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Revue Education, santé, sociétés (ESASOS), Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École Alexandra PECH1 , Louis LEBREDONCHEL2 , Anthony FARDET3 (1) Doctorante en géographie, École normale supérieure de Lyon, UMR 5600, Environnement Ville Société, (2) Docteur en sociologie, Université de Caen Normandie, CERREV UR3918, MRSH, (3) Docteur en nutrition humain et chargé de recherche en alimentation préventive, INRAE, UNH (Unité de Nutrition Humaine) CRNH Auvergne Reçu le : 17/01/2022 | Accepté le : 07/11/2022 DOI : https ://doi.org/10.17184/eac.7724 Résumé : Les attentes sociales sont croissantes à l’égard de l’École pour prendre en charge l’éducation alimentaire des enfants et des adolescents. Cette dernière est appelée à répondre à des enjeux de plus en plus complexes, en particulier la croissance de la prévalence des maladies chroniques, des inégalités sociales de santé, ainsi que des défis environnementaux et agricoles. Cet article propose une réflexion croisée sur des approches pédagogiques aptes à concilier l’ensemble de ces finalités. Une analyse de la littérature scientifique et grise atteste de l’ambition, de plusieurs acteurs de l’éducation et de la recherche, de s’éloigner d’une éducation nutritionnelle verticale et transmissive et d’encourager l’apprentissage par l’expérience. Afin d’appuyer et de compléter cet élan éducatif, nous proposons trois principes pour penser des actions pédagogiques autour de l’alimentation à l’École que nous formulons à partir de la rencontre de deux recherches menées dans des écoles élémentaires et des collèges : prendre appui sur une approche holistique de l’alimentation, encourager la participation des élèves et ancrer les actions éducatives dans l’environnement de ces derniers. Ces propositions contribuent à penser une éducation alimentaire au plus proche des problématiques que rencontrent les élèves et les territoires au quotidien en matière d’alimentation. Mots-clés : Éducation alimentaire, école, santé, environnement, systèmes alimentaires Abstract: Societal demands are increasing for schools to take responsibility for the food education of children and adolescents. They are meant to address complex issues, i.e, the growing prevalence of chronic diseases, social inequalities in health, as well as environmental and agricultural challenges. This article proposes crossed perspectives on pedagogical approaches that enable to bring together these different issues. A review of the scientific and grey literature shows that several actors in education and research have the ambition to avoid a vertical and transmissive food education and to encourage experiential learning. In order to complement and to contribute to this educational momentum, we propose three principles for thinking about educational actions around food in schools, which we formulate from two research studies conducted in elementary and middle schools: to rely on a holistic approach of food, to encourage student participation and to root educational actions in the students’ environment. These proposals contribute to think about food education, as close as possible to the problems that students and territories encounter in their daily lives with regard to food. Keywords: Food education, school, health, environment, food systems 106 ESASOS, Vol.9, No.2 1 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École Introduction L’École est au centre de nombreuses demandes de la société pour prendre en charge l’éducation alimentaire des enfants et des adolescents. Longtemps réduite à sa dimension nutritionnelle dans un contexte de lutte contre l’obésité, l’éducation à l’alimentation répond aujourd’hui à des enjeux plus globaux : santé, justice sociale, mais également problématiques environnementales, dans un contexte de changements globaux. Dans la pratique toutefois, on peut s’interroger sur l’impact des projets d’éducation alimentaire à l’École, en particulier dans les milieux défavorisés. En effet, la dichotomie entre les normes du « bien manger » relayées par l’École et la réalité de l’alimentation de certaines familles peut susciter chez les élèves de milieux défavorisés, au mieux de l’indifférence, au pire du rejet (Maurice, 2014). Ce sont pourtant les personnes issues de milieux défavorisés qui sont les plus concernées par les maladies chroniques (Di Cesare et al., 2013) – que l’alimentation peut contribuer à prévenir ou à favoriser –, et les plus éloignées d’un accès à une alimentation de qualité (Cavaillet et al., 2004). Dès lors, comment penser une éducation alimentaire à l’École qui tienne davantage compte des représentations et des pratiques des élèves autour de l’alimentation ? Afin de répondre à ce questionnement, l’article propose une réflexion en deux temps. Tout d’abord, en s’appuyant sur une revue de la littérature autour des enjeux et des méthodes d’une éducation alimentaire en milieu scolaire, il se positionne en faveur d’une éducation qui réponde à des finalités transversales (santé, environnement, inégalités sociales, etc.) et qui dépasse le modèle de la transmission de connaissances. À partir de deux expériences de recherche menées dans des établissements scolaires, il est question dans un second temps de proposer trois principes visant à inspirer les initiatives pédagogiques d’éducation alimentaire dans l’enseignement primaire et secondaire. 