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Lecture CY 16 Sarah Phillips (2008), Yemen’s Democracy Experiment in Regional Perspective. Patronage and Pluralized Authoritarianism, New York: Palgrave Macmillan, 241 p. Si un certain nombre de publications récentes s’intéressent aux dynamiques politiques et partisanes dans le Yémen contemporain Notamment les travaux de Schwedler et Wedeen : Jillian Schwedler (2007), Faith in Moderation: Islamist Parties in Jordan and Yemen, Cambridge, Cambridge University Press, 252 p.; Jillian Schwedler (2004), « The Islâh Party in Yemen. Political Opportunities and Coalition Building in a Transitional Polity » in Quintan Wiktorowicz, Islamic Activism: A Social Movement Theory Approach, Indianapolis, Indiana University Press, p. 217; Lisa Wedeen (2008), Peripheral Visions. Publics, Power, and Performance in Yemen, Chicago, Chicago University Press, 300 p., peu s’attachent à explorer la « boîte noire » de l’Etat yéménite et notamment les processus d’ajustement et de maintien du régime de ‘Alî ‘Abd Allâh /Sâli/h. Voici justement l’objet de l’ouvrage de Sarah Phillips, qui examine la nature des transformations des structures de pouvoir, des espaces politiques publics et des institutions politiques au Yémen depuis l’unité en 1990 (lorsque les élites politiques optent pour le pluralisme politique et partisan) jusqu’à 2006. L’auteur se propose de réfléchir à trois questions principales : dans quelle mesure la concession d’espaces de liberté a engagé le régime yéménite sur la voie d’une ouverture démocratique de long terme ? Quelles sont les conséquences d’une ouverture politique partielle sur le maintien du système ? Quels sont les mécanismes d’ajustement du régime à ces transformations « démocratiques » ? Cette recherche s’appuie sur un terrain de 13 mois mené entre 2004 et 2007, lors duquel l’auteur a collecté des documents variés. Elle a mené de nombreuses sessions d’observation participante et environ 200 entretiens, essentiellement à Sanaa, mais aussi dans de nombreux autres gouvernorats (Aden, Hadramaout, La/hj, Abyan, ‘Amrân, Taez, Ibb et Hodeïda). La proximité au terrain de Phillips se manifeste au fil de la lecture par sa familiarité avec l’objet politique, la diversité de ses sources et notamment la qualité de ses observations, anecdotes, entretiens et expériences. Cette dimension documentaire et didactique constitue l’atout majeur de l’ouvrage. L’auteur y restitue les connaissances accumulées tout au long de son enquête et livre ainsi un manuel relativement complet (et actualisé) du système et de la vie politique au Yémen. En livrant au spécialiste ou au non spécialiste les « coulisses du politique », Phillips va aussi à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues sur le Yémen et ses dynamiques politiques. Cette étude, que Sarah Phillips tire de sa thèse de doctorat, se situe dans une certaine mesure à contre-courant de la littérature portant sur la démocratisation ou la transitologie Sarah Phillips, The resilience of pluralised authoritarianism in the Middle-East. A case study of Yemen, thèse de doctorat, Australian National University, 2007, 330 p.. En effet, l’auteur, qui s’interroge sur la notion de transition, ne se demande pas dans quelle mesure et comment s’opère une transformation vers davantage de « démocratie », mais bien comment se maintient le régime yéménite dans un état « d’autoritarisme pluraliste ». A ce titre, plus qu’une monographie sur le Yémen, cet ouvrage alimente le débat scientifique sur la permanence de l’autoritarisme ou des « syndromes autoritaires » Michel Camau et Vincent Geisser (2003), Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie et Bourguiba à Ben Ali, Paris : Presses de Sciences Po, 365 p.. La question de la limitation des possibilités d’alternance et de la reproduction des dissymétries de pouvoir, malgré des ouvertures et des libéralisations politiques réelles, est à nouveau posé et inscrit l’ouvrage dans le prolongement des travaux de science politique sur l’autoritarisme, notamment dans le monde arabe et musulman. L’auteur préfère, à la notion de résistance de l’autoritarisme à la démocratie, qui présuppose un sens de l’histoire inscrit dans un processus de démocratisation, celle de résilience de l’autoritarisme Distinction telle que proposée par Camau et Geisser, Op. Cit, p.30.. Cela lui permet d’insister sur la flexibilité de l’autoritarisme qui relève de recompositions, d’ajustements et d’hybridations. L’auteur annonce dans un premier chapitre théorique son intention de faire le lien entre les deux principaux courants de la littérature portant sur la démocratisation : le premier souligne l’aspect contraignant de l’adoption d’une façade démocratique qui engage alors le pouvoir sur la voie d’ouvertures futures. Le second soutient de son côté l’idée que les normes démocratiques renforcent le pouvoir autoritaire en lui assurant notamment une certaine légitimité. On pourra cependant regretter que cette partie soit davantage consacrée à une synthèse de la littérature existante qu’à une lecture critique d’approches théoriques distinctes. Les différentes recensions de la « démocratisation » ou de « l’exceptionnalisme arabe » semblent déconnectées de l’étude de cas, ne nourrissant ni l’argumentation ni les observations de l’auteur à propos du Yémen. L’inventaire impersonnel des différents travaux sur la question de la démocratie et de l’autoritarisme, enfin, ne permet pas de bien saisir le positionnement de l’auteur par rapport à cette littérature. L’objet de l’ouvrage est l’étude de l’expérience démocratique yéménite et plus précisément de ce que Phillips qualifie d’ « autoritarisme pluraliste ». Cette expression fait référence à « un motif de changement politique » s’exerçant