Le photographe de l'empereur
()
À propos de ce livre électronique
Son histoire commence en 1859 lorsque son oncle, photographe parisien renommé, lui demande de le remplacer au pied levé, pour réaliser des portraits de Napoléon III sur la côte basque et dans les Pyrénées. Un crève-cœur pour le jeune passionné de botanique, obligé d’interrompre ses études afin de suivre un empereur qu’il déteste. Son seul désir est de rentrer au plus vite au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, mais rien ne va se passer comme prévu !
Plus qu’un roman historique, Le Photographe de l’Empereur est une ode au Sud-Ouest et à ses paysages, de la naissance de la forêt de pins aux premières stations balnéaires, dans les pas d’un amoureux de la nature idéaliste et rebelle, dont les combats préfigurent le monde d’aujourd’hui.
Nathalie Pinard de Puyjoulon est journaliste. Elle a déjà publié Les cabanes du Sud-Ouest, gardiennes du temps passé, aux éditions Aubanel.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Nathalie Pinard est journaliste à France 3 Aquitaine. Passionnée par le patrimoine et la nature, elle parcourt depuis trente ans la région en quête de trésors. Ses reportages mettent en lumière des lieux emblématiques ou insolites, à travers des personnalités attachées à leur culture et à leur territoire. Elle a réalisé le magazine Les quatre saisons du Pic du Midi d’Ossau et collaboré à l’émission Thalassa. Elle a publié" Les cabanes du Sud-Ouest, gardiennes du temps passé" en 2003 et a également fondé la collection Les guides du reporter. Docteur en ethnologie, elle a été intervenante à l’Institut de Journalisme de Bordeaux pendant quinze ans ainsi qu’à l’École Polytechnique.
Lié à Le photographe de l'empereur
Livres électroniques liés
With our love - Les racines de Léonard Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Acheteur de laine: Roman historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn aller simple pour Nova Friburgo: Roman historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne histoire oubliée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLettres du Dahomey: 1952-1954 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTraquée par son passé 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGatsby le Magnifique Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Le marin Gascon et la pelée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBourbon zoréole Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGatsby le magnifique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBryan Perro présente... les légendes terrifiantes d'ici - La coureuse des grèves Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Étrangères de Saint-Michel, tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEn finir avec ton enfance Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa balade de Bob Kerjan - Livre premier: Un road trip en Bretagne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPas de souci !: Recueil de nouvelles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRessouvenance Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe fils de Stevenson Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne vie à Nice Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLigne de vie: Entre La Hague et La Chabanne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Promesse des Gélinas, tome 1, n. éd.: Adèle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald (Fiche de lecture): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationOlivier et le Petit Peuple - Tome I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSouvenirs d’enfance Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDico Ponson du Terrail: Dictionnaires des œuvres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSang d'encre à Saint-Malo: Sang d'encre - Tome 2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Grand Meaulnes d'Alain-Fournier (Analyse de l'oeuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes mois d’août à Gardincourt Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Jugement de Dieu: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRachel, descendante du Banat Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn chien enragé Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction sur l'héritage culturel pour vous
Shuni: Prix littéraire des collégiens 2020 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand l'Afrique s'éveille entre le marteau et l'enclume: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRaison et Sentiments Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Au cœur de la Franc-Maçonnerie: L'art royal appliquée en 8 nouvelles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationContes et légendes de Kabylie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationZykë l'aventure Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Chrysanthème: Récit de voyage au Japon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu fil du chapeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLégendes du vieux Paris Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNani Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationContes et légendes du Cameroun Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Nouvelles de Taiwan: Récits de voyage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes petites maisons galantes de Paris au XVIIIe siècle: Folies, maisons de plaisance et vide-bouteilles, d'après des documents inédits et des rapports de police Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFables et contes de Kabylie: Contes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDictionnaire des proverbes Ekañ: Roman Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Les charmes de Berthe: Littérature blanche Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La douloureuse traversée: Perspective d’une Afrique débarrassée du néocolonialisme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Trésor des Cathares: Rennes-Le-Château ou Montségur ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPetit manuel imparfait pour prendre soin de demain Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe dernier feu: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Le photographe de l'empereur
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Le photographe de l'empereur - Nathalie PINARD DE PUYJOULON
Nathalie Pinard de Puyjoulon
---
Le Photographe de l’Empereur
---
Roman
Crédits photographiques :
Réalisation couverture : Création originale pour Terres de l’Ouest éditions par
Alexia Lepelletier © Nathanaël et la Villa Vanille - https://www.alexialepelletier.com
ISBN papier : 978-2-494231-86-3
ISBN numérique : 978-2-488566-02-5
Tous droits réservés © Terres de l’Ouest éditions
292 rue des Artisans à Seignosse (40510) - Zone Larrigan
Site internet : www.terresdelouest-editions.fr
Ma tendre gratitude à Paul-Antoine
qui m’a donné l’audace d’écrire un roman.