2 Caractériser l’éducation alimentaire à l’École au regard de la littérature scientifique Dans le domaine de l’éducation alimentaire, on assiste depuis une dizaine d’années à une remise en cause d’un modèle éducatif de type normatif centré sur la transmission de savoirs, voire d’injonctions, autour de la nutrition. Cette réorientation de l’éducation alimentaire fait la part belle aux approches participatives, aux savoirs expérientiels, au plaisir et à la dimension sensible et culturelle de l’alimentation (Berry et Gagnayre, 2018). Dans les politiques françaises qui cadrent la mise en œuvre de l’éducation à l’alimentation à l’École depuis le début des années 2000, on assiste à ce même mouvement vers une éducation alimentaire qui se veut plus transversale, participative et « positive ». A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET 2.1 ESASOS, Vol.9, No.2 107 Le renouveau des approches de l’éducation à l’alimentation dans la littérature scientifique 2.1.1 Repenser les finalités de l’éducation à l’alimentation : articuler nutrition et systèmes alimentaires Dans un contexte d’évolution des enjeux autour de l’alimentation (obésité, exposition aux pesticides, pollutions environnementales, etc.), de nombreux chercheurs et chercheuses, principalement dans la sphère anglophone, plaident en faveur d’une reconceptualisation de la « littératie alimentaire ». Inspirée du modèle d’autres littératies (numérique, médiatique, relatives à la santé, etc.), la littératie alimentaire (de l’anglais food literacy) désigne l’ensemble des connaissances, savoir-faire et compétences d’un individu relatifs à l’alimentation (Truman et al., 2017). Selon la discipline de rattachement des auteurs et leur positionnement, les définitions de la littératie alimentaire divergent selon un spectre allant d’une éducation nutritionnelle centrée sur les choix individuels à une éducation critique et transformative des systèmes alimentaires. Identifier les limites d’une éducation nutritionnelle centrée sur la responsabilité individuelle. Dans le champ de la santé publique, l’approche dominante de la littératie alimentaire, même si elle est de plus en plus contestée, prend la forme d’une éducation nutritionnelle fondée sur le modèle de la transmission des savoirs (Truman et al., 2017). L’objectif est de favoriser chez les élèves des comportements alimentaires jugés sains. Il est principalement question d’enseigner aux enfants et adolescents comment le corps humain absorbe les nutriments pour maintenir son bon fonctionnement et de prescrire des comportements alimentaires jugés favorables à la santé. Cette approche présente plusieurs limites : elle peut entraîner une forme de rejet de la part des élèves, en particulier chez les élèves de milieu défavorisé (Maurice, 2014) et elle propose une vision réductionniste de l’alimentation, réduite à sa seule dimension nutritionnelle (Fardet et Rock, 2014). D’autre part, cette vision d’une éducation alimentaire centrée sur la seule capacité des élèves à faire les « bons » choix peut impliquer une sur-responsabilisation des individus, occultant les contraintes sociales, psychologiques et économiques qui limitent l’accès à une alimentation de qualité (par exemple, un marketing agressif qui cible les plus jeunes pour vendre des aliments ultra-transformés, les déserts ou marécages alimentaires, les lobbies qui sapent toutes mesures politiques pouvant aller dans le sens d’une alimentation plus saine, etc.). Une éducation en faveur de la transformation des systèmes alimentaires. En réponse à cet écueil, certains auteurs avancent une conception plus politique de l’éducation alimentaire, qui n’est plus uniquement le lieu d’une éducation aux choix individuels, mais celui d’une éducation à la transformation des systèmes alimentaires. Plusieurs travaux définissent alors les contours d’une « littératie relative aux systèmes alimentaires » dans laquelle il est question d’étendre les connaissances et savoir-faire des élèves à l’ensemble du système alimentaire, avec la notion de food system literacy (Classens et Sytsma, 2020 ; Rose et Lourival, 2019 ; Sumner, 2015 ; Widener et Karides, 2014). 108 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École Dans une logique souvent critique du système alimentaire industriel dominant, l’enjeu est ici de favoriser la portée transformative de l’éducation alimentaire en encourageant la citoyenneté et la participation des élèves. Ces propositions éducatives s’inspirent notamment de la pédagogie critique de Paulo Freire (2001/1970), qui soutient une émancipation individuelle et collective par le développement d’une prise de conscience critique des injustices et des rapports de pouvoir et de domination. S’agissant d’alimentation, il est par exemple question de sensibiliser les élèves aux conditions de travail des producteurs agricoles et des travailleurs du secteur de l’alimentation (Yamashita et Robinson, 2016), ou encore aux destructions environnementales provoquées par certains modèles agricoles. 2.1.2 Les modèles éducatifs de l’éducation à l’alimentation : des méthodes transmissives aux approches participatives ancrées dans le « faire » Apprendre « en faisant » En opposition au modèle d’une éducation descendante qui irait uniquement dans le sens du sachant vers l’apprenant, plusieurs chercheurs promeuvent une éducation alimentaire axée sur la participation des élèves, les dynamiques d’interaction et l’expérimentation (Berry et Gagnayre, 2018). Cette vision d’une pédagogie dite expérientielle ou active, inspirée de la pensée du philosophe pragmatiste John Dewey, postule que c’est « dans l’action » et « en faisant » que les élèves apprennent le mieux (Dewey, 1986). Ainsi, des activités telles que des ateliers de dégustation, de cuisine ou de culture du potager permettraient non seulement aux élèves de développer des savoirfaire fonctionnels (cultiver, cuisiner, lire une étiquette alimentaire par exemple), mais susciteraient également une meilleure adhésion de leur part en raison de l’implication sensible, émotionnelle et culturelle que ces activités impliquent. L’exemple du potager scolaire À titre d’exemple, le potager scolaire est communément présenté dans la recherche en éducation alimentaire comme l’un des outils éducatifs les plus emblématiques d’une approche participative et sensible. S’il n’est guère nouveau dans le champ de l’éducation, le potager en milieu scolaire cristallise de nouveaux enjeux alors qu’augmentent les préoccupations sanitaires et environnementales (Cairns, 2017 ; Diaz et al., 2018). Celui-ci permettrait notamment d’augmenter la préférence et la consommation de fruits et légumes des élèves en encourageant une meilleure connaissance et une plus grande familiarité avec ces aliments (Gibbs et al., 2013 ; Morgan et al., 2010 ; Parmer et al., 2009). Plus largement, dans un contexte de distanciation croissante entre les mangeurs et l’agriculture (Bricas et al., 2013), le potager constituerait un moyen de « reconnecter » les élèves à leur alimentation à travers une sensibilisation à l’origine des aliments qu’ils consomment, à la saisonnalité ou encore au cycle du vivant des végétaux (Cairns, 2017). L’expérience sensible que constitue le soin du potager – le fait de cultiver ses propres légumes, de mettre les mains dans la terre, d’observer la vie du sol, de goûter un fruit cueilli sur place, etc. – permettrait aux élèves de retrouver une confiance au sujet de l’origine de produits alimentaires (Surman et Hamilton, 2019) et d’accorder davantage de valeur aux aliments en considérant ces derniers non plus A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 109 comme de simples commodités destinées à la consommation, mais comme des biens communs fruits d’un travail collectif (Thorp et Townsend, 2001). 