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Le dernier Carolingien: Louis V – Roi des Francs
Le dernier Carolingien: Louis V – Roi des Francs
Le dernier Carolingien: Louis V – Roi des Francs
Livre électronique557 pages7 heures

Le dernier Carolingien: Louis V – Roi des Francs

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À propos de ce livre électronique

À la mort brutale du Roi Lothaire, son fils Louis V hérite d’un royaume au bord de l’embrasement. Encouragées par l’Archevêque du Sacre, les intrigues se multiplient, attisant la convoitise des ambitieux et des ennemis des Carolingiens. Jeune souverain jeté dans la tourmente, Louis devra s’entourer d’alliés fidèles, unir une noblesse divisée et pactiser avec les puissantes impératrices germaniques, Adélaïde et Théophano. Au cœur des tempêtes, un amour secret le guide : Lhywin, son épouse de l’ombre.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Au terme de sa carrière professionnelle, Marie Kastel-Riviere entreprend de retracer un épisode méconnu de ce qui fut, au Xe siècle, l’histoire du royaume des Francs. Saga constituée de trois volets, "Le dernier Carolingien" est le fruit de trente années de passion pour le haut Moyen Âge.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie16 juil. 2025
ISBN9791042274399
Le dernier Carolingien: Louis V – Roi des Francs

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    Aperçu du livre

    Le dernier Carolingien - Marie Kastel-Riviere

    Marie Kastel-Riviere

    Le dernier Carolingien

    Louis V – Roi des Francs

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Marie Kastel-Riviere

    ISBN : 979-10-422-7439-9

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    À Frédéric, Kévin, Arielle et Quentin pour leur précieux soutien,

    À Catherine, sans qui je ne me serais lancée dans l’aventure,

    À Juliette et Prosper, mes parents.

    Le Roi est mort – mars 986

    Lothaire avait émis la volonté de reposer auprès de ses pères et de Gerberge, la Reine, la mère que sa vie durant, il vénéra. Ce fut dans un silence obsédant, scandé seulement par le tintement tragique du glas et les lamentations, que le cortège funèbre parcourut les quatre cents stades séparant Laudunum de Durocorturum et mena sa dépouille, à son ultime demeure terrestre.

    Dans une chapelle tendue de dais blancs, le Roi Louis se confessait. Non pas à un prêtre, mais à son père. A son Roi. Le front appuyé contre son lit funéraire, il partageait avec lui les tourments d’un avenir dont il ne serait plus. Lothaire s’en était retourné auprès de son Créateur. Il laissait à son Royaume, un héritier. Un successeur. Louis n’ignorait, que lorsque son heure viendrait, il en serait différemment. À moins d’un miracle que le Seigneur gardait bien caché, il serait le dernier. Le dernier des Carolingiens. Les fils de Richard ne pouvaient prétendre à l’Onction, pas davantage que ceux d’Arnoul, s’il lui en venait. De sa parenté mâle, le Duc Charles seul, pouvait ceindre à la Couronne franque. Mais, il s’était tant compromis par le passé…

    — Je suis le dernier, Père. Othon, mort. Mes frères, bâtards. Mon mariage, condamné au secret. Oui, je suis le dernier. Dieu, dont nul ne perce les desseins, veut que je sois votre unique héritier. Le sort, qui frappe notre dynastie, échappe à mon entendement. La Providence se rirait-elle de nous ? Probablement, si je songe aux maux qu’engendra jadis la division du royaume entre frères, et qu’aujourd’hui, c’est un héritier mâle unique, qui porte en lui la condamnation de notre race. Mais, malgré cette malédiction à laquelle je ne puis me soustraire, je jure, face à votre âme délivrée du poids de l’existence, de toujours vaillamment me battre, de toujours servir et honorer, et mon Royaume et votre mémoire. Jusqu’au dernier de mon souffle. Mais, tout aussi ardemment, Père, je fais serment devant vous de ne jamais plus sacrifier au Trône, la femme que j’aime. La femme, qui est aujourd’hui mon épouse, est la mère de notre fille devant Dieu légitime. Eussiez-vous connu, de ma mère, l’amour que Lhywin me témoigne, qu’aucun Otton, qu’aucun Hugue, ne vous eût résisté.

    La couronne contre le lin blanc et or, Louis communiait avec le Roi défunt, dont le corps de blanc et d’or vêtu lui aussi reposait. Soulagé des terribles souffrances contre lesquelles vaillamment, il avait lutté. Malgré leur pâleur, ses lèvres ourlées emportaient dans la mort, le témoignage de la générosité et de la passion dont déborda son existence.

    Richard et Arnoul, les fils aînés du Roi, découvrirent leur cadet, en prière, dans la chapelle immaculée qu’éclairaient de hauts cierges. Richard contourna le lit de leur père. Il s’agenouilla et baisa la bague ornant son annulaire. Puis il revint vers Louis. Il lui posa fraternellement la main sur l’épaule, avant de s’agenouiller derrière lui, imité par Arnoul. Le monde avait basculé. Ils se retrouvaient unis en leur chagrin, trois fils, deux illégitimes et un héritier, orphelins, pleurant la mort d’un père adulé. Si l’assemblée des Grands le confirmait, le plus jeune d’entre eux régnerait désormais sur le Royaume des Francs. Les trois hommes se recueillaient sans un mot, sans quêter le regard de l’autre. Le Roi en cette heure demeurait leur père.

