Les Cendres Du Takbir
Par Toufik Chaibat
5/5
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À propos de ce livre électronique
Que feriez-vous si on vous offrait un trône en échange d'un seul meurtre ?
Pour Nassim Haddad, historien humilié par un monde qui le nie, la promesse est trop belle. Il accepte le pacte d'Abou Omar, un maître manipulateur qui vend des empires et non la foi. Mais la pierre qui devait bâtir son avenir devient celle de sa tombe.
Devenu un fantôme traqué, il n'a plus qu'une arme : la vérité sur l'architecte du mal. Dans sa guerre de l'ombre, une journaliste hantée par ses propres démons devient sa seule alliée. Mais dans ce jeu où les espions et les terroristes convoitent son histoire, la vérité est-elle une arme de rédemption, ou le prix de son ultime sacrifice ?
Plongez dans un thriller psychologique implacable sur la fabrication d'un monstre et l'impossible chemin pour redevenir un homme.
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Avis sur Les Cendres Du Takbir
4 notations4 avis
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5
Aug 21, 2025
Wesh khey, j'viens de fermer ton livre, et wallah, c'est une claque. Une vraie.
Ton personnage, Nassim, je le connais. C'est pas un personnage de roman, c'est le pote avec qui j'ai grandi, c'est mon cousin, c'est un peu moi. La scène de l'entretien d'embauche, la hagra polie qu'il se prend en pleine gueule alors qu'il a tout bien fait, le "vous êtes fascinant"... Miskine, ça te met un seum qui peut te dévorer l'âme.
Et c'est ça le truc, le point le plus important de ton bouquin : des Nassim, y'en a des centaines dans nos quartiers. Des mecs brillants, diplômés, qui ont joué le jeu à fond, mais qui se retrouvent bloqués, invisibles. Ils connaissent la hess, pas seulement celle de l'argent, mais celle du regard des autres, le sentiment de n'être qu'une "belle anomalie".
Et c'est sur cette blessure-là, sur cette rage silencieuse, que les vendeurs de cauchemars comme ton Abou Omar font leur business. Ils n'arrivent pas avec la religion en premier, ils arrivent avec la dignité. Ils te disent : "Viens, khey, ici on ne te regardera plus de haut. Ici, tu seras un lion."
Merci d'avoir mis des mots sur ce silence. C'est plus qu'un thriller, c'est un miroir. Et, wallah, il fait mal.1 personne a trouvé cela utile
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5
Aug 21, 2025
J'ai grave accroché avec le personnage de Nassim. C'est pas le genre de héros tout lisse, au contraire, il est bien complexe et on sent qu'il est un peu paumé au milieu de tout ce qui lui arrive. J'ai trouvé ça super intéressant de suivre son évolution, de voir ses doutes et les choix, parfois difficiles, qu'il doit faire. Son histoire m'a vraiment touché, c'est le genre de personnage qui te reste en tête même après avoir fermé le livre. On se prend vraiment d'affection pour lui et on vit ses galères à fond. C'est clair que c'est lui qui porte une bonne partie de l'émotion du roman.1 personne a trouvé cela utile
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5
Aug 20, 2025
Excellent livre.J'ai beaucoup aimé.Les personnages sont vraiment touchants y compris Abou Omar.
Je vous le conseille vivement.1 personne a trouvé cela utile
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5
Aug 19, 2025
Franchement, j'ai adorer ce livre. C'est pas mon genre d'habitude mais l'histoire de Nassim, le personnage principale, elle te prend aux tripes. On comprend sa colere et pourquoi il bascule. C'est un truc de dingue, ca se lit super vite comme un film.