2.2 L’éducation alimentaire à l’École en France : sa progression dans les politiques publiques et les apports des chercheurs 2.2.1 Une « éducation à » encore émergente, dont les objectifs se définissent progressivement L’idée d’une éducation alimentaire dispensée au sein de l’École publique est encore émergente et relativement récente telle qu’elle s’inscrit dans les politiques publiques françaises. Elle est notamment présente dans le code de l’éducation, via l’article L31217-3, ainsi que la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire du 11 février 2016. Ces deux articles mentionnent la nécessité que les établissements scolaires exercent une éducation alimentaire, principalement dans le but de lutter contre le gaspillage alimentaire et contre l’obésité. Actuellement, l’éducation à l’alimentation s’inscrit dans le cadre des « éducations à » (Gauthier, 2014), au même titre que, par exemple, l’éducation au développement durable ou l’éducation à l’information et aux médias. Les « éducations à » se distinguent des disciplines inscrites dans les programmes d’enseignement par leur caractère facultatif et transversal, de même que par leur volonté de modifier les comportements des élèves et de traiter de « questions socialement vives » (Audigier, 2012 ; Fabre, 2014). L’exercice de ces « éducations à » repose ainsi sur la volonté individuelle des collectivités, des établissements scolaires, ou des enseignants, mais aussi sur la sensibilité de ces derniers vis-à-vis d’un sujet, de même que leurs ressources en temps et en énergie dont ils disposent. S’il n’existe pas encore de programme national d’éducation à l’alimentation, les ministères de l’Éducation et de l’Agriculture mettent tout de même à disposition des outils pédagogiques afin d’aider les enseignants enthousiastes quant à son expérimentation. C’est par exemple le cas de la classe du goût. D’après le site du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation1 , la classe du goût comporte trois objectifs fondamentaux : « d’améliorer la relation de l’enfant à lui-même et aux autres », de « développer chez l’enfant sa capacité à goûter, à verbaliser ses sensations et à choisir ses aliments », et de « donner toute la dimension de l’acte de manger : vivre, se réjouir et se réunir ». Si une telle démarche revendique son inspiration des expérimentations de Jacques Puisais dans les années 1970, elle semble s’inscrire dans une pédagogie expérientielle, impliquant de mettre en avant le plaisir alimentaire et la commensalité en tant que dimensions fondamentales de l’alimentation. 2.2.2 Une posture critique de la « médicalisation de l’alimentation », recommandant de favoriser le plaisir alimentaire et le lien social Dans son avis n◦ 84 publié en 2019, le Conseil national de l’alimentation recommande une éducation à l’alimentation à l’École visant à une portée plus globale, tenant compte des inégalités sociales de santé, des inégalités en matière d’accès à une alimentation saine, ainsi que des liens entre l’alimentation, la santé et l’environnement : l’éducation à l’alimentation doit ainsi promouvoir « l’émergence d’une citoyenneté 1 https://agriculture.gouv.fr/decouverte-de-lalimentation-par-les-cinq-sens-les-classes-du-gout 110 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École consciente des effets positifs ou négatifs de certains types de consommations sur l’état de notre planète ». L’avis n◦ 84 du CNA est coprésidé par le sociologue Jean-Pierre Corbeau, et il semble que la contribution de la sociologie permette d’apporter un regard critique sur une éducation à l’alimentation normative, qui s’effectuerait par des injonctions de santé. Ce type d’éducation nutritionnelle qui promeut « l’existence intrinsèque de « bons et de mauvais aliments », est selon l’avis n◦ 84 du CNA à ne pas envisager, car il participerait du courant de la « médicalisation de l’alimentation et à son désenchantement » (CNA, 2019). Cette réflexion critique vis-à-vis des risques d’une « médicalisation de l’alimentation » semble s’inscrire dans le prolongement d’un courant de pensée français qui, notamment par la contribution de plusieurs chercheurs en sciences sociales, adopte un point de vue critique vis-à-vis des injonctions de santé et des discours médicaux liés à l’alimentation, en mettant l’accent sur le fait que l’acte de manger ne se résume pas à l’ingestion de nutriments, mais est aussi un créateur de lien social et de plaisir (CNA, 2019). D’après Jean-Pierre Poulain, « la médicalisation de l’alimentation substitue aux raisons gastronomiques ou symboliques, sur lesquelles s’articulent les décisions alimentaires, des raisons d’ordre médical » (Poulain 2002). Ici, l’intrusion du discours médical est conçue, à l’image de l’activisme anti-obésité, comme la menace « d’une politique de contrôle des individus » (Poulain 2009), ainsi que comme celle d’une exacerbation de « la dimension santé au détriment des deux autres (dimension plaisir et dimension culture/identité) », qui « pourrait mettre à mal le modèle traditionnel français peut-être plus sûrement que la transformation des pratiques alimentaires elles-mêmes » (Poulain 2002 : 199). La défense du plaisir et le lien social générés par l’acte de manger s’intègrent ainsi dans une réflexion critique soutenue en France par plusieurs chercheurs, accompagnée de la critique générale de l’intrusion progressive d’une dimension médicale