Ligne de vie: Entre La Hague et La Chabanne
Par Didier Fischer
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Didier Fischer a toujours choisi de suivre les sentiers sinueux du souvenir. Inspiré par les paysages de mer et de montagne, il est passionné par ces recoins du monde où, même si la paix semble hors de portée, on ressort profondément transformé. Depuis son enfance, l’écriture a été pour lui un moyen d’apporter du sens aux rêves qui l’occupent.
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Aperçu du livre
Ligne de vie - Didier Fischer
Du même auteur
L’histoire des étudiants en France, Paris, Flammarion, 2000 ;
Le mythe Pétain, Paris, Flammarion, 2002 ;
L’homme providentiel. Un mythe politique en République de Thiers à de Gaulle, L’Harmattan, 2009 ;
La Fondation Santé des Étudiants de France. Au service des jeunes malades depuis 1923 (en collaboration avec Robi Morder), Paris, Édition Un, deux… quatre, 2010 ;
Peut-on sauver l’école de la République ? Paris, Ellipses, 2011 ;
Louis Bascan ou la République au cœur (1868-1944), Paris, L’Harmattan, 2014 ;
L’Union nationale : du refus démocratique à la quête d’un idéal républicain, Paris, Edilivre, 2018 ;
Léon Blum, Paris, Ellipses, 2020 ;
Le Tour de France. Une saga populaire, Paris, Vérone éditions, 2023.
Que j’aimerais qu’on s’accepte tel qu’on est, qu’on serve les fatalités de sa nature avec intelligence : il n’y a pas d’autre génie.
Julien Gracq, Un beau ténébreux
Prologue
De mon bureau, je surveille les nuages et observe sans jamais me lasser les sommets environnants. Ce matin, le ciel est sombre. Une petite pluie fine tombe par intermittence. L’été se fait attendre à La Chabanne. En ce début du mois d’août, les prairies sont étonnamment vertes et les prévisions météorologiques n’annoncent aucune amélioration dans les prochains jours. Le soleil s’est retiré sur son Aventin nous laissant seuls face aux perturbations météorologiques. Il faudra bien en prendre son parti. Après tout, mes vacances sont studieuses. Elles l’ont d’ailleurs toujours été depuis les années 1990 où j’avais décidé d’entreprendre une thèse. Je n’ai dès lors jamais cessé d’écrire. J’ai besoin de ces longues matinées de calme, seul dans mon antre, mais face à la montagne, pour ordonner mes idées et faire naître mes livres.
Je m’attelle aujourd’hui à une entreprise un peu différente de toutes celles que j’aie pu mener ces derniers temps où l’autobiographie en constituerait le ressort ! Des mémoires ? Oui et non ! Des mémoires où je ne serai pas le personnage principal, mais où deux lieux que j’affectionne le plus au monde joueraient ce rôle et viendraient souligner l’unité d’une vie. Deux lieux éloignés de près de huit cents kilomètres, qui a priori n’ont rien à voir l’un avec l’autre, sinon de s’être un jour imposés dans mon existence : La Hague et La Chabanne, la mer et la montagne. Il ne s’agit évidemment pas de n’importe quelle mer ni de n’importe quelle montagne !
La première se distingue par ces tempêtes redoutables et ces histoires dramatiques de marins qui jamais ne revinrent au port ou de naufrageurs pillant les coques éventrées de navires échoués dont les capitaines avaient été abusés par des feux allumés sur la lande. Certains s’en saisirent pour écrire des romans, d’autres les ignorèrent au profit d’une œuvre poétique. Mais tous aimaient ce coin de terre rugueuse où le vent et la pluie donnent parfois dans l’excès. Tandis que la seconde offre à la contemplation, de la Rivière noire à La Loge des Gardes, ses formes douces et arrondies se découpant par vagues successives sur l’horizon. Couvertes de sapins et de hêtres, elles recèlent les vestiges d’une civilisation oubliée : celle d’une France qui n’en finit pas de disparaître. L’hiver, la neige, de son épais manteau, assourdit les bruits d’une nature assoupie. Seul, le silence impose alors son obsédante présence.
