l’a laissé glisser, alors encore tiède de sa peau, imprégné de son parfum. Première relique. Interdiction d’y toucher. Dans cette pièce qui renferme toutes nos nuits, je reste là, les bras ballants, ne sachant que faire de ma peau et exécrant toute cette vie bruissante enfermée là-dessous, sang rouge vif qui circule, matière grise irriguée, les neurones en alerte, à mon insu. Comment est-il possible de continuer alors que son corps à elle s’est transformé en une masse grise et froide livrée à une activité grouillante et avide d’orchestrer le grand cérémonial de la décomposition ? Je l’aurais voulue cendre, poudre douce et pâle éparpillée dans les collines, mêlée au vent, poussière légère déposée sur les arbres qu’elle aimait.
Envie de vomir. Je tremble de froid et de peur. Emma n’est plus là.
Notre fils, Romain, dort. Il s’est réfugié dans le sommeil depuis qu’un petit vaisseau s’est rompu dans le cerveau de sa mère. Il faut affronter son visage défait, ses yeux effarés et accepter son silence entrecoupé de sanglots sans larmes. Il dort l’adolescent de seize ans, sous l’abri de ses draps, agité de soubresauts. Il gémit et je n’ai plus les mots pour apaiser sa souffrance, notre douleur conjuguée.
Il pleut derrière la fenêtre giflée par l’orage, le jardin n’est plus qu’une énorme éponge détrempée et je me demande si l’eau pénètre dans le cercueil d’Emma, si la terre s’infiltre en traînées brunâtres et souille le linceul dont on l’a revêtue pour l’ultime voyage. Je souffle sur la vitre qui se recouvre de buée, je trace les lettres qui composent le prénom d’Emma, signes transparents sur l’opacité du support que j’efface du revers de ma manche. J’écris à nouveau et j’efface et je pleure ce prénom auquel elle ne répondra plus.
Comment va-t-on faire pour trouver la force de continuer alors que tout a basculé si vite, si brutalement ? Pourtant la terre ne s’est pas arrêtée de tourner. Les gens vont et viennent, le ciel s’enflamme à l’aube dans une débauche de couleurs, l’arôme du café agace mes narines, le chat gris alangui se prélasse sur la terrasse, les oiseaux s’époumonent dans le jardin, les bruits de la rue parviennent assourdis jusqu’à moi. Voilà tout ce dont elle est privée et dont nous jouissons encore ! Le monde n’est qu’une vaste respiration et Emma ne participe plus à ce flux et reflux d’haleines, de sueur, et de souffle. Elle est dans l’invisible, dans l’inexistence, coupée de nous, effacée. Emma, un souvenir dans ma mémoire désolée ? Toute notre vie durant, j’ai eu peur de la perdre et je considérais chaque jour passé ensemble comme un miracle toujours renouvelé, comme une manne, comme un cadeau. Elle était mon tout et je suis perdu sans elle !
Sentir encore une fois son odeur. Dans la salle de bain, je dépose sur la peau tendre du poignet, cet endroit de mon bras qu’elle aimait embrasser, quelques gouttes de son parfum et c’est comme si elle venait de quitter la pièce. Besoin étrange d’essayer ses crèmes de beauté. J’ouvre les pots transparents où se dessine encore l’empreinte de ses doigts et étale sur mon visage le produit en imitant les gestes qu’elle faisait chaque jour, un mouvement de bas en haut en étirant les pommettes, tapotements rapides autour des paupières. Je me moquais d’elle quand elle se livrait à ce rituel qui aujourd’hui m’apaise et me sécurise.
Je voudrais être elle.
J’erre dans la maison qui me semble soudain immense sans elle, j’ai perdu mes repères, je vais d’une pièce à l’autre, touche un objet et le repose, je cherche, à la surface des choses, les traces de sa présence. Tout me paraît étranger, hostile et vain. Ces tableaux, ces meubles, cette décoration qui faisaient nos délices quand nous chinions ensemble chez les antiquaires, à quoi bon désormais ? Le bel ordonnancement de notre vie s’est effondré et je ne sais plus fonctionner dans cette solitude soudaine et imposée. Elle, allongée sous la terre, à jamais seule et silencieuse et moi debout, mais brisé, glacé, contraint de continuer cette parodie de vie sans elle. Je marche alors que j’ai les jambes coupées, je fais semblant de vivre alors que je suis éteint.
Une rupture d’anévrisme s’est emparée de son âme et l’a laissée sans vie, le visage enfoui dans ses avant-bras posés en rond sur la table de travail, la joue délicatement appuyée sur une feuille de papier, le stylo gisant sous une mèche de cheveux ! J’ai cru qu’elle dormait quand je suis entré dans son bureau où elle avait l’habitude de s’enfermer avec ses livres et ses dossiers. J’ai souri, j’ai caressé sa chevelure. Elle n’a pas bougé. Je l’ai appelée, elle n’a pas répondu. J’ai saisi sa main, inerte, froide. J’ai cherché son pouls tandis que la panique me gagnait. J’ai senti mon ventre se contracter, mon cœur s’affoler, mes yeux se fermer, un bourdonnement dans ma tête comme un avion prêt à décoller. J’ai gueulé, je l’ai secouée, j’ai collé ma bouche à ses lèvres froides. Une brûlure le long de ma jambe, j’ai pissé sur moi quand j’ai compris qu’elle était morte !
Morte parmi ses livres. Morte dans cette odeur très particulière de vieux papiers, de papeterie, d’encens. Morte studieuse. Partie, avec discrétion, sans signe avant coureur. Mais qu’est-ce qui lui est arrivé ? Qu’est-ce qui a lâché ? Elle riait le matin même !
Je me suis assis par terre, abasourdi. J’ai tenu mes mains pour les empêcher de trembler. La sueur dégoulinait le long de mon dos et alors que tout mon corps rejetait l’évidence, mon regard s’égarait sur les rayonnages chargés de livres et lisait au hasard des titres « L’espèce humaine », « Hitler », « Shoah », « l’Expansion du troisième Reich », « Histoire de la Gestapo », « L’écriture ou la vie », « L’art des jardins», « Plantes et usages », « Les rosiers anciens ». J’ai déplacé un objet pour mieux lire, un volume a atterri sur mes genoux, je l’ai feuilleté, j’ai contemplé un rosier grimpant, lu le petit paragraphe attenant à cette variété en répétant sans arrêt : « Elle est morte, elle est morte ! » Les murs tournaient autour de moi, mes membres agissaient déconnectés de mon esprit qui refusait de voir et d’accepter la réalité. Ne pas relever les yeux, ne pas apercevoir ses jambes sous la table, ses pieds nus légèrement dégagés de leurs chaussures. Le cannage de la chaise avait dû incruster une multitude de petits cercles sur le dessous de ses cuisses. Des détails insolites s’imposaient à moi pour repousser la vérité. Je me suis mis à rire. L’horreur, un vrai cauchemar, une plaisanterie, elle allait se réveiller et se demander ce que je fichais, avachi par terre, à ses pieds !
Elle m’a planté