dans l’alimentation, notamment dans le prolongement des réflexions critiques sur la médicalisation de la société. En effet, selon Jean-Pierre Corbeau et Jean-Pierre Poulain : « La santé, valeur en hausse, prend le relais au panthéon des mythes modernes des promesses d’immortalité qui sont les ressorts de bien des religions » (2002). Les apports de Didier Fassin et Pierre Dozon en sociologie de la santé ont également invité à porter un regard critique sur les injonctions de santé, souvent incluses dans les discours médicaux. Celles-ci, lorsqu’elles ne tiennent pas compte de la culture des populations auxquelles elles s’adressent, peuvent avoir pour effet d’engendrer une « distance culturelle » (Dozon et Fassin 2001), rendant parfois les messages adressés inefficaces, voire potentiellement rejetés. Cette tendance, généralement critique de l’intrusion du discours médical dans l’alimentation, et favorable au fait de mettre en avant les dimensions du plaisir et de la commensalité, semble influente sur l’avancement des propositions gouvernementales et sur la création de politiques publiques pour une éducation à l’alimentation à l’École (et ainsi par exemple pour ce qui est de la formulation des objectifs de la classe du goût). A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 111 2.2.3 Entre promotion de la santé et volonté de minimiser l’intrusion d’une dimension médicale dans l’alimentation : des limites qui se font ressentir sur le terrain Selon le Plan national pour l’alimentation 2019-2023, la classe du goût permet de « prévenir l’obésité et de diminuer l’appréhension des enfants à l’égard de certains aliments ». S’il est possible que le fait de goûter de nouveaux aliments, et ainsi d’étoffer les répertoires alimentaires des enfants puisse participer à une prévention de l’obésité, nous noterons tout de même que les trois objectifs fondamentaux de la classe du goût mentionnés précédemment ne sont pas systématiquement associés à la lutte contre l’obésité. Lors d’une enquête de terrain réalisée au sein de quatre écoles élémentaires, nous nous sommes confrontés à quelques exemples de classes du goût, notamment organisées dans des écoles élémentaires situées dans des quartiers prioritaires. Dans une classe de CM1 dans laquelle les parents de la plupart des enfants étaient d’origine étrangère, la classe du goût consistait en ce que chacun des enfants ramène des « aliments ou plats de son pays », afin que l’ensemble de la classe puisse les découvrir et les goûter. Cette initiative permettait de favoriser une éducation au vivre-ensemble et un élargissement général des répertoires alimentaires des enfants, tout en correspondant à la classe du goût telle qu’elle est proposée, par le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement, en tant qu’outil pédagogique. Il semble cependant difficile d’envisager qu’elle puisse servir à lutter contre l’obésité, notamment du fait que les enfants ramenaient principalement en classe des spécialités sucrées du pays d’origine de leurs parents2 . Ce récit illustre la tension qui existe entre les objectifs de lutter contre l’obésité, mettre en avant le plaisir et éviter la diffusion d’un discours médical. Nous pourrons de même nous poser la question de « l’efficacité » (pour des résultats en termes de santé) d’une éducation à l’alimentation qui ne différencie pas explicitement des « bons aliments » de « mauvais aliments », comme le propose l’avis n◦ 84 du CNA. On sait par exemple que la consommation fréquente d’aliments ultra-transformés est associée au développement de multiples maladies chroniques (Chen et al., 2020) et à la dégradation de l’environnement (Fardet et Rock, 2020a), tandis que la consommation d’aliments « vrais », variés, dont principalement des végétaux3 , permet de prévenir des maladies chroniques, tout comme de préserver la santé de planète (Fardet et Rock, 2020b). Notre enquête de terrain nous a également permis d’observer que plus les enfants sont issus d’origine sociale défavorisée, plus ils associent le plaisir alimentaire à la consommation d’aliments ultra-transformés (Lebredonchel, 2021), ce qui pourrait être une piste pour expliquer le fait que les inégalités sociales de santé se creusent au fur et à mesure que progresse la prévalence des maladies chroniques, dont l’obésité (Rychen, 2017). À trop vouloir lutter contre l’intrusion du discours médical et de la dimension santé dans l’alimentation, de même qu’en mettant en avant le « plaisir », ne risque-t-on pas 2 Dont par exemple des cornes de gazelle, des tulumba (spécialité turque), ainsi que d’autres desserts riches en sucres. 3 Des fruits, céréales complètes, légumineuses et légumes, si possible bio, locaux et de saison. 112 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École d’aboutir à une éducation à l’alimentation qui s’éloignerait de ses objectifs initiaux, parmi lesquels la lutte contre l’obésité (et l’ensemble des maladies chroniques) ? Notre propos n’est pas ici de s’opposer aux réflexions que nous avons présentées, et notamment à la critique d’une médicalisation de l’alimentation, mais plutôt de tenter de tenir compte de celles-ci et de leur cohérence, tout en étant conscient des limites des dispositifs qui s’en inspirent (à l’image de la classe du goût). Dès lors, nous pouvons nous poser la question suivante : comment proposer une éducation à l’alimentation qui tiendrait compte de ces critiques des injonctions et de l’éducation « normative », tout en permettant des améliorations de la santé humaine comme environnementale (avec tout ce que cela implique en termes d’inégalités), et sans engendrer de « distance culturelle » entre les élèves et les messages que nous voulons leur adresser ? 3 Présentation de deux approches complémentaires pour une éducation à l’alimentation transformative : « l’éducation à l’alimentation holistique » et « l’éducation agri-alimentaire » En nous appuyant sur deux enquêtes de terrain autour de l’éducation alimentaire, menées dans quatre écoles élémentaires normandes et dans deux collèges de la région lyonnaise, il est ici question de proposer deux approches pédagogiques qui tentent toutes deux de répondre à des enjeux transversaux, en tentant d’aller au-delà des limites éducatives présentées précédemment. 