Audrey Linder
Adjointe scientifique à la Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV - HES-SO) dans le domaine de la sociologie de la santé mentale, j'ai récemment soutenu une thèse de doctorat en sciences sociales à l'Université de Lausanne qui porte sur les savoirs, pratiques et expériences du "rétablissement en santé mentale"
Supervisors: Laurence Kaufmann and Benoît Eyraud
Address: Lausanne, Vaud, Switzerland
Supervisors: Laurence Kaufmann and Benoît Eyraud
Address: Lausanne, Vaud, Switzerland
less
InterestsView All (21)
Uploads
Books by Audrey Linder
Papers by Audrey Linder
Les acteurs-clés de l’importation du rétablissement en Suisse romande – qui s’est faite dès le début des années 2000 – insistent sur les notions d’espoir et d’empowerment, la symétrisation des relations soignants-patients et la déstigmatisation des maladies mentales. Ils voient dans le rétablissement un concept unificateur, la possibilité d’un langage commun par-delà des orientations thérapeutiques (TCC, psychanalyse, systémique), mais aussi par-delà les « places » occupées dans le système psychiatrique (association, infirmier, patient, proche, psychiatre). Pour eux, le rétablissement permet à la fois de donner une direction aux changements à apporter pour une psychiatrie « basée sur le rétablissement », tout en permettant de rassembler un grand nombre d’acteurs, puisque chacun peut l’adapter à son contexte. Toutefois, le fait que le rétablissement est suffisamment flou pour ouvrir la possibilité d’un langage commun et être réapproprié par un grand nombre de personnes constitue à la fois sa force et sa faiblesse, risquant d’en faire une notion « fourre-tout » qui, de par sa trop grande hétérogénéité, devienne inutilisable et inopérante dans la clinique.
Enfin, pour qu’il ait un impact concret, le rétablissement est promu comme concept organisateur des soins, et est mis au cœur de politiques publiques. Dans le canton de Vaud, en 2013, est créée la filière de psychiatrie adulte « basée sur le rétablissement ». La filière a pour but de rassembler, sous un même cadre légal et administratif, des institutions d’hébergement psychiatrique du domaine de la santé et du social. Le rétablissement est alors vu comme « la » solution, permettant un langage commun entre les travailleurs sociaux et les infirmiers en psychiatrie. Cette institutionnalisation du rétablissement soulève toutefois deux problématiques.
D’une part, cela entraîne ce que j’appellerai la « sur-opérationnalisation » du rétablissement : du rétablissement comme ensemble de propositions cognitives et axiologiques, qui donne une direction, de grandes valeurs, dans lesquelles inscrire à la fois ses pratiques mais aussi sa réflexion, on passe à un rétablissement-marche à suivre, une liste d’éléments qui doivent impérativement être mis en place au sein de l’institution. D’autre part, il est étonnant de constater que les usagers de la psychiatrie ou les associations de défense d’usagers n’ont pas été intégrés directement dans la constitution de la filière. Or, vouloir « faire du rétablissement » sans les intégrer pleinement est quelque peu contradictoire.
Dès lors, le rétablissement ne s’inscrit ni complètement dans la rupture avec les pratiques précédentes, ni complètement dans leur continuité ; plutôt qu’un changement de paradigme, je dirais avec le sociologue B. Godrie qu’il s’agit d’une « révolution tranquille ».
La présente communication s’inscrit dans le cadre d’une thèse de doctorat en cours, et s’appuie principalement sur un corpus de récits de rétablissement – énoncés lors de conférences destinées aux professionnels de la psychiatrie, rassemblés dans une brochure publiée par une association de défense des usagers, ou encore publiés sur internet – mais aussi de réactions à ces récits par des usagers ou des collectifs d’usagers. Quatre enjeux des récits de rétablissement sont identifiés et discutés.