    Récit de Lhywin : funérailles de mars

    Le jour où clandestinement nous scellions notre amour expirait dans des affres de douleur, notre bien-aimé Roi. On ne connut avec certitude, la cause de son trépas. Certains avancèrent le poison. D’autres, une infection des entrailles. D’autres, les effets d’une vieille blessure qui, en limite de ses côtes, laissait une sournoise cicatrice. Tant d’ignorants hasardaient tardivement de savants diagnostics… La route qui trente-deux ans auparavant, avait joyeuse mené Lothaire au Sacre le ramenait éplorée, vers son tombeau. Rois, ducs, comtes et évêques affluaient en direction de la cité d’Adalbéron pour assister aux funérailles. Les Impératrices, accompagnées d’Otton-l’Enfant, avaient pris séjour dans le palais de Monseigneur de Durocorturum où je séjournais avec la famille royale. Béatrice de Haute-Lotharingie retrouvait un clan robertien, fort abondamment représenté pour l’évènement. Les Aquitains, Monseigneur d’Annicium et son frère Geoffroy, dit Grozferd d’Anjou, logeaient dans une abbaye hors des murailles de Durocorturum. Azalaïs, l’ancienne épouse du Roi Louis, n’avait entrepris le voyage. Le contraire eût été incongru ! Or, si la haute noblesse se pressait aux funérailles de mon oncle, le chagrin et les convenances ne motivaient à eux seuls, cet empressement. Déjà, l’aristocratie se tenait à l’affût des rumeurs et des vents naissants.

    Monseigneur Adalbéron célébra la messe de funérailles, en sa cathédrale. Il procéda avec faste et une émotion que d’aucuns jugèrent, sincère. Les évêques, compagnons de Lothaire, l’avaient assisté en son sacrement. Je revois Monseigneur Liudolphe de Noviomago qui, des jours durant, ne parvint à proférer une phrase complète tant sa gorge se serrait, en pensant à son Roi. L’inhumation de Lothaire étant prévue au monastère Saint-Rémi. Le cérémonial exigeait que les Grands – dont le Duc Hugue – portassent entre ciel et terre, son lit mortuaire sur leur épaule jusqu’à l’abbaye. Splendidement décoré, le lit arborait les insignes de la royauté de notre bien-aimé et défunt monarque. Il était surmonté d’un dais tissé de blanc, d’or et de pourpre. Blanc, telle la tunique immaculée du Roi. Pourpre et or, tel le manteau qui le couvrirait durant son éternel sommeil. Les évêques précédaient les Grands soutenant le Roi gisant. Ils brandissaient entre leurs mains gantées, les Évangiles et la Croix. Entonnant les chants funèbres. Officiant à chaque pas, dans la continuité du rituel de la mise au tombeau du Roi sacré. Marchant seul derrière le lit royal, avançait le fils héritier de Lothaire. Ce fils que sept ans auparavant, il avait associé à son règne. Le Roi Louis. Louis qui n’avait cure, ni des larmes roulant d’entre ses paupières, ni des gémissements qu’il ne cherchait à étouffer tout à fait. Entre le Roi mort et la nuée de ses sujets vivants, Louis marchait seul. Sur sa chevelure, étincelait la couronne d’or et de pierreries que conformément à la loi franque, les Grands devaient lui confirmer ou lui retirer… Les pleurs montaient de la foule. L’oriflamme ne claquait plus au vent. Les cloches ne sonnaient plus, à l’exception du glas qui inéluctable, assénait à nos âmes l’inacceptable réalité. La haute aristocratie – dont mon père Charles – plaçait ses pas dans ceux de la Reine Emme et des Impératrices, séparée d’elles par le rang que je formais avec Mathilde de Burgondie et les Duchesses de Lotharingie. La noblesse entière, de chevalier s’était faite fantassin, en hommage à celui qui la mena si témérairement au combat. Mais malgré la contrition profonde – en cette journée du moins – de ses vassaux, combien déjà fomentaient le projet, de se rappeler sans retard à la mémoire de leur nouveau souverain ? Des regards interrogatifs se posaient sur ma personne. Se renseigner sans perdre de temps, repérer les hommes de confiance du Roi, sa concubine, ses conseillers pouvait se révéler utile à qui comptait tenter une requête, une exemption d’impôt, l’annulation d’un testament, ou obtenir un privilège… Autant d’actions qui, pour certaines, n’avaient trouvé aboutissement du règne de feu le Roi Lothaire. Le vil jeu des intrigants ne pâtissait ni de la bienséance ni même du deuil. Mais les hommes sont ainsi. Ils répugnent à salir leur honneur en tractations de monnaie, et mènent parfois négoces de façon plus ignoble encore. J’éprouvais, en ces pieux et précieux instants, l’oppressante sensation que pierre après pierre, une muraille s’érigeait autour de Louis et de moi. Une muraille aux portes étroites par lesquelles – s’il nous était aisé de pénétrer – il nous serait sous peu impossible de ressortir. Un fugace instant, j’enviai le sort de mon oncle. Sous la protection du Roi des Rois, Lothaire échappait enfin au chagrin des trahisons, aux pièges du pouvoir et à la fourberie des ambitieux… Ici ne régnaient que les larmes. Y compris à l’extrémité du cortège, où les soldats affligés et orphelins, progressaient par amour pour leur maître, en parfaite ordonnance. Oui, des sanglots crevaient l’air tout le long de notre file désolée. Durocorturum s’était fait plaintes, larmes, et nez que l’on mouche. Les têtes baissées se relevaient brièvement dans l’espoir d’entrevoir, une dernière fois, le Roi gisant entre les fleurs et l’or. À la douleur qui assommait la foule, aux faces mouillées et rougies des notables comme des miséreux, je compris combien Lothaire avait été aimé. Tous ceux-là, tous ces gens, ne cherchaient privilèges ou exemptions. Ils pleuraient leur père d’une peine sincère. Oui, ici, dans la cité de son plus acharné opposant, se moquant bien de déplaire à leur maître, les Francs pleuraient leur Roi. Le témoignage de leur chagrin me fit éclater en incoercibles sanglots. La veille de la cérémonie, ma belle Liuta m’avait contrainte à avaler une potion à base de valériane, tant les spasmes me secouaient. Il faut croire, néanmoins, que face à ma douleur, cette médication ne suffit point. Les premières fleurs du printemps pavaient notre trajet vers l’abbaye. C’était-là encore un hommage des pauvres à leur maître. Un hommage fait de branches gorgées de sève, destinées à adoucir les aspérités du chemin, au corps raidi de Lothaire. De leurs fleurs et de leurs rameaux s’envolait vers ses narines figées, l’offrande de la forêt et de la campagne. Le parfum de sa terre renaissante. Elle le caresserait, se fondrait dans sa tunique et ses cheveux, jusqu’à doucement s’étioler et se mourir de l’étreindre dans son froid sarcophage. Quand nous fûmes arrivés à l’abbaye, les Grands acheminèrent le corps de mon Roi jusqu’à son tombeau. Le peuple et l’aristocratie patientaient, massés sur le parvis du saint lieu. Une bénédiction. Des prières… Je m’approchai de Louis et de la Reine Emme. Ma tante avait la fixité d’une statue. Lorsqu’elle repoussa son voile, je ne pus déchiffrer son expression, tant sa coiffe blanche enserrait étroitement son visage. Elle s’appuyait au bras de Dame Elisabeth, sa première suivante. Alors que les Impératrices, minces silhouettes aux manteaux brodés d’or, se signaient devant le tombeau, je parvins à enfin revoir le beau visage de mon oncle. Notre hommage passé, Louis demeura seul auprès de sa sépulture. Faisant demi-cercle à distance de lui, les Grands se recueillaient. Je ne combattais plus mes larmes. Elles s’écoulaient librement le long de mes joues. Mes pensées se perdaient en des temps révolus. Mais aussi en des temps à venir, qui s’annonçaient tempête. Car mon Roi n’était plus. Je rivais les yeux sur l’effigie en bois érigée à la tête du tombeau. Les ébénistes avaient sculpté dans une imposante grume de chêne, une statue de Lothaire peinte aux couleurs de sa peau, de ses yeux et de ses cheveux. Ne pouvant m’approcher de son sarcophage, je remerciai son image de toute la bienveillance dont en son vivant, mon Roi m’avait comblée.