3.1 L’éducation à l’alimentation holistique, pour que les élèves deviennent acteurs de leur prise de conscience des liens entre l’alimentation, la santé et l’environnement. L’idée d’une « éducation à l’alimentation holistique » est le fruit d’une recherche sur l’éducation alimentaire mêlant sciences humaines et sociales et alimentation préventive (Lebredonchel et Fardet, 2022). Celle-ci a été élaborée à partir d’une rechercheaction qualitative menée auprès de quarante enfants âgés de neuf à onze ans et de huit classes de CM1 et CM2, au sein de quatre écoles élémentaires normandes (deux étaient situées dans des quartiers prioritaires, une dans une commune dont le revenu médian est supérieur à la moyenne nationale, et l’autre était une école privée située dans une commune rurale). Des entretiens semi-directifs avec chaque enfant ont été effectués dans un premier temps, puis des entretiens collectifs de type focus group ont ensuite été mis en place dans chaque classe, dans lesquels étaient expérimentés des échanges construits à partir de matériaux issus des entretiens semi-directifs. Ces derniers ont été analysés selon les principes de l’analyse comparative continue (Glaser et Strauss, 1976), de manière à réaliser une sociologie des représentations et des comportements alimentaires des enfants (notamment en comparant leurs goûts, leurs habitudes alimentaires, ou encore leurs représentations des liens entre l’alimentation et la santé, selon leurs origines sociales). Il s’agissait ainsi aussi bien d’enquêter sur les représentations alimentaires des enfants (dans un premier temps), que d’observer leurs réactions suite à des expérimentations d’échanges prévus pour être adaptés à leurs représentations et à leurs discours, via des entretiens collectifs (dans un second A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 113 temps). L’éducation à l’alimentation holistique a été pensée de manière à tenter de trouver un juste milieu entre l’idée que les injonctions médicales, particulièrement lorsqu’elles s’adressent à des cultures sans prendre en compte leurs différences en termes de sensibilité et réceptivité vis-à-vis d’un sujet donné, peuvent être inefficaces (voire délétères), et la volonté de lutter contre les maladies chroniques (dont l’obésité4 ) et les inégalités sociales de santé qui leur sont associées. Les idées précédemment évoquées, ainsi que notre expérience de terrain menée dans des écoles élémentaires auprès d’enfants d’origines sociales variées, nous ont amenés à l’idée qu’une éducation à l’alimentation à l’École doit permettre aux enfants de prendre conscience, le plus possible par eux-mêmes, des relations de cause à effet existantes entre l’alimentation, la santé et l’environnement. Nous appelons cette éducation à l’alimentation « holistique », car elle vise à transmettre des connaissances plutôt générales et englobantes que particulières, dans le sens où il semble plus efficace5 que les enfants soient amenés à prendre conscience qu’il existe des liens de cause à effet entre leur alimentation, leur santé et l’environnement, plutôt qu’instruits par exemple à propos des lipides, glucides, protéines, etc. Cette approche a deux avantages principaux, qui se sont révélés suite aux résultats de nos expérimentations : les enfants semblent en effet, après expérience, davantage réceptifs aux liens entre alimentation et santé lorsque ceux-ci incluent la question de l’environnement, mais aussi, cela permet de les amener à devenir acteurs des séances d’éducation en s’appropriant celles-ci, par l’expression et la mobilisation de leurs propres connaissances et discours, parfois obtenus à l’extérieur de l’école. Plus concrètement, ces séances, réalisées en classe, consistent en l’évocation aux enfants de phrases d’accroches, à partir desquelles ils pourront s’exprimer et échanger. Par exemple, selon nos expérimentations, des phrases telles que « nous sommes ce que nous mangeons », ou « la santé de l’homme est le reflet de la santé de la terre », ont permis à des enfants issus d’origines sociales défavorisées, par la possibilité de s’exprimer et d’incorporer leurs propres représentations dans la discussion, de s’intéresser vivement aux liens entre alimentation, santé et environnement, alors qu’ils se montraient auparavant très réticents aux slogans de santé sur l’alimentation. En effet, les mêmes enfants d’origine sociale défavorisée, qui se moquaient par exemple des slogans du PNNS6 et exprimaient un certain désintérêt à propos des liens entre l’alimentation et la santé, lors des entretiens semi-directifs, ont insisté auprès de leurs enseignants pour qu’ils parlent de ce sujet en classe, après nos expérimentations. Pendant les entretiens collectifs, ils ont été en mesure, par leurs propres discours, de développer des réflexions à propos de relations de cause à effet entre la qualité des sols et la qualité de l’agriculture et de l’alimentation, de l’importance du bien-être animal pour la qualité des aliments 4 Nous pensons en effet qu’une éducation alimentaire ne doit pas être réduite à la lutte contre l’obésité (dont les causes ne se limitent d’ailleurs pas à l’alimentation), mais doit contribuer à la lutte contre l’ensemble des maladies chroniques et des inégalités sociales liées à l’alimentation. L’alimentation peut en effet participer à favoriser le développement de multiples maladies chroniques, mais également les prévenir (Fardet et Rock, 2020b). Elle s’inscrit dans un ensemble de causes multifactorielles de ces pathologies (qui peuvent également être d’origines socio-psychologiques, économiques, environnementales, génétiques, etc.). L’alimentation représente toutefois un levier majeur pour lutter contre les maladies chroniques, notamment en raison des capacités d’agir inhérentes au fait de s’alimenter (bien qu’aussi limitées par des contraintes économiques et sociales, comme le marketing alimentaire agressif auprès des plus jeunes, les déserts alimentaires, la pauvreté, etc. 5 Selon les résultats des entretiens semi-directifs, évoqués précédemment. 6 « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ». 