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La santé, moteur des transitions agricole, alimentaire et environnementale Monique Axelos, Louis Georges Soler, A. Dallongeville, Alban Thomas, Grégori Akermann, Allès B., Jean-Philippe Antignac, Pascal Benoit, Bruno Le Bizec, N. Bertin, et al. To cite this version: Monique Axelos, Louis Georges Soler, A. Dallongeville, Alban Thomas, Grégori Akermann, et al.. La santé, moteur des transitions agricole, alimentaire et environnementale : Réflexion prospective pluridisciplinaire Nexus Santé : entre Agriculture -Alimentation - Environnement Rapport de synthèse. [0] 63 p., INRAE. 2019. ฀hal-02864749v2฀ HAL Id: hal-02864749 https://hal.inrae.fr/hal-02864749v2 Submitted on 16 Dec 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NoDerivatives 4.0 International License La santé, moteur des transitions agricole, alimentaire et environnementale Prospective scientifique interdisciplinaire Rapport de synthèse Décembre 2019 2 DOI 10.15454/fycc-jx29 Monique Axelos, Louis Georges Soler, A. Dallongeville, Alban Thomas, Grégori Akermann, et al.. Nexus Santé: entre Agriculture – Alimentation – Environnement. Réflexion Prospective Pluridisciplinaire. INRAE. 2020. ⟨hal-02864749⟩ HAL (INRAE https://hal.inrae.fr/hal-02864749 ) 3 Table des matières 1. Introduction p. 4 2. La santé (globale) comme levier de transformation du système alimentaire p. 7 3. Enjeu de recherche 1 : La construction des qualités, depuis la production agricole jusqu'aux régimes alimentaires p. 17 3.1. Progresser dans l’analyse et l’évaluation de la construction des qualités, de la production agricole à l’aliment consommé p. 18 3.2. Mieux tenir compte des modes de production agricoles et industriels dans l'évaluation des impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires p. 22 3.3. Développer des évaluations multicritères, bénéfices-risques, coûts-bénéfices des voies d’amélioration des qualités des aliments et des régimes alimentaires p. 26 4. Enjeu de recherche 2 : les effets de santé des contaminations chimiques (air, eau, sol) et des impacts environnementaux des pratiques agricoles p. 28 4.1. Progresser dans la mesure des expositions et des dangers associés aux contaminations environnementales : rapprocher exposome et toxome p. 29 4.2. Progresser dans la quantification des risques de santé induits par les impacts environnementaux de l’activité agricole p. 32 4.3. Explorer la relation agriculture – dynamique des écosystèmes – santé humaine p. 38 4.4. Intgération et hiérarchisation des facteurs de risque alimentaires et environnementaux p. 39 5. Enjeu de recherche 3 : modalités, conditions des changements et accompagnement des transitions au sein du système alimentaire p. 40 5.1. Progresser dans la compréhension des comportements des consommateurs, de leurs déterminants et des conditions des changements p. 41 5.3. Progresser dans l’analyse des impacts et de la convergence des politiques publiques p. 42 5.1. Concevoir et évaluer des scénarios de transition et les dynamiques d'offre et de demande alimentaires p. 43 5.4. Contribuer à la conception/évaluation de systèmes agricoles et alimentaires innovants et à l’accompagnement des transitions p. 45 6. Modélisation et données p. 47 7. Conclusion p. 50 Annexes p. 60 4 Contributeurs Ce rapport de synthèse s’appuie sur les réflexions conduites dans 6 groupes de travail (GT), les discussions et présentations faites lors d’un séminaire organisé par la DS Alimentation INRA en mai 2019, ainsi que sur une large revue de la littérature. Coordinateurs Monique Axelos, Jean Dallongeville, Louis Georges Soler (rédacteur). Comité de pilotage Monique Axelos, Louis Georges Soler, Jean Dallongeville, Alban Thomas Composition des groupes de travail (les rapports de ces groupes de travail sont joints en annexe de ce rapport de synthèse, binôme d’animation : noms soulignés) « Construire les qualités dès l’amont et jusqu’à l‘assiette » : Nadia Bertin, Mathilde Causse, Nicole Darmon, Michel Duru, Geneviève Gesan-Guiziou, Sophie Prache « Toxicologie et Eco-toxicologie » : J-P. Antignac, P. Benoit, J.-P. Cravedi, L. Denaix, J. Garric, B. Le Bizec, F. Martin-Laurent, C. Mougin, I Oswald « Formes d’organisation et comportement des acteurs » : C. Lamine, A. Thomas, S. Marette, B. Allès, Y. Chiffoleau, G. Akermann, A. Doré, S. Dubuisson-Quellier, M. Hannachi, N. Fortané. « Politiques publiques » : Raja Chakir, Nicole Darmon, Michel Duru, Fabrice Etilé, Nicolas Fortané, Claire Lamine, François Libois, Stéphan Marette, Arnaud Rault, Alban Thomas « Reconcevoir les systèmes de culture et d’élevage : une nécessaire transition pour contribuer à la santé des écosystèmes et des hommes » : Michel Duru, Marie Hélène Jeuffroy, Françoise Lescourret, Olivier Plantard, Jean Louis Peyraud « Modélisation » : I. Albert, E. Vergu, J. Dallongeville, Alban Thomas Ce rapport s’appuie également sur les interventions des participants au Séminaire DS Alimentation (mai 2019 : Sophie PALIN, Marie Helene JEUFFROY, Fabrice PIERRE, Nadia BERTIN, Christophe NGUYEN-The, Emmanuelle KESSE-GUYOT, Benoît DEDIEU, Maia MEURILLON, Jeanne-Marie MEMBRE, Sylvie DEQUIN, Monique AXELOS, M-C CHAMPOMIER –VERGES, Chantal GASCUEL, Jean-Pierre CRAVEDI, Guy RICHARD, Isabelle SOUCHON, Xavier FERNANDEZ, Jean-Louis PEYRAUD, Catherine HURTAUD, Jean DALLONGEVILLE, Cécile DETANG-DESSENDRE, Florence FORGET, Tiphaine LUCAS, Michael O'DONOHUE, François MARIOTTI, Stephan MARETTE, Olivier ALLAIS, Louis-Georges SOLER, Claire LAMINE, Philippe LEMANCEAU, Anastasiya TERZIEVA, Alban THOMAS 5 1. Introduction La notion de Nexus est récemment apparue dans un certain nombre d’instances internationales dans le prolongement des publications du Millenium mettant en avant 17 objectifs pour un développement durable au niveau mondial (Dora et al., 2014). Utilisée à l’occasion, par exemple, des réflexions sur les relations entre énergie-eau-alimentation (Albrecht et al., 2018 ; Leck et al., 2015 ; Liu et al., 2018 ; de Laurentiis et al., 2018 ; Wichelns, 2017), ou entre climat-services écosystémiques-santé (Chiabai et al., 2018), la notion de Nexus a été proposée pour tenir compte du fait que parmi les 17 objectifs mis en avant, certains sont étroitement liés, de façon positive ou négative, et doivent donc être associés dans la construction des priorités de recherche et la définition ou l’évaluation des politiques publiques. Les réflexions sur le Nexus Santé-Environnement-Agriculture-Alimentation s’inscrivent dans cette perspective en incitant à (i) tenir ensemble dans l’analyse ces différentes composantes de façon prendre en compte la complexité des interactions entre les dimensions économiques, sociales, environnementales et sanitaires des activités qui se déroulent au sein du système alimentaire, (ii) exploiter les synergies possibles entre objectifs ou domaines d’action généralement considérés séparément. Cette nécessité d’une « reconnexion » entre les enjeux de santé, alimentation, agriculture et environnement, étayée par les impacts environnementaux, sociaux, sanitaires des modèles agricoles et alimentaires en place a émergé au croisement de différents courants de la littérature. Une exigence croissante d’approches intégrées Les relations entre certains de ces 4 domaines - santé, alimentation, agriculture et environnement – font déjà l’objet de programmes de recherche depuis un bon nombre d’années (Schéma 1 et Lamine et al. (2018) pour une description plus détaillée). Les relations entre agriculture et environnement sont ainsi au cœur de recherches en agronomie et écologie, dont l’objectif est généralement de comprendre les effets des pratiques agricoles et des systèmes de culture et d’élevage sur les pollutions diffuses, les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les écosystèmes. De même, les relations entre alimentation et santé sont au cœur de la nutrition et de l’épidémiologie nutritionnelle et des recherches dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments. Elles visent par exemple à mieux comprendre les impacts des comportements et régimes alimentaires et des caractéristiques des aliments sur les risques de santé (obésité, maladies chroniques et infectieuses…). Les relations entre alimentation et environnement ont été intégrées plus récemment dans des programmes de recherche. Un des thèmes étudiés ces dernières années est par exemple l’impact environnemental des régimes alimentaires. La notion de “Nutrition-sensitive agriculture” relie agriculture et santé et interroge les capacités des systèmes de production agricole à assurer, en quantité, en variété et en qualité nutritionnelle, les besoins alimentaires des populations (Ruel et al., 2017). 6 Cette nécessité de développer des approches plus intégratives a été soulignée dans de nombreux rapports internationaux récents (Hammond et Dubé, 2012 ; Caron et al., 2018 ; Allen et al., 2018 ; Allen et al., 2014 ; IPES, 2017 ; HLPE, 2017). Elle s’exprime à travers diverses notions qui structurent les appels d’offre internationaux de recherche. La notion de “Food Nutrition and Security”, par exemple, met en relation agriculture-alimentation-santé en s’intéressant à la couverture des besoins nutritionnels des populations, en quantité et en qualité : “food security exists when all people, at all times, have physical and economic access to sufficient, safe and nutritious food to meet their dietary needs and food preferences for an active and healthy life ». La notion de “Sustainable Diet” élargit l’approche en introduisant la dimension environnementale, particulièrement celle associée au changement climatique, et met en jeu la relation alimentation-santé-environnement : « sustainable diets are diets with high-nutritional quality and health benefits, mitigating their environmental impacts, especially those related to climate change, and acceptable and affordable to all, including low-income groups” (FAO, 2014). La notion de Nexus SantéEnvironnement-Agriculture-Alimentation, qui élargit un peu plus l’approche, associe finalement la question de la durabilité des régimes alimentaires (sustainable diets) ET celle de la durabilité des systèmes de production agricoles et alimentaires (sustainable food systems). Elle conduit à s’intéresser aux synergies et contradictions entre objectifs, comme par exemple entre les dimensions sociales et environnementales (Sherer et al., 2018) Agronomy, Ecology Articulation Food system approaches • • • Sustainable Food Systems Nutrition-sensitive agriculture Nexus Santé Environmental health Nutrition, epidemiology, Food safety and Risk analysis Schéma 1. Relations entre les différentes dimensions du Nexus (d’après Lamine et al. (2018)) 7 La santé (globale) comme cadre intégrateur Cette préoccupation d’intégration, nécessaire pour à la fois mieux comprendre les dynamiques des systèmes alimentaires et de leurs impacts et agir plus efficacement dessus, est aussi mise en avant dans d’autres courants de la littérature1 qui prennent les questions de santé comme point d’entrée et insistent sur l’intérêt de considérer de manière structurée les relations entre santé des écosystèmes et santé humaine. De nombreux auteurs suggèrent de mettre au centre de l’analyse la santé des individus et des populations, vue comme la résultante des dynamiques des écosystèmes globaux (changement climatique, biodiversité) et des dynamiques économiques et sociales considérées à différents niveaux d’échelles (Rabinowitz et Cionti, 2013 ; Liu et al., 2015 ; Bené et al., 2018 ; Dora et al., 2014 ; Sandifer et al., 2017 ; Raiten et Aimone, 2017 ; Aronson et al., 2016 ; Hammond et Dubé, 2012 ; CLS-HLPE, 2017 ; Jones et Ejeta, 2015). L’approche « one-health » a émergé il y a une vingtaine d’années pour guider les recherches et les politiques publiques concernant les maladies infectieuses comme les zoonoses (infection ou infestation transmise de l'animal à l'homme ou réciproquement). Dans cette approche, les composantes de l’environnement biophysique, l’air, les sols, l’eau et les aliments, peuvent héberger des agents infectieux vecteurs de maladies, et des contaminants, pour les hommes et les animaux. Les maladies ou contaminations étant dépendantes du contexte (Mwangi et al., 2016), les caractéristiques de l’environnement dans les relations entre santé animale et humaine, en particulier le rôle de la biodiversité (Romanelli et al., 2014a et 2014b), sont de plus en plus prises en compte. La santé environnementale (Finn et Fallon, 2017) intègre des recherches qui examinent le fonctionnement des écosystèmes sous l’angle de la santé et montrent l’importance de leur intégrité écologique pour ne pas impacter la santé humaine. L’objet ici est d’analyser, par exemple, les effets des contaminants chimiques ou de modifications dans le fonctionnement des écosystèmes (sols, plantes, paysages) sur la santé humaine. La notion de santé planétaire (Planetary Health) met l'accent sur les interactions entre l’état des écosystèmes aux échelles locale et globale et la santé humaine (Myers et al., 2017 ; Horton, 2015 ; Landrigan et al., 2017 ; Friel et Ford 2015). Dans cette approche, l’alimentation doit contribuer à la santé humaine (accès à une nourriture de qualité en quantité adaptée et favorisant la réduction des maladies chroniques) tout en préservant les ressources naturelles fournies par les écosystèmes. Au total, se dégage une notion de santé globale (Duru, 2018) qui conduit à associer, dans l’analyse, santé des hommes et santé des écosystèmes et à prendre en compte de manière structurée les relations complexes entre l’état et le fonctionnement des écosystèmes locaux, les phénomènes globaux et la santé humaine. Cette approche converge avec la notion de Global one Health proposée récemment dans un rapport du groupe « One Health » du Wageningen University and Research Center (Fresco et al., 2018) : “Clearly, a systems approach is called for, in which complex systems are studied within various disciplines and at various scales. Hence, we need to consider important interactions between, for example, human and animal (Voir le rapport GT « Reconcevoir les systèmes de culture et d’élevage : une nécessaire transition pour contribuer à la santé des écosystèmes et des hommes » et Duru (2018) pour une présentation plus détaillée de ces notions). 1 8 diseases, the environment and human diseases, domestic animal and wildlife diseases, social changes and disease burden, economic development and diseases, and trade and diseases… The Global One Health approach emphasizes the interdependence of human health with the health of animals, plants and sustainable ecosystems from a global perspective.” (Fresco et al., 2018). Dans la mesure où les questions de santé tiennent une place centrale dans cette vision élargie des interactions entre les interventions humaines, l’environnement et la dynamique des écosystèmes, peuvent-elles constituer un cadre intégrateur des enjeux locaux et globaux et, d’une façon générale, des diverses dimensions de la durabilité ? Peuvent-elles constituer un des moteurs de la transformation nécessaire du système alimentaire ? La réflexion engagée dans le Nexus Santé-Environnement-Agriculture-Alimentation avait pour objet d’examiner ces questions, tant du point de vue de l’originalité des programmes de recherche qu’elle conduit à mettre en avant, que de ses implications possibles en matière de politiques publiques et d’innovations. Autrement dit, il s’agissait de savoir si le fait de mettre les questions de santé au premier plan et de raisonner les dynamiques du système alimentaire avec cet objectif, permet ou non (i) « d’embarquer » de façon pertinente les diverses dimensions de la durabilité, (ii) d’ouvrir et/ou accompagner des questionnements de recherche originaux et utiles au regard des enjeux soulevés. Dans la section suivante, on précise un peu plus l’intérêt qu’il y a à considérer le système alimentaire à l’aune des enjeux de santé globale. Sur cette base, on identifie 3 grands enjeux de recherche que l’on décrit plus précisément dans les sections 3, 4 et 5. Dans la section 6, on traite des questions de modélisation et de données. 2. La santé (globale) comme levier de transformation du système alimentaire Au moins dans les pays développés, l’état sanitaire des populations s’est sensiblement amélioré au cours des dernières décennies. Augmentation significative de l’espérance de vie et réduction notable des maladies infectieuses sont à mettre à l’actif des évolutions observées depuis 40 ans. En parallèle, l’espérance de vie augmentant, la part des maladies chroniques a fortement augmenté sous l’effet du vieillissement de la population et de l’accroissement de certains facteurs de risque (obésité, diabète type 2…). Cette transition épidémiologique se traduit par une forte augmentation des dépenses de santé et met au cœur des enjeux de santé publique la question des politiques de prévention. Un rapport récent de la direction du Trésor estime à près de 20 milliards les coûts sociaux induits par l’obésité et le surpoids en France (Caby, 2016) et, concernant les coûts de santé associés aux pesticides, ils pourraient atteindre jusqu’à 10% du PIB en Europe (Grandjean et Bellanger, 2017). A ces conséquences économiques, il faut ajouter la dimension sociale, la question des inégalités de santé et de la forte différenciation sociale des facteurs de risque étant au cœur des politiques publiques de santé (voir la prévalence de l’obésité ou du diabète de type 2 selon les catégories sociales). 9 Du point de vue de la prévention des maladies chroniques et de la réduction des inégalités sociales de santé, le domaine de l’alimentation tient une place majeure. Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne l’incidence des cancers évitables (liés aux comportements des individus et à l’environnement), des régimes alimentaires déséquilibrés (déficit de fruits et légumes et de fibres, excès de produits carnés, de graisses, de sucre…) constituent des facteurs de risques importants (Marant-Micallef et al., 2017). Réduire ces facteurs de risques pourrait contribuer à des améliorations sensibles de l’état de santé des populations, en jouant en particulier sur la qualité de vie des années de vie gagnées. De plus, rendre possible un accès à une alimentation équilibrée pour l’ensemble de la population pourrait aussi participer d’une réduction du gradient social de santé (ESCO Inserm, Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique, 2014). Les enjeux nutritionnels Ces enjeux de santé ont depuis longtemps été abordés, en nutrition et épidémiologie nutritionnelle, sous l’angle de la consommation et des comportements alimentaires, les recherches débouchant sur une meilleure compréhension des impacts des facteurs alimentaires sur la santé et sur la définition de recommandations nutritionnelles à destination des consommateurs. De nouvelles dimensions apparaissent. Par exemple, des mouvements possibles vers une alimentation moins carnée soulèvent la question de la biodisponibilité de certains nutriments, et d’une façon générale les modalités de couverture des besoins en divers nutriments dans des alimentations moins riches en protéines animales. Au cours des dernières années, les préoccupations, tant du côté de la recherche que des politiques publiques, se sont portées sur l’offre alimentaire - l’offre disponible délimitant l’espace des choix des consommateurs. Ainsi, les déterminants de la qualité nutritionnelle des produits transformés, les démarches de reformulation des produits (réduction des teneurs en sel, en gras…), la conception de produits à bénéfices santé pour la population générale ou pour des catégories spécifiques (seniors, par exemple) ont fait l’objet de divers programmes de recherche. En matière d’offre alimentaire, la question de l’accessibilité et des prix des produits a aussi fait l’objet de nombreuses études. Le niveau « agricole », lui-même, peut être questionné du point de vue de ces enjeux de santé nutritionnelle. Une partie de la qualité nutritionnelle des aliments peut en effet se construire au niveau agricole, comme, par exemple, la teneur en omégas 3 des produits laitiers et carnés (sous réserve qu’elle ne soit pas ensuite perdue dans l’aval de la chaîne). Favoriser la consommation de produits susceptibles d’améliorer la qualité nutritionnelle des régimes alimentaires, comme les fruits, les légumes ou les associations céréales-légumineuses, impose de s’intéresser à la formation des qualités et des prix dès l’amont agricole. Plus largement, à travers la notion de « nutrition-sensitive agriculture », c’est à la fois les modes de production et la diversité des systèmes de production qui sont à examiner au filtre de leurs impacts sur la santé. La question de la variété de l’offre aux consommateurs, parfois considérée comme une condition de qualité nutritionnelle des régimes, met ainsi en jeu la relation entre diversité des systèmes de production, diversité des produits agricoles et diversité des produits transformés, et donc directement l’interface entre agriculture et industrie. 