Perso, ca ma vraiment retourné le cerveau. Les personnage sont tellement vrais, même les méchants. C'est ouf. Liser-le, c'est une vrai claque.2 personnes ont trouvé cela utile
Aperçu du livre
Les Cendres Du Takbir - Toufik Chaibat
Table des Matières
PROLOGUE : LA PIERRE ET LE SANG
CHAPITRE 1 : L'AUTOPSIE D'UNE CHUTE
CHAPITRE 2 : LA TOMBE ET LE CLAVIER
CHAPITRE 3 : LA NUIT DU CHACAL
CHAPITRE 4 : LA PORTE DANS LE MONDE
CHAPITRE 5 : LA DANSE SUR LE PARVIS
CHAPITRE 6 : LA CICATRICE ET L'ÉCHO
CHAPITRE 7 : LE VENIN DANS L'OREILLE
CHAPITRE 8 : LA PARTIE SILENCIEUSE
CHAPITRE 9 : LE FIL DE LA MÉMOIRE
CHAPITRE 10 : L'ODEUR DU PASSÉ
CHAPITRE 11 : LA BRÛLURE DU MONDE RÉEL
CHAPITRE 12 : LA GÉOGRAPHIE DE LA PEUR
CHAPITRE 13 : LE BAPTÊME DE SEL
CHAPITRE 14 : LE PROCÈS DE L'ANGE (Partie 1)
CHAPITRE 15 : LA VÉRITÉ COMME MONNAIE
CHAPITRE 16 : LE MARKETING DU VIDE
CHAPITRE 17 : LES LIENS DU SANG
CHAPITRE 18 : LE CALIFAT NUMÉRIQUE
CHAPITRE 19 : LE BRUIT ET LA FUREUR
CHAPITRE 20 : L'INCENDIE
CHAPITRE 21 : LE PROCÈS DE L'ANGE (Partie 2)
CHAPITRE 22 : L'ÉPREUVE DU MIROIR
ÉPILOGUE : LA PLUME ET LA PIERRE
Nassim Haddad, jeune historien franco-syrien brillant mais marginalisé, voit ses espoirs brisés par le plafond de verre de la société française. Humilié et en quête de sens, il devient la proie idéale pour Abou Omar, l'Architecte du djihad
, un maître manipulateur qui ne vend pas la foi, mais la promesse d'une revanche et d'un rôle historique. Séduit par la perspective de devenir le bâtisseur
d'une nouvelle Histoire, Nassim plonge au cœur des ténèbres en Syrie, au sein de l'État Islamique. Son voyage initiatique culmine dans la violence la plus brute : un meurtre commis de sang-froid dans une cave de Mossoul, un acte qui anéantit ses illusions et le force à fuir.
Devenu un fantôme traqué dans les ruelles d'Istanbul, Nassim n'a plus qu'une seule obsession : non plus de bâtir un empire, mais de démanteler méthodiquement celui de son ancien mentor. Pour transformer sa mémoire en arme, il contacte Léa Delorme, une journaliste française elle-même hantée par une tragédie personnelle similaire. Ensemble, ils nouent un pacte dangereux et s'engagent dans une guerre clandestine menée par e-mails cryptés, traquant les réseaux financiers et les cellules dormantes d'Abou Omar à travers l'Europe. Mais leur quête de vérité les place dans la ligne de mire non seulement des terroristes, mais aussi des services de renseignement qui cherchent à contrôler son témoignage et à transformer sa vérité en une monnaie d'échange.
Des quais d'Istanbul aux côtes grecques lors d'une traversée périlleuse, jusqu'aux salles d'interrogatoire aseptisées d'Athènes et au box des accusés du Palais de Justice de Paris, le combat de Nassim se métamorphose. Confronté à une tentative d'assassinat retransmise en direct qui secoue le monde, son histoire devient une affaire d'État. Son procès n'est plus seulement celui d'un meurtrier, mais celui d'un système qui fabrique des monstres en murmurant à l'oreille des enfants perdus qu'ils peuvent devenir des anges.
Les Cendres Du Takbir est une plongée vertigineuse dans la psychologie de la radicalisation et l'autopsie clinique d'une manipulation. C'est l'histoire d'une guerre de l'ombre où la plus grande bataille se livre pour la reconstruction d'une âme, pierre par pierre, contre le néant.