Je ne sais pas si un paysage permet de cerner une personnalité tant il est avant tout une création collective. Ne témoigne-t-il pas plus sûrement de l’existence et de l’évolution d’une société, voire d’une civilisation ? Dans ce cas particulier, que peut nous dire l’extérieur de l’intérieur ? N’est-il pas difficile de nier qu’il puisse exister un lien entre un parcours de vie et le milieu dans lequel il s’effectue ? À moins que l’intérêt porté à un lieu ne soit que le produit d’une construction sentimentale. André Malraux, dans Les chênes qu’on abat n’avait-il pas associé la figure du général de Gaulle à cette plaine qui s’étendait au-delà des fenêtres du bureau où il s’entretenait avec son grand homme ?
Il n’a jamais été question pour moi de choisir entre ces deux régions : le Cotentin et la montagne bourbonnaise. Comme un Clemenceau pour qui la Révolution était un bloc, La Hague et La Chabanne ne font qu’un et constituent, par-delà leur diversité, l’unité d’une vie, mieux peut-être : ma ligne de vie. Aujourd’hui, elles sont cet ancrage qui me permet d’appréhender sereinement le temps qui passe et qui me donne au moins deux raisons, alors que l’automne est là, de continuer à croire au printemps.
La Hague : une première fois
La Hague est un de ces bouts du monde dont on revient à jamais transformé. Balayée par les tempêtes, décorée par les embruns, cette terre, que le quidam jugerait inhospitalière, vous retient dès la première visite et finit par hanter le reste de votre vie. Il n’est pas indispensable de lire le très beau roman de Didier Decoin, Les trois vies de Babe Ozouf ou celui de Claudie Gallay, Les déferlantes, pour tomber dans la dépendance de ses paysages et ressentir cette addiction au vent et au grand large. D’ailleurs, ces auteurs ne les avaient pas encore écrits, quand pour la première fois, je parcourus cette route des Caps au nord-ouest de Cherbourg. Dès que s’élève la chaussée au-delà d’Urville-Nacqueville, ce défilé de villages aux maisons de pierres serrées les unes contre les autres et de falaises rocheuses plongeant dans la mer ne cesse d’étonner par ce concentré d’émotion qu’il procure. La route est étroite, sinueuse par endroit, et donne à la fois des vues sur l’immensité liquide et le bocage. Si, à l’approche du cap de La Hague, les haies vives cèdent la place à des murets de pierres sèches dans la plus pure tradition irlandaise, l’impression reste néanmoins celle d’une nature exubérante que l’homme contient avec difficulté. Les petites maisons agglomérées et tassées les unes contre les autres semblent se protéger des dangers venant de la terre et de la mer. Certaines, quand ce n’est pas un village entier, se sont réfugiées au fond d’étroits vallons pour échapper au sort maléfique qui leur était promis. La Hague alors, si humaine et si sauvage à la fois, devient ce havre de vie où tout est possible.
Port Racine, la baie d’Ecalgrain, Goury et son phare, le nez de Jobourg, Vauville, sa mare et son ensemble dunaire, ne sont pas seulement des destinations touristiques. Ces lieux rappellent d’abord au randonneur que leur existence ne tient pas à un quelconque signalement dans un guide de voyage, mais bien à une histoire géologique et humaine qui a défié le temps. Leur découverte relève alors presque toujours d’un parcours de vie. J’y suis allé, au hasard d’une rencontre amoureuse : celle d’une jeune fille blonde et romantique, Dominique, dont j’avais fait la connaissance lors d’un camp de jeunes organisé par l’aumônerie du lycée que nous fréquentions. Le ciel bleu, légèrement voilé, permettait d’apprécier malgré tout une belle journée d’été. Il n’y avait pas d’écume sur le raz Blanchard et au loin passait un groupe de dauphins. Nous étions au mois de juillet 1976. La canicule sévissait dans le nord de la France. Pour venir en aide aux agriculteurs qui allaient perdre une part non négligeable de leur récolte, l’idée d’un impôt sécheresse était en débat au sein du gouvernement. Sur la plage d’Ecalgrain, il faisait presque frais quand je plongeai dans les vagues. L’eau froide me saisit, mais très vite mon corps s’y habitua et je nageais vers le large laissant derrière moi les autres baigneurs moins téméraires. Les rayons du soleil se reflétaient sur la surface liquide qui, à une centaine de mètres du rivage, avait abandonné toute velléité à faire obstacle à ma progression. Au contraire, telle l’étrave d’un navire, je fendais sans peine la masse d’eau. À croire que les courants dont on m’avait parlé, si dangereux et terrifiants, faisaient une pause le temps d’un premier bain.
