« Les mauvais craignent ta griffe / les bons se réjouissent de ta grâce / c’est ce que j’aimais entendre de mon verset. » . Ces ainsi que Bertolt Brecht, accompagnant son recueil de cent poèmes, chanta les louanges de l’auteur de sa...
more« Les mauvais craignent ta griffe / les bons se réjouissent de ta grâce / c’est ce que j’aimais entendre de mon verset. » . Ces ainsi que Bertolt Brecht, accompagnant son recueil de cent poèmes, chanta les louanges de l’auteur de sa couverture : l’artiste John Heartfield (1891-1968), un des plus novateurs troubleurs de perceptions que le XXe siècle connut, dont l’art eut un caractère éminemment opératoire, destiné à la lutte des classes.
Heartfield signera affiches, illustrations, mises en page de périodiques, décors de théâtre : son influence, dépassant les limites du dadaïsme, s’étendra dans plusieurs sphères de l’art, tout en offrant une réponse dans le domaine des arts visuels aux thèses de Benjamin, pour qui une conviction révolutionnaire ne fait pas l’artiste révolutionnaire si ses formes de production ne se confrontent pas avec l’actualité technologique . Dans le contexte d’une scène artistique allemande traversée par un large courant de réalisme social, ce sont les images de Heartfield, raffinées, satiriques, déconcertantes, à insuffler la grande inventivité régnant dans le domaine des arts graphiques appliqués lors des premières décennies du dernier siècle.
Günther Anders (1902-1992) lui dédiera le peu connu « Sur le photomontage » . Si le point de départ du philosophe est que « le matérialiste progressiste » ne compte pas sur le témoignage de l’œil humain, mais a recours à la dialectique afin de rassembler les morceaux visibles isolés, « car n’est visible que ce qui est isolé », il défend également la condition « majeure » de cet art, en démonte les mécanismes de fabrication et en souligne le pouvoir de subversion et d’alerte.
Le montage est un rapport qui prévaut sur les termes qu’il met en rapport, produisant une tension entre figuration et défiguration. Si « au feu d’une autre, une chose s’éclaire » (Lucrèce), Heartfield démonte et remonte des images hétérogènes, à priori incompatibles, pour faire surgir les contradictions de l’existant restées dans les plis de l’image documentaire. « Il invente pour démontrer » : pour Anders, les images combinées de Heartfield sont des jugements qui remettent les arts plastiques en rapport avec la question de la véridicité. Voilà pourquoi ses œuvres se composent souvent de deux moitiés distinctes : l’une est la face publique, l’autre la face cachée. C’est le cas du montage autour de la déclaration d’Hitler selon laquelle il serait socialiste afin d’attirer les masses des travailleurs. Cette œuvre présente un double montage car, en montrant Göbbels en train de monter la barbe de Marx sur le Führer , il révèle le montage de l’ennemi et produit donc un « contre-montage ».
De plus, les incises striant les figures sont des compléments essentiels de ses œuvres : sous le signe de l’invention combinatoire de l’« ingénieur » Heartfield, supporté par son frère Wieland Herzfelde - la véritable poésie d’agitation déployée par les titres, les textes d’accompagnement et les sous-titres des images, c’est surtout sa contribution -, ses montages photographiques sont rendus « lisibles » par un usage averti de la typographie, en pleine résonance avec d’autres expériences voisines comme les « photo-épigrammes » de Brecht .
Nous espérons pouvoir témoigner des arguments qui font surgir ce qu’il y a de profondément nouveau dans la pratique de l’artiste : les modalités d’énonciation qu’elle promeut, le processus de création ainsi que le rôle qu’elle assigne au destinataire, jusqu’à sa place, nécessairement ambivalente, dans le monde de l’art. À cet égard, nous devons tenir en compte, nous avertit Anders, que les images de Heartfield n’ont pas été pensées pour finir accrochées, exposées pour leur prétendue « originalité », mais pour être reproduites afin de rejoindre les masses, suivant les chemins de la transmédialité, la dissémination, l’action contextuelle. Par conséquent, sur les murs, nous n’exposerons certes pas des originaux, mais l’avant-dernière phase de leur achèvement.
En conclusion, nous souhaiterions intégrer la lecture de l’œuvre de Heartfield qui en fait Anders avec d’autres lectures, premièrement Louis Aragon et John Berger, tout en essayant de situer ce corpus dans le contexte artistique et socio-politique de l’Europe de la première moitié du XXe siècle et, en particulier, dans le bouillonnant Berlin de l’entre-deux-guerres.
Colloque international Le Phototexte engagé, du militantisme aux luttes de visibilité
Jeudi 31 mai - vendredi 1er juin 2018
9h – 17h30
Auditorium - Maison des Sciences Humaines Paris Nord
93210 Saint-Denis
France