Si on n’y prend garde, l’arbre disparaîtra et la fin de la planète viendra […], par la faute de l’homme.
George Sand, 1843
Comment, jeune, garder pur son chemin ?
Psaume 118
Arcachon, 25 avril 1921
Comment est-il possible qu’un photographe, doublé d’un simple botaniste, soit devenu aussi fortuné ? Certains me prêtent un héritage insondable, d’autres des amitiés particulières avec l’empereur Napoléon III, l’impératrice Eugénie et plus largement les puissants de ce monde, d’autres enfin me soupçonnent d’avoir fait un beau mariage favorable à ma prospérité.
Tout cela est vrai et faux à la fois. C’est pourquoi j’ai décidé de raconter mon histoire, non pas pour me justifier, ce qui n’aurait aucun sens, mais pour rétablir quelques vérités, fidèle aux principes ayant toujours dicté ma vie. Ce récit est écrit avec la simplicité et la sincérité d’un homme qui n’a rien à cacher.
La Providence m’a tant comblé que je ne voudrais pas, au crépuscule de mes jours, entacher ses dons d’une once de vanité. L’une de mes plus belles chances, je le réalise aujourd’hui, aura été de parcourir des terres qui n’existent plus… Je garde en mon âme cette sensation brûlante d’avoir assisté aux prémices d’un monde nouveau. Et c’est là que se trouve peut-être ma seule et vraie richesse.
L’âge avançant, j’ai appris combien la mémoire se nourrissait d’instants éphémères, de vents et de soleils. J’ai en moi tant de parfums et de lumières… J’ignore s’il s’agit de nostalgie, mais il me suffit de fermer les yeux pour retrouver ces atmosphères anciennes. Puis-je, par mon humble témoignage, vous permettre d’imaginer ces décors en exil, non pas comme des paradis lointains, mais comme des ailleurs familiers. Les paysages de nos commencements.
Nathanaël Forestier.
Arcachon, 29 août 1969
Une nouvelle fois, Niels se plonge dans la lettre de son arrière-grand-père Nathanaël, attendri par son écriture singulière et cette façon mystérieuse dont elle semble le guider, entre les lignes, vers une révélation. Il est bien le seul, parmi tous les siens, à lui accorder autant d’importance. C’est un peu comme s’il se sentait appelé, comme si ce message énigmatique lui était personnellement adressé. Songeur, au bas de la page, il aime à s’attarder sur la signature, ces initiales qui correspondent aux siennes aujourd’hui, dans une transmission muette ou un signe du destin, peut-être. Niels a toujours ressenti une affection profonde pour Nathanaël Forestier, cet aïeul qu’il n’a pas connu, sans doute les liens du sang et aussi sûrement, ceux d’une force invisible et bienveillante. Quatre générations plus tard, il se devait de comprendre enfin, de trouver la suite de l’histoire et de reconstituer le puzzle de son existence, mettant ses pas dans les siens et parcourant sa vie comme autant de chemins qu’il aurait pu emprunter si, tout comme lui, il était né un siècle plus tôt à Paris.