114 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École d’origine animale, des liens entre l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture et dans la transformation des aliments et la dégradation de la santé humaine et environnementale, ou encore à propos de l’importance des fruits et des légumes pour entretenir une bonne santé. Alors que cette dernière idée semblait particulièrement désintéresser les enfants d’origine sociale défavorisée lorsqu’ils étaient interrogés dans des entretiens semi-directifs, une incitation à l’expression et à la discussion en classe leur a permis de s’investir dans la réflexion. Dans la démarche ici proposée, l’éducateur n’impose pas des idées ou des injonctions aux enfants, mais les invite à s’exprimer autour de phrases dont le but est de susciter leur curiosité et esprit critique. S’il s’agit davantage d’aiguiller les enfants vers un développement de leur conscience et compréhension à propos de leur alimentation, il n’est pas pour autant question de faire preuve de relativisme, en partant du principe que « toutes les idées se valent ». Ainsi l’éducateur pourra parfois rectifier les discours des enfants si leurs discours sont trop éloignés de la réalité, ou incorporer des explications dans la discussion. À propos de l’idée qu’il n’existe pas de « bons » ou de « mauvais » aliments, nous proposons de nuancer, en évoquant notamment les liens entre transformation des aliments et dégradation de la santé humaine et environnementale (Fardet et Rock, 2020a). En effet, s’il n’existe pas de « bons » et « mauvais » nutriments, ce qui n’a pas de sens scientifique, il existe bien des matrices alimentaires de qualité ou très dégradées, selon les procédés de transformation appliqués, qui peuvent conduire à une dérégulation du devenir métabolique des nutriments (Fardet et Rock, 2022). Si l’exemple du dispositif d’éducation à l’alimentation holistique que nous proposons ici a été élaboré et testé uniquement en classe, et se limite ainsi (pour le moment) à une éducation uniquement cognitive, sa portée « holistique » l’amènera à en sortir et à s’intégrer à d’autres approches pédagogiques, par exemple participatives, comme c’est le cas pour l’éducation « agri-alimentaire ». 3.2 Une éducation « agri-alimentaire » pour lutter contre diverses formes d’inégalités alimentaires et transformer les territoires L’idée d’une éducation « agri-alimentaire » (Le Gall, 2018) naît de la rencontre entre des enseignants du secondaire et des chercheurs au sein du Réseau Marguerite, association d’éducation autour de l’alimentation. Se rapprochant de la notion de « food system literacy » que nous avons présentée plus haut, l’objectif d’une éducation agrialimentaire consiste à proposer aux élèves une éducation non pas centrée uniquement sur les aliments et la santé humaine, mais sur l’ensemble des composantes du système alimentaire « de la graine au compost » (production, transport, transformation, distribution, consommation, gestion des déchets, etc.). Cette vision de l’éducation à l’alimentation repose sur l’idée qu’une approche par le système alimentaire permet d’aborder un plus grand nombre d’enjeux de l’alimentation (environnement, écologie, justice sociale, etc.) que le seul prisme d’une éducation à la santé et à la consommation. En s’appuyant sur des activités éducatives centrées sur le milieu de vie et les réalités quotidiennes des élèves, cette approche permet non seulement aux élèves de mieux comprendre le fonctionnement du système qui nous nourrit, mais aussi de A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 115 répondre à des situations locales d’injustices alimentaires : faible accès financier ou géographique à une alimentation de qualité ou à une agriculture de proximité, exposition à une offre alimentaire commerciale peu favorable à la santé, manque de temps ou de connaissances pour cuisiner, etc. Pour illustrer la démarche d’éducation agri-alimentaire que proposent Le Gall et le Réseau Marguerite, nous développerons ici le cas d’une initiative pédagogique déployée dans un collège situé en réseau d’éducation prioritaire de la région lyonnaise. Dans le cadre d’une thèse de doctorat en géographie et en anthropologie portant sur l’éducation autour de l’alimentation au collège, l’autrice a réalisé des observations participantes lors de ces activités. Les réflexions proposées ci-dessous sont issues de l’analyse des données recueillies lors de ces observations. Ce projet pédagogique s’appuie sur le constat d’une problématique locale en lien avec l’alimentation : la surconsommation de sucre. Suite à une enquête photographique menée par une classe d’élèves de 5e sur leurs habitudes alimentaires quotidiennes, leur enseignante de sciences et vie de la terre (SVT), membre du Réseau Marguerite, constate la très forte présence de sucre dans leur alimentation. En collaboration avec un artiste, elle engage ses élèves dans un projet d’enquête collective au long cours sur la thématique du sucre. Portée par l’engagement de l’artiste autour des questions alimentaires et agricoles, l’enquête vise notamment à faire prendre conscience aux élèves de l’influence du marketing et des industries agroalimentaires dans la surconsommation de produits sucrés ultra-transformés chez les jeunes. L’enquête comprend une dizaine d’activités déployées sur deux années scolaires et impliquant près de 50 élèves de 5e, un artiste ainsi que des enseignants de plusieurs disciplines (SVT, physique-chimie et arts plastiques notamment). Nous porterons notre attention sur quatre d’entre elles. Une des premières étapes consiste en une discussion collective autour des photographies que les élèves ont prises de leurs repas (Figure 1). L’artiste propose aux élèves de réfléchir collectivement à leurs pratiques alimentaires, l’idée n’étant aucunement de porter un regard moralisateur sur ces pratiques, mais de réfléchir à leurs habitudes, leurs préférences et leurs envies. En observant les photographies, plusieurs élèves relèvent immédiatement la forte présence de produits sucrés ultra-transformés et de féculents dans les assiettes présentes sur les photographies : « On voit qu’il y a beaucoup de pâtes et de pain, c’est pas l’idéal pour la