Sang pour Sand: Roman policier
Par Martine Cadière
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À propos de ce livre électronique
Lélia, belle et solitaire, vit depuis plusieurs mois à Gargilesse dans l'ombre de George Sand, qui y a souvent séjourné. Cet été-là, la chaleur est plus intense et étouffante que jamais et lorsque Tonin Gastellier décide de passer ses vacances dans la Creuse, il ne sait pas encore qu'il y trouvera l'enfer. Dans ce coin du Berry, où rien ne se passe jamais, un village entier va plonger dans la terreur. Entre le souvenir omniprésent de George Sand à chaque coin de rue et le soleil implacable qui cuit le pays, la vie de Lélia bascule un jour d'éclipse solaire. Ce jour-là, alors qu'elle se retrouve enfin dans l'héroïne sandienne qui porte son nom, elle ne profitera pas longtemps de sa nouvelle félicité. L'enquête du capitaine Mattéi est délicate dans la touffeur et l'inertie d'un village terrifié à l'idée d'abriter un tueur psychopathe. Sans indice et sans suspect, Mattéi va devoir se pencher sur le passé de Lélia...
Découvrez sans plus attendre cette nouvelle enquête du capitaine Mattéi
CE QUE LA PRESSE EN DIT
- "Dans Sang pour Sand, Martine Cadière se rend sur place, à Gargilesse, dans ce lieu bien sandien du Berry, quoique moins évoqué que d'autres, lieu paisible qu'elle transforme et configure aux besoins de son histoire criminelle. C'est une héroïne plus sauvage que la bonne dame de Nohant qui hante ce petit village et engage une jeune Lélia désabusée d'aujourd'hui à s'identifier à elle, mais un peu tard, pour son malheur, ce qui plaira à l'amateur de romans policiers et d'humour un peu noir." (Jeannine Paque, Promotion des lettres)
A PROPOS DE L'AUTEUR
Martine Cadière est Waterlootoise. Elle écrit essentiellement des romans policiers contemporains dont le sujet est toujours une femme mythique, qui a des combats à mener et des idées à défendre. Un gendarme Corse, malin et suprêmement courtois, dirige les enquêtes. Martine Cadière est membre de l'association des Conférenciers francophones de Belgique, des Ecrivains belges francophones, des amis de George Sand, et académicienne de Provence.
EXTRAIT
Je m’appelle Lélia, et je suis le genre de personne qu’on déteste au premier coup d’oeil. Je suppose que j’émets des ondes sinistres, et je m’y suis habituée depuis longtemps.
Je m’appelle Lélia, parce que ma mère adorait George Sand et que mon père n’avait déjà aucun avis sur la question. J’aurais pu tout aussi bien me prénommer George, Indiana, Fadette, Consuelo, ou Nanon, heureusement ce fut Lélia, c’était le bouquin qu’elle préférait.
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Avis sur Sang pour Sand
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Aperçu du livre
Sang pour Sand - Martine Cadière
Chapitre 1
Lélia
Je m’appelle Lélia, et je suis le genre de personne qu’on déteste au premier coup d’œil. Je suppose que j’émets des ondes sinistres, et je m’y suis habituée depuis longtemps.
Je m’appelle Lélia, parce que ma mère adorait George Sand et que mon père n’avait déjà aucun avis sur la question. J’aurais pu tout aussi bien me prénommer George, Indiana, Fadette, Consuelo, ou Nanon, heureusement ce fut Lélia, c’était le bouquin qu’elle préférait.
Chapitre 2
Tonin
La Creuse, encore endormie, batifole avec indolence dans la vallée, en rafraîchissant les pierres chaudes des berges. Il est encore très tôt mais l’homme qui monte la route vers Gargilesse transpire abondamment. Tonin Gastellier s’est levé à cinq heures ce matin pour voyager sans encombre, et filer vers Poitiers.
En rentrant hier, il s’est acheté un atlas de France. Installé devant son bureau, il a pointé le doigt sur la carte en fermant les yeux.
— Qu’est-ce que tu fais, Tonin ?
— Regarde, Madeleine, regarde bien où est mon doigt.
Elle s’est penchée pour déchiffrer.
— Argenton-sur-Creuse. C’est quoi, ça, Argenton ?
— Argenton, c’est la campagne, le patelin, le bled, le trou, enfin exactement ce que je veux.
— Enfin, Tonin, les enfants vont détester ! Il leur faut au moins la mer.