Son portrait en noir et blanc lui fait face, dans le petit salon ouvert sur la véranda. C’est un jeune homme de vingt ans à peine, le regard profond et l’air aventureux, comme s’il s’apprêtait à partir dans l’instant. Son visage dégage une étonnante impression de gravité et d’enthousiasme à la fois. C’est un enfant du XIXe siècle, bercé par les révolutions, les découvertes scientifiques et les expéditions lointaines. Une main fermée sur la précieuse lettre, Niels se sent un peu le gardien du temps passé. Il contemple les miroitements de l’eau jusqu’au phare du Cap Ferret, attendant les feux qui ne vont pas tarder à s’allumer, faisceaux fidèles relayant les derniers rayons du jour. Il guette le premier éclat, le retour à une sérénité enfouie, comme si quelqu’un veillait éternellement dans cette nuit d’été. Lui se tient debout, seul sur la terrasse, fixant la presqu’île droit devant.
Le voyage dans le temps commence ici, dans cette maison de bord de mer, la villa Vanille qui désormais lui appartient. C’est la première fois, depuis des décennies, qu’il retrouve la demeure de ses grandes vacances. Nous sommes à la fin du mois d’août. Le tintement des cloches de l’église Notre-Dame-des-Passes emplit le ciel de sa note claire et aérienne. Au loin, des clameurs confuses, ponctuées de rires et d’éclats de voix, s’élèvent en vagues sonores qui viennent s’échouer jusque-là, venues des cafés du boulevard de la Plage. Les noctambules sont tout à leurs discussions, à leur musique, à leurs cigarettes. Niels pourrait les rejoindre mais il préfère rester à l’abri de la rumeur des hommes, se laissant bercer par un flot de pensées apaisantes. Il se revoit courir sur la plage, lorsqu’il venait passer l’été sur cette côte paradisiaque, comme un bout du monde depuis Philadelphie où il est né et où il vit depuis toujours. On le lui a souvent dit. Le grenier de la villa française devait cacher de vrais trésors sur l’histoire familiale qu’il connaît si peu, des mémoires, des carnets d’excursions, des correspondances, des herbiers peut-être, des photographies sans aucun doute.
Ces documents épars, il ose à présent l’imaginer, dorment à sa portée immédiate. Il lui suffirait de monter l’escalier en pin conduisant au troisième et dernier étage de la villa Vanille pour les découvrir. Lors de ses séjours passés, il n’a jamais osé franchir le pas. Par peur des toiles d’araignées, des mulots qu’il entendait courir la nuit, et du silence imposant dégagé par la porte close. Du temps où ses grands-parents vivaient encore, l’ouvrir n’était de toute façon pas nécessaire. Leurs paroles vibrantes suffisaient à éveiller l’imagination, emplies d’anecdotes, de petites choses qui les amusaient, lui et ses cousins, lors des dîners tardifs après les journées de sable. Un soir, sa grand-mère avait parlé d’une lettre qu’elle avait trouvée sur le bureau de Nathanaël. Elle l’avait lue à haute voix puis, dans un sourire, avait murmuré cette discrète invitation : « Je la range ici, dans le tiroir du secrétaire, si jamais cela peut intéresser l’un d’entre vous… ». Niels l’avait emportée en Pennsylvanie, comme un talisman, sans savoir ce qu’il en ferait vraiment. La légende s’était construite ainsi, imperceptiblement, sans que personne ne juge nécessaire d’aller plus loin, d’esquisser une biographie, fût-elle seulement réservée au cercle familial. C’est parfois l’un des mystères de la filiation. L’amour véritable ne s’encombre pas du personnage public, comme si la stature sociale menaçait la grâce fragile du bonheur intime. Il fallait sûrement l’œuvre du temps pour que la pudeur s’estompe, qu’une distance suffisante se crée et qu’un autre, devenu presque étranger, décide enfin d’entrevoir la grandeur d’un destin.
La lune s’est levée à présent et sa lumière blanche envahit la véranda comme de l’écume froide. Niels observe son effet sur les vitraux des grandes baies envahies de plantes exotiques nimbées de pâleur. Il se rappelle qu’autrefois, aux longues heures de sieste, le soleil éclatant les faisait jaillir en éclaboussures de couleurs sur le parquet doré. Les fenêtres enluminées de la villa Vanille ont teinté son âme de reflets indélébiles. Il respire profondément, comme pour mieux s’immerger dans ses émotions. Sa femme et sa fille sont restées en Pennsylvanie. Elles ont compris la nécessité de cette quête solitaire, quelque part en France. Niels appartient à la branche américaine des descendants de Nathanaël Forestier. De ce côté-ci de l’Atlantique, sur le front de mer du quartier du Moulleau, à Arcachon, il expérimente une liberté nouvelle et le sentiment d’éloignement qu’il éprouve le rapproche de ses propres racines.