10 Les contaminants chimiques et microbiologiques dans les aliments Au-delà des dimensions nutritionnelles, la question des contaminants chimiques, associés aux pratiques agricoles (pesticides – herbicides – fongicides, antibiotiques chez les animaux ) ou aux procédés industriels (néoformés, …), présents dans les aliments fait l’objet de nombreux débats publics du fait, même si les taux de présence dans les aliments restent généralement en dessous des seuils réglementaires, des possibles effets de santé associés à la multi-exposition chronique de contaminants en mélanges et à faibles doses. Sur le plan microbiologique, même si de hauts niveaux de sécurité des produits alimentaires ont été atteints, des risques émergents, renforcés par le changement climatique, mettent en question tant les modes d’élevage que les modalités de circulation des produits au niveau international, et justifient des nouvelles investigations dans le domaine des contaminations des aliments par des pathogènes présents dans la chaine alimentaire. Les impacts de santé des impacts environnementaux Les effets de santé de l’alimentation peuvent aussi être questionnés en regard des impacts environnementaux des façons de produire et de consommer. Dans le domaine de l’alimentation, le rapprochement entre les problématiques de santé et d’environnement a été initié, au cours des dernières années, dans certains travaux visant à mesurer conjointement les impacts nutritionnels et environnementaux des régimes alimentaires, considérés au niveau national (Pérignon et al., 2017) ou à l’échelle globale (Tilman et Clark, 2014 ; Springmann et al., 2018)). Des résultats importants ont été obtenus concernant (i) les contributions des aliments et des régimes à la santé publique et aux émissions de GES, (ii) les possibles divergences/convergences entre les dimensions environnementales et nutritionnelles, (iii) les bénéfices induits par les politiques publiques visant à faire évoluer les régimes alimentaires. Plus largement, les liens environnement/santé sont clairement mis en jeu, par exemple, via l’exposition des populations à des pesticides et des particules présents dans l’air, le sol ou l’eau. Ils peuvent concerner les producteurs (voir, par exemple, les liens entre exposition professionnelle aux pesticides et incidence de la maladie de Parkinson (Kab et al., 2018)) ou les populations résidentes (Kennedy et al., 2019 ; Lamogila et al., 2017 ; Mamy et al., 2017). Les relations environnement / santé peuvent aussi intervenir en modifiant l’état des écosystèmes (sols, plantes…) qui en retour affecte les performances des pratiques agricoles et les qualités nutritionnelles ou sanitaires des produits élaborés. Par ailleurs, des travaux récents plaident pour s’intéresser aux liens entre biodiversité et santé (Romanelli et al., 2014b). La biodiversité peut être en effet impliquée dans la santé humaine par ses impacts sur la régulation des maladies infectieuses, par exemple par le transfert d'agents pathogènes de l'animal à l'homme à différentes échelles. Enfin, des études récentes ont souligné les impacts de santé qui pourraient être induits par le changement climatique et, par exemple, par la montée des températures sur le développement de maladies infectieuses ou chroniques (Michael et al., 2013 ; Watts et al., 2018). Toute réduction des émissions de gaz à effets de serre au sein du système alimentaire a donc une contrepartie en termes de bénéfices de santé qu’il faut pouvoir intégrer dans l’évaluation des voies d’action envisageables. 11 Santé humaine Individus-populations Santé des écosystèmes (sols, plantes, animaux) Impacts environnementaux : émissions GES, pollution air et eau, perte de biodiversité… Volumes et caractéristiques des produits (variété, qualité, contaminants) Agriculture (production animales/végétales) Formulation, structure, additifs, contaminants Quantités (sécurité alimentaire), Qualités nutritionnelle et sanitaire des régimes Aliment (transformation/coproduits /échanges) Alimentation (consommation) • Comportements des acteurs • Fonctionnement des marchés • Politiques publiques Changement climatique, croissance démographique, urbanisation, évolution des modes de consommation… Schéma 2. Modalités par lesquelles le système alimentaire affecte la santé humaine et des écosystèmes Le système alimentaire a d’abord des impacts de santé - positifs ou négatifs - qui découlent directement de la consommation alimentaire et mettent en jeu à la fois les qualités des aliments et les qualités des régimes (flèches rouges). En amont, se jouent les caractéristiques nutritionnelles et sanitaires (chimiques et microbiologiques) de la matière première agricole résultante des modes de culture et d’élevage. Se jouent aussi les évolutions en matière de diversité des espèces cultivées qui peuvent avoir des effets sur la santé via la variété des régimes alimentaires accessibles. Au niveau industriel, se jouent, via la formulation des produits et les procédés technologiques, la variété et les valeurs nutritionnelles des aliments mis en marché, ainsi que leurs compositions en ingrédients, additifs et divers contaminants. En aval, les effets de santé sont associés à la couverture des besoins nutritionnels des populations (sécurité alimentaire) et aux qualités nutritionnelles et sanitaires (chimiques et microbiologiques) des aliments et des régimes alimentaires. Le système alimentaire a aussi des impacts de santé via les impacts environnementaux des émissions de substances à potentiel toxique dans l’air ou dans l’eau (flèches vertes). Ces impacts environnementaux peuvent également affecter la santé des écosystèmes (dégradation des régulations, biodiversité…) qui peuvent avoir des impacts de santé humaine (« One Health ») et en retour affecter les performances des pratiques agricoles et la qualité sanitaire des produits (flèches bleues). Au total, les individus et les populations sont soumis à des expositions multiples en provenance de ces différentes voies d’action (flèche mauve) et dont les effets de santé peuvent être considérés à différentes échelles et sur divers pas de temps (court/moyen/long terme). Les activités qui génèrent ces effets, via les aliments ou l’environnement, sont le fait d’une diversité d’acteurs (exploitations agricoles, industrie/distribution, consommateurs) dont les comportements et décisions s’inscrivent dans des fonctionnements de marché, sous l’effet de politiques publiques diverses (agricoles, alimentaires, santé, environnementales, commerciales, concurrence…), au sein de dynamiques sociales (urbanisation et évolution des modes de consommation, inégalités...) et de changements globaux (changement climatique, croissance démographique…). 12 Le schéma 2 illustre les relations entre le système alimentaire, la santé humaine et des écosystèmes. Les mécanismes par lesquels le système alimentaire influe sur la santé - via les aliments ou les impacts sur l’environnement - mettent en jeu une diversité d’acteurs (exploitations agricoles, industries, distribution, consommateurs, citoyens) dont les comportements et décisions s’inscrivent dans des fonctionnements de marché, sous l’effet de politiques publiques diverses (agricoles, alimentaires, santé, environnementales, commerciales, concurrence…), au sein de dynamiques sociales (urbanisation et évolution des modes de consommation, inégalités...) et de changements globaux (changement climatique, croissance démographique…). Au total, ces éléments montrent que les enjeux de santé – considérés dans une acception large qui intègre santé humaine et santé des écosystèmes – concernent le système alimentaire dans son ensemble, de la production à la consommation. Répondre à ces enjeux de santé (globale) interpelle ainsi le système alimentaire tant sur le plan des caractéristiques des aliments et des régimes alimentaires, que sur celui des effets associés aux impacts sur l’environnement des manières de produire, de transformer et de consommer. Quels attendus pour des recherches s’inscrivant dans une perspective de type « Nexus » ? Il existe de nombreux travaux de recherche, en particulier à l’INRA, sur la plupart des composantes identifiées dans le schéma 2. L’objet des réflexions conduites au sein de l’ARP n’était donc pas de discuter chacune de ces composantes mais plutôt de s’interroger sur les pistes de recherches qui pourraient permettre de progresser dans une compréhension plus globale des relations entre le système alimentaire et la santé et de contribuer ainsi aux débats sur les modalités de transformation du système alimentaire. Ce sont ces attendus – besoin d’approches plus intégratives et besoin de travaux plus fortement dédiés à l’analyse des conditions des changements et des transitions – qui ont servi de fils directeurs à la réflexion collective. D’une façon générale, il y a consensus sur la nécessité d’une transformation profonde du système alimentaire afin de répondre à l’objectif de couvrir les besoins alimentaires des populations, non pas seulement en quantité, mais aussi en qualité, celle-ci intégrant à la fois les dimensions de santé et environnementales. Par contre, les modalités par lesquelles conduire les transitions restent assez peu abordées. Les leviers des changements peuvent relever (i) d’une évolution des comportements des consommateurs et de leurs régimes alimentaires - l’évolution de la demande pouvant entrainer une évolution de l’offre agricole et industrielle ; (ii) de nouvelles voies d’innovation et d’un changement des modèles de production et de transformation ; (ii) des politiques publiques qui peuvent créer les incitations, ou mettre en place des contraintes, pour une évolution des modes de consommation et de production. Comment et à quelle hauteur, chacun de ces leviers peut-il contribuer aux améliorations visées sur le plan de la santé et de l’environnement ? Du côté de la consommation, une « entrée » importante, considérée dans de nombreux travaux ces dernières années, est celle des régimes alimentaires. Tirés par la notion de « sustainable diets », ces 13 travaux ont cherché à identifier les types de régimes qui pourraient s’avérer meilleurs sur les plans de la santé et de l’environnement, et cela à différentes échelles, aux niveaux global (Willet et al., 2019), européen (Weshoek et al., 2014 ; Vieux et al., 2018) et national (Masset et al., 204 ; Seconda et al., 2018). De cette littérature, il ressort de façon très générale que, dans les pays développés, des régimes alimentaires contenant, en moyenne, une part plus importante de fruits et légumes et de légumineuses, et une part moins importante de produit animaux et de produits denses en énergie pourraient avoir des effets bénéfiques sur l’environnement et la santé. Ces travaux permettent dans une certaine mesure d’identifier des « cibles » de consommations alimentaires vers lesquelles il s’agirait de tendre pour répondre aux objectifs de santé publique et environnementaux. Notons d’abord que ces évaluations restent incomplètes. Les évaluations de santé concernent avant tout la dimension nutritionnelle. Les travaux intégrant à la fois les dimensions nutritionnelle et sanitaire (chimique, microbiologique) restent rares, alors qu’il est possible qu’il existe des interactions entre toutes ces dimensions. Il y là un enjeu majeur de recherche portant sur les effets des expositions multiples des individus et des populations à des contaminants/nutriments variés via les aliments, les régimes alimentaires et des voies d’action environnementales. Par ailleurs, les impacts environnementaux des régimes alimentaires sont captés par un petit nombre d’indicateurs, principalement liés au changement climatique, et diverses dimensions restent difficiles à évaluer (par exemple, les liens entre régimes alimentaires et biodiversité). Si l’on admet néanmoins que ce type de travaux peut contribuer à définir des cibles de régimes alimentaires vers lesquels tendre (en moyenne), il reste que la question majeure est celle de la transition et des modalités par lesquelles le système alimentaire doit se transformer pour les atteindre. Si des évolutions vers ces régimes alimentaires « cibles » peuvent permettre d’assurer des bénéfices de santé et environnementaux, ils s’écartent souvent de façon significative, variable selon les types de consommateurs et les pays, des régimes actuels. Ceci signifie des coûts de changements qui peuvent s’avérer importants pour nombre de consommateurs. L’évolution des préférences des consommateurs, traduisant une prise en compte plus forte des dimensions de santé et environnementales dans leurs choix alimentaires, peut-elle suffire à réduire ces coûts de changements ? Par ailleurs, dans quelle mesure les évolutions de régimes alimentaires requises pour répondre à des objectifs de santé et d’environnement impliquent-elles de repenser l’organisation des filières de production et de transformation ? Quel sont les changements requis - aux niveaux global, national ou local - dans les types et la localisation des systèmes de production pour accompagner les évolutions de régimes alimentaires ? Par quelle voie d’action est-il alors le plus efficace (et coût-efficace) de jouer ? Du côté de l’offre alimentaire, les recherches sur les modes de production agricole et industrielle visent à identifier des voies d’innovation susceptibles de contribuer à des bénéfices de santé et environnementaux, par la qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments ou la maîtrise des impacts sur l’eau, l’air ou les sols. Comment ces impacts varient-ils selon le type d’agriculture retenu (conventionnel, bio, agroécologie…) ? Dans quelle mesure des changements au niveau agricole peuvent-ils affecter plus en aval les manières de transformer ? Quels gains (santé, environnement…) et quels coûts (de production, investissement, prix alimentaires…) en attendre selon les options retenues ? Ces changements peuvent-ils être 14 « transparents » pour les consommateurs ou soulèvent-ils des enjeux d’acceptabilité, ne serait-ce que parce qu’ils pourraient affecter les prix et les dépenses alimentaires des ménages ? Concernant les politiques publiques, l’enjeu de mise en cohérence des interventions à différents niveaux d’échelle (globale, nationale, locale) et dans divers domaines (environnement, commerce, santé…) a été souvent souligné. Reste que pour fonder cette cohérence, des évaluations intégrées des impacts possibles de divers leviers d’action s’avèreraient utiles. Par exemple, une politique basée sur le renforcement d’une taxe carbone pourrait affecter, non seulement le bilan environnemental du système alimentaire, mais aussi la santé des populations par le biais d’une réduction des émissions de GES et d’une évolution des régimes alimentaires. C’est à l’aune de ces effets multiples qu’il convient d’évaluer les politiques envisageables. Ces quelques éléments illustrent qu’une appréhension plus intégrée des relations entre le fonctionnement du système alimentaire et les enjeux de santé est importante pour mieux comprendre et évaluer certaines voies d’action et contribuer aux débats publics sur les modalités et conditions des évolutions requises. Une étude bibliométrique de la recherche mondiale sur Systèmes alimentaires et Santé Au regard de ces objectifs d’approches plus intégratives, il était utile d’examiner dans quelle mesure certaines des interfaces à explorer sont déjà, ou non, prises en compte dans la littérature internationale. Une étude bibliométrique (Lahatte, A., de Turckheim, E., Chalumeau, 209) a cherché ainsi identifier les domaines de recherches associés à la priorité de Stratégie nationale de recherche intitulée « Concevoir des systèmes alimentaires sains, durables, innovants ». L'OST du Hcéres a défini une méthode pour construire des corpus de publications répondant à des défis sociétaux qui a permis d'établir une carte des principales questions de recherche répondant aux objectifs de cette orientation2. Les documents traitant des questions du texte d'orientation ont été recherchés dans les publications de la base WoS, 2012-20173 : Quels sont systèmes alimentaires durables et assurant la sécurité alimentaire et nutritionnelle ? Quelles politiques et actions institutionnelles les favorisent ? Quels sont impacts sociaux et environnementaux des systèmes alimentaires ? Comment améliorer l'efficacité de la production, de la distribution de l'alimentation et du traitement des déchets ? Comment et pourquoi les régimes alimentaires changent ? Quels sont les déterminants des comportements des consommateurs ? Quels impacts des régimes sur la santé et l'état nutritionnel ? Sur la base de ces questions, un corpus d’environ 25.000 publications a été constitué. La figure 1 présente ces questions de recherche (ou topics) résultant de l’ajustement d'un modèle probabiliste4 dans lequel chaque document peut combiner un certain nombre de topics. Ces topics sont définis par la fréquence des mots de leur vocabulaire. Les tailles des bulles sont proportionnelles au poids Lahatte, A., de Turckheim, E., Chalumeau. Designing healthy and sustainable food systems: how is research contributing? In: Proceedings of the 17th ISSI Conference, Rome 2-5 September 2019, 523-534 https://drive.google.com/file/d/1nKOvCR14pJj2ayX33FXhU-uf7pmOoTE2/view https://prodinra.inra.fr/record/483530 3 Plus précisément dans les textes du titre, du résumé et des mots-clés des auteurs 4 Latent Dirichlet Allocation (LDA) topic model 2 15 des topics dans le corpus, leur position résulte des proximités des vocabulaires entre les topics et les arêtes du graphe signalent les paires de topics qui apparaissent plus souvent dans les mêmes publications. Cinq thèmes structurent le domaine : - Le thème sur les systèmes alimentaires et leurs impacts sociaux et environnementaux. Il inclut les questions de gouvernance, de sécurité alimentaire et les impacts environnementaux de la chaine alimentaire. - Un thème « consommateurs » qui intègre des publications sur les comportements et les politiques d’éducation nutritionnelle. - Un thème « santé » qui recouvre l’analyse des régimes alimentaires et les risques de santé associés, y compris l’obésité. - Un thème « aliments » qui recouvre les dimensions nutritionnelles, microbiologiques et chimiques. - Un thème sur les chaines industrielles de production, essentiellement centré sur les procédés et la question des déchets, et proche d’un thème plutôt lié à agriculture et changement climatique. Figure 1. Carte des topics du corpus Systèmes alimentaires 16 Une approche de type Nexus impliquerait de fortes connexions entre ces grands topics. Or le décompte des publications aux interfaces de ces domaines montre à ce stade, que dans ce