    Ce soir-là, j’attendis un signe, un messager de Louis, me demandant de le rejoindre dans notre chambre. Il ne vint pas. Je ne pus que respecter son besoin de solitude et afin de le laisser à sa peine, je partageai la couche de Gerberge, fille de mon oncle, le Roi Conrad de Burgondie et de la sœur de Lothaire, la Reine Mathilde. Éperdu de douleur, Louis se refusait même le réconfort d’une présence aimante. Rien ne pouvait le soulager de la perte de l’homme, qui fut à la fois son maître, son modèle et son compagnon d’armes. Et s’il repoussait et consolation et échappatoire, c’était parce l’insupportable déchirure représentait, en ces heures, le plus puissant des liens, capable d’encore les unir. Fuir sa souffrance eût signifié trahir son Roi. Et de trahisons, Lothaire en avait suffisamment vécu… Louis me confia par la suite, s’être livré sans réserve à son désespoir. Avoir pleuré de toutes ses larmes. Avoir crevé son oreiller à coups de dents. Avoir écartelé – de ses mains impuissantes à sauver son père –, le lin de son drap. Sa révolte, cependant, s’étendait au destin, à la forfaiture des hommes. Et par-dessus tout, aux doutes planant autour de son horrible agonie. Était-ce-là, la volonté du Seigneur ? Ou la volonté d’une main criminelle ? Il suppliait Dieu d’un jour découvrir la vérité. La peur de perdre un autre être aimé le hantait. Après Guénolé, après Lothaire, qui le destin lui arracherait-il ?

    L’assemblée des Grands siégea le lendemain des obsèques du Roi Lothaire. Sitôt que Louis l’eût quittée, je regagnai notre chambre dévastée, et fébrilement, y attendis l’annonce. Mais il ne fut question de nouvelles élections. Sans l’ombre d’une opposition, Louis, fils de Lothaire, fut confirmé Roi des Francs.

