Impact de l'immigration en France
Impact de l'immigration en France
Juil.
2019
L’impact de l’immigration
sur le marché du travail,
les finances publiques
et la croissance
Revue de littérature
JUILLET 2019
AVANT-PROPOS
Cette revue de littérature a été réalisée de février à juin 2019 à la demande du Comité
d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, sur une
initiative de Stéphanie Do, députée de Seine-et-Marne, et de Pierre-Henri Dumont, député du
Pas-de-Calais. Le périmètre de travail est issu des échanges initiaux avec le Comité.
La rédaction a été effectuée par Julien Rousselon, Christel Gilles et Mohamed Harfi sous ma
supervision directe.
Le rapport a bénéficié de remarques d’Anthony Edo (CEPII) et de la Dares sur la base d’une
version préliminaire, de nombreux échanges avec Jérôme Lê (chef de la cellule Statistiques
et études sur l’immigration à l’Insee), de plusieurs précisions fournies par la division des
migrations internationales de l’OCDE ainsi que par Xavier Chojnicki et Lionel Ragot (CEPII).
Il n’engage toutefois que France Stratégie.
L’ensemble des travaux a été accompagné par Philippe Lamy, chef de la division du
secrétariat du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée
nationale.
Gilles de Margerie
Commissaire général de France Stratégie
L’étendue des effets de l’immigration est très large, avec un champ d’investigation
potentiel qui recouvre notamment des effets démographiques, économiques, sociaux,
et culturels sur les pays d’accueil comme sur les pays d’origine. Le périmètre
d’analyse retenu, à la suite d’échanges avec le commanditaire, se limite toutefois à
trois domaines déjà vastes : le marché du travail, les finances publiques et la
croissance économique. Cette définition du périmètre correspond notamment à deux
exercices analogues menés à l’étranger. Le premier a été réalisé en 1997 par
l’Académie des sciences aux États-Unis à la demande d’une commission du Congrès
en 1995 (commission bipartite sur la réforme de l’immigration) 1. Cet exercice vient
d’être actualisé par la même Académie en 2017 2. Le second exercice de ce type a
été produit en 2008 au Royaume-Uni pour la Chambre des lords 3. Mais à notre
connaissance il n’existait pas jusqu’ici, en France, de travail mettant en regard
l’ensemble de ces aspects.
1
National Research Council (1997), The New Americans: Economic, Demographic, and Fiscal Effects
of Immigration, Washington DC, The National Academies Press.
2
National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine (2017), The Economic and Fiscal
Consequences of Immigration, Washington DC, The National Academies Press.
3
House of Lords (2008), The Economic Impact of Immigration. Volume I: Report, Select Committee on
Economic Affairs, First Report of Session 2007-08, avril.
Par ailleurs, le périmètre de cette revue de littérature n’est pas limité aux travaux
français. Il n’y a en effet pas une mais des immigrations, qui fluctuent dans le temps
et dans l’espace, sous l’effet conjoint des politiques publiques des pays d’accueil
potentiels, et des mécanismes d’autosélection des migrants (en fonction notamment
de facteurs géographiques et historiques et de diverses crises). L’immigration
française a elle-même fluctué au cours du temps, avec des évolutions en fonction
des flux de nouveaux immigrés, d’où des différences entre les flux d’immigration et
l’ensemble de la population immigrée, incluant des vagues plus anciennes.
Cette revue de littérature, effectuée dans des délais contraints, ne prétend pas à
l’exhaustivité. Elle est néanmoins relativement longue, dans le souci de restituer la
complexité de l’analyse de l’immigration, enjeu protéiforme.
Synthèse .................................................................................................................. 11
1. Bref rappel des concepts et du cadre général des politiques d’immigration ....... 24
1.1. Qu’est-ce qu’un immigré ? ........................................................................................... 24
1.2. Il existe une émigration des immigrés ......................................................................... 26
1.3. Pourquoi immigrer ? Une diversité des motifs ............................................................. 28
1.4. L’hétérogénéité des flux conduit à distinguer différentes catégories d’immigration ..... 29
1.5. Les trajectoires individuelles ne se résument pas à la catégorie d’entrée ................... 31
1.6. Les situations irrégulières ne se limitent pas aux entrées irrégulières ......................... 34
2. La population immigrée en France : état des lieux et tendances récentes ......... 37
2.1. Une immigration ancienne dont la composition a fluctué ............................................. 37
2.2. Les immigrés représentent un peu moins de 10 % de la population en France,
avec des disparités territoriales ................................................................................... 40
2.3. Une croissance des flux, plutôt modérée en comparaison internationale .................... 44
2.4. L’immigration pour motif économique progresse et sa part n’est pas négligeable
en incluant la liberté de circulation au sein de l’UE ...................................................... 47
2.5. Un niveau d’éducation hétérogène, en progrès mais toujours en retrait ...................... 50
2.6. Des immigrés plus souvent en âge de travailler que les non-immigrés ....................... 54
2.7. La population immigrée se féminise ............................................................................ 57
2.8. Des origines plus diversifiées mais encore marquées par l’histoire ............................. 59
2.9. Quel est le profil des immigrés en situation irrégulière ? ............................................. 61
1.3. Les approches dynamiques ont des avantages… et des limites ............................... 146
1.4. Le choix de la population étudiée est une question complexe, mais stratégique....... 148
2. Les effets démographiques de l’immigration ne doivent pas être surestimés ... 153
2.1. L’impact de l’immigration est limité, transitoire et conditionnel .................................. 153
2.2. La situation démographique est plutôt favorable en France ...................................... 155
3. Enjeux de prise en compte des finances publiques au-delà des transferts
directs en espèces du système socio-fiscal ...................................................... 157
3.1. Les dépenses d’éducation renvoient avant tout à la structure par âge ...................... 159
3.2. Concernant les dépenses de santé, il n’est pas établi que les immigrés
se distinguent ............................................................................................................ 161
3.3. Les immigrés consomment davantage de services de logement .............................. 165
3.4. Il existe des dépenses d’accompagnement spécifiques
à certains flux d’immigration ...................................................................................... 168
3.5. La prise en compte des biens publics soulève des difficultés conceptuelles
ou statistiques............................................................................................................ 170
3.6. Il existe des coûts de gestion et de prise en charge de l’immigration irrégulière
ou en attente de régularisation .................................................................................. 173
3.7. Les prélèvements obligatoires autres que les prélèvements directs
sur les ménages sont assez peu étudiés ................................................................... 177
4. Grands constats ............................................................................................... 179
4.1. Un impact très lié à la situation des immigrés vis-à-vis du marché du travail ............ 179
4.2. Un impact qui dépend donc des caractéristiques des populations accueillies ........... 181
4.3. Un impact qui dépend aussi du système socio-fiscal et du poids
des services publics .................................................................................................. 184
4.4. Un impact différentiel des immigrés sur le déficit évalué à environ 0,3 point de PIB
pour la France ........................................................................................................... 188
4.5. Mais un impact potentiellement asymétrique sur les finances locales et nationales.. 191
Quel est l’impact de l’immigration sur le marché du travail, sur les finances publiques
et sur la croissance ?
On sait beaucoup de choses sur la population immigrée, mais on ne sait pas pour
autant toujours mesurer l’impact économique de l’immigration. Quelles en sont les
conséquences sur les salaires des résidents déjà présents et sur l’emploi ? La
présence d’immigrés (effectif global) ou leur arrivée (flux) influent-elles sur les
finances publiques et la croissance ? Les réponses varient d’un pays à l’autre, et,
pour la France, les études, peu nombreuses, donnent des résultats parfois
divergents. Au total, cependant, même si près d’un résident français sur dix est
immigré, aucun des impacts mesurés sur le marché du travail, sur les finances
publiques et sur la croissance n’est de grande ampleur, quel qu’en soit le signe. Il
s’avère souvent difficile de dissocier les effets intrinsèques de l’immigration et
l’impact mécanique des caractéristiques sociodémographiques de la population
immigrée, à un moment donné. La nécessité de contextualiser les évaluations
obtenues, tributaires des caractéristiques des immigrés accueillis et des politiques
publiques du pays d’accueil, est peut-être le principal enseignement de la « revue de
littérature » présentée dans ce rapport. Le recours à une mise en perspective
internationale facilite cette démonstration. Ainsi, porter un jugement absolu sur le fait
que l’immigration serait intrinsèquement « bonne » ou « mauvaise »
économiquement n’a guère de sens.
S’agissant des flux d’immigration, la publication des premiers titres de séjour délivrés
en France par le ministère de l’Intérieur (265 000 en 2018, dont près d’un tiers au titre
de l’immigration étudiante) est la donnée la plus commentée dans le débat public.
Elle n’est toutefois pas exhaustive, puisqu’il faut y ajouter les entrées de mineurs 1
(environ 30 000 d’après le recensement) ainsi que les nouveaux immigrés
européens, qui s’installent en France au titre de la libre circulation (76 000 en 2017
d’après le recensement). L’OCDE publie quant à elle des données consolidées, les
« entrées permanentes » (259 000 en 2016, dernière année publiée), qui excluent en
revanche les séjours pour études, mais intègrent les changements de statut des
étudiants prolongeant leur séjour au titre du travail ou de la famille.
• Les flux d’immigration en provenance d’Europe, très majoritaires jusque dans les
années 1970, ont diminué continuellement et ne représentent en 2017 qu’une part
1
Les mineurs ne sont pour la plupart pas pris en compte, n’étant pas tenus de posséder un titre de
séjour.
• Les flux en provenance de pays non européens se composent encore pour un gros
tiers d’immigration familiale ; les parts de l’immigration humanitaire et pour motif
économique restent faibles (13 % chacune), bien qu’en hausse. Enfin, les arrivées
d’étudiants, en hausse, voient leur nombre se rapprocher de celui des entrées pour
raisons familiales.
• Les couples mixtes sont légèrement plus nombreux que les couples comportant
deux conjoints immigrés, et ont un niveau de vie nettement supérieur, proche de
celui des non-immigrés.
Ces constats sont loin d’être propres à la France, même si certains pays
d’immigration se distinguent : en Europe du Sud, les immigrés sont plus souvent
actifs que les non-immigrés, du fait de la faiblesse des taux d’activité domestiques et
Les obstacles à l’emploi et les facteurs de déclassement sont bien identifiés par la
littérature. Faire le point à cet égard revient à récapituler, en creux, les grands leviers
d’intégration pouvant accélérer et améliorer l’insertion professionnelle des immigrés. Il
s’agit notamment de la barrière linguistique, de la reconnaissance des qualifications
professionnelles, de leur valeur intrinsèque (selon la qualité des systèmes éducatifs),
de la pertinence de l’expérience acquise, d’obstacles légaux ou encore de la fragilité
sociale à l’arrivée (faiblesse du réseau et du patrimoine, méconnaissance des
institutions et codes). En ce qui concerne l’immigration humanitaire, les vulnérabilités
peuvent aussi être liées aux traumatismes antérieurs. À cette liste s’ajoutent les
discriminations, mises en évidence par nombre d’études, françaises ou étrangères.
Pour autant, certains de ces handicaps s’atténuent avec la durée du séjour, les
données confirmant une amélioration graduelle de la situation d’emploi des immigrés
quelques années après leur arrivée, avec un effet de rattrapage particulièrement fort
en France : d’après l’OCDE, le taux d’emploi des immigrés installés serait supérieur
de 50 % à celui des immigrés récents.
L’impact d’un choc d’immigration sur l’emploi et/ou sur les salaires dépend du
fonctionnement du marché du travail du pays hôte, et de la plus ou moins grande
complémentarité des qualifications des immigrés et des non-immigrés.
1
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », CEPII Policy Brief, n° 2018-22, avril.
• Alors que le système socio-fiscal se base en grande partie sur le niveau de vie
des ménages (et non des seuls individus), faut-il comptabiliser les couples mixtes
de la même manière que les couples comportant deux conjoints immigrés ?
• La littérature est partagée sur l’inclusion dans l’analyse des enfants d’immigrés
nés en France. D’un côté, le coût d’éducation des enfants d’immigrés est bien la
conséquence directe – et à court terme – de l’immigration. De l’autre, il est
étrange de comptabiliser l’impact sur les finances publiques d’une sous-
population durant une période – l’enfance – où elle est par nature uniquement
génératrice de coûts.
Seulement deux études statiques sont disponibles sur la question pour la France
(OCDE 2013 dans le cadre d’une étude portant sur 27 pays, et CEPII 2018) 1. Elles
conduisent à identifier un différentiel de contribution nette aux finances publiques vis-
à-vis des non-immigrés de l’ordre de -0,3 point de PIB, sur la base de scénarios de
référence pourtant différents. Aucune de ces études n’intègre explicitement les coûts
des politiques publiques spécifiques à l’immigration (dont ceux de la mission
« immigration, asile et intégration »), qui sont de l’ordre de 0,1 point de PIB.
1
OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, Éditions OCDE ; Chojnicki X.,
Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France : une
approche comptable », document de travail du CEPII, n° 2018-04, avril.
Par rapport au CEPII, l’OCDE ne tient pas compte des retraites versées à des
immigrés ayant quitté la France (0,2 point de PIB), et suppose que les dépenses en
matière de défense seraient aussi élevées sans immigration (ce qui génère une baisse
de 0,2 point de PIB des dépenses publiques imputées aux immigrés). A contrario,
l’OCDE a intégré les dépenses d’éducation des enfants d’immigrés nés en France (0,4
à 0,5 point de PIB, en comptant pour moitié les enfants de couples mixtes 1).
Au total, l’impact différentiel de l’immigration sur les finances publiques est un peu plus
négatif en France qu’en moyenne dans l’OCDE, pour trois raisons : l’insertion
professionnelle des immigrés est relativement plus défavorable en France ; le dividende
démographique est aujourd’hui faible en France, compte tenu de l’ancienneté de
l’immigration ; enfin le système redistributif est plus étoffé en France qu’en moyenne
dans l’OCDE, mutualisant davantage les écarts de niveau de vie et les rendant donc
plus coûteux pour la collectivité, que les ménages modestes soient immigrés ou pas.
• La part des personnes en emploi, qui joue de façon ambiguë : les immigrés sont
plus nombreux à être en âge de travailler mais leur taux d’emploi est
généralement inférieur, notamment en France. Ce canal joue donc de manière
différente selon l’employabilité des flux d’immigration et les caractéristiques du
marché du travail du pays d’accueil.
1
Le CEPII estime le coût des dépenses d’éducation des enfants d’immigrés à 0,7 point de PIB, car il
ne fait pas de distinction entre les enfants de couples mixtes et les autres enfants (d’immigrés).
• Le capital humain des actifs occupés : une immigration plus qualifiée sera plus
favorable à la croissance par habitant, ce qui renvoie là encore à la composition
des flux d’immigration.
5. Recommandations
La revue de littérature menée pour rédiger ce rapport a mis en évidence la richesse
des données sur l’immigration et le grand nombre d’études académiques, toutefois
rarement spécifiques à la France, qui tentent de surmonter les nombreux obstacles
méthodologiques pour estimer l’impact de l’immigration sur l’économie du pays hôte.
Certaines améliorations apparaissent possibles, tant dans la mise à disposition de
données, que dans les études d’impact :
Synthèse
1
Les statistiques internationales comptabilisent comme immigrées toutes les personnes nées à
l’étranger (y compris pour la France les 1,7 million de Français nés français à l’étranger).
Les données de titres de séjour publiés par le ministère de l’Intérieur ne sont pas exhaustives
sur les entrées de ressortissants de pays tiers, puisqu’il faut notamment y ajouter environ
30 000 entrées de mineurs 1 d’après le recensement.
En outre, l’immigration française s’inscrit depuis 2003 dans le contexte d’une libre circulation
au sein de l’UE. Cette composante additionnelle, mesurée à partir de données de
recensement, reste certes plus modeste que dans d’autres États membres, tant rapportée à
la population résidente qu’aux autres flux d’immigration, avec en 2016 87 000 nouveaux
immigrés à ce titre en France selon l’OCDE, loin derrière les niveaux atteints en Allemagne
(454 000), au Royaume-Uni (215 000) ou même en Espagne (119 000).
L’Insee publie à partir du recensement des données de flux exhaustives (262 000 en 2017),
cohérentes avec l’estimation de la population immigrée, mais pas avec les données d’octrois
de premiers titres de séjour, même sur un champ identique. Cette divergence a plusieurs
explications : une personne s’étant vu octroyer un titre de séjour peut quitter la France au
cours de la même année, le recensement intègre pour partie l’immigration irrégulière, le
recensement est une enquête et non une source administrative, etc.
L’OCDE tente une réconciliation des différentes sources et publie des données d’« entrées
permanentes » (259 000 en 2016, dernière année publiée), qui excluent en revanche les
séjours pour études, mais intègrent les changements de statut des étudiants prolongeant leur
séjour au titre du travail ou de la famille.
Naturellement, l’évolution à moyen terme du nombre d’immigrés n’est pas égale au cumul
des flux d’entrée, en raison des décès et de comportements d’émigration de leur part (au-
delà du cas particulier des étudiants), ces deux facteurs jouant dans des proportions
similaires. D’après l’Insee, à partir de données de recensement, sur la dernière décennie
l’accroissement de la population immigrée est égal à environ la moitié du cumul des flux
d’entrée annuels.
En ce qui concerne les caractéristiques des nouveaux immigrés en France, plusieurs aspects
retiennent l’attention.
1
Les mineurs ne sont pour la plupart pas pris en compte, n’étant pas tenus de posséder un titre de
séjour.
• Les flux d’immigration en provenance d’Europe, très majoritaires jusque dans les
années 1970, ont diminué continuellement et ne représentent en 2017 qu’une part
proche des flux en provenance d’Afrique (35 % et 37 % respectivement), qui ont
augmenté. La part des immigrés d’origine africaine dans la population immigrée
(46 % en 2017) est supérieure à sa part dans les flux en raison de leur durée de
séjour plus importante.
• La diversité des motifs et régions d’origine conduit par ailleurs à une grande
hétérogénéité de la population immigrée en termes de niveau d’éducation. On assiste
en effet à cet égard à une polarisation, avec une surreprésentation des non-diplômés
(plus de 20 points de plus que les non-immigrés) mais aussi dans une moindre
mesure des très diplômés (près de 2 points de plus concernant les détenteurs d’un
diplôme au moins égal à la licence). Cette situation n’est pas propre à la France,
même si les immigrés ne sont surreprésentés que parmi les plus diplômés dans
certains pays anglo-saxons à forte immigration de travail très sélective. Globalement
le niveau de diplôme des immigrés a fortement augmenté ces dernières décennies et
jusqu’à ces dernières années, mais l’écart ne s’est pas réduit avec celui des non-
immigrés, dont la hausse est parallèle.
• La France étant un pays d’immigration ancienne, sa population immigrée est
relativement âgée en comparaison internationale : la part des « 55 ans et plus » est
aujourd’hui identique à celle constatée pour les non-immigrés.
• L’ancienneté de l’immigration implique aussi des effets de diaspora, avec une
surreprésentation des pays d’origine liés à la France (par l’histoire et la langue) qui
perdure. Or les caractéristiques des immigrés varient selon les pays d’origine. D’une
part, ces derniers sont associés à des motifs d’immigration différents. D’autre part,
même à catégorie d’immigration donnée, les pays diffèrent par la qualité de leurs
systèmes éducatifs ou la place accordée aux femmes sur le marché du travail, avec
par exemple des taux d’activité de moins de 30 % en Afrique du Nord, dont sont
originaires 29 % des immigrés français.
• La part des femmes dans les flux est devenue l’une des plus élevées de l’OCDE
(51 % en 2016, contre 46 % en moyenne), notamment sous l’effet de l’immigration
familiale et étudiante.
• Les couples mixtes sont légèrement plus nombreux que les couples comportant deux
conjoints immigrés, avec un niveau de vie nettement supérieur, proche de celui des
non-immigrés.
En France, la définition retenue par l’Insee 1 est celle adoptée par le Haut Conseil à
l’Intégration : un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en
France. Les personnes nées françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc
pas considérées comme immigrées. Parmi les personnes recensées comme
immigrées par l’Insee, certaines ont pu devenir françaises, les autres restant
étrangères. Être immigré est donc une qualité considérée comme permanente : une
personne continue à appartenir à la population immigrée même si elle devient
française par acquisition. Cette définition permet de tenir compte des spécificités des
pays qui, comme la France, ont une tradition d’intégration par la nationalité. Elle se
traduit dans les statistiques par une proportion d’immigrés dans la population plus
importante que celle des étrangers (voir schéma page suivante). En outre, les
étrangers nés en France ne sont pas considérés comme immigrés. C'est donc le
pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l'origine
géographique d'un immigré.
Au niveau international, la définition retenue est plus large : est considérée comme
immigrée toute personne née à l’étranger, quelle que soit sa nationalité à la
naissance. Cette convention s’explique par le fait que de nombreux pays hôtes n’ont
pas eu d’important passé colonial (l’Insee a relevé que le Royaume-Uni et les Pays-
Bas sont à cet égard dans une situation proche de la nôtre) 2. Dans ce cadre
statistique international, notamment utilisé par Eurostat ou l’OCDE, la population
1
Voir les définitions sur le site de l’Insee.
2
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, p. 19. Certaines
vagues migratoires dans le cadre de « droits au retour » (Allemagne, Israël, Grèce), parfois étudiées
par la recherche, s’apparentent également aux épisodes de rapatriement postcoloniaux en termes de
liens à la nationalité. En Allemagne, par exemple, Loeffelholz et al. (2004) excluent une grande partie
des personnes nées à l’étranger mais d’origine allemande (Spätaussiedler) : voir Loeffelholz H.,
Bauer T., Haisken-DeNew J. et Schmidt C. (2004), Fiskalische Kosten der Zuwanderer, RWI Report
for the Sachverständigenrat für Zuwanderung und Integration.
immigrée en France inclut donc aussi les Français nés français à l’étranger 1. Aussi la
suite du rapport conduit-elle à faire alternativement référence à deux modalités de
décompte différentes des immigrés, selon le contexte.
Population totale
66,9 millions
Français Étrangers
62,1 millions 4,7 millions
92,9% 7,1%
58,0 millions 1,7 million 2,4 millions 4,0 millions 0,7 million
86,7 % 2,6 % 3,6 % 6,0 % 1,1 %
1
Dans le recensement de 2018, on dénombre environ 1,7 million de Français nés dans un pays
étranger (voir schéma 1).
Bien sûr, un immigré émigre du point de vue de son pays d’origine. Mais il peut aussi
repartir du pays d’accueil, soit pour revenir dans son pays d’origine, soit pour s’établir
dans un nouveau pays d’accueil. Or les données présentées dans ce rapport
concernent surtout les flux d’entrées et la population d’immigrés présents sur le
territoire une année donnée. Mais les comportements de départ des immigrés
peuvent avoir des implications importantes lorsque l’on compare les différentes
cohortes d’immigrés, notamment si les partants présentent des caractéristiques
particulières. Un récent article a rappelé cet enjeu, soulignant que « les départs des
immigrés pour l’étranger sont quasi systématiquement ignorés des études en
1
https://ec.europa.eu/eurostat/web/main/home
2
Il s’agit du solde des naissances et des décès.
population générale » 1, alors même qu’ « en omettant tous les individus partis durant
la période étudiée, ces travaux ne donnent à voir qu’une partie tronquée de
l’évolution de la situation des immigrés du pays ». L’auteur a en l’occurrence conclu à
un niveau d’émigration des immigrés de 27 % entre 1990 et 1999. À titre de
comparaison, le niveau identifié pour les non-immigrés était de 5 %, avec en outre
des départs d’une durée moins longue en moyenne 2.
Les calculs des flux migratoires par l’Insee sur la période 2006-2017 tendent quant à
eux à indiquer que les flux de sorties des immigrés représenteraient en moyenne un
quart des flux d’entrées. Mais il ne s’agit que d’estimations assez fragiles 3.
1
Solignac M. (2018), « L’émigration des immigrés, une dimension oubliée de la mobilité
géographique », INED, Population, 2018/4, vol. 73. Il s’agit d’une analyse développée en adossant
l’échantillon démographique permanent de l’Insee à des recensements exhaustifs entre 1968 et 1999.
Il est indiqué que les « défauts d’appariement et leur assimilation à tort à de l’émigration sont
négligeables par rapport à l’ampleur des résultats présentés ».
2
Ce dernier aspect n’a par définition pu être testé pour la dernière vague intercensitaire.
3
Ces estimations nécessitent en effet de procéder à une double différence : le solde migratoire est
déterminé par différence entre la variation de la population constatée et le solde naturel, grâce aux
données du recensement et de l’état civil. Les entrées sont quant à elles connues grâce aux enquêtes
annuelles de recensement. Les sorties sont alors calculées au moyen d’une seconde différence, entre
les entrées et le solde migratoire.
Si un rapport remis en 2008 à la Chambre des lords 3 évoquait ainsi les différentiels
de salaires et de conditions de travail, la Commission européenne 4 (2015) a aussi
confirmé la significativité de plusieurs autres paramètres dans la détermination des
flux bilatéraux de migrations : la proximité géographique, mais aussi culturelle et
historique (la langue et/ou une ancienne relation coloniale), ainsi qu’un effet de
diaspora, les migrants tendant à s’appuyer sur des réseaux de compatriotes déjà
installés dans le pays hôte.
L’OCDE souligne en outre que « lorsque l’on analyse les compétences des immigrés,
il est important d’établir une distinction entre eux sur la base des motifs qui les
1
Borjas G. J (1987), « Self-Selection and the earnings of immigrants », American Economic Review,
vol. 77, n° 4, septembre, p. 531-553 ; et Borjas G. J. (1995), « The economic benefits from
immigration », Journal of Economic Perspectives, vol. 9, n° 2, p. 3-22.
2
D’Albis H., Boubtane E. et Coulibaly D. (2015), « Immigration policy and macroeconomic
performance in France », Document de travail du Centre d’économie de la Sorbonne, 2015/23, février.
Les auteurs se sont notamment intéressés à l’élasticité de cette composante de l’immigration au PIB
par habitant.
3
House of Lords (2008), The Economic Impact of Immigration, op. cit.
4
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, Office des
publications de l’Union européenne, Luxembourg. Voir chapitre II.2.
5
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, Éditions OCDE, p. 176.
Des catégories d’immigration sont explicitées dans les textes régissant l’octroi des
titres de séjour aux immigrés, du moins ceux en provenance des pays hors UE, dits
« pays tiers » 4.
Au niveau statistique, les données relatives à ces titres (quelle que soit leur durée)
sont centralisées par l’Application de gestion des dossiers des ressortissants
étrangers en France (AGDREF) sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur.
Celui-ci recense en particulier « les délivrances de premiers titres de séjour 5 [qui]
correspondent aux titres délivrés aux étrangers majeurs à la suite d’une première
demande de séjour, mais ne prennent pas en compte les renouvellements de titre
même lorsque ceux-ci changent de nature (par exemple, un étranger entré sur le
motif “étudiant” qui passerait en motif “salarié” par la suite ne sera pas compté une
deuxième fois comme premier titre) » 6.
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, Éditions OCDE.
2
Comme déjà indiqué, il n’en conserve alors pas moins son statut d’immigré.
3
Sjaastad L. A. (1962), « The costs and returns of human migration », Journal of Political Economy,
70, p. 80-93.
4
Compte tenu de l’existence d’une libre circulation au sein de l’UE, voir infra.
5
Les mineurs de moins de 16 ans ne sont pour la plupart pas pris en compte, n’étant pas tenus de
posséder un titre de séjour.
6
Voir « L’essentiel de l’immigration : chiffres clés », département des statistiques, des études et de la
documentation, ministère de l’Intérieur, 15 janvier 2019.
Il convient par ailleurs de souligner que les titres dits « permanents » correspondent à
un périmètre bien plus restreint que l’immigration dite permanente (voir encadré
supra en 1.1), puisqu’il s’agit de titres d’une durée de validité de dix ans (ce qui n’était
le cas que de 10 % des premiers titres en 2013). Ainsi, les données de l’AGDREF
« permettent de distinguer d’une part les premiers titres de séjour délivrés chaque
année et d’autre part l’ensemble des titres de séjour valides en fin d’année ».
Les titres de séjour délivrés sont ventilés en cinq grandes catégories d’immigration :
A. Motif économique 1, B. Familial, C. Étudiants, D. Divers et E. Humanitaire.
Parmi les titres de séjour délivrés par le ministère de l’Intérieur, on peut distinguer au
sein de ces cinq catégories des sous-rubriques qui explicitent le motif d’immigration :
• C. Étudiants.
1
Il s’agit du même concept que l’immigration « de travail » évoquée dans d’autres travaux, et à
plusieurs reprises dans la suite du présent rapport (notamment dans des citations).
2
Voir l’article L. 752-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda),
modifié par l’article 3 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018.
1
d’Albis H. et Boubtane E. (2015), « Caractérisation des flux migratoires en France à partir des
statistiques de délivrance de titres de séjour (1998-2013) », Population-F, 70 (3), 2015, p. 487-524.
2
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, Éditions OCDE. Voir le chapitre
« Tendances récentes des migrations internationales ».
3
Héran F. (2014), « Tendances démographiques, besoins du marché du travail et migrations », in
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, Éditions OCDE, p. 35.
4
Office des migrations internationales, devenu OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration).
5
Il s’agit de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, voir les rappels historiques en 2.1.
de migrants depuis 1946 – à savoir les travailleurs, les réfugiés et les bénéficiaires du
regroupement familial – peinent à rendre compte des flux enregistrés » 1, et que par
exemple, dans le cas particulier de la France, « il est vraisemblable que l’immigration
familiale contribue pour au moins deux fois plus à l’emploi que l’immigration
économique à un horizon de cinq ans après l’entrée en France ».
Surtout, l’OCDE a constaté que « les changements de statut d’anciens étudiants vers
un motif économique représentent plus d’un tiers de l’ensemble des titres
économiques à vocation permanente (…) La sélection et le maintien sur le territoire
de ces étudiants ont de ce fait un impact important sur la politique d’immigration
professionnelle en France » (voir graphique 2). Par conséquent, « la prise en compte
des changements de statut étudiant dans l’immigration permanente accroît la part de
l’immigration économique de plus de cinq points de pourcentage, et ce de façon
systématique depuis près de dix ans », qui plus est dans un contexte où le nombre
de ces changements de statut augmente. C’est pourquoi l’OCDE définit l’immigration
permanente comme comprenant « les premiers titres de séjour délivrés, hors
saisonniers et étudiants, ainsi que l’ensemble des changements de statut étudiant » 2.
Au final, comme le résume François Héran, « la majorité des individus qui migrent
pour des raisons non économiques sont de fait des migrants de travail, même si,
dans de nombreux cas, ils arrivent officiellement dans le pays d’accueil dans le cadre
d’un mariage, d’une demande de droit d’asile ou pour des raisons liées à
l’éducation ». Ainsi, une étude (Léger, 2004) 3 avait utilisé une méthode d’estimation
pour dénombrer d’une part les entrées pour motif professionnel (économique) et
d’autre part les entrées indirectes sur le marché du travail (entrées sur le marché du
travail d’immigrés arrivés en France à un titre autre que l’activité professionnelle, et
entrées sur le marché du travail de bénéficiaires de réexamen de situation par les
services du ministère). Les estimations avaient montré que sur la période 1990-2003,
et à l’exception de l’année 1992, les entrées indirectes représentaient de deux à près
de cinq fois les entrées directes sur le marché du travail.
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017.
2
À l’inverse, comme indiqué ci-avant, le ministère de l’Intérieur décomptant les titres étudiants parmi
les premiers titres délivrés, il exclut les changements de statut ultérieurs afin d’éviter des doubles-
comptes dans la mesure du flux global d’immigration.
3
Léger J. F. (2004), « Les entrées d’étrangers sur le marché du travail français (1990-2001) », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 20, n° 1. Il s’agit d’une étude sur la base de l’enquête initiée
par la Direction de la population et des migrations (DPM) en 1996. Voir aussi les données actualisées
jusqu’en 2003 dans Besoins de main-d’œuvre et politique migratoire, Centre d’analyse stratégique, 2006.
1
Association européenne de libre-échange, incluant l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la
Suisse. Dans la suite on évoquera par abus de langage la liberté de circulation « au sein de l’UE ».
2
Ceux en provenance d’autres pays de l’UE sont de ce fait non inclus dans les statistiques du
ministère de l’Intérieur.
3
Réseau européen des migrations (2015), Déterminer les pénuries de main d’œuvre et les besoins de
la migration économique, mai.
Il existe enfin une immigration irrégulière, difficile à estimer (voir 1.6 ci-après). Même
les données du recensement n’intègrent en effet que très imparfaitement les
immigrés en situation irrégulière : d’Albis et Boubtane 1 indiquent que « l’accès des
agents du recensement à ces populations est probablement faible ». De plus, ceux
des immigrés irréguliers recensés ne sont pas distingués au sein de la population
immigrée. Néanmoins, les régularisations d’immigrés alimentent elles aussi
l’immigration professionnelle, comme le montre le graphique suivant :
Note : est exclue l’immigration professionnelle dans le cadre de la libre circulation dans l’UE. Jusqu’en 2010,
les données disponibles dans l’application AGDREF incluaient les admissions exceptionnelles au séjour pour
motif économique dans les introductions pour motif économique, sans pouvoir distinguer les deux catégories.
Les statistiques de régularisations par motif ne sont donc disponibles qu’à partir de 2011.
Source : OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés
Les immigrés en situation irrégulière au sens du droit au séjour sont les étrangers
n’ayant aucun titre de séjour en cours de validité. Leur séjour en France étant illégal,
ils n’ont pas non plus le droit d’y travailler, d’où la fréquence des situations de travail
dissimulé.
1
d’Albis H. et Boubtane E. (2015), op. cit.
Mais les étrangers en situation irrégulière de séjour peuvent aussi travailler dans le
secteur formel. Ainsi, en France, l’OCDE indique que « des données empiriques font
état de clandestins titulaires d’un contrat de travail, qui perçoivent le salaire minimum,
payent des impôts et des cotisations sociales 1, et pourraient saisir le tribunal des
prud’hommes pour contester un traitement inéquitable ou un licenciement
injustifié » 2. Aux États-Unis, le pourcentage de migrants irréguliers déclarés par leurs
employeurs sous des numéros de sécurité sociale fictifs ou empruntés en 2005 a
même été estimé à 75 % (OCDE, 2009) 3.
Les employeurs doivent certes vérifier que le travailleur étranger est dûment autorisé
à exercer un emploi. À cette fin, certains États ont établi un service de vérification
auquel les employeurs peuvent ou doivent faire appel, par exemple des plateformes
de vérification sécurisées en ligne qui permettent de contrôler gratuitement les permis
de travail des salariés étrangers et des candidats à l’embauche 4. Certains pays
prévoient le paiement d’une amende par travailleur illégal, ou d’un montant fixe.
D’autres exigent parfois aussi des employeurs qu’ils assument les frais d’expulsion.
En France, les employeurs sont soumis à une contribution forfaitaire et à une
contribution spéciale représentatives des frais de réacheminement (décret n° 2012-
812 du 16 juin 2012).
Par ailleurs, l’immigration irrégulière est loin de toujours résulter d’entrées illégales
sur le territoire. En effet, selon l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-
arrivants (ELIPA) 5, 54 % des travailleurs étrangers régularisés en 2009 étaient entrés
en France légalement, même si les quatre cinquièmes d’entre eux étaient titulaires de
visas (de tourisme essentiellement) qui ne les autorisaient pas à travailler. Ils sont
restés après expiration de leur visa et ont parfois déposé une demande d’asile (un
sur quatre). Concernant les 46 % restants, deux sur trois avaient obtenu un
1
Même s’ils n’auront a priori pas droit à l’ensemble des aides et prestations correspondantes.
2
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 220
3
OCDE (2009), Perspectives des migrations internationales 2009.
4
Plusieurs pays de l’OCDE ont établi des registres et outils électroniques en ligne, notamment
l’Australie, la Corée du Sud, les États-Unis, la Grèce, le Japon, le Luxembourg, les Pays-Bas, la
Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la Turquie. Certains systèmes sont plus complets et fonctionnels
que d’autres. L’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, par exemple, ont mis en place des
systèmes fiables qui assurent des services sécurisés et gratuits en ligne pour vérifier les autorisations
de travail des étrangers. Le Luxembourg et, récemment, la France ont instauré des dispositifs
électroniques d’identification par badge dans certains secteurs, comme la construction.
5
Cette enquête a pour objectif la connaissance des parcours d’intégration et l’évaluation du dispositif
d’accueil. Elle ne concerne que les étrangers de pays tiers devant obtenir un titre de séjour.
1
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 204.
2
Pew Research Center (2006), Immigration Survey, Washington DC.
3
House of Lords (2008), The Economic Impact of Immigration, op. cit.
4
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 188-190.