Dehors, il aperçoit des lueurs de lampes désordonnées qui percent l’obscurité. Un voilier s’est risqué jusqu’au rivage et ses passagers rejoignent la plage, de l’eau jusqu’aux genoux, malhabiles avec leurs gros gilets de sauvetage, les sacs et les glacières qu’ils s’efforcent de maintenir hors des flots. Ce sont des voisins. Ils doivent arriver de l’île aux Oiseaux ou du banc d’Arguin, ivres de vent, raccompagnés par des amis qui repartent aussitôt dans l’embarcation. Les enfants ont l’air d’avoir froid, emmitouflés dans leur serviette de bain. Ils font l’expérience de l’âpreté de cette fraîcheur salée qui fera bientôt partie d’eux-mêmes. Son souvenir les ramènera toujours sur cette plage, comme le courant. Il se sent moins seul à présent, compagnon de la marée et des étoiles étonnamment fixes, petites demoiselles d’honneur balisant le passage aux cieux bleu marine. Ces repères, se plaît-il à penser, existaient déjà du temps de Nathanaël Forestier. Le décor de ses vacances cache une éternité.
Le grenier… N’est-ce pas puéril ?
En cet été 1969, où le premier homme a marché sur la Lune en direct à la télévision, il se sent comme un adolescent dans un roman d’aventures de Robert Louis Stevenson. Cette idée le fait sourire. Il n’y a dans sa recherche ni vaine gloire ni espoir de fortune. Juste ce besoin irrépressible de savoir, sans céder à l’impatience. Se précipiter serait indigne, comme un sacrilège. Le temps et l’espace ne pèsent plus le même poids lorsqu’il s’agit de mémoire. Les siècles imposent leur rythme, comme s’ils tiraient en longueur la marche lente conduisant au troisième et dernier étage de la villa Vanille. Faire et refaire le parcours dans sa tête, c’est savoir choisir le bon moment de la rencontre. En passant devant le portrait de Nathanaël Forestier en noir et blanc, Niels a maintenant l’impression que c’est lui, le mystérieux jeune homme à l’air romantique, qui l’observe avec insistance. Peut-être son aïeul l’attend-il depuis tout ce temps ?
Seul lui répond le battement de son cœur, mêlé aux sons désordonnés des différentes horloges de la maison. Le décalage des secondes égrainées lui donne l’étrange illusion de vivre dans des temps parallèles. Il retourne le grand sablier qu’il a toujours vu sur la cheminée et se tient en éveil, comme une sentinelle suspendue à l’horizon. La nuit n’a pas de frein, pas de limite, pour arrêter le balancement des pensées. Les siennes l’obsèdent et l’entraînent vers l’inconnu. Que va-t-il réellement trouver ? Des binocles, un plumier, un costume, un livre inachevé ? Il craint d’être déçu, que toute cette mythologie qu’il s’est bâtie ne s’effondre, aussi insaisissable que les grains de sable glissant inexorablement dans leur cage de verre.
Au fond, tout tient en quelques mots. Dans sa jeunesse, son aïeul a été « photographe de l’empereur ». Niels imagine volontiers Nathanaël dirigeant la prise de vue, cherchant la meilleure lumière, partageant l’intimité du pouvoir et recueillant peut-être, au passage, des confidences inédites. Il a bien essayé de poser mille et une questions, mais les réponses restaient toujours évasives, personne n’ayant la prétention d’être professeur d’histoire, surtout de cette Histoire française si complexe pour des Américains. Après tout, c’était le sort bien souvent réservé aux héros familiers. On savait qu’un oncle était mort au front pendant la Première Guerre mondiale, un autre durant la Seconde. Le bon tonton André a été « tué à l’ennemi » à Verdun. Son frère au chemin des Dames. Ils ne sont jamais revenus. Nathanaël Forestier n’échappait pas à cette litanie sommaire. Photographe de l’empereur, c’était un honneur suffisant pour combler l’orgueil d’une famille.