corpus, le topic Santé/Régimes alimentaires est lié au topic Consommateurs, essentiellement via les politiques d’éducation nutritionnelle et les facteurs influençant la nutrition des jeunes. Mais il n’apparaît pas de lien direct entre le topic régime/santé et le topic ayant trait aux comportements des consommateurs. De la même façon, peu de documents traitent simultanément des questions de fonctionnement et de gouvernance des systèmes alimentaires (Topic 1) et des régimes alimentaires (Topic 10). Les topics sur les Aliments (Topics 6, 15, 16 et 17) sont très faiblement connectés au topic sur les régimes alimentaires et la santé (Topic 10), à l'exception des impacts des alicaments et des probiotiques. Ces topics Aliments sont encore moins connectés au Topic 1 sur les politiques et systèmes alimentaires. On peut noter aussi la faible connexion du Topic 4 sur les technologies de transformation des aliments avec la santé d'une part, et les systèmes alimentaires d'autre part. Enfin on note aussi l’absence de connexion entre les travaux sur les contaminants et les topics régimes/santé dénotant, probablement, une faible intégration des dimensions chimiques, microbiologiques et nutritionnelles dans l’évaluation des régimes alimentaires. Une extension du corpus et des traitements complémentaires seront à faire pour préciser les liens entre ces différents domaines et mieux identifier les disciplines impliquées, ainsi que le positionnement international des recherches conduites à l’INRA. Il reste qu’à ce stade, un certain nombre d’interfaces que l’on pourrait considérer comme importantes dans une perspective Nexus semblent être encore peu explorées. On verra que certaines d’entre elles vont ressortir dans les priorités de recherche que l’on va décrire dans la suite du rapport. Trois grands enjeux de recherche Une fois posée la vision d’ensemble résumée dans le schéma 2, quels enjeux de recherche mettre en avant dans une perspective « Nexus » ? Il y a là une réelle difficulté comme l’atteste le fait que les nombreuses publications qui prônent ces idées de reconnexion des diverses dimensions en jeu (agriculturealimentation-environnement-santé) restent souvent sur des niveaux de généralité très élevés et proposent généralement des schémas conceptuels utiles pour la construction de visions d’ensemble, mais insuffisants pour en tirer des priorités de recherche. La faiblesse des connexions entre certains domaines de recherche que l’on vient de noter dans la littérature internationale illustre également cette difficulté. C’est à cette difficulté qu’ont été confrontés les groupes de travail. En outre, il existe déjà de très nombreux travaux de recherche (disciplinaires) sur la plupart des maillons identifiés dans ce schéma, sur lesquels il n’était ni possible ni utile de revenir ici. La réflexion prospective s’est donc concentrée sur les voies à suivre pour progresser dans une appréhension plus intégrée des relations entre fonctionnement du système alimentaire (production-transformation-consommation) et les enjeux santé (via les aliments et l’environnement), et l’identification et l’analyse des conditions des changements qui pourraient permettre de mieux y répondre. 17 Dans ce cadre, les réflexions menées au sein de l’ARP ont conduit à mettre en avant des enjeux de recherche autour de 3 grandes thématiques : - Enjeu de recherche 1 : La construction des qualités, depuis la production agricole jusqu’aux régimes alimentaires, l’objectif étant de progresser dans l’intégration des diverses dimensions en jeu (nutritionnelles, sanitaires, sensorielles, environnementales…) et des leviers d’action tout au long de la chaine de production des aliments (systèmes de culture/élevage, transformation) et de consommation (régimes alimentaires). - Enjeu de recherche 2 : L’analyse des relations environnement-santé en développant les recherches sur la mesure des expositions et les dangers associés aux contaminants chimiques environnementaux et sur les effets de santé des impacts des pratiques agricoles sur l’environnement et les écosystèmes. - Enjeu de recherche 3 : L’analyse et l’évaluation des modalités et conditions des changements à favoriser au sein du système alimentaire pour mieux répondre aux exigences de santé et le développement de démarches pour l’accompagnement des transitions. 18 3. ENJEU DE RECHERCHE 1 : la construction des qualités, depuis la production agricole jusqu’aux régimes alimentaires5 Les travaux conduits sur le fonctionnement des filières ont longtemps considéré de façon dissociée les activités conduites le long de la chaîne production-transformation-consommation, faisant écho ainsi à la décomposition qui s’est opérée dans les filières industrielles entre d’une part, l’étape de fractionnement qui vise à déstructurer, en première transformation industrielle, la matière première agricole de façon à en extraire des composants élémentaires ; d’autre part, l’étape d’assemblage qui vise à reconstituer, à partir de ces composants élémentaires, un aliment consommable pour le marché final. Cette dissociation a été un des leviers de baisse des coûts des approvisionnements industriels et d’optimisation de l’interface agriculture/industrie. L’objectif de standardisation et de régularisation des caractéristiques de la matière première agricole facilitait l’optimisation des procédés industriels, la variabilité résiduelle des caractéristiques des produits agricoles faisant l’objet d’un lissage technologique (apports d’ingrédients dans la phase d’assemblage). Cette dissociation a permis un déplacement vers l’aval des leviers de création de la variété de l’offre de produits aux consommateurs et la mise en place d’un processus de « différenciation retardée », la construction de la variété des produits se faisant principalement au niveau industriel, précisément à l’étape d’assemblage. Une conséquence a été le développement de travaux de recherche plutôt tirés par un objectif d’optimisation de chacun des niveaux de la chaine, considérés séparément les uns des autres, les relations agriculture/industrie en amont étant traitées de façon dissociée des recherches sur les innovations-produits ou les procédés en seconde transformation. Cette dissociation soulève certaines difficultés qui conduisent à renouveler les démarches et méthodes de conception. L’interface agriculture-procédés, qui s’est construite sur le couple homogénéisation de la matière première agricole/fractionnement, est interrogée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’évolution des pratiques agricoles (moins de pesticides, agroécologie…) et une possible diversification accrue des systèmes de production pourrait contribuer à une évolution des caractéristiques des produits et un accroissement de la variété, voire de la variabilité de ces caractéristiques, ce qui pourrait conduire à repenser certains procédés alimentaires. D’autre part, le déplacement des leviers de création de la variété de l’offre alimentaire de l’amont vers l’aval (induit par le couple homogénéisation de la matière première agricole/fractionnement) a probablement contribué à un transfert de la valeur depuis l’amont agricole vers l’aval industriel. Dans quelle mesure le développement de procédés robustes et flexibles visant à gérer la variabilité de la matière première pour créer la variabilité des produits finaux en limitant l’usage des procédés de fractionnement est-il envisageable ? Peut-il permettre de redonner des leviers de création de variété à l’amont agricole et participer ainsi d’une remontrée vers l’amont d’une fraction de la valeur (disposition à payer des consommateurs) ? Cette section s’appuie très largement sur le rapport du GT « Construction des qualités », ainsi que sur les exposés de Nadia Bertin, Maïa Meurillon, Catherine Hurtaud, Marie-Hélène Jeuffroy, Fabrice Pierre, Tiphaine Lucas, Florence Forget, Jean-Louis Peyraud, Isabelle Souchon, François Mariotti, Emmanuelle Kesse-Guyot, Jeanne-Marie Membré et Philippe Lemanceau au séminaire DS Alimentation (mai 2019). 5 19 De la même façon, l’interface procédés-consommateurs devient aussi aujourd’hui cruciale. Au fond c’est beaucoup par la formulation (les recettes) que la différenciation des produits alimentaires s’est construite, au moins aux yeux des consommateurs. Mais la question de la « naturalité » qui a émergé ces dernières années comme composante forte de la demande alimentaire, montre en fait que ce ne sont pas seulement les caractéristiques intrinsèques des produits (goût, texture, praticité…) qui comptent pour les consommateurs, mais aussi la façon (les procédés) dont les produits sont élaborés. Comment cette attente de « naturalité » (Rozin, 2005) peut-elle être intégrée dans la conception des procédés alimentaires ? Plus largement, plusieurs exemples montrent que de nouvelles marges de manœuvre peuvent être dégagées en considérant globalement, plutôt que séparément, les activités qui se succèdent dans les chaines alimentaires. La notion « d’innovations couplées » (Meynard et al., 2016) a été proposée pour précisément souligner l’intérêt de penser simultanément conception des systèmes de culture ou d’élevage et conception des modes de transformation. Ces différents éléments incitent ainsi à raisonner la conception des innovations en considérant les chaines de production-transformation plus globalement et dans cette perspective à progresser dans l’analyse des modalités de construction des qualités, en considérant de façon plus intégrée la succession des arbitrages et compromis entre les différentes dimensions de qualités au sein du système alimentaire. 3.1. Progresser dans l’analyse et l’évaluation de la construction des qualités (sanitaires, sensorielles, environnementales), de la production agricole à l’aliment consommé De nombreux travaux de recherche sont conduits sur les déterminants des qualités organoleptiques, nutritionnelles, sanitaires (microbiologiques et chimiques) ou encore environnementales, aux différents maillons des chaines alimentaires, mais ils sont souvent considérés séparément. Or la construction des qualités - leur dégradation aussi - résulte de la gestion de compromis multiples entre différents critères/ volets antagonistes de qualités/types d’acteurs qu’il faut pouvoir caractériser. Ceci implique (i) de développer des analyses plus intégrées des leviers d’action tout au long des filières, et (ii) de mieux comprendre comment les arbitrages des acteurs, de la production à la consommation, conditionnent les modalités de construction et de préservation de ces qualités. Si de nombreux travaux sont ainsi engagés aux niveaux agricoles et industriels, les liens et interactions entre les différents maillons de la chaîne alimentaire - production, transformation et consommation – restent insuffisamment abordés. Pour des approches plus intégrées des leviers d’action mobilisables à chaque niveau de la chaîne Dans le domaine des productions végétales, l’intégration des dimensions de santé dans la conception des systèmes de culture a été identifiée comme une voie de recherche à développer (Richard et al., XXX). Elle implique de mieux caractériser l’impact des pratiques et de systèmes de production, de l’environnement aérien et sous-terrain et des génotypes sur des cibles de qualité nutritionnelle (molécules à effet positif, les allergènes, …) ainsi que sur les facteurs anti-nutritionnels et contaminants (molécules à effet négatif 20 comme les éléments traces métalliques, les pesticides et autres molécules à effets indésirables…). Cela suppose de s’intéresser non seulement à des teneurs en molécules dans les organes récoltés, mais aussi à leur compartimentation et bioaccessibilité dans les matrices végétales, à leur biodisponibilité et d’analyser le lien avec les effets santé associés. A I’échelle de la plante, il faut également développer des modèles écophysiologiques/agronomiques de la qualité multicritère des organes récoltés intégrant un ensemble de molécules à effets positifs et négatifs et permettant de prédire l’impact des interactions génotype/environnement/pratiques. Concernant la qualité environnementale, il est également important de quantifier l’impact des systèmes de cultures sur l’environnement et de développer des outils d’évaluation de ces systèmes. La prise en compte du changement climatique et de ses effets sur les caractéristiques des produits selon les modes de production est aussi une dimension qui parait importante à divers égards (voir rapport IFPRI, Etude "agriculture européenne 2050, 2019) Mais pour optimiser les systèmes de culture au regard d’objectifs de santé, l’interaction avec les travaux conduits sur la qualité des produits en aval de la chaine est importante à développer pour bien définir les cibles et établir des référentiels de qualité nutritionnelle pour la production : il faut savoir quelles molécules (ou cocktails de molécules) ont un effet santé et quelles gammes de teneurs permettent d’observer un effet santé pour mobiliser des leviers pertinents au niveau de la production (par ex. la teneur en protéines des légumineuses ne suffit pas, il faut des profils d’acides aminés). D’autre part, comprendre l’impact des pratiques et des génotypes sur la « processabilité » des produits permettrait d’optimiser la qualité technologique et de mieux piloter la qualité finale des produits transformés. A titre d’illustration, le schéma 3 décrit les relations à considérer pour une approche intégrée de la construction des qualités dans le cas des productions végétales. Il est important de bien caractériser les variables de passage et des cibles communes des différents modèles de manière à progresser dans leur couplage et dans la représentation des interactions. Ceci permettrait d’utiliser les modèles de production pour prédire la composition des aliments et donc l’impact des pratiques agricoles, de l’environnement et des facteurs pédoclimatiques sur la qualité de l’alimentation. Dans l’autre sens, on pourrait partir des modèles d’alimentation, définir des compositions d’aliments/diètes optimisées et optimiser les modes de production pour aller vers ces aliments. 21 BAP-EA-MICA Optimisation de l’offre Climat Pratiques Sols Génotype CEPIA-MICA Optimisation procédés Taille, composition des organes Gammes GxExC? Aliment Analyse des diètes et des comportements Procédé x Composition Cibles? Valeur Matrice santé Sequestration Modifier l’offre à diète constante? Besoins Recommandations Tables de composition aliments IdeoFruit IdeoGrain Allocation du C, H2O, S, N, P…. Modélisation/optimisation des GxExC (qualité des organes récoltés, Impact envir.) AlimH Optimisation diètes (demande) ETM Pesticides? ? Bioaccessibilité Biodisponibilité Antinutriments Modélisation/optimisation des GxExCxP Optimisations croisées Méthodologies Modélisation/optimisation des diètes (Habitudes, Envi) impacts GES Modifier les diètes à offre constante? Schéma 3. Relations mises en jeu dans la construction des qualités en production végétale de la production à la consommation (Source : Nadia Bertin) (G=génétique, E=environnement, C=pratiques culturales, P=procédés) Dans le domaine des productions animales, des recherches actuelles portent sur la qualité nutritionnelle (micronutriments, minéraux, omega3, antioxydants...) des produits animaux (viande, lait, œufs…), en relation avec les modes d’alimentation (prairies permanentes ou non ; rôles du lin, des micro- et macroalgues et autres additifs…). Certains travaux visent à réduire l’utilisation des produits sanitaires et antibiotiques. L’utilisation de nouvelles ressources alimentaires (surtout fourragères) riches en composés biactifs pourrait être bénéfique sur de multiples dimensions : gestion intégrée en santé animale, qualité environnementale, qualité des produits, « conservabilité » de la viande... En matière de génétique, la définition de critères de sélection multiples pour répondre aux défis à la fois de la sécurité alimentaire, de qualité nutritionnelle, du respect de l’environnement et du bien-être animal constitue un réel enjeu. Les systèmes d’élevage dominants sont en effet fondés sur une sélection ‘mono-critère’ (production laitière en systèmes laitiers, développement musculaire chez les animaux allaitants). Or la production de lait et de viande à l’herbe présente des avantages multiples en termes de coûts, de valeur nutritionnelle des produits, de non concurrence pour l’utilisation des terres vis-à-vis de l’alimentation humaine, de préservation des prairies (réservoir de biodiversité et puits de carbone). Comment lever alors les difficultés liées à cette sélection monocritère lorsque l’on souhaite augmenter la production de lait et viande à l’herbe (plus agro-écologique) pour des finalités multicritères ? Pour progresser dans la prise en compte des dimensions nutritionnelles et de santé dans la conception des systèmes d’élevage, il serait nécessaire de mieux inscrire les travaux sur les qualités des produits animaux 22 au niveau agricole dans la construction des qualités tout au long des filières concernées6. Par exemple, la composition du lait est plastique et il est possible de modifier certains composés d’intérêt nutritionnel du lait par l’alimentation des vaches laitières. Comment raisonner ces modifications en fonction des conséquences potentielles sur la santé et la nutrition humaine ? A ce stade, peu de travaux abordent cette question de la relation entre alimentation des animaux, qualité des produits et impact santé (élaboration des attributs de la qualité des produits, effets des facteurs d’élevage et plus largement des systèmes d’élevage et des différents modes de production (bio vs conventionnel), des conditions d’abattage, des procédés de transformation et interactions entre ces différents niveaux de la chaîne alimentaire…). Au niveau des procédés de transformation, de nombreux travaux ont également été développés ces dernières années pour répondre à des objectifs nutritionnels et de santé. Le souci d’intégration conduit aussi à chercher à mieux comprendre comment les caractéristiques (et l’intensité) des procédés de transformation sont associées aux autres dimensions de qualité (nutritionnelle, sensorielle, environnementales…). Comme il est peu probable qu’un retour massif vers une consommation massive de produits bruts à domicile ait lieu dans l’avenir (ce qui supposerait un retour massif en cuisine des ménages), la consommation de produits transformés au niveau industriel ne va probablement pas décroître. Du coup, les procédés de transformation vont continuer à être interrogés sous plusieurs angles. Outre les débats sur les produits ultra-transformés ou ultra-formulés et les relations entre procédés et santé, de nouvelles dimensions commencent à être intégrées, comme par exemple, l’amélioration de la qualité des aliments par la limitation des additifs tout en préservant les textures. Un enjeu est par exemple ici de revisiter les procédés pour éviter au maximum, par exemple, les dénaturations des composés, ou encore limiter la transformation, dans l’idée du ”minimal processing” afin de bénéficier des structures et propriétés préexistantes des matières premières pour offrir des aliments aux propriétés fonctionnelles maîtrisées et recherchées. Le besoin d’approches plus intégrées agriculture/industrie apparaît dans quelques recherches récentes qui visent à penser ensemble itinéraires techniques et pilotage de la qualité au champ et adaptation ou re-conception des procédés de transformation. Elle est aussi soulignée dans divers exemples concernant, par exemple : 6 - L’analyse de la formation, de la remédiation et des impacts sanitaires de composés xénobiotiques tout au long des chaines alimentaires ou encore des contaminations microbiologiques. - La gestion des risques associés aux mycotoxines dans les filières céréales pour lesquelles les recherches sont généralement conduites sur chaque maillon de la chaine (production/stockage ou transformation ou consommation) et où on note l’absence d’analyses intégrées indispensables tant pour la conception de solutions que pour le développement d’approches prédictives. Voir aussi les résultats de l’ESCO « Qualité des produits animaux » pour des conclusions allant dans le même sens. 23 - La recherche de nouvelles solutions pour la maîtrise des mécanismes d’altération des produits (par exemple fruits et légumes) par un abaissement de température, dans un contexte où il faut réduire les impacts des chaînes du froid en GES et consommation d’énergie. Au total, les travaux à développer doivent privilégier les objectifs suivants. Un point important pour proposer des leviers d’amélioration est, tout d’abord, de comprendre où se construit et où se perd la qualité et quelles composantes sont les plus affectées vs les plus stables. Cette analyse inclut les arbitrages entre les dimensions sanitaires-nutritionnelles-sensorielles-environnementales (et énergie) et pourrait permettre de mieux cibler les étapes où une marge de manœuvre est possible dans les systèmes existants. Une seconde question liée à la précédente est de comprendre, au travers d’études pluridisciplinaires et intégratives, les liens entre les procédés tout au long de la chaîne : construction et maîtrise de la qualité de l’amont à l’aliment (sélection - production - transformation - conservation, distribution - logistique transformation / pratiques à domicile du consommateur; valorisation des coproduits et déchets). Enfin pour prédire et optimiser les qualités en fonction des procédés de production, il est nécessaire de modéliser aux différentes échelles concernées, les interactions complexes entre processus d’élaboration des différentes composantes de la qualité, puis de se donner les moyens de connecter les différents modèles au travers de leurs paramètres et variables entrées/sorties. Ce travail doit bénéficier d’une coconstruction génétique - agronomique-technologique des modèles en interaction forte avec les nutritionnistes et toxicologues. 