— M’en fous. Je veux aller à Argenton.
Tonin s’entête. Après avoir discuté pendant des heures, ils décident que Madeleine partira avec les enfants dans le Midi pendant une semaine, puis rejoindra Tonin dans la petite maison qu’il aura louée.
Aujourd’hui, il est très nerveux. Il a accumulé beaucoup de tensions ces derniers temps, et la fatigue du voyage n’a rien arrangé. Depuis qu’il est devenu patron de l’unité d’ophtalmologie à la Pitié-Salpêtrière, Tonin n’a connu aucun répit entre les patients, les interventions, les réunions administratives, les déjeuners avec ses confrères et ses deux séances de tennis hebdomadaires. Il est exténué.
Il a donc choisi Argenton, sans rien connaître de la région, mais il a vu de larges taches vertes sur la carte et il en conclut qu’il sera en pleine campagne, dans le calme absolu. Un coup de fil à une agence locale a suffi, une maisonnette est encore disponible dans un village proche, Gargilesse-Dampierre.
— Vous remontez le village et, juste après le pont, vous verrez un café. Garez votre voiture devant et prenez le chemin qui monte à droite. À deux cents mètres de là, vous découvrirez la maison, la clé est chez le cafetier.
Tonin arrive enfin au bout de la route décrite par l’agence. Il abandonne sa voiture, et s’engage dans l’étroit chemin gorgé de soleil. Au loin, il aperçoit les méandres de la Creuse, l’eau claire et rapide. Le sol est sec, il n’a pas plu depuis longtemps et il bute dans la rocaille. Quelques papillons s’échappent des pierres, et puis ce silence, qui lui paraît aussi torride que le soleil. Il atteint enfin la petite maison, lâche ses sacs par terre et entre.
L’intérieur est sombre et frais. Il se garde bien d’ouvrir les persiennes et inspecte les chambres. Tout lui semble propre et charmant. Le propriétaire a laissé dans le frigidaire une bouteille de Campari, du jus d’orange, et le bac à glaçons plein. Tonin apprécie et s’installe sur la terrasse, à l’ombre d’un grand figuier. L’instant est parfait, en plein accord avec la vallée verdoyante qui bruit en dessous de lui. Il ferme les yeux.
Chapitre 3
Madeleine
Madeleine Arrento regrette déjà d’avoir choisi de passer son congé à Grimaud. Les ennuis ont commencé après Dijon. Les enfants, déchaînés, hurlent dans la voiture et elle a grand peine à se dominer. La radio a annoncé un bouchon de vingt kilomètres, et la chaleur est intense dans la petite voiture. Les épaules et la nuque contractées, elle songe à faire étape très vite. Peu avant Lyon, elle trouve un motel pas loin de l’autoroute, y installe les enfants, et sort prendre le frais. Madeleine n’est pas en paix, elle donnerait cher pour se trouver ailleurs. La perspective du long trajet, la solitude sans Tonin, les enfants bruyants et désœuvrés, tout lui pèse.
Elle pense à Tonin, tente d’imaginer la maison de Gargilesse. Elle a rejeté en bloc la campagne, la rivière, les rochers et la pêche aux écrevisses au profit des plages, du port, des restaurants, de l’animation, de la foule… Elle s’en veut à présent, d’avoir cru un instant qu’elle pourrait se passer de Tonin, de ses bras, de son odeur, de son rire. Elle aime tant ce rire, venu du tréfonds de lui, un véritable tremblement de terre qui le secoue tout entier.
— Ce rire, Tonin, je suis gênée, tout le monde nous regarde…
— Et alors ? On s’en fout, non ? Toutes ces bonnes femmes qui s’emmerdent ici se disent que tu as de la chance, et les mecs sont jaloux parce que tu es la plus bandante !
Il a alors une façon de se renverser et de toiser les autres. Et elle, qui le regarde à la dérobée, est absolument ravie.
Elle soupire, le cœur gros, et rentre voir les enfants, qui dorment enfin. Madeleine appréhende la journée du lendemain, et puis les autres. L’été ne commence pas bien.
***
Le timbre noble et velouté du violoncelle inonde la petite maison de pierre. Tonin observe, les yeux mi-clos, un papillon qui folâtre devant lui. Le soleil comprime la vallée dans un étau, et Tonin est paisible, dans la seule compagnie du cygne mourant de Camille Saint-Saëns.