    Le Duc Hugue proclama la nouvelle au peuple de Durocortorum, depuis le parvis de la cathédrale. Ses paroles furent ensevelies sous un tonnerre d’acclamations.

    Je ne savais, quant à moi, si je devais ou non, me réjouir.

    ***

    La Reine ne se montra guère durant notre voyage de retour. Nous fîmes halte dans une hostellerie de Finis. Je ne manquai d’interroger Louis, sur le choix de cette étape. Il me répondit esquissant un demi-sourire, le premier depuis notre mariage :

    — Je ne voulais un couvent. Nous n’aurions pu passer la nuit ensemble.

    Je supputais une autre raison. Résignée, j’en conclus qu’entre Louis et sa mère, les passes d’armes décidément ne cesseraient jamais.

    Pourtant je ne regrettais la décision de mon Roi. La chambre, sobrement meublée qui nous attendait, était propre et fleurait bon un printemps que nous avions presque oublié. Le huis repoussé, les lèvres tremblantes et les yeux mouillés de larmes, nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre. Qui entraîna l’autre sur le lit sagement couvert ? Je ne m’en souviens plus. Tous deux, certainement. Je ne sentis que ses mains se glissant avec frénésie sous mes robes, le long de mes cuisses, repoussant hâtivement mes chausses. Je me cambrai afin de dégrafer, plus vite, son col et de le débarrasser de sa chainse. Mes cheveux nous emprisonnaient en une nasse au creux de laquelle nous nous emmêlions. Les larmes firent place aux rires, tandis que ses doigts se perdaient dans mes rets. Assoiffés de vie, nous nous abandonnâmes au plaisir de notre fièvre. Demain, nous arriverions à Laudunum. Demain, Louis serait en sa capitale. Mais ce serait demain ! Cette nuit, il était mien.

    Un Roi et une Reine – printemps 986

    Du couvert de la forêt à la porte royale, les abords de la route grouillaient de spectateurs trépignant d’impatience. Deux cents soldats, l’élite de Château-Corneil, la garde royale, des chevaliers et des fantassins formaient haies, contenant mollement une foule qui brandissait haut des branchages en fleur. Y compris des moines, reconnaissables de loin à leurs frocs, relevés à deux mains, pour courir plus vite. Des salves de vivats tonnaient dans le ciel de la fin mars. L’appel des cornes et le hurlement des trompes couvraient en de sonores à-coups, l’immense clameur qui du midy, du septentrion, de l’orient et de l’occident déferlait en direction des quatre points du royaume. L’oriflamme claquait au sommet de la grosse tour. Raide sous le vent. Majestueuse ! Le bleu léger du ciel où vagabondaient des nuages lumineux, inondait de sa lumière les cavaliers et la foule pressée sur la zone de quinte. Sous les sabots de nos chevaux se déroulait un long tapis de verdure et de branchages fleuris. Brusquement, le soleil se fit plus chaud. Il darda, de ses rais, les murets clairs pris d’assaut par des enfants aux membres nus. Campés en équilibre sur les pierres, les garnements adressaient de joyeux saluts au Roi. Dieu avait rappelé à sa droite le bon Roi Lothaire. Son fils, le Roi Louis en sa jeunesse saine, revenait. Et avec lui, l’espoir d’un règne heureux.

    Arborant son un casque à crête rouge d’officier, Drwan s’avançait à la rencontre de son souverain. Les évêques – dont Ascelin de Laudunum – formaient une longue ligne. Une ligne de robes rouges ou mauves, aux élégants plissements ondulant sous la brise. Au terme de semaines d’affliction, le Comte de Laudunum, le brave Héribert, esquissait un léger sourire de contentement. Les yeux du dévoué Gisbert – le vieil officier de la garde palatiale – semblaient au contraire, incapables d’émotion. Les cernes qui les cerclaient, avaient creusé sa peau fine de rouges sillons, apposant sur ses joues étroites, de larges sceaux bleuâtres.

    — Une fois cette porte franchie, rien ne sera plus comme avant… songea Drwan.

    Entré en sa capitale, Louis serait Roi. Il s’assiérait sur le trône de Lothaire, présiderait le conseil, jugerait, commanderait au Royaume et à sa diplomatie… Sous l’effet d’un malaise flou, la gorge de l’officier se noua. Il repoussa la sensation, si inconvenante en pareille journée. Il devait se réjouir. Sacré, Louis le fut à douze ans. À présent, à dix-neuf ans, c’était la Couronne qu’il ceignait sans réserve. D’où venait que la joie du capitaine ne fut complète ?

    Parvenu à la porte de Laudunum, Louis interrompit son avancée. Il parcourut des yeux la foule de ses sujets. Celle d’en bas, des champs et des vignes. Celle d’en haut du mont, de la cité et du bourg, si imprudemment agglutinée sur les murailles. Ce fut alors que, grattant le sol de son sabot droit, Tonnerre longuement courba l’encolure devant la cité ouverte.