3.2. Mieux tenir compte des modes de production agricoles et industriels dans l’évaluation des impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires La construction des qualités (vue dans la section précédente) doit être au final évaluée au regard des impacts de santé (et environnementaux) qu’elle contribue, ou non, à réduire via son impact sur les qualités des régimes alimentaires. Questions nouvelles Un enjeu concerne les approches globales de qualité alimentaire intégrant par exemple la part des produits transformés dans l’alimentation (problématique des « ultra processed foods »). Des catégorisations essaient d’aller « au-delà des nutriments » et au-delà du « réductionnisme » mais il faudrait étudier quelle est la spécificité sur la santé de la surconsommation de ces types d’aliments par rapport à la surconsommation d’aliments de mauvais profils nutritionnels. Si les effets de santé associés à des caractéristiques autres que nutritionnelles sont confirmés, il est important d’en comprendre les mécanismes, qu’ils soient liés à la présence d’additifs et auxiliaires technologiques ou aux matrices des aliments en question. Un point difficile reste la question des contaminants chimiques dans les aliments. Si la caractérisation des contaminations chimiques à chacune des étapes de la production et fabrication des aliments est 24 globalement maîtrisée, l’analyse des flux des sites de production agricole à l’exposition des organismes vivants et leur impact sur la santé reste moins documentée. La création récente des plateformes d’épidémio-surveillance à la DGAL, et leur pilotage coordonné, témoigne de la volonté des autorités publiques de développer des liens aux différents niveaux de l’analyse des sources d’exposition, car seule une connaissance précise des circuits de contamination permettra d’identifier les effets biologiques des contaminants et de maîtriser leur impact en population. La caractérisation des dangers et la mesure des expositions à des contaminants chimiques soulèvent des enjeux de recherche importants liés aux expositions multiples ou à faible doses mais sur longue durée. Un certain nombre d’axes concernant les méthodes d’analyse et à la caractérisation des dangers sont développés dans la section 4 de ce rapport. Les effets couplés de contaminants (métallique/organique, xénobiotique/biotique), leur transfert le long de la chaine alimentaire (du sol à la plante/animal consommé) et l’impact des procédés de transformation des aliments sur le métabolisme des contaminants sont importants à considérer. D’autres questions de recherches ont vu le jour en matière d’expositions multiples ou de risque chronique, soulignant le manque de données sur des familles de contaminants récemment apparues ou prises en compte, ou encore face à des susceptibilités nouvellement décrites en regard de dangers historiques ou nouveaux (additifs alimentaires,). Les démarches intégrées qui appréhendent le transfert (comprenant les transformations biotiques et abiotiques) tout au long de la chaine alimentaire conduisant à l’Homme restent rares, de même que les études capables de renseigner la question des expositions multiples et de leur impact sur la santé humaine à l’échelle individuelle ou populationnelle. De même, des questions concernent le biocontrôle : les microorganismes utilisés peuvent persister et être transférés aux aliments et à l’homme, notamment dans le cas de populations à risque. Les travaux menés récemment sur les nanoparticules présentes dans l’alimentation, en particulier sur le dioxyde de titane (additif alimentaire E171), ont mis en lumière la nécessité d’aborder les risques potentiels d’additifs alimentaires par des approches originales faisant appel notamment à la biophysique. Ces travaux sont à l’origine d’une nouvelle évaluation de risque du dioxyde de titane à usage alimentaire en France (ANSES) et en Europe (EFSA) et d’une demande de la Commission Européenne à l'industrie de fournir des informations sur la taille des particules et la distribution granulométrique du dioxyde de titane, en raison de l'impact toxicologique potentiel qu’il pourrait avoir. Dans le même ordre d’idée, la société a connu une véritable de prise de conscience sur les risques liés à la démonstration d’une ingestion généralisée par les organismes marins de micro-plastiques et d’une accumulation dans certains de leurs tissus spécifiques, offrant la possibilité de transfert dans la chaîne alimentaire. La population humaine peut alors être exposée au travers de son alimentation avec des conséquences encore inconnue. Le croisement entre composition des régimes alimentaires et présence de contaminants dans les aliments est généralement effectué pour l’évaluation des expositions et des éventuelles tensions entre les dimensions nutritionnelles et sanitaires (Baudry et al., 2019 ; Barré et al., 2016). Ces travaux restent encore peu nombreux. D’un point de vue plus mécanistique, l’exemple des travaux sur la charcuterie qui montre que le reste du régime alimentaire peut moduler le risque de cancer du côlon associé à une consommation excessive de charcuterie, montre l’intérêt qu’il peut y avoir à replacer la caractérisation des dangers 25 associés à des contaminants dans une évaluation plus globale des régimes alimentaires (Fabrice Pierre, 2019). Consommer autrement et/ou produire mieux ? Une voie autre importante de progrès réside dans une meilleure connexion entre l’analyse de l’impact des modes de production sur les caractéristiques des régimes alimentaires: - - La très grande majorité des travaux sur les régimes alimentaires considère des caractéristiques environnementales ou nutritionnelles « moyennes » des aliments, sans tenir compte de la variabilité associée aux manières de produire et de transformer. Du coup, il est difficile de véritablement quantifier les contributions respectives des évolutions envisageables du côté des manières de produire, et du côté des choix de consommation et de régimes alimentaires. Les travaux sur les modes de production en amont ne tiennent pas véritablement compte de la façon dont les produits qui en sont issus viennent s’insérer dans des régimes alimentaires. Or c’est à cette aune-là qu’ils devraient aussi être évalués. Ces éléments limitent notre capacité à bien évaluer les contributions respectives des changements de régimes alimentaires et des manières de produire à l’atteinte d’objectifs environnementaux et de santé. Pour cela, l’évaluation des régimes alimentaires et de leurs impacts sur la santé (nutritionnel, chimique, microbiologiques) et l’environnement doit impérativement intégrer la variabilité des caractéristiques des produits associés aux divers modes de production (conventionnel, bio, raisonné ; différents systèmes d’élevage ; urbain et péri-urbain…). Il y a là un enjeu majeur car si l'impact des modes de production et transformation sur les indices de qualité des aliments est pour partie documenté, nous n'avons pas pour le moment de données pour bien différencier l'impact santé des apports et des régimes alimentaires (maladies chroniques, en particulier) en fonction de ces modes de production et de transformation. De premières approches à l’échelle globale (Clark et Tilman, 2017) ou nationale (Baudry et al., 2019) vont dans ce sens, par exemple, en mesurant les contributions relatives de la structure du régime alimentaire et du mode de production bio aux impacts environnementaux (GES, énergie, usage des sols) et de santé (expositions à des contaminants chimiques) des consommations alimentaires. De telles approches doivent être développées pour approfondir les effets des manières de produire sur les impacts des régimes alimentaires, et élargir la gamme des critères de santé (contaminants chimiques dans les aliments sur les modes production et de transformation) et environnementaux utilisés (Hadjikakou et al., 2019). Ainsi, l’évaluation des impacts en GES ne prend pas suffisamment en compte les différences d’intensité d’émissions selon les systèmes de production. Cette connexion avec les systèmes de production est aussi nécessaire pour évaluer les effets sur d’autres paramètres environnementaux, comme la biodiversité. Les évaluations ne considèrent pas non plus les interactions et les recyclages au sein des agrosystèmes, les effets sur l’utilisation de sols et le stockage du carbone…. Par ailleurs, Les démarches d’évaluation des régimes alimentaires sont aujourd’hui principalement basées sur des modélisations visant à définir des régimes « optimisés » (conformes aux recommandations nutritionnelles tout en respectant certaines contraintes d’acceptabilité par les consommateurs) ou sur la 26 comparaison entre « déviants positifs » (individus ayant des régimes alimentaires meilleurs pour la santé et l’environnement) et le reste de la population. Mais que se passerait-il si toute la population adoptait les régimes « optimaux » ou les régimes alimentaires des « déviants positifs » ? On ne sait pas répondre à cette question. Les évaluations actuelles sont basées sur des modélisations des régimes alimentaires qui utilisent des coefficients fixes, par exemple, de prix ou d’impact carbone des aliments. Or une modification massive des régimes changerait nécessairement la demande alimentaire et affecterait, de façon variable selon les réactions du côté de l’offre, les prix et les modes d’usage des sols, et donc des coefficients supposés fixes dans les approches actuelles. Cette prise en compte des interactions offre-demande pourrait conduire à des conclusions différentes quant aux impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires. Plus largement, quels seraient les changements à privilégier en production pour répondre aux évolutions attendues de régimes alimentaires ? Que produire, comment et où ? Ces questions requièrent des travaux de recherche visant à mieux relier les évolutions attendues sur le plan des régimes alimentaires aux transformations à opérer sur le plan de la production (Schéma 4). Elles impliquent de favoriser des rapprochements entre les communautés travaillant sur les systèmes de production et les manières de produire et celles travaillant sur la consommation et les régimes alimentaires. Santé Environnement Régimes alimentaires Effets des modes de productions sur impacts des régimes ? Que produire ? Comment ? Où ? Aliments Modes de production (agriculture-industrie) Schéma 4 Evaluations multicritères, bénéficesrisques, coûtsbénéfices 27 3.3. Développer des évaluations multicritères, bénéfices-risques, coûts-bénéfices des voies d’amélioration des qualités des aliments et des régimes alimentaires Au-delà des aspects biotechniques mis en jeu dans les modélisations agronomiques et de procédés cidessus, la construction des qualités résulte également d’arbitrages réalisés par les acteurs tout au long des chaines de production – transformation – consommation. L’intégration de ces dimensions aux évaluations biotechniques est indispensable pour mettre en balance les gains de santé et environnementaux avec les enjeux économiques (revenus des producteurs, surplus des consommateurs…) afin de : - Evaluer des voies de solutions impliquant des maillons différents de la chaîne alimentaire à travers, par exemple, la comparaison des coûts et des bénéfices associés à des démarches de reformulation ou à de nouveaux procédés au niveau industriel, versus des innovations dans les systèmes de culture ou d’élevage. - Evaluer et comparer les coûts et gains associés à des changements de manières de produire les aliments (agriculture-industrie) versus des changements de consommation (substitutions entre aliments, modifications des régimes). Ces arbitrages des acteurs mettent en jeu (voir aussi enjeu de recherche 3) : - Les dimensions sensorielles, le levier de la qualité gustative, comme la réduction des facteurs antinutritionnels, étant des déterminants majeurs des niveaux de consommation. Cette dimension sensorielle demande à être traitée non seulement au regard des caractéristiques de tel ou tel aliment, mais aussi plus largement dans la façon dont les préférences sensorielles déterminent le répertoire alimentaire des individus (la liste des aliments qu’ils consomment régulièrement) et les substitutions admissibles au sein de leurs régimes alimentaires. - La valeur donnée aux caractéristiques des produits/procédés par les consommateurs finaux, et au final leurs dispositions à payer pour ces caractéristiques. Là encore l’analyse peut porter sur des aliments, mais aussi sur des régimes alimentaires : quelle est la disposition à payer (ou à l’inverse le coût « sensoriel ») pour une modification de régime alimentaire ? - Le rapport coûts-avantages pour chaque type d’acteur tout au long de la chaîne, ainsi que les modes de coordination (contrats, cahiers des charges…), existants ou envisageables, permettant d’assurer la compatibilité des actions aux différents niveaux de la chaine et de garantir des modes de partage de la valeur rendant possibles des engagements cohérents et efficaces de tous les acteurs. Les évaluations peuvent faire l’objet d’analyses multicritères qui supposent de pouvoir quantifier les bénéfices associés aux modifications envisagées dans les manières de produire et/ou dans les régimes alimentaires. De ce point de vue, l’évaluation des gains environnementaux associés à changements des manières de produire ou de consommations rend nécessaire l’élaboration de nouvelles bases de données pour être 28 en mesure d’inclure d’autres dimensions que celles traitées jusqu’à présent (biodiversité, eau, GES tenant compte du stockage du carbone dans les sols…) et cela, selon les modes de production (GES pour divers systèmes de culture et d’élevage). Concernant les dimensions de santé, les possibilités de quantification des effets dépendent de la nature des dangers. Dans le cas des dangers microbiologiques d’origine alimentaire, les pathologies associées sont souvent de nature aigue (même s’il peut exister des séquelles chroniques), reliées à des pathogènes identifiés et donnant lieu à des relevés médicaux en population qui, même s’ils s’avèrent parfois incomplets ou ambigus, apportent de nombreux éléments pour quantifier les niveaux d’incidence et de sévérité, ainsi que le recours au système de soins. Sur la base de ces données, il est possible de calculer des indicateurs tels que les DALY et les coûts directs et indirects des impacts de santé. Sur le plan nutritionnel, l’évaluation des bénéfices santé des régimes alimentaires est aujourd’hui essentiellement basée sur des calculs de scores de qualité nutritionnelle ou sur la mesure d’une distance entre les régimes observés et les recommandations alimentaires et nutritionnelles des agences de santé. Une autre voie d’évaluation consiste à utiliser des modèles épidémiologiques, construits sur des risques relatifs reliant variations de consommations alimentaires et variations d’incidence de pathologies (mortalité, morbidité, DALY). De tels modèles développés à l’OMS, l’OCDE, à l’Université d’Oxford, par exemple, sont largement utilisés dans des études populationnelles nationales et globales pour estimer les impacts de santé des régimes alimentaires. Des travaux visant à développer de tels modèles en France devraient être réalisés pour pouvoir mener l’analyse des régimes alimentaires jusqu’à l’évaluation des impacts de santé, condition requise pour mener jusqu’au bout des évaluations multicritères, bénéficesrisques ou coûts-bénéfices des évolutions possibles de régimes alimentaires. Dans le cas des dangers chimiques, on a affaire à des pathologies chroniques multiples (cancers, pertes de QI, baisse de fertilité…) pour lesquelles les quantifications des effets en population, et a fortiori, les évaluations économiques sont beaucoup plus difficiles. S’il existe des données expérimentales permettant d’évaluer la toxicité de telle ou telle molécule, on dispose en effet de peu de données épidémiologiques permettant de quantifier les relations doses-réponses (ou les risques relatifs) requises pour l’estimation du fardeau sanitaire et, en conséquence, pour l’évaluation des coûts de santé associés. Ces données sont disponibles pour quelques molécules (certains métaux lourds), mais d’une façon générale, les évaluations s’en tiennent à comparer les niveaux d’exposition de populations, associés à des modifications des manières de produire et/ou des régimes à des valeurs toxicologiques de référence. Si celles-ci peuvent être incluses dans des approches multicritères, elles sont insuffisantes à ce stade pour pouvoir mener complètement des évaluations coûts-bénéfices. 