PROLOGUE : LA PIERRE ET LE SANG
La cave de Mossoul ne sentait pas la mort. Pas encore. Elle sentait la terre humide, la peur ancestrale des hommes enfermés sous le poids du monde. Une odeur de racines et de sueur froide, épaisse, presque solide dans l’air immobile. La lumière ne venait que d’une seule ampoule nue, suspendue au bout de son fil comme un œil jaune et malade, un dieu indifférent qui projetait nos ombres démesurées sur les murs de parpaings nus. Trois ombres. Celle d’Abou Omar, assise sur une caisse de munitions vide, compacte, immobile. Celle du paysan, agenouillé, une silhouette brisée qui semblait déjà se dissoudre dans le sol. Et la mienne, debout, vacillante, tenant le pistolet. Mon ombre était la plus grande, une créature longiligne et monstrueuse dont le bras armé se prolongeait jusqu’au plafond. Un mensonge de la lumière.
Abou Omar n'avait pas élevé la voix. Il ne le faisait jamais. Les cris étaient pour les faibles, pour ceux qui avaient besoin de volume pour masquer le vide de leur autorité. Lui, il possédait le silence. Il le maniait comme une arme, l'étirait jusqu'à ce que les nerfs de son interlocuteur se tendent au point de rupture. Depuis une heure, il disséquait le paysan avec des questions douces, presque professorales. Il ne l’interrogeait pas sur des caches d’armes ou des contacts ennemis. Il l’interrogeait sur sa vie. Le nom de ses enfants. Le prix des semences cette saison-là. La qualité de la dernière récolte de tomates. Chaque question était une caresse de serpent, une façon de dire : « Je connais tout de toi. Ton existence m’appartient, jusqu’au moindre détail trivial. Je peux la prendre, ou te la laisser. » C’était cela, la vivisection psychologique. Son art.
L’homme s’appelait Fahd. Il n’était pas un espion. Il était un paysan qui avait vendu de l’eau à un convoi de l’armée irakienne. Un crime de survie. Mais pour Abou Omar, il était un matériau pédagogique. Et j’étais l’élève.
« Sais-tu pourquoi tu es là, mon frère ? » me demanda-t-il soudain, sans même regarder Fahd qui sanglotait doucement. Sa voix était calme, posée. Le ton d’un tuteur s’adressant à son disciple le plus prometteur.
Je ne répondis pas. Le poids du Makarov dans ma main était obscène. Un objet froid, dense, dont la seule fonction était de percer la chaleur de la vie. Je l’avais étudié, comme tout le reste. Sa mécanique, sa balistique. Un outil. Aujourd’hui, je découvrais son âme. Et elle était glaciale.
« Tu es ici parce que tu es un historien », continua-t-il. « L’Histoire, la vraie, n’est pas faite de concepts, mais d’actes. Elle ne s’écrit pas avec de l’encre, mais avec du sang. Tous les empires, de Rome à Washington, se sont fondés sur une violence originelle. Un acte qui sépare l’avant de l’après. Un Rubicon qu’il faut franchir. »
Il se leva. Lentement. Il s’approcha de Fahd, posa une main sur l’épaule de l’homme tremblant. Un geste presque tendre.
« Cet homme », dit-il en me regardant par-dessus la tête du condamné, « n’est rien. Une feuille dans le vent. Une note de bas de page. Mais sa mort, par ta main, peut devenir quelque chose. Elle peut devenir la première pierre d’un édifice. Ton édifice. La preuve que tu as cessé d’être un observateur, un rat de bibliothèque qui analyse le monde, pour devenir un bâtisseur. Un lion qui le façonne. »
Ses yeux noirs me fixaient, ne me quittaient pas. C’était le moment du test. Le moment que je redoutais depuis des mois. Je sentais la bile me monter à la gorge. Un goût de cendre. Le goût de ma propre âme qui se consumait. Je regardai Fahd. Il avait relevé la tête. Ses yeux, dilatés par la terreur, ne me regardaient pas comme un bourreau. Ils me suppliaient. « J’ai des enfants », murmura-t-il en arabe dialectal, les mots se brisant contre ses lèvres sèches. « Pitié... »
Comme j’ai cru que tu me comprenais.