    La vue de l’étalon du Roi, ainsi ployé, saluant Laudunum, déclencha dans la foule une ovation sans précédente. Les acclamations redoublèrent et se confondirent en un énorme vrombissement. L’on ne parvenait plus à voir, moins encore à entendre. Rien d’autre n’existait en ce moment, que ce cri d’amour d’un peuple à son Roi. Que ce Roi dont la monture s’inclinait devant son peuple.

    Soudain, une ondée creva les nuages clairs, suspendus haut sur la voûte céleste. Des gouttelettes tièdes s’écrasèrent sur les visages et les mains. Drwan releva le front. Il vit un arc-en-ciel d’une beauté éclatante, inattendu dans l’horizon dégagé. L’arc prenait sa source au cœur de la forêt, à proximité de la villa de Lhywin.

    ***

    Louis caressait les cartes étalées, telles que son père les avait laissées sur sa table de travail. Il avait pris possession de l’appartement royal, et Lhywin l’y avait rejoint. Il effleurait de sa paume le vélin, touchait là où, toucha son père. Une émotion intense l’étreignait.

    — Venez à moi, Père. Donnez-moi votre force.

    Lothaire n’était plus parmi les hommes. Pourtant, tout dans cette chambre conservait son empreinte, tant le grand Roi avait imprégné de sa présence, ses objets les plus usuels. La table où mille fois à la lueur du candélabre, il s’était plongé dans un acte ou une requête particulière, avant de vider une coupe de vin en sa présence. Les coffres de chêne aux encoignures d’or qui hier encore, renfermaient méticuleusement pliées, ses lourdes capes et dont Louis savait, qu’il appréciait tant la stricte élégance. Dans les pièces attenantes, celles recelant son armement, ses épées, ses dagues, ses casques et ses broignes, accrochés à des patères, ou alignés rutilant sur des étagères garnies de drap rouge. Y compris dans la pièce de retraits, aux décors sobres mais travaillés. Partout flottait prégnante et raffinée, la présence du Roi. L’âme de Lothaire s’en était retournée auprès de son Créateur, mais son essence perdurait ici où pendant plus de trente années, il avait aimé, avait étudié, avait ri. Mais aussi souffert. La gorge de Louis se contracta.

    — Père, accordez-moi de me montrer digne, de ce que vous fûtes.

    ***

    Le conseil débuterait sous peu. Les Grands siégeraient nombreux. Hugue ne manquerait la convocation de son jeune suzerain. Louis l’avait expressément mandé. Lothaire l’y avait d’ailleurs incité. Il entendit la voix de son père, une voix qui déjà appartenait au passé, lui recommander :

    — Conservez-vous l’amitié du Dux, mon fils. Si cela vous est impossible, conservez-le sinon, sous votre vigilance.

    En fait, Louis fit bien davantage. Il s’était remis à Hugue, faisant de ce dernier, l’artisan de son mariage secret. Acceptant le prêtre qu’il lui dépêcha, pour bénir devant Dieu son union avec Lhywin. Pourquoi semblable extrémité ? Elle eût fait hurler Lothaire et lui eût fait douter du bon sens de son héritier. Nonobstant l’avis paternel, Louis estimait – pour peu qu’il le manœuvrât prudemment et usât envers lui de discernement – pouvoir déposer sa confiance dans le Robertien. Aussi, espérait-il Hugue au nombre de ses proches, à l’image de Monseigneur de Noviomago, des Vermandois Héribert et Albert, de Monseigneur de Senones et une poignée d’autres dont, son frère Richard. Richard, qui séjournait peu à sa Cour, occupé à suppléer leur oncle Charles, en ses affaires lotharingiennes. Malgré son deuil, Louis avait remarqué le regard trouble de son aîné lorsqu’il se posait sur Arnoul. Quant à la réserve affichée par le chancelier à l’égard du Roi, elle ne présageait rien qui vaille. Assurément, Arnoul lui tenait rigueur du discrédit porté à ses services, en présence de leur père.

    — Votre Majesté.

    Poussant la porte de l’appartement du Roi, Gisbert redressa la taille, avant d’annoncer :

    — Les Grands sont prêts pour le conseil.

    Comme s’il prenait congé, Louis, par deux fois, tapota la carte déployée sous ses yeux. Il n’avait le cœur de l’enrouler.

    — Bien. Assiste-moi pour changer de tunique.

    Il désigna une tunique longue, un tissage de teinte sang haussé de fils d’or. Elle conviendrait pour l’occasion.

    L’hommage posthume au Roi Lothaire, la campagne d’Espagne, la question de la Lotharingie, la confirmation d’actes que la mort de Lothaire l’empêcha de corroborer, l’exécution de volontés testamentaires particulières – point relevant plus spécifiquement la chancellerie, mais que Louis voulut ouï par tous – le périmètre des travaux de cette première séance, s’annonçait vaste. Nul, pourtant, n’y trouva à redire. Une vague salée inonda les yeux du Roi, embrumant fugacement sa volonté. Parcourant l’assemblée du regard, il croisa le visage de son archevêque-archichancelier, il l’estima empreint de la dose de sollicitude qui seyait à la circonstance. À côté du Roi siégeait son oncle Charles. Le Duc de Basse-Lotharingie, guidé par la prudence, avait choisi de demeurer temporairement près de lui à Laudunum. Louis constata que tous, seigneurs laïcs ou seigneurs religieux, lui étaient familiers. Les plus âgés devaient compter jadis, au conseil de sa grand-mère, la Reine Gerberge… Tous aujourd’hui portaient leurs couleurs favorites, faisant chatoyer tuniques et chausses autour de la longue table. Tous posaient sur le trône, des prunelles mêlant nostalgie et incrédulité. Les paupières battaient trop vite. Les sourires se muaient en grimaces. Louis exigea que conseil débutât par la lecture de dispositions testamentaires de feu son père en faveur d’abbayes de moniales, dont Sainte-Marie et Saint-Jean. Le point traité, le Duc Hugue demanda la parole :