5
L’organisation évoque par exemple la démarche mais aussi les limites de deux études basées sur
les méthodes de « capture-recapture », se proposant de calculer la taille de la population illégale à
partir des probabilités de « recapture » d’un individu : l’une réalisée par la Rockwool Foundation au
Danemark (2014), l’autre de Heijden et al. aux Pays-Bas (2006).
Durant les années 1930, les arrivées de réfugiés persistent, mais la grande
dépression s’accompagne d’un ajustement brutal de la politique migratoire, et même
de départs de travailleurs. En 1945, la proportion d’immigrés est redescendue à 5 %.
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
2
Signature de conventions d’immigration avec plusieurs pays européens.
Champ : France métropolitaine de 1921 à 1990, France hors Mayotte de 1999 à 2013, France y compris
Mayotte à partir de 2014.
Lecture : en 2018, 9,7 % de la population est immigrée.
Source : Insee, recensements de la population et estimations de population
Mais avec la crise économique et la hausse du chômage durant les années 1970,
« le gouvernement restreint l’immigration au regroupement familial et aux demandes
spécifiques émanant d’employeurs ». La politique de recrutement des travailleurs
étrangers est subordonnée à la situation de l’emploi ; la perte de l’emploi implique
celle de la carte de séjour. Les retours vers les pays d’origine sont encouragés par la
mise en place d’une aide au retour volontaire pour les chômeurs étrangers (1977).
C’est à cette époque que l’immigration de travail cède le pas à l’immigration familiale,
en France mais aussi au-delà, François Héran soulignant que « dès 1975, les flux
migratoires ont cessé de correspondre aux cycles économiques, du moins dans les
pays d’immigration les plus anciens ».
Les années 2000 sont aussi marquées par la loi du 26 juillet 2006 qui « durcit les
conditions du regroupement familial ainsi que le contrôle des mariages mixtes et
conditionne l’obtention d’une carte de séjour salarié à l’existence d’un contrat de
travail », établit des « listes de secteurs tendus (ou sous tension) » et supprime « le
principe de la régularisation systématique après dix ans de présence sur le
territoire » 5. Mais la décennie est aussi celle de l’instauration, en 2003, d’un droit à la
libre circulation au sein de l’UE. Elle marque plus généralement, selon l’OCDE, « une
inflexion des représentations » 6, certes partiellement sous l’effet de l’ « évolution du
1
Monso M. et Gleizes F. (2009), « Langue, diplômes : des enjeux pour l’accès des immigrés au
marché du travail », Insee Première, n° 1262, novembre.
2
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
3
Auquel s’est par la suite substitué le contrat d’intégration républicaine (CIR), évoqué à plusieurs
reprises infra, et qui a été introduit par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
4
Monso M. et Gleizes F. (2009), op. cit.
5
Insee (2012), op. cit.
6
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 53.
droit européen en matière migratoire ». Mais cette inflexion est aussi en lien avec une
prise de conscience de l’enjeu du vieillissement et avec une « résurgence de besoins
de main-d’œuvre ciblée, notamment dans les technologies de l’information et de la
communication ». Cette inflexion aboutit à reconsidérer plus favorablement une
immigration de travail « choisie » 1.
C’est à partir du début des années 2000 que la part des immigrés dans la population
française augmente à nouveau, passant de 7,3 % en 1999 à 9,7 % en 2018 2.
1
Ce terme très usité est assez trompeur : sauf liberté de circulation, tous les pays « choisissent » leur
immigration de travail, d’une manière certes plus ou moins explicite et plus ou moins efficace, avec
une sélectivité dont l’ampleur et les modalités sont variables.
2
Rappelons que les données pour l’année 2018 sont encore provisoires.
3
La part des immigrés est en revanche un peu plus importante qu’en Italie.
4
Ils peuvent en particulier partager des langues avec leurs voisins (Suisse, Luxembourg) et se
caractérisent par une plus forte part d’immigrés relevant de la libre circulation au sein de l’UE/AELE
(voir infra).
2017 2000
%
50
40
30
20
10
Note : les données font référence à l’année 2000 ou l’année la plus proche et à 2017 ou l’année la plus
proche. Les moyennes OCDE et UE/AELE sont des moyennes simples des taux présentés. Japon et Corée
du Sud : les données font référence à la population étrangère au lieu de la population née à l’étranger.
Source : base de données de l’OCDE sur les migrations internationales.
Par ailleurs, l’Insee notait en 2016 1 que « la population immigrée est davantage
concentrée sur le territoire que celle des non-immigrés. Ainsi, huit immigrés sur dix
résident dans des grands pôles urbains, contre six non-immigrés sur dix. En
particulier, 38 % des immigrés (…) habitent dans l’aire urbaine de Paris », où ne
résident que « 17 % des non-immigrés ». Inversement, les immigrés sont
relativement « moins présents que les non-immigrés dans les zones peu ou très peu
densément peuplées ». L’Insee relevait également les niveaux enregistrés dans
certains territoires ultramarins : alors que la proportion d’immigrés culmine à 23,2 %
sur l’ensemble des aires urbaines métropolitaines, elle atteint 49,3 % dans une zone
de Guyane (Maripasoula) 2. Ce constat de concentration géographique est valable
pour tous les types d’immigration, la Cour des comptes ayant par exemple évoqué,
s’agissant des demandes d’asile, une « concentration des demandes sur certains
territoires, en particulier l’Île-de-France » 3.
1
Brutel C. (2016), « La localisation géographique des immigrés. Une forte concentration dans l’aire
urbaine de Paris », Insee Première, n° 1591, sur la base des données de recensement au 1er janvier
2012.
2
Mayotte était exclue de l’analyse.
3
Référé du 30 juillet 2015 relatif à l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile.
De plus, au sein même des grandes zones urbaines, la population immigrée est
concentrée, l’Insee ayant constaté 1 que, parmi les 18-50 ans, les immigrés sont deux
fois plus nombreux que les non-immigrés à vivre « dans un des quartiers (ou une des
petites communes) faisant partie des 10 % les plus denses en logement social ».
Mais si la part des immigrés dans la population française est parfois, comme dans
d’autres pays hôtes, surestimée par l’opinion publique (en moyenne une erreur du
simple au double 5), cela peut aussi partiellement s’expliquer, dans un pays
d’immigration ancienne, par l’importance de la population issue de l’immigration,
avec notamment la deuxième génération. Ainsi, l’Insee titrait en 2012 un
préambule 6 « les descendants d’immigrés plus nombreux que les immigrés : une
position française originale en Europe », précisant que « la proportion de
descendants d’immigrés dans la population résidente est en revanche parmi les
plus élevées d’Europe ».
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
2
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », CEPII Policy Brief, n° 2018-22, avril.
3
Commission européenne (2016), Rapport Employment and social developments in Europe 2016,
Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg.
4
Brutel C. (2016), « La localisation géographique des immigrés. Une forte concentration dans l’aire
urbaine de Paris », op. cit.
5
Alesina A., Miano A. et Stantcheva S. (2018), « Immigration and redistribution », NBER Working
Paper, n° 24733, octobre.
6
Insee (2012), op. cit. : citation de Gérard Bouvier, du département des statistiques, des études et de
la documentation du ministère de l’Intérieur (DSED).
Nés dans le pays de deux parents immigrés Nés dans le pays avec des origines mixtes
Nés à l’étranger, arrivés pendant l’enfance Nés à l’étranger, arrivés à l’âge adulte
70
60
50
40
30
20
10
En revanche, comme on l’a vu, la part des seuls immigrés est devenue en France
plutôt inférieure au niveau atteint dans un certain nombre de ces mêmes pays 3. Cette
situation contrastée s’explique par les différentiels d’évolution récente des flux
d’immigration en France et dans le reste de l’OCDE (voir ci-après). Ainsi, l’Insee a
1
A fortiori si l’on fait abstraction de quelques cas particuliers, comme le Luxembourg, du fait de la taille
du pays et de son partage des langues des pays voisins (tout comme, hors UE, la Suisse).
2
Insee, champ hors Mayotte et enfants de moins de 15 ans ne vivant pas avec leurs parents.
3
La comparaison aux moyennes OCDE, qui figurent néanmoins sur certains graphiques, est délicate :
si ces moyennes sont non pondérées, elles reviennent à donner un poids excessif à la situation
atypique de petits pays comme le Luxembourg. Mais si ces moyennes sont pondérées, cela peut
impliquer un poids excessif donné à des pays de l’OCDE comme le Mexique ou la Turquie, qui
demeurent des pays d’émigration. La liste des pays à exclure du calcul serait toutefois difficile à
objectiver.
Les flux sont en croissance ces dernières années, quelle que soit la source utilisée.
Ainsi, les octrois de premiers titres de séjour en métropole ont augmenté (voir
graphique A1 de l’annexe sur la période 2007-2018) et, d’après l’OCDE qui compile
diverses données nationales, les entrées permanentes sont passées de 137 900 en
2001 à 258 900 en 2016, comme le montre le graphique 6.
250
200
150
100
50
0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
1
Insee (2019), Tableaux de l’économie française, édition 2019, mars.
rapport aux autres grands pays, la France se caractérise par des flux migratoires
plus anciens mais aussi plus faibles sur la période récente » 1.
Note : les données pour les pays qui apparaissent en gris ne sont pas standardisées. La moyenne UE est la
moyenne des pays de l’UE présentés dans le graphique. La modalité UE-RPT correspond aux entrées de
ressortissants de pays tiers dans les pays de l’UE pour lesquels des données standardisées sont
disponibles, en pourcentage de la population totale.
Source : Base de données de l’OCDE sur les migrations internationales
Ainsi, les données d’octrois de premiers titres de séjour (publiées par le ministère
de l’Intérieur), de flux d’immigration dans le recensement (publiées par l’Insee), et
d’entrées permanentes (publiées par l’OCDE) convergent aujourd’hui vers un
même ordre de grandeur (260 000), alors qu’elles correspondent à des concepts
différents. En particulier, la statistique annuelle du ministère de l’Intérieur exclut
non seulement l’immigration d’environ 80 000 personnes au titre de la libre
circulation dans l’UE/AELE, mais aussi environ 30 000 mineurs, et se limite à la
France métropolitaine dans sa version la plus usitée.
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
Certes, tous les octrois de premiers titres ne débouchent pas, en pratique, sur une
présence pérenne. À cet égard, l’OCDE indiquait ainsi en 2017 1 :
– qu’« une proportion importante de migrants entrés avec un titre économique
(entre 20 % et 40 %) n’est pas présente dans la base des titres l’année d’après,
vraisemblablement parce qu’ils ont quitté le territoire à l’issue d’une expérience
professionnelle ponctuelle en France, ce qui est cohérent avec la prépondérance
des titres d’un an ou moins pour cette catégorie d’immigration » ;
– que « parmi les migrants entrés avec un titre étudiant, une proportion importante
(environ 40 %) sort également de la base des titres au bout d’un an, ce qui
correspond vraisemblablement en majorité aux étudiants étrangers présents en
France dans le cadre d’un échange universitaire d’une année » 2 ;
– et que « logiquement, cette proportion de sorties rapides est beaucoup plus faible
(environ 6 %) pour les migrants familiaux ».
Compte tenu des volumes d’octrois de premiers titres associés aux différentes
catégories précitées, cela suggère qu’environ 50 000 octrois de premiers titres ne
débouchent pas sur une présence véritablement permanente. Ce nombre
important ne suffit pas, toutefois, à contrebalancer les 120 000 entrées non
couvertes par les octrois de titres évoquées ci-avant.
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit.
2
Les échanges de type Erasmus s’effectuent au sein de l’UE et ne nécessitent donc pas d’octrois de titres.
3
Voir notamment Arbel J. et Costemalle V. (2016), « Estimation des flux d’immigration : réconciliation
de deux sources par une approche bayésienne », Économie et statistique, n° 483-485, p. 121-149.
40,0%
35,2%
32,5%
30,5%
30,0% 27,1%
20,0%
13,1% 13,3%
0,0%
Economique Familial Etudiants Divers Humanitaire
Source : données du ministère de l’Intérieur, DSED, 12 juin 2019 (hors libre circulation au sein de l’UE)
1
Données publiées le 12 juin 2019 par le département des statistiques, des études et de la
documentation (DSED), ministère de l’Intérieur.
L’immigration pour motif économique reste toutefois, à l’aune de ces données, très
minoritaire. L’OCDE explique cette faiblesse pour partie par le « faible dynamisme du
marché du travail français » 1, avec en particulier un taux de chômage relativement
élevé. Un autre facteur avancé concerne l’ancienneté des vagues migratoires,
générant une immigration familiale dans leur sillage. L’OCDE a ainsi souligné que
« dans les pays d’immigration récente, tels que l’Espagne, la Grèce et l’Italie, la
plupart des immigrés migrent pour le travail. Dans les pays européens d’immigration
de longue date, tels que la France, l’Allemagne et la Belgique, la plupart des migrants
déclarent avoir migré pour des raisons familiales » 2. Mais comme rappelé
précédemment, un certain nombre de migrants familiaux auront eux-mêmes vocation
à s’insérer dans la population active.
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 59.
2
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 217. Ce constat pour l’Europe du Sud semble toutefois à nuancer s’agissant des
nouveaux flux, en particulier en Italie (voir graphique 9), même s’il continue d’expliquer les
caractéristiques de la majeure partie de la population immigrée déjà installée dans cette partie de
l’Europe.
3
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit.
4,0%
Travail Libre circulation Famille Humanitaire Autres
3,5%
3,0%
2,5%
2,0%
1,5%
1,0%
0,5%
0,0%
Note : pour chaque pays, le taux d’immigration est calculé comme le flux d’immigration rapporté à la
population totale. Les catégories Travail, Famille, Humanitaire et Autres concernent uniquement des
ressortissants de pays tiers.
Données : Nations unies pour la population et Base de données de l’OCDE sur les migrations
internationales pour les flux d’immigration.
Source : France Stratégie, à partir de données OCDE
1
Selon des données dont l’OCDE précise qu’elles portent sur les travailleurs détachés qui ont reçu
l’autorisation de travailler dans un seul pays récepteur (pour la méthodologie, voir De Wispelaere et
décennie 2010, la France faisant partie des pays « receveurs nets » (voir
tableau A1 et graphique A2 en annexe). Pour l’OCDE 1, les travailleurs détachés
« constituent le symbole d’une nouvelle figure de travailleur migrant, dont les
droits sont dépendants du contrat de travail qui les lie à leur employeur et
auquel leur droit au séjour est strictement subordonné ». Le présent rapport ne
se penche pas sur l’impact économique de cette forme de migration temporaire,
encore peu documenté. Le recul en la matière est d’autant plus insuffisant que
la révision de la directive européenne ad hoc n’a été que récemment adoptée,
le 29 mai 2018.
Ainsi en 2018, d’après l’enquête emploi, 42,8 % des immigrés ayant terminé leurs
études ou n’en ayant jamais fait ne possédaient aucun diplôme, soit une proportion
plus de deux fois supérieure à celle constatée pour les non-immigrés (20,5 %). Mais
la proportion d’immigrés (ayant terminé leurs études ou n’en ayant jamais fait)
titulaires d’un diplôme au moins égal à la licence atteint 19,7 % en 2018, ce qui est
également un peu supérieur au niveau constaté pour les non-immigrés (18,3 %).
Pacolet, 2017). On ignore toutefois le pays récepteur de 26 % des 2,2 millions de détachements en
2016, à savoir ceux des travailleurs détachés originaires du Danemark, du Liechtenstein, de Norvège,
du Royaume-Uni et de Suisse, ainsi que de tous les travailleurs détachés exerçant dans plusieurs
États membres.
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 55.
Diplôme
18,3
supérieur à
19,7
bac+2
12,9
Bac +2
6,7
17,6
Bac, brevet prof.
12,7
30,7
CAP-BEP
18,1
0,0 5,0 10,0 15,0 20,0 25,0 30,0 35,0 40,0 45,0
non-immigrés immigrés
Champ : France hors Mayotte. Personnes vivant en ménage ordinaire et déclarant avoir terminé leurs
études initiales ou n'avoir jamais fait d'études.
Les immigrés sont donc surreprésentés aux deux extrémités de l’échelle des niveaux
de diplôme. La surreprésentation est certes plus forte chez les non-diplômés, mais la
tendance est au rééquilibrage, compte tenu d’une baisse assez rapide des non-
diplômés.
En effet, si l’on se concentre sur les seuls actifs immigrés de 30 à 64 ans, la part des
non-diplômés a connu une baisse significative en dix ans, de 7 points de
pourcentage (pour 2 points parmi les non-immigrés) 1. Parallèlement, on note une
nette croissance de la proportion des diplômés du supérieur 2 parmi les immigrés
actifs. Ils étaient en effet 33,5 % à posséder un tel diplôme en 2017, contre 25 % en
2007, hausse parallèle à celle constatée parmi les non-immigrés (39 % en 2017 pour
29 % en 2007 3).
1
Par comparaison à Perrin-Haynes J. (2008), « L’activité des immigrés en 2007 », Insee Première,
n° 1212, octobre. Les résultats pour 2017 sont ceux de l’enquête emploi en continu.
2
Il s’agit de l’agrégation des deux catégories « Baccalauréat + 2 » et « Diplôme supérieur à bac + 2 ».
3
Perrin-Haynes J. (2008), « L’activité des immigrés en 2007 », op. cit.
Cette évolution prolonge d’ailleurs celle déjà observée sur les vingt années
précédentes (voir graphique 11).
Champ : France métropolitaine, immigrés âgés de 15 ans ou plus (17 ans pour 1975) ayant terminé leurs
études initiales.
Source : Insee, Saphir 1975-2015
La population immigrée en France est donc plus diplômée que par le passé. Comme
le soulignait l’OCDE en 2017 1 « les immigrés arrivés en France depuis moins de dix
ans ont plus fréquemment un très haut niveau de diplôme que les non-immigrés ».
Cette tendance s’explique par une élévation structurelle des niveaux d’éducation au
niveau international mais aussi par le renouvellement des vagues migratoires, avec
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit.
L’Insee signalait ainsi récemment que « 38 % des immigrés arrivés à l’âge de 15 ans
ou plus et ayant un diplôme équivalent à baccalauréat + 2 ou plus sont venus en
France pour y faire leurs études » 1.
Au-delà du seul cas français, l’OCDE 3 a d’ailleurs plus généralement relevé que dans
la plupart des pays d’accueil « les migrants sont surreprésentés aux deux extrémités
de l’échelle du niveau d’études » et que « les niveaux d’instruction des non-immigrés
ont également progressé avec le temps ». Néanmoins, certains pays d’immigration
se singularisent par des immigrés globalement plus éduqués que les non-immigrés,
avec à la fois une surreprésentation des très diplômés et une sous-représentation
1
Lê J. et Okba M. (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi »,
Insee Première, n° 1717, novembre.
2
Il s’agit de non-résidents ayant quitté leur pays d’origine pour suivre des études.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit.
des peu diplômés. C’est notamment le cas de l’Australie ou du Canada qui ont des
politiques d’immigration très sélectives, recourant à des systèmes de sélection à
points (voir graphique 12).
80
60
40
20
0
Nés dans le pays
Nés à l'etranger
Note : la population de référence est la population en emploi en âge de travailler (15-64 ans). Par « faible »,
on entend ici un niveau d’études inférieur à celui de l’enseignement secondaire du deuxième cycle ; par
« intermédiaire » un niveau d’études correspondant au niveau de l’enseignement secondaire du deuxième
cycle et au niveau de l’enseignement post-secondaire non supérieur ; par « élevé », un niveau d’études
correspondant au niveau de l’enseignement supérieur. Les totaux différents de 100 % sont dus à l’absence
de réponse ou à des valeurs inférieures au seuil de publication. Les données relatives aux pays européens
concernent uniquement les trois premiers trimestres.
Source des données : Australie, Canada, Pays européens : Enquêtes sur les forces de travail (Eurostat) ;
États-Unis : Current Population Surveys ; graphique tiré de OCDE (2018), Perspectives des migrations
internationales
Champ : France métropolitaine, personnes âgées de 20 à 35 ans fin 2008 ayant été scolarisées dans le
primaire en France, en études ou hors études à la date de l’enquête et vivant en ménage ordinaire.
Sources : INED, Insee, enquête Trajectoires et origines 2008
Durant les vingt-cinq dernières années, la proportion des 55 ans et plus parmi les
immigrés a en effet sensiblement augmenté, passant de 28,5 % à plus de 34 % (voir
graphique 15). La hausse de la part des 55 ans et plus a toutefois été encore un peu
plus nette chez les non-immigrés (+7,5 points de pourcentage au lieu de +5,6).
70%
25 à 54
60% ans
50%
54,8% 15 à 24
40% 55,8% 54,3% 53,6%
ans
30%
20% Moins
10% 10,9% de 15
8,6% 7,9% 7,9%
5,8% 4,4% 4,4% 4,4% ans
0%
1990 1999 2010 2015
Champ : France hors Mayotte.
Source : Insee, Saphir 1990-2015
La population immigrée est par ailleurs plus âgée en France que dans la plupart des
autres pays de l’OCDE.
Source : France Stratégie, d’après DIOC (Database on Immigrants in OECD Countries) 2010-2011, OCDE 2017
53%
52%
51%
50% Hommes
Femmes
49% 51,3%
51,0%
49,8%
48%
48,0%
47%
1990 1999 2010 2015
Champ : France hors Mayotte.
Note : l’échelle des ordonnées concourt certes à surestimer l’ampleur de l’évolution, mais l’immigration
comporte presque toujours des parts substantielles d’hommes et de femmes (voir graphique 18).
Source : Insee, Saphir 1990-2015 (exploitation complémentaire du RP)
Cette évolution résulte d’un changement de nature des flux d’immigration durant les
quarante dernières années. Jusqu’au milieu des années 1970, ils se composaient
majoritairement d’hommes en réponse aux besoins de main-d’œuvre notamment
durant la période des « trente glorieuses ». Depuis, la proportion des femmes dans les
flux n’a cessé de croître, dans un premier temps sous l’effet du regroupement familial.
Ensuite, à partir du milieu des années 1980, les femmes migrent en France aussi pour
1
OCDE (2017), op. cit., p. 81.
2
Insee (2019), Tableaux de l’économie française, op. cit.
poursuivre des études ou bien pour trouver un emploi en adéquation avec leur diplôme
et leur qualification : l’Insee a ainsi récemment noté que depuis 1998 « la proportion de
femmes déclarant être venues pour étudier est désormais quasiment égale à celle des
hommes » 1, même si d’Albis et Boubtane indiquent encore en 2015 que « les femmes
sont moins nombreuses dans les flux pour motifs professionnels » 2.
Désormais, les femmes immigrées sont plus nombreuses que les hommes immigrés
en France 3 et leur proportion dans les flux d’immigration est l’une des plus élevées
de l’OCDE (51 % en 2016 4, contre 46 % en moyenne, voir graphique 18).
Note : la moyenne de l’OCDE est la moyenne des pays figurant sur le graphique. Les données pour le Chili
et le Danemark se réfèrent à 2015 au lieu de 2016, et leur moyenne couvre la période 2011-2014.
Source : base de données de l’OCDE sur les migrations internationales
1
Lê J. et Okba M. (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi », op. cit.
2
D’Albis et Boubtane (2015), op. cit.
3
Insee (2018), France, portrait social. Édition 2018, Insee Références.
4
Ce chiffre, en définition internationale, n’est pas rigoureusement comparable à celui du graphique
précédent, très similaire mais basé sur des données de l’Insee portant sur les immigrés au sens du
Haut Conseil à l’intégration.
2.8. Des origines plus diversifiées mais encore marquées par l’histoire
Dans les flux récents, la part des immigrés originaires d’Afrique est inférieure, avec
36,8 % des individus arrivés en 2017, seulement d’une courte tête devant les 35 %
d’immigrés venus d’Europe. L’Asie représente 17,5 % du flux, et l’Amérique et
l’Océanie 10,7 %. Cette diversification de la composition des flux n’implique pas pour
autant celle de la population immigrée, compte tenu de différences dans la durée des
séjours. En effet, sur la dernière décennie la part des immigrés originaires d’Afrique
continue d’augmenter (+ 3 points de pourcentage entre 2010 et 2018), alors que celle
des immigrés originaires d’Europe baisse (- 4 points), la part des autres régions
d’origine étant donc quasiment stable. En effet, comme l’a souligné l’OCDE 1, si les
immigrés originaires d’Europe arrivés en France dans les années 1960 et 1970 se
sont souvent installés de façon définitive, « les immigrés européens arrivés plus
récemment ont fréquemment des trajectoires plus mobiles ».
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 82.
La proportion d’immigrés originaires d’Europe a ainsi été divisée par deux entre 1975
et 2018 (respectivement 66 % et 33 %) 1, notamment du fait de la baisse de
l’immigration originaire d’Espagne et d’Italie ainsi qu’en raison des retours aux pays
d’origine. La dernière décennie a en revanche été marquée par une hausse des
immigrés en provenance de l’ex-URSS, de Roumanie et de Bulgarie (deux pays
n’ayant bénéficié de la libre circulation qu’en 2014), ainsi que d’Albanie.
1
Pour plus de détails sur ces évolutions, voir notamment les publications de l’Insee (Tableaux de
l’économie française, 2019, et France, portrait social, 2018) et du Département des statistiques, des
études et de la documentation du ministère de l’Intérieur (Infos migrations, n° 89, juillet 2017).
Parfois, le pays d’origine est prédictif du profil des immigrés selon des variables déjà
analysées telles que le niveau d’instruction. Ainsi l’OCDE constate 1 qu’une partie des
différences entre les populations immigrées des différents pays d’immigration « est
liée à la composition des pays d’origine, dans la mesure où il existe de fortes
disparités de niveau d’instruction en fonction du pays d’origine (…) Les immigrés
originaires d’Asie, des pays d’installation de l’OCDE (États-Unis, Canada, Australie)
et de certains pays d’Afrique possèdent en moyenne un niveau d’instruction élevé,
tandis que les immigrés originaires d’Amérique du Sud, des Caraïbes et d’Afrique du
Nord sont beaucoup moins susceptibles d’avoir suivi des études supérieures ». Des
données de l’Insee sur les niveaux de diplôme par pays d’origine viennent
partiellement corroborer ce constat dans le cas français (voir le tableau A5 dans
l’annexe en fin de volume). De même, Duleep et Regets (1992) 2 et Borjas (1993) 3,
comparant les États-Unis au Canada (doté d’un système de sélection à points),
montrent que si les immigrés au Canada sont plus instruits, cela est principalement
dû aux différences de pays d’origine et non à l’attraction de niveaux d’éducation plus
élevés, à pays d’origine donné.
Ces écarts de niveaux d’instruction par pays d’origine s’expliquent en particulier par
le fait que le pays d’origine est lui-même prédictif de la catégorie d’immigration : les
citoyens des pays à bas revenu émigrent en effet plus souvent pour des raisons
humanitaires ou familiales (voir chapitre 2, 1.1). Mais il existe également des facteurs
propres au pays d’origine, et qui dépassent les effets de composition par catégorie
d’immigration. Il peut par exemple s’agir de la place des femmes, ou de la qualité de
l’éducation 4 (voir chapitre 2).
Malgré les difficultés de suivi propres à cette population, l’OCDE observe, à partir de
diverses sources partielles mais convergentes, dont les registres de régularisation,
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 170.
2
Duleep H.O. et Regets M.C. (1992), « Some evidence on the effect of admission criteria on
immigrant assimilation », in B. Chiswick (dir.), Immigration, language and ethnic issues: Canada and
United States, American Enterprise Institute, Washington DC.
3
Borjas G. (2013), Immigration and the American worker, Center for Immigration Studies, Washington
DC.
4
Même si l’OCDE rappelle que la qualité moyenne de l’enseignement du pays d’origine ne reflète pas
forcément la qualité de l’enseignement suivi par le groupe d’immigrés qui en sont originaires, en
particulier en cas de systèmes d’immigration de travail très sélectifs.
que « les personnes en situation irrégulière sont généralement des hommes plutôt
jeunes. En Italie et en Espagne, par exemple, trois quarts d’entre eux avaient moins
de 40 ans. Si les nationalités les plus représentées parmi la main-d’œuvre étrangère
illégale varient sur le temps, elles sont généralement déterminées par la proximité
géographique ou par la langue », l’organisation renvoyant notamment le lecteur vers
des constats effectués en France.
En effet, l’OCDE indiquait en 2018 1 qu’en France « au cours des cinq dernières
années, quatre immigrés régularisés sur cinq sont des hommes », contre les deux
tiers pour les autres travailleurs immigrés légalement recrutés à l’étranger. « En
2015, les régularisations portent en moyenne sur des personnes âgées de 35 ans qui
séjournent en France depuis sept ans. Près de 60 % des travailleurs étrangers
régularisés sont des ressortissants africains » (même si « une diversification notable
des régions d’origine est intervenue depuis l’adoption de nouvelles règles en 2012 »).
Par ailleurs « leur niveau d’éducation est nettement inférieur à celui des autres
migrants de travail : 53 % ne possèdent aucun diplôme, contre 39 % pour les autres
migrants de travail exerçant des emplois peu qualifiés, et 27 % pour ceux exerçant
des emplois plus qualifiés ».
On retrouve globalement les mêmes constats aux États-Unis : selon Passel (2016),
67 % des immigrés irréguliers étaient âgés de 18 à 44 ans et 91 % de 18 à 64 ans 2
(ce dernier chiffre se compare à 60 % pour la population non-immigrée et 76 % pour
les immigrés en situation régulière). Ces immigrés étaient par ailleurs en 2014 moins
susceptibles d’avoir achevé des études secondaires ou supérieures de premier cycle
que les non-immigrés ou les immigrés réguliers : ils n’étaient que 27 % à avoir suivi
quelques études post-secondaires au moins, contre 58 % des adultes non immigrés
et 53 % des immigrés réguliers.
Ainsi, tant en France que dans les autres pays hôtes, les immigrés irréguliers tendent
à présenter des écarts aux non-immigrés plus prononcés que les immigrés réguliers,
qu’il s’agisse notamment de la structure par âge, ou du niveau du diplôme.
1
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 195.
2
Passel J. S. et Cohn D’V. (2016), « Size of U.S. unauthorized immigrant workforce stable after the
Great Recession », Pew Research Center, novembre. Seulement 1 % étaient âgés de 65 ans et plus,
et 7 % de moins de 18 ans.
Synthèse
Ce chapitre relatif à l’impact de l’immigration sur le marché du travail commence par
analyser la situation des immigrés, le cas échéant à la lumière des éléments de contexte
exposés dans le chapitre précédent. Puis il s’intéresse à l’impact de l’immigration sur les
autres actifs, à savoir les non-immigrés (et parfois les immigrés déjà présents).
S’agissant des immigrés, ils sont, en France, moins souvent en emploi que les non-
immigrés à âge donné. L’écart de taux d’emploi vis-à-vis des non-immigrés avoisine en
effet 18 points de pourcentage pour les 25-54 ans. Ce constat résulte, d’une part d’une
plus faible activité particulièrement prononcée pour les femmes (avec un différentiel de
20 points vis-à-vis des non-immigrées chez les 25-54 ans), d’autre part d’un plus fort
risque de chômage des immigrés (plus de deux fois plus élevé, et même près de trois fois
plus élevé pour les immigrés étrangers hors UE), qui ne s’explique pas uniquement par
leurs caractéristiques observables. Les différentiels d’activité et de chômage vis-à-vis des
non-immigrés sont plus ou moins marqués selon les catégories d’immigration, ce qui
renvoie aussi aux impacts spécifiques du niveau de diplôme et du pays d’origine.
Ces différents constats sont loin d’être propres à la France, même si certains pays
d’immigration se distinguent : en Europe du sud, les immigrés sont plus souvent actifs
que les non-immigrés, du fait de la faiblesse des taux d’activité domestiques et de la
prégnance de l’immigration de travail, au moins jusqu’à une date récente. Dans les pays
anglo-saxons, le différentiel de chômage disparaît largement ou totalement, du fait de
systèmes d’immigration à points très sélectifs (Australie), ou de marchés du travail très
flexibles (États-Unis, Royaume-Uni).
Lorsqu’ils sont en emploi, les immigrés présentent en outre, à caractéristiques
observables données, un plus grand risque de déclassement, c’est-à-dire d’une situation
professionnelle moins favorable que ne le laisserait présager leur niveau d’instruction.
Cela contribue à creuser un peu plus l’écart défavorable de revenu d’activité vis-à-vis des
non-immigrés, et explique en partie les différentiels de salaires constatés, de l’ordre de
10 % en moyenne. Ce risque de déclassement fait écho au risque aggravé de chômage à
niveau de diplôme donné.
Les obstacles à l’emploi et les facteurs de déclassement sont bien identifiés par la
littérature. Faire le point à cet égard revient à récapituler, en creux, les grands leviers
d’intégration pouvant accélérer et améliorer l’insertion professionnelle des immigrés, et
ainsi conditionner l’atteinte de certains objectifs nationaux ou européens, par exemple en
matière de taux d’emploi ou de baisse du chômage.
Il s’agit notamment de la barrière linguistique, de la reconnaissance des qualifications
professionnelles, de leur valeur intrinsèque (selon la qualité des systèmes éducatifs), de
la pertinence de l’expérience acquise, d’obstacles légaux, ou encore de la fragilité sociale
à l’arrivée (faiblesse du réseau et du patrimoine, méconnaissance des institutions et
codes). En ce qui concerne l’immigration humanitaire, les vulnérabilités peuvent aussi
être liées aux traumatismes antérieurs. À cette liste s’ajoutent les discriminations, mises
en évidence par nombre d’études, françaises ou étrangères.
Pour autant, certains de ces handicaps s’atténuent avec la durée du séjour, les données
confirmant une amélioration graduelle de la situation d’emploi des immigrés quelques
années après leur arrivée, avec un effet de rattrapage particulièrement fort en France : le
taux d’emploi des immigrés installés serait supérieur de 50 % à celui des immigrés
récents.
S’agissant maintenant de l’impact de l’immigration sur le marché du travail, les
analyses tendent à se concentrer sur les effets marginaux d’un choc d’immigration.
Selon la théorie économique, en vertu des mécanismes d’équilibre entre offre et
demande de travail, l’immigration implique à court terme une baisse des salaires des
non-immigrés, du moins en l’absence de rigidité à la baisse. L’arrivée d’immigrés en
nombre peut donc avoir un impact sur les salaires et/ou l’emploi, selon le fonctionnement
du marché du travail du pays hôte, mais aussi la plus ou moins grande complémentarité
des qualifications des immigrés et des non-immigrés. Le facteur travail est en effet
hétérogène, avec des gagnants et perdants potentiels, ces derniers étant les résidents
les plus en concurrence avec les immigrés (il s’agit parfois de personnes issues de
l’immigration).
Dans les pays d’immigration comme la France, dotés – en comparaison internationale –
d’un salaire minimum assez élevé et d’une importante protection de l’emploi, l’ajustement
par les salaires est amoindri, notamment pour les moins qualifiés, ce qui rend plus
probable un ajustement négatif par l’emploi avec des modalités de retour à l’équilibre
incertaines.
En dehors d’études dites « structurelles » qui consistent à conduire des simulations sur la
base d’interactions prédéfinies dans un modèle théorique de référence, un certain
nombre de chercheurs ont souhaité tester la conformité des faits à la théorie. Le nombre
d’études disponibles reste toutefois relativement limité (une récente revue de littérature
du CEPII rend compte de moins d’une dizaine d’études propres au cas français). De plus,
l’analyse des effets de l’immigration sur le marché du travail se heurte à de nombreux
obstacles méthodologiques, bien au-delà de l’enjeu de disponibilité des données sur des
horizons suffisamment longs.
Il s’agit tout d’abord d’éviter une confusion entre corrélation et causalité : par exemple, si
les immigrés rejoignent en moyenne les régions les plus dynamiques, les hausses de
salaire dans les régions qu’ils choisissent ne sont pas forcément dues à leur présence.
Deux des études sur la France évoquées ci-avant relèvent d’approches dites
« spatiales », où le contrefactuel est défini de façon géographique.
Il s’agit aussi d’éviter les analyses en équilibre partiel : par exemple, si les immigrés
rejoignent certains segments du marché du travail, cela ne veut pas dire que les autres
segments ne sont pas indirectement impactés (existence de stratégies d’adaptation des
non-immigrés, ou encore d’effets de diffusion au niveau de l’échelle des salaires). Trois
études sur la France suivent ce type de méthode dont le contrefactuel repose sur certains
pans du marché du travail.
Il s’agit enfin de s’intéresser à des épisodes d’immigration qui soient bien représentatifs
des flux, dans leur diversité (motifs d’immigration, régions d’origine) et leur définition
même (ce qui peut par exemple exclure l’étude de flux de « rapatriés », qui sont l’objet de
deux études relatives à la France).
Globalement, les différents types d’études empiriques réalisées tendent à confirmer un
faible impact à long terme de l’immigration sur le marché du travail, qu’il s’agisse de
l’emploi ou des salaires des non-immigrés.