à différents niveaux et selon des formes variées. Il pourrait s’interpréter comme un mouvement double et diachronique d’ouverture / fermeture qui participe au processus de perpétuation du régime. L’auteur décline ce motif de l’autoritarisme pluraliste sur une série d’objets (scène politique globale, institutions gouvernementales, tribalisme, acteurs non gouvernementaux et islamistes - qui représentent autant de chapitres) et montre que le système de patronage a été déterminant pour en assurer la durabilité. Trois mécanismes et traits principaux de cet autoritarisme pluraliste spécifique au Yémen  se dégagent au cours de l’ouvrage. L’auteur défend d’abord l’idée assez classique que l’ouverture d’espaces de liberté contrôlés permet au régime de se maintenir en place, et notamment de maintenir sa domination sur les structures de pouvoir. Phillips étudie ce mécanisme d’encadrement du pluralisme à travers une série d’illustrations. Elle insiste alors sur la flexibilité du système et la capacité d’ajustement du pouvoir aux demandes de démocratisation (internes et externes). Le deuxième mécanisme est inséparable de la capacité du régime à incorporer et satisfaire une grande variété d’identités et d’acteurs politiques et sociaux. L’intégration des forces politiques réelles à la scène politique et aux institutions publiques, assortie d’un niveau relativement faible de répression, expliquerait en partie la longévité et la stabilité d’un régime pourtant confronté à de multiples crises. Cette formule politique originale, fragilisée par une tendance au rétrécissement du champ politique (concentration du pouvoir, répression et radicalisation), Phillips en souligne la dimension essentiellement autoritaire. En effet, la politique d’inclusion permet au régime de se maintenir sans pour autant consolider le pluralisme. L’étude se focalise notamment sur l’analyse des techniques de cooptation, qui s’apparentent à celles du clientélisme et du patronage. L’auteur soutient que l’accommodation et l’intégration des opposants à la vie politique institutionnelle ne se traduit pas forcément par une pluralisation. Plus facilement observables, administrables et cooptables, et redoutant de perdre leur mince marge de manœuvre, les oppositions préfèreraient la coexistence à la confrontation avec le pouvoir, qui pourrait alors publiciser et magnifier leurs inconsistances internes. Cela nous mène au troisième aspect, qui est la division des potentiels contre-pouvoirs. Désolidarisés et donc affaiblis, les acteurs potentiellement subversifs se neutralisent. Ce motif du consacré « diviser pour mieux régner », l’auteur le dépeint notamment en reproduisant la métaphore séduisante du judo : « Parmi les styles de combat, le régime yéménite aurait ainsi montré sa préférence pour le judo, dans lequel le but est moins de délivrer un KO à ses adversaires que de capter leur force et de la rediriger contre eux » p.167. La traduction est la mienne.. Phillips conclut que le facteur premier de résilience de l’autoritarisme pluraliste au Yémen, qu’elle généralise au Moyen-Orient, est la peur des alternatives. Les potentiels vecteurs de changement, notamment les partis d’opposition, rechigneraient à trop attaquer le régime et préfèreraient la négociation plutôt que le renversement du gouvernant et la création d’un vide politique difficile à assumer. L’auteur nuance ensuite ce point en indiquant que l’essor récent de la coalition d’opposition al-Liqâ’ al-Mushtarak comme une alternance crédible constitue une transformation majeure du champ politique yéménite. Elle évoque alors deux possibles voies du changement, celle de l’islamisme réformiste, tel que défendu par le premier parti d’opposition al-I/slâ/h au sein de la coalition, et celle d’une société civile dynamique et diversifiée. Phillips rappelle enfin que si la démocratie est devenue le cadre le plus « légitime » du débat politique, elle n’interdit nullement le verrouillage des possibilités d’alternance et le rétrécissement du pluralisme. Malheureusement, l’affirmation de la peur du changement clôture l’ouvrage sur une vision relativement figée et culturaliste des dynamiques politiques. Face à cette prétendue peur de l’alternative chez les Yéménites, on pourra opposer qu’en 2006 les résultats de l’élection présidentielle ont officiellement donné 22% des suffrages au candidat de l’opposition Fay/sal bin Shamlân ; et que depuis 2007 des milliers de citoyens se mobilisent très régulièrement dans les gouvernorats de l’ex-Yémen du Sud et protestent contre les autorités centrales. A de multiples égards, il semble que ce n’est pas tant l’existence de peurs populaires d’une subversion politique, somme toute naturelle et non spécifique à cette région du monde, que l’entretien de ces angoisses par le pouvoir et l’intimidation par la rhétorique de la peur et la thématique sécuritaire qui réduisent les possibilités d’alternance pacifique et verrouillent les structures de pouvoir. Une autre limite de l’ouvrage est sa tendance à vouloir catégoriser et labéliser un régime et des expériences politiques qui, comme le souligne pourtant l’auteur, évoluent et se transforment constamment. Il participe donc, dans une certaine mesure, à la prolifération de notions peu heuristiques et à l’aggravation de l’élasticité conceptuelle de l’autoritarisme. Enfin, les ambitions comparatistes de l’auteur sont décevantes. L’insistance sur la spécificité du cas yéménite rend peu convaincante la généralisation des conclusions à la région du Moyen-Orient. L’argumentation perd une part de sa qualité et de sa précision, laissant à penser peut-être plus que ne le voudrait l’auteur que l’autoritarisme constitue une marque déposée de l’aire culturelle arabe. Marine Poirier, doctorante IEP-IREMAM, Aix-en-Provence.