29 4. ENJEU DE RECHERCHE 2 : les effets de santé des contaminations chimiques (air, eau, sol) et des impacts environnementaux des pratiques agricoles7,8 Le lien entre agriculture – pollution environnementale – et santé a fait l’objet de nombreux rapports soulignant les impacts d’une agriculture intensive sur la qualité de l’eau et des sols et les conséquences souvent négatives à moyen et long terme de ces pratiques sur la santé des animaux, des écosystèmes et de l’Homme. Au sein de l’INRA, les liens environnement – santé ont également été identifiés comme priorités de recherche depuis plusieurs années Diverses animations scientifiques ont été organisées: 1) un colloque, en décembre 2014, sous l’égide d’Allenvi, associant étroitement Irstea et Anses, sur le thème « Pesticides, écotoxicologie et exposition environnementale » ; ce colloque avait pour vocation à renforcer la contribution de la recherche, notamment dans les environnements agricoles, à l’Initiative Française pour le Recherche en Environnement Santé (IFRES), à une montée en gamme de démarches intégratives, allant des activités agricoles aux contaminations des écosystèmes terrestres et aquatiques et à l’impact sur la santé humaine ; 2) un séminaire en interne à l’Inra destiné à assurer le suivi de l’initiative précédente ; 3) un échange avec le ministère en charge de l’environnement, avec pour objectif de mieux lier recherches et politiques publiques. L’encadré 1 résume les résultats des réflexions issues de ces initiatives et montre à la fois les axes privilégiés et les points sur lesquels des développements restent à réaliser. Car si les impacts environnementaux des pratiques agricoles adoptées dans des modèles de production, qu’ils soient conventionnels ou alternatifs, font l’objet de nombreux travaux, l’intégration, dans la conception et l’évaluation des systèmes de production, de la dimension de santé associée à ces impacts environnementaux, reste émergente et encore peu « visible » en tant que telle au sein de l’INRA. Dans ce contexte, on identifie 4 grands enjeux de recherche :     Le premier se situe dans le champ de l’écotoxicologie et concerne les nouvelles voies de progrès dans l’analyse des expositions multiples et la caractérisation des dangers, par l’analyse des effets induits par les contaminations environnementales à différents niveaux d’organisation du vivant. Le deuxième concerne la relation entre pratiques agricoles – contaminations environnementales – exposition des individus et des populations - impacts de santé. Le troisième enjeu concerne les effets sur la santé humaine associés aux impacts de l’activé agricole sur les écosystèmes. Le quatrième concerne l’intégration et la hiérarchisation des divers facteurs de risques, via l’environnement et les aliments, qui affectent la santé des individus et des populations. Cette section s’appuie largement sur les rapports du GT « Toxicologie et Ecotoxicologie ». Les réflexions au sein de cet ARP se sont centrées sur les dimensions chimiques des impacts environnementaux de l’activité agricole, les dimensions microbiologiques incluses dans les approches de type « One health » ayant été traitées dans d’autres groupes de travail. 7 8 30 4.1. Progresser dans la mesure des expositions et des dangers associés aux contaminations environnementales : rapprocher exposome et toxome D’un point de vue (éco)-toxicologique, des questions de recherches ont vu le jour en matière d’expositions multiples ou de risque chronique, ou soulignant le manque de données sur des familles de contaminants récemment apparues ou prises en compte, ou encore face à des susceptibilités nouvellement décrites en regard de dangers historiques ou nouveaux. Concernant l’exposition des populations via l’environnement, peu ou pas de données ne sont encore disponibles concernant bon nombre de substances d’origine anthropique9. Pour ce qui a trait aux dangers, le caractère (éco)-toxique des contaminants est généralement étudié par ses effets sur un individu et molécule par molécule, en conformité avec les exigences réglementaires. Cette approche est indispensable pour connaître le profil (éco)-toxicologique d’un élément chimique donné et déterminer les seuils de dangerosité à partir des relations doses-réponses. En revanche cette approche ne permet pas d’apprécier les risques des mélanges et notamment ceux de substances n’ayant aucune activité délétère propre mais qui peuvent révéler, et/ou potentialiser l’action néfaste d’autres molécules. Compte tenu du nombre presque infini de combinaisons possibles de produits chimiques auxquels l’Homme et son environnement peuvent être exposés, il est indispensable d’une part de développer des critères de sélection pour définir les mélanges potentiellement préoccupants et d’autre part de développer des outils permettant la réalisation de tests à haut débit capables de renseigner les caractéristiques (éco)toxiques des substances seules ou combinées. Le concept d’« exposome » a été élaboré pour construire une vision intégrée de tous les facteurs nongénétiques impliqués dans l’apparition des maladies et prendre non seulement en considération les diverses sources de pollution (chimique, biologique, physique) mais également l’exposition aux médicaments, au stress (psychologique ou socio-économique), aux nuisances, et aux interactions entre ces différents facteurs Il offre ainsi une vision réellement multidimensionnelle des relations entre environnement et santé. Ce concept unificateur, en vraie rupture avec les approches traditionnelles est devenu aujourd’hui possible grâce aux progrès en matière de biomonitoring, tendant vers le haut débit, au développement de biosenseurs multiples et aux capacités de traitement et d’interprétation de données massives. Ces progrès constituent un atout précieux dans la caractérisation de la multi-exposition et dans la problématique des mélanges, en identifiant les interactions possibles, en particulier les potentialisations et synergies. En effet cette problématique doit pouvoir définir les mélanges à étudier en priorité et cette hiérarchisation suppose une bonne connaissance de leur occurrence dans l’environnement et chez l’Homme. Les relations entre les propriétés moléculaires des pesticides et leur devenir dans l’environnement font l’objet de travaux méthodologiques qui demandent à être développés méthodes de prédiction in silico, notamment les QSAR (Relations « structure-activité » quantitatives) et les approches TyPol qui visent à mieux prédire le devenir des composés organiques à partir de leurs propriétés moléculaires (Mamy, 2018). 9 31 Appréhender l’exposome chimique et de ce fait la multi-exposition, revient à caractériser l’exposition à l’échelle populationnelle et individuelle en prenant en compte, de façon dynamique, la contamination des milieux environnants et celle des tissus et fluides biologiques qui peuvent être prélevés non seulement chez l’Homme, mais également chez des espèces sentinelles. Cette approche nécessite de concevoir des plans d’échantillonnages capables de mettre en cohérence le milieu de vie et l’imprégnation, et de disposer de méthodes d’analyse performantes, privilégiant le haut débit et la détermination simultanée d’un nombre élevé d’analytes. Outre les informations sur les sources de contamination de l’Homme qu’elle permet d’obtenir, cette démarche intégrant l’analyse des matrices environnementales et humaines est aussi le moyen d’identifier des contaminants jusque-là ignorés (identifications de polluants environnementaux nouveaux et de leurs produits de transformation). En matière de relation environnement-santé, la notion d’exposome prend tout son intérêt dès lors qu’elle est reliée à un phénomène (éco)-toxicologique comme illustré dans le schéma 4. La notion d’AOP (pour Adverse Outcome Pathway) intègre l’ensemble des évènements moléculaires et cellulaires qui lient l'exposition à des produits chimiques aux perturbations d’un organisme, d’un individu, d’une population ou d’un écosystème (Figure 2). Figure. Les différentes voies des expositions chimiques des populations et des écosystèmes : conséquences (éco)-toxicologiques (voir prospective Approches prédictives en Biologie et Ecologie, d’après Escher et al., 2017) Ce concept vise à mieux utiliser les données relatives aux sources, transferts et transformations dans l’environnement et dans les organismes, pour comprendre et prévoir les effets indésirables des agents chimiques ou des toxines. La plupart des exemples qui appliquent ce concept d’AOP à l'évaluation des risques sont limités à des produits chimiques pris individuellement, et sans prise en compte explicite effets combinés résultant des facteurs de stress non chimiques et des mélanges chimiques. Passer des AOP linéaires aux réseaux d’AOP serait un pas de plus vers l'idée d'intégrer à la fois l'approche « exposome » 32 et le concept d’AOP afin d’élargir l’approche au-delà des produits chimiques simples pour inclure l'effet de mélanges mais aussi des facteurs de stress chimiques et non chimiques. L’exposome n’étant pas limité à l’exposition aux contaminants chimiques mais à la manière dont l’individu y est exposé, il convient de disposer de capteurs et de biosenseurs capable de renseigner le mode de vie des individus, en particulier leur activité physique et leur comportement, de mesurer leur exposition aux radiofréquences et aux rayonnements, de tracer les évènements susceptibles d’entrainer un stress. Ces informations s’ajoutent aux évènements de santé et informations médicales collectées tout au long de la vie. La collecte de données doit être particulièrement fournie au cours des périodes de vulnérabilité de la vie d’un individu (les périodes pré- et post-natales sont les fenêtres d’exposition à privilégier) et pour certaines situations d’expositions sur lesquelles l’INRA est particulièrement légitime (agriculteurs, voisinages). A ces biomarqueurs d’exposition doit s’ajouter une meilleure connaissance des effets toxiques et des perturbations biologiques qui ont in fine un impact sur la santé. Des travaux académiques portant sur les mécanismes d’actions d’un nombre limité de substances toxiques voient le jour chaque année. Beaucoup d’entre eux reposent sur des approches à haut débit, dites globales, telles que la transcriptomique et la métabolomique en particulier, et ont parfois recours à des modèles cellulaires d’origine humaine. Les progrès constants en matière de phénotypage et la diversité des modèles biologiques disponibles aujourd’hui en laboratoire rendent possible la compréhension moléculaire des voies toxicologiques pouvant être activées par des xénobiotiques. Le défi est dorénavant de prédire si cette réponse peut correspondre à celle observée lors d’un désordre physiopathologique et donc d’établir le lien, par des approches bioinformatiques, entre le toxome (ensemble des voies de toxicité) et les signatures obtenues au cours d’un processus pathologique chez l’Homme. L'identification et la caractérisation de ces voies toxicologiques conduisant in fine à un effet adverse chez l’individu ouvrent de nouveaux horizons en matière de toxicologie prédictive et d’évaluation du risque. La réduction des incertitudes concernant l’extrapolation « système in vitro-homme » dépend à la fois du nombre et de la qualité des données mais aussi de l’interprétation de ces données (intégration de critères toxico-cinétiques dans les modèles, différences entre réponse adaptative et effet adverse). Elle requiert des efforts en matière de validation des modèles biologiques utilisés (incluant les cultures 3D) mais également de développements mathématiques et bioinformatiques pour tirer meilleur parti des jeux de données obtenus et tendre vers une meilleure prédictivité des risques sanitaires et environnementaux. Ces mêmes recommandations s’appliquent à la combinaison des données provenant de l’exposome et du toxome. Ces progrès en matière attendus en matière d’exposition multiples et de caractérisation des dangers associés à divers contaminants environnementaux constituent un point de passage indispensable à l’évaluation des impacts de santé de l’activité agricole. 33 4.2. Progresser dans la quantification des risques de santé induits par les impacts environnementaux de l’activité agricole Une majorité des contaminants détectés dans les milieux aquatiques sont directement ou indirectement liés à l’agriculture (UNESCO 2017), mais il existe peu de démarches intégrées qui appréhendent le transfert, les transformations biotiques et abiotiques et les expositions jusqu’à l’Homme. De plus, les études visant à mesurer les expositions multiples et leur impact sur la santé humaine à l’échelle individuelle ou populationnelle sont encore peu développées. En outre, de grands enjeux demeurent tels que l’évolution des expositions en lien avec les pratiques de recyclage (économie circulaire...), le développement plus large de méthodes d’analyse du cycle de vie, l’amplification possible des effets du fait des changements globaux, notamment climatiques, dans la dynamique des contaminants et la sensibilité des organismes. Etablir les effets de santé des impacts environnementaux de l’activité agricole implique de connecter différentes approches (voir schéma 5). Pratiques agricoles • • • Flux de contaminants chimiques (air, eau, sol) Services écosystémiques • • Diversité des systèmes agricoles et dispersion d’agents pathogènes • Agencement spatial des biotopes Contaminants et espèces indésirables • Qualités des produits agricoles Effets de santé humaine • Expérimentations (ex : essais longue durée, DEPHY) Observations (ex OZCAR, AnaEE, Zones Atelier, Réseau ECOTOX…) Modélisation (ex pesticides MIPP pour aller vers AEP agrégés multi-compartiments) ACV (Means) AGB • • • • Observation / Biomarqueurs/Cohortes (ex Pélagie) Modélisation (ex BROWSE) ACV (ex Fantke et Jolliet) Exposition professionnelle (Irstea) Expositions populations • • • • • Expositions autres (Aliments-régimes…) Epidémiologie/cohortes Modélisation (appliqué à l’épidémiologie ou à la toxicologie) Risques relatifs (ex particules atmosphériques) Toxicologie analytique et prédictive Mécanismes d’action (AOP) Effets de santé (pathologies, DALYs…) Schéma 5. Objets des recherches reliant pratiques agricoles – environnement - santé 34 Flux de contaminants associés aux pratiques agricoles En matière d’impacts des contaminants chimiques émis dans l’air, l’eau ou les sols sur la santé humaine (flèche de droite du schéma 5), le premier maillon concerne la caractérisation des flux de contaminants dans les différents compartiments (eau, air sol) induits par les pratiques agricoles. Les difficultés sont nombreuses. Les voies d’expositions sont multiples, directes (inhalation, eau potable) et indirectes via le sol (plante, animaux) et l’eau (poissons). Les composés chimiques sont nombreux et tous les compartiments sont potentiellement concernés (eau, sol, air). Les liens entre pratiques agricoles et contaminations sont complexes du fait de la temporalité des dynamiques en jeu (legs à long terme dans sols, les nappes…). Certains compartiments, comme le sol, restent peu ou pas suivis. La contamination par voie atmosphérique est encore mal mesurée et mal évaluée. Cette voie de recherche reliant l’activité agricole (occupation des sols, assolements et bordures de champ, systèmes de culture incluant les pratiques relatives à la santé des plantes et des animaux) et émissions de contaminants, et cela dans une perspective de santé, suppose de croiser dans la surveillance divers compartiments de l’environnement en y incluant des niveaux d’analyse plus fins que ceux souvent utilisés, notamment sur les systèmes agricoles et les pratiques associées. Celles-ci étant très différentes selon les systèmes agricoles, les spécifier de manière détaillée (itinéraires techniques, calendriers, matériels, réentrées de champs...) est un premier défi pour mieux évaluer l’exposition, nécessaire à l’estimation du risque, notamment chez les agriculteurs et les populations riveraines. La quantification des flux de contaminants issus de l’activité agricole mobilise différents types de méthodes et de sources de données, issues de réseaux d’observations et d’expérimentations. Au niveau environnemental, certaines infrastructures s’organisent pour répondre aux problématiques d’écotoxicologie (Mougin et al., 2015). Ainsi, l’infrastructure de recherche AnaEE-France (Analyse et Expérimentation pour les Ecosystèmes) offre également des dispositifs expérimentaux allant des conditions contrôlées, semi-contrôlées à naturelles. Parmi ceux-ci, le SOERE PRO est dédié à la problématique des produits résiduaires organiques et aborde la question des contaminants. L‘INRA dispose par ailleurs de nombreux essais agronomiques de longues durée qui pourraient être mobilisés pour des approches relevant du Nexus. Enfin l’INRA copilote RECOTOX, une initiative inter-infrastructure en éco-toxicologie pour suivre, comprendre et réduire les impacts des pesticides dans les socio-agroécosystèmes (Clobert et al., 2018). Son ambition est d’être un incubateur de projets pour la communauté des écotoxicologues et initier des synergies entre les équipes de recherche, en interne et en externe (EcoHealth, sciences participatives…), en apportant une plus-value aux infrastructures existantes (LTSER-ZA, OZCAR, AnaEE-F, RARe). RECOTOX s’appuie sur un réseau de sites expérimentaux et d’observatoires au niveau national. Des modèles de recherche ont été développés pour estimer les dynamiques vers les nappes et cours d’eau et vers l’atmosphère de la contamination, 1) à différentes échelles spatiales (parcelle – continent), l’exposition assemblant de facto toutes ces échelles et associant donc des cocktails aériens de diverses sources, et 2) à différentes échelles temporelles, incluant des moments de forte émission (application), à des moments de multiples mais faibles expositions. Le modèle MIPP sur l’atmosphère (voir Schéma XX) 35 porte sur les flux de pesticides dans les paysages agricoles. Des modèles simplifiés doivent être élaborés à partir de ces travaux pour évaluer les expositions hétérogènes dans le temps et l’espace des populations, en particulier des populations riveraines des espaces agricoles. Les méthodes d’analyse de cycle de vie (ACV-plateforme Means Inra-Cirad) et les données qui en sont issues (BDD Agribalyse) fournissent aussi des éléments de quantification des flux de contaminants associés aux pratiques agricoles. Schéma 6. Composantes du modèle MIPP pour l’évaluation des flux de pesticides dans les paysages agricoles Des flux de contaminants à la mesure des expositions Le deuxième maillon porte sur les relations entre les flux de contaminants et les expositions auxquelles sont soumis divers types de populations - agriculteurs, populations résidentes, populations sensibles (par exemple, femmes enceintes) ou population générale. De nouvelles approches de modélisation ont été développées ces dernières années (Lammoglia et al., 2017) pour évaluer et comparer les impacts de systèmes de culture innovants réduisant l’utilisation des pesticides sur la santé de l’environnement et de l’Homme (voir Schéma 6). Elles permettent de quantifier des niveaux d’exposition à un ensemble de produits de traitements des plantes selon les niveaux et types d’applications. Le modèle BROWSE, par exemple, a été développé dans ce cadre pour mesurer les risques de dépassement de seuils d’exposition acceptables de populations résidentes (Schéma 7). 