Le premier enjeu concerne le profil des personnes qui font le récit public de leur rétablissement. De fait, tout le monde n’est pas capable de se raconter devant un parterre de psychiatres, infirmiers et/ou sociologues. Nous verrons qu’il s’opère une forme de sélection des orateurs, qui ont souvent un capital social, économique et culturel de base élevé. Le second enjeu concerne la structure narrative des récits, qui répondent à une double injonction : être suffisamment héroïque pour donner de l’espoir, mais suffisamment ordinaire pour paraître accessible à tous. Le troisième enjeu concerne le glissement qui s’opère du rétablissement-possibilité (« tu peux te rétablir ») au rétablissement-obligation (« tu dois te rétablir »). Le rétablissement s’inscrit alors dans un registre normatif et devient un impératif moral, mettant l’accent sur la volonté et la responsabilité individuelle (« si tu ne peux pas te rétablir, c’est que tu ne le veux pas suffisamment »). Enfin, le dernier enjeu concerne la place accordée aux voix des personnes qui ne sont pas rétablies et/ou ne s’en sentent pas capables. De fait, en devenant le principal mode de prise de parole publique des usagers de la psychiatrie, le rétablissement tend à rendre indicibles les expériences de la maladie psychique qui relèvent de la souffrance, du désespoir, de la peur, ou encore de la tristesse.
Au cours de la recherche, plusieurs questions éthiques ont été soulevées, que nous exposerons lors de la présentation. Nous nous questionnons sur la légitimité d’un accès différentiel au psychiatre (inégalités d’accès aux soins) en fonction des représentations que le généraliste a du patient et/ou de la psychothérapie. En particulier, le renoncement à la psychothérapie, en passant du cure au care pour certains patients, nous interroge. Comment s’assurer qu’il s’agit d’un véritable choix thérapeutique, et non pas d’un abandon ? Enfin, se pose la question de la légitimité de la création d’une nouvelle catégorie diagnostic (bodily distress syndrome) et de son potentiel de (sur)médicalisation de la souffrance sociale, notamment via la prescription d’antidépresseurs.
Pour ce faire, nous nous appuyons sur une observation participante de deux ans (2013-2015) dans une unité psychiatrique de réhabilitation, ainsi que sur quatorze entretiens avec d’anciens patients de cette unité (2016-2018), dans le cadre d’une thèse de doctorat en cours. L’unité, basée sur un modèle communautaire, accueille une trentaine de patients, et s’inscrit dans une logique évolutive : alors que les patients dorment d’abord au sein de l’unité, ils passent ensuite en hôpital de jour, qu’ils diminuent jusqu’à l’arrêt du suivi. L’unité vise un retour dans un appartement, une réinsertion sociale et, parfois, professionnelle. Elle s’adresse essentiellement à des patients qui ont perdu leur logement ou ne sont plus capables d’y vivre seul.
Les relations entre un nouvel arrivant et la communauté formée par les patients s’inscrit dans une temporalité qui comporte trois phases : (1) Une phase d’apprentissage de la vie en communauté, où le patient a la possibilité de (re)créer des liens sociaux et de partager son expérience avec des personnes qui ont vécu des choses similaires. Cette phase est aussi celle de l’apprentissage de la vie en communauté, où le patient doit trouver un équilibre « Nous-Je », certains patients se faisant rappeler à l’ordre lorsqu’ils ne s’impliquent pas suffisamment dans la communauté, et d’autres se faisant rappeler à l’ordre par les soignants car ils « donnent trop » à la communauté et s’épuisent pour les autres sans prendre de « temps pour soi » ; (2) Dans la deuxième phase, la communauté formée par les patients de l’unité devient centrale dans la vie du nouvel arrivant, et est parfois son seul endroit de socialisation ; (3) Enfin, la dernière phase est celle de distanciation d’avec la communauté de patients, au fur et à mesure que le patient va mieux. Cette distanciation se fait à la fois d’avec le statut de patient psychiatrique, mais aussi d’avec ceux qui l’y rattachent, en premier lieu desquels figurent les autres patients. Dans cette phase, le récit des patients est marqué par la (re)création d’une distinction entre « Je » et « Eux », ceux qui sont « plus malades que moi ». La distanciation devient nécessaire pour reconstruire une identité autre que celle de « patient psychiatrique ». D’autres groupes sociaux, extérieurs à l’unité psychiatrique, sont réinvestis.
