Cf Nathan
EXPLICATION LINÉAIRE 15
Acte III, scène 3: de « Je t'aime, Rosette ! » à « je vous aimerai comme je pourrai ».
Texte :
PERDICAN, à haute voix, de manière que Camille l'entende. : Je t'aime, Rosette ! toi
seule au monde tu n'as rien oublié de nos beaux jours passés; toi seule tu te
souviens de la vie qui n'est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle; donne-moi ton
cœur, chère enfant; voilà le gage de notre amour.
(Il lui pose sa chaîne sur le cou.)
ROSETTE : Vous me donnez votre chaîne d'or ?
PERDICAN: Regarde à présent cette bague. Lève-toi et approchons-nous de cette
fontaine. Nous vois-tu tous les deux, dans la source, appuyés l'un sur l'autre ? Vois-
tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? Regarde tout cela
s'effacer.
(Il jette sa bague dans l'eau.) Regarde comme notre image a disparu; la voilà qui
revient peu à peu; l'eau qui s'était troublée reprend son équilibre; elle tremble
encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface; patience, nous reparaissons;
déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et
il n'y aura plus une ride sur ton joli visage : regarde ! c'était une bague que m'avait
donnée Camille.
CAMILLE, à part. : Il a jeté ma bague dans l'eau.
PERDICAN : Sais-tu ce que c'est que l'amour, Rosette ? Écoute ! le vent se tait ; la
pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la
lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t'aime ! Tu veux bien de moi, n'est-ce pas ?
On n'a pas flétri ta jeunesse ; on n'a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d'un
sang affadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ; le voilà jeune et belle dans les bras
d'un jeune homme. O Rosette, Rosette ! sais-tu ce que c'est que l'amour ?
Rosette : Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai.
Analyse du texte
Introduction
→ Présentation et situation de l'extrait
Il s'agit d'un extrait de la scène 3 de l'acte III. Lors de la scène précédente, Perdican
a lu une lettre envoyée par Camille à son amie Louise dans laquelle la jeune femme
prétendait laisser Perdican avec un « poignard dans le cœur ». Perdican est blessé
par ces mots et se promet de prouver à Camille qu'il ne l'aime pas.
→ Comment Perdican utilise-t-il Rosette pour se venger de Camille ?
→ Mouvement du texte
1. Du début à « Vous me donnez votre chaîne d'or ?»
(1.7) : un cadeau symbolique.
2. De « Regarde à présent cette bague » à « Il a jeté ma bague dans l'eau » (1. 8 à
19) : un geste théâtral.
3. De « Sais-tu ce que c'est que l'amour » (I. 20) à la fin : la déclaration d'amour à
Rosette.
→ Premier mouvement
Les didascalies occupent une place importante dans cette scène. D'une part, il ne
faut pas oublier que la pièce n'est pas écrite pour être jouée puisque Musset est
fortement marqué par l'échec de ses œuvres théâtrales précédentes et n'aspire plus
Cf Nathan
à écrire pour la scène. Il faut donc donner au lecteur les informations nécessaires
pour imaginer la scène. D'autre part, les enjeux de la scène sont liés au dispositif du
témoin caché. Le sens des répliques est modifié par la présence secrète de Camille,
qui est cachée aux yeux de Rosette et pense l'être de Perdican. Pourtant, ce dernier
joue pour elle (« de manière que Camille l'entende »).
La première réplique de Perdican est empreinte de lyrisme. Elle commence par une
déclaration d'amour simple et explicite, soutenue par l'exclamative « Je t'aime,
Rosette ! ».
Elle se développe ensuite grâce à un rythme binaire : deux propositions associent
Rosette au passé, à l'innocence heureuse de l'enfance (« toi seule au monde tu n'as
rien oublié », « toi seule tu te souviens ») et les deux impératifs qui suivent lui
donnent une place dans l'avenir de Perdican « prends », « donne-moi »). Ce rythme
binaire rappelle qu'il y a deux destinataires à ce discours. La première est Rosette.
Perdican continue à lui parler d'amour comme l'atteste le champ lexical du sentiment
(« cœur », « chère », « amour »). Il la valorise par l'anaphore de « toi seule ».
Mais cette anaphore vise en réalité la deuxième destinataire, Camille.
La réplique de Perdican se conclut par un don symbolique: il donne à Rosette un «
gage » de leur amour, sa chaîne en or. L'interrogation de Rosette « Vous me donnez
votre chaîne d’or ? » manifeste toute l'ambiguïté de ce geste. En effet, il rappelle la
différence de statut social entre Rosette et Perdican. Rosette est impressionnée par
le cadeau et pas seulement par sa dimension symbolique. Elle s'exprime d'ailleurs
simplement, sans l'inversion attendue du sujet et du verbe, ce qui traduit son manque
d'éducation par rapport à Perdican et Camille.