La voix de Karim, surgie des profondeurs de ma mémoire. Froide, accusatrice. Le visage du paysan se superposa un instant à celui de mon ami, pleurant en silence devant un écran de télévision à Istanbul, l’agneau terrifié devant l’abattoir.
« La pitié est une invention des faibles pour se protéger des forts », dit Abou Omar, comme s’il lisait dans mes pensées. « C’est un luxe d’un monde qui s’effondre. Nous n’avons pas ce luxe. Nous avons la nécessité. Et la nécessité, aujourd’hui, c’est de savoir si tu es un lion ou un agneau. »
Il n’y avait pas d’ordre. Il n’y en avait pas besoin. Son silence était la question la plus assourdissante que j’aie jamais entendue. Tout mon être hurlait. L’enfant qui lisait l’Histoire à la lueur d’une lampe de chevet à Argenteuil. L’étudiant qui croyait en la force des idées. L’homme qui, malgré tout, s’accrochait encore à un reste d’humanité. Mais une autre voix, plus puissante, plus perverse, parlait en moi. La voix de l’orgueil. La voix de l’intellectuel humilié qui avait enfin trouvé quelqu’un qui reconnaissait sa valeur. La voix qui me disait que si je reculais, si je refusais, je ne serais plus rien. Je redeviendrais le rat dans le labyrinthe. J’avais plus peur du regard d’Abou Omar que de celui de Dieu. Plus peur de le décevoir, lui, le berger, que de laisser la bête en moi dévorer l’agneau.
Je levai le pistolet. Mes mains ne tremblaient pas. C’est ce qui me terrifia le plus. Une sorte de calme glacial m’avait envahi, la lucidité terrible du condamné qui accepte sa sentence. Je n’étais plus un être humain. J’étais une fonction. Un outil. La main qui allait poser la première pierre.
Je fermai les yeux. Je vis le visage de ma mère, son dos tourné, le bruit du couvercle sur la cocotte. Assez.
Je pressai la détente.
Le son, dans l’espace confiné, ne fut pas un coup de tonnerre. Ce fut un bruit sec, métallique, presque décevant. Un CLANG, comme celui du couvercle de fonte. Un son qui mettait fin à une conversation. Un point final. J’ouvris les yeux. Fahd s’était effondré sur le côté, comme une marionnette dont on a coupé les fils. Il n’y avait pas de noblesse. Pas de tragédie. Juste un corps qui se vidait sur la terre battue. Une tache sombre qui grandissait. L’Histoire.
Je restai là, le bras tendu, l’arme fumante, le silence assourdissant seulement percé par le bourdonnement de l’ampoule. Je ne sentais rien. Ni triomphe, ni remords. Un vide. Un vide absolu, comme si la balle n’avait pas seulement tué cet homme, mais qu’elle avait aussi traversé mon âme pour y laisser un trou béant.
Puis le goût monta. Un mélange de bile et de poudre, de honte et de cordite. Je me pliai en deux, secoué par un haut-le-cœur si violent qu'il sembla vouloir m'arracher l'âme. Mais ma gorge ne livra qu'un son rauque, un bruit de vide. Ce n'était pas une purge. C'était une déchirure, la convulsion de ma propre humanité qui venait d'être anéantie.
Abou Omar s’approcha. Il ne me regarda pas avec dégoût, mais avec une sorte de satisfaction clinique. Il me prit le pistolet des mains, avec la douceur d’un médecin retirant un instrument chirurgical.
« Maintenant, tu es un bâtisseur », dit-il. « La première pierre est toujours la plus difficile à poser. Le reste n’est qu’une question de méthode. »
Il me laissa là, dans la cave, avec le corps et le silence. Il remonta, et je l’entendis refermer la lourde porte de bois, le bruit du verrou glissant dans son logement. J’étais seul. Seul avec l’écho de ce son sec, seul avec cette odeur de terre et de sang, seul avec le fait brut et irrévocable de ce que j’étais devenu. J’avais passé le Rubicon. Mais de l’autre côté, il n’y avait pas Rome. Il n’y avait que des ruines. Les miennes.
