L'histoire de la pensée juridique : historiographie, actualité et enjeux 1. Entre toutes les tendances actuelles de l'histoire du droit en France, l'émergence de l'histoire de la pensée juridique en tant que champ de recherche de premier...
moreL'histoire de la pensée juridique : historiographie, actualité et enjeux 1. Entre toutes les tendances actuelles de l'histoire du droit en France, l'émergence de l'histoire de la pensée juridique en tant que champ de recherche de premier plan constitue un phénomène notable. Depuis les années 1950, comme l'attestent notamment les travaux de Michel Villey, l'histoire de la pensée juridique s'est considérablement développée en France, en lien avec l'histoire de la philosophie du droit. Dans les années 1980, à l'invitation des juristes privatistes et publicistes, les études s'attachant au premier chef à l'analyse des auteurs, de leurs idées, constructions et doctrines se sont multipliées, trouvant à s'exprimer dans plusieurs revues juridiques en grande partie spécialisées telles la revue Droits. Revue française de théorie juridique (depuis 1985) ou les Annale d'histoire de Faculté de droit devenues Revue d'histoire de faculté de droit et de la science juridique (depuis 1985). Sensibles à ce mouvement, les historiens du droit ont récemment investi massivement ce champ de la recherche, en s'attelant notamment à mettre en avant l'histoire de la pensée juridique contemporaine, en lien avec certains champs d'études juridiques particuliers (doctrine civiliste, administrativiste ou travailliste par exemple), et avec, en toile de fond, certains questionnements méthodologiques développés dans les années 1970. De ce dynamisme témoigne aujourd'hui le développement d'enseignements spécifiques consacrés par les historiens du droit à l'histoire de la pensée juridique. Si traditionnellement, en effet, l'histoire de la pensée juridique était présente dans les cours de philosophie, de culture juridique ou de théorie comme dans les cours d'histoire du droit privé ou public, depuis une petite dizaine d'années, à l'initiative d'historiens, de privatistes et de publicistes, des enseignements de spécialités sont apparus (pas moins de dix-huit cours dans quinze établissements d'enseignement supérieur), auxquels il convient d'ajouter le Master d'histoire de la pensée juridique issu de la collaboration entre les universités de Paris Panthéon-Sorbonne et de Paris Descartes. 2. Malgré ces avancées, force est de constater que l'histoire de la pensée juridique reste encore en très grande partie à défricher, notamment dans ses aspects historiographiques. Parmi les historiens du droit (pour le moins en France), l'intérêt de l'historiographie en effet ne fait pas toujours l'unanimité. Il y a là, pour certains, des réflexions sans intérêt, pour d'autres, des perspectives relevant d'une sphère qui devrait rester personnelle à l'historien, d'un processus psychique dont la mise à jour relèverait d'une sorte de psychanalyse ne devant en aucun cas faire l'objet de débats « scientifiques ». Dans un tel contexte, l'effort opéré par une partie des historiens du droit français pour développer les débats historiographiques au sein de notre discipline, voire au coeur même de lieux institutionnels hautement symboliques de cette dernière, doit être salué. Le colloque organisé par la Société d'histoire du droit à Toulouse, à l'heureuse initiative de Jacques Poumarède (en 2005), comme le volume composé sous l'égide de l'Association des historiens des facultés de droit dirigé par Jacques Krynen et Bernard d'Alteroche, L'histoire du droit en France. Nouvelle tendances nouveauxc territoire (2014), sont à cet égard emblématiques. Pour autant, comme ce dernier volume en témoigne, beaucoup reste à faire. Non seulement parce que dans le cadre du travail voulu par l'Association des historiens des facultés de droit il ne pouvait être question que de synthèses rapides, mais également parce que l'exercice demandé portait sur une histoire faite en France par les historiens du droit en poste dans les facultés de droit, et qu'un travail historiographique digne de ce nom se doit naturellement de s'inscrire dans une réflexion plus vaste, ayant également pour horizon d'autres histoires faite aussi hors des frontières par un certain nombre de collègues qu'intéresse aussi l'histoire du droit en France et en Europe, voire un travail plus vaste encore. 3. Il n'est qu'à observer l'extraordinaire vitalité des études historiographiques conduites par nos collègues des facultés de lettres pour mesurer l'intérêt que peut présenter en histoire du droit, et en histoire de la pensée juridique tout particulièrement, le développement d'une approche historiographique plus fouillée.