    — L’Abbé Amaubert a transmis une supplique. Il sollicite de votre Majesté la confirmation de l’immunité et de la liberté d’élection abbatiale, pour son monastère de Saint-Benoît. Il s’agit pour votre Majesté de les reconduire conformément aux termes dictés par votre père, le bien-aimé Roi Lothaire.

    Après un instant d’hésitation, Louis observa :

    — J’ai moi-même co-signé cet acte. Ce fut avant mon mariage. Il n’est nécessaire que Roi, je confirme ce en quoi associé au Trône de mon père, je m’engageai.

    Arnoul acquiesça. Saisissant l’opportunité offerte, le chancelier aborda un troisième sujet d’ordre religieux :

    — J’ai été saisi par Monseigneur de Civitas Aurelianorum. Votre Majesté lui renouvela diplômes il y a quelques années concernant…

    Interrompant son aîné, Louis interpella le Duc Hugue :

    — Monseigneur Arnulf ? N’était-ce à propos de l’immunité d’une église et de la restitution de serfs ?

    Ce fut Arnoul qui répondit :

    — C’est exact mon Roi. Souhaitez-vous que ces actes vous soient produits, aux fins de les examiner.

    — Ce ne sera nécessaire, Chancelier. Pareil traitement sera appliqué à tous les actes déjà entérinés par moi et corroborés par vous. Aux conditions, toutefois, qu’ils se rapportent à des serviteurs fidèles. Je me garde le droit de réexaminer les privilèges accordés à ceux qui le seraient moins et vous invite d’ailleurs, à me saisir de semblables cas. Passons aux affaires suivantes. Il est une décision en vue de laquelle nous devons hâtivement nous entendre. Je puis décider seul, mais je compte en mon règne ne point faire sans votre avis, me conformant de la sorte, à la volonté de mon père. Votre parole est sage et je sais ô combien, elle peut se révéler précieuse.

    Le Duc des Francs écoutait, tout oreille. Roi et Dux ne s’étaient en effet, entretenus ensemble avant la séance.

    — Vous n’ignorez le projet de mon père visant à secourir le Comte Borel et à délivrer Barchinova des armées du Khalife Almanzor. Borel figure depuis des mois au nombre des préoccupations du conseil, de notre état-major et de nos fonctionnaires. Organisation, coordination et jonctions des troupes sont aujourd’hui déterminées. Le projet est solidement engagé, mais la mort brutale du Roi a brisé net son déploiement. Mon père, Lothaire, s’était engagé à mener ce combat et prévoyait de me confier le Trône durant son absence. Telle était sa volonté. Or aujourd’hui, il n’y a plus qu’un Roi. Je n’ai engendré d’héritier légitime. Et sauf à ce que mon éphémère épouse, d’Aquitaine ne m’en apporte un, ici, en cette salle au milieu de vous – je ne saurais par quel miracle ! –, la situation demeurera telle. Ce que je veux vous signifier mes seigneurs, c’est que si à l’image de l’âme de mon père, mon âme brûle de porter secours à nos frères chrétiens là-bas, à des centaines de lieues de Laudunum, ce feu ne survit guère face à la perspective de délaisser des mois durant, le gouvernement de mon Royaume. Cet abandon équivaudrait à le livrer aux convoitises de nos ennemis d’ici. La guerre flambe aux portes du midy. Le danger guette aux portes du nord… Il y a chrétiens dans le midy, il y a chrétiens dans le nord. Quel est votre conseil, messeigneurs ?

    Un brouhaha aux accents de soulagement voguait à travers la salle. Les couronnes se penchaient l’une vers l’autre, étouffant des paroles prononcées à mi-voix. Louis questionna le Dux du regard. Il lui répondit d’un hochement de tête entendu. Le Duc de Burgondie se leva.

    — Votre Majesté.

    — Parlez, Henri.

    — C’est assurément devoir chrétien que de courir au secours d’un prince assiégé. Moi-même, répondant à la volonté de feu votre père, rassemblai céans une armée qui n’aurait à rougir de son nombre.

    — Et quel est votre sentiment ?

    — Mon sentiment est qu’il faut mener ce combat. Cependant, le moment n’est point le bienvenu.