Il a arrangé la maison, disposé en bonne place ses disques et ses livres préférés. Les housses sont restées sur les fauteuils, et fenêtres et volets demeurent clos. Il vit ainsi depuis trois jours. Le premier matin, il est descendu au village.
— Où puis-je me ravitailler ? demande-t-il à Oscar, cafetier, aubergiste, marchand de tabac, limonadier et, à l’évidence, personnalité très considérée dans le pays.
— Vous faites votre commande à l’épicerie, et on vous la montera. Vous trouverez encore deux commerces dans le bas, vers la maison de George Sand.
— George Sand ?
— Oui, la femme qui s’habillait en homme, vous savez bien. Elle avait acheté une maison dans le village, vous verrez en descendant, il y a une petite plaque.
— Eh bien ! J’ignorais cela…
— Et pourtant vous voyez tous ces touristes dans le village, ils viennent pour elle. Ils visitent en quelques minutes, boivent une bière, repartent, ça fait du chahut, ça se gare n’importe où, mais pour nous autres commerçants, c’est un mal nécessaire. Vous restez longtemps ?
— Un mois, peut-être plus…
Tonin a répondu sans réfléchir ; mais après tout pourquoi pas. Ce pays l’enchante et puis entre les volutes musicales de Saint-Saëns, le souvenir de George Sand, et l’observation des papillons, il y a longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi bien.
L’après-midi est déjà avancée lorsque, après quelques Campari très tassés pris à l’ombre du figuier, il se décide à sortir de sa tanière et à descendre vers la rivière. Il se jette alors dans l’eau glacée avec des frémissements de plaisir, nage vigoureusement jusqu’à un petit pont de bois, se hisse sur la berge et s’allonge en fermant les yeux. Des taches de bien-être lui éclatent dans le cerveau.
***
George Sand à Gargilesse, 1861 – Extrait de « Carnets de voyage à Gargilesse », Éd. Christian Pirot, p.85.
Lettre à son fils Maurice.¹
Mon enfant, je suis dans notre Afrique de Gargilesse, par trente-cinq degrés de chaleur à l’ombre, et j’y mène une vie de sybarite depuis trois jours, puisque, au milieu des bains et des promenades en Creuse, comme ils disent ici, je reçois ta lettre de New York, et la lettre du prince en même temps… J’ai travaillé, j’ai couru, j’ai fait de l’histoire naturelle, j’ai barboté dans l’eau tiède et presque trop chaude de la Creuse. J’ai soigné l’hypocondrie de Dumas fils… Tout Gargilesse te salue…
1 Tous les textes en italique sont empruntés aux récits de George Sand.
Chapitre 4
Paul et Carla Cortland
Le docteur Tonin Gastellier procède à l’ablation d’un kyste sur le cristallin. Un patient envoyé par son confrère Blainville, qui est venu l’assister. C’est une intervention délicate. Il a réclamé le CD de Saint Saëns qu’il prend toujours avec lui au bloc opératoire.
— Que devenez-vous, Blainville, on ne vous voit plus.
— J’ai acheté une petite maison, du côté de Bourges, ma femme y vit en permanence, alors je boucle mes consultations le jeudi et je file la rejoindre. Vous connaissez Bourges ?
— Un peu. C’est mortel, non ?
— C’est mortel, mais cela me convient, je n’y fais strictement rien, un peu de golf, un peu de jardinage, les champignons en octobre, ce genre de choses.
— Vous me surprenez.
— Oui, je suis le premier à être surpris, mais je vous le répète, cela me convient on ne peut mieux, et puis je garde un pied-à-terre à Paris. D’ailleurs, voulez-vous dîner avec moi ce soir ? J’ai pris des places aux Blancs-Manteaux, et après nous pourrions sortir…
Tonin est surpris de l’invitation de son confrère, qu’il ne fréquente pas habituellement. Il sait qu’Alain Blainville ne travaille plus beaucoup et songe même à la retraite, alors qu’il n’a pas cinquante-cinq ans.
L’intervention et la toilette de l’œil terminées, Tonin instille des antibiotiques sous les deux paupières. Il pose enfin un pansement compressif, juge inutile de couvrir l’œil non opéré et donne ses dernières instructions pour la suite opératoire.
Il a faim, mais il ne veut plus de la compagnie de Blainville, qu’il juge ennuyeux et péremptoire. Il refuse donc l’invitation à dîner et prend rapidement congé des infirmières et de l’anesthésiste.