Dans le cas de l’impact sur les salaires, les études aboutissent à des élasticités
comprises entre -1,2 et +0,6 (entre -0,8 et +0,5 pour la France), c’est-à-dire qu’un
accroissement de 1 % de la main-d’œuvre dû à l’immigration se traduirait, en France, par
une variation des salaires comprise entre -0,8 % et +0,5 %.
S’agissant de l’impact sur l’emploi, la plupart des études s’intéressent au taux d’emploi
des seuls non-immigrés. Si certaines études identifient un impact négatif de l’immigration
à cet égard, en France et dans d’autres pays d’Europe continentale comme l’Allemagne,
elles interprètent généralement ce résultat comme la contrepartie des rigidités salariales
et de la protection de l’emploi, soulignant aussi parfois la relative brièveté de l’horizon
temporel d’évaluation. Les élasticités mises en évidence sont encore plus modestes que
dans le cas des salaires, allant de -0,3 à +0,3 dans le cas de la France, avec des ordres
de grandeur plus élevés dans certaines études étrangères (par exemple -0,9 pour une
étude sur l’Allemagne, mais une valeur négative comprise entre -0,1 et 0 dans une étude
paneuropéenne).
Compte tenu de cette relative substituabilité entre ajustements par l’emploi et les
salaires, il semble cohérent qu’en France une étude (Edo, 2016 1) indique un impact
1
Edo A. (2016), « How do rigid labor markets absorb immigration? Evidence from France », IZA
Journal of Migration, 5(1):7, avril.
négatif de l’immigration sur les salaires limité aux salariés en contrat à durée déterminée,
dont la rémunération n’est fixée que pour une courte durée. Et qu’elle conclue
symétriquement que pour les autres salariés il existerait un impact négatif sur l’emploi, au
moins à court terme.
Au total, à supposer que l’impact de l’immigration s’avère nul sur le taux d’emploi (ou de
chômage) des non-immigrés, l’évolution des indicateurs nationaux du marché du travail
dépend donc exclusivement de l’insertion professionnelle des immigrés eux-mêmes.
De manière générale, il serait donc souhaitable que soient réalisées davantage d’études
s’intéressant de manière conjointe aux effets de l’immigration sur l’emploi des immigrés
et des non-immigrés, de façon à objectiver les éventuels effets de substitution ou de
complémentarité, et à couvrir la totalité de la population active sur la base de laquelle
sont calculés les taux de chômage et d’emploi.
En effet, l’existence de synergies liées aux complémentarités entre immigrés et non-
immigrés n’est pas clairement établie en France, si l’on se concentre sur des études
n’intégrant que les flux des deux dernières décennies. Ce diagnostic semble en
cohérence avec divers travaux administratifs indiquant une relative faiblesse de la
corrélation de l’activité des immigrés avec les métiers en tension. Les immigrés n’en
restent pas moins traditionnellement surreprésentés (en France mais aussi dans d’autres
pays d’immigration) dans certains secteurs décrits comme tels, par exemple les services
à la personne ou l’hébergement-restauration.
Or la situation française de relatif dynamisme démographique et de persistance d’un
chômage de masse rend la question des complémentarités entre immigrés et non-
immigrés particulièrement importante (alors que certains pays d’immigration, comme
l’Allemagne, sont en proie à un déficit quasi-généralisé de main-d’œuvre). À cet égard, le
suivi des secteurs ou métiers en tension semble perfectible à la lumière des pratiques
étrangères. Certains pays se sont dotés, pour ce faire, d’instances pluridisciplinaires
chargées de développer l’évaluation socioéconomique pour aider au pilotage de
l’immigration.
Pour autant, il convient de garder à l’esprit que l’immigration pour motif économique en
provenance des pays tiers ne représente qu’environ 10 % des flux en France, même si
l’on peut y adjoindre une partie des étudiants de pays tiers qui resteront au titre du
travail. Il convient aussi de rappeler que l’immigration n’est que l’une des réponses
possibles aux pénuries de main-d’œuvre, incluant notamment, en particulier à moyen et
long terme, l’adaptation des systèmes de formation, y compris à destination des
chômeurs peu diplômés.
Selon l’OCDE 1, « les immigrés qui déclarent avoir migré pour leurs études sont en
moyenne beaucoup plus instruits » que les non-immigrés, « tandis que les immigrés
dont les raisons étaient d’ordre professionnel, familial ou humanitaire sont moins
qualifiés (…), et ce de manière dégressive dans l’ordre de ces trois types de
migration ». L’OCDE ajoute que « dans tous les pays, les immigrés au titre du travail
obtiennent des résultats bien meilleurs sur le marché du travail que les immigrés
entrés pour raisons familiales et humanitaires », ce que confirment des estimations
de la Commission européenne :
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 218.
Réciproquement, l’OCDE 1 a relevé que « dans les pays où l’immigration de travail est
plus importante, les migrants contribuent davantage [que dans d’autres pays hôtes] au
relèvement du niveau de qualification de la population active et aux professions en
expansion ». Même dans le cas de la France, où « la plupart des catégories
d’immigrés ont un taux d’emploi inférieur à celui des non-immigrés », tel n’est par
exemple pas le cas d’un pan relevant a priori largement de l’immigration pour motif
économique, à savoir les « hommes originaires de pays bénéficiant de la libre
circulation ».
Ces résultats sont assez intuitifs puisque seuls les migrants de travail sont directement
« sélectionnés » par un employeur et/ou par l’administration nationale, au vu de
critères ayant essentiellement trait à l’employabilité. Aussi les différences de catégories
d’immigration peuvent-elles contribuer à expliquer les écarts constatés entre hommes
et femmes immigrés, tant en France qu’à l’étranger. En effet, l’Insee relevait en 2012
que 72 % des femmes, mais seulement 48 % des hommes, étaient en couple avant la
migration 2, et l’INED rappelait en 2013 que les femmes « sont moins souvent
initiatrices de leur migration, en ce sens qu’elles sont davantage entrées en métropole
par regroupement familial » 3. L’Insee a toutefois récemment signalé que « les hommes
émigrent de plus en plus pour des raisons familiales » 4.
Tableau 2 – Proportion de femmes dans les bénéficiaires de premiers titres délivrés à des
étrangers majeurs originaires de pays tiers entre 2007 et 2015, selon le motif d’admission
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 123.
2
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
3
Hamel C. et Moisy M. (2013), « Immigrés et descendants d’immigrés face à la santé », INED,
Document de travail, n° 190, janvier.
4
Lê J. et Okba M. (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi »,
Insee Première, n° 1717, novembre.
1.2. Un taux d’activité tiré vers le bas par la forte sous-activité féminine
Si l’on se concentre sur les 25 à 54 ans, l’écart de taux d’activité devient ainsi
beaucoup plus important, atteignant 13 points de pourcentage (76,5 % au lieu de
89,3 %).
La situation est bien différente en ce qui concerne les femmes. En 2018, le taux
d’activité des femmes immigrées de 25 à 54 ans était inférieur de 20 points de
pourcentage à celui des non immigrées (65,9 % au lieu de 85,8 %) 2. L’écart hommes
femmes, de 7 points pour les non-immigrés, atteint ainsi 23 points dans le cas des
1
C’est-à-dire au chômage au sens du Bureau international du travail.
2
Tout comme pour les hommes, l’écart est réduit si l’on raisonne sur les 15-64 ans (du fait d’une
moindre fréquence des situations d’études et de formation à hauteur de 6,6 points). Il reste néanmoins
proche de 10 points.
immigrés. Cependant, les femmes immigrées ont elles aussi connu une forte
croissance de leur participation au marché du travail depuis quarante ans. La
probabilité pour une femme immigrée d’être en inactivité était de 4 fois supérieure à
celle d’un homme immigré en 2003 contre 60 fois en 1968 1.
100 %
90 %
80 %
70 %
60 %
Sans ascendance
migratoire
50 % Maghreb-
Immigrées
40 % Turquie-Immigrées
30 %
20 %
Aucun Un enfant de moins Deux enfants de 3 enfants ou + de
de 18 ans moins de 18 ans moins de 18 ans
Note : le champ est ici restreint aux personnes de référence du ménage et à leur conjoint pour écarter les
jeunes adultes vivant chez leurs parents. Les enfants sont ceux de moins de 18 ans qui vivent dans le
même ménage.
Champ : France métropolitaine, femmes de 18 à 49 ans ayant terminé leurs études.
Source : Insee, enquêtes Emploi 2013-2018
La Commission européenne a ainsi souligné le rôle d’autres facteurs tels que des
différences de niveau d’éducation 3 et de maîtrise linguistique entre hommes et
femmes (l’Insee a confirmé ces éléments dans le cas français, expliquant le second
1
Aunay T. (2018), « Le statut d’activité des immigrés en France entre 1968 et 2013 », DSED, Infos
migrations, n° 93, février.
2
Ibid.
3
L’OCDE a néanmoins relevé que « les taux d’activité et d’emploi des femmes immigrées sont
également inférieurs à ceux des femmes non-immigrées, même lorsque l’on tient compte des
différences en termes de niveau d’instruction ». OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour
mieux répondre aux besoins du marché du travail, op. cit., p. 177.
par le premier 1). Or France terre d’asile rappelait récemment les difficultés
d’articulation entre vie familiale et accès aux formations linguistiques et à
l’accompagnement vers l’emploi 2.
Plus généralement, c’est le rôle des stéréotypes de genre en vigueur dans les pays
d’origine qui est relevé. Ainsi, la Commission européenne indiquait qu’en 2010 en
Syrie, le taux d’activité était de 73 % pour les hommes mais de 13 % pour les
femmes, avec des situations similaires dans le reste du Moyen-orient, de l’Afrique du
Nord et des Balkans 3. De même, François Héran a souligné que selon les données
du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies 4 « dans la
plupart des pays arabes et musulmans, le taux moyen de participation des femmes
est étonnamment bas : 29 % en Afrique du Nord et 23 % en Asie de l’Ouest, contre
43 % en Amérique centrale ou 57 % en Asie du Sud-Est ».
À l’inverse, selon la Commission européenne, les taux d’activité féminine des pays
d’Afrique subsaharienne sont souvent plus élevés (constat également effectué par
l’Insee 5), même si la Commission a également souligné que des taux plus élevés
dans les pays d’origine n’étaient pas une condition suffisante pour assurer l’insertion
des femmes sur le marché du travail dans le pays d’accueil.
Une élasticité plus forte de l’activité des femmes non-immigrées au gain monétaire
associé à la prise d’emploi a donc parfois pu être mise en évidence, par exemple par
Deding et Jakobsen (2008) 6, dans le contexte danois. La dissymétrie prononcée
entre hommes et femmes immigrés n’est donc pas propre à la France même si elle y
est plus prononcée qu’en moyenne dans les autres pays d’immigration, pour des
raisons d’origines géographiques. L’OCDE a ainsi été amenée au constat général
selon lequel « si les taux d’activité des hommes immigrés soutiennent avantageu-
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
2
« Contrairement à la France, certains pays européens comme l’Allemagne et la Suède proposent
(…) des services de garde d’enfants pendant les horaires de cours », in Fine S., Soupios-David H. et
Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale en France, NIEM
National Report 2018/France terre d’asile. Ce rapport pour la France au titre du mécanisme national
d’évaluation de l’intégration est cofinancé par le fonds européen asile migration intégration (FAMI) et
l’Open Society Foundations.
3
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe, édition 2016, op.
cit. L’OCDE notait de son côté en 2017 que « les immigrées issues d’Afrique du Nord et de Turquie
ont des taux d’emploi particulièrement faibles (respectivement autour de 38 % et 25 %) ».
4
Nations unies (2010), The World’s Women 2010. Trends and statistics, New York, p. 77.
5
Insee (2012), ibid.
6
Deding M. et Jakobsen V. (2008), « Employment among immigrant women and men in Denmark.
The role of attitudes », Danish National Centre for Social Research, Working Paper n° 08-2008.
sement la comparaison avec ceux de leurs homologues non immigrés dans la plupart
des pays (…) il en va différemment pour les femmes » 1.
Source : pays européens : Enquêtes sur les forces de travail 2012 (Eurostat) ; États-Unis : Current
Population Surveys 2012 ; Australie, Canada, Nouvelle-Zélande : Enquêtes sur la population active 2012 ;
Israël : Enquête sur la population active 2011
La surexposition des immigrés au risque de chômage est plus prononcée pour les
femmes. En effet, en 2018, le taux de chômage des hommes immigrés (14,1 %) est
assez nettement inférieur à celui des femmes immigrées (16,8 %) alors que pour les
non-immigrés la différence est beaucoup plus ténue (avec respectivement 7,0 % et
7,5 %). L’Insee 2 a précisé à cet égard que « pour les immigrés, l’écart entre les taux
de chômage des hommes et des femmes varie selon l’origine géographique ».
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 61.
2
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
supérieur pour les immigrés hors UE (17,7 %), atteignant un niveau de l’ordre de
20 % pour les personnes originaires du Maghreb et de Turquie. Le taux de chômage
est encore plus important pour les femmes et les hommes immigrés originaires de
pays hors UE, et qui sont étrangers.
Les écarts de taux de chômage entre les immigrés originaires de pays hors UE et les
non immigrés restent élevés même lorsque l’on tient compte de différentes
caractéristiques observables (sexe, âge, nombre d’enfants, durée de séjour depuis la
fin des études, diplôme, lieu d’obtention du diplôme, lieu de résidence et catégorie
socioprofessionnelle donnée). Une analyse de la Dares a en particulier montré qu’à
caractéristiques comparables, les actifs originaires du Maghreb avaient encore un
taux de chômage substantiellement supérieur à celui des non immigrés (à l’époque
2 fois supérieur, au lieu de 3 à 4 fois si l’on comparait les taux bruts, avant prise en
compte des caractéristiques sociodémographiques) 1.
Les auteurs n’en relevaient pas moins que la prise en compte des caractéristiques
sociodémographiques contribue à expliquer partiellement les écarts de taux de
chômage entre immigrés et non-immigrés. Ils l’expliquaient « notamment par le fait
que les immigrés sont en moyenne moins diplômés, ont souvent obtenu leur diplôme
hors de France, sont dans des professions plus exposées au chômage et résident en
zones urbaines sensibles (ZUS) » 2.
Enfin, l’Insee a publié en 2019 une étude 3 qui montre qu’ « entre un tiers et la
moitié » des écarts de taux de chômage entre immigrés et non-immigrés proviennent
des caractéristiques observables.
1.4. D’où des taux d’emploi nettement inférieurs à ceux des non-immigrés
1
Il existe toutefois des exceptions en sens inverse (les auteurs mentionnant un taux de chômage deux
fois moindre pour les immigrés d’origine portugaise).
2
Minni C. et Okba M. (2012), « Emploi et chômage des immigrés en 2011 », Dares Analyses, n° 77,
octobre.
3
Athari E., Brinbaum Y. et Lê J. (2019), « Le rôle des origines dans la persistance des inégalités
d’emploi et de salaire », in Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2019, Insee Références.
Des écarts de taux d’emploi qui peuvent varier selon le niveau de diplôme
L’OCDE avait constaté, sur la base de l’enquête PIAAC 2012 1 et pour la France,
un écart de taux d’emploi entre immigrés et non-immigrés plus fort pour les
détenteurs de niveaux de diplôme élevés et moyens. Ceci peut certes renvoyer à
la question générale de l’insertion dans l’emploi des peu diplômés en France,
mais il ne semble pas s’agir d’une situation nationale isolée. En effet, l’OCDE
opérait dans le même rapport un constat plus général quant au fait que « l’écart
entre le taux d’emploi des immigrés et celui des non-immigrés est plus important
chez les travailleurs plus instruits que chez les travailleurs moins instruits ». Ce
constat reposait toutefois sur des données aujourd’hui anciennes. Il pourrait ne
plus être d’actualité dans la mesure où l’organisation notait récemment que
« l’analyse de l’évolution de la situation sur le marché du travail selon le niveau
d’éducation révèle qu’en Europe, le taux d’emploi des personnes nées à
l’étranger a augmenté davantage chez les personnes ayant un niveau
d’éducation élevé que chez les personnes ayant un niveau intermédiaire ou
faible » 2.
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., voir graphique 8.13 p. 296.
2
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 95.
Globalement, la moindre insertion dans l’emploi des immigrés décrite ci-avant est loin
d’être propre à la France. Le graphique ci-après indique, à titre de comparaison, les
différentiels de taux d’emploi entre immigrés et non-immigrés en 2017 dans un
échantillon de pays de l’OCDE, en distinguant écarts dus à l’inactivité et écarts dus
au chômage. La situation française n’apparaît pas très différente de celles constatées
en Allemagne, en Autriche ou en moyenne pour les pays d’Europe du nord et du
Benelux (hors Luxembourg). On constate néanmoins que deux zones d’immigration
se singularisent :
– en Europe du sud, les immigrés sont plus souvent actifs que les non-immigrés, du
fait de la faiblesse des taux d’activité domestiques et de la prégnance de
l’immigration de travail, au moins jusqu’à une période assez récente. Ce surcroît
d’activité semble l’emporter sur le surcroît de chômage en Italie et au Portugal 1 ;
– dans les pays anglo-saxons, la surexposition des immigrés au chômage disparaît
largement ou totalement, dans un contexte de systèmes d’immigration à points
très sélectifs (Australie), ou de marchés du travail plus flexibles qu’en Europe
continentale (États-Unis, Royaume-Uni).
5
Points de pourcentage
-5 écarts
d'activité
-10
écarts de
chômage
-15
-20
Source : calculs France Stratégie, à partir de la base de données de l’OCDE sur les migrations internationales
1
Le diagnostic de la faiblesse des taux d’activité en Europe du sud s’applique moins au Portugal.
Les immigrés sont, tout comme les non-immigrés, très majoritairement salariés (voir
1.6 ci-après).
Or, d’après les enquêtes Emploi 2013-2018, et en se limitant aux 18-64 ans à temps
complet ayant terminé leurs études, le salaire mensuel net des immigrés était en
moyenne de 8 % inférieur à celui des non-immigrés (1 896 euros au lieu de 2 051
euros). Le différentiel est plus prononcé pour les personnes nées au Maghreb, en
Afrique subsaharienne ou en Turquie (avec des niveaux de l’ordre de 1 600 euros
dans ces deux derniers cas).
Mais en termes de salaires médians (et non moyens), les écarts entre immigrés et
non-immigrés atteignaient près de 11 %. En outre, ces écarts en salaires équivalent
temps plein n’intègrent pas une plus grande fréquence du temps partiel pour les
immigrés (23 % au lieu de 18 %, et même 26 % pour les immigrés d’Afrique
subsaharienne).
Dans un dossier de 2012 1, l’Insee expliquait les différences constatées par « des
différences dans les emplois occupés et dans les caractéristiques sociodémogra-
phiques » telles que l’âge ou le sexe, mais relevait aussi l’influence de facteurs tels
que « l’ancienneté de la présence en France ou la pratique de la langue française ».
Plus récemment, l’Insee observait que « si on se restreint aux immigrés qui maîtrisent
parfaitement le français, l’écart de salaire observé avec les non-immigrés s’explique
cette fois en intégralité par les différences de caractéristiques observables » 2.
Tout comme les écarts d’insertion dans l’emploi, les écarts de revenus entre
immigrés et non-immigrés ne sont toutefois pas propres à la France, résultant de
différences de niveaux de diplôme également constatées ailleurs (voir chapitre 1,
2.5), mais aussi de facteurs de déclassement que l’on retrouve à des degrés divers
dans les différents pays d’immigration (voir section suivante du chapitre). L’OCDE a
ainsi indiqué que « les seuls pays dans lesquels il n’existe pas de différentiel de
salaire entre immigrés et non-immigrés diplômés de l’enseignement supérieur sont
l’Australie, l’Irlande et les États-Unis » 3.
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
2
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », in Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2016, Insee références.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 321.
1
Par ailleurs, selon des statistiques déjà un peu anciennes, « les hommes immigrés sont plus souvent
ouvriers non qualifiés : quand ils sont ouvriers, ils occupent dans 43 % des cas des postes non
qualifiés, contre 36 % pour les non-immigrés ». Voir Perrin-Haynes J. (2008), « L’activité des immigrés
en 2007 », Insee Première, n° 1212, octobre.
La structure de l’emploi des immigrés semble ainsi cohérente avec celle de leurs
niveaux de diplôme (chapitre 1, rubrique 2.5), avec toutefois une part des cadres
et professions intellectuelles supérieures moins importante que ce qu’elle devrait
être compte tenu de la surreprésentation des niveaux de diplôme au moins égaux
à la licence.
Immigrés Non-immigrés
Agriculteurs exploitants 1% 2%
Artisans, commerçants et chefs d'entreprises 8% 6%
Cadres et professions intellectuelles supérieures 14 % 17 %
Professions intermédiaires 13 % 26 %
Employés 29 % 27 %
Ouvriers 32 % 21 %
Chômeurs n'ayant jamais travaillé 3% 1%
Non renseigné 1% 0%
Ensemble (milliers) 3 080 26 588
1
Voir notamment Clark et Drinkwater (2000) pour le Royaume-Uni; ou Blume et al. (2008) pour le
Danemark, cités par Böhme M. H. et Kups S. (2017), « The economic effects of labour immigration in
developing countries: a litterature review », OECD Development Centre, janvier.
1
Minni C. et Okba M. (2012), « Emploi et chômage des immigrés en 2011», op. cit. Données : Insee,
enquêtes Emploi 2009-2011 ; calcul Dares.
2
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 33.
3
Compte tenu notamment de barrières légales surtout pour les immigrés hors UE (voir rubrique 2.6).
Dont
Part des Afrique
Métier Effectifs Autres
immigrés UE Maghreb subsaha-
pays
rienne
Employés de maison 240 34,7 52 16 11 19
Agents de gardiennage et de sécurité 194 28,6 34 30 23 11
Ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment 393 27,1 58 17 4 19
Ouvriers non qualifiés gros œuvre, 24,6 36 27 10 25
214
travaux publics et extraction
Ouvriers qualifiés travaux publics, béton, 21,6 44 25 10 20
109
extraction
Employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie 19,4 18 25 23 32
372
et de la restauration
Ouvriers qualifiés du textile et du cuir 70 19,0 20 23 7 47
Patrons et cadres d’hôtels, cafés, restaurants 209 17,7 31 24 1 41
Cuisiniers 347 16,4 13 27 22 36
Ouvriers non qualifiés du cuir et textile 23 15,3 27 22 0 49
Agents d’entretien 1 226 15,3 25 35 23 16
Aides à domicile et ménagères 533 14,2 34 26 22 16
Assistantes maternelles 436 12,9 29 34 22 13
Ouvriers qualifiés second œuvre 520 12,9 43 26 13 17
Conducteurs engins BTP 78 11,8 37 43 6 12
Employés et opérateurs informatiques 39 11,6 28 23 6 41
Ouvriers qualifiés second œuvre 132 11,5 21 35 21 21
Ouvriers non qualifiés enlèvement 11,3 31 36 11 21
42
ou formage métal
Ouvriers qualifiés formage métal 151 10,7 37 40 11 10
Artisans et ouvriers artisanaux 130 10,6 37 21 9 32
Ensemble des métiers (outre liste supra) 25 580 8,6 35 27 14 22
Lecture : 34,7 % des employés de maison sont immigrés ; parmi eux, 52 % sont d’origine européenne, 16 %
d’origine maghrébine, 11 % d’Afrique subsaharienne et 19 % d’autres pays. Les effectifs sont en milliers.
Les métiers comptant moins de 25 000 personnes ne sont pas pris en compte.
Champ : population des ménages de France métropolitaine.
Source : Minni C. et Okba M. (2012), op. cit. Données : Insee, enquêtes Emploi 2009-2011 ; calcul Dares
Dans une analyse plus générale relative aux immigrés dans les pays développés,
l’OCDE note que « la tendance est donc à la hausse aux extrémités du spectre
des compétences et à la diminution du nombre d’emplois dans le segment
intermédiaire, un schéma conforme à celui que décrivent Acemoglu et Autor
(2011) » 1. En effet « la demande relative augmente concernant les emplois
comportant des tâches non routinières. Ces dernières ne sont pas seulement des
tâches abstraites supposant un niveau d’études élevé, mais aussi des tâches
manuelles non répétitives, qui caractérisent de nombreux métiers du secteur des
services : soins aux personnes âgées, services de sécurité ».
Les immigrés irréguliers se caractérisent par un fort taux d’activité, mais une activité
peu qualifiée et dans des secteurs bien spécifiques.
Plusieurs études 2 ont conclu à des taux d’emploi des immigrés en situation irrégulière
aux alentours de 90 %.
L’OCDE constate 3 qu’en cohérence avec leur niveau d’éducation plus faible (voir
chapitre 1, 2.9) « les ressortissants de pays non membres de l’UE qui ont été
régularisés exercent des professions peu qualifiées » et ce dans l’ensemble des pays
européens. L’organisation souligne aussi la spécificité de la répartition sectorielle des
immigrés irréguliers dans les différents pays hôtes : « l’agriculture, la construction, les
industries manufacturières et les services domestiques sont les secteurs les plus
susceptibles d’y recourir ».
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 137.
2
Par exemple, celle du Swiss Federal Migration Office (2015), Les sans-papiers en Suisse en 2015,
Bâle.
3
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 195.
L’organisation ajoute que « les profils des travailleurs étrangers régularisés peuvent
compromettre leur employabilité sur le marché du travail français, d’autant que 31 %
d’entre eux signalent ne pas parler français couramment, proportion supérieure à
celle des autres migrants de travail étrangers (21 %), y compris les peu qualifiés ».
Les immigrés irréguliers trouveraient généralement leur premier emploi par relations
(dans des proportions supérieures aux autres immigrés), l’OCDE précisant que
« 15 % des premiers emplois ont lieu dans des entreprises composées
exclusivement de personnel du pays d’origine » 3. Mais les agences d’intérim ont
également une place plus importante que pour les autres immigrés. Le constat du
rôle joué par les proches est, lui, également valable pour les immigrés réguliers (voir
3.10 infra)
1
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., Ministère de l’Intérieur,
d’après base de données AGDREF et Enquête ELIPA 2010.
2
Forde C., MacKenzie R. et Robinson A. (2008), « Help wanted? Employers’ use of temporary
agencies in the UK construction industry », Employee Relations, vol. 30, n° 6, p. 679-698; Krings T. et
al. (2011), « From boom to bust: Migrant labour and employers in the Irish construction sector »,
Economic and Industrial Democracy, vol. 32/3, p. 459-476.
3
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 307.
La mesure du déclassement
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 178
2
OCDE (2014), op. cit., p. 303.
Note : déclassement calculé selon l’approche normative (voir encadré). L’échantillon inclut les personnes de
15-64 ans en emploi, qui ne sont pas scolarisées. Les données relatives à l’UE-28 ne concernent que les
trois premiers trimestres. Celles relatives aux différents pays européens concernent la totalité de l’année
2017 pour l’Autriche, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le
Royaume-Uni et la totalité de l’année 2016 pour les autres pays européens.
Source : Israël : Enquête sur la population active ; Pays européens : Enquête sur les forces de travail
(Eurostat) ; États-Unis : Current Population Survey
Alors que les enjeux d’adéquation des profils aux besoins des marchés du travail
seront évoqués ci-après (voir troisième section du chapitre), cette section a donc
pour objet de faire le point sur les enjeux d’intégration au marché du travail, dans le
contexte français, tout en rappelant les grands obstacles invariants identifiés par la
littérature internationale.
1
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit.
La question linguistique est l’un des facteurs de performance des immigrés sur le
marché du travail des pays d’accueil les plus étudiés. De nombreux travaux
universitaires, entre autres dans les contextes américain, britannique, allemand et
israélien 3, montrent que les immigrés qui maîtrisent mieux la langue du pays
d’accueil ont une plus forte probabilité d’accéder à l’emploi et perçoivent des revenus
supérieurs à ceux des autres immigrés 4.
1
Le préfet Alain Régnier a été nommé le 24 janvier 2018.
2
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, NIEM National Report 2018/France terre d’asile.
3
Contexte américain : voir B. Chiswick (dir.) (1992), Immigration, language and ethnic issues : Canada
and United States, American Enterprise Institute, Washington DC ; ou Carliner G. (1996), « The wages
and language skills of U.S. immigrants », NBER Working Paper, n° 5 763, septembre.
Contexte britannique : voir Dustmann C. et Fabbri F. (2003), « Language proficiency and labour
market performance of immigrants in the UK ». The Economic Journal, volume 113/489, juillet.
Contexte israélien : voir Berman E., Lang K. et Siniver E. (2003), « Language-skill complementarity:
returns to immigrant language acquisition », Labour Economics, vol. 10, n° 3, Elsevier, juin, p. 265-
290.
Contexte allemand : voir Dustmann C. et Van Soest A. (2001), « Language fluency and earnings:
estimation with misclassified language indicators », The Review of Economics and Statistics, vol. 83,
n° 4, p. 663-674.
4
Plusieurs travaux ont vérifié que ce constat reste valable après prise en compte des caractéristiques
individuelles telles que l’âge ou le niveau d’instruction.
En outre, Damas de Matos et Liebig (2014) ont mis en évidence le lien entre les
difficultés linguistiques des immigrés et leur taux d’emploi 5, que confirment des
travaux d’analyse statistique de la Commission européenne relatifs aux réfugiés 6 :
la probabilité d’emploi de ceux n’ayant au mieux qu’un niveau débutant ne s’élève
qu’à moins de 40% de la probabilité d’emploi des non-immigrés. Selon ces
travaux, le taux d’emploi des réfugiés serait ainsi de 9 points de pourcentage plus
élevé s’ils disposaient d’un niveau de maîtrise de la langue comparable à celui
des non-immigrés. L’amélioration serait également substantielle dans le cas des
immigrés au titre de la famille : 6 points de pourcentage 7. Dans le contexte
français, l’Insee constate toutefois que « la facilité pour obtenir un premier emploi
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 230.
2
Dumont J.-C. et Monso O. (2007), « Adéquation entre formation et emploi : un défi pour les immigrés
et les pays d’accueil », in OCDE (2007), Perspectives des migrations internationales.
3
Lê J. et Okba M. (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi », op.
cit.
4
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », op. cit.
5
Damas de Matos A. et Liebig T. (2014), « Les qualifications des immigrés et leur valeur sur le marché
du travail : comparaison entre l’Europe et les États-Unis », in OCDE, Gérer les migrations
économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du travail, op. cit.
6
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., p.
127.
7
Analysant l’impact des cours de langue à partir de microdonnées, Clausen et al. (2009) ont eux aussi
conclu à un impact substantiellement positif sur l’insertion dans l’emploi. Clausen J. et al. (2009),
« The effect of integration policies on the time until regular employment of newly arrived immigrants:
Evidence from Denmark », Labour Economics, vol. 16, p. 409-417.
Cette prégnance des difficultés linguistiques est, sans surprise, perçue par les
immigrés eux-mêmes puisque selon l’OCDE 3, 21 % d’entre eux considèrent
qu’elles sont un frein important à l’accès à des emplois en adéquation avec leurs
qualifications. Les immigrés présentant un taux d’instruction plus faible sont
surreprésentés dans ce groupe. En distinguant selon la catégorie d‘immigration,
l’organisation souligne que ce sont les immigrés humanitaires qui évoquent le plus
ces difficultés linguistiques, suivis par les immigrés au titre de la famille, du travail
et enfin des études. En effet, selon la Commission européenne 4 seuls 45 % des
réfugiés dans l’UE ont une connaissance avancée de la langue du pays d’accueil.
En France ou au Royaume-Uni, ce ne sont même qu’un tiers des réfugiés qui
parlent la langue nationale 5, France terre d’asile notant récemment un
changement de composition, avec en France « davantage de réfugiés non
francophones peu ou pas scolarisés » 6, se substituant aux deux profils longtemps
prédominants de réfugiés peu scolarisés mais francophones, ou non
francophones mais instruits. Ainsi, « certains conseillers de Pôle emploi refusent
d’inscrire les bénéficiaires d’une protection internationale (…) du fait de leur
manque de maîtrise du français ».
1
Lê J. et Okba M. (2018), op. cit.
2
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), op. cit.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 229.
4
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., p.
115.
5
La moyenne UE est en effet tirée vers le haut par les situations espagnole et portugaise, avec
notamment la présence de latino-américains.
6
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit.
En 2013 déjà, une mission IGA-IGAS 4 relative à la politique d’accueil des primo-
arrivants proposait entre autres mesures de « renforcer la formation linguistique
et l'apprentissage du français ». Le CIR a entretemps visé à pourvoir aux besoins
linguistiques, avec des cours gratuits et obligatoires pour les personnes ne
parlant pas français.
Néanmoins, le récent rapport de France terre d’asile 5 a rappelé que « ces cours
ont fait l’objet de nombreuses critiques, notamment relatives à l’absence de prise
en compte des profils variés des apprenants et à l’inadéquation à leurs besoins »,
ou encore à leur caractère « peu interactif ». Une réforme de ces cours a
d’ailleurs été prévue dans le cadre de la loi « asile immigration » 6 adoptée le 10
septembre 2018 (entrée en vigueur le 1er mars 2019). Il est notamment prévu un
doublement de la durée des cours de 200 à 400 heures, et même 600 heures
pour les non-lecteurs et non-scripteurs, ou encore la mise en œuvre d’un
repérage de l’analphabétisme.
1
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., p.
133.
2
Les cinq autres étaient l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Royaume-Uni et la Suède.
3
Selon le rapport précité de France terre d’asile, qui souligne que « seulement 1 000 places sont
disponibles » pour la poursuite du parcours de formation linguistique au-delà du CIR.
4
Gagneron W., Cronel A. et Bensussan C. (2013), Rapport sur l’évaluation de la politique d’accueil
des primo-arrivants, IGAS, octobre.
5
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit.
6
Loi n° 2018-778 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ».
Les pays où les écarts de littératie sont plus réduits qu’en France sont
essentiellement des pays anglophones 4, dont le Royaume-Uni, mais aussi l’Australie,
qui procède à une présélection via un système à points intégrant la maîtrise
linguistique.
1
L’OCDE évoque ainsi « l’Italie, qui n’a pas de passé colonial et dont il est par conséquent peu
probable que les migrants parlent la langue » (l’Italie a au demeurant un passé colonial, mais assez
épisodique et réduit).
2
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », op. cit.
3
Celle-ci peut en effet s’avérer satisfaisante pour des immigrés, notamment diplômés, maîtrisant très
bien le français comme langue étrangère, et à l’inverse insuffisante pour des (non)-immigrés par
exemple frappés d’illettrisme.
4
On trouve aussi des pays d’Europe centrale (République tchèque, Slovaquie) dont les flux
d’immigration sont faibles et souvent en provenance de pays voisins, proches linguistiquement.
Note : l’échantillon comprend les personnes âgées de 16 à 65 ans. Les barres représentent les écarts bruts
de compétences en littératie entre les immigrés et les personnes nées dans le pays. Les losanges
représentent les coefficients pour la variable « né à l'étranger » estimée dans un modèle des compétences
en littératie qui contrôle pour l'âge et le sexe.
Source : Évaluation des compétences des adultes (PIAAC) 2012
L’enjeu linguistique est d’autant plus crucial que malgré la plus grande prévalence des
difficultés chez les moins instruits, tous les profils d’immigration sont potentiellement
concernés. L’OCDE souligne même que « la maîtrise de la langue du pays d’accueil a
un impact plus important en ce qui concerne les emplois hautement qualifiés. Une
meilleure compréhension de ces complémentarités permettrait de concevoir des
formations linguistiques plus efficaces pour les immigrés » 1. De nombreuses études
ont en effet souligné l’efficacité des formations linguistiques adaptées aux perspectives
professionnelles du bénéficiaire 2. Or, l’Insee a constaté que « les immigrés les plus
diplômés ne sont pas ceux qui maîtrisaient le mieux le français à leur arrivée : la
majorité (55 %) des diplômés du supérieur ne parlaient qu’un peu ou pas du tout le
français, contre seulement 38 % des diplômés du secondaire » 3.
L’enjeu linguistique est donc bien, en France comme ailleurs, majeur, d’autant plus
que l’anglais n’y est que rarement mobilisable comme langue de travail,
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 191.
2
Par exemple, From Refugees to Workers. Mapping Labour-Market Integration Support Measures for
Asylum Seekers and Refugees in EU Member States, Migration Policy Centre et Fondation
Bertelsmann.
3
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », op. cit.
contrairement aux situations qui peuvent prévaloir dans d’autres pays d’immigration
(Pays-Bas ou Scandinavie par exemple).
Champ : immigrés de 15 à 64 ans arrivés en France à l’âge de 15 ans ou plus et occupant actuellement un
emploi salarié. France métropolitaine.
Lecture : 31 % des immigrés possédant un diplôme du supérieur et maîtrisant le français jugent qu’ils sont
surqualifiés dans leur emploi actuel.
