Tomber
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À propos de ce livre électronique
Tomber pose un regard frais et actuel sur le Cuba contemporain pétri de contradictions.
Carlos Manuel Álvarez
Né à Cuba en 1989, Carlos Manuel Álvarez est considéré comme l’un des meilleurs écrivains latino-américains de la relève. Il est l’auteur de deux romans à succès : Los caídos (Tomber) et Falsa guerra qui paraîtra chez Mémoire d’encrier. Il a reçu le Prix Carbet de la Caraïbe 2022 pour son roman Tomber.
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Aperçu du livre
Tomber - Carlos Manuel Álvarez
Un
Le Fils
Je téléphone à ma mère pour savoir si elle est tombée, elle dit que non. On laisse planer le silence. Je sais très bien ce qu’il en est à cette heure-ci. Impatiente d’aller couvrir les haricots, agacée face à une poubelle pleine à ras bord que personne ne se soucie de vider, affligée à l’idée que les vieilles fenêtres en bois de la chambre continueront de pourrir jusqu’à la fin de ses jours.
Je vais bien, je t’assure, dit-elle. Elle n’a pas fait de malaise, pas eu de vertige, elle a pris ses cachets à la bonne heure. Du plafond pendouille la lumière jaune d’une ampoule incandescente. Nous autres soldats nous liquéfions, de même que les colonnes en ciment éclatées et les bancs en pierre, la clôture rouillée et les nervures de la tôle, tous pareillement engouffrés pour quelques heures dans le gueulard de la nuit. Je lui dis au revoir, je raccroche, j’abandonne le poste de l’officier de garde et regagne le dortoir en traînant les pieds, les bottes délacées. La chemise hors du pantalon, le ceinturon accroché au cou.
Ils sont venus me chercher à la maison il y a quelques mois. Le service militaire est obligatoire à partir de dix-huit ans, mais il y a moyen d’y réchapper. Dans le quartier, certains s’en sont tirés grâce à leurs familles, qui leur ont dégoté une attestation avec je ne sais quelle maladie congénitale ou qui ont soudoyé la commission d’enrôlement. Avec un père raisonnable, moi aussi j’aurais pu éviter toute cette merde, mais à la maison personne n’ose évoquer un quelconque dessous-de-table ou la moindre entorse à la loi. Armando m’a annoncé que ça le rendait fier que je fasse mon devoir, comme lui en son temps. J’ai fermé ma gueule, mais je l’ai envoyé au diable. Armando ne s’en est même pas aperçu. Ma mère, si.
Je n’arrive pas à me défaire de ce souvenir, il semblerait même que je n’en aie pas vraiment envie. Comme une mouche que l’on chasse d’un revers de main et qui revient se poser au même endroit. Il ne me reste plus beaucoup de temps avant mon tour de garde. La crainte que ma mère ait pu tomber m’a fait perdre quoi ? Trente, quarante minutes ? Il n’y a pas que la distance entre le lit et le poste de garde. Il y a aussi tout le temps entre le moment où l’idée pointe et le moment où l’on décide de la mettre à exécution.
Tu voudrais te rendormir mais tu sens que tu n’y arriveras pas. Les guenilles du sommeil sont comme les roseaux auxquels tu cherches à te cramponner alors que l’insomnie t’entraîne dans son courant. Tu gardes les yeux fermés. Les autres soldats dorment eux aussi, et tu refuses de croire que tu es déjà éveillé, tu voudrais croire encore un peu que tu dors toujours et que tu ne fais que rêver que tu ne dors plus. Seulement, il y a bien quelque chose qui s’est mis en marche et qui t’échappe.
Tu pousses la porte en bois et prends soin de ne pas la faire grincer, tu n’as aucun intérêt à les réveiller. Tu voudrais surtout éviter de te prendre une botte à la figure, la baston, tu as déjà donné. C’est une chambre de cinq mètres carrés où tout le monde est indistinctement ami et ennemi, voire ami et ennemi de soi-même.
À vingt-deux heures trente les insectes s’agitent autour de l’ampoule jaune de la cour centrale, un bruit de fond qui enfle à mesure que l’aube approche. Tout ce qui pourrait mitiger le silence est pur bénéfice pour le soldat et sa santé mentale. Tu progresses le long du couloir, ton regard glisse sur les choses, ne fixe rien, comme si les objets et les formes, et les principes qui composent le monde, refusaient d’être examinés. Tu atteins le poste de garde, tu passes la main à travers la baie à deux battants, entre les barreaux rongés, et tu t’empares du téléphone sur le bureau.
L’officier de garde roupille, un noble capitaine sur le retour, comme tous les lieutenants ou capitaines ou lieutenants-colonels de cette brigade, pleine de mecs alcoolisés qui ont englouti leur jeunesse dans l’attente et la préparation d’une guerre qui n’est jamais venue, ou alors qui est venue sous une autre forme et qu’ils ont intériorisée et qui de l’intérieur s’est mise à les bouffer.
Tu fais le numéro de la maison, tu reconnais la voix de ta mère, tu décides de lui parler normalement, et ta mère te répond avec clarté. Puis, tu te figes un instant avant de regagner le dortoir. La chemise hors du pantalon, les bottes délacées, le ceinturon accroché au cou. Faudra prévoir un temps égal pour te rendormir. Tu ne comprends pas pourquoi certains jours ta mère te parle comme une attardée.