Arrivé dans son bureau, il sort un carnet d’adresses. La veille, chez Paul Cortland, il avait griffonné à la hâte le numéro d’une jeune femme, dont il a oublié jusqu’à la physionomie. Dans son souvenir, elle lui avait semblé avenante, drôle, et particulièrement corrosive.
Paul Cortland est le meilleur ami de Tonin, ils étaient voisins dans l’enfance, et ne se sont plus quittés. Paul a choisi le barreau pendant que Tonin terminait son internat. Ils n’habitent pas loin l’un de l’autre et se voient très souvent. Paul est spontané, et l’homme le plus serviable du monde ; lui et sa femme Carla ont été très présents dans les moments difficiles, quand Tonin s’est retrouvé seul, après un divorce épuisant.
Hier, comme Tonin était arrivé en avance, Paul lui avait servi un campari et lui avait montré, avec un demi-sourire, que le couvert était mis pour quatre.
— Carla a invité une amie d’enfance que je n’ai jamais vue, je crois que c’est une Italienne. Sois aimable pour une fois…
— Non, je n’y arriverai pas, je suis fatigué, je n’ai pas envie d’être aimable et de faire la conversation, je préfère de loin être seulement avec vous deux. Merde, Paul, c’est un truc que tu devrais savoir, depuis le temps que vous vous croyez obligés d’inviter une copine qui, par hasard, n’a rien à faire très précisément le soir où je viens.
— Parle moins fort, Carla est juste à côté.
— Bon, allez, sers-moi encore un Campari, et à défaut d’être aimable, je promets en tout cas de me montrer civilisé.
Tonin appréhende effectivement ces dîners fastidieux où la maîtresse de maison, ravie d’avoir un célibataire engageant à sa table, en profite pour lui présenter des femmes dont il n’a que faire. Il fuit depuis longtemps ces pièges organisés et il en veut terriblement à ses amis lorsque, malgré sa vigilance, il se trouve coincé.
— Tu bois trop, Tonin, fais attention.
— Tu as raison. Mais franchement, Paul, tu trouves que c’est le moment de me faire la morale ? Il faut que je me prépare à une soirée gâchée grâce à vos bonnes idées, et il faudrait en plus que je boive de l’eau… Dire que je raconte partout qu’il n’y a que chez vous que je peux me taire quand je suis fatigué, et m’en aller quand les invités sont à chier.
Paul rit de bon cœur, mais Tonin est déjà passablement éméché lorsqu’il se retrouve assis à côté de Madeleine.
D’emblée, et au grand ennui de Tonin, elle attaque les grands poncifs du métier d’enseignante, dans une classe de jeunes adolescents, et tout cela est d’une banalité affligeante. À chaque cliché, il dodeline de plus en plus de la tête, et il est sur le point de piquer du nez dans son assiette.
— Je ne vous ennuie pas, au moins, avec mes histoires.
Lui sursaute avec brusquerie et hoche la tête prudemment, en fixant Paul droit dans les yeux. Par amitié pour eux, il veut se racheter.
— Désolé, je ne savais pas que cela se voyait autant. On a dû pourtant vous prévenir, je n’ai aucun sens des mondanités, et soyez certaine que j’apprécie votre effort, mais j’ai bien peur qu’il n’ait été sans effet. Je suis un être définitivement asocial.
Il ouvre les mains en signe d’impuissance, avec un petit rictus significatif.
— Vous êtes, en effet, agressif, alors que Carla m’avait annoncé un voisin de table charmant… et à dire vrai, je n’aime pas beaucoup votre déodorant, dit-elle en fronçant les sourcils.
Tonin la regarde enfin.
— Pardon ?
— Écoutez, souriez, c’est tout, vous n’êtes pas obligé de m’écouter.
— Mais comment allez-vous faire pour être moins ennuyeuse ?
— Eh bien, en appliquant tout ce que ma mère m’a enseigné, je vais vous interroger sur votre vie, vos passions, votre job, votre voiture, vous, et uniquement vous, et quand vous me répondrez, l’expérience m’a appris que vous allez d’ailleurs très vite monologuer, je vous écouterai la bouche en cul-de-poule, l’air follement intéressée par tout ce que vous allez raconter, et dans ma tête je ferai secrètement la liste de tout ce que j’ai à faire demain ; c’est pour ne pas perdre mon temps, vous comprenez ?