36 Schéma 7. Articulation des différentes étapes pour l’évaluation des impacts environnement et de santé de systèmes de culture (Mamy et al., 2018) D’autres approches basées, là encore, sur les Analyses de Cycle de Vie (ACV) ont été développées dans diverses équipes européennes (Fantke et Jolliet , 2016 ; Fantke et al., 2012) Les modélisations utilisées permettent de calculer les expositions à divers contaminants des populations, résidentes ou non, selon les pratiques culturales adoptées (systèmes à bas intrants, sans herbicides, conventionnels…) et cela pour diverses voies d’exposition (inhalation, exposition dermique…). La mesure des expositions peut aussi reposer sur la mobilisation de données de cohortes épidémiologiques dans lesquelles des prélèvements biologiques sont réalisés. Par exemple, en connectant des données localisées d’utilisation de pesticides et des prélèvements biologiques au sein de la cohorte Pélagie, des travaux ont permis de quantifier les niveaux d’expositions à divers contaminants environnementaux dans une population de femmes enceintes (Chevrier et al., 2011 ; Chevrier et al., 2014 ; Viel et al., 2015). Des expositions à la caractérisation des impacts de santé Le troisième maillon concerne la caractérisation et la quantification des impacts de santé associés aux expositions à des contaminations environnementales. Les travaux mentionnés ci-dessus en matière de caractérisation des expositions multiples et de toxicologie prédictive s’inscrivent dans cette perspective en s’intéressant à la compréhension des mécanismes reliant expositions et santé. Pour ce qui concerne la quantification des risques, les modélisations mentionnées ci-dessus permettent de quantifier les expositions des populations (agriculteurs, résidents…) et de la comparer à des seuils jugés acceptables. En termes d’incidence de pathologies (mortalité, morbidité, DALY), associées aux contaminations environnementales (et donc au-delà de l’exposition des populations), les démarches restent encore rares, particulièrement à cause du manque de données (risques relatifs) reliant données niveaux d’exposition et d’incidence de pathologies, en raison également du fait que les scientifiques ont une appréhension à concevoir des chaines simplifiées de cause à effet, pour laquelle des maillons 37 comportent encore de fortes incertitudes. On peut mentionner une publication récente qui évalue les impacts en termes d’incidence et de coûts des cancers induits par des expositions aux particules dans l’air (Morellia et al., 2019). Ces travaux restent ainsi peu fréquents, alors qu’ils s’avèreraient très utiles pour conduire des évaluations multicritères ou économiques (coûts-bénéfices) en vue de la comparaison de diverses modes de production agricole. Au total, les travaux conduits à l’INRA sur la relation environnement-santé, particulièrement en lien avec les pratiques agricoles, ont fait l’objet d’avancées réelles au cours des dernières années. Logiquement, les travaux sont plus développés sur les maillons amont (flux de contaminants et quantification des expositions) que sur les évaluations des impacts de santé. A fortiori l’intégration des dimensions de santé environnementale dans les évaluations multicritères et économiques de systèmes de production variés est peu développée et reste à entreprendre. Infrastructures de recherche En matière d’infrastructures, les infrastructures existantes, à condition de pérenniser le soutien dont elles font l’objet, devraient permettent de répondre de façon satisfaisante aux besoins nouveaux dans le domaine de l’exposome chimique et des approches haut-débit nécessaires au phénotypage et à l’analyse des biomarqueurs d’effets. Il apparait en revanche nécessaire de structurer davantage les dispositifs d’analyse concernant les milieux et les écosystèmes. Il conviendra également de répondre aux besoins croissants et complexe de caractérisation et de quantification des nanoparticules dans les matrices biologiques. Les besoins en imagerie en spectrométrie de masse, méthodologie très adaptée aux problématiques d’exposome, de mélanges, de distribution tissulaire et de perturbations biologiques précoces ne sont pas pour l’instant couverts. Au niveau environnemental, certaines infrastructures s’organisent pour répondre aux problématiques d’écotoxicologie (Mougin et al., 2015). Ainsi, AnaEE-France (Analyse et Expérimentation pour les Ecosystèmes offre également des dispositifs expérimentaux allant des conditions contrôlées (Ecotrons), semi-contrôlées (mésocosmes) à naturelles (SOERE). Parmi ces derniers, le SOERE PRO est dédié à la problématique des produits résiduaires organiques et aborde la question des contaminants. L‘INRA dispose par ailleurs de nombreux essais agronomiques de longues durée qui pourraient être mobilisés pour des approches relevant du Nexus. Enfin l’INRA copilote RECOTOX, une initiative en éco-toxicologie pour suivre, comprendre et réduire les impacts des pesticides dans les socio-agro-écosystèmes (Mougin et al., 2018). Son ambition est d’être un incubateur de projets pour la communauté des écotoxicologues et initier des synergies entre les équipes de recherche, en interne et en externe (Eco-Health, sciences participatives…) en apportant une plus-value aux infrastructures existantes (LTSER-ZA, OZCAR, AnaEE-F, RARe). RECOTOX s’appuie sur un réseau de sites expérimentaux et d’observatoires au niveau national. Toutefois, une grande faiblesse du dispositif concerne l’analyse des contaminants chimiques, notamment organiques, dans l’environnement (milieux et biote). Une réflexion serait à mener sur le sujet, en visant la construction d’un outil inter organismes. En matière de lien environnement-santé, des partenariats et collaborations existent déjà avec l’INSERM, l’ANSES, l’EHESP et les Universités Rennaises ou Parisiennes. Il conviendra de les renforcer et d’accroitre 38 l’accès aux cohortes et aux bio-banques d’intérêt. Au niveau environnemental, de nombreux partenariats existent entre l’INRA et IRSTEA Les relations s’étoffent également avec le CNRS. Toutefois, il apparait clairement, aux plans national et international, que la thématique environnement-santé est pilotée par les instances de santé, ce qui nécessiterait de développer les relations entre environnementalistes et l’INSERM. A signaler le rôle moteur au niveau national dans l’animation scientifique en écotoxicologie joué par le réseau ECOTOX, co-porté par l’INRA et IRSTEA. Encadré 1. Le thème Santé-Environnement (Chantal Gascuel, Thierry Caquet) Plusieurs enjeux ont été identifiés dans les séminaires INRA consacrés à cette thématique : 1. Mettre en continuité les communautés environnement et santé dans un cadre conceptuel fédérateur Un cadre conceptuel commun doit être établi pour mettre en continuité deux communautés, celles des processus biogéochimiques et des transferts (sol, eau, atmosphère...) et celles de l’exposition humaine (activité, habitation, régime alimentaire...). Ce cadre doit promouvoir des approches faisant le lien entre ces deux communautés, notamment par des indicateurs pertinents permettant de relier pratiques et expositions, dans une vision dynamique : 1) intégration de niveaux d’analyse plus fin des activités agricoles pour permettre mieux analyser les expositions humaines ; 2) développement de modèles QSAR (relation quantitative structure-activité) pour approcher de manière générique l’écotoxicité d’une diversité de produits, de mélanges ; 3) analyse des impacts sur des traits fonctionnels d’espèces cibles et non cibles, sur des indicateurs omiques aptes à détecter des perturbations des réseaux trophiques. 2. Mettre en réseau les sites faisant le lien santé-environnement Un ensemble de bassins versants, de zones ateliers gagnerait à se mettre en réseau pour mieux analyser l’effet d’une diversité de situations selon des gradients de milieu, de paysage, d’usage des produits...à analyser les dimensions spatiales (apport, rétention, émission) et temporelles (effets transgénérationnels...) d’activités, de spéciation, d’effet sur les populations et la biodiversité, afin de mieux évaluer les vulnérabilités et les risques. L’ajout de données sur l’atmosphère, sur la biodiversité avec des outils biologiques standardisés est un enjeu. Sur certains sites, les zones ateliers notamment, il est possible d’analyser des effets de long terme de modifications des pratiques, de paysages. Ces sites peuvent servir à des approches de pré-homologation, ou de vérification a posteriori, d’établissement de modèles. Le SOERE Recotox «Observatoire d’écotoxicologie – toxicologie - pesticides » est né de cet enjeu. Ce dispositif, labellisé SOERE et financé pour 3 ans, est une initiative inter infrastructure qui reste à pérenniser, à mettre en relation avec les initiatives européennes, internationales. Une mise en cohérence des observations sur les différents compartiments, notamment sur l’atmosphère, sur des indicateurs d’impacts (mousses, lichen...). 3. Mieux identifier les pratiques, les réseaux professionnels, leurs représentations et évolutions Les pratiques sont très différentes selon les systèmes agricoles. Les spécifier de manière détaillée (itinéraires techniques, calendriers, matériels, réentrées de champs...) est un premier défi pour mieux évaluer l’exposition. Les représentations sociales, les réseaux professionnels peuvent en constituer des déterminants qu’il faut inclure dans cette analyse des pratiques. Agrosyst, systèmes d’information sur le réseau des fermes DEPHY est un dispositif qui commence à être bien exploité, qu’il faut suivre pour analyser les évolutions des pratiques. Quelles marges d’amélioration par les technologies, par la conception des systèmes innovants, par des approches volontaires? Quels progrès attendre sur les pratiques et les expositions ? Des travaux sont attendus sur les systèmes de culture de demain : quelles conséquences à l’interdiction de plus en plus de produits, quels risques d’exposition en conséquence ? La reconception des systèmes de culture sans ou avec moins de pesticides emmène souvent les filières à se transformer (création, disparition, remodelage des circuits ; cf ARP Agroécologie). 39 4. Renforcer l’évaluation de l’exposition atmosphérique La contamination par voie atmosphérique est importante, cependant encore mal mesurée et mal évaluée. Le développement de la mesure de l’exposition atmosphérique est une priorité, tant sur les sites de recherches que pour des visées de surveillance (référentiel technique). Des modèles de recherche ont été développés pour estimer les dynamiques atmosphériques de la contamination, 1) à différentes échelles spatiales (parcelle – continent), l’exposition assemblant de facto toutes ces échelles et associant donc des cocktails aériens de diverses sources, et 2) à différentes échelles temporelles, incluant des moments de forte émission (application), à des moments de multiples mais faibles expositions. Des modèles simplifiés doivent être élaborés à partir de ces travaux pour évaluer les expositions hétérogènes dans le temps et l’espace des populations, en particulier des populations riveraines des espaces agricoles. La réponse en termes de remédiation peut aussi passer par une agroécologie du paysage (design landscape), incluant de moindres applications, mais aussi une moindre dispersion par des effets de dilution (hétérogénéité), de barrière (coupe-vent...). 5. Vers une approche des risques toxicologiques assemblant différentes expositions Des approches nouvelles sont recherchées pour définir des clusters d’exposition aux pesticides, en relation avec l’environnement, les lieux d’habitation, les régimes alimentaires. Cet assemblage interdisciplinaire peut être différents pour les pathologies rares, évaluées à l’échelle nationale, et les pathologies plus courantes qui peuvent se déployées sur des échelles plus locales (région), mieux informées, prendre en compte des données de l’environnement, sur l’eau par exemple, comme proxy de l’exposition. Ces approches devraient tenter de répondre à des questions relatives à l’exposition selon tel ou tel lieu, tel ou tel régime alimentaire, pour mieux catégoriser les risques. L’interface avec la santé humaine est encore aujourd’hui trop faible. Les travaux en ce sens cherchent notamment à identifier des biomarqueurs d’exposition. 4.3. Explorer la relation agriculture – dynamique des écosystèmes – santé humaine Dans la section précédente, on s’est focalisé sur les relations environnement-santé dues à l’exposition des populations à des contaminants chimiques diffusés dans l’air, l’eau ou les sols. La relation environnementsanté met aussi en jeu, au-delà des contaminations environnementales, l’impact des pratiques agricoles sur dynamique des écosystèmes (flèches de gauche sur le schéma 5). Si beaucoup de travaux s’intéressent à cette relation, son prolongement en matière d’effets sur la santé humaine reste assez peu exploré. Des publications générales mentionnent de multiples effets possibles de la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes sur la santé humaine : effets directs (chaleur, inondations…) et indirects (maladies infectieuses, santé mentale, sécurité alimentaire…) (Li, 2017 ; Naem et al., 2016). Ce sujet abordé, par exemple, dans certains travaux portant sur les PVD qui examinent comment l’agroécologie, sous un vocable d’agro-biodiversité et les pratiques qui visent à la maintenir contribuent à la qualité nutritionnelle des régimes alimentaires, le lien pouvant être fait du fait de leur co-localisation. Au sein de l’INRA, on peut mentionner certains travaux sur le développement d’espèces indésirables (ambroisie), d’espèces envahissantes ou de phénomènes d’eutrophisation (réservoirs d’eau potable, distrophie entrainant le développement de cyanobactéries toxiques). Il existe des exemples en particulier en lien avec les pratiques forestières. On peut aussi mentionner les travaux d’épidémiologie des maladies influencée par l’agriculture à travers son action sur l’agencement spatial des différents biotopes au sein 40 des agroécosystèmes, considérant systèmes agricoles et bordures de champs, et l’implication des animaux de production comme hôte de nourrissage et éventuels réservoirs d’agents pathogènes (tiques). Enfin des travaux existent aussi sur la dispersion des pollens et la santé (Smith et al., 2015 ; Ellis et al., 2015). De façon générale, deux notions peuvent être mobilisées : 1) la diversité des systèmes agricoles, incluant l’assemblage de différents écosystèmes (notion de méta-écosystème) peut induire des effets de dilution des contaminants, des effets de barrières à la dispersion d’agents pathogènes ; 2) les pressions qu’elles soient le fait de contaminants ou de nutriments (notion de stoechiométrie), peuvent conduire à une modification profonde des écosystèmes, incluant le développement d’espèces indésirables, d’espèces envahissantes, avec des effets sur la santé. Le rapport Dorioz, Grimaldi (2014) posaient certaines bases sur les cycles et flux dans les paysages hétérogènes qui pourraient être remobilisés à des fins d’analyse des effets sur la santé. Au total, les relations entre dynamique des écosystèmes, sous l’influence des pratiques agricoles, et les enjeux de santé humaine restent encore peu abordées. Un certain nombre d’éléments seraient néanmoins à prendre en compte. Comme le souligne Duru (2018) à propos de l’exemple des pesticides, leur dispersion dans l’environnement se traduit par des contaminations des eaux et des sols qui affectent la biodiversité et les services associés entraînant un accroissement de la résistance des organismes cibles et une diminution des capacités de régulation des ravageurs, qui en retour conduisent à accroitre les niveaux de traitements appliqués sur les cultures. Ces derniers sont alors susceptibles d’accroitre les niveaux de résidus dans les produits agricoles, affectant la qualité sanitaire des produits qui entrent dans la chaine de production des aliments (et donc la construction des qualités examinée dans la section 3). 4.4. Intégration et hiérarchisation des facteurs de risque alimentaires et environnementaux Via les aliments et les régimes alimentaires (enjeu de recherche 1), d’une part, et les contaminants d’origine environnementale (enjeu de recherche 2), d’autre part, les individus et les populations sont soumis à des expositions multiples qui contribuent à des effets de santé. L’existence de ces différents canaux soulève plusieurs questions. La première concerne les possibles interactions entre les différents types (nutritionnel, microbiologique, chimique) et voies d’exposition (aliment, environnement). La prise en compte des effets expositions aux pesticides via les aliments, l’air et l’eau peut en effet conduire à des hiérarchisations différentes de celles qui découlent d’une évaluation conduite séparément (Kennedy et al., 2019). L’approche en terme d’exposome intègre typiquement ces différentes dimensions, mais les recherches en mesure de caractériser ces interactions et d’évaluer leurs impacts de santé restent rares. Cette question renforce les enjeux méthodologiques et de données soulevés précédemment. La seconde concerne la contribution relative de chaque type et voie d’exposition aux impacts de santé. Pour des évaluations complètes (multicritères, bénéfices-risques ou coûts-bénéfices) de changements possibles dans le fonctionnement du système alimentaire, il faudrait pouvoir décomposer les impacts de santé finaux sur les populations en fonction de ces types et voies d’exposition. Des études récentes (Santé Publique France, 2018) sur l’incidence des cancers évitables semblent indiquer que les facteurs nutritionnels (et donc alimentaires) ont des effets très nettement supérieurs aux facteurs liés à 41 l’environnement et chimiques ou microbiologiques. Mais il est possible que ce soit parce que l’on ne sait pas encore bien attribuer les pathologies observées en population à des facteurs de risques environnementaux. Des réflexions plus approfondies devraient être conduites pour évaluer ce qu’il est possible de faire à l’INRA dans ces directions et le type de collaborations qui pourraient être mis en place avec de partenaires extérieurs. 5. ENJEU DE RECHERCHE 3 : modalités, conditions des changements et accompagnement des transitions au sein du système alimentaire10 Le besoin de développer des systèmes agricoles et alimentaires plus durables fait consensus, mais les déterminants et les moyens de la transition vers de tels systèmes restent matière à débat et à expérimentation. Si les limites de modèle agroindustriel adopté depuis plusieurs décennies apparaissent clairement aujourd’hui (impacts environnementaux et de santé des manières de produire et de consommer), sa très forte cohérence interne rend difficiles des changements à l’un des maillons de la chaine sans poser d’emblée la question de modifications plus globales sur l’ensemble des maillons. Ainsi, par exemple, des changements techniques peuvent concourir à une meilleure maîtrise des impacts de santé et environnementaux des processus de production et de transformation des aliments. Mais les investissements requis peuvent se traduire par des prix plus élevés impliquant, en contrepartie des efforts de montée en gamme, une augmentation de la disposition à payer des ménages pour leur alimentation. Or pour de nombreux consommateurs, même s’ils sont aujourd’hui plus sensibles à ces enjeux de santé et environnementaux, la maîtrise des dépenses alimentaires reste un objectif prioritaire. Cette situation de blocage (lock-in) a été étudiée dans des publications récentes portant sur les trajectoires sociotechniques au sein du système alimentaire (Magrini et al., 2016). Elles mettent en avant le fait que la voie de développement suivie au cours des 30 ou 40 dernières années a progressivement prévalu sur d’autres solutions par des rendements croissants d’adoption (il devient de plus en plus coûteux de sortir de la voie conventionnelle, au fur et à mesure que celle-ci se renforce). Du coup, si des ajustements incrémentaux restent possibles, des modifications plus radicales et systémiques de l’ensemble du fonctionnement du système alimentaire deviennent plus difficiles. Comment alors tenir ensemble amélioration des impacts de santé et environnementaux du système alimentaire, rémunération des efforts et des investissements au sein du système productif, et maîtrise des dépenses alimentaires des ménages (dans un contexte de fortes inégalités sociales) ? Des éléments de solutions et des voies d’innovations existent ou sont expérimentées à différents niveaux, depuis la production agricole (production bio, agroécologie…), la transformation (écoconception…) jusqu’à la Cette section s’appuie largement sur les rapports des GT « Politiques publiques » et « Comportements des acteurs et organisation ». 10 42 consommation (changements de régimes alimentaires). Mais dans quelle vision cohérente et globale des transformations à opérer est-il possible de les inscrire ? Quels peuvent être les moteurs de ces transformations : consommateurs, entreprises (innovations), politiques publiques, ONG ? Dans une certaine mesure, l’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de définir les cibles vers lesquelles tendre (par exemple, en termes de régimes alimentaires) que de déterminer et discuter les modalités par lesquelles atteindre ces cibles. C’est sur cette question des transitions que des recherches doivent être développées. 