Je suis resté des heures dans cette cave. Le temps n’existait plus. L’ampoule a fini par grésiller et s’éteindre, me plongeant dans une obscurité aussi totale que celle qui avait envahi mon esprit. J’étais assis contre le mur, le corps de Fahd à quelques mètres, une présence froide qui me rappelait chaque seconde que le monde avait changé de nature. L’idéologie, la géopolitique, la promesse d’un Califat juste... tout cela s’était dissous dans la réalité d’une flaque de sang qui coagulait. Les mots d’Abou Omar n’étaient plus des révélations, mais les barreaux de ma nouvelle cage. J’avais voulu être un lion, un bâtisseur. J’étais devenu un chien de garde, un meurtrier. Et le berger méprisait ses chiens.
J'ai regardé ma main, celle qui avait tenu le pistolet. Elle ne tremblait plus. Elle était morte, une serre de glace au bout de mon bras. J'ai essayé de la fermer, de la sentir. Rien. Ce n'était plus ma main. C'était l'outil. Et j'ai compris à cet instant que la balle n'avait pas seulement tué cet homme ; elle avait amputé une part de moi.
La colère est revenue. Pas la rage désordonnée de l’humilié d’Argenteuil, mais une fureur froide, précise.
Une haine dirigée non plus contre un système lointain, mais contre un seul homme. L’architecte de ma chute. L’ingénieur de ma damnation. J’ai compris dans cette obscurité que ma seule rédemption possible, si un tel mot avait encore un sens, n’était pas de bâtir son empire, mais de le détruire. De le détruire avec ses propres outils : l’intelligence, la méthode, la connaissance intime de ses rouages.
Quand ils ont enfin ouvert la porte, au petit matin, je n’étais plus le même homme. Le disciple était mort dans la cave. Un ennemi était né. Ils ont vu mon visage vidé de toute émotion et ils ont cru que j’étais endurci. Ils n’ont pas vu la décision qui avait pris racine dans le vide.
Cette nuit-là, j’ai commencé à planifier ma fuite. Ce ne serait pas une désertion. Ce serait un changement de camp dans une guerre qui venait de devenir personnelle. Chaque information que je collectais, chaque conversation que j’écoutais, chaque nom que je mémorisais n’était plus pour le service du Califat, mais pour la construction de son tombeau. Mon savoir, ma mémoire, mon intelligence, ces qualités qu’Abou Omar avait voulu instrumentaliser, allaient devenir mes armes contre lui.
Il m’a fallu des mois. Des mois à jouer le rôle du lion loyal, de l’historien zélé, tout en préparant ma trahison. Chaque jour était une performance, un mensonge vécu sous le regard de l’homme qui m’avait appris la manipulation. C’était ma pénitence et mon apprentissage. Pour détruire le monstre, je devais adopter sa froideur, son mépris pour les règles.
La fuite fut brutale, une course à travers le désert, avec des passeurs qui vous auraient vendu pour une cartouche de cigarettes. J’ai franchi la frontière turque non pas comme un réfugié cherchant l’asile, mais comme un soldat en repli stratégique, emportant avec moi l’arsenal qui allait me servir à contre-attaquer : les secrets d’Abou Omar.
Et c’est ainsi que je me suis retrouvé ici. Istanbul.
Le Bosphore, ce soir, se dérobe à la lumière. Il n’est plus qu’une absence, une encre noire sur la chair tiède de la ville. De ma lucarne, cette fissure dans le mur de ma vie, le détroit n’existe plus. Il s’est brisé en un miroir où flottent les visages de Karim, d’Ismail, et de cet homme, Fahd, dont j’ai volé le nom en même temps que la vie.
Je suis devenu ce