Dans l’hilarité générale, il reste bouche bée. Et plus tard dans la soirée, il lui propose de la reconduire chez elle.
— Merci, j’ai ma voiture, dit-elle avec un ravissant sourire, une autre fois peut-être. Bonsoir.
— Attendez, votre numéro de téléphone.
Tonin lui a téléphoné, et ils ont promptement pris rendez-vous. Quelques Camparis et deux heures plus tard, il est définitivement séduit. Elle arrive au bon moment dans sa vie, et ils s’arrangent très rapidement. Elle a gardé son appartement et ne mêle pas Tonin à son organisation familiale. Maman de Héléna, 7 ans, et de Henry, 10 ans, elle a fermement refusé de l’impliquer dans son système d’éducation.
— Tu n’es pas homme à t’occuper d’eux. Tu te vois aller à la piscine, non pas pour faire consciencieusement tes vingt longueurs, mais pour patauger, jouer, fixer masques, tubas et bonnets, hurler pour qu’ils arrêtent de courir autour du bassin ? Non, Tonin, toi tu deviendrais fou, et, eux, te détesteraient très vite.
— Laisse-moi au moins essayer.
— Non. Ils ont un père qui s’occupe parfaitement d’eux, et cela marche très bien comme cela depuis trois ans.
Tonin a bien dû admettre qu’elle avait raison. Il voit très peu les enfants, qui lui semblent particulièrement turbulents, mais, après tout, que sait-il de la vivacité des enfants, lui qui n’en n’a jamais eu, et qui juge la moindre contrariété insupportable.
***
La cité lacustre de Port-Grimaud est écrasée de soleil, et il faut raser les murs pour trouver les coins d’ombre. Madeleine admire une fois de plus l’étonnante réalisation de l’architecte Spoerry. C’est un spectacle bien plaisant que ces maisons de pêcheurs plantées ça et là dans un désordre organisé, avec cette profusion de couleurs savamment patinées, et tous ces bateaux blancs accrochés aux quais, qui se balancent au gré des canaux.
Elle regrette de n’avoir pu investir vingt ans plus tôt, lorsque le génial architecte a lancé son projet immobilier. Elle était trop jeune alors, et n’avait aucun moyen pour se lancer. Mais les investisseurs qui y ont cru, et qui ont suivi Spoerry avec enthousiasme, ne peuvent que se féliciter de leur placement, qui a décuplé de valeur depuis bien longtemps.
Plusieurs cars sont arrêtés sur le parking, et les touristes envahissent les boutiques et les terrasses de la place des Boules. Madeleine a bien du mal à calmer les enfants qui exigent déjà des crèmes glacées.
Ils s’installent finalement près du restaurant de plage et, après les avoir enduits de crème solaire, elle les laisse jouer dans l’eau.
— Henry, fais attention à ta sœur, il ne faut pas qu’elle aille trop loin.
— Oui, oui, ne t’en fais pas.
— Tu as vu le monde qu’il y a, si jamais il y a problème, je ne peux pas le voir d’ici.
— Mais oui, Maman, on promet !
Madeleine se cale sur sa serviette, et elle est soulagée de voir que les enfants se retournent de temps en temps vers elle. Elle sort un roman de son sac, cent fois ouvert et cent fois refermé, bien décidée à le terminer. Elle s’endort rapidement.
***
Lettre adressée à Madeleine Arrento – 25, Grand-rue à 83360 Port-Grimaud.
Gargilesse, le 6 août 1999.
Bonjour ma chérie,
J’ai chaud, chaud, chaud… J’étouffe ! Savais-tu que je ne suis pas le premier homme célèbre à étouffer dans ce village ? George Sand m’a précédé ici il y a quelque cent cinquante ans ! Un de ses amants, chasseur de papillons, lui a acheté une petite maison de campagne dans le bas du village et, en effet, il y a des milliers de papillons qui sortent de partout. Voit-on encore des papillons ailleurs qu’à Gargilesse ? Il y a très longtemps que je ne n’en avais plus vu. Tu comprendras donc que je me sens beaucoup mieux, lorsque tu sauras que ces lépidoptères sont devenus mon unique préoccupation. À dire vrai, je ne les chasse pas, je les observe, couché à plat ventre, en faisant très attention de ne pas les effaroucher. Cela me prend la journée…
Tu ne me manques pas encore.
Tonin.
***
Lettre adressée à Madame Louise