5.1. Progresser dans la compréhension des comportements des consommateurs, de leurs déterminants et des conditions des changements Des recherches récentes (Poore et Nemecek, 2018) suggèrent que les objectifs à atteindre en termes de santé et environnementaux ne pourront l’être que par des évolutions conjointes des systèmes de production et des modes de consommation. On perçoit des inflexions dans les comportements et les régimes alimentaires, mais l’évolution des préférences des consommateurs peut-elle suffire à créer les incitations requises pour orienter le système productif ? Dans ce contexte, il est important de mieux comprendre les modalités, les conditions et l’amplitude des changements que les consommateurs sont prêts à accepter. Ceux-ci doivent être mieux appréhendés en progressant dans l’analyse de la dynamique des préférences (déterminants et modalités de changement de comportements), des facteurs d’inertie qui empêchent le changement, et des dimensions sur lesquelles peuvent porter les arbitrages et compromis (dispositions à payer, coûts sensoriels…) selon les types de consommateurs. Au-delà des variables-clés que sont les prix et le revenu, les modèles économiques de consommation cherchent à mesurer l’impact des caractéristiques des produits alimentaires sur la demande des consommateurs. Il s’agit notamment de quantifier l’effet de différences de qualité des produits (praticité, sensoriel, sanitaire, environnemental…) sur la demande de ces produits. L’économie expérimentale (en laboratoire ou sur le terrain) permet d’analyser l’effet de l’information et de l’étiquetage ou le rôle des facteurs psychologiques dans les décisions d’achat. Ces travaux sont utiles mais ils doivent être aujourd’hui élargis en privilégiant, non plus seulement l’analyse des arbitrages des consommateurs dans le choix d’un produit A versus un produit B (plus ou moins sain ou durable…), mais en s’intéressant de façon plus globale aux modalités et conditions des changements de régimes alimentaires et des comportements de consommation. Ceux-ci s’inscrivent dans des trajectoires individuelles (cycle de vie) et sociales qu’il faut mieux appréhender. De même il faut mieux comprendre les arbitrages qualité/quantité qui président aux changements de régimes alimentaires, y compris dans leurs composantes économiques : dans quelle mesure, par exemple, le changement de régimes est-il associé à (induit par) l’achat de produits de qualité plus élevés (plus chers) de façon à maintenir plus ou moins stable le niveau des dépenses alimentaires ? Les modalités de la transition dépendent aussi des dynamiques sociales et culturelles dans lesquelles les changements visés dans le domaine alimentaire s’inscrivent, et en particulier de leurs effets sur les différenciations et inégalités sociales. L’analyse des représentations et des pratiques des consommateurs 43 représente un champ de recherche relativement constitué. Les travaux sur la réception des normes de santé et alimentaires diffusées par les autorités de santé, ont montré par exemple, que les classes populaires étaient moins « perméables » aux prescriptions publiques nutritionnelles ou environnementales du fait d’écarts aux pratiques actuelles et d’une moindre confiance dans les sources expertes. Ils soulignent l’importance de promouvoir des solutions qui réduisent les coûts sociaux des transitions en particulier du point de vue de l'équité hommes-femmes et de l'inclusion sociale (pas de stigmatisation, pas de précarisation des parcours professionnels et sociaux…). Mieux comprendre ce qui détermine l’inertie des pratiques, en lien particulièrement avec les diverses dimensions de la différenciation sociale, constitue un objectif important. De même de nombreux travaux s’intéressent aux effets des circuits courts ou des systèmes dit alternatifs sur les pratiques de consommation mais aussi sur les visions de la bonne alimentation et des liens avec environnement et santé. Au fond la question qui est soulevée ici est de savoir dans quelle mesure de tels changements du côté de l’offre (circuits, offre bio alternative…) contribuent eux-mêmes à une évolution des comportements de consommation. 5.2. Progresser dans l’analyse des impacts et de la convergence des politiques publiques Les politiques publiques sont conçues en grande majorité pour faire évoluer les comportements des producteurs et des consommateurs à travers divers types d’instruments : informationnels (campagnes d’éducation, étiquetage…), fiscaux (taxes nutritionnelles, taxe carbone, subventions à la consommation…), réglementaires (standards de qualité, certifications…). Elles relèvent de différents domaines (santé, environnement, agriculture, consommation, concurrence, industrie…) généralement raisonnées séparément. Un positionnement de type Nexus conduit à dépasser des approches en silos pour savoir si elles prennent (ou peuvent prendre) en compte conjointement les différents enjeux. En fait, les politiques publiques reflètent elles-mêmes les antagonismes et les tensions au cœur des enjeux de durabilité. C’est notamment le cas quand les objectifs environnementaux sont antinomiques avec les objectifs de santé, ou quand des groupes d’acteurs sont en désaccord. Comment alors pondérer entre eux les objectifs environnementaux, santé, économiques et sociaux ? Comment faire converger les politiques de santé, environnementales, agricoles et alimentaires ? Comment combiner les différents types d’instruments, souvent mobilisés de façon disjointe, pour favoriser des co-bénéfices santé / environnement ? Il est important d’identifier ou de construire les outils permettant de faire évoluer les politiques actuelles en matière de santé, d’alimentation, d’agriculture et d’environnement, afin qu’elles contribuent de manière cohérente à des objectifs communs de durabilité des systèmes alimentaires, d’efficacité et d’équité. Dans cette perspective, il est important de réexaminer les divers types d’instruments utilisés par les politiques publiques en considérant leurs possibles effets selon ces multiples dimensions : par exemple, évaluer les impacts d’une taxe carbone, non seulement sur les émissions de GES, mais aussi sur des indicateurs de santé publique ; évaluer les impacts des campagnes d’information nutritionnelle ou de la mise en place d’un étiquetage nutritionnel sur le bilan environnemental des consommations alimentaires…). 44 Dès lors qu’ils sont identifiés, comment pondérer entre eux les objectifs environnementaux, nutritionnels, économiques et socioculturels ? Il faudrait plus de travaux pour éclairer ce point central de la juste pondération entre les différents objectifs, qui dépend entre autres de la construction de l’action publique en lien avec le choix social. Quand tout n’est pas strictement conciliable, on conçoit la nécessité de faire des concessions, mais il faudrait développer des approches qui permettent de définir de façon fiable la teneur de ces concessions, autrement dit la hiérarchie qu’il convient d’adopter entre les multiples contraintes et exigences de la durabilité. Cette question du caractère antinomique de certains critères, ou plus exactement de la concurrence entre certains enjeux du Nexus, invite également à poursuivre les recherches sur les controverses et leur rôle dans la construction et la mise en œuvre des politiques publiques. Dans le prolongement des travaux en sociologie des risques, des recherches ont étudié la manière dont émergent des controverses dans les domaines agro-alimentaires, et la façon dont se construit l’intervention publique pour la gestion des risques collectifs. Les cas de la réduction des intrants agricoles (notamment les antibiotiques et les pesticides), le développement de la filière bio sur une grande échelle, ou le développement de nouvelles technologies agricoles sont particulièrement intéressants à développer dans la mesure où ils engagent véritablement les quatre composantes du Nexus. Ils posent à la fois des problèmes de santé et d’environnement et ils interrogent en même temps le fonctionnement des systèmes agricoles et agroalimentaires. 5.3. Evaluation de scénarios de transition et dynamiques offre/demande alimentaires Les recherches économiques sur la demande alimentaire appréhendent les politiques publiques à travers la quantification des coûts et des bénéfices liés aux stratégies et actions des acteurs publics et privés. De nombreux travaux empiriques utilisent des méthodes économétriques, des méthodes d’évaluation de biens environnementaux (évaluation contingente, analyse conjointe) et/ou des méthodes expérimentales pour produire des évaluations quantitatives des politiques publiques, à partir de données d’observations, d’enquêtes ou d’expériences. Une littérature récente combine des approches économétriques des marchés et de la consommation avec des modèles épidémiologiques, afin de livrer une évaluation des impacts de politiques publiques sur l’environnement et la santé. Les modèles économiques actuels présentent néanmoins de nombreuses limites. Ils intègrent très partiellement les préoccupations de santé des consommateurs dans la mesure où les anticipations en matière d’impacts santé des choix alimentaires (ou de qualité nutritionnelle) ne sont pas explicitement intégrées dans les modèles structurels. Autrement dit, les approches actuelles s’intéressent aux impacts épidémiologiques des politiques publiques sans tenir compte des boucles de rétroaction possibles : la santé affecte les choix de consommation tout comme la consommation affecte les choix de santé. Par ailleurs, l’évaluation des bénéfices des politiques publiques intègre peu les « biais de comportement » des consommateurs, qui tiennent une place importante en matière d’alimentation et de santé. D’une façon générale, la connexion entre les dynamiques d’offre, en particulier agricole, et de demande (les régimes alimentaires) reste très difficile. Les modèles utilisés pour formaliser la demande sur la base de nomenclatures suffisamment fines pour représenter les régimes alimentaires supposent généralement des caractéristiques d’offre constantes (par exemple l’évaluation ex-ante d’une taxe nutritionnelle sur un 45 groupe d’aliments ne prend pas en compte les éventuelles améliorations qualitatives qui pourraient être faites par les industriels en réponse à cette taxe). Des avancées récentes permettent d’intégrer dans une certaine mesure les réponses en prix des entreprises (industriels et les distributeurs) à des variations de demande induites par des politiques publiques. Cependant, malgré ces avancées, les modèles intégrant les réactions des firmes restent difficiles à calibrer empiriquement du fait d’un manque de données disponibles. Au-delà de ce problème, ils sont relativement partiels puisqu’ils ne considèrent que les réactions en prix des producteurs/distributeurs, et encore peu les choix sur les autres dimensions du marketing, à savoir la qualité des produits et les promotions des produits. Et pour ce qui concerne la relation à l’amont agricole, elle est balbutiante. A l’inverse les modèles économiques conçus pour évaluer les impacts des politiques publiques sur la production agricole intègrent des représentations fines de l’amont agricole (en particulier pour mesurer des impacts environnementaux) mais des représentations très simplifiées de la demande et des consommations alimentaires et ne permettent pas de simuler des évolutions précises des régimes alimentaires (et le lien à la santé). Cette jonction entre modèles d’offre et de demande, qui serait emblématique d’une approche de type Nexus, reste très difficile et mais constitue clairement une voie de recherche à conduire. Une autre option pour évaluer les conditions d’une dynamique jointe de l’offre et de la demande, réside dans des approches plus qualitatives de conception et de modélisation de scénarios prospectifs de transition, simulant des évolutions simultanées de l’offre (qualité, montée en gamme) et de la demande alimentaires (changements de régimes alimentaires). Sans chercher à endogénéiser toutes les variables d’intérêt, comme le prix ou les qualités, ces démarches pourraient permettre de mieux cerner la contribution relative de changements dans les modes de production et de transformation versus des évolutions des comportements et régimes alimentaires dans l’atteinte des divers objectifs de la durabilité. Les résultats pourraient être intégrés dans des évaluations multicritères ou coûts-bénéfices. Dans cette perspective, des travaux de scénarisation et de mise en cohérence des données et des outils de modélisation développés dans le cadre de la prospective Agrimonde-Terra d’une part, dans celui du GIS « Changement d’Affectation des Sols » pourraient être développés : - L’outil GlobAgri, qui permet de construire des bases de données cohérentes de bilans ressourcesutilisations pour une nomenclature géographique et une nomenclature produits données, et de projeter ces bilans à un horizon donné pourra être élargi dans deux directions. GlobAgri permet déjà de relier, via les bilans ressources-utilisations en équivalent produits bruts, utilisations des terres et d’autres intrants, émissions de GES induites et régimes alimentaires (kilocalories et protéines). En approfondissant la caractérisation de la composition des régimes alimentaires en macronutriments (et éventuellement certains micronutriments), GlobAgri pourrait être couplé avec un module risque santé existant. En second lieu, du côté de la production agricole, GlobAgri pourrait être couplé avec un module eau et un module biodiversité. Ces prolongements de GlobAgri permettraient de mesurer les impacts santé et environnementaux de scénarios d’évolution des systèmes alimentaires nationaux et mondiaux. 46 - Le modèle MATSIM-LUCA est un modèle de marchés et d’échanges de produits agricoles qui pourrait bénéficier de certaines avancées de GlobAgri (en termes de données de calibrage) et qui aurait l’avantage, par rapport à ce dernier, de fournir des indications sur les effets de scénarios d’évolution des systèmes alimentaires sur les prix des produits agricoles et alimentaires, les revenus des ménages agricoles et le bien-être global. De telles informations sont nécessaires lorsque des arbitrages sont à trouver entre différents objectifs et/ou lorsqu’il est nécessaire de hiérarchiser les différentes dimensions de la durabilité. Les scénarios pourraient chercher à tester des modifications incrémentales, par ajustements progressifs des modes de production et de consommation existants, ou des évolutions de de rupture. Des hypothèses de réduction significative des intrants agricoles, de développement sur une grande échelle de la filière bio ou de l’agroécologie ou des schémas alternatifs sur la dimension globalisation/relocalisation seraient importantes à étudier dans la mesure où elles engagent véritablement les quatre composantes du Nexus. Ces démarches pourraient porter sur diverses échelles, y compris l’échelle globale sur laquelle l’INRA reste peu positionné. En fait, les recherches conduites à l’INRA sur les régimes alimentaires portent pour l’essentiel sur le contexte national. Des publications récentes (Springmann et al., 2018 ; Willet et al., 2019) reposent sur des modélisations qui connectent santé et environnement (GES) au niveau global. Les compétences disponibles au sein de l’INRA permettraient de progresser significativement dans ce domaine à forte visibilité internationale. Il y a là un enjeu majeur d’élargissement et de changement d’échelle pour l’analyse des évolutions de régimes alimentaires et de leurs impacts aux niveaux européen et global. 5.4. Contribuer à la conception/évaluation de systèmes agricoles et alimentaires innovants et à l’accompagnement des transitions Comme on l’a noté à diverses reprises, l’existence de fortes interdépendances entre les manières de produire, transformer et consommer impose des évolutions systémiques et cohérentes des comportements des acteurs au sein du système alimentaire. L'ampleur et la portée de la transition vers la durabilité impliquent des changements profonds, le plus souvent pour une diversité d’acteurs de l’agriculture, de la transformation et de la distribution, mais aussi des consommateurs, ce qui suppose de nouveaux arrangements entre les dimensions écologique, économique et sociale. Compte-tenu de l'importance et la complexité des changements requis, la question centrale est de savoir comment soutenir le processus de transition des systèmes alimentaires, en prenant en compte ces nouveaux défis ? Un premier élément réside dans l’évaluation comparée et multicritère de différents systèmes agricoles. Diverses formes d’agriculture ont été distinguées (Thérond et al., 2017) selon le recours à des modes de production recourant plus ou moins à des inputs externes vs. exploitant les régulations écosystémiques, et selon le type d’intégration sur les marchés. Quels sont, à l’aune d’un objectif de santé globale, les coûts et les bénéfices associés au déplacement d’une forme à l’autre ? L’intérêt d’une telle recherche serait d’intégrer autant que possible les dimensions de santé et environnementales, en tenant compte des effets induits sur l’ensemble des composantes identifiées dans sections relatives aux enjeux de recherche 1 et 2. 