Source : Insee, module complémentaire à l’enquête Emploi sur la mobilité, les compétences et l’insertion
professionnelle (2014)
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit. : « en Europe comme aux États-Unis, 69 % des personnes nées à l’étranger ont réalisé
toute leur scolarité en dehors du pays de résidence » (p. 21). Cette part est néanmoins plus faible
qu’ailleurs en France, grand pays d’immigration étudiante (voir chapitre I, rubrique 2.5).
2
OCDE (2014), ibid., p. 303.
3
« Measuring immigrants’ skills and educational qualifications is difficult because few qualifications
obtained abroad are directly comparable to British ones. »
À cet égard, Bratsberg et Terrell (2002) ont estimé les rendements de l’éducation sur
le marché du travail américain pour des immigrés provenant de plus de 60 pays, et
ont constaté que ces rendements sont fortement corrélés aux mesures de la qualité
de l’enseignement dans le pays d’origine (approchée par le biais du rapport élèves-
enseignants, ou des dépenses par élève) 1. Sweetman (2004), en évaluant la qualité
des systèmes éducatifs non sur la base de tels indicateurs de moyens mais sur celle
des notes moyennes obtenues en mathématiques et en sciences aux examens
internationaux, a constaté la même corrélation à partir de données canadiennes 2.
90% 85%
80% 73%
67% 70% 74%
70% 63%
60% 52%
45% 53%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Bas Moyen Elevé Bas Moyen Elevé
1
Bratsberg B. et Terrell D. (2002), « School Quality and Returns to Education of U.S. Immigrants »,
Economic Inquiry, vol. 40, n° 2, avril, p. 177-198.
2
Sweetman, A. (2004), « Qualité de l'éducation des immigrants dans leur pays d'origine et résultats
sur le marché du travail canadien », Statistique Canada, document de recherche de la Direction des
recherches analytiques, n° 234, décembre 2004.
3
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit.
Damas de Matos et Liebig (2014) 1 ont constaté que les immigrés qui recourent à la
reconnaissance de leurs qualifications ont bien plus de chances d’échapper au
déclassement, tout en relevant qu’ils sont peu nombreux à effectuer la démarche 2.
L’Insee a pu évoquer une proportion de 15% dans le contexte français 3.
1
Damas de Matos A. et Liebig T. (2014), « Les qualifications des immigrés et leur valeur sur le marché
du travail : comparaison entre l’Europe et les États-Unis », op. cit.
2
Le module ad hoc introduit dans la vague 2008 de l’Enquête européenne sur les forces de travail
avait montré que seulement 15 % des immigrés en font usage. Ce pourcentage atteint 24 % chez ceux
qui ont suivi des études supérieures, souvent dans un but de poursuite d’études dans le pays
d’accueil.
3
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », op. cit.
4
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 232.
5
« Finding an effective way of checking and certifying the skills and educational qualifications of
applicants. »
6
Clark K. et Lindley J. (2009), « Immigrant assimilation pre and post labour market entry: evidence
from the United Kingdom labour force », Journal of Population Economics, vol. 22, pp. 175-198.
7
Nordin M. (2007), « Immigrants’ returns to schooling in Sweden », IFAU, Working Paper, n°12.
8
Bratsberg B. et Ragan J.F. (2002), « The impact of host-country schooling on earnings: a study of
male immigrants in the United States », Journal of Human Resources, vol. 37, n° 1, p. 63-105, hiver.
La France se caractérise certes par une forte proportion d’immigrés ayant obtenu leur
diplôme le plus élevé dans le pays d’accueil. C’est en effet le cas de près des deux
tiers des immigrés de niveau d’éducation élevé ou intermédiaire, pour à peine un tiers
en moyenne dans l’OCDE, selon cette organisation 5. Ceci est notamment à
rapprocher du fait que notre pays est la quatrième destination des étudiants
internationaux au sein de l’OCDE (voir chapitre 1, rubrique 2.5).
Pour autant, l’OCDE constatait encore en 2017 6 que dans notre pays les services de
la main-d’œuvre étrangère (SMOE) « rencontrent des difficultés pour évaluer les
niveaux de diplôme obtenus à l’étranger dans la mesure où ils ne disposent pas de
compétence en la matière et qu’aucun lien institutionnel ne leur permet de bénéficier
du soutien des instances compétentes ». En outre, le département « reconnaissance
des diplômes » du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) a pour mission
première de délivrer des « attestations de comparabilité » 7 à un public étudiant. Les
différents métiers relevant de différents ordres, chambres ou ministères, il en résulte
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 220
2
Dumont J.-C. et Monso O. (2007), « Adéquation entre formation et emploi : un défi pour les immigrés
et les pays d’accueil », in OCDE, Perspectives des migrations internationales, op. cit.
3
Aleksynska M. et Tritah A. (2011), « Occupation-education mismatch of immigrant workers in
Europe: Context and policies », Working Paper, n° 2011-16, CEPII, juillet.
4
Nielsen C.P. (2011), « Immigrant over-education: Evidence from Denmark », Journal of Population
Economics, vol. 24, p. 499-520.
5
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., tableau 5.2.
6
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 33
7
L’OCDE estime qu’« il ne s’agit pas de reconnaissance de diplôme stricto sensu ».
une faible lisibilité tant pour les employeurs que pour les étrangers eux-mêmes, qui
peut expliquer le faible recours aux dispositifs 1.
De plus, l’aversion au risque des employeurs est a priori d’autant plus forte que le
marché du travail est rigide. Aussi la reconnaissance des qualifications pourrait-elle
particulièrement faciliter l’évaluation et donc le recrutement des candidats immigrés.
Ainsi, l’appel à projets de 15 millions d’euros lancé en octobre 2018 par le ministère
du Travail afin de favoriser l’insertion professionnelle des réfugiés vise notamment à
une meilleure reconnaissance des compétences.
Si les qualifications formelles occupent une place importante dans les systèmes
d’immigration à points, les niveaux d’éducation formels, même très bien mesurés, ne
suffisent pas à établir les compétences, qui ne s’acquièrent pas que dans le cadre du
système éducatif. C’est ici que va en particulier intervenir la prise en compte de
l’expérience professionnelle.
À cet égard, la Commission européenne a rappelé que, comme pour les diplômes,
l’expérience acquise à l’étranger est moins valorisée que celle acquise dans le pays
d’accueil 2. Une analyse effectuée au Canada a par exemple établi que les
employeurs n’y discriminent plus les candidats titulaires de diplômes étrangers
lorsqu’ils possèdent quelques années d’expérience professionnelle sur place
(Oreopoulos, 2009) 3, constat déjà évoqué dans le rapport britannique remis à la
Chambre des lords 4. Des différences de qualité entre pays d’origine et pays hôtes
sont pourtant, a priori, plus difficiles à objectiver que dans le cas de l’éducation. Mais
l’expérience étrangère n’est pas toujours directement transposable (qu’il s’agisse de
techniques – par exemple génie civil – de connaissances liées au cadre institutionnel
– par exemple en comptabilité ou en droit – ou d’aptitudes relationnelles partiellement
liées à des normes culturelles).
1
Ainsi, selon une enquête réalisée auprès des entreprises (CIEP, 2014), les employeurs vont
rarement au bout des démarches vis-à-vis du CIEP lorsqu’ils les entament.
2
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit.
3
Oreopoulos P. (2009), « Why do skilled immigrants struggle in the labour market? A field experiment
with 6000 resumes », NBER Working Paper, n° 15036, Cambridge, États-Unis.
4
« In Canada, a significant share of skilled migrants admitted under the points system cannot access
high-skilled jobs, mainly because employers discount work experience abroad and place more
emphasis on work experience in Canada. »
Or, l’OCDE a noté que l’écart de rendement de l’expérience entre immigrés et non-
immigrés était relativement important dans au moins quatre pays 1, dont la France.
L’OCDE 2 a du reste relevé que certains de ses membres, comme le Canada et
l’Allemagne, « cherchent de plus en plus à valider les compétences des migrants
avant de les accueillir » et observe que « dans certains pays, les employeurs jouent
un rôle plus grand que par le passé et sont invités à sélectionner directement les
personnes qualifiées dont le profil semble adapté aux postes à pourvoir ».
1
Les trois autres étant l’Autriche, la Norvège et les Pays-Bas.
2
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 333.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) donne une
liste détaillée des conséquences de telles situations, qui sont non seulement
psychologiques et affectives (dépression, anxiété liée aux séparations familiales,
limitation du réseau social) mais aussi administratives (perte des documents
d’identité et des diplômes ou certificats). Des conséquences sur l’éducation ont été
1
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics, vol. 30, n° 3, p 925–952 : « In
general, refugees residing in Denmark exhibit a lower rate of labour force participation than other non-
Western immigrants. This is partly due to the traumatic events experienced by some refugees, which
result in temporary or permanent health damage. »
2
Hamel C. et Moisy M. (2013), « Immigrés et descendants d’immigrés face à la santé », op. cit.
3
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit.
4
Centre Primo Levi (2016), « Accueillir les réfugiés, c’est aussi les soigner ».
5
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit.
Ces facteurs peuvent certes tirer à la hausse les taux d’activité et d’emploi, au
moins sur les marchés du travail les plus flexibles. Mais certains employeurs
peuvent être tentés de profiter du fait que les immigrés connaissent mal leurs droits,
et le droit du travail en général. En effet, comme a pu le résumer le CEPII, pour
beaucoup d’immigrés, « la probabilité de trouver un emploi est plus faible et le coût
de ne pas en avoir est plus élevé » 5. La récente loi « asile-immigration » a toutefois
ajouté au CIR un volet d’insertion professionnelle, l’Office français de l’immigration
et de l’intégration (OFII) étant chargé d’orienter les demandeurs d’emploi vers des
solutions d’orientation professionnelle et d’accompagnement vers l’emploi 6.
1
Voir à cet égard la fiche « relations sociales » de l’ouvrage de l’Insee (2012), Immigrés et
descendants d’immigrés en France, op. cit., p. 236.
2
Ce facteur de difficultés est par exemple évoqué par le rapport précité de France terre d’asile, en
plus du manque de maîtrise du français et de reconnaissance des qualifications.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 180
4
Lê J. et Okba M. (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi », op.
cit.
5
Edo A. et Toubal F. (2014), « L’immigration en France, quelles réactions des salariés et de
l’emploi ? », Lettre du CEPII, n° 347, septembre.
6
Décret n° 2019-141 du 27 février 2019.
C’est logiquement dans le cas des immigrés illégaux que la vulnérabilité est la
plus forte. Dans sa fiche thématique relative au travail non déclaré, la
Commission européenne indique parmi les facteurs prédisposant au travail non
déclaré « la situation des groupes vulnérables, y compris les immigrés illégaux ».
L’Organisation internationale du travail 1 a même insisté sur un lien « fort » entre
immigration et travail non déclaré, indiquant que dans de nombreux cas – non
restreints à l’immigration illégale – les immigrés sont recrutés dans cette
perspective. L’organisation s’est notamment intéressée aux enjeux particuliers
qui en découlent pour les inspections du travail.
L’accès au marché du travail n’est en particulier pas immédiat pour les demandeurs
d’asile. La période d’attente s’élève en effet à 9 mois en moyenne, pour des niveaux
de 6 voire 3 mois dans de nombreux pays européens. En revanche, la France
n’impose aucune restriction en matière de secteurs d’activité (contrairement, par
exemple, à l’Autriche) ou de nombre d’heures travaillées (contrairement, par
exemple, aux Pays-Bas).
Surtout, un certain nombre d’emplois sont fermés aux immigrés, soit tant qu’ils n’ont
pas acquis la nationalité (cas de la majeure partie du secteur public 3 au moins pour les
étrangers de pays tiers), soit parce qu’ils ne disposent pas de diplômes français (dans
1
OIT (2010), Labour inspection in Europe: undeclared work, migration, trafficking, Genève, janvier.
2
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit.
3
172 000 emplois de médecins hospitaliers et enseignants-chercheurs sont ouverts à tous les
étrangers.
le cas du secteur privé). Dans le second cas, il s’agit, comme l’a rappelé l’OCDE, de
certaines professions réglementées « de fait inaccessibles aux immigrés récemment
arrivés en France (…) parce que leur diplôme est étranger » 1. Ceci concerne pour
l’essentiel des professions libérales, notamment médicales ou juridiques.
Ainsi, l’Observatoire des inégalités constatait en 2017 qu’au total 5,4 millions
d’emplois, soit plus d’un sur cinq, demeuraient fermés aux étrangers non européens,
donc à certains immigrés 2. Il relevait que « le processus de reconnaissance du diplôme
étranger est très long, voire impossible selon les professions ».
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 104
2
« Cinq millions d’emplois demeurent fermés aux étrangers non européens », 19 avril 2017.
3
Voir par exemple Phelps (1972), « The Statistical Theory of Racism and Sexism », American
Economic Review, 62(4), p. 659-666.
4
Voir par exemple Becker (1971), The Economics of Discrimination.
5
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques…, op. cit., p. 187.
6
Arai M. et Thoursie P.S. (2009), « Renouncing personal names: An empirical examination of
surname change and earnings », Journal of Labor Economics, vol. 27, n° 1, p. 127-147, janvier.
devenir des immigrés qui changent leur nom à un moment donné pour lui donner une
consonance locale. Ceux-ci bénéficient alors de taux d’emploi plus élevés et d’une
meilleure croissance de leurs salaires. En particulier, la probabilité de trouver un
emploi augmente de plus de 8 points de pourcentage.
D’autre part, comparer les immigrés résidant dans le pays selon la durée de leur
séjour revient à comparer les immigrés arrivés à différentes dates. Or la composition
de ces vagues d’immigration peut différer en fonction de soubresauts géopolitiques et
de fluctuations de la politique d’immigration (voir chapitre1, rubrique 2.1). Il peut donc
exister des « effets de cohorte » 4.
Néanmoins, les constats effectués sur des populations analogues dans des pays hôtes
différents convergent. Ainsi, s’agissant des réfugiés, Hansen et al. (2017) indiquent,
1
Duguet E., Leandri N., L’Horty Y. et Petit P. (2010), « Are Young French Jobseekers of Ethnic
Immigrant Origin Discriminated Against? A Controlled Experiment in the Paris Area », Annales
d’économie et de statistique, n° 99/100, Measuring Discriminations, p. 187-215, juillet-décembre.
2
Il s’agit de l’enquête déjà mentionnée en début de section.
3
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit.
4
La DG Emploi, affaires sociales et inclusion de la Commission européenne cite, in Employment and
social developments in Europe 2016 (p. 115), l’exemple des réfugiés arrivés voici plus de dix ans en
Allemagne, en Autriche ou en Suisse, nombreux à être originaires de l’ex-Yougoslavie.
Globalement, l’exploitation de l’Enquête 2014 sur les forces de travail indique que la
prolongation du séjour des immigrés en provenance de pays tiers s’accompagne à la
fois d’une hausse de l’activité (52 % pour les séjours de moins de trois ans, 73 % pour
ceux de plus de six ans) et d’une baisse du chômage (de 24 % à 16 %), d’où une nette
hausse du taux d’emploi (de 40 % à 61 %). Cela est en cohérence avec certains
chiffres évoqués par l’OCDE dans ses analyses sur la France 4, par exemple dans le
cas des 50 000 nouveaux immigrés de 20 à 64 ans arrivant en Île-de-France chaque
année, « dont le taux d’emploi moins d’un an après leur arrivée est de 38 % ».
1
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics, op. cit.
2
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit. (p.
123).
3
Bundesministerium für Europa, Integration und Äußeres (2016), ‘Integrationsbericht 2016’, citant
Spadarotto et al. (2014), « Erwerbsbeteiligung von anerkannten Flüchtlingen und vorläufig
Aufgenommenen auf dem Schweizer Arbeitsmarkt ».
4
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 97.
5
Chiswick, B.R. (1978), « The Effect of Americanization on the Earnings of Foreign-born Men »,
Journal of Political Economy, University of Chicago Press, vol. 86, n° 5, pp. 897-921, octobre.
6
Borjas G.J. (1985), « Assimilation, Changes in Cohort Quality, and the Earnings of Immigrants »,
Journal of Labor Economics, University of Chicago Press, vol. 3, n° 4, p. 463-89, octobre. Borjas, G.J.
(1995), « The Economic Benefits from Immigration », Journal of Economic Perspectives, American
Economic Association, vol. 9, n° 2, p. 3-22, deuxième trimestre.
7
Lubotsky D. (2007), « Chutes or Ladders? A Longitudinal Analysis of Immigrant Earnings », Journal
of Political Economy, vol. 115, n° 5, p. 820-867, octobre.
45%
40%
35%
30%
25%
Réfugiés
20% Travail ou Etudes
Famille
15%
10%
5%
0%
1à9 10 à 19 20 et plus
1
Chiswick B.R., Lee Y.L. et Miller P.W. (2003), « Patterns of Immigrant Occupational Attainment in a
Longitudinal Survey », International Migration, vol. 41, n °4.
2
Green, D. (1999), « Immigrant occupational attainment: Assimilation and mobility over time »,
Journal of Labor Economics, vol. 17, n °1, pp. 49-79, janvier.
Graphique 30 – Ratio du taux d’emploi des immigrés récents sur le taux d’emploi
des immigrés installés, 2008-2011 et 2012-2015
2008-11 2012-15
1,3
1,2
1,1
1
0,9
0,8
0,7
0,6
Note : les immigrés récents sont ceux qui sont arrivés dans les cinq années précédant l’enquête et les
immigrés installés ceux qui sont arrivés au moins cinq ans avant l’enquête. Les données pour les États-Unis
sont basées sur les années 2009 et 2011 au lieu de 2008-2011 et sur les années 2013 et 2015 au lieu de
2012-2015. Les données pour la République slovaque sont basées sur les années 2009-2010 et 2013-
2015.
Source : pays européens et Turquie : Enquêtes sur les forces de travail (Eurostat) ; Australie : Survey of
Education and Work ; Canada : Enquête sur la population active ; États-Unis : Current Population Surveys
1
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., p.
127.
2
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 307
Graphique 31 – Différences de taux d’emploi entre les immigrés qui ont obtenu
leur diplôme à l’étranger et les non-immigrés, selon la durée du séjour
Note : l’échantillon se limite aux personnes âgées de 15 à 64 ans qui ne poursuivent pas d’études à plein
temps. Les coefficients sont estimés sur la base d’une régression linéaire d’une variable muette de l’emploi,
qui contrôle pour le sexe, les tranches d’âge de cinq ans et les années d’éducation (et les effets fixes pays
en Europe).
Source : pays européens : Enquêtes sur les forces de travail 2009-2010 ; États-Unis : Current Population
Survey 2009-2011.
1
Bechichi N., Bouvier G., Brinbaum Y. et Lê J. (2016), « Maîtrise de la langue et emploi des
immigrés : quels liens ? », op. cit.
Le second axe porte à l’inverse, non sur des effets moyens dans un jeu à somme
nulle, mais sur la complémentarité entre immigrés et non-immigrés, dont la nature et
le degré peuvent améliorer le fonctionnement du marché du travail. Cette
complémentarité peut être sectorielle : les immigrés occuperaient des métiers en
tension au sein d’un secteur donné, ou s’orienteraient vers des secteurs ayant des
besoins importants en main-d’œuvre non satisfaits. Cette complémentarité pourrait
même s’exprimer en termes de profils de compétence au sein d’un même métier.
Enfin, la complémentarité peut être territoriale car les immigrés seraient plus mobiles
et donc plus disposés à répondre aux besoins localisés de main-d’œuvre. Ce sont ici
les caractéristiques du flux d’immigration qui sont déterminantes.
1
Edo A. (2018), « The impact of immigration on the labour market », The Journal of Economic
Surveys, vol. 33, n° 3, juillet, p. 922-948.
Au niveau conceptuel, Edo (2018) 1 distingue différents types d’impacts possibles sur
le marché du travail :
1
Edo A. (2018), op. cit.
2
L’hypothèse d’une divergence entre salaires et gains de productivité reviendrait à postuler une
dégradation de la compétitivité coût, elle-même associée à des pertes de parts de marché dans un
cadre d’économie ouverte.
3
Il s’agit du « salaire pour lequel il serait indifférent aux travailleurs de continuer de chercher un
emploi mieux payé ou d’accepter l’emploi qui leur est proposé », selon une définition proposée par
Olivier Blanchard, Macroéconomie (2013), Pearson Editions.
4
Peri G. (2010), The impact of immigrants in recession and economic expansion, Washington DC:
Migration Policy Institute.
1
La littérature considère depuis déjà assez longtemps que les liens entre capital et travail diffèrent
selon qu’il s’agit de travail hautement ou peu qualifié (Goldin et Katz, 1998, Krussell et al. 2000), avec
plutôt une complémentarité entre capital et travail qualifié, et une substituabilité entre capital et travail
peu qualifié.
2
Borjas G. J. (2013), « The analytics of the wage effect of immigration », IZA Journal of Migration,
2(1).
3
Peri G. et Sparber C. (2009), « Task specialization, immigration, and wages », American Economic
Journal: Applied Economics, 1(3), p. 135-169.
4
D'Amuri F. et Peri G. (2014), « Immigration, jobs, and employment protection: Evidence from Europe
before and during the great recession », Journal of the European Economic Association, 12(2), p. 432-
464.
Il est ainsi possible de s’inscrire dans différents cadres d’analyse théoriques plus ou
moins sophistiqués selon les types d’impacts sur le marché du travail qu’ils intègrent,
ceux-ci étant notamment fonction du degré de prise en compte de l’hétérogénéité du
facteur travail, et de l’horizon temporel d’analyse.
Au niveau empirique, Edo (2018) 2 distingue dans sa revue de littérature deux types
d’approches, dites respectivement « structurelles » et « non-structurelles »,
auxquelles se rattachent certaines études portant sur la France.
L’auteur définit les méthodes « structurelles » comme celles se basant sur une
modélisation théorique pour simuler l’impact de l’immigration sur les salaires. Cette
modélisation définit les relations entre les différentes variables, notamment celles qui
régissent les interactions entre les salaires et l’emploi d’une part et l’immigration
d’autre part. C’est le cas notamment de Borjas (2003) 3 qui a construit un modèle
structurel (avec une fonction de production), défini des groupes de travailleurs selon
différents niveaux de qualification (approchés par les niveaux d’éducation) et les
interactions entre ces groupes d’une part et entre ceux-ci et le capital physique
d’autre part. Ce cadre théorique est ensuite utilisé pour effectuer des simulations et
en déduire l’impact de l’immigration sur les non-immigrés en comparant leurs salaires
à l’équilibre du modèle avec ou sans immigration.
1
Lewis E. (2011), « Immigration, skill mix, and capital skill complementarity », The Quarterly Journal of
Economics, 126(2), p. 1029-1069 et Lewis E. (2013), « Immigration and production technology »,
Annu. Rev. Econ., 5(1), p. 165-191.
2
Edo A. (2018), « The impact of immigration on the labour market », op. cit.
3
Borjas G. J. (2003). « The labor demand curve is downward sloping: reexamining the impact of
immigration on the labor market », Quarterly Journal of Economics, 118 (4), p. 1335-1374.
Les approches dites « non structurelles » ne se basent justement sur aucun postulat
théorique préalable, à l’inverse des approches structurelles. Au lieu de « simuler »
elles conduisent à « estimer » sur la base des données disponibles. L’estimation
d’impact nécessite toutefois de se fixer un point de comparaison observable,
incarnant la situation qui serait advenue en l’absence du phénomène étudié. Ce point
de comparaison est qualifié de « contrefactuel ».
En pratique, les effets de l’immigration sur les salaires sont, dans les analyses
empiriques (que les méthodes soient structurelles ou non), résumés par des
élasticités, c’est-à-dire le quotient entre la variation relative des salaires des non-
immigrés et la variation relative de la main-d’œuvre (liée à l’immigration). Cet
indicateur illustre le cadre d’analyse d’impact retenu dans la littérature relative aux
effets de l’immigration sur le marché du travail, à savoir un cadre « marginal ».
Les analyses d’impact sur l’emploi tendent quant à elles à se focaliser sur le taux
d’emploi des seuls non-immigrés.
1
« Most analysis of the labour market impacts of immigration in the UK and elsewhere have used
various econometric techniques to address some of these issues but some difficulties and caveats
typically remain. »
(s) méthode structurelle ; (ns) méthode non structurelle ; (1) Rapport entre variation relative des salaires et
celle de la population active due à l’immigration
Source : tableau construit à partir des études sélectionnées par Edo (2018)
La conclusion relative aux salaires moyens est que l’impact à long terme de
l’immigration sur ceux des non-immigrés est nul ou légèrement positif, selon que les
travailleurs immigrés et non-immigrés de même niveau d’éducation et d’expérience
sont parfaitement substituables (effet nul) ou pas (effet positif 2). Ce résultat
concernant l’impact à long terme, il intègre l’ajustement du capital physique à la
croissance de la population active liée à l’immigration.
1
Ces études ont été réalisées sur différents pays dont, outre la France, l’Allemagne, le Canada, le
Danemark, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse.
2
Notamment par le biais de la « PGF » déjà évoquée, discutée plus en détail dans le chapitre 4.
Un impact sur les salaires moyens à long terme parfois nul, parfois positif
L’étude portant sur la situation aux États-Unis sur la même période (Borjas
2014) 2 ainsi qu’une étude relative au Canada sur les années 1980-2000 (Aydemir
et Borjas, 2007) 3 aboutissent aux mêmes conclusions.
L’hétérogénéité des effets identifiés peut aussi renvoyer à des différences dans
les institutions du marché du travail des pays étudiés, en particulier les degrés
relatifs de rigidité/flexibilité : les ajustements sur le marché du travail peuvent
ainsi transiter par les salaires, mais aussi les volumes d’emploi, et ce dans des
proportions variables.
Une limite de ces études est que les résultats obtenus à partir des simulations sont
étroitement liés aux interactions définies dans le modèle théorique de référence. Une
autre limite est liée à une modélisation du facteur travail selon le seul niveau
d’éducation, supposé à lui seul prédictif du type d’emploi occupé sur le marché du
1
Edo A. et Toubal F. (2015), « Selective Immigration Policies and Wages Inequality », Review of
International Economics, 23, p. 160-187.
2
Borjas G. J. (2014), Immigration Economics, Harvard University Press.
3
Aydemir A. et Borjas G. J. (2007), « Cross-country variation in the impact of international migration:
Canada, Mexico, and the United States », Journal of the European Economic Association, p. 663-708.
4
Brücker H., Hauptmann A., Jahn E. J. et Upward R. (2014), « Migration and imperfect labor markets:
Theory and cross-country evidence from Denmark, Germany and the UK », European Economic
Review, 66, p. 205-225.
5
Gerfin M. et Kaiser B. (2010), « The Effects of Immigration on Wages: An Application of the Structural
Skill-Cell Approach », Swiss Journal of Economics and Statistics, 146(IV), p. 709-739.
6
Ottaviano G.I.P. et Peri G. (2012), « Rethinking the Effects of Immigration on Wages », Journal of the
European Economic Association, 10(1), p. 152-197.
Par ailleurs, en cas d’ajustements par le volume d’emploi plus que les salaires, il
convient de s’intéresser à l’impact de l’immigration sur l’emploi des non-immigrés. Or,
la théorie n’explicite pas les modalités de retour à l’équilibre suite à un surcroît de
chômage lié à l’immigration, par exemple en l’absence de flexibilité des salaires et/ou
d’afflux de capital. En effet, même si l’on peut noter que l’immigration augmente la
demande et donc le niveau d’activité (voir première section du quatrième chapitre,
relative à son impact sur le PIB), cela ne suffit pas à garantir que l’emploi progresse
au même rythme que la population active. D’une part car le PIB peut progresser mais
le PIB par habitant reculer (même si ce n’est pas le plus probable compte tenu des
enseignements de la littérature concernant l’impact sur la croissance 1). D’autre part
parce que même si le PIB par habitant augmente, les ressorts d’une telle croissance
liée à l’immigration relèvent souvent d’une hausse de la productivité (sur ces
différents aspects, voir le chapitre 4), avec donc l’éventualité d’une croissance peu
créatrice d’emplois.
Le rythme d’afflux du capital reste par ailleurs lui-même une relative inconnue, avec
là aussi des facteurs propres au pays étudié et peu liés à l’immigration (confiance des
investisseurs, qu’il s’agisse de stabilité juridique et fiscale, de qualité des services et
infrastructures, etc.). La commission de productivité australienne 2 a notamment
conclu que l’ajustement à cet égard est plus rapide dans de petites économies
ouvertes.
1
Voir chapitre 4 concernant l’impact de l’immigration sur la croissance par habitant.
2
Australian Government Productivity Commission (2006), Economic Impacts of Migration and
Population Growth.
3
Mitaritonna C., Orefice G. et Peri G. (2017), « Immigrants and firms’ outcomes: evidence from
France », European Economic Review, 96: 62–82. Ortega J. et Verdugo G. (2016), « Moving up or
Les différences de constats entre la quinzaine d’études recensées par Edo (2018)
s’expliqueraient selon l’auteur, d’une part par des différences dans la composition de
la population immigrée (plus ou moins qualifiée selon les pays d’accueil), et d’autre
part par l’usage de méthodes économétriques différentes.
L’une d’elles est que les immigrés ont une forte propension à rejoindre les zones en
expansion (Friedberg et Hunt, 1995) 1, en cohérence avec les motifs d’immigration
classiquement distingués (voir chapitre 1, rubrique 1.3). Ainsi, attribuer à
l’immigration des différentiels de dynamisme entre zones fortement ou faiblement
concernées pourrait relever d’un contresens 2. Cette ambivalence de la causalité se
rattache à un phénomène que les spécialistes désignent par le terme
d’« endogénéité » 3.
Par ailleurs, les méthodes spatiales négligent les potentielles réactions des
travailleurs non-immigrés à l’impact de l’immigration, via par exemple une mobilité
vers d’autres régions si, comme la théorie le laisse supposer, surviennent à court
terme des baisses de salaire ou un surcroît de chômage. Ainsi, les marchés
régionaux du travail sont implicitement supposés fermés avec un raisonnement en
équilibre partiel (Card, 2001 4).
Ces approches ont été développées en réaction aux points faibles des méthodes
spatiales qui viennent d’être évoqués. Le facteur travail est alors subdivisé le plus
souvent selon les deux critères de l’éducation et de l’expérience. Cette fois, le
contrefactuel repose sur des segments (nationaux) de main-d’œuvre supposés peu
ou pas concernés par l’immigration.
down? Immigration and the selection of natives across occupations and locations », IZA Discussion
Paper, n° 10303.
1
Friedberg R. M. et Hunt J. (1995), « The impact of immigrants on host country wages, employment
and growth », The Journal of Economic Perspectives, 9(2), p. 23-44.
2
Le professeur Rowthorn signale aussi cette difficulté, dans l’étude pour la Chambre des lords (2008).
3
Le chapitre 4 revient sur cet important écueil méthodologique.
4
Card D. (2001), « Immigrant inflows, native outflows, and the local labor market impacts of higher
immigration », Journal of Labor Economics, 19(1), p. 22-64.
Concernant les salaires, les principaux résultats des estimations peuvent être
résumés comme suit :
– En France, trois études ont été menées. La première (Edo, 2015) 1, portant sur
des données annuelles de 1990 à 2002, conclut à un effet indéterminé de
l’immigration sur le salaire des non-immigrés. La seconde, du même auteur,
distingue les travailleurs selon le type de contrat (CDD versus CDI). Avec des
données portant sur la même période, elle met en évidence un effet négatif de
l’immigration sur les salaires des seuls non-immigrés employés en CDD
(élasticité de -0,79). Une troisième étude réalisée par Ortega et Verdugo (2014) 2
à partir des données de six recensements de la population en France sur la
période 1962-1999 conclut quant à elle à un effet positif sur les salaires moyens
(élasticité des salaires moyens des non-immigrés de +0,3). Ces conclusions
différentes seraient attribuables à un horizon d’analyse de plus de trente ans
(1962-1999) intégrant vraisemblablement davantage des effets de bouclage plus
macroéconomiques (voir chapitres 3 et 4) dépassant les seuls ajustements sur
le marché du travail 3. Inversement l’horizon des données utilisées par Edo
pourrait ne pas intégrer l’ensemble des effets à long terme sur le seul marché du
travail.
– Dans les autres pays, Edo (2018) 4 recense une douzaine d’études. Les effets de
l’immigration sur les salaires des non-immigrés sont négatifs mais assez faibles
(avec des élasticités à la hausse relative de main-d’œuvre comprises entre -1,2 et
-0,1). Les effets sont relativement plus importants dans les pays où les salaires
sont réputés moins rigides à la baisse, comme aux États-Unis, que dans des pays
européens comme l’Allemagne. L’Espagne constitue une exception puisque les
deux études consacrées à ce pays aboutissent à un effet nul sur les salaires des
non-immigrés.
1
Edo A. (2015), « The impact of immigration on native wages and employment », The BE Journal of
Economic Analysis & Policy 15(3), juillet.
2
Ortega J. et Verdugo G. (2014) « The impact of immigration on the French labor market: Why so
different? », Labour Economics, 29, p. 14-27.
3
« It may be that Edo (2015, 2016) captures short-run effects, while Ortega and Verdugo (2014) report
longer run effects, which take account of possible adjustment mechanisms triggered by immigration. »
4
Edo A. (2018), « The impact of immigration on the labour market », op. cit.
– En France, Edo (2015) 1 conclut à une élasticité négative du taux d’emploi des
non-immigrés à l’immigration, égale à -0,27 mais nulle s’agissant des seuls
immigrés très diplômés. Ortega et Verdugo (2014) 2 concluent quant à eux à une
élasticité légèrement positive du taux d’emploi, égale à +0,3.
– Dans les autres pays, D’Amuri et al. (2010) concluent, dans le contexte allemand,
à une élasticité négative de l’emploi à l’immigration, mais concernant uniquement
les immigrés déjà présents, et non les non-immigrés 3. En Espagne, Carrasco et
al. (2008) 4 concluaient à une absence d’impact sur le taux d’emploi des non-
immigrés.
Face aux écueils des deux types de méthodes non structurelles précédentes,
certains chercheurs ont proposé d’étudier l’impact de vagues d’immigration
1
Edo A. (2015), « The impact of immigration on native wages and employment », op. cit.
2
Ortega J. et Verdugo G. (2014) « The impact of immigration on the French labor market: Why so
different? », op. cit.
3
« In particular, our estimates suggest that, for any 10 new immigrants in the German labor market,
three to four old immigrants are driven out of employment, whereas no native is affected. », voir
D’Amuri F., Ottaviano G.I.P. et Peri G. (2010), « The labor market impact of immigration in Western
Germany in the 1990s », European Economic Review, vol. 54(4), p. 550-570.
4
Carrasco R., Jimeno J.F. et Ortega A.C. (2008), « The effect of immigration on the labor market
performance of native-born workers: some evidence for Spain », Journal of Population Economics, vol.
21(3), p. 627-648.
soudaines et non anticipées par les migrants eux-mêmes, de manière à exclure toute
optimisation de leur part (qu’il s’agisse du choix de la région de destination ou du
métier exercé).
Mais la démarche conduit à étudier des situations d’urgence avec des motivations
non économiques et implique donc souvent le recours à des épisodes d’immigration
humanitaire, peu représentatifs de l’immigration dans sa globalité, selon une critique
émise notamment par Peri (2016) 1. Dans certains cas, la recherche s’est d’ailleurs
intéressée à des flux ne relevant pas réellement de l’immigration, qu’il s’agisse des
rapatriés des colonies françaises ou portugaises, ou même des admissions au titre
des « droits au retour » israélien ou allemand 2 (dans la foulée de l’effondrement de
l’URSS).
En tout état de cause, se fonder sur des situations où les capacités d’arbitrage et
d’anticipation des immigrés ont été minimales peut conduire à surestimer les effets
négatifs, ou à sous-estimer les effets positifs, de l’immigration. En effet, la littérature
a établi une plus grande difficulté d’intégration moyenne dans le cas de
l’immigration humanitaire (voir 1.1). De plus, de telles vagues massives
d’immigration mettent à plus rude épreuve la capacité d’absorption des marchés du
travail et services publics des pays hôtes qu’un simple flux d’immigration tendanciel
au fil de l’eau.
1
Peri G. (2016), « Immigrants, productivity, and labor markets », The Journal of Economic
Perspectives, vol. 30(4), p. 3-29.
2
Comme déjà signalé, Loeffelholz et al. (2004) excluent à ce titre une grande partie des personnes
nées à l’étranger mais d’origine allemande (Spätaussiedler). voir Loeffelholz H., Bauer T., Haisken-
DeNew J. et Schmidt C. (2004), Fiskalische Kosten der Zuwanderer, RWI Report for the
Sachverständigenrat für Zuwanderung und Integration.