À part le choc émotionnel inévitable que procure l’arrivée sur la baie d’Ecalgrain, il me reste de cette première escapade dans La Hague le souvenir de notre passage près d’un petit hôtel-restaurant dominant la mer, au lieu-dit Landemer, dans la commune d’Urville-Nacqueville. Il est le départ d’un de ces chemins douaniers qui longent le littoral et qui sont empruntés aujourd’hui par les adeptes de la randonnée. Jusqu’au début du XXe siècle, ils permettaient de surveiller les contrebandiers. Les légendes locales sont emplies de ces naufrageurs qui allumaient des feux sur la lande afin de tromper les équipages et provoquer l’échouage du navire. Ils n’avaient alors plus qu’à piller la cargaison de l’épave. Longtemps, je me suis dit qu’il faudrait que je vienne y séjourner sans savoir d’ailleurs qu’il avait attiré de grands noms de la littérature et des arts français. Boris Vian, Jacques Prévert, Françoise Sagan, Colette, Jean Cocteau, mais aussi Edith Piaf et Marcel Cerdan, jusqu’à Claude Monet, y laissèrent leurs empreintes. S’ils n’y ont pas tous dormi, au moins y ont-ils sûrement déjeuné d’un homard fraîchement pêché et d’une tarte aux pommes nappée d’une belle crème normande en dessert. C’est près de quarante ans plus tard, que je réalisais mon rêve. Le Landemer s’était profondément modernisé. L’ancien propriétaire avait cédé son affaire. Les nouveaux acquéreurs ont su tirer parti du site exceptionnel. Grâce à une réhabilitation-restructuration de qualité, ils offrent ainsi à leurs hôtes des moments inoubliables suspendus entre terre et mer. En 1976, nous n’en étions pas encore là. Pas de grandes baies vitrées dans la salle du restaurant, juste quelques fenêtres par lesquelles on pouvait probablement voir les vagues déferler sur la côte et deviner dans le lointain la célèbre rade de Cherbourg dotée de ses forts dont les premiers furent édifiés par Vauban en 1686. Si l’ancien corps de ferme avait un charme fou, il devait pour l’essentiel son succès à sa situation unique : il était à la fois une porte sur La Hague et une vigie sur l’océan.
Le souvenir de ce premier séjour s’apparente au sentiment d’avoir entrepris un voyage initiatique. Je n’avais pas vingt ans. Je découvrais un nouveau monde. Je sentais bien qu’il se passait entre La Hague et moi, comme une rencontre amoureuse. Un coup de foudre, suivi d’une première fois, où l’émotion vous fait chavirer et perdre la maîtrise de vos sens. Tout semblait tellement me correspondre, que cela en était troublant. Je n’avais jamais éprouvé cette sensation pour aucune autre région en France ou à l’étranger. Seule, peut-être la Corse, que nous avions parcourue en partie à pied avec Christian, un de mes meilleurs amis, et un groupe d’adolescents, deux ans plus tôt, avait suscité en moi une émotion s’y rapprochant. Je m’étais promis d’y revenir. Je n’y revins jamais. La Hague avait pris une place de choix dans mon cœur. Nous allions devenir de vieux amants dont les retrouvailles ravivent la flamme à l’identique et font oublier les amours passagères. S’il m’arrivait de m’éloigner d’elle, jamais je ne lui fus infidèle même si je lui fis des infidélités. En revanche, je ne lui aurai pas présenté n’importe lequel de mes amis ou de mes amours. Il fallait que l’amitié ou l’amour fût solide et ne vînt pas entacher la relation privilégiée que j’entretenais avec ce « Finistère » normand.