En résumé, la socialisation dans des groupes de patients psychiatriques ne peut être que transitoire dans un parcours de réinsertion. Elle est un lieu d’expérimentation des liens sociaux dans un milieu tolérant, qui permet ensuite aux patients de réinvestir la vie sociale « normale ». La sortie de cette communauté nécessite un travail, notamment narratif, de reconstruction des barrières entre « soi » et les « fous ».
Cette communication se propose d’aborder la question des relations soignants-soignés au prisme de l’imposition de la notion de rétablissement dans les politiques publiques. Elle s’inscrit dans le cadre d’une thèse de sociologie en cours sur les pratiques du rétablissement en Suisse romande. Les données ont été récoltées par : une observation participante de 2 ans (2013-2015) dans une unité psychiatrique de réhabilitation, fortement inspirée par le rétablissement ; une série d’entretiens (2016-2017), d’une part avec d’anciens patients de cette unité, d’autre part avec les personnes qui ont joué un rôle important dans l’implantation du rétablissement en Suisse romande ; enfin, la constitution et l’analyse d’un corpus sur le rétablissement, regroupant des publications de professionnels, des conférences et des documents d’associations suisses romandes.
Alors qu’aux Etats-Unis, l’avènement du rétablissement dans les politiques de santé est l’aboutissement de nombreuses années de militantisme des consumers, ex-patients et survivors (McLean, 2003, 2010), en Suisse romande cette notion est imposée dans les soins de façon top-down par les soignants, et par là-même passablement retravaillée : nous verrons comment des enjeux financiers, notamment, ont contribué à formaliser, rigidifier et quelque peu appauvrir cette notion. De plus, le passage d’une notion bottom-up à top-down a une influence sur son aspect politique. Aux Etats-Unis la notion est le mot d’ordre des collectifs de patients et joue un rôle politique décisif (Deegan, 1997 ; McLean, 1995 ; Ostrow & Adams, 2012). En Suisse romande, l’imposition top-down, qui prive en premier lieu le rétablissement de son potentiel politique, contribue paradoxalement à sa re-politisation, puisqu’il est mis au cœur de la formation des pairs-praticiens qui sont désormais intégrés dans les structures de soin et dans la recherche – mais pas encore dans les instances de décisions.
De plus, nous verrons que les définitions du rétablissement dans les articles de psychiatres et infirmiers mettent au jour un paradoxe : la plupart des professionnels déclarent que le rétablissement est « l’affaire des usagers » (Pachoud, 2012), tout en proposant de faire de cette notion la base des soins psychiatriques (Huguelet, 2007 ; Provencher, 2006). Cela ouvre la question du rôle de la psychiatrie : si le soignant n’est qu’un accompagnant de la personne dans son rétablissement, est-ce encore du ressort de la psychiatrie en tant que médecine ?
Cette symétrisation des rapports soignants-patients en psychiatrie s’inscrit dans celle qui traverse l’ensemble de la médecine depuis quelques décennies (Charles et al., 1997 ; Pierron, 2007). L’une de ses conséquences est que, alors que les enjeux liés aux différences structurales institutionnelles étaient très clairs dans les « asiles » goffmaniens (Goffman, 1968), ils ne sont actuellement pas toujours saisis par les soignants et les patients, comme je le montrerai à l’aide de deux exemples tirés de mes observations. La transformation du rôle des soignants, qui n’accomplissent que très peu de gestes techniques mais s’inscrivent davantage dans une logique de care et d’accompagnement, fait que, d’après les entretiens effectués avec d’anciens patients, ils ne sont pas toujours perçus comme une véritable ressource. Le rétablissement contribuerait donc à diminuer ou à invisibiliser le rôle des soignants dans le parcours des patients.