3
Dustmann C., Schönberg U. et Stuhler J. (2017), « Labor supply shocks, native wages, and the
adjustment of local employment », The Quarterly Journal of Economics, vol. 132(1), p. 435-483.
4
« It is important to emphasize that we focus on the short-term effects of an immigration induced labor
supply shock, which may be more pronounced than the longer-term effects typically considered in the
literature. For instance, wages may be partially downward rigid in the short but not in the longer term,
3.7. Un consensus quant à une faiblesse des impacts sur les non-
immigrés, qui renvoie à la situation des immigrés eux-mêmes
Au niveau agrégé, la revue de littérature du CEPII conclut que « les niveaux moyens
de salaires et d’emploi des non-immigrés sont généralement insensibles à
l’immigration ». Borjas (2013) 1 a par exemple indiqué que l’effet de l’immigration sur
la moyenne des salaires reste nul à terme. C’est également ce que signale la
Commission européenne 2, qui rappelle que ce constat général de faiblesse des
impacts dépend en partie de l’horizon temporel, les impacts étant généralement plus
significatifs à court terme, compte tenu du temps nécessaire au jeu des mécanismes
économiques d’ajustement déjà décrits, permettant un retour à l’équilibre.
Il est toutefois remarquable que, quelle que soit la méthodologie adoptée, les
analyses d’impact sur l’emploi tendent à se focaliser sur le taux d’emploi des non-
immigrés. Or, si en première approche l’immigration n’a pas d’impact sur ce taux,
c’est donc que l’évolution des indicateurs du marché du travail des pays hôtes
dépendrait entièrement de l’insertion professionnelle des immigrés eux-mêmes. En
effet, si ces derniers s’intègrent très bien au marché du travail, le taux de chômage
peut baisser et le taux d’emploi augmenter. La réciproque s’applique si les taux
d’emploi des immigrés sont inférieurs à ceux des non-immigrés, et leurs taux de
chômage supérieurs. D’où l’enjeu alors associé à l’intégration professionnelle des
immigrés, étudiée dans la précédente section.
3.8. Les ajustements transitent dans des proportions variables par les
salaires ou l’emploi selon le type de marché du travail
while the supply of capital may be more responsive – especially if, as in our case, the inflow of
immigrants was unexpected. »
1
Borjas G.J. (2013), « The analytics of the wage effect of immigration », op. cit.
2
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit.
Les ajustements semblent donc s’effectuer davantage par les salaires aux États-Unis
et par l’emploi en Europe. Ainsi, alors que pour les États-Unis Borjas (2003) 1 trouve
une élasticité de -0,4 des salaires à l’immigration (à partir de plusieurs segments de
population active définis par l’âge et l’éducation), Bonin (2005) 2 et Steinhardt (2011) 3
concluront en recourant au même type d’approche 4 à une élasticité inférieure de -0,1
à -0,2 dans le cas allemand, ce qui s’expliquerait par la plus grande rigidité du
marché du travail outre-Rhin. Ces constats font écho au graphique 23 (voir 1.4
supra), qui illustre l’absence de différentiel significatif de chômage entre immigrés et
non-immigrés dans plusieurs pays anglo-saxons, dont les États-Unis.
Au sein même de l’Europe, à nouveau selon l’OCDE « le principal écart entre les
résultats des immigrés et des non-immigrés en Suède, par exemple, concerne le taux
d’emploi. (…) une fois [les immigrés] en poste, les écarts de salaire observés tendent
à diminuer puisque la distribution des salaires sur le marché du travail est très
compressée. À l’inverse, au Portugal ou au Royaume-Uni, le taux d’emploi des
immigrés de sexe masculin est supérieur à celui des non-immigrés (…). Dans ces
économies, les principales difficultés sont liées au déclassement des immigrés et à
l’écart salarial entre immigrés et non-immigrés » 5. Le rapport remis à la Chambre des
lords en 2008 cite ainsi le professeur Blanchflower, qui insiste sur l’impact de
l’immigration sur les salaires 6. De même, Angrist et Kugler (2003) 7, qui ont étudié
l’effet de la vague de réfugiés de l’ex-Yougoslavie dans un panel de pays européens,
ont identifié des effets plus négatifs sur l’emploi dans les pays aux marchés du travail
plus rigides.
Dans le cas français, le CEPII a ainsi conclu que « du fait des rigidités salariales,
l’impact de l’immigration sur le marché du travail porte (…) plus sur l’emploi que sur
les salaires ». Edo conclut néanmoins que cet impact plutôt négatif de l’immigration
1
Borjas G. J. (2003), op. cit.
2
Bonin H. (2005), « Wage and employment effects of immigration to Germany: evidence from a skill
group approach », IZA Discussion Paper, n° 1875.
3
Steinhardt M. F. (2011), « The Wage Impact of Immigration in Germany-New Evidence for Skill
Groups and Occupations », The BE Journal of Economic Analysis & Policy 11(1).
4
À savoir des méthodes non structurelles par segments du marché du travail.
5
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 176
6
« Professor Blanchflower found that wage growth slowed in both the UK and Ireland following A8
accession although both economies were booming. He attributed this to a rise in the fear of
unemployment caused by high immigration, which in turn leads to lower wage settlements. »
7
Angrist J.A. et Kugler A.D. (2003), « Protective or counter-productive? Labor market institutions and
the effect of immigration on EU natives », The Economic Journal, 113 (488), p. 302-331.
sur l’emploi (Edo, 2015) 1 semble épargner les non-immigrés en CDD (Edo, 2016) 2,
pour lesquels est justement identifié un ajustement transitant par les salaires (voir 3.5
supra).
1
Edo A. (2015), op. cit.
2
Edo A. (2016), « How do rigid labor markets absorb immigration? Evidence from France », IZA
Journal of Migration, 5(1):7, avril.
3
Edo A. (2018), op. cit.
4
Babecký J., Du Caju P., Kosma T., Lawless M., Messina J. et Rõõm T. (2010), « Downward nominal
and real wage rigidity: survey evidence from European firms », The Scandinavian Journal of
Economics, vol. 112(4), p. 884-910.
5
Edo A. et Rapoport H. (2017), « Minimum wages and the labor market effects of immigration », CEPII
Working Paper, n° 2017-12, juillet.
6
« The high social safety net induces high effective minimum wages that make it difficult for
newcomers to get into employment unless they are very productive to begin with, which many
immigrants from poor countries tend not to be » : voir Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T.
(2017), « The fiscal impact of immigration to welfare states of the Scandinavian type », Journal of
Population Economics, op. cit.,
7
Voir le rapport remis à la Chambre des lords : « It is probable that, in the absence of the national
minimum wage, wages at the lower end of the income distribution (…) would have subsequently
experienced additional deterioration as a result of immigration ».
Edo a rappelé que la rapidité des ajustements nécessaires au retour à l’équilibre des
marchés du travail dépend notamment de l’élasticité du capital et de la plus ou moins
grande inertie des technologies de production 1. La structure des salaires peut ainsi
être modifiée dès lors que toutes les fonctions de production ne s’ajustent pas
complètement aux nouvelles offres de travail respectivement très qualifié ou peu
qualifié.
Dans le contexte français, Ortega et Verdugo (2016) 2, qui ont recouru à une méthode
non structurelle de type « spatial », identifient ainsi un impact légèrement négatif de
l’immigration sur les salaires des cols bleus, et ce de manière plus prononcée dans le
seul secteur de la construction, avec une élasticité de leurs salaires à l’augmentation
du nombre de travailleurs du secteur égale à -0,4. Cela accrédite l’idée d’un effet
négatif sur les salaires des non-immigrés au profil le plus proche, compte tenu de la
part du secteur de la construction chez les immigrés français en emploi (voir 1.6
supra).
1
Edo A. (2018), op. cit.
2
Ortega J. et Verdugo G. (2016), « Moving up or down? Immigration and the selection of natives
across occupations and locations », IZA Discussion Paper, n° 10303.
3
Ottaviano G.I.P. et Peri G. (2012), « Rethinking the effects of immigration on wages », Journal of the
European Economic Association, 10(1), p. 152-197.
4
« Number of witnesses pointed out that a significant proportion of the lowpaid workers whose wages
have been adversely affected by immigration are previous immigrants and existing ethnic minority
groups »
5
Le rapport Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., indique : «The results from
the Labour Market Model for the low education scenario show that wages of native low-educated
workers would, during the adjustment period, be 1% below the trend without the refugee inflow. (…)
Investment in the training of refugees would alleviate pressures on wages ».
l’échelle de la zone OCDE, Docquier et al. (2014) 1 montrent que les travailleurs non-
immigrés les moins éduqués ont bénéficié du plus haut niveau de diplôme ayant
prévalu chez les immigrés entre 1990 et 2000.
1
Docquier F., Ozden Ç. et Peri G. (2014), « The labor market effects of immigration and emigration in
OECD countries », The Economic Journal, 124(579), p. 1106-1145.
2
Le rapport Employment and social developments in Europe 2015 de la Commission européenne cite
Eurofound (2007) ou Giuntella (2014), qui conclut : « Immigrants, by occupying more hazardous jobs,
give room for native people to take up higher-quality jobs – improving their well-being on the job » et
relève également « low-skilled services in private households provided by foreign people may facilitate
labour market participation of high-skilled nationals. »
3
Peri G. (2014), « Do immigrant workers depress the wages of native workers? », IZA World of Labor.
4
Kerr S. P. et Kerr W. R. (2011), « Economic impacts of immigration: A survey », National Bureau of
Economic Research, n° w16736.
5
« The more the educational composition of immigrants and natives are substitutes for each other, the
more likely it would be to have adverse effects on local labour market. »
6
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit.
en partie de l’apport de nouveaux travailleurs immigrés plus mobiles, que ceux qui
se sont installés au cours des décennies précédentes et/ou que les travailleurs
non-immigrés, y compris ceux en situation de chômage ».
En effet, « près d’un premier titre pour motif économique sur quatre [était] une
régularisation en 2015 » 1, et même « 55 % des premiers titres sur l’ensemble de
l’immigration économique peu ou moyennement qualifiée », l’organisation
soulignant que « la relative importance (…) des régularisations dans certains
secteurs d’emploi pose la question de l’efficacité de l’évaluation des besoins du
marché du travail français ». Une étude du point de contact français du réseau
européen des migrations a ainsi souligné que les admissions exceptionnelles au
séjour constituent « une voie d’accès au marché du travail français significative
pour des secteurs où les difficultés de recrutement sont souvent avérées,
s’agissant de métiers souvent peu qualifiés » 2.
La France recourt pourtant à une liste des métiers en tension dans sa gestion de
l’immigration régulière, pour lesquels l’octroi de visas de travail est facilité. Mais
l’OCDE a récemment relevé de nombreuses déficiences dans la gestion de cette
liste, constatant que « seuls 15 % des métiers inscrits sur la liste sont encore en
tension sur l’ensemble de la France » et que de ce fait « son utilisation pourrait
même conduire à faciliter des recrutements dans des professions qui ne sont plus
en tension », ce qui « peut avoir des effets désincitatifs sur la formation de la
main-d’œuvre locale », d’autant plus que « certains critères spécifiques pris en
compte par certains SMOE (…) peuvent être connus des employeurs qui adaptent
leur description de poste en conséquence ».
1
En excluant toutefois de l’immigration pour motif économique toute immigration au titre de la liberté
de circulation au sein de l’UE, voir graphique 2 du chapitre 1, rubrique 1.5.
2
Réseau européen des migrations (2015), Déterminer les pénuries de main d’œuvre et les besoins de
la migration économique, op. cit.
3
Arrêté du 18 janvier 2008. La liste avait été actualisée en août 2011, mais cette actualisation avait
été annulée par une décision du Conseil d’État du 26 décembre 2012 en raison d’une procédure
Quant aux immigrés maîtrisant parfaitement le français, ils « ont plus souvent
trouvé leur emploi par candidature spontanée ou en consultant des annonces
(29 %, contre 15 % pour les autres immigrés) » 2. Cela fait notamment écho à
l’observation plus générale selon laquelle les immigrés adaptent leurs canaux de
recherche (voir 2.1 supra et considérations en 1.7 relatives à l’immigration
irrégulière).
Champ : immigrés de 15 à 64 ans arrivés en France à l’âge de 15 ans ou plus et occupant actuellement un
emploi salarié. France métropolitaine.
Lecture : 19 % des immigrés qui maîtrisent parfaitement le français et qui occupent actuellement un emploi
salarié ont pris connaissance de l’offre d’emploi ou du concours par l’intermédiaire d’un organisme pour
l’emploi, qu’il soit public ou privé.
Source : Insee, module complémentaire à l’enquête Emploi sur la mobilité, les compétences et l’insertion
professionnelle (2014).
Ainsi, aux États-Unis, Malcolm Cohen a identifié pas moins de sept indicateurs de
pénuries de main-d’œuvre, dont il a déduit un indice synthétique de pénurie. Les
Britanniques utilisent quant à eux douze indicateurs, mais aussi des éléments de
prospective qualitative. L’OCDE indique que le Conseil britannique d’orientation de
l’immigration (MAC 3) « utilise à la fois des approches descendantes et ascendantes
pour mener à bien sa mission, s’appuyant sur les données du marché du travail
tirées d’enquêtes et de présentations nationales et de réunions avec les parties
prenantes (…) la souplesse de la méthode (…) présente l’avantage de tenir compte
de l’absence de mesure claire des pénuries et de permettre l’utilisation de données
qualitatives » 4.
1
Dares (2008), « Les tensions sur le marché du travail, comment les analyser », Supplément Bref Île-
de-France.
2
Addendum du 18 juin 2010 à la circulaire du 24 novembre 2009.
3
Migrations Advisory Committee.
4
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 380
5
Acronyme pour « Activités et conditions d’emploi de la main-d’œuvre ».
6
Réseau européen des migrations (2015), Déterminer les pénuries de main d’œuvre et les besoins de
la migration économique, op. cit.
L’OCDE a ainsi conclu qu’« en dépit du poids (…) très limité des migrations
professionnelles soumises à l’obtention d’une autorisation de travail, les objectifs de
ce segment de la politique migratoire gagneraient à être repensés sur la base des
nombreux travaux prospectifs disponibles (…) en fonction de l’évolution des
politiques de formation sur l’ensemble du territoire » 1.
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 257.
2
Acronyme pour « Hébergement, orientation, parcours vers l’emploi ».
3
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit.
4
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 184.
Note : l’indice de dissemblance est défini comme la moitié de la somme des valeurs absolues des
différences entre la répartition professionnelle des personnes nées à l’étranger et de celles nées dans le
pays (classification des professions CITP, 1 chiffre ; les principaux groupes professionnels dans le cas des
États-Unis, les métiers des services et de la vente étant considérées comme appartenant à un seul et
même groupe). L’indice de dissemblance montre combien de personnes doivent changer de profession
pour que la répartition professionnelle des immigrés soit identique à celle des personnes nées dans le pays.
L’année de comparaison pour l’Australie est 2014 et non 2012. Les données relatives aux pays européens
concernent uniquement les trois premiers trimestres. Informations sur les données concernant Israël :
http://dx.doi.org/10.1787/888932315602.
Source : Australie, Canada, Israël : Enquête sur la population active ; Pays européens et Turquie :
Enquêtes sur les forces de travail (Eurostat) ; États-Unis : Current Population Surveys.
1
OCDE (2018), Perspectives des migrations internationales 2018, op. cit., p. 103.
Toutefois, des analyses certes plus anciennes mais plus détaillées du Centre
d’analyse stratégique (CAS) 1 aboutissaient à un constat cohérent avec le précédent,
selon lequel, en France, « les familles professionnelles où la proportion d’immigrés
est élevée ne correspondent pas nécessairement à des métiers à difficultés de
recrutements ressenties fortement. Au niveau global, il n’existe même aucune
corrélation statistique entre les deux indicateurs ». Ce dernier point était illustré par le
graphique suivant.
Source : Pôle emploi, enquête BMO 2010 ; Insee, Recensement de la population 1997, traitement CAS
1
Jolly C., Lainé F. et Breem Y. (2012), « L’emploi et les métiers des immigrés », Document de travail
n° 2012-01, Centre d’analyse stratégique, février.
1
« The whole notion of shortages is a bit of a slippery concept »; source: House of Lords (2008), The
Economic Impact of Immigration, op. cit.
2
« Arguments about the “need” for migrant labour that ignore price adjustments are meaningless and
misleading ».
3
Burt Barnow in « Pénuries de main-d’oeuvre : les concepts fondamentaux et leur rôle dans la
politique migratoire des États-Unis », OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux
répondre aux besoins du marché du travail, chapitre 10, op. cit.
nécessitent eux-mêmes des années 1 et leur faisabilité est aléatoire en fonctions des
secteurs et métiers, particulièrement dans le cas des services. Les entreprises
doivent en outre disposer des financements nécessaires aux investissements.
S’agissant des déséquilibres sectoriels, Burt Barnow a remarqué que « des pénuries
peuvent survenir lorsque le marché du travail ne fonctionne pas librement. Citons, par
exemple, les secteurs où le salaire est fixé par une tierce partie, comme c’est souvent
le cas dans les professions de santé, ou les secteurs où l’offre est limitée par des
restrictions à l’entrée » 3. Dans de telles situations, la manière la plus simple de
remédier aux pénuries consiste a priori à lever les « restrictions ». Une telle stratégie
trouve actuellement à s’incarner avec le débat impulsé par le gouvernement sur le
numerus clausus applicable aux médecins. L’OCDE s’inquiétait justement dans son
rapport de 2017 sur la France 4 d’« une immigration qualifiée qui viendrait pallier les
carences du système de formation initiale et continue ».
1
« Pénuries de main-d’œuvre : les concepts fondamentaux et leur rôle dans la politique migratoire des
États-Unis », in OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du
marché du travail, chapitre 10, op. cit.
2
Voir troisième chapitre (rubrique 2.2) concernant la situation démographique relative de la France au
sein de l’UE.
3
« Pénuries de main-d’oeuvre : les concepts fondamentaux et leur rôle dans la politique migratoire
des États-Unis », op. cit.
4
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 55
1
« Employer organisations such as the CBI and the Recruitment and Employment Confederation (…)
advocated a “twin-track” approach which involves encouraging immigration to fill shortages in the short term
while at the same time investing in domestic skill development to help fill shortages in the long term. »
2
Réseau européen des migrations (2015), op. cit.
3
Le rapport Employment and social developments in Europe 2015, op. cit., évoque une immigration
très qualifiée « for which global competition will intensify ».
4
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 60.
5
« Ces recrutements sont généralement facilités pour les grandes entreprises multinationales, et
nombreux sont les pays de l’OCDE qui ont assoupli les procédures permettant aux étudiants étrangers
de changer de statut au terme de leurs études. »
S’agissant cette fois des pénuries de main-d’œuvre peu qualifiée, l’OCDE a souligné
un autre enjeu, celui de l’articulation avec le retour à l’emploi des chômeurs dans les
pays d’accueil où le chômage structurel reste significatif, et généralement concentré
sur les moins diplômés : « eu égard au nombre d’immigrés peu qualifiés au chômage
ou inactifs en France, recruter d’autres migrants peu qualifiés de l’étranger ne semble
être une solution viable que si des politiques d’activation vers l’emploi sont au
préalable menées en faveur des résidents légaux déjà présents sur le territoire » 1. À
cet égard, le Réseau européen des migrations a indiqué que « les branches
professionnelles mettent en place leur propre outil d’évaluation des besoins de main-
d’œuvre, et privilégient la formation des salariés ou des demandeurs d’emploi déjà
présents sur le marché du travail » 2. C’est d’ailleurs le raisonnement selon lequel il
convient de faire appel au préalable à la main-d’œuvre domestique qui aurait conduit
l’administration britannique à mesurer les tensions sur le marché du travail à un
niveau national agrégé et non au niveau local, la mobilité de la main-d’œuvre
domestique ayant vocation à être sollicitée. De même, la Commission européenne
interprète la divergence des taux de chômage entre États membres comme le signe
d’une offre excédentaire de travail dans certains pays 3 ; ce constat concerne
potentiellement la France qui présente aujourd’hui le quatrième taux de chômage le
plus élevé des 28 États membres de l’UE (même si ce classement est à relativiser
compte tenu de la présence d’un sous-emploi non négligeable dans certains autres
États membres).
1
OCDE (2017), Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, op. cit., p. 312.
2
Réseau européen des migrations (2015), op cit.
3
« The divergence in unemployment rates across Member States suggests that in some countries
there is an oversupply of labour when compared to the labour demand », p. 177.
4
« Employers’ expressed “need” for immigrant labour is often a demand for labour that can be
employed at current rates of pay, rather than at higher wages that are generally necessary to attract
labour in a competitive market (…) low pay being a key explanation of the difficulties employers have
with recruiting local workers and of the high share of immigrant labour in their sectors. »
5
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit.,
« Mobile EU people and third-country migrants may often work in jobs which are considered less
attractive by native workers. »
6
Rapport de la commission d’enquête sur l’immigration clandestine, président Georges Othily,
rapporteur François-Noël Buffet, avril 2006.
illégal selon laquelle l’immigration peut « accroître un peu plus le problème puisque
cela désorganise le marché du travail, conduit à tirer les salaires vers le bas et
compromet la formation, l’organisation de la profession et les perspectives de
carrière, les jeunes se détournant du secteur ». Cela sera particulièrement le cas si
les contrôles sont structurellement plus limités dans un secteur. Tel est le cas de
celui du personnel de maison, car les contrôles s’effectuent à domicile, nécessitant
l’intervention du juge judiciaire.
Certes, des considérations de compétitivité prix (donc coût) peuvent rendre irréaliste
un équilibrage de l’offre et de la demande par les seuls salaires dans des secteurs
exposés à la concurrence internationale. De même, dans le cas de métiers du
secteur public souffrant de déficits d’attractivité, un effet inflationniste sur la dépense
publique est probable en l’absence d’immigration. Même dans le cas de services
(privés) non délocalisables aux ménages, un coût trop élevé pourrait conduire à une
« insatisfaction de la demande sociale » (Arrow et Capron, 1959) 3, le marché
produisant moins que ce que la société souhaiterait.
1
Acronyme pour Independent Treasury Economic Model.
2
« We do not know how the domestic labour supply would have reacted to rising growth in 2004–06 in
the absence of increased immigration. It might have proved surprisingly responsive via increased
participation rates in marginal groups. »
3
Arrow K.J. et W.M. Capron (1959), « Dynamic shortages and price rises: The engineer-scientist
case », Quarterly Journal of Economics, vol. 73, n° 2, p. 292-308.
1
Réseau européen des migrations (2015), op. cit.
2
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit., p. 64.
Synthèse
L’impact de l’immigration sur les finances publiques est un domaine d’étude plus récent que
son impact sur le marché du travail. La philosophie d’ensemble diffère également : les
travaux se centrent sur les contributions aux finances publiques des immigrés, et négligent
les éventuels impacts sur les non-immigrés.
imaginer des cohortes toujours plus nombreuses : ainsi, en France, la part des plus de
55 ans est aujourd’hui la même que chez les non-immigrés.
Les analyses « statiques » consistent à passer en revue l’ensemble des postes de dépenses
et de recettes publiques. Cette synthèse se concentre sur les facteurs principaux de
différentiation de la population immigrée, du point de vue de la contribution nette aux
finances publiques.
• Tout d’abord, les immigrés sont globalement en situation plus défavorable sur le marché
du travail que les non-immigrés, en termes d’emploi et de salaires, ce qui se traduit par
des revenus d’activité nettement inférieurs. Cette situation défavorable conduit à une plus
grande éligibilité aux prestations, en espèces (allocation chômage, revenu minimum,
allocation logement) ou en nature (logement social), et implique de moindres revenus
imposables et assiettes de cotisations. Mais elle se traduit aussi par des niveaux de
retraite plus faibles.
• L’impact de cette situation défavorable sur les prélèvements obligatoires et l’éligibilité aux
prestations est accru par la structure des ménages immigrés, avec en France une plus
grande part de familles nombreuses ou monoparentales qui implique un moindre niveau
de vie, même à situation professionnelle comparable.
• Par ailleurs, les demandeurs d’asile (que leur titre de séjour soit accordé ou pas)
occasionnent des coûts spécifiques, en particulier de logement d’urgence, ou d’aide
sociale à l’enfance pour les mineurs non accompagnés. Les immigrés illégaux bénéficient
quant à eux de l’aide médicale d’État. La part de ces postes budgétaires dans les
finances publiques reste toutefois du second ordre par rapport aux grands transferts
socio-fiscaux en espèces.
• Dans les pays d’immigration récente (ou en forte hausse), la population immigrée est plus
jeune que la non-immigrée, ce qui concourt à alléger – au moins un temps – la charge
des retraites associées aux immigrés ; mais cet effet de volume ne joue guère en France.
• Dès lors que l’on exclut de l’analyse la majorité des enfants d’immigrés, nés dans le pays
d’accueil, la population immigrée se caractérise par une surreprésentation des personnes
en âge de travailler, avec en France une part des 25-64 ans supérieure de 19 points au
niveau constaté pour les non-immigrés. Cela se traduit d’une part par un impact positif
sur les prélèvements obligatoires, et d’autre part par une moindre dépense d’éducation.
• Enfin, si à court terme les nouveaux immigrés n’impactent guère la quantité de biens
publics à fournir, à moyen terme (ou face à des flux annuels importants), certains de ces
biens tels que les infrastructures ou les fonctions régaliennes de police et de justice
peuvent s’avérer congestibles. L’approche généralement retenue consiste donc en une
allocation des coûts correspondants au prorata de la part des immigrés dans la
population, parfois à l’exception des dépenses de défense pour lesquelles les économies
d’échelle sont jugées prépondérantes.
Seulement deux études statiques sont disponibles sur la question pour la France (OCDE
2013 dans le cadre d’une étude portant sur 27 pays, et CEPII 2018). D’après ces études, la
contribution des immigrés au solde public primaire s’établirait à -0,5 point de PIB, sachant
qu’aucune de ces analyses n’intègre explicitement les coûts des politiques publiques
spécifiques à l’immigration (dont ceux de la mission « immigration, asile et intégration »), qui
sont de l’ordre de 0,1 point de PIB.
Toutefois, la contribution nette des immigrés aux finances publiques recouvre à la fois l’effet
propre de l’immigration (lui-même lié à la part des immigrés dans la population française), et la
situation des finances publiques, et est donc difficile à interpréter, a fortiori en comparaison
internationale avec des pays ayant des soldes publics très divers. Il est donc plus informatif de
s’intéresser au différentiel de contribution nette aux finances publiques des immigrés vis-à-vis
des non-immigrés. Compte tenu d’une période de référence différente (2007-2009 pour
l’OCDE, 2011 pour le CEPII), avec des niveaux de solde public différents, les contributions
nettes similaires identifiées par l’OCDE et le CEPII correspondent à un coût différentiel implicite
de l’immigration légèrement différent (respectivement -0,35 point et -0,25 point de PIB).
Par rapport au CEPII, l’OCDE ne tient pas compte des retraites versées à des immigrés
ayant quitté la France (0,2 point de PIB), et suppose que les dépenses de défense seraient
aussi élevées sans immigration (ce qui génère une baisse de 0,2 point de PIB des dépenses
publiques attribuées aux immigrés). A contrario, l’OCDE a intégré les dépenses d’éducation
des enfants d’immigrés nés en France (0,4 à 0,5 point de PIB, en comptant pour moitié les
enfants de couples mixtes 1).
Quelle que soit l’hypothèse retenue, cet impact de l’immigration sur les finances publiques
serait un peu plus négatif en France qu’en moyenne dans l’OCDE, pour trois raisons au
moins : l’insertion professionnelle des immigrés est relativement plus défavorable en France ;
les effets d’aubaine – car transitoires – associés à la jeunesse de la population immigrée sont
plus élevés dans certains pays d’immigration plus récente (ou en forte hausse) ; enfin le
système redistributif est plus étoffé en France qu’en moyenne dans l’OCDE, mutualisant
davantage les écarts de niveau de vie et les rendant plus coûteux pour la collectivité, que les
ménages modestes soient immigrés ou pas.
L’immigration est donc davantage associée à des bénéfices pour les finances publiques dans
des pays à prestations moins étendues et à forte immigration de travail, comme la Suisse,
1
Le CEPII estime le coût des dépenses d’éducation des enfants d’immigrés à 0,7 point de PIB, car il
ne fait pas de distinction entre les enfants de couples mixtes et les autres enfants (d’immigrés).
que dans des pays comme la France, mais aussi par exemple la Suède ou la Belgique, où un
important État providence se conjugue à une moindre insertion professionnelle des immigrés.
Les deux études présentent l’inconvénient de porter sur des périodes déjà anciennes
(données 2007-2009 pour l’OCDE et 2011 pour le CEPII). Il serait souhaitable qu’une
actualisation s’appuyant sur leur méthodologie intervienne à intervalles réguliers. Par ailleurs,
les enjeux budgétaires ne se limitent pas à l’impact agrégé de l’immigration sur les finances
publiques. En effet, il existe fréquemment une asymétrie entre un niveau national qui perçoit
la majeure partie des bénéfices (même s’il finance de nombreux coûts) et un niveau local
surtout exposé à des coûts, avec à cet égard de fortes disparités entre collectivités. Ce
constat s’applique également à bien d’autres pays d’immigration.
L’impact de l’immigration sur les finances publiques est un objet d’étude plus récent 1
que les effets sur le marché du travail évoqués dans le chapitre précédent. Il est vrai
que l’immigration a été historiquement très souvent étroitement liée au travail, dans le
double intérêt des pays d’accueil et des immigrés. La question des finances
publiques se posait donc moins immédiatement, notamment dans des périodes où
les grands pays d’immigration étaient beaucoup moins endettés. Mais elle a aussi
pâti d’un manque de données dans la mesure où les immigrés ne sont pas,
traditionnellement, distingués spécifiquement au sein des contribuables, des assurés
sociaux et a fortiori des usagers des services publics.
La philosophie d’ensemble des travaux est également différente de ceux portant sur
les marchés du travail : ils se centrent en effet sur les contributions aux finances
publiques des immigrés, avec une faible attention aux éventuels impacts directs sur
les non-immigrés. Mesurer la contribution aux finances publiques d’une sous-
population donnée relève donc d’une approche en équilibre partiel. Le périmètre
d’une telle démarche est également incertain, compte tenu d’un système socio-fiscal
pouvant se baser aussi bien sur les ménages que sur les individus, alors même que
les ménages dont le chef est immigré comptent souvent des non-immigrés.
1
L’étude du CEPII – Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans
d’immigration en France : une approche comptable », document de travail du CEPII, n° 2018-04, avril
– indique que « la littérature économique s’intéressant à la relation entre immigration et finances
publiques est assez récente, surtout lorsqu’elle porte sur les pays européens. Les études sur ce thème
ne se multiplient que depuis une vingtaine d’années ».
Pour certains pays d’immigration, la persistance des déficits peut certes aboutir à ce
que toutes les composantes de la population contribuent négativement. Il convient
alors de comparer les contributions nettes aux finances publiques des immigrés et
des non-immigrés, plutôt que de se focaliser sur un éventuel signe négatif pour les
immigrés, potentiellement simple symptôme d’un déséquilibre global des finances
publiques, plus que d’un coût net de l’immigration.
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, une démarche d’analyse comparative
internationale s’avère utile, et pas uniquement parce qu’elle élargit la littérature
disponible. L’OCDE a en effet rappelé que « les comparaisons internationales ont
l’avantage de mettre en lumière les facteurs de l’impact des immigrés sur les finances
publiques qui jouent dans tous les pays » 1. Ceci permet de dégager des conclusions
plus générales et notamment plus robustes aux changements de populations
accueillies, de politiques publiques des pays d’accueil et de conjoncture économique.
1
OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, « L’impact de
l’immigration sur les finances publiques dans les pays de l’OCDE », Éditions OCDE, page 172.
2
Preston I. (2014), « The effect of immigration on public finances », The Economic Journal, vol. 124,
n° 580, novembre, p. 569-592 : « While it is not surprising that evidence suggests that answers differ in
different circumstances, consideration of the factors identified in the preceding pages is intended to be
helpful in clarifying the source and nature of such differences ».
Dès lors, la mesure de l’impact de l’immigration sur les finances publiques sera
fortement tributaire de l’année de référence. Ce constat s’applique d’autant plus à
l’immigration qu’il peut exister des asymétries entre immigrés et non-immigrés dans la
répercussion des chocs économiques. Ainsi, selon plusieurs études les immigrés
auraient davantage pâti de la crise économique de 2008 que les non-immigrés 1. De
manière plus générale, l’OCDE a rappelé que « l’emploi des immigrés réagit
davantage à la situation économique » 2, constat qui vaut pour toutes les composantes
de la population active les moins bien insérées. La volatilité structurelle des finances
publiques est donc encore accrue sur cet objet d’étude qu’est l’immigration.
Pour limiter l’impact de la conjoncture sur des diagnostics qui se voudraient plus
structurels, certains chercheurs élargissent la période de référence en recourant à
des données multiannuelles. Ainsi, dans le cas du Danemark, Hansen et al. (2017)
recourent à des moyennes triennales 3, tandis que l’étude de Dustmann et Frattini 4,
sur données britanniques, se base sur la période 1995-2011. En théorie, seul un
calcul basé sur la globalité d’un cycle économique permet de gommer tout impact de
la conjoncture. La durée des cycles et leur identification reste toutefois un perpétuel
sujet d’interrogation, comme le montrent les difficultés autour des concepts de
croissance potentielle et de solde (budgétaire) structurel 5, notamment leur calibrage.
Même en supposant que l’analyse d’impact se fonde sur une période représentative
du cycle économique, un autre problème se pose, lié non plus aux fluctuations de
l’économie et à leurs effets, mais à la déformation de la structure par âge de la
population immigrée au fil du temps.
1
Voir par exemple Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans
d’immigration en France : une approche comptable », op. cit.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 145.
3
« In order to avoid assigning too much weight to major fluctuations in the primary balance in certain
years (…), it was decided to calculate an average for the years 2013-2015 » : Hansen M.F., Schultz-
Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare states of the
Scandinavian type », Journal of Population Economics, op. cit.
4
Dustmann, C. et Frattini, T. (2014), «The fiscal effects of immigration to the UK », The Economic
Journal 124(22), p. 593-643.
5
Comme le souligne avec beaucoup d’autres François Ecalle : « la mesure du solde structurel est
notoirement fragile ».
L’économiste norvégien Storesletten rappelait en effet dans une étude de 2003 1 que
plus des deux tiers des dépenses publiques dépendent de l’âge, et que de ce fait la
structure par âge de la population immigrée détermine largement le résultat des
évaluations. La littérature converge quant au fait que des immigrés plus jeunes sont
associés à une contribution budgétaire nette plus élevée. Ils sont en effet davantage
susceptibles d’être en emploi et donc de verser des impôts et cotisations sociales, et
moins coûteux pour des systèmes de sécurité sociale largement financés selon un
principe de répartition (induisant un transfert implicite entre groupes d’âge). L’OCDE
a ainsi noté que « le système des retraites pose des problèmes spécifiques en raison
des délais particulièrement longs entre le versement des cotisations et celui des
prestations » 2, et que « l’inclusion ou l’exclusion du système des retraites peut
modifier considérablement l’équilibre ». Le graphique ci-après 3 illustre, dans le cas
français, la prégnance du lien entre transferts socio-fiscaux et âge, avec des écarts
par âge surpassant largement les écarts entre immigrés et non-immigrés.
Graphique 36 – Profil de contribution budgétaire nette par âge selon l’origine en 2011
(en euros constants de 2005)
Source :
Chojnicki X.,
Ragot L. et
Sokhna N. P.
(2018), op. cit.
1
Storesletten K. (2003), « Fiscal implications of immigration – a net present value calculation »,
Scandinavian Journal of Economics, vol. 105, n° 3, p. 487-506.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 139.
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit. Ces auteurs avaient déjà réalisé une première étude
pionnière en 2010 : Chojnicki X., Defoort C., Drapier C., Ragot L. et Rapoport H. (directeur
scientifique) (2010), Migrations et protection sociale : étude sur les liens et les impacts de court et long
terme, rapport pour la Drees-Mire, juillet 2010.
Certes, on pourrait supposer que la structure par âge des immigrés est relativement
stable. Cela n’est pourtant vrai qu’à condition que les flux d’immigration aient atteint
un régime de croisière. Or, comme rappelé dans le premier chapitre (rubrique 2.1),
les politiques d’immigration ont subi et ont vocation à subir, tant en France qu’à
l’étranger, des oscillations sous le poids de divers facteurs historiques, politiques et
économiques, affectant les pays d’accueil mais aussi d’origine.
Ainsi, la décrue de l’immigration en France suite aux Trente Glorieuses aboutit
aujourd’hui à une population immigrée relativement âgée en comparaison
internationale (voir chapitre 1, rubrique 2.6). À l’inverse, dans des pays d’immigration
plus récente, la population immigrée est aujourd’hui plus jeune. Pour autant, il est
probable que la structure par âge de leur population immigrée se rapproche
progressivement de la nôtre (sauf à supposer que le niveau de l’immigration s’y
renforcera toujours plus).