Niels a dû s’assoupir un instant dans le fauteuil de toile. Le froid l’a réveillé. Les baies vitrées sont restées grandes ouvertes et leurs voilages se plissent légèrement, agités par le vent humide. C’est un grand coefficient et, sans la voir, il sent que la mer s’est rapprochée, s’aventurant jusqu’à la murette de la propriété. Il écoute longuement les sons sourds de sa présence sur la plage endormie. Ce n’est pas le « grondement de l’océan » à proprement parler, mais plutôt un ronflement léger et régulier, presque animal. Cette énergie nourrit son corps et régénère son âme plus qu’il ne saurait le dire. C’est une ressource vitale dont tout son être a hérité, en tout cas se donne-t-il cette explication pour la rechercher autant, comme si elle appartenait à son patrimoine génétique.
La nuit est déjà presque terminée. Les premières drilles d’un rouge-gorge déchirent l’ombre des heures. Son chant jaillit comme une étincelle. Niels se plaît à imaginer l’oiseau, il doit être perché dans le grand pin maritime, ébouriffé par le clair de lune, immobile dans l’air de cristal, le regard vif et le bec dressé, petit musicien écarlate dans son manteau de plume. Bientôt, il partira pour l’Afrique. Ces longues migrations l’ont toujours fasciné, sans doute parce qu’elles rejoignent son goût immodéré pour les destinations lointaines. Longtemps, il a aimé voyager seul pour confronter ses pas à l’immensité du monde.
Aujourd’hui, il sent que l’unique carte de géographie susceptible d’orienter sa vie est celle tracée par ses ancêtres. Son pays intime est délimité par les frontières du passé.
La pénombre se dissipe peu à peu, dévoilant l’Album des villas posé sur la table basse. Au fil des pages écrues de papier bouffant se succèdent les maisons de la famille Forestier. Elles sont, d’après ce qui s’est toujours dit, l’œuvre d’une seule et même personne, l’architecte Camille-Auguste Pellerin, l’ami de toujours de Nathanaël. Niels regarde avec attention ces demeures au charme suranné. Bien qu’imposantes, elles expriment une douceur féminine et une élégance naturelle, sans ostentation. Elles sont à la fois raffinées et discrètes avec leurs volets bleu ciel, jaune pastel ou rouge délavé. La villa Vanille semble être leur sœur aînée… Toutes ces aquarelles sont l’œuvre de l’arrière-grand-mère, artiste peintre à ses heures. De Carmen, Niels sait simplement qu’elle était couturière et qu’elle a rencontré Nathanaël alors qu’elle venait d’avoir dix-neuf ans. Ils étaient tous les deux bien jeunes, à cette époque, l’on se mariait au premier printemps. Ses représentations n’ont qu’une valeur sentimentale mais, tout comme la dernière lettre de l’arrière-grand-père, il est certain qu’elles portent en elles un sens caché. Quelle peut être la signification de cette étrange collection de maisons ?
Le jour se lève. Les engins de nettoyage balaient bruyamment le rivage pour le rendre aux promeneurs qui commencent leurs allées et venues. Un parfum de pain et de croissants chauds se mêle à l’odeur de la marée descendante. Devant le petit portail gris, des inconnus passent en courant, baladent leur chien ou se tiennent la main, d’autres ne quittent pas des yeux les belles demeures avec vue sur la mer, comme s’ils visitaient un musée à ciel ouvert. En observant leurs regards admiratifs, parfois légèrement envieux, Niels se sent presque gêné, comme redevable. Il a de la chance. Il n’a rien fait pour se trouver là, dans cette villégiature aux faux airs de conte de fées, lui qui attache si peu d’importance à l’argent et aux signes extérieurs de richesse. Protégé du vent sous la véranda, il se sert sa boisson préférée, un Earl Grey à la bergamote de La Compagnie Britannique du Thé, et réfléchit à sa journée, excité comme un enfant qui sait qu’un cadeau l’attend. Sa nuit blanche ne l’a pas fatigué, il n’y pense même plus. Ce temps ininterrompu l’aide au contraire à prendre son élan jusqu’à la porte des secrets qu’enfin, il va ouvrir.