47 Il serait également important de développer des recherches-action dans des contextes de production particuliers pour contribuer à la conception des systèmes agricoles adaptés. Les transitions agroécologiques et alimentaires appellent un besoin d’innovation dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement, de la transformation de la biomasse et de la consommation des produits. Pour y répondre, la mise en œuvre de processus de conception, c’est-à-dire des processus actifs, structurés autour d’une intention relative au futur impliquant des raisonnements spécifiques est nécessaire. Recherches participatives et innovations couplées Dans cette perspective, des approches participatives, comme l’initiative IDEAS11 (Brun et al., 2019), peuvent s’avérer utiles pour développer des travaux de recherche sur et pour la conception innovante de systèmes alimentaires sains et durables, de les articuler avec la production et la mise à disposition de ressources destinées à faciliter de tels processus de conception et de former différents publics à cette activité de conception. Organiser ces processus de façon interactive pour créer simultanément de nouveaux produits, technologies, services, ainsi que leurs marchés et leurs usages est un challenge. Ces démarches participatives peuvent concerner la conception d’innovations couplées et impliquer simultanément des acteurs de la production agricole et de la transformation industrielle (Meynard et al., 2016). Ce couplage nécessite un processus de conception innovant remettant en question la séparation habituelle de l'exploration des innovations dans ces deux domaines et la construction de nouveaux réseaux d'acteurs. Les recherches doivent produire des connaissances sur les processus de conception et leur gouvernance dans des contextes multi-acteurs de façon à (i) encourager une réflexion holistique dans les institutions pour prendre en compte la nature complexe et adaptative des systèmes que ces institutions gèrent ou devraient gérer; (ii) encourager l'apprentissage institutionnel adaptatif, collaboratif et centré sur de multiples échelles, ce qui peut aider à la prise de décision, à changer les perceptions et les normes, et à galvaniser l'action collective ; (iii) élargir la participation des parties prenantes concernées dans les institutions pour renforcer la légitimité de la gouvernance des systèmes, améliorer la collecte d'informations et l'apprentissage des systèmes, et renforcer la prise de décision, en particulier en réponse au changement ; (iv) promouvoir une gouvernance basée sur plusieurs organes de décision autonomes et coordonnés. Le défi pour la recherche est de tester la pertinence de ces principes, notamment en mobilisant le cadre d’analyse de la santé globale, et ce tant pour les niches en émergence ou à consolider que pour les hybrider avec le régime sociotechnique dominant pour accroitre sa durabilité. Le territoire comme niveau possible de la reconnexion santé-environnement-agriculture-alimentation Enfin, il ressort clairement de recherches récentes la nécessité de développer des démarches d’aide à la conception et l’évaluation de systèmes alimentaires, de la production à la consommation, au niveau territorial. IDEAS (Initiative for design in agrifood systems) : une structuration des recherches franciliennes sur la conception des systèmes alimentaires (Brun et al., 2019) 11 48 Des travaux sur les mécanismes de transition écologique à l’échelle des territoires ont montré comment ces mécanismes résultaient de l’engagement des différents maillons des systèmes alimentaires locaux (production, pratiques de consommation, développement agricole, politiques locales, actions citoyennes etc.) dans une redéfinition de leurs interactions et interdépendances (Lamine et al. 2015; Chiffoleau, Loconto, 2018). D’autres travaux montrent le rôle croissant des acteurs des villes dans la prise en compte des enjeux de santé et la définition de systèmes alimentaires urbains durables. De nombreuses initiatives d’acteurs publics constituent des leviers d’action territoriaux (Plans alimentaires territoriaux, évolutions de l’approvisionnement de la restauration collective…) qui sont à l’intersection des dimensions agricoles (et foncières), alimentaires, environnementales et de santé. Ces initiatives, portées par des acteurs publics et privés, suggèrent que des transformations impliquant les diverses composantes du Nexus se développent au niveau local. Cette échelle semble permettre non seulement d’engager la diversité des maillons ou acteurs concernés, mais aussi d’analyser conjointement les processus sociaux, de santé et écologiques. Qu’en est-il réellement et sous quelles conditions ces dynamiques alimentaires et environnementales locales sont-elles en mesure de faire émerger des solutions durables ? La santé est-elle un enjeu transversal mobilisateur à l’échelle territoriale, permettant de reconnecter les enjeux alimentation, agriculture et environnement ? Quelle peut être la contribution de ces dynamiques territoriales à l’atteinte des objectifs de santé et environnementaux ? Dans ce contexte, les multiples expérimentations conduites aux niveaux local et régional (voir TIGA Dijon, Métropole Montpellier…) doivent être suivies et évaluées pour déterminer dans quelle mesure, et sous quelles conditions, cette échelle peut être le lieu de la connexion environnement-santé. 6. Modélisation et données L’ensemble des thématiques décrites ci-dessus soulève des enjeux en matière de données et de modélisation. Ceux-ci sont décrits dans chacun des rapports de GT et de façon plus transversale dans le rapport du GT Modélisation12. Les questions de modélisation qui émergent du « Nexus Santé » recouvrent évidement les aspects « données », « dires d’experts » et « calcul » inhérents à toute modélisation. Avec un sujet prospectif aussi large que celui du « Nexus Santé », la modélisation apparaît comme une discipline indispensable pour relier les 4 piliers santé-agriculture-environnement-alimentation. Les modèles sont des outils conceptuels décrivant/synthétisant les relations entre des variables d’intérêts (pour les modèles phénoménologiques/statistiques) ou le comportement dans le temps et/ou dans l’espace d’un système formé d’entités, souvent hétérogènes, en interaction (pour les modèles mécanistes). Ils permettent de coupler des processus survenant à différentes échelles organisationnelles 12 Voir Rapport du GT Modélisation (I. Albert, E. Vergu, J. Dallongeville. Alban Thomas) 49 (individu, population, métapopulation par exemple), temporelles (dynamiques lentes ou rapides) et spatiales (locales ou à plus grande échelle), de considérer des comportements adaptatifs et des boucles de rétroaction, et d’intégrer des connaissances et données de nature hétérogène (par exemple, agricoles, épidémiologiques et économiques). Leurs principaux rôles sont de : contribuer à la compréhension des phénomènes qu’ils décrivent (en permettant la validation ou la formulation d’hypothèses sur le fonctionnement des systèmes modélisés) ; permettre l’estimation de paramètres-clés ayant des interprétations directes dans le contexte de l’étude (à partir de données) ou d’efforts à fournir en entrée pour atteindre un objectif donné (en optimisation de scénarios) ; générer des prédictions pour des horizons temporels non observés et/ou pour divers scénarios d’intérêt. Les enjeux de modélisation pour le « Nexus Santé » sont à la fois cognitifs et finalisés. D’un point de vue cognitif, il s’agit certainement de faire progresser la discipline dans l’intégration de connaissances et données pluridisciplinaires en intégrant au moins trois critères finaux d’intérêt (la santé des écosystèmes, des animaux et des hommes). Ces modélisations intégrées/systémiques avec des critères d’intérêt (visant l’objectivité) doivent avoir pour but de décrire l’état des lieux actuel de pratiques ou d’optimiser des changements, selon leur durabilité sanitaire et environnementale (animaux et écosystèmes). Les questions méthodologiques liées à la modélisation intégrative peuvent se décliner sur plusieurs points : - Les aspects multi-échelle (modèles dynamiques, stochastiques, en grande dimension – grand nombre de variables/paramètres) : conception (quels hypothèses/mécanismes essentiels ?, quelles variables/métriques d’intérêt ?) et simulation et/ou inférence efficace de ces « gros » modèles ; - Les aspects liés à la coexistence de modules (sous-modèles) décrivant des processus de nature variée (par exemple, des modèles agronomiques, économiques et de comportements d’acteurs) : couplage, boucles de rétroaction ; - Les aspects liés à la gestion de l’incertitude : analyse de sensibilité/incertitude des sorties du modèle global aux paramètres (nombreux et souvent peu connus), problème de gestion d’entrées corrélées, de sorties dynamiques et/ou stochastiques ; - Les aspects liés à la complexité du modèle : modèles non-linéaires, réduction/simplification suite à une analyse de sensibilité ou par méta-modélisation (modèle sur le modèle) ; - Les aspects liés à l’optimisation multicritère ou modèle multivarié en sortie. D’un point de vue finalisé, tout objet d’étude qui prendrait en compte les 4 piliers du Nexus est éligible à la modélisation intégrative. Naturellement, les modélisations « de la fourche à la fourchette » visant à analyser une chaîne d’évènements de la production à la santé humaine sont particulièrement intéressantes car elles pourraient intégrer relativement facilement les impacts environnementaux dans la chaîne. Dans ce cadre, les modélisations qui quantifient les risques et bénéfices pour la santé humaine liés à l’alimentation pourraient être un point de départ à l’inclusion d’impacts environnementaux de certaines pratiques. Dans ce contexte, des approches avec une même métrique pour les risques et bénéfices (par exemple, monétaire et DALY, QALY) sont déjà étudiées et pourraient bénéficier d’un nouvel éclairage par la prise en compte de la dimension environnementale du Nexus. La métrique commune apparaissant 50 parfois trop réductrice, les approches modélisatrices multivariées considérant plusieurs sorties (dimensions) du modèle, chacune dans son unité, sont aussi pertinentes et laissent au gestionnaire ou citoyen le choix de la dimension à privilégier (humaine, animale ou environnementale) selon les sorties des modèles et leur incertitude/variabilité associée. En agriculture et en économie, on pourra penser aux modélisations de l’organisation de systèmes de culture dans l’espace et le temps améliorant les 3 piliers Santé du Nexus à des fins d’outils d’aide à la décision. En santé animale, on pourra vouloir répondre à l’enjeu de produire sain pour l’Homme avec des animaux sains dans un contexte de ressources contraintes (limitant les intrants) ou de soutenir un élevage durable et sain intégré dans un agroécosystème complexe. En modélisation épidémiologique animale, l’enjeu de comprendre les dynamiques épidémiologiques spatio-temporelles et multi-échelles et de prédire ces dynamiques en situation de ressources contraintes qui aboutiraient à une alimentation saine pour l’Homme (modélisation intégrative reliant maladies infectieuses et sécurité alimentaire : prise en compte du statut nutritionnel des hôtes et des changements environnementaux). En économie et écologie, il peut s’agir d’une évaluation économique d'un changement de pratiques, couplage de modèles économiques et écologiques pour évaluer l’effet de politiques publiques sur l’usage des sols agricoles, les performances du paysage en termes de production et de protection des cultures. Acquisition et gestion des données De façon générale, la modélisation pour le Nexus implique de collecter et de travailler avec des données très hétérogènes (biologiques, écologiques, individuelles, globales, etc.) et marquantes sur certains compartiments (secteur de la transformation, de l’agroalimentaire, des pertes et gaspillages par exemple). L’entrée des données est très différente selon les disciplines (par l’aliment, l’écosystème, l’agriculteur, etc.). D’une façon générale, on perçoit plusieurs types de besoins :  Elargir les bases de données disponibles. Par exemple, il serait utile d’augmenter les accès aux bases de données de surveillance et établir un dialogue avec les gestionnaires des données pour obtenir des données sur des variables spécifiques, les liens sous-jacents entre les données. Autre exemple, le développement de méthodes et d’outils pour recueillir des données de consommation hors domicile pour une population représentative de la population française et les données de l’offre de produits de la restauration hors foyer.  Regrouper les bases de données sur des plateformes ou entrepôt de données dédiés (par exemple à partir des PF Maelia, Means, InfoSol pour les données environnementales et de production ; sur la PF alimentation pour ce qui concerne les consommations alimentaires et les caractéristiques des produits finaux…).  Développer des méthodologies de compilation de données hétérogènes (toxicologiques, nutritionnelles) au niveau d’aliments génériques et développer des outils d’appariement pour faciliter le croisement des bases de données. 51 7. CONCLUSION Les relations entre le système alimentaire et la santé mettent en jeu de multiples voies d’action qui concernent l’ensemble des activités, depuis la production agricole jusqu’à la consommation finale. Considérer la santé (globale) comme moteur possible de la transformation du système alimentaire nous a conduits à mettre en avant des recherches visant à (i) mieux comprendre les liens entre les divers mécanismes qui, via la production et la consommation alimentaires, la dynamique des écosystèmes et les pollutions de l’air et de l’eau, affectent la santé humaine sur différentes échelles d’espace et de temps, et (ii) caractériser et évaluer les leviers (innovations, politiques publiques, comportements d’acteurs) susceptibles de rendre possibles les transitions requises pour améliorer les impacts du système alimentaire sur la santé globale. Les recommandations en matière de positionnement et de collaborations internationales sont développées dans les rapports des GT. Comme elles sont assez spécifiques selon les thèmes retenus, on ne les redéveloppe pas ici. Certaines des pistes de recherche identifiées croisent d’autres initiatives transversales de programmation et d’animation scientifiques. Parmi les domaines qui sont à ce stade peu couverts par des actions d’animation transversale, on mentionnera deux grandes thématiques. Les relations agriculture-environnement-santé des écosystèmes/santé humaine L’amplification des recherches reliant environnement et santé est un enjeu majeur déjà identifié à l’INRA et dans d’autres instances (programmation commune Allenvi-Avisan). Pour progresser dans ce sens, il faut poursuivre le rapprochement entre les communautés travaillant sur le continuum agricultureenvironnement-santé des écosystèmes/santé humaine. On a souligné la nécessité de renforcer la mise en réseau et le fonctionnement de dispositifs et de ressources déjà existants, tout en contribuant à leur évolution : plates-formes analytiques et informatiques (modélisation, bio- et éco-informatique…), bases de données, Centres de Ressources Biologiques et collections, dispositifs expérimentaux, sites naturels sur le long terme. On a aussi souligné l’importance de poursuivre l’effort de rapprochement des diverses communautés concernées, de manière à s’accorder sur un cadre conceptuel commun, mieux mettre en continuité les réseaux de production de données (réseau d’observations et d’expérimentations, cohortes épidémiologiques) et les modèles développés à chaque étape (variables de passage d’un type de modèle à l’autre). 52 Cet enjeu de rapprochement des communautés a déjà été identifié à diverses occasions au sein de l’INRA. Ainsi, il ressortait du séminaire « Pesticides, écotoxicologie et exposition environnementale » (2014) la nécessité de relier deux approches : « La première porte sur les agroécosystèmes dans leur bassin versant, leur territoire, couplant dans l’espace et le temps des activités liées aux agrosystèmes et les milieux dans lesquels ils s’insèrent (sol/atmosphère/milieux aquatiques). Elle vise à analyser l’état et la dynamique d’évolution des milieux sur le plan des services favorables (rétention des pesticides appliqués…) ou défavorables (impacts sur les eaux, l’air, la santé, perturbations écologiques). La seconde porte sur l’exposition humaine, celle des travailleurs agricoles, fonction des modalités de mise en œuvre de leur activité professionnelle, celle des riverains fonction de leur lieu d’habitation et des systèmes agricoles qu’ils côtoient, comme celle de la population générale, via les régimes alimentaires déterminant les expositions alimentaires, et mettant en relation des régimes alimentaires, des produits agricoles, des modes de production. » Le lien avec les dimensions de santé, qu’il concerne les impacts de santé des expositions environnementales, ou les impacts de santé de la dégradation/restauration des écosystèmes (par exemple, le lien entre biodiversité et santé humaine) est important à prendre en compte si l’on s’intéresse à la santé comme levier de transformation du système alimentaire. Il est cependant plus porté par des partenaires extérieurs (Inserm) que par l’INRA. Des initiatives (Ecole-chercheurs agricultureenvironnement-santé, structure hors murs associant recherche, expertise et soutien aux pouvoirs publics, colloque international…) pourraient être lancées de façon à favoriser ces rapprochements visant à mieux articuler et mettre en continuité les modèles et les bases de données développées depuis le niveau agricole jusqu’à celui de la caractérisation des effets de santé. Ces initiatives doivent être ouvertes à (voire montées avec) des partenaires hors Inra (Inserm, Anses…). Les impacts environnementaux et de santé des régimes alimentaires, au croisement des dynamiques de consommation et de production L’intérêt de développer des démarches plus intégrées est aussi clairement apparu sur la relation entre consommations et régimes alimentaires, d’un côté, et modes de production agricoles et alimentaires, d’un autre côté. Il repose sur le constat suivant : (i) (ii) Les régimes alimentaires, tant en termes d’évaluation de leurs impacts que d’objectifs à favoriser à moyen et long termes au regard des enjeux de santé et environnementaux, sont encore souvent considérés de façon déconnectée des modes de production des aliments, et donc de la variabilité des caractéristiques des produits selon les manières de produire et de transformer. A l’inverse, les évolutions de régimes alimentaires qui paraissent devoir être conduites à moyen ou long terme pour assurer une alimentation plus durable ne sont pas réellement évaluées au regard de ce qu’elles impliquent ou supposent en matière de production. Au regard de ce constat, un enjeu important est de mieux comprendre les mécanismes par lesquels améliorer les impacts environnementaux et de santé des aliments et des régimes alimentaires (schéma 8). 53 Quels sont les effets des manières de produire sur les impacts de santé, environnementaux, économiques, sociaux des régimes alimentaires ? Au regard des évolutions de régimes alimentaires qui seraient à favoriser pour des bénéfices environnementaux et de santé, que produire, comment et où ? Répondre à ces questions implique de s’intéresser à la construction des qualités, de la production agricole aux régimes alimentaires, en étudiant les complémentarités/tensions entre critères (santé, environnementales, sensorielles, économiques...) à chaque niveau et entre niveaux de la chaine. On a tout particulièrement insisté sur l’intérêt de (re)-développer des travaux sur l’interface agriculture-industrie et sur l’interface industrie-consommateurs. Ceci suppose de favoriser des rapprochements entre les départements intervenant sur la production agricole, la transformation et l’alimentation (consommations et régimes alimentaires). Ceci implique aussi de progresser dans l’analyse des modalités et conditions des changements en articulant des recherches sur les comportements des acteurs et politiques publiques, des travaux d’évaluation de scénarios prospectifs d’évolution offre/demande alimentaires et des démarches d’accompagnement des transitions. Régimes alimentaires Modalités, conditions des changements (consommateurs, politiques publiques, accompagnement des transitions) (Voir Enjeu de recherche 3) Effets des manières de produire sur les régimes à favoriser ? Impacts santé, environnementaux, économiques, sociaux Que produire ? Comment ? Où ? Scénarios prospectifs de transition (Voir Enjeu de recherche 3) Modes de production (agriculture-industrie) Construction des qualités des produits agricoles aux régimes alimentaires (Voir Enjeu de recherche 1) Schéma 8. Une question importante est de savoir sur quelles échelles conduire ces analyses. Il s’agit d’abord du niveau territorial, dont on a vu qu’il pouvait être, à travers les multiples actions portées par les acteurs locaux, un niveau possible de reconnexion environnement-santé. De nombreuses actions conduites sur le territoire peuvent être les supports de ces travaux (Territoires d’innovations, Plans alimentaires territoriaux…). 54 Le niveau national et européen s’avère aussi important pour raisonner à cette échelle les dynamiques de la production et de la consommation. Enfin, le niveau global, qui constitue un enjeu majeur en matière d’articulation des dynamiques des régimes alimentaires, de localisation des productions et de commerce international, devrait faire l’objet d’investigations plus importantes. Cela suppose de développer des méthodes et des bases de données encore peu utilisées à l’INRA. 55 Bibliographie Albrecht TR, Arica Crootof and Christopher A Scott (2018). The Water-Energy-Food Nexus: A systematic review of methods for nexus assessment, Environmental Research Letters, Volume 13, Number 4 Allen, T., Prosperi, P., Cogill, B., & Flichman, G. (2014). Agricultural biodiversity, social-ecological systems and sustainable diets. The Proceedings of the Nutrition Soc, 73(4), 498–508. Allen, C., Metternicht, G., Wiedmann, T. (2018). Initial progress in implementing the Sustainable Development Goals (SDGs): a review of evidence from countries. Sustain. Sci. 13. Aronson, J. C., Blatt, C. M., & Aronson, T. B. (2016). 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