1
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 137.
2
Nielsen N-K (2002), « Overførselsindkomster til indvandrere (Cash benefits to immigrants) », in
Mogensen G.V. et Mathiessen P.C. (eds.), Indvandrerne og arbejdsmarkedet. Mødet med det danske
velfærdssamfund. (The immigrants and the labour market. Meeting the Danish welfare state).
Spektrum, Copenhague.
3
Voir dans le cas américain Lee R. et Miller T. (2000), « Immigration, social security, and broader
fiscal impacts », The American Economic Review, vol. 90, n° 2, mai, p. 350-354.
à prendre en compte des données sur 15 ans, elle a aussi intégré la variabilité du
solde des contributions et transferts au cours du cycle de vie.
Globalement, dans un tel cadre dynamique la littérature converge alors sur le fait que
le solde budgétaire intertemporel associé à l’immigration est maximal pour les
arrivées d’immigrés autour de la trentaine, avant de devenir négatif entre 40 et 45
ans. Ceci ne dit rien du signe ou du montant de ces soldes, qui dépendent de
beaucoup d’autres caractéristiques des immigrés, déjà évoquées à propos du
marché du travail (chapitre précédent).
C’est ce constat du rôle de l’âge à l’arrivée dans le solde intertemporel qui explique
que certains pays ayant opté pour une immigration de travail « choisie » 1 tiennent
compte de l’âge dans leurs systèmes de sélection, qu’il s’agisse d’une forte
pondération du critère voire de la fixation d’âges limite (l’Australie a pu conjuguer les
deux approches avec notamment un âge limite de 50 ans ; le seuil de 45 ans a été
retenu aux Pays-Bas).
Même dans le cadre d’approches en cycle de vie, le fait que les enquêtes auprès
des ménages ne portent que sur la population résidente peut conduire à des
erreurs importantes dans l’estimation de l’impact de l’immigration sur les finances
publiques. En effet, si un certain nombre de prestations d’assistance sont
réservées aux résidents, tel n’est pas le cas de certaines prestations
contributives.
1
Voir commentaire supra sur ce terme. On évoque en fait ici des systèmes d’immigration de travail
très ciblée, et de manière très explicite.
Le cas le plus emblématique est celui des retraites versées à l’étranger, question
méthodologique évoquée par l’OCDE 1 mais aussi par l’étude du CEPII précitée
relative à l’impact de l’immigration sur les finances publiques françaises 2. Les
auteurs ont recouru au montant global qui « peut être trouvé dans les rapports
statistiques du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité
sociale (CLEISS) », après avoir vérifié, grâce à des travaux de la DREES, quelle
part de ces retraites bénéficie à d’anciens immigrés (il peut en effet également
s’agir de non-immigrés ayant choisi de passer leur retraite à l’étranger). Les
enjeux financiers sont si importants (plus de 5 milliards d’euros – constants de
2005 – en 2011) que « les négliger changerait radicalement les résultats
obtenus ».
1
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
2
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
3
« In theory, the long-term approach is preferable; but, as the Government recognises, there are
practical problems as it relies heavily on forecasts about relative earnings, employment and the tax
and benefits system which are difficult to predict accurately in the long run », p. 40.
4
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », op. cit.
Les modèles d’équilibre général dynamique ont quant à eux l’avantage de prendre en
compte l’impact sur les finances publiques des effets économiques de l’immigration,
c’est-à-dire de ses effets sur les différents marchés, dont celui du travail – on parle
d’effets « d’équilibre général ». Cette démarche est théoriquement la plus
satisfaisante car, au vu des chapitres 2 et 4 de ce rapport, il paraît délicat de négliger
les effets indirects (dits aussi de « second tour ») sur les finances publiques associés
au marché du travail en particulier et à la croissance en général. À défaut, la
démarche conduirait à des raisonnements en « équilibre partiel », avec l’hypothèse
implicite assez forte que l’arrivée d’immigrés, y compris en grand nombre et quelles
que soient leurs caractéristiques, ne modifie pas la situation des non-immigrés et
l’économie en général.
1
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 150.
2
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics, op. cit.
1
Voir la mention « according to past experience » concernant l’évolution des caractéristiques des
immigrés.
2
Ce point est à l’origine de la discussion du paragraphe suivant, à savoir dans quelle mesure il est
souhaitable d’identifier effets de l’immigration et effets des seuls immigrés.
C’est en France le cas de la fiscalité des revenus (avec la notion de foyer fiscal et le
quotient familial). Mais c’est bien plus largement le cas des transferts sociaux, qu’il
s’agisse d’allocations différentielles sous conditions de ressources (les montants
d’aides étant généralement liés à la structure du ménage) ou même des prestations
de sécurité sociale (allocations familiales). L’étude du CEPII mentionnée plus haut 1
relève ainsi que « certaines ressources et dépenses sont clairement individualisées
dans l’enquête : retraite, chômage et RMI 2. Mais beaucoup d’autres sont définies au
niveau du ménage ». Si en pratique les auteurs ont, dans le cadre de leur étude,
réparti les transferts en espèces au prorata des revenus associés à chacun des
membres du ménage, ils n’ont néanmoins pas recalculé ce qu’auraient été les
transferts globaux associés aux membres du ménage en l’absence des règles de
familialisation (impôt sur le revenu individualisé par exemple).
Or, derrière ce qui peut sembler une simple difficulté méthodologique se cache un
débat de fond beaucoup plus large qui divise la littérature et n’est pas anodin compte
tenu de son impact sur les résultats. En effet, l’OCDE rappelle que « les hypothèses
à propos (…) de l’intégration des enfants d’immigrés sur le marché du travail sont
souvent déterminantes dans l’analyse de l’impact à long terme de l’immigration » sur
les finances publiques 3. L’enjeu avait déjà été souligné quelques années plus tôt
dans l’étude remise à la Chambre des lords 4.
1
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
2
Il s’agit aujourd’hui du RSA.
3
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 136.
4
« Estimates of the fiscal impacts are critically dependent on who counts as an immigrant (or as a
descendant of an immigrant). »
des transferts publics en nature tels que l’éducation, voir 3.1 infra). Deux types
d’arguments de nature assez différente sont alors mis en avant :
Les tenants d’une prise en compte de la deuxième génération 3 estiment, eux, que
ceci permet une vision plus stratégique. Ainsi le rapport 2013 de l’OCDE relève que
« c’est la bonne méthode si l’on veut examiner les implications à long terme de
l’immigration » 4. Il souligne aussi que c’est la seule option cohérente en termes de
contrefactuel. Dans l’étude précitée du CEPII 5, les auteurs expliquent que pour les
tenants d’une telle approche « sans la migration des deux ou de l’un des parents, ces
enfants ne seraient pas dans la population française » et qu’« ils doivent donc être
rattachés à la population immigrée ». C’est d’ailleurs bien à ce titre que le dividende
démographique de l’immigration est souvent évoqué (cf. section suivante).
1
Ainsi, une réaction sur ces aspects dans le cadre de l’étude pour la Chambre des lords commence
par rappeler : « Children born in the UK are UK citizens ».
2
« We compute how the net contributions to the public purse from people of Danish origin and from
immigrants and second-generation immigrants of both Western and non-Western origins - with and
without the refugee group - are expected to change over time. »
3
Parmi les études incluant les deuxièmes générations : Lee R. et Miller T. (2000), Bonin (2006), etc.
4
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 138.
5
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
Mais dans cette optique une question 1 se pose alors, plus philosophique : jusqu’à
quel horizon, et quelle génération, étendre l’analyse ? Et quel sort réserver, dans le
traitement des données, aux nombreux enfants seulement partiellement issus de
l’immigration suite à la formation de ménages mixtes (voir encadré page suivante) ?
La volonté de rigueur dans la démarche de contrefactuel peut ici atteindre ses limites.
En tout état de cause, la littérature converge sur le fait que les secondes générations,
si elles restent en retrait de la population sans lien avec l’immigration en termes
d’intégration socio-économique ou même linguistique, progressent par rapport aux
premières générations. Par exemple, le rapport remis au congrès américain 2 avait
notamment conclu qu’à tous les âges, le solde net de la deuxième génération était
plus favorable que celui de la première génération (même s’il restait un peu inférieur
à celui des populations sans lien avec l’immigration).
1
Question plus théorique que pratique à ce stade dans de nombreux pays où l’immigration de masse
est encore assez récente. Mais en France l’existence d’une importante immigration de travail dès
l’entre-deux-guerres implique l’existence de nombreuses « troisième » et « quatrième » générations.
2
National Research Council (1997), The New Americans: Economic, Demographic, and Fiscal Effects
of Immigration, op. cit.
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
4
À savoir l’exclusion des secondes générations, ou leur inclusion mais uniquement jusqu’à 16 ans – il
manque donc le scénario de l’inclusion de la deuxième génération sur son cycle de vie, plus rare
travail, souligné à juste titre que la prise en compte des deuxièmes générations
« s’éloigne d’une approche individuelle pour se rapprocher d’une approche
ménage ».
– l’OCDE rappelle qu’« en moyenne, environ un immigré d’âge actif sur quatre vit
dans ce type de ménage » 1, niveau proche de la proportion constatée en France
(avec selon l’Insee, en 2016, 1 330 000 immigrés vivant avec un conjoint non-
immigré 2, pour environ 5 millions d’immigrés âgés de 15 à 64 ans).
compte tenu de sa lourdeur. Les auteurs ont justement prévu de procéder à ce travail complémentaire
dans le cadre d’une approche dynamique.
1
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
2
Source : chiffres-clés du 25 juin 2019.
soient fortement corrélés avec une meilleure insertion sociale, voire linguistique,
sans qu’il soit facile de déterminer le sens de la causalité, qui n’est d’ailleurs pas
nécessairement unique. L’Insee a à cet égard rappelé que « les mariages mixtes
sont considérés comme des indicateurs de l’intégration des étrangers, mais aussi
de l’acceptation de ces derniers par les personnes détenant la nationalité du pays
d’accueil ». Parmi les facteurs, « la distance linguistique ou religieuse, ou le
niveau social d’origine » 1. Néanmoins, en France, le niveau de vie des ménages
mixtes n’est que « proche de celui des non-immigrés », et en l’occurrence un peu
inférieur 2.
L’OCDE, lorsqu’elle a recouru à une approche basée sur les ménages, a choisi
un compromis assez naturel consistant à affecter les ménages mixtes à la
population immigrée pour moitié. Il est possible d’objecter, dans une approche
contrefactuelle puriste, que ces ménages ne se seraient pas formés sans
immigration. Néanmoins, une partie au moins des prédicteurs de la contribution
nette du conjoint non-immigré étaient déjà en place. L’étude du CEPII choisit en
revanche d’exclure de la population immigrée les conjoints non-immigrés, dans le
cadre d’une approche davantage basée sur les individus.
L’OCDE 3 relevait en 2014 que « le tableau n’est pas aussi simple qu’on ne le croit
parfois » et que les migrations internationales « ne sauraient (…) faire contrepoids »,
1
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
2
Insee (2018), Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2018, Insee Références.
3
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit.
Dans le cas français, l’INED a ainsi constaté qu’« alors que la population des
migrants vieillit, l’effet de rajeunissement démographique de la migration devient
moins important que par le passé » 3. Selon François Héran, « les jeunes immigrés ne
peuvent enrayer le vieillissement démographique, tout au plus peuvent-ils
l’atténuer », ce qui est également le constat de la Commission européenne 4.
Les effets favorables à plus court terme ont été étudiés par exemple par Grenno
(2009) dans le cas de l’Espagne 5. Cet exemple rappelle toutefois en quoi le postulat
d’une immigration pérenne est parfois hâtif. En effet, ce pays a connu entretemps des
soldes migratoires négatifs du fait de la forte crise économique, avec un phénomène
de « retours au pays ».
De manière plus générale, Grenno a aussi rappelé que l’immigration comme réponse
au vieillissement, et surtout à ses coûts, suppose que les immigrés s’insèrent
correctement sur le marché du travail, faute de quoi ils ne contribuent pas à rétablir
les équilibres des grands systèmes sociaux faisant appel à la solidarité
intergénérationnelle (que cela soit par l’impôt ou les cotisations sociales).
1
« Policy of seeking to keep the dependency ratio down via high immigration would require not just a
period of high immigration and population growth, but permanent population growth and an ever
increasing absolute level of net immigration given that immigrants themselves grow old. »
2
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015,
op. cit. : « The number of additional third-country migrants necessary (…) would have to climb to
unrealistic magnitudes. »
3
Rallu J.-L. (2014), « Projections of ageing migrant populations in France: 2008-2028 », Document de
travail, INED, n° 209.
4
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit. :
« There is analytical evidence that additional migration can contribute to slowing down the trend, but it
cannot stop it. »
5
Grenno A. (2009), « Spanish pension system: Population aging and immigration policy », Working
Paper, Université autonome de Barcelone.
François Héran relevait en 2013 que « grâce à un taux de fécondité proche du seuil
de renouvellement, la France parviendra à maintenir la stabilité de sa population
active pendant les prochaines décennies ». De fait, grâce à son dynamisme
démographique intrinsèque, la France apparaît bien moins exposée aux coûts du
vieillissement que la moyenne des États membres de l’UE. Selon le dernier rapport
2018 du groupe de travail européen dédié 2, ces coûts resteraient stables en France à
l’horizon 2045, et décroîtraient même de 3 points de PIB à l’horizon 2070, ce qui est
la troisième prévision la plus favorable concernant les 28 États membres.
La situation moyenne dans l’ensemble de l’UE est en effet bien différente, avec des
coûts qui croîtraient de 2 points de PIB d’ici 2045 et de 1,5 point d’ici 2070. La
Commission européenne a d’ailleurs relevé l’importance des écarts entre États
membres 3.
1
Salles A. (2017), « Entre vieillissement et migrations, la difficile équation allemande », Notes du
Cerfa, n° 138, IFRI, juin.
2
Commission européenne (2018), The 2018 Ageing Report: Economic and Budgetary Projections for
the EU Member States (2016-2070), Luxembourg, Publications Office of the European Union.
3
Commission européenne (2015), Employment and social developments in Europe 2015, op. cit. :
« Eurostat expects the EU’s working-age population to shrink by an average of 0.4 % every year over
the coming four decades, though with huge variation across Member States. »
L’OCDE relevait également, dans son rapport de 2014 1, que « les migrations influent
de manière assez limitée sur la dynamique de la population dans certains pays
d’immigration de longue date comme les États-Unis, la France, les Pays-Bas et la
Nouvelle-Zélande ». Elle notait plus généralement à propos du vieillissement que
« l’Europe sera toutefois la seule région dans le monde à observer un renversement
de cette tendance pendant ce siècle, vraisemblablement dès 2040 », constat qui
semble aujourd’hui rester compatible avec les dernières projections de la
Commission européenne.
1
OCDE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du
travail, op. cit.
2
Robert-Bobée I. et Volant S. (2018), « Baisse récente de la fécondité en France : tous les âges et
tous les niveaux de vie sont concernés », Insee Focus n°136, décembre.
3
Info migrations (2015), « La fécondité des descendantes d’immigrés est proche de celle de la
population majoritaire », n° 79, août.
4
Par exemple dans le cas du Royaume-Uni : Georgiadis A. et Manning A. (2011), « Change and
continuity among minority communities in Britain », Journal of Population Economics, vol. 24, p. 541-
568.
Dans le cas français, l’étude du CEPII relative à l’impact de l’immigration sur les
finances publiques 3 s’inscrit dans ce sillage en précisant que « de manière
habituelle dans ce genre d’exercice, les charges d’intérêt (…) sont exclues des
dépenses de consommation courante de l’État et ne sont donc pas considérées
comme une dépense devant être affectée aux individus de la période ».
1
Voir p. 41 : « Determining whether immigrants make a positive or negative fiscal contribution is highly
dependent on what costs and benefits are included in the calculations ».
2
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 174.
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
Les transferts aux ménages en nature, sous forme de services, leur sont par
définition moins aisément rattachables que les transferts en espèces, en particulier
parce qu’ils ne sont pas aussi directement suivis 1 et valorisés en unités monétaires. Il
en va ainsi notamment des dépenses publiques de santé et d’éducation, voire de
logement dans les pays comme la France où existent de significatifs parcs de
logements sociaux (ou d’urgence). S’ajoutent à cette liste diverses politiques
d’accompagnement (chômeurs, ou autres populations vulnérables particulières
comme dans le cas de l’aide sociale à l’enfance).
Une correcte prise en compte des transferts en nature est pourtant cruciale du fait
des sommes en jeu. En effet, dans de nombreux pays de l’OCDE, elles avoisinent
l’ordre de grandeur du total des prestations monétaires. Ainsi, en 2017, selon les
comptes de revenu des ménages les transferts en nature représentent 81 % des
transferts en espèces en France, 83 % en Allemagne, 87 % au Royaume-Uni, 91 %
en Finlande, 99 % au Danemark et aux Pays-Bas, 113 % en Norvège, et même
130 % en Suède. La question de l’impact de l’immigration sur les systèmes de santé
et d’éducation est au demeurant fréquemment un élément central du débat 2.
Même dans le cas des États-Unis où les transferts en nature ne représentent « que »
55 % des transferts en espèces (notamment du fait d’une moindre socialisation de la
santé et de l’éducation supérieure), leur prise en compte peut modifier les constats,
en positionnant alors les immigrés comme davantage consommateurs de transferts
sociaux que les non-immigrés (voir par exemple Borjas et Hilton, 1996 3).
Il convient donc d’estimer si le degré de sollicitation par les immigrés des services
publics concernés se distingue de celui des non-immigrés. D’éventuels écarts
peuvent être liés à des différences de situations objectives, mais aussi à des
différences de comportements, avec des problématiques aussi diverses que le non-
recours (se traduisant par la non-mobilisation de dispositifs par les immigrés malgré
une situation qui le justifierait) ou l’aléa moral (associé à une surconsommation des
services dont la présence serait en elle-même un motif d’immigration).
1
Les transferts en espèces sont retracés dans les bases de données des administrations fiscales et
sociales concernées.
2
On trouvera des exemples dans le Policy Brief du CEPII d’avril 2018 « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », op. cit., notamment Otto et Steinhardt
(2014) s’intéressant au cas de Hambourg durant la période 1987-1998, ou encore Halla et al. (2016)
concernant l’Autriche.
3
Borjas G.J et Hilton L. (1996), « Immigration and welfare state: immigrant participation in means-
tested entitlement programs », Quarterly Journal of Economics, mai, p. 575-604.
3.1. Les dépenses d’éducation renvoient avant tout à la structure par âge
L’OCDE a relevé que « des estimations des dépenses publiques d’éducation sont
disponibles dans une majorité de pays (…), par niveau d’études » 1. La méthode pour
évaluer la dépense d’éducation imputable aux immigrés 2 est alors d’approcher leur
taux de scolarisation grâce aux enquêtes sur les ménages, puis d’affecter au prorata
des effectifs concernés les sommes nationalement dépensées au titre de l’éducation.
Dans le cas français, l’étude du CEPII 3 s’est basée sur des dépenses par âge
calculées par le ministère de l’Éducation nationale, puis les auteurs ont considéré
« faute de données disponibles » que « pour un âge donné, la dépense d’éducation
est la même quelle que soit l’origine », sans par conséquent envisager la possibilité
d’un différentiel de recours au système éducatif, d’autant plus qu’ils ne prenaient en
compte que les enfants de moins de 16 ans 4.
Un éventuel facteur d’hétérogénéité est toutefois lié au fait que les enfants
d’immigrés eux-mêmes immigrés (c’est-à-dire arrivés avec leurs parents) auront
assez souvent besoin d’une aide pour intégrer le système scolaire du pays d’accueil,
comme cela est aussi le cas dans les autres pays d’immigration 5. Dans le contexte
français, ceci concerne notamment les élèves nouveaux arrivants non francophones
qui ne représentent toutefois qu’environ 0,5 % des effectifs dans l’éducation
élémentaire, les collèges et lycées, avec des durées d’accueil dans des classes
spécifiques souvent courtes 6. Les élèves allophones ne suivent en effet
généralement qu’un an de cours spéciaux.
Plus largement, certaines mesures telles que le récent dédoublement de la taille des
classes (justement censé résorber l’inégalité des chances 7) pourraient également
1
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., p. 139.
2
Ou enfants d’immigrés selon l’approche retenue.
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
4
Aller au-delà de cet âge reviendrait vite à poser la question des éventuelles inégalités d’accès ou de
recours à l’enseignement supérieur.
5
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit. :
« Children who arrive with parents are likely to be in need of some help in integrating into the local
school system and easing their access to education ».
6
Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit. Le pourcentage de 0,5 %
semble rester cohérent avec le chiffre de 52 500 enfants allophones scolarisés en 2014/2015 évoqué
dans le rapport du député Aurélien Taché au Premier ministre, 72 propositions pour une politique
ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France, février 2018.
7
La présentation de la mesure sur le site du ministère de l’Éducation nationale commence par
préciser qu’« en France, plus de 20 % des élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux à la fin
bénéficier aux jeunes immigrés d’âge scolaire (ou aux enfants des moins jeunes, nés
en France). Les élèves immigrés (ou enfants d’immigrés) sont en effet a priori
surreprésentés dans les zones concernées, du fait de la conjonction d’une
concentration géographique des populations immigrées dans les grandes
agglomérations et de phénomènes de ségrégation résidentielle en leur sein (voir
chapitre 1, rubrique 2.2), mais aussi d’importants écarts de réussite scolaire entre
enfants d’immigrés et enfants sans lien avec l’immigration, même une fois prises en
compte les caractéristiques socioculturelles (comme le montrent les résultats de
l’enquête PISA de l’OCDE dans le cas de la France).
L’Insee a néanmoins constaté que si « les immigrées ont une fécondité très faible
avant leur arrivée en France », celle-ci est en revanche « très élevée l’année de
l’arrivée ou l’année suivante, du fait d’un effet de rattrapage. Leur projet migratoire
peut les amener à différer leur maternité, ou être un préalable à cette dernière pour
celles qui rejoignent un conjoint ou promis en France » 4. Un graphique de l’Insee
inclus supra (graphique 13) rappelle qu’en France, la majorité des enfants d’immigrés
naissent après l’arrivée de leurs parents, même si la proportion fluctue selon les
régions d’origine des immigrés. Ainsi, l’institut a conclu qu’« en couple, les immigrés
ont beaucoup plus souvent des enfants vivant avec eux que les non-immigrés ».
C’est pourquoi certaines études 5 incluent le coût d’éducation des enfants d’immigrés,
nés dans le pays d’accueil, notant à propos des immigrés « une estimation de
de l'école primaire. Ces difficultés pèsent en particulier sur les élèves dont les familles sont elles-
mêmes en situation de fragilité sociale, culturelle et économique ».
1
Voir le constat précité de l’étude du CEPII quant au manque de données disponibles.
2
Données et enquêtes annuelles de recensement.
3
La DEPP du ministère de l’Éducation nationale a calculé un montant moyen annuel par élève des
premier et second degrés de 7 820 euros en 2015 (L’éducation nationale en chiffres version 2017),
mais cette dépense intérieure d’éducation ne repose qu’à 84 % sur les finances publiques (le solde
étant financé à parts quasi égales par les entreprises et les ménages eux-mêmes).
4
Par exemple Insee (2012), Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
5
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
dépenses d’éducation plus élevées – due au fait qu’ils ont un plus grand nombre
d’enfants d’âge scolaire » (les différences de fécondité ont été évoquées en 2.2
supra). D’autres n’incluent les coûts d’éducation des enfants d’immigrés nés en
France que dans un scénario alternatif, comme l’étude du CEPII déjà évoquée 1, qui
inclut alors aussi les enfants des ménages mixtes (là où l’OCDE n’intègre ces enfants
que pour moitié). Les coûts associés s’élèvent alors dans ce scénario à environ 0,7
point de PIB.
3.2. Concernant les dépenses de santé, il n’est pas établi que les
immigrés se distinguent
Par opposition aux dépenses d’éducation, l’OCDE a indiqué 2 qu’« il est plus difficile
d’évaluer les dépenses publiques individuelles au titre de la santé. Le montant varie
largement en fonction de l’âge, et seule une poignée de pays de l’OCDE formulent
des estimations sur ce point ». Les experts cités par l’étude remise à la Chambre
des lords en 2008 relevaient qu’au Royaume-Uni les nouveaux immigrés étaient
plutôt jeunes et en bonne santé, ce qui tout au plus tendait à accroître leur recours
aux services de maternité.
Cela peut laisser penser que des différentiels de consommation vis-à-vis des non-
immigrés relèveraient avant tout, là encore, d’effets de structure par âge. Le
département des statistiques, des études et de la documentation du ministère de
l’Intérieur (DSED) a ainsi relevé que « les immigrés, en particulier ceux arrivés
récemment en France, sont en assez bonne santé en général du fait de leur âge » 3.
Les effets transitoires de structure par âge ont du reste vocation à être corrigés en
cas de recours à des méthodes dynamiques étendues au cycle de vie.
Mais la consommation de soins des immigrés peut aussi s’analyser comme « l’une
des dimensions de la production sociale des inégalités de santé » 4 (Fassin, 1998),
qui sont un phénomène plus large, avec en particulier les deux questions des
inégalités d’espérance de vie et du non-recours au système de santé, voire du
renoncement aux soins. En France, la DSED a ainsi constaté que « les nouveaux
migrants renoncent plus à recourir à un médecin spécialiste qu’à un généraliste ». Au
1
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit.
3
Info migrations (2015), « Le recours aux soins des nouveaux migrants », n° 76, juin.
4
Fassin D. (1998), « Peut-on étudier la santé des étrangers et des immigrés ? », Plein droit, revue du
GISTI (Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), n° 38, p.1-7.
Globalement, selon l’INED « les travaux mettent au jour un moindre recours aux
soins des milieux modestes et attestent depuis longtemps de l’existence chez les
migrants d’une fréquence plus faible des consultations auprès des professionnels de
santé (Mizrahi et Mizrahi, 1993) » 1. La question du non-recours liée au « gradient
social » est en effet, dans le cas des immigrés, aggravée par des barrières telles que
la langue ou la méconnaissance des institutions, déjà décrites supra s’agissant du
marché du travail. France terre d’asile souligne ainsi, s’agissant de l’accès aux droits
sociaux en général, la « carence d’informations disponibles dans une langue (…)
compréhensible » 2. Dans le cas plus spécifique des dépenses de santé, la DSED a
constaté que « la mauvaise maîtrise du français est un facteur avéré de risque,
spécifique aux nouveaux migrants, de renoncement aux soins ». Par ailleurs, d’après
des données parcellaires, les taux de non-recours à l’Aide médicale d’État (AME,
certes réservée aux immigrés irréguliers) seraient importants 3. Les enjeux d’accès au
droit – en l’occurrence à la couverture santé – pour les populations vulnérables sont
d’ailleurs à l’origine de la récente fusion, à l’initiative du gouvernement, de la CMU
complémentaire et de l’ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé), compte
tenu du niveau important de non-recours à ces aides destinées aux populations
pauvres ou modestes. Globalement, l’OCDE 4 a ainsi conclu qu’au-delà des effets de
composition liés aux structures par âge, « les immigrés tendent à avoir moins
facilement accès au système de soins de santé, qu’ils utilisent moins également, en
raison d’obstacles formels et informels : restrictions juridiques, barrière de la langue,
1
Hamel C. et Moisy M. (2013), « Immigrés et descendants d’immigrés face à la santé », op. cit.
2
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), L’intégration des bénéficiaires d’une protection
internationale en France, op. cit. Ce rapport souligne que l’accès à l’interprétariat n’est systématique
qu’à l’OFPRA, et reste rare par exemple dans les préfectures, les hôpitaux ou les CAF. Par ailleurs
« certains médecins refusent de voir des étrangers (…) affirmant souvent que leur niveau de français
n’est pas suffisant pour pouvoir fournir des soins appropriés ».
3
Le groupe de travail n° 3 mobilisé dans le cadre de la concertation relative à la stratégie de
prévention et de lutte contre la pauvreté a indiqué que parmi les personnes reçues par Médecins du
Monde, le taux de non-recours à l’AME était de 86 %.
4
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit.
Concernant cette fois les différentiels d’espérance de vie, plusieurs études ont relevé
une sous-mortalité des immigrés par rapport aux non-immigrés, à un âge donné 6, en
1
Norredam M. et Krasnik A. (2011), « Migrants’ access to health services », in B. Rechel (éd.) et al.,
Migration and health in the European Union, Open University Press, Maidenhead.
2
Hu W.Y. (1998), « Elderly immigrants on welfare », Journal of Human Resources, vol. 33, n° 3.
3
Info migrations (2015), « Le recours aux soins des nouveaux migrants », op. cit.
4
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », op. cit.
5
Cordier A. et Salas F. (2010), « Analyse de l’évolution des dépenses au titre de l’AME », IGAS-IGF,
novembre.
6
Guillot et al. (2018), « Understanding age variations in the migrant mortality advantage: An
international comparative perspective », PLoS One, juin ; et Boulogne et al. (2012), « Mortality
Concernant les états de santé eux-mêmes, l’OCDE signale pourtant que les immigrés
se déclarent en France en moins bonne santé que les non-immigrés (écart qui ne se
constate pas dans de nombreux pays hôtes), même si les écarts d’états de santé
déclarés restent faibles une fois corrigés de l’âge 4. La DSED a par ailleurs indiqué
que « pour les nouveaux migrants, à âge et sexe égaux, l’état de santé est moins
bon que celui de la population générale » 5. Ce constat sur la santé des immigrés
semble indiquer que sous l’effet des changements de composition des flux
migratoires, le phénomène d’autosélection positive lors de l’immigration s’éroderait :
une étude antérieure de la DSED évoquait notamment à cet égard les changements
de catégorie d’immigration et de pays d’origine 6. De plus, même pour une vague
d’immigration donnée, les effets de l’autosélection initiale diminueraient avec le
temps. L’INED a ainsi constaté que la santé des immigrés « se dégrade plus
rapidement que celle des personnes non immigrées, en raison de conditions de vie
plus difficiles » 7. En outre, les immigrés « perdraient au fil du temps l’effet
protecteur » associé à leur mode de vie d’origine. La conjugaison d’une sous-
mortalité des immigrés et d’un état de santé moins bon à âge donné, au moins au-
differences between the foreign-born and locally-born population in France », Social Science &
Medicine, vol. 74, n° 8, avril, p. 1213-1223.
1
Ainsi, Hamel C. et Moisy M. (2013), op. cit., indiquent que « la meilleure santé à l’arrivée se vérifie
surtout pour la population masculine arrivée dans les cinq dernières années précédant l’enquête ».
2
« …les personnes potentiellement en moins bonne santé n’ayant pas migré », Insee (2012),
Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.
3
Hamel C. et Moisy M. (2013), op. cit. : « Cette plus faible morbidité a été expliquée par des
différences d’habitudes alimentaires des originaires du Maghreb, ces habitudes s’avérant plus
protectrices pour la santé du fait notamment d’une moindre consommation d’alcool et de tabac,
particulièrement chez les femmes, mais aussi en raison d’une plus forte consommation de poisson et
de fruits que dans le reste de la population (Warner, Khlat, Bouchardy, 1995) ».
4
Voir par exemple OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., graphique
3.7.
5
Info migrations (2015), « Le recours aux soins des nouveaux migrants », op. cit.
6
Info migrations (2014), « L’état de santé des nouveaux migrants », n° 70, juillet.
7
Hamel C. et Moisy M. (2013), op. cit.
delà d’une certaine durée de séjour, pourrait suggérer un retour au pays plus
fréquent des immigrés en moins bonne santé, mais de récentes études ne
parviennent pas à valider cette hypothèse 1.
Les études britanniques sont intéressantes dans ce domaine, compte tenu des
similarités entre la France et le Royaume-Uni, avec dans les deux cas la combinaison
de « zones en tension » et d’un important secteur du logement social 4. Or les experts
auditionnés dans l’étude remise en 2008 à la Chambre des lords soulignaient qu’une
analyse de l’impact de l’immigration sur le logement s’imposait, décrivant un
renforcement des tensions par divers canaux. Ce constat a trouvé un écho près
d’une décennie plus tard dans les travaux de Becker et Fetzer (2016) 5, qui attribuent
partiellement la hausse des votes pour le parti UKIP aux tensions sur le marché du
logement liées à l’immigration.
En France, les immigrés sont surreprésentés dans le parc social, malgré les délais
d’attente et les difficultés d’accès au droit, déjà évoquées dans d’autres domaines.
Cela s’explique par divers éléments, souvent non spécifiques à la situation
française : un positionnement des immigrés sur le marché du travail globalement
1
Guillot et al. (2018), op. cit.
2
Ibid.
3
Il ne s’agit pas ici des allocations logement, qui sont des transferts en espèces.
4
Voir les chiffres publiés par « Housing Europe » et l’Observatoire du logement social.
5
Becker S. O. et Fetzer T. (2016), « Does Migration Cause Extreme Voting? », Warwick Working
Paper Series, vol. 306.
moins favorable (voir chapitre 2), leur surreprésentation dans les grandes
agglomérations avec des marchés du logement en tension (chapitre 1, rubrique
2.2), voire la modestie des patrimoines 1 lors de la migration et la taille des
ménages 2 entravant, au moins dans un premier temps, l’accès à la propriété voire
tout simplement l’accès au parc locatif privé (avec en particulier l’absence de
garants 3). De plus, l’Insee relevait en 2012 que, même « en neutralisant les effets
liés à un âge moyen, à un revenu plus faible et à une plus forte présence dans les
grandes villes où l’immobilier est plus cher, les immigrés vivent moins souvent dans
un ménage propriétaire que le restant de la population », l’écart étant toutefois
réduit de plus de moitié.
Pour autant, même en France, les enjeux de finances publiques associés à la nette
surreprésentation des immigrés dans le parc social restent faibles. La consultation
des chiffres du tableau D.1 de l’étude du CEPII précitée montre que ce poste
n’explique qu’entre 0,01 et 0,02 point de PIB de l’écart entre contributions nettes
des immigrés et non-immigrés aux finances publiques. Si la question du logement
social est souvent évoquée dans le débat public, c’est donc vraisemblablement
davantage au titre des difficultés associées à la ségrégation résidentielle et à
l’enjeu que représente l’accès au logement pour nombre de ménages, immigrés ou
non.
1
L’Insee indiquait en 2012 (Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.) que le patrimoine
brut moyen d’un ménage immigré était de 45 % inférieur à celui d’un ménage non-immigré. 16 % des
ménages immigrés n’avaient aucun patrimoine, contre 4 % des ménages non-immigrés.
2
L’Insee relevait en 2012 (ibid.) que les immigrés « sont plus touchés par une situation de
surpeuplement » (25 % contre 5 % pour la population sans lien avec la migration).
3
Ce point est notamment souligné dans le rapport précité de France terre d’asile, à propos des
immigrés à titre humanitaire.
4
« L’essentiel de l’immigration » n°23 (2018), « le logement des immigrés vivant en France en 2015 »,
ministère de l’Intérieur, novembre.
5
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
1
« L’essentiel de l’immigration » n°23 (2018), « le logement des immigrés vivant en France en 2015 »,
op. cit.
2
Le rapport Employment and social developments in Europe 2016, op. cit., indique ainsi : « Providing
affordable housing for refugees is considered one of the greatest challenges in cities, which coupled
with limited and tightening budgetary allocations and recruitment freezes, has made integration of
refugees more difficult ».
3
Ibid.: « Housing market and dispersion policies aim at limiting additional pressure from asylum
seekers in already tight local housing markets. At the same time, these can be an obstacle to their
labour market integration ».
4
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), op. cit.
1
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit.:
« Migrants are placed in localities matching their profile, taking account of their education levels and
work experience, local employment rates, the locality’s size, its concentrations of foreign-born people
and the availability of housing ».
2
Fine S., Soupios-David H. et Duvernoy A. (2019), op. cit.
3
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 140.
4
« Comme les immigrés au chômage ont moins de chance de recevoir une aide à ce titre que les
nationaux sans emploi, ils sont surreprésentés parmi les bénéficiaires de l’aide sociale. »
5
« However, it is not necessarily the case that integration support is no longer needed once in
employment. »
C’est en fait surtout l’immigration humanitaire qui s’avère nécessiter des prises en
charge plus spécifiques. Par exemple, le dernier rapport de la DREES relatif à l’aide
et l’action sociales en France 1 indique qu’environ 18 000 mineurs non accompagnés 2
étaient pris en charge fin 2016 par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), ce
qui représenterait 11 % des bénéficiaires 3, dans le contexte d’un budget total annuel
de l’ASE d’un peu moins de 8 milliards d’euros (à titre de comparaison, le coût annuel
moyen de l’ASE, de près de 50 000 euros, est bien supérieur à la dépense
d’éducation moyenne annuelle de 6 600 euros évoquée supra). La mission bipartite
de réflexion sur les mineurs non accompagnés lancée en 2017 relevait ainsi que
« l’augmentation très significative des flux d’arrivée met à l’épreuve les dispositifs
d’accueil, tout particulièrement dans la phase initiale de mise à l’abri et d’évaluation
de la minorité et de l’isolement de ces jeunes migrants » 4.