De l’arsenal de Cherbourg à l’usine de retraitement
Pendant de très nombreuses années, toutes les routes que j’empruntais conduisaient à ce bout de terre battu par les vents. À moto, et par la suite dans de vieilles voitures, toujours à la limite de rendre l’âme, je parcourais les 370 kilomètres qui m’en séparaient. Il était long ce voyage, mais je savais que c’était le prix pour atteindre le Graal. Je logeais à l’époque chez la grand-mère de Dominique à Tourlaville dans la banlieue de Cherbourg. Elle nous accueillait toujours avec cette joie des gens simples pour qui l’hospitalité est un devoir, à plus forte raison lorsqu’il s’agissait d’héberger ses petits-enfants. Son mari était décédé quelques années plus tôt. Nos passages réguliers venaient rompre sa solitude et amenaient un peu de mouvement dans la maison. La visite aussi d’un frère qui vivait à proximité lui procurait un petit complément de vie sociale. Le confort était réduit au minimum avec un cabinet de toilette sans douche et les WC au fond du jardin. Le soir, il fallait se munir d’une lampe de poche pour les atteindre. Mais peu importe, on y était bien dans cette petite maison. Tourlaville était une cité ouvrière dont une part non négligeable des hommes travaillaient à l’arsenal du port militaire. C’est Louis XVI, désireux dans le contexte de la guerre d’indépendance des États-Unis, de disposer d’un port militaire sur la manche, comparable à celui de Brest sur l’Atlantique, qui décida l’édification d’un grand port militaire dans le Cotentin. Après étude, la rade de Cherbourg est préférée à celle de La Hougue. Dès lors, il fallait transformer un port d’échouage en un port en eau profonde. Les travaux débutèrent dans les années 1780, mais furent freinés, puis arrêtés par la Révolution française. Ils reprennent en 1803, à la demande du premier consul Napoléon Bonaparte avec pour objectif l’invasion de l’Angleterre. En 1813, la digue du large, qui fait de la rade de Cherbourg la plus grande rade artificielle au monde, est achevée. Il faudra attendre encore une quarantaine d’années pour que soient creusés les différents bassins. L’Angleterre ne fut jamais envahie, mais Cherbourg était devenu un des plus grands ports français. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, un pôle militaire et ouvrier est-il constitué dans un Cotentin essentiellement rural. La greffe a pris et ce sont plus de 4000 ouvriers qui, jusqu’aux années 1970, fréquentent chaque jour l’arsenal protégé par d’imposantes murailles. Le long de l’une d’entre elles existe un vaste bâtiment qui renferme l’atelier des forges, des martinets et une fonderie considérable. Les ateliers, les cales de construction et les différents bassins sont ainsi dissimulés à la vue des curieux. C’est une ville dans la ville qui s’active la journée et qui le soir venu, quand retentit la sirène annonçant la fin du travail, livre à la liberté retrouvée un flot d’ouvriers regagnant leur domicile à vélo ou à mobylette.
Dans les années soixante, l’arsenal de Cherbourg s’est spécialisé dans la fabrication des sous-marins. Ceux-ci sont à propulsion nucléaire pour la France, à l’image du Triomphant ou du Suffren, ou à propulsion diesel-électrique pour l’exportation. Face à la baisse des besoins, la Marine a, depuis les années 2000, ouvert l’enceinte de l’arsenal au secteur privé. Elle loue 50 000 m² de terrain à deux entreprises : le centre de gestion sécurisé d’Euriware (100 salariés) et les chantiers navals Ican (170 salariés), spécialisés dans la construction des bateaux de service. De Cherbourg, à la fin des années soixante-dix, je ne fréquentais que les cafés sur le port où le soir, dans une épaisse fumée âcre, nous refaisions le monde. Il était alors beaucoup question de l’extension de l’usine de retraitement de La Hague. Les milieux écologistes de l’époque