    Des acquiescements, qui se voulaient murmures, enflaient dans un grondement de ruche. Tandis que le Robertien achevait de livrer sa pensée, Louis s’interrogea sur ses motivations d’Henri. Le Duc redoutait-il des attaques, s’il lui fallait s’éloigner durablement de ses terres ? Prévoyait-il d’ailleurs de commander personnellement ses troupes ? Lothaire ne taisait ses réserves, concernant le frère de Hugue. Non quand Henri se détournait de son Roi, mais au contraire, lorsqu’il se démontrait par trop, coopératif. Louis soupçonnait que le lucre, lui, tenait lieu de conscience. L’ost coûtait cher. Le butin risquait de ne couvrir les frais engagés, puisque les territoires libérés seraient restitués à leur légitime propriétaire. À la gauche de Louis, Charles de Basse-Lotharingie affichait un sourire des plus sinueux. On eût cru un matou guettant un poisson prisonnier d’une flaque. En fait, tout autour du Roi, les clans se jaugeaient. À l’exception des évêques qui dépêchaient leurs vidâmes, ou des laïcs trop âgés pour se prêter à l’aventure, les belligérants ne détenaient l’assurance de retrouver préservés leurs propres domaines. Qui partait en chasse risquait à son retour de découvrir son comté pillé, son château mis à sac, quand ce n’était, sa femme enlevée. La main du Roi ne pouvait agir partout, surtout si le Roi lui-même était de l’expédition.

    Le poing du jeune Comte de Flandres s’abattit. Le son mat de son bracelet d’argent claqua sur la table.

    — Je partage l’avis du Duc Henri !

    — Parlez Comte Arnould, nous vous écoutons.

    — Mes terres se situent au septentrion du royaume. Elles sont la proie d’exactions de tous horizons.

    La face de Hugue manifesta une infime crispation. Arnould était jeunot lorsque le Dux avait saccagé ses terres. De notoriété publique, son grand-père entretenait vif ce désagréable souvenir, ne cessant de dresser ses descendants contre les perfides Robertiens. Discrètement et à sa seule intention, Hugue haussa une épaule. S’il fallait se reprocher chaque escarmouche passée, le conseil finirait par siéger sur le champ de mars…

    — Les Flandres sont riches de leur sol, de leurs étoffes et de leurs négoces. N’oublions nos ports dont tant restent à fortifier ! Autant les pirates que les Germains les convoitent. Si votre Majesté et si la noble assemblée présente autour de la table, estiment raisonnable de repousser d’un an seulement, le départ de nos armées…

    — Vous n’êtes obligé de personnellement vous engager, Arnould. Vos hommes et vos officiers peuvent passer sous mon commandement.

    — Je vous remercie, Sire, mais je ne conçois d’envoyer mes hommes à la guerre et de rester en mes terres. Quel seigneur ferais-je !

    Le vieil Albert de Vermandois approuva :

    — Vous exprimez l’opinion de rigueur autour de cette table, Arnould. Si on excepte, toutefois, ceux d’entre nous ayant charge d’évêché et pour lesquels, le service de Dieu prime sur celui des armes.

    Louis requit l’avis de sa noblesse. Il valait, en ce jour, pour l’aristocratie entière.

    — Est-ce là l’avis général ? Votre conseil, mes seigneurs, est-il de repousser à l’an prochain notre expédition en Espagne ?

    Un grondement approbateur ponctué de Oui ! Oui ! frappait les voûtes.

    — Bien. Arnoul, procédez au vote.

    Le chancelier, en retrait auprès de ses notaires, réitéra la proposition du Roi :

    — Messeigneurs, à la question du Roi Louis, lesquels d’entre vous conseillent de reporter à l’an prochain l’expédition contre le Khalife Almanzor ?

    Les poings se dressèrent sans exception aucune.

    — Voilà qui est éloquent, souffla Louis. La question est réglée. Que l’on dépêche des messagers au Seigneur Borel. Aux fins de ne compromettre la sécurité du Royaume des Francs en ces jours qui suivent le décès de son glorieux Roi, il lui faudra patienter le temps d’un an. Je veux que ce délai, soit mis à profit et voie aboutir les travaux de fortifications, que mon père à moult reprises, exigea de vous. Ils se démontrent – vous en avez aujourd’hui la preuve – cruciaux, quand sonne l’heure des choix. Passons aux points suivants. Chancelier !

    — Votre Majesté comptait soumettre à l’assemblée la question de la Haute-Lotharingie.

    — Ce point mérite de figurer à ce conseil. Mon père de divine mémoire conclut, il y aura de cela six ans en juillet, un traité de paix avec l’Empereur Otton-le-Second. Depuis lors, les termes de leur accord ont été respectés par chaque partie. L’incursion de l’an dernier, dans Virdunum, n’y dérogea point. En aucune façon…

    L’observation du Roi visait Wigericides et Robertiens. Adalbéron de Durocortorum conserva sous sa pique, un air détaché. Trop détaché, au goût de Louis. D’un timbre neutre, le Roi exposa alors une version des évènements que le prélat eût préféré ne point entendre. Surtout en présence des ducs Hugue et Henri, aussi marris que lui.