On met ça sur le compte de la maladie, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ça te retourne, cette femme qui par moments s’empare du corps de la mère que tu connais et que tu nommes toujours mère quand bien même il ne reste plus rien de la mère que tu as connue, sauf peut-être certains aspects physiques, et encore, parce que la laideur qui s’installe avec les chutes remplace, d’après ce qu’on te dit, le regard limpide de ta mère par un regard vague et soporeux ; la bouche d’habitude pleine de propos par une bouche racornie et crispée, plutôt une moue saugrenue ; la peau tiède et frémissante, comme peut l’être la peau d’une mère, par une peau blafarde et flétrie ; et le corps souple et trépignant par une masse informe et poussive, pour ne pas dire inerte, et qui n’est plus un refuge pour personne.
Une heure grand max avant d’aller monter la garde. Juste au-dessous du tympan te parvient la foulée boiteuse du cœur, comme si le cœur s’était logé dans l’oreiller, un crapaud dissimulé sous la taie. C’est un clappement pénible, mais c’est l’indice que tu commences à sombrer : l’ouïe se retourne et se met à écouter au dedans. Puis tu décèles quelque chose de très vague, comme une douleur aux articulations, une douleur devenue plaisante.
Tu ne cherches plus à t’agripper, tu te laisses emporter par les flots, tel un corps brisé, jusqu’à t’emmêler dans les roseaux ou te faire aspirer dans un tourbillon ou échouer sur un gué, et alors, ta dernière pensée c’est que ça y est, tu t’endors, et cette pensée, comme quoi tu t’endors enfin, sera ta dernière pensée, après tu n’auras plus rien dans la tête, puis, en effet, il n’y a plus rien.
La Mère
Je suis vivante et en culotte et j’ai le teint jaune. Recroquevillée sur le lit, les draps sales. Quand enfin je me lève je sens tous mes poils se hérisser. J’ouvre l’armoire, j’enfile une robe de chambre et je me traîne jusque dans la cuisine. Armando prépare le café. Ses gestes sont posés, il n’est pas très adroit. Sa façon de tenir la cafetière, d’ouvrir le gaz, de gratter une allumette et de l’approcher du brûleur, tout est si lent que chacun de ses mouvements sous-entend son propre recommencement.
Il se tourne vers moi et m’adresse un sourire, et il y a dans son sourire quelque chose qui m’ébranle. Il me demande si je prends du café. Je lui dis que oui, un petit peu. Je lui demande s’il a bien dormi, il répond que mieux que d’autres nuits. Je lui demande s’il a fait des rêves, il me dit que non. Il lâche ça comme si j’étais déjà au courant, mais comment pourrais-je savoir ce que l’on ne m’a pas dit ? J’arrête de le questionner.
Il me tend ma tasse. Ensemble nous rejoignons le salon et nous nous asseyons dans les fauteuils en acajou. Le cannage de l’un mériterait d’être refait. J’allume la télévision. J’aime regarder la télévision, même sans conviction, même s’il n’y a rien à voir. Ma tasse à moi n’a plus d’anse. C’est une petite tasse, de celles où on ne peut glisser qu’un seul doigt et que les personnes qui ont de gros doigts se contentent de serrer, se servant du pouce et de l’index comme d’une pince.
Armando se balance doucement et pourtant le fauteuil craque. Dès qu’il estime que j’ai fini, il me réclame la tasse pour aller la rincer. Je lui dis que je m’en occupe. Il va dans la salle à manger, attrape ses chaussures, ses chaussettes foncées, sa chemise repassée et regagne le salon. Il a déjà enfilé son pantalon de travail. Comme pratiquement tous les hommes qui se targuent de se tenir informés, Armando, tout en se préparant le matin, regarde la télévision. Il n’est même pas sept heures. On donne déjà les informations qu’on diffusera tout au long de la journée, les mêmes informations tout au long de la vie. Moi, je les aime, je dois avouer.
J’emporte les deux tasses jusqu’à l’évier. Armando entre dans la chambre et réveille notre fille. Il lui dit des mots doux. Avec Diego, il se montrait plus bourru, mais non dénué de tendresse. La plaisanterie consistait à traiter Diego comme un soldat et à le sortir du lit à coups d’injonctions martiales. J’ai posé la question à Diego et il m’a dit qu’au service militaire on ne réveille pas les gens ainsi, qu’il ne voit pas d’où son père tient ça.
J’essuie le plateau et je range la cafetière dans un coin de la cuisine, derrière le petit bac à détergent. J’observe ma cuisine. J’observe ce que je possède. Je range, même contre l’avis du neurologue. Il existe un pouvoir occulte dans les tâches de la ménagère. Rien d’abrutissant, comme on se plaît à dire. Au contraire, cela m’apaise, aligner les assiettes dans l’égouttoir par ordre de taille, retourner les verres après les avoir lavés.
Ma fille me dit bonjour d’un baiser dans le cou. Puis elle file jusqu’aux toilettes. Armando attrape sa sacoche, les clés de la voiture et vient me dire au revoir. Il me prend par les épaules, je me tasse légèrement. C’est un bel homme. Les cheveux poivre et sel, la moustache fournie, la voix grave. Un nez trop large, mais des yeux d’un noir intense et transparent. La peau métissée, une douce peau d’été.
Armando dit que pendant la nuit j’ai été prise de convulsions tonico-cloniques. Je lui demande s’il a réussi à me calmer. Il ne répond pas. Il me dit de me reposer et que si jamais je