Pour autant, si ces questions peuvent impliquer une forte pression sur les
administrations et associations concernées, là encore les enjeux de finances
publiques associés semblent du deuxième ordre, avec moins de 0,1 point de PIB
1
DREES (2018), L’aide et l’action sociales en France, Panoramas de la DREES, édition 2018.
2
Chiffres hors Mayotte.
3
« Si on fait l’hypothèse que la population des mineurs non accompagnés est bien dénombrée parmi
l’ensemble des enfants et jeunes majeurs accueillis à l’ASE, la proportion de mineurs non
accompagnés représente alors, en 2016, 11 % de cette dernière, parmi les départements répondants,
soit un enfant ou jeune de moins de 21 ans accueillis sur dix ». Rappelons par ailleurs qu’il existe
d’autres enfants immigrés que les seuls mineurs non accompagnés.
4
Rapport de la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés, février 2018, IGA-
IGAS-IGJ-ADF (texte d’accompagnement de la mise en ligne).
5
Employment and social developments in Europe 2016, op. cit.: « the fact that refugees are not evenly
distributed across the EU can pose a significant budgetary challenge to a number of Member States,
especially in the first years when investment in them is needed ».
(hors, toutefois, la question du logement d’urgence traitée en 3.6 infra dans le cadre
des « coûts de gestion et de prise en charge » de l’immigration).
Les « biens publics » diffèrent des transferts en nature individualisables évoqués ci-
avant, en ce que leur consommation par un résident n’affecte pas la quantité
disponible pour les autres. C’est pourquoi ils sont dits « non rivaux ». Dans ce cas
théorique, il est possible de considérer que l’immigration n’a aucun impact sur les
budgets qui ne comporteraient que des coûts fixes, indépendants de la population
présente sur le territoire.
Autrement dit, la question complexe du lien entre immigration et coût des biens
publics se pose en des termes différents selon les politiques publiques et le caractère
plus ou moins « congestible » du bien fourni. Mais elle peut aussi différer selon
l’ampleur des flux étudiés et donc l’horizon temporel d’analyse. Ainsi, Hansen et al.,
tout en testant à la fois les hypothèses de coûts proportionnels et de coûts nuls,
soulignent que le second choix n’est adapté que pour un nombre d’arrivées
négligeable, en cohérence avec le concept de coûts « marginaux » 1.
L’étude réalisée pour le congrès américain 2 avait bien illustré les enjeux associés aux
hypothèses relatives aux biens publics : selon que le raisonnement s’effectue à coût
nul ou en coût moyen, les 17,6 % d’immigrés contribuaient respectivement à 4 % ou
22,4 % du déficit.
1
« The marginal approach is only relevant when considering immigration flows that are small relative
to the size of the population. » Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal
impact of immigration to welfare states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics,
op. cit.
2
National Research Council (1997), The New Americans: Economic, Demographic, and Fiscal Effects
of Immigration, op. cit.
L’étude du CEPII 1 a souligné, dans le contexte français (mais cela serait vrai dans
bien d’autres pays européens) l’enjeu budgétaire associé aux biens publics : « Une
part non négligeable (…) des dépenses publiques (entre 14 et 18 % du PIB selon les
années) n’ont toutefois pu être individualisées (…) Les dépenses résiduelles
contiennent tout ce qui relève notamment des dépenses de défense nationale, de
sécurité, de justice, culture, écologie, recherche, etc. ». Les auteurs ajoutent que
« c’est cette contribution par tête non individualisée qui fait basculer la contribution
nette totale par tête des immigrés dans les valeurs négatives (leur contribution
individualisée étant positive) ».
L’OCDE relève ainsi 2 un « besoin de poser des hypothèses sur la manière dont la
consommation et la fourniture de ces biens se modifient suivant la taille de la
population », et note que la majorité des études partent du principe que le coût de la
fourniture des biens publics est proportionnel au nombre de bénéficiaires. Les
paragraphes suivants se penchent respectivement sur les dépenses de défense, et
sur celles de police et de justice.
Le sujet est notamment évoqué par le rapport remis à la Chambre des lords en
2008, qui se borne toutefois à constater que l’impact de la hausse de population
sur le coût en termes d’infrastructures publiques reste peu compris. Les
considérations sur ce sujet glissent assez vite vers le terrain des externalités
environnementales ou économiques, et la littérature se prononce peu sur cette
catégorie très générique de dépenses publiques dont le chiffrage est tributaire de
conventions statistiques, voire des comptabilités analytiques utilisées par les
administrations publiques.
1
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 140-141.
3
En France, ces dépenses publiques ont représenté environ 1,8 % du PIB sur la dernière décennie.
2004 1). De ce fait, la classification de ces dépenses comme coût fixe ou variable
« peut modifier le signe (positif ou négatif) de l’impact, surtout pour la majorité des
cas où l’effet budgétaire n’est pas considérable dans un sens ou dans l’autre » 2.
C’est pourquoi de nombreuses études soulèvent spécifiquement la question des
hypothèses en matière de dépenses de défense 3.
Preston (2014) 4 souligne que les hypothèses à cet égard sont intimement liées à la
conception que l’on se fait de cette politique : s’il s’agit de se protéger d’une
agression extérieure, les coûts peuvent plus aisément être considérés indépendants
de la taille de la population que s’il s’agit de maintien de l’ordre face à une forte
agitation domestique 5. Dans son étude de 2013, l’OCDE exclut les dépenses de
défense de l’ensemble de ses scénarios. Tel n’est pas le cas des auteurs de l’étude
du CEPII 6 qui ont remarqué que la population immigrée « bénéficie (…) de la sécurité
intérieure et extérieure que ces dépenses procurent. C’est la raison pour laquelle
nous avons préféré retenir cette approche bien-être ». Ils testent néanmoins un
scénario alternatif excluant de la dépense attribuée aux immigrés l’ensemble des
budgets associés aux services collectifs (dont les coûts de la défense).
Si l’on vient de voir que l’application d’un principe de proportionnalité peut parfois
conduire à surestimer les coûts liés à l’immigration, elle peut néanmoins également
conduire à les sous-estimer, s’agissant d’autres biens publics.
Ainsi, l’étude précitée du CEPII relève que « d’autres dépenses telles que celles de la
justice ou du ministère de l’intérieur pourraient varier de manière plus que
proportionnelle si la population immigrée y est sur-représentée », ce que suggèrent
1
Loeffelholz H., Bauer T., Haisken-DeNew J. et Schmidt C. (2004), Fiskalische Kosten der
Zuwanderer, op. cit.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 141.
3
Voir par exemple Wadensjö (1997) dans le cas du Danemark ou Rowthorn (2008) dans le cas du
Royaume-Uni.
4
Preston I. (2014), « The effect of immigration on public finances », op. cit.
5
« How provision of services like defence, often represented as closest to purely public among major
spending items, is affected by population size and composition depends on politically contentious
questions about its purpose. To the extent that defence spending is about protection of borders and
projection of military power in defence of interests overseas it may be regarded as close to purely
public and, therefore, unaffected by population growth; to the extent that the armed services might be
regarded as ultimate guarantor of the established domestic order, size and composition of the
population may be regarded as more important. »
6
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
Les auteurs de l’étude du CEPII 3 choisissent ainsi in fine de « ventiler ces dépenses
et recettes résiduelles de manière uniforme sur l’ensemble de la population », non
par principe mais en raison d’un « manque de statistiques en la matière ».
Ces dépenses ne relèvent pas des grandes composantes des finances publiques.
Leur ordre de grandeur est en effet plus faible, mais elles sont entièrement relatives à
l’immigration (et isolées en tant que telles dans le suivi budgétaire de l’État), là où les
autres recettes et dépenses concernent les immigrés en tant que simple résidents
parmi d’autres. C’est ce qui justifie de s’y intéresser 4.
1
La notion d’étranger diffère de celle d’immigré, mais si l’on utilise par exemple la religion comme
facteur prédictif (imparfait) du statut d’immigré, les chiffres seraient encore plus nets, à en croire le
rapport de juin 2015 relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral :
« selon l’administration pénitentiaire, 18 000 détenus sur 67 000 pratiquent le ramadan (au centre
pénitentiaire de Fresnes, 1 000 sur 2 000) (…). Les travaux du sociologue Farad Khosrokhavar,
directeur d’études à l’EHESS et auteur en 2004 de L’islam dans les prisons (Balland), livre majeur sur
le sujet, ont établi que la population musulmane est surreprésentée en prison et forme la majorité de la
population pénale : 50 %, voire 70 à 80 % dans les prisons proches des banlieues, alors que les
musulmans ne représentent pas plus de 7 à 8 % de la population française ».
2
« We have not considered other important areas such as policing, the prison population (of which, in
England and Wales, 14% are foreign nationals). »
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
4
Le rapport Employment and social developments in Europe 2015, op. cit., cite en la matière les
travaux de Gott et Johnston (2002) susceptibles de changer le signe de l’impact : voir Gott C. et
Johnston K. (2002), « The migrant population in the UK: Fiscal effects », RDS Occasional Paper, n°
77.
Dans sa note analysant l’exécution budgétaire 2017, la Cour des comptes a rappelé 2
que l’un des facteurs clés de l’évolution de ces dépenses est « le nombre cumulé de
demandeurs d’asile déjà présents sur le territoire et en attente de décision (effet de
stock) et de nouveaux demandeurs arrivant sur le territoire (effet de flux) ». Or,
« l’évolution de la demande d’asile constitue une donnée exogène difficile à prévoir,
car elle est fonction du contexte international », même si la demande d’asile
« augmente de façon presque continue depuis 2008 » (d’où une « sous-budgétisation
quasiment structurelle », selon les termes d’un référé de 2015 3).
1
L’immigration de travail peut avoir des coûts de gestion mais bien moindres (pas de prise en charge
du même type).
2
Cour des comptes (2017), « Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2017 », Mission Immigration,
Asile, Intégration.
3
Référé de juillet 2015 relatif à l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile.
Par ailleurs, dans son référé de 2015 la Cour rappelle qu’aux « dépenses directes de
la politique de l’asile (…) il convient d’ajouter les dépenses de santé, eu égard aux
droits spécifiques ouverts aux demandeurs d’asile ». Il s’agit en particulier de l’aide
médicale d’État (AME), à hauteur d’environ 800 millions d’euros en 2017, ce dispositif
réservé aux immigrés en situation irrégulière constituant 99 % des dépenses
rattachées au programme 203 de la mission « santé ». Cette dépense ne constitue
certes pas un « coût de gestion » 5 mais plutôt un coût de prise en charge puisqu’il
1
Il était préconisé à cet égard de « regrouper l’ensemble des données du parcours des demandeurs
d’asile pour assurer leur suivi, au cours de la procédure, quel que soit leur lieu d’hébergement et, à
l’issue de celle-ci, pour les personnes déboutées qui demeurent sur le territoire national ».
2
Le référé précité de 2015 mentionne par exemple que « selon une enquête réalisée par la direction
départementale de la cohésion sociale (DDCS) du Rhône en décembre 2012, les demandeurs d’asile
occupaient 9 % des places de l’hébergement d’urgence de droit commun, les réfugiés 35 % et les
personnes déboutées 25 %, soit un total de près de 70 % ».
3
Une circulaire du 4 mars 2019 a actualisé l’objectif à 16 000 logements sur 2019.
4
Ces centres (en abrégé CPH) proposent un accompagnement temporaire aux personnes les plus
vulnérables à la sortie des CADA (personnes sans ressources, handicapées, jeunes, etc.).
5
C’est néanmoins partiellement le cas si l’on pense à l’argument prophylactique (préservation de la
santé publique pour tous) opposé aux tenants d’une suppression ou d’une restriction de l’AME. Le
rapport IGAS/IGF précité de novembre 2010 évoquait ainsi parmi les arguments contre la mise en
s’agit d’une prestation sociale, qui a la particularité d’être réservée à une petite frange
de la population immigrée.
La Cour évoquait également « les frais de scolarisation des enfants, qu’il est difficile
d’évaluer avec précision ».
Par comparaison, « certains États, qui ont des conditions d’accueil plus
contraignantes pour les demandeurs d’asile relevant du règlement Dublin,
obtiennent des taux de transfert vers la France beaucoup plus élevés : 53 % pour
la Norvège et 82 % pour les Pays-Bas ». Si « 74 % des demandes d’asile ont été
rejetées chaque année en moyenne entre 2009 et 2013, en France, (…) le taux
d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), notifiées aux
personnes déboutées du droit d'asile, est de 6,8 %, à comparer avec une
moyenne de 16,8 % pour l’ensemble des étrangers en situation irrégulière.
Cependant, seule une personne déboutée sur deux reçoit une OQTF. ln fine, plus
de 96 % des personnes déboutées resteraient en France, compte tenu, d’une
part, du taux d’exécution très faible des OQTF et, d’autre part, des procédures et
des recours engagés par les demandeurs d'asile ».
Globalement, on peut estimer aux alentours de 2,5 milliards d’euros la somme des
coûts de gestion au titre des programmes 303 et 104, et d’imputations partielles
(dans des proportions difficiles à objectiver) du programme 177 ainsi que des
dépenses de prise en charge au titre de l’AME. Il existe en outre des surcoûts au titre
de l’ASE (évoquée en 3.4 supra et qui constitue une forme de prise en charge des
mineurs non accompagnés).
place d’un droit d’entrée les « risques sanitaires sérieux du fait des retards induits sur les recours aux
soins ambulatoires ».
Ainsi, les différentes dépenses précitées au titre des demandeurs d’asile et immigrés
irréguliers (se situant hors des composantes généralistes du système redistributif)
atteignent une somme de l’ordre de 0,1 point de PIB, généralement non prise en
compte dans les études académiques ou institutionnelles s’organisant autour des
grands postes des finances publiques.
1
Année d’introduction d’une question sur le lieu de naissance (certes en toute rigueur insuffisante à
caractériser les immigrés comme personnes nées étrangères à l’étranger).
2
Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit., page 139 « généralement, les
dépenses imputables aux migrants ne sont pas accessibles directement ».
3
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics, op. cit.
Mais la propension des immigrés à consommer peut elle-même être amoindrie par
les transferts de fonds vers le pays d’origine, comme l’a par exemple noté
l’OCDE 1. Les immigrés français ont ainsi transféré 12 milliards d’euros à l’étranger
en 2017, selon les données de la Banque mondiale 2, ce qui représente 0,5 % du
PIB 3 et environ 2 000 euros par immigré (et non par ménage immigré). Cela
semble compatible avec des ordres de grandeur de 10 % à 15 % des revenus des
immigrés modestes évoqués par certaines études, compte tenu de la part des
immigrés dans la population française et de l’écart de revenu moyen vis-à-vis des
non-immigrés.
Il peut tout d’abord s’agir de prendre en compte les bénéfices d’entreprises détenues
par des immigrés. Toutefois, la question ne se pose que si leurs résultats ne relèvent
pas de la fiscalité des particuliers. Cette situation est susceptible d’être assez peu
fréquente, l’OCDE ayant relevé que « bien que les immigrés soient légèrement
1
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 149 : « La consommation à l’étranger
limitera l’incidence fiscale sur le pays d’accueil par le biais des impôts sur la consommation non
encaissés ».
2
Banque mondiale, Migration and remittances data.
3
Cet ordre de grandeur est assez proche des niveaux constatés aux États-Unis, en Allemagne, au
Royaume-Uni, en Italie ou en Scandinavie.
4
OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
Restent les cas des bénéfices d’entreprises détenues par des immigrés, et imposées
comme sociétés, ou des entreprises non détenues par des immigrés, mais dont la
profitabilité est impactée par l’immigration, a priori favorablement 2 (la théorie
établissant des effets transitoires de l’immigration favorables aux détenteurs du
capital, voir chapitre 2).
Il s’agit alors d’effets budgétaires indirects qui ne seront reflétés que dans des
modèles d’équilibre général dynamique qui simulent les effets de second tour de
l’immigration sur le marché du travail et la croissance, et ce faisant sur les comptes
des entreprises et sur les prélèvements obligatoires dont elles s’acquittent 3. Il est
d’ailleurs possible d’étendre le raisonnement à des recettes non fiscales telles que
les éventuels dividendes versés à l’État par des entreprises publiques. En revanche,
dans le cadre d’approches statiques, la question de l’impact de l’immigration sur la
fiscalité des entreprises ne se pose pas.
4. Grands constats
1
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 140.
2
L’étude House of Lords (2008), The Economic Impact of Immigration, op. cit., relève ainsi : « The
biggest winners include (…) employers ».
3
Ainsi Hansen et al. notent : « The calculations were carried out using (…) a dynamic computable
general equilibrium model (…). One advantage of working within this model framework is that it
ensures that indirect effects are also included in the calculations. For instance, the tax revenue from
income – for example, profit income – earned by natives, because of immigration, is included in our
computation, thanks to the general equilibrium properties ». Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et
Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare states of the Scandinavian type »,
op. cit.
4
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit., p. 137.
5
Selon le rapport Employment and social developments in Europe 2015, « there is evidence that the
employment effect may be the main determinant of the budget implications of international migration ».
prélèvements obligatoires, mais il évite aussi des coûts, les immigrés étant alors
moins susceptibles d’être éligibles à certaines prestations.
Ce constat de finances publiques peut être étendu à l’insertion dans l’emploi des
descendants d’immigrés lorsque ceux-ci sont inclus dans l’analyse. François Héran a
ainsi opposé au « concept étroit de recrutement à court terme de travailleurs sans
liens familiaux » (par exemple, l’ancien modèle allemand du Gastarbeiter) une
approche qui « intègre la nécessité d’élever et de former la jeune génération » et qui
« consiste à parier que les coûts sur le long terme seront plus faibles que ceux
nécessaires pour reconstituer de façon permanente la main-d’œuvre à partir de
l’étranger » 4.
1
Pedersen P. J. (2011), « Immigration and welfare state cash benefits: The Danish case »,
International Journal of Manpower, vol. 34(2), décembre : « Among the main findings is the obvious
importance of getting entry to the labor market ».
2
Voir Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to
welfare states of the Scandinavian type », op. cit. : « The main conclusion is that immigrants from
Western countries have a positive fiscal impact, while immigrants from non-Western countries have a
large negative one, which is also the case when considering only non-refugee immigrants. The
negative effect is caused by both a weak labour market performance and early retirement in
combination with the universal Danish welfare schemes. »
3
La participation des femmes au marché du travail constitue aussi un enjeu de société bien plus large.
4
Héran F. (2014), « Tendances démographiques, besoins du marché du travail et migrations », op. cit.
1
« The overall fiscal impact of immigration is likely to be small, though this masks significant variations
across different immigrant groups. »
2
Le rapport de la Commission européenne Employment and social developments in Europe 2016, op.
cit., remarque : « Among the working-age non-EU born living in the EU25 in 2014, refugees were on
average older than other migrants ».
Travail
(y compris les familles 113 725 747 839 915 1 033 1 154
accompagnantes)
Travail temporaire
90 120 889 955 383 441 586
(business long stay)
Dès lors, il n’est pas surprenant que dans les pays scandinaves où l’immigration est
marquée par une forte composante humanitaire, les études constatent généralement
que les immigrés sont davantage susceptibles de bénéficier des prestations sociales
(Ekberg, 2006 1), avec une situation inverse dans les pays d’Europe du sud se
caractérisant au moins jusqu’à une période récente par une importante immigration
pour motif économique 2 (Peixoto, Marçalo et Tolentino, 2011) 3.
1
Ekberg J. (2006), « Immigration to the Welfare State. Is it a burden or a contribution? The case of
Sweden », AMID Working Paper, n° 48/2006, Copenhague.
2
Voir Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016 : « By
contrast, Italy and Spain host more than 3 million non-EU born migrants each, but only few refugees:
around 23,000 each in 2014 ».
3
Peixoto J., Marçalo C. et Tolentino N. (2011), Imigrantes e segurança social em Portugal, report
n° 49 of the Immigration Observatory, Lisbonne, ACIDI – Alto Comissariado para a Imigração e
Diálogo Intercultural.
Ainsi, Dustmann et Frattini 1 ont montré que sur la période 1995-2011, les
immigrés en provenance de l’espace économique européen ont été associés à
une contribution nette positive aux finances publiques, contrairement à ceux des
pays non-européens.
Ils expliquent ces différences à la fois par la taille des ménages immigrés et par
les écarts de taux d’emploi. Il en va de même de l’étude d’Hansen et al. (2017)
dans le cas du Danemark, distinguant immigrés « occidentaux » et « non-
occidentaux » 2. Cette dernière analyse s’est pourtant basée sur des années où
les écarts de taux d’emploi avaient atteint un point bas historique, et a réalisé des
calculs pour les seuls non réfugiés afin de gommer l’effet de composition lié à la
présence de réfugiés humanitaires parmi les immigrés non occidentaux.
1
Dustmann C. et Frattini T. (2014), «The fiscal effects of immigration to the UK », op. cit.
2
« The fact that net contributions from non-Western immigrants are lower than those from Western
immigrants is due to a lower rate of employment among non-Westerners, rather than any difference in
age structure between the two immigrant groups. This leads to lower revenue from taxes and higher
expenditure on social income transfers. »
3
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
4
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », Journal of Population Economics, op. cit.
L’OCDE soulignait dans son rapport de 2013 2 que les différences de contribution
nette aux finances publiques des ménages immigrés entre les pays résultent aussi
« de la conception du système des impôts et des prestations sociales ».
En effet, plus un système est vaste et redistributif, plus les éventuels différentiels de
situation sociale sont pris en charge par la collectivité, et apparaissent « coûteux »,
avec un double effet de taille (les transferts sont importants en points de PIB) et de
progressivité (les prélèvements obligatoires et transferts sociaux sont très
différenciés selon les situations individuelles).
Or, en France, non seulement les salaires moyens des immigrés sont substantielle-
ment inférieurs à ceux des non-immigrés (d’environ 10 % en 2018, voir chapitre 2
rubrique 1.5), mais ceci se conjugue à un risque de chômage au moins double et à
des revenus du patrimoine moindres 5. Ainsi, le revenu disponible d’un ménage
immigré (hors ménages mixtes) après transferts et impôts était de 28 % inférieur à
1
Tranæs T. et Zimmermann K.F (2004), Migrants, work and the welfare state, University Press of
Southern Denmark and The Rockwool Foundation Research Unit.
2
Perspectives des migrations internationales 2013, op. cit.
3
Hansen M.F., Schultz-Nielsen M.L. et Tranæs T. (2017), « The fiscal impact of immigration to welfare
states of the Scandinavian type », op. cit.
4
Dustmann C. et Frattini T. (2014), «The fiscal effects of immigration to the UK », op. cit.
5
Comme déjà signalé dans un paragraphe de la rubrique 3.3 relative aux services de logement,
l’Insee indiquait en 2012 (Immigrés et descendants d’immigrés en France, op. cit.) que le patrimoine
brut moyen d’un ménage immigré était de 45 % inférieur à celui d’un ménage non-immigré. 16 % des
ménages immigrés n’avaient aucun patrimoine, contre 4 % des ménages non immigrés.
celui des autres ménages en 2015 1. Après prise en compte du surcroît de taille
moyenne des ménages, ou d’autres effets de composition (16 % de familles
monoparentales, contre 11 % dans l’ensemble des ménages 2), l’écart de niveau de
vie 3 atteignait ainsi 34 % en 2015.
Brücker et al. (2002) 6 ont à cet égard distingué deux groupes de pays dont l’un
composé de la France, du Benelux, des pays nordiques et de l’Autriche, où l’on
constate une dépendance accrue aux prestations sociales. Une revue de littérature
du CEPII 7 signale certes que ce diagnostic a pu être remis en cause par d’autres
travaux. Mais beaucoup d’études ne concluant pas à une dépendance accrue aux
prestations sociales s’avèrent relatives à d’autres pays : ainsi Fertig et Schmidt,
2011 8 pour l’Allemagne, ou Sheldon, 2007 9, pour la Suisse. Dans le cas de l’Italie –
à l’époque caractérisée par l’absence de revenu minimum –, la Commission
1
Insee (2018), Les revenus et le patrimoine des ménages, op. cit.
2
Ibid.
3
Au sens du revenu disponible par unité de consommation.
4
Pedersen P. J. (2011), « Immigration and welfare state cash benefits: The Danish case », op. cit. :
«… the weakening of economic incentives due to redistributive welfare programmes ».
5
Nannestad P. (2007), « Immigration and welfare states: A survey of 15 years of research »,
European Journal of Political Economy, vol. 23, p. 512-532.
6
Brücker H., Epstein G., McCormick B., Saint-Paul G., Venturini A. et Zimmermann K. (2002),
« Managing migration in the European welfare state », in Boeri, G. Hanson et B. McCormick (eds.),
Immigration Policy and the Welfare System, Oxford University Press, p. 1-167.
7
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », op. cit.
8
Fertig M. et Schmidt C. (2001), « First- and second-generation migrants in Germany. What do we
know and what do people think », IZA Discussion Paper, n° 286, Institute for the Study of Labor.
9
Sheldon G. (2007), « Migration, Integration und Wachstum: Die Performance und wirtschaftliche
Auswirkung der Ausländer in der Schweiz », Forschungsstelle für Arbeitsmarkt- und Industrieökonomik
der Universität Basel. Mimeo.
européenne a même relevé que le taux d’emploi des réfugiés était supérieur de
6 points de pourcentage à celui des non-immigrés.
Tant en France que dans l’OCDE, ces écarts entre immigrés et non-immigrés en
matière de transferts sociaux s’expliquent avant tout par les écarts de probabilité
d’être éligible et non par des écarts de montants unitaires 5. Concernant les
allocations chômage, l’étude du CEPII 6 relève d’ailleurs que « ces transferts sont
légèrement plus élevés durant la vie active en particulier à cause (…) d’une
probabilité de chômage plus forte au sein de cette population ». Selon l’étude de
l’OCDE, seules les allocations logement s’avéraient, en France, d’un montant
unitaire moyen plus important pour les immigrés que pour les non-immigrés.
1
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit.
2
OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
3
Ces données sont antérieures aux mesures de modulation des allocations familiales, qui ont pu
renforcer le phénomène pour cette composante.
4
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
5
Les ratios comparant les sommes moyennes globalement versées aux immigrés et aux non-
immigrés sont généralement inférieurs aux ratios des fréquences de versement.
6
Ibid.
Dans une revue de littérature effectuée en 2018 3, le CEPII fait notamment référence
à une étude de Rowthorn sur les pays développés (2008) 4, concluant à une
contribution annuelle nette des immigrés aux finances publiques de ± 1 % du PIB
selon les hypothèses et la conjoncture, ainsi qu’aux travaux de 2013 de l’OCDE.
Ceux-ci relèvent d’une approche statique, hors coûts de gestion et de prise en charge
(au sens du 3.6 supra) et à partir de données pour la période 2007-2009. Ils
aboutissent à un intervalle plus restreint de ± 0.5 % du PIB pour les pays membres
de l’organisation, à quelques exceptions dont la Suisse, pays qui compte une large
majorité d’immigrés en provenance du reste de l’UE 5 et où la contribution nette des
immigrés approche +1,5 % du PIB, et l’Allemagne, où à l’inverse la population
1
Données et enquêtes annuelles de recensement.
2
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en
France : une approche comptable », op. cit
3
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries: insights from recent economic research », op. cit.
4
Rowthorn R. (2008), « The Fiscal Impact of Immigration on the Advanced Economies », Oxford
Review of Economic Policy, 24(3), p. 560-580.
5
Qui plus est, ce pays partage ses trois principales langues officielles avec les pays limitrophes, ce qui
est un facteur supplémentaire de réussite professionnelle pour un certain nombre d’immigrés.
immigrée, qui est l’une des plus âgées de l’OCDE, contribue négativement à hauteur
de 1,9 % du PIB.
Cela a conduit l’OCDE à affirmer que si l’impact de l’immigration sur les finances
publiques varie « en fonction des hypothèses retenues et de la méthodologie
utilisée » ainsi que des « différences dans la composition de la population des
migrants selon la catégorie d’immigration » 1, il est « en moyenne, proche de zéro
dans l’ensemble de la zone OCDE ».
Ainsi, compte tenu d’une période de référence différente (2007-2009 pour l’OCDE,
2011 pour le CEPII), correspondant à des niveaux de solde public différents, les
contributions nettes similaires (des immigrés) identifiées par l’OCDE et le CEPII
correspondent à un coût différentiel implicite de l’immigration lui-même légèrement
différent. De plus, ces études reposent sur des enquêtes auprès des ménages
1
Il faut par ailleurs rappeler que les effets de l’immigration en part de PIB sur les finances publiques
des différents pays étudiés dépendent en partie de la part d’immigrés dans leur population (dans les
pays comptant peu d’immigrés, l’effet de l’immigration ne peut être que très faible).
2
Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P. (2018), op. cit.
3
Compte tenu de l’exclusion de la charge de la dette, comme indiqué supra (voir encadré en début de
section 3).
4
Rappelons que l’OCDE inclut parmi les immigrés les personnes nées françaises à l’étranger.
différentes (enquête SRCV 1 pour l’OCDE, enquête budget des familles pour le
CEPII 2).
– comme déjà signalé, l’étude du CEPII exclut, contrairement à celle de l’OCDE, les
coûts d’éducation des enfants d’immigrés (nés en France) dans son scénario de
référence. Dans son scénario alternatif incluant les enfants d’immigrés de moins
de 16 ans, le surcoût associé aux immigrés en matière d’éducation est alors
d’environ 50 %. Cela implique une moindre dépense d’environ 0,35 point de PIB
dans le scénario de référence. Inversement, dans le cas de l’étude de l’OCDE, il
existe un surcoût d’environ 0,1 point de PIB lié au plus grand nombre d’enfants
chez les immigrés (même si les enfants des couples mixtes ne sont pris en
compte que pour moitié) ; ce surcoût n’est toutefois pas explicité dans l’étude ;
– enfin, l’OCDE ne réintègre pas les pensions versées à l’étranger (pas par choix
mais faute d’une faisabilité rapide dans le cadre d’un travail portant sur 27 pays 3),
ce qui d’après l’étude du CEPII représente environ 0,2 point de PIB.
Ainsi, dans un scénario imputant aux immigrés leur quote-part du financement des
dépenses de défense, et comptabilisant les retraites versées à l’étranger, le
différentiel vis-à-vis des non-immigrés est de -0,25 % à -0,3 % du PIB 4 dans le cas
où l’on exclut le coût de l’éducation des enfants nés en France. Ce chiffre n’inclut pas
environ 0,1 point de PIB de coûts de gestion et de prise en charge (cf. 3.6).
1
Enquête statistique sur les ressources et conditions de vie.
2
Les auteurs de cette seconde étude voulaient en effet produire des données rétrospectives sur
longue période (ils sont remontés jusqu’en 1979), alors que SRCV ne remonte, même en l’assimilant à
l’ancien panel européen des ménages, qu’à 1994.
3
Mais l’OCDE indique dans son rapport avoir en complément collecté des données en la matière,
publiées sous www.oecd.org/migration.
4
Dans le cas des évaluations de l’OCDE, au différentiel de -0,35 points de PIB en bas de tableau, il
convient d’ajouter -0,2 au titre des retraites versées à l’étranger, -0,2 encore au titre de l’imputation
des dépenses de défense, puis 0,35-(-0,1) = 0,45 au titre de la non prise en compte des enfants nés
en France.
Rappelons enfin que les différentes études statiques évoquées ici n’intègrent pas les
éventuels effets de second tour, sur les finances publiques, de l’impact de
l’immigration sur la croissance, puisqu’elles négligent tout impact de l’immigration sur
les non-immigrés. Or, les effets de l’immigration sur la croissance par habitant
tendraient à être légèrement positifs à long terme (voir chapitre 4).
OCDE CEPII
Prélèvements obligatoires -0,55 -0,6
Défense +0,2 0
(pas d’imputation) (imputation au prorata)
Au-delà de l’impact agrégé de l’immigration sur les finances publiques, l’OCDE 2 s’est
intéressée à la distribution de cet impact selon les niveaux de gouvernement,
précisant que « dans de nombreux cas, les contributions bénéficient principalement à
l’échelon central, alors que les dépenses pèsent en général sur l’échelon local ». La
Commission européenne a également évoqué cet enjeu, mentionnant, parmi les
dépenses souvent locales, l’éducation, la formation et le logement 3. Plusieurs années
auparavant, l’étude remise à la Chambre des lords en 2008 insistait déjà sur cette
1
Enfants des couples mixtes pris en compte pour moitié.
2
OCDE (2013), Perspectives des migrations internationales 2013, chapitre 3, op. cit.
3
Commission européenne (2016), Employment and social developments in Europe 2016, op. cit. :
« Local authorities are very often the ones that bear the cost of integration (e.g. in terms of
housing,and education and training) but are not necessarily those that benefit from successful
integration as refugees often end up moving in search of jobs and the taxes they pay go to the central
government. »
dualité 1. Dans le cas français, on peut notamment penser à une fraction des
dépenses au titre de l’ASE (voir 3.4).
Cette répartition des rôles peut être source de tension, entre échelons nationaux et
locaux, ou entre échelons locaux eux-mêmes. La mission de réflexion sur les mineurs
non accompagnés a ainsi mis en avant début 2018 « deux scenarii de réformes
possibles quant au partage de responsabilités : l’un fondé sur un transfert à l’État de
ces compétences, l’autre fondé sur une amélioration de la compensation financière
attribuée aux départements par l’État » 2. Le CEPII 3 a relevé à cet égard les bienfaits
du schéma ayant prévalu en Autriche lors de l’afflux de réfugiés, où les fonds
d’assistance étaient fournis par le budget national, neutralisant le coût de l’accueil
pour les municipalités concernées.
Aussi une bonne allocation des ressources publiques suppose-t-elle une bonne
connaissance de la répartition des flux entrants sur le territoire. C’est pourquoi l’étude
remise à la Chambre des lords s’inquiétait à plusieurs reprises de la méconnaissance
de cette répartition territoriale et de ses conséquences 4, les professeurs Salt et
Coleman appelant à la mise en place de registres de population.
Plus que la variabilité de l’impact de l’immigration selon les territoires, c’est donc sa
méconnaissance qui est facteur de difficultés pour la conduite des politiques
publiques, en entravant l’objectivation des enveloppes budgétaires et le calibrage des
éventuelles péréquations, alors même que la pression sur la dépense est, elle,
immédiate. Cette difficulté est loin de ne concerner que le Royaume-Uni et a
plusieurs origines, qui peuvent être politiques (réticence des pouvoirs publics à
développer et partager les données en matière d’immigration), mais aussi logistiques
(difficulté à harmoniser les systèmes d’information locaux) ou juridiques (croisements
de fichiers administratifs et protection des données).
1
« Most taxes are collected at the national level but many public services are provided and paid for at
the local level. »
2
Rapport de la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés, février 2018, IGA-
IGAS-IGJ-ADF
3
Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in
developed countries : insights from recent economic research », op. cit.
4
« Existing data do not allow for accurate measurement of the stock of immigrants at national, regional
and local levels (…) Councils across the country, but especially in the south of England, claim that the
current data on the numbers of immigrants in their areas are significant under-estimates (…) The
inadequacies of the current data create a number of problems. They reduce the efficiency of the
allocation of government resources to local councils that provide public services across the UK ».
S’agissant de l’asymétrie habituelle de l’impact selon les territoires, elle s’explique par
la propension des immigrés à rallier les régions leur offrant les meilleures
perspectives ou hébergeant des diasporas préexistantes (voir chapitre 1). Il peut
d’ailleurs s’agir des mêmes régions. Ainsi, dans le cas de l’Allemagne une note
précitée de l’IFRI et du CERFA 1 souligne, en se basant sur des études allemandes 2,
que « la plupart des étrangers partent s’installer dans l’ouest du pays dès qu’ils le
peuvent, ce qui est lié au manque d’attractivité du marché du travail à l’est, mais
aussi à l’absence d’une diaspora susceptible d’accueillir les nouveaux arrivants et de
faciliter leur intégration ». Dans le cas de l’Autriche, la Commission européenne a
relevé qu’en juillet 2016, les deux tiers des réfugiés au chômage étaient enregistrés à
Vienne 3.
1
Salles A. (2017), « Entre vieillissement et migrations, la difficile équation allemande », op. cit.
2
Fuchs J., Kubis A. et Schneider L., Zuwanderungsbedarf aus Drittstaaten in Deutschland bis 2050,
Szenarien für ein konstantes Erwerbspersonenpotenzial – unter Berücksichtigung der zukünftigen
inländischen Erwerbsbeteiligung und der EU-binnenmobilität, Gütersloh, Bertelsmann Stiftung, 2015.