    — Les Impératrices ont reconnu la légitimité de notre expédition. Elles le prouvèrent en se gardant d’interférer. L’eussent-elles interprétée comme une violation du traité de Marguiro, que leurs armées sans pitié convergeassent sur nous. L’Empire n’est distant de la Lotharingie. Or malgré ses pigeons messagers, Godeffroy de Virdunum n’obtint de secours. La paix, aujourd’hui, bénéficie équitablement aux Royaumes et aux Duchés. Pourtant, certains signaux laissent présager, de funestes revirements possibles. Je vous félicite d’autant plus, de la sagesse de votre vote : il ne paraît ni opportun ni sensé si l’on sait ces menaces grandissantes, d’amputer le Royaume de milliers d’hommes valides. Forte d’un contexte stabilisé, notre campagne d’Espagne se déroulera sous des cieux bien plus propices. Il est impératif en amont de toute perspective d’envoi de troupes vers le midy, de garantir une paix solide dans le nord de la Gaule. Du duché de Normandie jusqu’aux frontières avec l’Empire. Je ne veux et nul d’entre vous ne le veut, savoir livrés aux Germains ou aux Vikings, et nos terres et nos sujets. Je ne remets en question, la parole de feu l’Empereur Otton concernant nos accords. Non, tels ne sont mes propos ! Mais je me méfie des ambitions de voraces qui, depuis sa mort, n’ont eu de cesse que de fragiliser son Trône.

    Des signes de tête appuyaient les déclarations du Roi. Le Duc Charles et Arnould de Flandres échangèrent une œillade de connivence. Monseigneur de Noviomago et Monseigneur de Suessionum, assis côte à côte, approuvèrent. Le report à une échéance raisonnable de la guerre contre le Khalife Almanzor leur causait certes de l’embarras, mais la sauvegarde des âmes franques représentait leur souci premier. Monseigneur de Suessionum pressentant que le Roi n’avait formulé l’entièreté de sa pensée, le questionna :

    — Que compte faire votre Majesté ?

    Son intervention brisa les discussions, que Louis ne voulut interrompre. Les visages l’interrogèrent, à l’affût de sa réponse.

    — Rencontrer l’Impératrice Théophano et ma grand-mère l’Impératrice Adélaïde. Si nous espérons vivre dans le plus fraternel des voisinages, nous devons davantage encore affermir nos liens. Ce que mon père édifia, je le consoliderai afin que son édifice traverse les ans.

    — À qui confierez-vous la cité pendant votre absence Majesté ? À la Reine ?

    Albert de Vermandois s’exprimait d’une voix hésitante. Louis rétorqua, coupant ras l’hypothèse :

    — Quelle Reine ? Il n’y a actuellement de Reine sur le Trône. Quant à ma mère, Emme, veuve de mon père le Roi Lothaire, elle sera de ma suite lors de cette rencontre familiale, et aura plaisir à revoir sa mère l’Impératrice.

    Ce qu’il n’ajouta, c’était qu’en aucun cas, Emme ne demeurerait seule en sa capitale.

    — Le Comte de Blesis aura avec le Comte Héribert, charge de ma cité et des affaires courantes. Le Duc Hugue se tiendra prêt à l’appuyer. Je lui confierai Compendium. Je ne m’absenterai longtemps. Je proposerai aux Reines une rencontre à mi-chemin. Ce qui écourtera notre absence.

    — Puis je poser une question à votre Majesté ?

    — Que voulez-vous savoir Monseigneur ?

    L’Évêque de Bellovacum s’expliqua :

    — À quelle échéance votre Majesté compte-t-elle visiter ses territoires ? Il est coutume que tout nouveau souverain aille à la rencontre de ses vassaux, visite son royaume. Vous plierez-vous à cette tradition ?

    — Certes oui, je rencontrerai mes seigneurs. Avec mon père ou sous son règne, j’ai largement sillonné mon royaume. Des affaires pesantes me retiennent céans. J’honorerai plus tard, le moment voulu, leurs invitations.

    ***

    — Voilà un conseil rondement mené !

    Charles abattit un bras possessif sur Arnould de Flandres. L’épaule du jeune comte disparut, enveloppée par la patte du Duc. Avec la musculature lourde et ses épais vêtements brodés, le Carolingien affichait en effet, stature double à celle de son compagnon.

    — Notre Roi fut à la bonne école auprès du Roi Lothaire… reconnut Arnoul.

    — Mon neveu se montre avisé de se méfier ainsi d’Emme. Cette belette entretient correspondance avec tout ce qui porte une robe.

    La réputation de la Reine avait franchi les limites des comtés. En outre, Charles se délectait à renseigner le comte sur cet appétissant sujet.

    — Qui en particulier ?

    — Oh, tant et tant ! s’esclaffa le Duc. Mais je songeais à ses lettres destinées à notre gros Archevêque de Durocortorum. Celui qui traîne si lamentablement la patte. J’imagine qu’il doit être commode quelquefois, de marcher si lentement. Pareille infirmité sert de prétexte, à qui veut laisser traîner ses yeux et ses oreilles. Je songe aussi à notre Évêque de Laudunum… Quoi qu’en ce qui concerne ce bougre-ci, ce serait plutôt lui qui, pour la Reine, tremperait sa plume…

    Le Comte Arnould le dévisagea ahuri. Tant d’insolence le stupéfiait ! Il éclata de rire, et adoptant définitivement ce cocasse compagnon, il s’enquit :

    — Ne connaîtriez-vous, Charles, une auberge accueillante ?

    — Pas de vous ami, mais tu ! Oui, je connais auberge et

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