santé » explique une élève. Cette discussion est l’occasion pour les élèves de porter un regard réflexif sur leur alimentation : elle leur permet de prendre conscience d’habitudes collectives qu’ils jugent eux-mêmes nocives pour la santé (forte présence de sucre) sans pour autant que ce constat soit accompagné d’un jugement de la part des adultes. La deuxième étape de l’enquête consiste en une séance en classe de lecture d’étiquettes alimentaires. À la demande de leur enseignante de SVT, les élèves rapportent de chez eux des emballages vides de produits alimentaires du quotidien (chips, biscuits, steaks hachés, purée, etc.). Leur enseignante leur apprend à décrypter les indications nutritionnelles au dos des emballages, à repérer les différents types de macronutriments (glucides, lipides, protéines, etc.) et en particulier à identifier les différentes sortes de sucres présentes dans les ingrédients (maltose, sirops de maïs, saccharose, etc.). 116 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École Fig. 1 : Photomontage des photographies que les élèves ont pris de leur repas pendant une semaine, qui a servi de base de discussion entre les élèves et l’artiste (réalisation du montage : Thierry Boutonnier) Les élèves s’aperçoivent rapidement de la difficulté de repérer la présence de certains sucres et d’interpréter les chiffres et les proportions indiqués sur les étiquettes. En outre, plusieurs élèves s’étonnent de la quantité de sucre que contiennent certains de leurs produits préférés : « je pensais pas qu’il y avait autant de sucre dans les X (marque de biscuit), pourtant ils disent que c’est bon pour la santé sur l’emballage… » souligne une élève. En effet, au cours de cette activité, plusieurs élèves soulignent la présence sur les emballages d’images ou de slogans qui mettent en avant les bienfaits pour la santé de tel ou tel produit et la composition de celui-ci. Sur le ton de la plaisanterie, une élève suggère de s’adresser au service client des marques alimentaires concernées pour leur poser leurs questions laissées sans réponse sur la composition de leurs produits. L’artiste saisit cette proposition et organise avec les élèves et leurs enseignantes la prochaine étape de l’enquête : des appels téléphoniques à un ensemble de grandes marques de l’industrie agroalimentaire. Les élèves préparent avec leurs enseignantes des questions à poser à ces marques, par exemple « qu’est-ce que le sucralose ? » ou encore « est-ce qu’en buvant une bouteille de Coca de 50 cl, un adolescent de 13 ans respecte les recommandations de consommation de sucre journalières ? ». Après avoir soigneusement organisé la démarche, un groupe d’élèves, accompagnées de l’artiste et de leurs enseignantes, passent des appels téléphoniques pour les interroger. Face à l’incapacité des services client à répondre à leurs questions et à la gêne que ces dernières suscitent chez les personnes au bout du fil, les élèves ont de vives réactions, entre rire et indignation. Une élève, soupçonnant certaines marques de ne pas assumer le caractère peu recommandable pour la santé de leurs produits, déclare même « Ça me donne envie de faire un procès à Coca-Cola tout ça ! ». A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 117 Comme point final de cette enquête, après avoir approfondi leurs réflexions au cours de plusieurs activités avec l’artiste et leurs enseignantes, les élèves rencontrent deux acteurs de l’alimentation à qui ils peuvent exposer les questions qu’ils ont mises au jour durant leur enquête, un attaché parlementaire qui a œuvré en faveur de l’adoption du logo Nutri-Score sur les emballages alimentaires, et une neuroscientifique dont les recherches portent notamment sur l’addiction au sucre chez les adolescents. Cette démarche présente des similitudes avec la pédagogie critique de Paulo Freire (2001/1970) : en permettant aux élèves d’améliorer leur compréhension des acteurs et des dynamiques qui structurent le système alimentaire (le marketing, les lois, les politiques de santé, etc.), elle favorise le développement d’une « littératie alimentaire » critique et transformative. Au final, ce projet vise moins la transmission de connaissances et de recommandations autour de l’alimentation et de la santé que le développement chez ces derniers d’un pouvoir d’agir collectif sur leur alimentation. En effet, cette enquête s’inscrit dans une démarche d’empowerment en ceci qu’elle permet aux élèves de vivre des situations complexes qui visent à répondre à des problématiques aussi bien individuelles que collectives, en lien avec un projet de transformation sociale et politique (Maury et Hedjerassi, 2020). En s’adressant directement à différents acteurs du système alimentaire (industries agroalimentaires, acteurs politiques, scientifiques), les élèves font l’expérience de leur pouvoir en tant que futurs citoyens et potentiels acteurs de la transformation de ce système alimentaire. 4 Discussion et perspectives : Propositions pour une éducation à l’alimentation transformative Si ces deux approches peuvent diverger dans leurs méthodes pédagogiques et selon leurs finalités respectives, elles convergent autour de trois principes7 qu’il s’agit de présenter ici afin de contribuer à penser une éducation alimentaire transformative. Tout d’abord 1), nous plaidons en faveur d’une approche holistique de l’alimentation, non plus centrée uniquement sur l’aliment ou ses nutriments, mais qui s’intéresse aux liens et connexions entre systèmes alimentaires, santé humaine et écosystèmes. Cette vision globale permet d’aborder la complexité des enjeux liés à l’alimentation. Les deux principes suivants s’inscrivent dans la lignée de la pédagogie active théorisée par Dewey (1986), laquelle place au centre des apprentissages les expériences quotidiennes que font les apprenants dans leur environnement proche. Ainsi 2), la participation active des élèves à des expériences pédagogiques semble être un élément fondamental, qui permet d’éviter, ou du moins de minimiser, les potentiels rejets liés aux injonctions ainsi qu’à l’instauration d’une « distance culturelle ». Enfin 3), en lien avec la volonté d’encourager leur participation, il apparaît pertinent d’adosser les projets d’éducation alimentaire à l’environnement des élèves, qu’il s’agisse de leur environnement socioculturel (leurs représentations, habitudes, préférences et connaissances autour de l’alimentation) ou de leur environnement proche (agriculture locale, commerces alimentaires, associations, etc.). En partant de l’environnement des élèves et en les impliquant activement dans le projet pédagogique, il est question de favoriser chez eux le développement d’une conscience autour de l’alimentation, ouvrant la voie à 7 Il ne s’agit aucunement d’un inventaire exhaustif de préceptes, mais plutôt de pistes permettant d’inspirer les décisionnaires et les pédagogues. 