3
Employment and social developments in Europe 2016, op. cit. : « For Austria, the corresponding
data underline the significance of regional concentration – in July 2016, two-third of the 25,000
unemployed refugees were registered with the Vienna public employment service ».
4
Pellizzari, M. (2011), « The use of welfare by migrants in Italy », IZA Discussion Paper n° 5613.
Synthèse
À court terme, l’immigration augmente le PIB en niveau par la hausse induite de la population
totale du pays d’accueil et par ses effets positifs notamment sur la consommation et
l’investissement public. On parle alors d’un simple effet « quantité » ou encore d’un impact
sur la croissance dans sa « forme extensive ». C’est la raison pour laquelle la plupart des
travaux empiriques étudient surtout l’impact de l’immigration sur le PIB par habitant ou, dit
autrement, sur la richesse par habitant.
Il s’agit tout d’abord de la part de personnes en emploi, qui joue de façon ambiguë, le
chapitre 1 ayant rappelé que les immigrés sont plus nombreux à être en âge de travailler, et
le chapitre 2 que leur taux d’emploi est inférieur. Ce canal se traduit donc de manière
différente selon la composition des flux d’immigration (et selon le caractère plus ou moins
inclusif des marchés du travail).
• D’une part, le capital humain des actifs occupés, ce qui suggère qu’une immigration plus
qualifiée sera plus favorable à la croissance par habitant, et renvoie là encore à la
composition des flux d’immigration.
• D’autre part, l’intensité capitalistique, les effets de l’immigration étant nuls à cet égard, si
l’on part du principe qu’à long terme les techniques de production s’ajustent aux facteurs
de production disponibles.
• Enfin, la productivité globale des facteurs, qui reflète le degré d’efficience dans l’utilisation
des facteurs travail et capital. L’élargissement de la palette de profils que permet
l’immigration, mais aussi la plus grande mobilité professionnelle et géographique des
immigrés souvent constatée, suggèrent un effet positif (en tout cas non négatif) sur la
croissance par habitant.
Les études d’impact de l’immigration sur la croissance recensées ici présentent des résultats
récents sur la croissance de long terme par habitant, issus d’estimations sur de larges panels
de pays, à l’aide de méthodes économétriques corrigeant des biais d’« endogénéité » ou
risques de causalité inverse entre l’immigration et la performance du pays hôte. Les études
évoquées ne portent que plus rarement sur un pays voire un secteur d’activité, et,
notamment, très peu concernent la France.
Ces études tendent également à confirmer que les effets positifs de l’immigration transitent
par la productivité globale des facteurs, mettant en avant des gains liés à la diversité et à
l’innovation.
Plusieurs études concluent toutefois que s’il est improbable que l’immigration diminue la
croissance par tête à long terme, elle ne saurait davantage constituer une stratégie de
croissance en elle-même.
1
Le Congressional Budget Office, l’organe d’analyse économique et d’évaluation rattaché au Congrès
américain, privilégie le produit national brut (PNB) par habitant dans ses travaux de 2013 d’évaluation
ex ante de la loi S. 744 relative à l’immigration. Selon lui, cet indicateur reflète davantage que le PIB la
richesse et donc le niveau de vie des résidents d’un pays. Le PNB comptabilise en effet la richesse
Dans une approche de court terme basée sur la demande, l’immigration stimule
mécaniquement la consommation et l’investissement, soit deux des trois grandes
composantes du PIB 1. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, le surcroît
de population que constitue l’immigration est dans le cas général sans conséquences
notables à long terme sur les salaires et l’emploi des non-immigrés, et donc sur leur
demande, à laquelle s’ajoutera la demande des immigrés.
L’investissement peut être tiré à la hausse aussi bien par un besoin supplémentaire
d’investissement public (voir chapitre 3 2) que par un surcroît d’investissement privé.
En particulier, l’immigration encouragerait l’investissement direct étranger grâce à
une meilleure information des investisseurs des pays d’origine quant aux
opportunités dans les pays d’accueil de leurs compatriotes (Baez, 2011 3 ; Javorcik et
al., 2011 4, Nathan, 2014 5).
créée par les agents économiques sur la base de leur nationalité. Il exclut ainsi la part de la richesse
produite sur le territoire par les entreprises au prorata des capitaux étrangers présents.
1
La quatrième composante des variations de stock est supposée neutre sur longue période.
2
Notamment s’agissant des transferts en nature individualisables et des biens publics.
3
Baez J. E. (2011), « Civil wars beyond their borders: The human capital and health consequences of
hosting refugees », Journal of Development Economics, 96(2), p. 391-408.
4
Javorcik B.S., Özden Ç., Spatareanu M. et Neagu C. (2011), « Migrant networks and foreign direct
investment », Journal of Development Economics, 94(2), p. 231-241.
5
Nathan M. (2014), « The wider economic impacts of high-skilled migrants: A survey of the
literature », IZA Journal of Migration, vol. 3, n° 1, p. 1-20.
6
Böhme M. H. et Kups S. (2017), « The economic effects of labour immigration in developing
countries: a litterature review », OECD Development Centre, janvier, p. 52.
7
Bourgeois A. et Briand A. (2019), « Le “made in France” : 81 % de la consommation totale des
ménages, mais 36 % seulement de celle des biens manufacturés », Insee Première, n° 1756, juin :
selon cette étude, les cadres, les retraités et les familles moins nombreuses ont une consommation
plus intensive en « made in France ».
8
Böhme M. H. et Kups S. (2017), op. cit.
Mais cet effet positif de l’immigration sur le PIB en niveau s’apparente à un effet
« quantité », proche de celui d’un accroissement naturel de la population. Toutefois,
l’augmentation du PIB n’implique pas celle de la richesse par habitant.
C’est pourquoi les travaux tendent à davantage s’intéresser aux effets de l’immigra-
tion sur le PIB par habitant. Un tel agrégat est en effet plus proche des préoccupa-
tions en termes de niveau de vie et de prospérité collective qui sont celles des
populations. Par exemple, le Council of Economic Analysis (2014) 1, organe d’analyse
économique de la présidence américaine, a étudié les effets à dix ans sur le PIB par
habitant des mesures administratives relatives à l’immigration présentées par le
gouvernement le 20 novembre 2014.
Par ailleurs, l’analyse des effets de long terme de l’immigration sur le PIB par habitant
implique généralement une approche basée sur l’offre, avec notamment l’estimation
d’une fonction de production 2.
1
Council of Economic Analysis (2014), The Economic Effect of Administrative Action on Immigration,
novembre.
2
Chiswick B. et Miller P. (ed.) (2014), Handbook of the Economics of International Migration, volume
1A + 1B, North Holland.
3
Nijkamp P, Poot J. et Sahin M. (2012), Migration Impact Assessment: New Horizons, Edward Elgar
Publishing Ltd, New Horizons in Regional Science Series.
4
Voir Jaumotte F., Koloskova K. et Saxena S. (2016), « Impact of migration on income levels in
advanced economies », Spillover Note, International Monetary Fund.
5
Rapoport H. (2018), Repenser l’immigration en France, un point de vue économique, Cepremap.
6
Ortega F. et Peri G. (2014), « Openness and income: The role of trade and migration », Journal of
International Economics, vol. 92, p. 231-251.
7
Böhme M. H. et Kups S. (2017), op. cit., p. 53.
8
Chiswick B. et Miller P. (ed.) (2014), Handbook of the Economics of International Migration, op. cit.
porterait aujourd’hui sur les effets de l’immigration sur la productivité, dont ceux liés à
la diversité et à l’innovation 1.
1
Voir notamment Hunt J. et Gauthier-Loiselle M. (2010), « How much does immigration boost
innovation? », American Economic Journal: Macroeconomics, 2 (2), p. 31-56. et Ozgen C., Nijkamp P.
et Poot J. (2012), « Immigration and innovation in European regions », in Nijkamp P., Poot J. et Sahin
M. (2012), Migration Impact Assessment: New Horizons, op. cit.
2
Peri G. (2016), « Immigrants, productivity, and labor markets », op. cit.
3
Les chercheurs sont alors confrontés à la même question s’agissant du choix par les immigrés de la
région d’arrivée au sein d’un pays donné.
4
Clemens M. A. (2011), « Economics and Emigration: Trillion-Dollar Bills on the Sidewalk? », Journal
of Economic Perspectives, vol. 25, n° 3, p. 83-106.
Si l’on se base à titre illustratif sur une fonction de production de type Cobb-Douglas,
alors en notant Ch le capital humain moyen des actifs occupés, N la population
totale, Te le taux d’emploi et Ta la part de la population en âge de travailler, on a :
Ainsi, à partir de l’identité (1) rappelée ci-avant, en utilisant (2) il est possible
d’écrire :
Le premier canal est lié à la part des personnes en emploi (Te*Ta) avec laquelle
augmente la croissance par habitant. La part des personnes en emploi est la
résultante de la part de la population en âge de travailler (généralement plus forte
chez les immigrés, voir chapitre 1) et du taux d’emploi de cette population (souvent
plus bas chez les immigrés, en particulier en France, voir chapitre 2). L’effet de
1
Peri G. et Sparber C. (2009), « Task specialization, immigration, and wages », American Economic
Journal: Applied Economics, 1(3), p. 135-169.
l’immigration est ainsi tributaire de la structure des flux par âge et niveau
d’employabilité.
Les trois autres canaux d’impact sur la croissance (par habitant) correspondent à
différents effets sur la productivité :
• un premier facteur de croissance de la productivité est l’intensité capitalistique
(K/L), ou ratio capital/travail. Rappelons que L est ici défini comme le nombre
d’actifs occupés multiplié par leur capital humain moyen, c’est-à-dire que l’offre de
travail au dénominateur intègre la productivité des actifs et non uniquement leur
nombre ;
• un second facteur de croissance de la productivité est le niveau de capital humain
(Ch) par travailleur, ce qui, dans le contexte d’une analyse des effets de
l’immigration, renvoie en première approche au niveau de qualification de
l’immigration, très variable selon les pays et les époques. Dans le cas français, un
récent ouvrage d’Hillel Rapoport a souligné les bénéfices économiques qui
seraient notamment associés à une immigration plus qualifiée 1.
• Enfin, la productivité globale des facteurs (PGF) intervient. Elle peut fluctuer selon
le degré de complémentarité des travailleurs (ici, entre immigrés et non-immigrés,
qualifiés ou pas), les synergies dégagées dépendant aussi éventuellement de
caractéristiques non directement observables des immigrés. Il peut s’agir par
exemple d’un état d’esprit plus entrepreneurial d’une partie d’entre eux,
notamment du fait d’une moindre aversion au risque qui caractériserait les
personnes géographiquement mobiles 2 selon Jaeger et al. (2010) 3. Il peut aussi
s’agir d’une plus grande mobilité professionnelle ou géographique des immigrés.
Ainsi, la Commission européenne 4 a relevé que les immigrés se caractérisent par
de plus grandes probabilités d’embauche et de perte d’emploi (« easy-hire, easy-
fire »), en partie du fait d’une surreprésentation des contrats de travail atypiques.
Ce faisant, l’immigration favorise donc une meilleure allocation des facteurs,
même si c’est aux dépens de la stabilité professionnelle des immigrés. Par
1
Rapoport H. (2018), Repenser l’immigration en France, un point de vue économique, op. cit.
2
Dans le contexte américain, plusieurs travaux ont par exemple porté sur la surreprésentation des
immigrés, notamment originaires d’Extrême-Orient et du Sud-Est asiatique, dans les activités
entrepreneuriales et de recherche ou les dépôts de brevets.
3
Jaeger D. A., Dohmen T., Falk A., Huffman D., Sunde U. et Bonin H. (2010), « Direct evidence on
risk attitudes and migration », The Review of Economics and Statistics, 92(3), p. 684-689.
4
Employment and social developments in Europe 2015, op. cit. : « Higher labour market dynamics in
both directions may be due to some extent to more frequent use of non-standard employment
contracts facilitating both hiring and firing (“easy hire, easy fire”) »
En tout état de cause, comme l’immigration ne peut a priori réduire la palette des
profils disponibles, ce canal de la PGF devrait en première approche jouer de
manière positive ou, au pire, nulle 2, sur la croissance par tête. Certes, en toute
rigueur, des externalités négatives de l’immigration sur la PGF sont possibles, et
d’ailleurs évoquées dans le rapport remis à la Chambre des lords : il peut s’agir
d’effets négatifs de la diversité (Alesina et al., 2016) 3 ou encore d’effets de
congestion (en lien notamment avec la concentration géographique des immigrés
décrite en chapitre 1, rubrique 2.2). C’est pourquoi selon Rapoport (2018), « si l’on
veut s’intéresser au long terme, la principale variable d’intérêt est celle de la
productivité » 4.
Les deux sections suivantes présentent donc les résultats de travaux essentiellement
macroéconomiques concernant les effets de long terme de l’immigration sur le PIB
par habitant et sur la PGF.
Ces travaux veillent à prévenir le risque de « causalité inverse » déjà évoqué. Pour
ce faire, la plupart recourent à des méthodes visant à prédire les flux bilatéraux
1
Cadena B. C. et Kovac B. K. (2016), « Immigrants equilibrate local labor markets: Evidence from the
Great Recession », American Economic Journal: Applied Economics, vol. 8, n° 1, janvier.
2
Dans le cas extrême d’absence totale de corrélation avec les besoins du marché du travail, par
exemple. Rappelons qu’en cas d’afflux d’immigrés inemployables ou peu employables, c’est alors via
la part de la population en emploi que le PIB par habitant serait éventuellement affecté.
3
Alesina A., Harnoss J. et Rapoport H. (2016), « Birthplace diversity and economic prosperity »,
Journal of Economic Growth, 21, n° 2.
4
Rapoport H. (2018), op. cit.
d’immigration pour identifier et exclure ceux liés aux conditions économiques du pays
d’accueil. Il s’agit en l’occurrence des modèles dits « de gravité », aussi appliqués
aux flux commerciaux.
1
Jaumotte F., Koloskova K. et Saxena S. (2016), « Impact of migration on income levels in advanced
economies »,op. cit.
2
Ortega F. et Peri G. (2014), « Openness and income: The role of trade and migration », op. cit.
3
Kang Y. et Kim B.-Y. (2012), « Immigration and Economic Growth: Do Origin and Destination
Matter? », MPRA Working Paper, n° 39 695.
à un effet nul de l’immigration sur le PIB par habitant 1. De même Jaumotte et al.,
qui se sont basés sur une modélisation inspirée d’Ortega et Peri (2014),
expliquent notamment par le spectre géographique de leur étude (restreinte à des
pays de l’OCDE) l’identification d’un effet nettement plus faible.
• Sur un panel de 120 pays, Alesina et al. (2016) 2 montrent qu’une hausse de la
diversité des pays de naissance d’un point de pourcentage augmente le PIB par
habitant à long terme de 1,4%, et de 2,6% lorsqu’elle concerne l’immigration
qualifiée.
• Une étude d’Aleksynska et al. (2015) 3, basée sur 20 pays de l’OCDE, indique
aussi un effet positif mais plus faible : une hausse d’un point de pourcentage de la
part des immigrés dans la population totale augmente le PIB par habitant
d’environ 0,3 % à l’horizon de quarante ans. Cet effet moyen de l’immigration
diffère toutefois selon les trois classes d’âge retenues, le plus favorable étant
constaté pour les immigrés âgés de 25 à 54 ans ; il est moins fort pour les 55-64
ans et même négatif pour les 15-24 ans. Pour les auteurs, ces écarts sont
identifiables respectivement à des effets de moyen, long et court terme, si l’on
considère que l’âge des immigrés est très corrélé à leur durée de séjour dans le
pays d’accueil.
• Boubtane et al. (2014) 4 montrent quant à eux qu’en moyenne, pour 22 pays de
l’OCDE, un choc permanent d’un point de pourcentage du taux annuel de
migration nette conduit à une hausse d’environ 0,1 % du taux de croissance du
PIB par habitant (et à une augmentation de 0,3 % de celui de la productivité),
concluant que la recherche doit se poursuivre et qu’en tout état de cause il ne
faudrait pas attendre de grands effets de l’immigration sur la croissance par
habitant et la productivité 5.
1
Ortega F. et Peri G. (2009), « The causes and effects of international migrations: Evidence from
OECD countries 1980-2005 », NBER Working Paper, n°14833. Voir aussi à ce sujet « Quelles sont les
conséquences de l’immigration dans les pays riches », El Mouhoub Mouhoud, La Découverte,
Regards croisés sur l’économie, 2010/2 n° 8.
2
Alesina A., Harnoss J. et Rapoport H. (2016), « Birthplace diversity and economic prosperity »,
op. cit.
3
Aleksynska M. et Tritah A. (2015), « The heterogeneity of immigrants, host countries’ income and
productivity: A channel accounting approach », Economic Inquiry, vol. 53(1), p. 150-172.
4
Boubtane E., Dumont J.-C. et Rault C. (2014), « Immigration and economic growth in the OECD
Countries, 1986-2006 », IZA DP, n° 8681, novembre.
5
« Therefore, further research is needed to account for these effects before one can definitively state
the full impact of migration on economic growth. That said, our results provide evidence that one
should not expect large gains (or significant loses) in terms of productivity from migration. »
• Ozgen et al. (2010) 1, qui ont procédé à une méta-analyse sur la base de douze
études primaires, concluent eux aussi qu’une hausse d’un point de pourcentage
du taux de migration nette conduit en moyenne à une augmentation de 0,1 point
du taux de croissance du PIB par habitant.
• Les travaux de Brunow et al. 2 pour un sous-ensemble de 36 pays à importante
immigration ou hauts revenus (dont la France), identifient un effet positif de
l’immigration sur la croissance par habitant, après une vingtaine d’années. Selon
les auteurs, cet important décalage temporel peut s’interpréter comme la résultante
du temps nécessaire à la fois à l’intégration des immigrés (voir chapitre 2, section
2) et à la montée en puissance des effets de productivité (notamment des
changements technologiques associés) 3. Par ailleurs, sur un panel de 149 pays
cette fois, ils montrent qu’une hausse d’un point de pourcentage du taux de
migration nette augmente le PIB de 0,9 % (soit un PIB par habitant inchangé)
comparé à + 0,5 % pour une hausse d’un point de pourcentage du taux
d’accroissement naturel de la population (soit une diminution de 0,5 % du PIB par
habitant).
• D’autres études concluent à des effets nuls, voire négatifs, de l’immigration sur le
PIB par habitant. Parmi celles concluant à un effet nul, on peut citer Boubtane et
al. (2013) 4 à partir de données de panel sur 22 pays de l’OCDE, ou encore Morley
(2006) 5 à partir de données australiennes, canadiennes et américaines. Parmi les
études concluant à un effet négatif, citons Orefice (2010) 6 sur la base de 24 pays
1
Ozgen C., Nijkamp P. et Poot J. (2010), « The effect of migration on income growth and
convergence: Meta-analytic evidence », Papers in Regional Science, vol. 89, p. 537-561.
2
Voir le chapitre 19 du Handbook of the Economics of International Migration (2014).
3
« We find that positive or negative net migration in a country over a decade is neither harmful nor
beneficial to economic growth in that decade. (…) In the long run, robust effects are hard to detect, but
there is some tentative evidence that net migration may benefit growth in rich countries after two to three
decades, presumably through endogenous technological change ». « Once we account for heterogeneity
and focus on a sample of rich countries only, the impacts of net migration (…) turn positive in the long
run, presumably linked to immigrant integration and endogenous technological change. »
4
Boubtane E., Coulibaly D. et Rault C. (2013), « Immigration, unemployment and GDP in the host
country: Bootstrap panel granger causality analysis on OECD countries », Economic Modelling, vol.
33, p. 261-269.
5
Morley B. (2006), « Causality between Economic Growth and Immigration: An ARDL Bounds Testing
Approach », Economics Letters, 90(1), p. 72-76.
6
Orefice G. (2010), « Skilled Migration and Economic Performances: evidence from OECD
countries », Discussion Paper n° 2010-15, université catholique de Louvain, Institut de recherches
économiques et sociales (IRES) : « We found that high skilled migration has a positive effect on per
capita GDP, but it is not enough to fully compensate the overall negative effects of migration on per
capita GDP ».
Au final, ces études, qui en moyenne présentent des résultats positifs à long terme
sur le PIB par habitant, sont pour la plupart réalisées à un niveau agrégé sur un large
panel de pays. Comme souligné par Jaumotte et al. (2016) notamment, ces résultats
sont sensibles d’abord au choix des pays : selon qu’ils sont avancés ou en
développement, les effets diffèrent et sont plus élevés dans le second cas, en partie
en raison d’un effet « capital humain ». Enfin, la qualité des résultats présentés
dépend de manière cruciale de la période d’estimation, comme pour toute étude
macro-économétrique, mais aussi de la qualité des méthodes d’instrumentation
visant à corriger des risques de causalité inverse entre immigration et croissance. À
cet égard, nous avons tenté de privilégier les études publiées dans des revues à
comité de lecture.
1
D’Albis H., Boubtane E., Coulibaly D., (2016), « Immigration Policy and Macroeconomic Performance
in France », Annals of Economics and Statistics Number, 121/122
2
Ce type de modélisation repose sur l’idée que l’évolution de l’économie est bien approchée par la
description du comportement dynamique d’un vecteur de variables.
3
Cortes P. et Tessada J. (2011), « Low-Skilled Immigration and the Labor Supply of Highly Skilled
Women », American Economic Journal: Applied Economics, vol. 3, p. 88-123.
Les études présentées supra apportent aussi d’autres résultats, par exemple sur les
effets de convergence entre régions et pays, ou sur les effets redistributifs au sein de
la population des non-immigrés et de la population totale (Ortega et Peri, 2014).
Ainsi Hanson et Slaughter (2002) 1 ont montré que les flux d’immigration des années
1980 et 1990 aux États-Unis ont été absorbés par des changements de technologies
de production dans les différentes industries. De tels effets d’ajustement par les
technologies plutôt que par les salaires ont également été mis en évidence dans le
cas de l’Espagne (Gonzalez et Ortega, 2011 2) ou d’Israël (Gandal et al., 2004 3).
Toutefois, l’OCDE a souligné que ces études industrie par industrie relèvent d’une
approche en équilibre partiel, en négligeant notamment les éventuelles réallocations
1
Hanson G. et Slaughter M. J. (2002), « Labor-market adjustment in open economies: Evidence from
US states », Journal of International Economics, vol. 57, n° 1, p. 3-29.
2
Gonzalez L. et Ortega F. (2011), « How do very open economies adjust to large immigration flows?
Evidence from Spanish regions », Labour Economics, 18(1), p. 57-70.
3
Gandal N., Hanson G.H. et Slaughter M.J. (2004), « Technology, trade, and adjustment to
immigration in Israel », European Economic Review, 48(2), p. 403-428.
Enfin, l’immigration peut influer sur la productivité globale des facteurs (PGF). C’est
ce qu’identifient trois études macro-économétriques déjà évoquées – Ortega et Peri
(2014), Alesina et al. (2016) et Aleksynska et al. (2015) – ainsi que sur la France,
l’étude micro-économétrique de Mitaritonna et al. (2016) 5.
Ortega et Peri (2014), à partir notamment d’une fonction de production de type Cobb-
Douglas avec capital humain et du très large échantillon de pays rappelé plus haut,
1
Böhme M. H. et Kups S. (2017), « The economic effects of labour immigration in developing
countries: a litterature review », op. cit.
2
Dustmann, C. et Glitz, A. (2011a), « How Do Industries and Firms Respond to Changes in Local
Labor Supply? », IZA Discussion Paper, n° 6257, Institute for the Study of Labor (IZA).
3
Lewis E. (2011), « Immigration, skill mix, and capital skill complementarity », The Quarterly Journal of
Economics, 126(2), p. 1029-1069.
4
Voir Jaumotte J. et al. (2016), op. cit. : « A large entry of low-skilled immigrants could change the
sectoral specialisation of the economy, for instance toward lower-productivity sectors such as
construction, lowering TFP » (TFP = anglais pour PGF).
5
Mitaritonna C., Orefice G. et Peri G. (2016), « Immigrants and Firms' Outcomes: Evidence from
France », NBER Working Paper, n° w22852, octobre.
Dans le cas précis de la France, Mitaritonna et al. (2016) ont montré, à partir de
données d’entreprises du secteur manufacturier sur la période 1996-2005, qu’en
moyenne une hausse de 10 % de l’emploi des immigrés dans un département y
accroît de 1,7 % la PGF des entreprises. Les auteurs attribuent cet effet notamment à
la complémentarité des compétences entre non-immigrés et immigrés. Ce surcroît de
productivité est par ailleurs associé à une plus forte croissance du capital, des
exportations, des parts de marché et à un moindre taux de défaillance des
entreprises. Enfin, selon cette étude, l’immigration jouerait positivement dans la
réduction des écarts de performance entre entreprises, avec des effets de rattrapage
pour les entreprises plus petites et moins productives.
Dans leur étude précitée de 2014, Ortega et Peri ont testé la significativité de deux
sources envisageables de la PGF, celle de la diversité et celle de l’innovation. Ils
définissent la diversité par les pays de naissance, mais d’autres définitions peuvent
être utilisées, notamment la diversité linguistique ou ethnique (Rapoport, 2018).
L’innovation est quant à elle mesurée par le nombre de brevets rapporté à la
population. Au final, les auteurs confirment que la diversité et l’innovation issues de
l’immigration augmentent la PGF.
1
Les auteurs adoptent, tout comme Aleksynska et al. (2015), la méthode de décomposition de Hall et
Jones (1999) et Alcala et Circcone (2004), selon laquelle la production par travailleur (et non par
habitant) peut être décomposée en intensité capitalistique, capital humain et PGF.
2
Ortega F. et Peri G. (2011), « The aggregate effects of trade and migration: Evidence from OECD
countries », IZA Discussion Papers, n° 5604, IZA, Bonn.
Alesina et al. (2016) 1 ont également confirmé, sur la base d’un panel de 120 pays, le
rôle de la diversité des pays de naissance chez les immigrés qualifiés, une hausse de
1 % de cette dernière 2 augmentant de 1 % la PGF.
Par ailleurs, Trax et al. (2012) 5 ont, avec beaucoup d’autres, souligné la nuance à
opérer entre les effets de l’immigration et ceux de la diversité 6. S’ils concluent, dans
le contexte allemand et à partir d’une analyse de l’effet de la diversité au sein des
entreprises, qu’un surplus de diversité d’un écart type (à proportion d’immigrés
inchangée) se traduit par une hausse de 10 % de la productivité, en revanche un
surcroît du seul volume d’immigration ne génère en lui-même aucun gain de
productivité.
Concernant l’innovation, elle peut, selon Ozgen et al. (2013) 7, être alimentée par
l’immigration de deux manières (outre les effets de la diversité précités). Il s’agit
1
Alesina A., Harnoss J. et Rapoport H. (2016), op. cit.
2
Dans le cadre de ce travail, la diversité correspond plus précisément à la probabilité que deux
travailleurs qualifiés tirés au hasard n’aient pas le même pays de naissance.
3
Niebuhr A. (2010), « Migration and innovation: Does cultural diversity matter for regional R&D
activity? », Papers in Regional Science, 89(3), p. 563-585.
4
Parrotta P., Pozzoli D., Pytlikova M. (2014), « Labor diversity and firm productivity », European
Economic Review, vol. 66, p. 144-179.
5
Trax M., Brunow S. et Suedekum J. (2012), « Cultural diversity and plant‐level productivity », IZA
Discussion Paper, n° 6845, Institute for the Study of Labor (IZA).
6
« When assessing the impact of immigration on innovation and productivity, an important distinction
must be made between quantity/size and diversity effects », Handbook of the economics of
international migration (2014).
7
Ozgen C., Nijkamp P. et Poot J. (2013), « The impact of cultural diversity on firm innovation:
Evidence from Dutch micro-data », IZA Journal of Migration, vol. 2 (18), p. 1-24.
d’une part de l’effet d’autosélection des immigrés, qui impliquerait une plus forte
capacité à innover, avec une plus grande résilience ou aptitude à entreprendre, à
caractéristiques observables données (voir section 1 supra concernant une moindre
aversion au risque des immigrés). Il s’agit d’autre part des possibles résorptions de
tensions à l’embauche dans des secteurs à haute valeur ajoutée. Les auteurs ont
tenté de schématiser les canaux par lesquels l’immigration influe sur l’innovation (voir
le tableau A4 en annexe).
Impact Impact
attendu attendu Commentaires
à 5 ans à 20 ans
Part de la Si, au-delà d’une approche marginale centrée sur les seuls
population en flux, on s’intéresse à l’ensemble de la population immigrée,
+ +
âge de l’effet est alors moins élevé dans les pays d’immigration
travailler ancienne comme la France (voir chapitre 1, rubrique 2.6)
Capital humain
Cet effet est en moyenne négatif en France, mesuré par le
(niveau de - -
niveau de diplôme (voir chapitre 1, rubrique 2.5)
qualification)
Intensité
- 0
capitalistique
PIB par
0- 0+
habitant
Lecture : d’après la littérature économique, un choc d’immigration qui aurait les caractéristiques des flux
d’immigrations actuels en France a un impact négatif sur le taux d’emploi à 5 ans de la population totale
(immigrés + non immigrés)
Source : France Stratégie
Innovation et attractivité
Source : OCDE
1
OCDE (2019), « How do OECD countries compare in their attractiveness for talented migrants? »,
Migration Policy Debates, n°19, mai.
Note : Les données portent sur les travailleurs détachés qui ont reçu l’autorisation de travailler dans un seul
pays récepteur (voir De Wispelaere et Pacolet 2017 pour la méthodologie). On ignore le pays récepteur de
26 % des 2.2 millions de détachements en 2016, à savoir ceux des travailleurs détachés originaires du
Danemark, du Liechtenstein, de Norvège, de Suisse et du Royaume-Uni, et de tous les travailleurs
détachés exerçant dans plusieurs États membres.
Source : De Wispelaere et Pacolet – HIVA-KU Leuven, (2017).
Pourcentage de Pourcentage de
Pays Estimation
résidents étrangers la population
Allemagne 196 000 – 457 000 2,9 – 6,8 0,2 – 0,6
62 000
Australie (2015) … 0,3
(dépassement de séjour)
Autriche 18 000 – 54 000 2,1 – 6,2 0,2 – 0,6
Belgique 88 000 – 132 000 8,7 – 13 0,8 – 1,2
214 168
Corée (2015) … …
(dépassement de séjour)
Danemark 1 000 – 5 000 0,3 – 1,6 0 – 0,1
Espagne 280 000 – 354 000 5 – 6,3 0,6 – 0,8
Estonie 5 000 – 10 000 2,2 – 4,5 0,4 – 0,7
États-Unis 11,3 millions 26 3,5
Finlande 8 000 – 12 000 5,6 – 8,4 0,2 – 0,2
France 178 000 – 354 000 4,8 – 9,6 0,3 – 0,6
Grèce 172 000 – 209 000 23,4 – 28,5 1,5 – 1,9
Hongrie 10 000 – 50 000 5,4 – 27,1 0,1 – 0,5
Irlande 30 000 – 62 000 7,3 – 15 0,7 – 1,4
94 160
Israël (2016) … 1,1
(dépassement de séjour)
Italie 279 000 – 461 000 7,2 – 11,8 0,5 – 0,8
60 000
Japon (2016) 2,7 0,0
(dépassement de séjour)
Lettonie 2 000 – 11 000 0,5 – 2,8 0,1 – 0,5
Lituanie (2016) 900 4,4 0,1
Luxembourg 2 000 – 4 000 0,9 – 1,9 0,4 – 0,8
Norvège 10 500 – 131 000 3,5 – 10,6 0,2 – 0,7
12 162
Nouvelle-Zélande (2014) … 0,3
(dépassement de séjour)
Pays-Bas 62 000 – 131 000 8,6 – 18,2 0,4 – 0,8
Portugal 80 000 – 100 000 18,1 – 22,6 0,8– 0,9
Pologne 50 000 – 300 000 … 0,1 – 0,8
République slovaque 15 000 – 20 000 28,6 – 38,1 0,3 – 0,4
République tchèque 17 000 – 100 000 3,9 – 22,9 0,2 – 1
Royaume-Uni 17 000 – 100 000 21,2 0,73
Slovénie 417 000 – 863 000 2,4 – 12,2 0,1- 0,5
Suède 8 000 – 12 000 1,4 – 2,2 0,1
Suisse (2015) 76 000 4 0,9
UE-27 1,9 – 3,8 millions 6,6 – 13,9 0,4 – 0,8
Note : les méthodes de calcul varient d’un pays à l’autre : les chiffres du Hamburg Institute of International
Economics (HWWI) sont extrapolés à partir des sources nationales disponibles ; les chiffres pour les États-
Unis sont obtenus par la méthode résiduelle. Pour Israël, on recense 78 500 personnes restées sur le
territoire après expiration de leur visa de tourisme et 15 660 travailleurs étrangers illégaux (ministère de
l’Intérieur).
Source : pour les pays de l’Union européenne, base de données du HWWI, www.irregular-
migration.hwwi.net ; pour la Lituanie, ministère des Migrations. Système d'observation permanente des
migrations (SOPEMI), rapports de 2015 portant sur l’Australie, Israël, le Japon, la Corée et la Nouvelle-
Zélande ; Pew Research Center (2016) pour les États-Unis.
Graphique A1 – La délivrance des premiers titres de séjour par famille de motifs 2007-2018
Note : Les chiffres correspondent au nombre de documents portables A1 établis en application de l’article
12 du règlement de base, et ne comprennent donc pas les travailleurs détachés dans plusieurs États
membres (article 13). Les données ne couvrent pas la Norvège, ce pays ne fournissant pas de statistiques
sur le nombre total de travailleurs envoyés.
Tableau A3 – Étudiants en mobilité internationale inscrits dans des pays de l’OCDE, 2015
Pourcentage d’étudiants en mobilité
Étudiants en mobilité internationale internationale
dans l’enseignement supérieur
Par niveau d’enseignement (%)
dont originaires dont origin. de Enseignement
Master ou Doctorat ou
Total (milliers) des pays de pays OCDE supérieur
équivalent équivalent
l’UE28 (%) hors UE (%) (total)
Australie 294 3 4 15 43 34
Autriche 68 71 1 16 19 27
Belgique 56 50 1 11 18 42
Canada 172 12 7 11 14 30
Chili 4 5 5 0 1 8
République tchèque 42 63 2 11 12 15
Danemark 32 67 7 10 18 32
Estonie 3 57 7 5 7 11
Finlande 23 18 5 8 12 20
France 239 17 4 10 13 40
Allemagne 229 27 5 8 13 9
Grèce 28 .. ! .. .. ..
Hongrie 22 47 8 7 14 7
Islande 2 61 18 8 9 32
Irlande 16 26 16 7 13 25
Israël 10 .. ! .. 4 6
Italie 90 22 -5 5 5 ..
Japon 132 2 3 3 7 18
Corée 55 1 7 2 6 9
Lettonie 5 43 8 6 13 9
Luxembourg 3 78 0 46 71 87
Mexique 10 .. ! 0 1 3
Pays-Bas 86 54 -1 11 15 36
Nouvelle-Zélande 57 4 11 21 24 46
Norvège 10 35 5 4 7 21
Pologne 44 15 8 3 3 2
Portugal 17 17 3 5 6 21
République slovaque 11 75 7 6 8 9
Slovénie 2 45 -30 3 4 9
Espagne 75 36 6 3 7 ..
Suède 27 34 5 6 10 34
Suisse 51 67 4 17 28 54
Turquie 72 6 -1 1 4 6
Royaume-Uni 431 28 5 18 37 43
États-Unis 907 6 9 5 9 38
Pays de l’OCDE
1 522 33 3 8 12 22
membres de l’UE
Total OCDE 3 324 19 5 5 11 26
Moyenne OCDE .. 34 4 9 14 24
Note : les données portent sur les années 2014-15. Celles de la République tchèque, Israël, l’Italie, la
Corée, la République slovaque et la Turquie concernent les étudiants étrangers et non les étudiants en
mobilité internationale. Les données pour le Canada, l’Islande et le Mexique se rapportent à 2013, et non à
2014, la variation à la période 2012-13. Source : OCDE, base de données de Regards sur l’éducation.
Externalités
Source : Ozgen C., Nijkamp P. et Poot J. (2013), « The impact of cultural diversity on firm innovation:
Evidence from Dutch micro-data », IZA Journal of Migration, vol. 2 (18), traduction France Stratégie
Champ : France hors Mayotte. Personnes vivant en ménage ordinaire et déclarant avoir terminé leurs
études initiales ou n'avoir jamais fait d'études.
Lecture: 89,2 % des immigrés originaires d'Europe ont terminé leurs études initiales. Parmi eux, 20,6 % ont
un diplôme supérieur à Bac+2.
Source : Insee, enquête Emploi 2018
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