→ Deuxième mouvement
Dans ce deuxième mouvement, Perdican met en scène un geste théâtral, à
destination de Camille. Il jette sa bague dans l'eau comme s'il voulait définitivement
se débarrasser de son amour. Les impératifs « Regarde », répétés trois fois et
relayés par l'interrogative « vois-tu », s'adressent en réalité à Camille.
Pourtant, c'est à Rosette qu'il présente la bague, lui demandant de se lever, comme
s'il allait la demander en mariage. Cette demande n'a pourtant pas lieu, comme si
Perdican n'allait pas vraiment au bout de son geste, par hypocrisie ou indécision.
Tout en jetant la bague de Camille, Perdican dépeint le couple qu'il forme avec
Rosette. Il souligne la beauté de la jeune paysanne (« tes beaux yeux », « ton joli
visage ») et surtout il insiste sur leur lien (« appuyés l'un sur l'autre », « tes beaux
yeux près des miens, ta main dans la mienne », « tes bras enlacés dans les miens
»). Il cherche ainsi non seulement à séduire Rosette mais surtout à attiser la jalousie
de Camille. Symboliquement, en évoquant un couple qui s'efface (« s'effacer »,
« disparu », « troublée »), il parle de son amour passé. Le couple qui reparaît («
revient », « reprend son équilibre », « je distingue à nouveau ») pourrait alors être un
nouveau couple, celui qu'il forme désormais avec Rosette.
Perdican assortit donc son geste symbolique d'une tirade descriptive afin que
Camille comprenne ce qui se joue ici : il l'a effacée et s'unit désormais à Rosette.
Camille intervient en aparté et constate que Perdican « a jeté [sal bague dans l'eau
». Cette simple phrase ne révèle pas explicitement ses sentiments mais montre
qu'elle est attentive à la scène qui se joue.
→ Troisième mouvement
Après avoir accompli un geste symbolique secrètement destiné à Camille, Perdican
Cf Nathan
semble s'intéresser de nouveau a Rosette et s'adresse explicitement à elle. Sa
déclaration commence par une question morale, abstraite, à laquelle Il y a de fortes
chances que la jeune paysanne n'ait pas de reponse (« Sais-tu ce que c'est que
l'amour, Rosette ? »).
Il accorde donc peu d'importance à ses sentiments alors même qu'il prétend lui faire
une déclaration. D'ailleurs Perdican ne lui laisse pas le temps de répondre et définit
lui-même l'amour en référence à la nature qu'il aime et que connaît Rosette. L'amour
apparait donc dans la bouche de Perdican comme un sentiment sublime qui justifie
son exaltation (« Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t'aime ! »). La
question rhétorique « Tu veux bien de moi, n'est-ce pas? » suggère qu'il n'a aucun
doute sur les sentiments de Rosette qui lui semblent acquis, contrairement à ceux de
Camille.
Pourtant, aussitôt après cette déclaration, dont l'émotion se manifeste dans les
exclamatives, il en revient à une comparaison entre Rosette et Camille. On retrouve
le rythme binaire avec d'abord deux accusations implicites contre les religieuses,
désignées par un « on » (« On n'a pas flétri ta jeunesse; on n'a pas infiltré dans ton
sang vermeil les restes d'un sang affadi »), puis deux adresses directes à Rosette («
Tu ne veux pas te faire religieuse; te voilà jeune et belle dans les bras d'un jeune
homme »).
La tirade de Perdican se termine par le retour à la question initiale.
Rosette répond brièvement et sans lyrisme à la tirade de Perdican, ce qui rappelle
qu'elle maîtrise moins bien le langage que Perdican, qui a fait des études. On note
qu'elle ne l'appelle pas par son prénom (« monsieur le docteur ») et qu'elle le vouvoie
(« je vous aimerai »). lIs n'appartiennent en effet pas au même milieu social.
Elle ne cherche pas à définir l'amour mais promet d'agir sincèrement (« je vous
aimerai comme je pourrai »).
Conclusion
Perdican fait une déclaration d'amour à Rosette mais il s'en sert pour prouver à
Camille qu'il n'est pas amoureux d'elle. On ne connaît pas encore l'efficacité de sa
mise en scène: Camille décide néanmoins de ne pas par-
tir aussitôt au couvent.
Dans la pièce, on assiste à d'autres scènes de théâtre dans le théâtre où un témoin
caché assiste à un dialogue mis en scène. Ainsi, à la scène 6 de l'acte III, Camille
demande à Rosette de se cacher pour assister à son dialogue avec Perdican; deux
scènes plus tard, Rosette se cache à nouveau, cette fois-ci sans que personne ne le
sache afin d'assister aux déclarations de Perdican et Camille.
Question de grammaire
Vous analyserez l'interrogative suivante :
« Vous me donnez votre chaîne d'or ? »
Il s'agit d'une question directe (signalée par le point d'interrogation). Le niveau de
langue en est familier puisqu'il n'y a aucune trace de l'interrogation dans la structure
de la phrase. La question est totale puisqu'on peut y répondre par oui ou par non.
Enfin, on peut dire qu'il s'agit d'une confirmation d'information.