Elle se tient à présent devant lui, muette sous ses nuances de vert indien, délicatement écaillée par l’érosion du temps. La porte imposante de l’enfance est devenue une porte banale qui ne laisse présager de rien. Niels tend fébrilement la main jusqu’à la poignée. Un instant suspendu dans le vide, sans témoin, simplement heureux de l’audace qu’il s’accorde. Il tourne lentement la clé, comme si le bruit pouvait déranger quelqu’un ou quelque chose. Ses yeux se posent sur une pièce claire, surpris par cette luminosité, sans doute parce qu’un grenier ne peut se concevoir que dans le noir. Des rais de lumière, dispensés par deux fenêtres de toit, révèlent la poussière dansant comme des flocons de craie. Un grand bureau lui fait face, au centre de l’espace, avec son plumier en porcelaine blanche, turquoise et dorée. C’est un bureau en bois exotique, sombre, couvert de grandes piles de papiers ficelés. Tout autour, une bibliothèque débordante de livres plus ou moins bien rangés, remplie d’objets de toutes sortes. Dans une petite armoire vitrée, des insectes épinglés dans des boîtes translucides, des coquillages, des minéraux, et alignées contre un mur, une montagne de liasses de journaux et de cartes de géographie. À bien y réfléchir, le lieu n’est pas vraiment un grenier. Il ressemble davantage à une mansarde, à un repaire abandonné. On dirait que rien n’a changé depuis le départ de son occupant. Il semblerait même que ce dernier se soit simplement absenté.
Niels se détend, l’endroit est paisible et rassurant mais, un peu intimidé, il se demande par où commencer l’exploration du labyrinthe, ce sanctuaire foisonnant qui dépasse de loin ses espérances. Où donc se trouve la chambre photographique ? Bien souvent, il a imaginé cet appareil antique, comme s’il devait toujours accompagner son arrière-grand-père, mais il a beau scruter le grenier, rien ne lui saute aux yeux. Cette pièce à conviction lui manque brusquement, comme si elle lui avait été volée. Il s’attarde alors sur toute une série de petits cadres représentant Carmen, à tous les âges. Son arrière-grand-mère. On la devine vive, combative. C’est une petite brune aux yeux noirs pétillants. Nathanaël a exposé toutes ces photos sur son bureau pour ne jamais la perdre de vue. En tout cas, c’est ainsi que Niels se représente la scène, interprétant cette douce présence comme l’expression évidente d’un grand amour. Il s’approche de la longue bibliothèque chargée de livres, mais c’est une pile de vieux cahiers qui attise sa curiosité. Chacun semble porter le nom d’une escale. Paris, Tarbes, Saint-Sauveur, Lourdes, Biarritz, Anglet, Bordeaux, Arcachon, Le Cap Ferret, Soulac, New York, Philadelphie… Avec précaution, il ouvre le cahier du dessus, comme si une myriade de papillons allait s’en échapper. Entre les pages dorment des photographies et des fleurs séchées. Et lorsqu’il reconnaît l’écriture régulière de son arrière-grand-père, Niels Forestier sent son cœur se serrer…
Cahier n° 1
Paris, 17 août 1859
Que serais-je devenu si je n’étais pas parti ? Pendant des années, la question est venue visiter mon âme, si tant est qu’une réponse sensée puisse exister. Je me revois encore, errant seul dans la gare d’Austerlitz, cherchant mon wagon avec l’air désespéré du condamné. Brusquement, mon regard s’était posé sur lui beaucoup plus vite que je ne l’aurais voulu. L’empereur se tenait là, immobile au bout du quai, l’air vaguement absent, les yeux éteints et fixes comme ceux d’un poisson mort. Je reconnus aussitôt sa morne silhouette, fidèle aux caricatures des journaux clandestins. Jamais je ne l’avais autant détesté. Dans un instant, Sa Majesté allait monter dans le train, ce train impérial ridicule, et je devrais le suivre docilement, en me mêlant à la foule stupide des courtisans. Ma colère frappait contre mes tempes. J’étais au bord du malaise, à l’étroit dans mon costume sombre, encombré par deux malles de cuir qui m’étiraient les bras. Je me délestai un instant de mes bagages pour reprendre mon souffle et m’essuyer le front. On sentait l’orage monter comme une fièvre. Les voyageurs marchaient, discutaient, se croisaient, tout n’était que rumeur sourde et empressement. Seule l’innocence d’une mésange, survolant à tire-d’aile ce flot humain, m’offrit un bref moment d’évasion. Elle me parut amicale, fièrement indifférente à ce beau monde qui, tout à son agitation mondaine, se croyait bien au-dessus du commun des mortels. J’observais ce décor dérisoire avec une lassitude qui me fixait au sol. Il avait fière allure, le Second Empire, cette imposture jetée à la tête du peuple français. Ce matin-là, il se permettait aussi de briser ma vie.