À quel(s) moment(s) de leur parcours les familles ont-elles des contacts avec le discours associatif et/ou des nouveaux professionnels, pour quels motifs et avec quelles conséquences ?
The Swiss government recommendations were paralleled by the emergence of semi-public structures, competing with public institutions. In the Canton of Geneva, a specialised Autism Consultation Centre, created in 2009, launched two Early Intervention Centres between 2010 and 2015. In the Canton of Vaud, an Autism Competence Centre was created in 2014, alongside with an academic Chair of Excellence, both privately funded. These structures use intervention models (ABA, ESDM, TEACCH) recommended by national guidelines, and thus impose a new framework of interpretation widely hailed by media and politics. Early diagnosis and intervention, objectifiable criteria and strong partnership with families are imperative in this framework. It is correlated with simultaneous disqualification of psychodynamic approaches and praise of CBT.
Our fieldwork reveals that “new professionals” (Eyal, 2010), supported by political authorities, are deemed the most legitimate to express a public opinion on the “right way” to manage ASD and subsequently require paediatricians to refer families to their services. A competition between autism-specialised services and general child psychiatry seems to account for significant decrease in ASD consultations that was observed in the former. In Geneva, the Department of child and adolescent psychiatry of the cantonal hospital historically lays on a psychodynamic ground, and currently attracts the wrath of the local parents’ association. At the same time, the Autism Consultation Centre is CBT-oriented and proudly displays its strong ties with the parents’ association, which claims that this service is more suitable for early management of ASD. Due to the proximity of this association with local politicians, the clinicians of the public service are instructed to refer their patients to this Centre. However, families are often addressed to both services at the same time, which creates an overlap in the management of ASD cases. This overlap paradoxically entails a loss of time: the two services barely communicate with each other and clinical exams are often performed twice. Moreover, the DSM 5 concept of ASD generates a complex situation where, from the psychiatrists’ point of view, many of the diagnosed children are not “real autists”, but actually get labelled as such in order to be eligible for a referral to specialised services.
While “autism centres” embody the tendency to highly specialise the category, the ASD concept accomplished quite the contrary. Highly specialised centres eventually treat little specific spectrum population and child psychiatrists feel they lost control over a diagnostic category that was crucial for child psychiatry.
Ce second cycle de conférences est consacré aux liens entre formation, production et reproduction des savoirs et des identités professionnelles dans le champ de la santé. Cette année encore, nous interrogeons les inégalités épistémiques et les formes de (re)mise en question des connaissances et des pratiques, en posant cette fois la focale sur leur caractère mouvant, incertain, en devenir. Rencontres entre connaissances et pratiques lors des expériences de stage, incertitudes et caractère provisoire de la science, participation des patient.e.s et insertion des sciences humaines et sociales dans les formations des professionnel.le.s de santé, feront partie des thématiques abordées.
Chaque conférence est suivie d’une discussion initiée par un chercheur ou une chercheuse de HESAV, chargé.e d’ouvrir le dialogue entre les savoirs académiques et les pratiques cliniques.
Savoirs académiques et pratiques sont mis en dialogue et chaque conférence est suivie d’une discussion initiée du point de vue de la clinique.
The emergence and diffusion of “recovery in mental health” - first within collectives of users and survivors and then more widely in the field of psychiatry - has transformed the way of conceiving and perceiving life with a mental illness, in particular by making the possibility of getting better more prevalent, whether or not the symptoms persist. This study - which began with a corpus of documents on “recovery” (users’ testimonies, scientific or clinical articles by psychiatric professionals), followed by an ethnographic approach in a “recovery-oriented” rehabilitation unit, and then by interviews with former patients of the unit - traces the modes of existence of “recovery” in different places and different temporalities. It explores the meanings, but also the tensions and paradoxes, of “recovery” in scientific and clinical discourses, caregiving practices, and first-person experiences of mental illness. In doing so, this thesis contributes to a better understanding of contemporary psychiatry and the lived experience of mental illness, in particular how one “deals with” or “recovers” from illness.