118 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École de possibles transformations sur le long terme des pratiques, des territoires et des systèmes alimentaires. Se pose alors la question de l’impact de ces projets éducatifs sur les élèves dans leur vie quotidienne. Que reste-t-il de ces expériences une fois que les élèves retrouvent le cours de leur vie en famille ou entre amis en dehors de l’école, du collège ou du lycée ? Il est reconnu que la socialisation des élèves à l’école et les expériences alimentaires qu’ils y font peuvent avoir des effets sur les pratiques de leur famille (Fischler, 1990), en ayant notamment la capacité d’aboutir à des transformations dans les comportements alimentaires de leurs parents (Bavly, 1966 ; Calvo, 1982). Toutefois, les études qui cherchent à mesurer l’impact d’actions d’éducation alimentaire sur les habitudes alimentaires des élèves concernés présentent des résultats nuancés. En effet, si certaines recherches mettent en évidence des changements positifs8 dans les pratiques alimentaires des élèves suite à certaines interventions éducatives (Lua et Wan Putri Elena, 2012), d’autres indiquent au contraire qu’elles n’ont pas ou peu d’impact sur les habitudes alimentaires des élèves (Beinert et al., 2021 ; Hoppu et al., 2015 ; Reverdy, 2008) tout en soulignant le fait qu’il est particulièrement difficile de mesurer les effets concrets de telles actions sur les comportements. L’objectif premier des projets dont traite cet article n’est pas tant de changer les habitudes alimentaires des élèves que de les amener à prendre conscience de la complexité des enjeux de l’alimentation (santé, environnement, inégalités sociales, etc.), à exercer leur regard critique sur le fonctionnement du système alimentaire et à développer leur pouvoir d’agir sur ce dernier. En suscitant l’intérêt et la participation active des élèves à la coconstruction des activités, ces projets constituent selon nous des pistes pour aller au-delà du rejet qu’expriment de nombreux élèves de milieux défavorisés à l’égard d’une éducation alimentaire parfois injonctive et moralisatrice. 5 Conclusion La figure 2 résume la démarche de cet article : en s’appuyant sur une revue de littérature et sur deux expériences de recherche menées en milieu scolaire, les auteurs proposent trois principes permettant de guider les acteurs éducatifs dans la mise en œuvre d’une éducation alimentaire à l’École. Alors que les attentes sociétales au sujet de l’éducation alimentaire à l’École vont croissant, la question des finalités éducatives et des approches pédagogiques à employer demeure sujette à débat. D’une part, les enjeux auxquels un projet éducatif autour de l’alimentation est appelé à répondre à l’heure actuelle sont de plus en plus complexes et invitent à une approche globale des questions alimentaires. Il s’agit non seulement d’améliorer la santé humaine, de lutter contre les injustices en matière d’accès à l’alimentation, mais également de répondre à des problématiques environnementales toujours plus pressantes. D’autre part, sur le plan des méthodes pédagogiques, le modèle d’une éducation alimentaire transmissive exclusivement dirigée vers des enjeux de santé est de plus en plus critiqué et tend à être remplacé, du moins dans les recommandations, par des approches plus interactives. Face à ces enjeux, nous aboutissons à la proposition, notamment via la convergence et la complémentarité de « l’éducation 8 Ce qui correspond ici à l’adoption d’habitudes alimentaires jugées plus saines. A. PECH, L. LEBREDONCHEL, A. FARDET ESASOS, Vol.9, No.2 119 agri-alimentaire » et de « l’éducation à l’alimentation holistique », de trois principes en tant que pistes pour une éducation à l’alimentation transformative. Ainsi, l’approche holistique de l’alimentation, la participation des élèves et la mobilisation de leur environnement sont autant de démarches pouvant être mises au service d’une éducation alimentaire transformative. Fig. 2 : Synthèse explicitant la démarche de formulation de trois principes pour une éducation alimentaire transformative à l’École. Il convient toutefois de rappeler que les comportements alimentaires ne résultent pas uniquement de la volonté consciente des individus, mais qu’ils dépendent en partie de facteurs économiques, psychologiques et sociaux (Lahlou, 2005), mais aussi des 120 ESASOS, Vol.9, No.2 Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École facteurs génétiques (Garcia-Bailo et al., 2009 ; Qualls‐Creekmore et al., 2020). Ainsi, ces approches et ces principes d’éducation alimentaire ne prétendent pas répondre à eux seuls aux enjeux mentionnés plus haut, mais représentent des pistes qui peuvent contribuer à la lutte contre les maladies chroniques, les inégalités sociales de santé, la justice sociale, ainsi que la dégradation de l’environnement. Références bibliographiques Audigier, F. (2012). Les Éducation à… : Quels significations et enjeux théoriques et pratiques ? Esquisse d’une analyse. Recherches en didactiques, 13, 25-38. Barthes, A. (2017). Éducation au développement durable. Dans Barthes A., Lange J-M et Tutiaux-Guillon N. (dir.), Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à… L’Harmattan. Bavly, S. (1966). Changes in Food Habits in Israel. Journal of the American Dietetic Association, 48, 488-495. Beinert, C., Sørlie, A. C., Åbacka, G., Palojoki, P., et Vik, F. N. (2021). Does food and health education in school influence students’ everyday life ? 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