Un grand gaillard coiffé d’une casquette me bouscula sans même y prêter garde. D’autres me frôlèrent comme si j’étais invisible. Un homme, surgi de nulle part, se pencha pour m’accoster, avec la condescendance des sous-fifres qu’une seule goutte de pouvoir suffit à enivrer. Son profil de corbeau allait fort bien avec le buste long et anguleux qui peinait à cacher son squelette. Il se présenta comme le chef du protocole, ou quelque chose comme ça, et m’indiqua ma place après avoir vérifié mon identité : Nathanaël Forestier, photographe de l’Atelier Gustave de Cévenol. L’énoncé de cette simple phrase m’étrangla. Je revêtais officiellement le rôle, je n’avais plus d’échappatoire. Bientôt, mes pieds allaient quitter le quai, me conduire jusqu’à ma place et je ne pourrais plus revenir en arrière. De sa main pointue, le chefaillon me désigna trois marches dont l’ascension me parut une éternité. Je les gravis comme on monte à l’échafaud, avec une sorte d’absence, entravé par le trépied en bois de ma chambre photographique. Je trébuchai, prenant l’air concentré de ceux qui savent où ils vont. J’aurais voulu disparaître dans l’instant. Que cette séquence ne soit qu’un cauchemar. Le chef du protocole me conseilla, avec un petit rictus, de glisser mes bagages sous la banquette, en les renversant. Ce qui était, en raison du volume, aussi impossible qu’absurde. Je m’y opposai vigoureusement, indiquant que je transportais du matériel fragile mais aussi des produits chimiques dangereux, et qu’il n’était pas question de les bousculer. J’eus l’autorisation de laisser mes malles à portée de vue et m’assis en remerciant d’un bref signe de tête. Ce réflexe pour protéger mon barda m’étonna moi-même, mais ces soudaines précautions semblèrent impressionner mon entourage. Une vieille dame derrière ses lorgnons, un ogre ventripotent tenant un fume-cigare et un jeune rouquin aux fines moustaches m’observaient en silence. Détournant le regard, je fis mine d’être vivement intéressé par ce qui se passait au-dehors, me trouvant par chance du côté de la fenêtre.
— Nous approchons de huit heures. Si tout va bien, nous partirons dans quarante minutes exactement, dans le sillage du train impérial, lança le rouquin avec une pointe d’accent qui distillait un semblant de sympathie.
Les deux autres approuvèrent d’un mot, avec une bienveillance polie. Ils n’avaient pas l’air méchants et attendaient manifestement que je fasse entendre le son de ma voix, comme pour attester de ma nature humaine. J’inspirai pour extirper une réplique de mon gosier.
— Je crois que nous allons avoir la pluie, susurrai-je l’air gêné, la gorge nouée, sur un ton courtois, mais suffisamment ferme pour mettre d’emblée un point final à la conversation.
J’étais incapable d’en dire davantage, mais cette complainte suffit à me faire entrer dans le comité des voyageurs. La vieille dame était espagnole, l’ogre suisse et le rouquin anglais, comme il se doit. Le fait qu’ils ne maîtrisent pas bien le français me soulagea, non seulement pour me préserver de leur curiosité mais surtout parce qu’en
