Le dernier Carolingien: Le chêne foudroyé
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À PROPOS DE L'AUTRICE
Au terme de sa carrière professionnelle, Marie Kastel-Riviere entreprend de retracer un épisode méconnu de l’histoire du royaume des Francs. Saga constituée de trois volets, "Le dernier Carolingien" est le fruit de trente années de recherche sur le Moyen Âge.
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Avis sur Le dernier Carolingien
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Aperçu du livre
Le dernier Carolingien - Marie Kastel-Riviere
Marie Kastel-Riviere
Le dernier Carolingien
Le chêne foudroyé
Roman
Une image contenant Graphique, texte, Police, graphisme Description générée automatiquement© Lys Bleu Éditions – Marie Kastel-Riviere
ISBN : 979-10-422-4618-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Frédéric, Kévin, Arielle et Quentin
pour leur précieux soutien.
À Catherine,
sans qui je ne me serais lancée dans l’aventure.
À Juliette et Prosper, mes parents.
Deux semaines s’étaient écoulées depuis le départ de Lhywin. Et ce fut à l’issue d’une messe célébrée par Monseigneur Guy en sa cathèdre d’Annicium, que le Roi Lothaire et la Reine Emme quittèrent à leur tour les terres du midy. Leur périple au cœur de l’automne rattrapait le tracé emprunté à l’aller. Dans les chariots, les présents de la famille d’Anjou remplaçaient les cadeaux destinés à la promise. Les Grands retournés dans le nord, le cortège délesté de lourds attelages, les Francs progressaient à une allure soutenue, organisant – au grand contentement d’Emme – leurs étapes dans les abbayes. Alors que son royal frère regagnait sa capitale, le Duc Charles, quant à lui, mettait le cap sur sa Basse-Lotharingie. Il entraînait dans son sillage son neveu Richard. Lothaire, estimant l’occasion belle, avait en effet incité son fils illégitime, à partager son escorte. Par courtoisie, oui, mais non seulement. Dans le but surtout, de sonder les ambitions de son imprévisible cadet. Charles affectionnait Richard ainsi que le clan Namucho, auquel la mère du jeune homme appartenait. Aussi, bien que lucide quant aux intentions de son aîné, il se montra ravi de la distraction que lui procurait la compagnie de son neveu. Leur chevauchée ne tarda à les mener aux berges d’un large fleuve. Le Rhodanus. Ils le franchirent par barge à hauteur de Vienna, profitant en cette cité, de l’hospitalité chaleureuse du Roi Conrad et de la Reine Mathilde.
Mais, le cœur de Charles ne s’abandonnait totalement aux réjouissances, qu’elles fussent d’ailleurs ordinaires ou somptueuses. Depuis la cuisante défaite infligée par les Arabes à l’Empereur Otton, la jovialité coutumière du Duc allait se réduisant à peau de chagrin. En fait, Charles se rongeait littéralement les sangs. Il lisait dans l’inconcevable débâcle impériale, les prémices d’un revirement de cette Providence, d’ordinaire si clémente envers son protecteur. Il en échafaudait cent conjonctures, plus préjudiciables l’une que l’autre, aux intérêts d’Otton. Maudite bataille, que celle de Rossano ! Désastre, auquel se greffaient maintenant les déboires infligés par les Danois à l’Empereur. Autant de revers qui fragilisaient l’Empire, au risque un jour de le craqueler.
… Et menaçaient de compromettre sa propre assise, si péniblement arrachée au destin.
Solitude de Roi – Automne 982
À l’image des feuilles que le vent disperse, la famille, les amis, les vassaux de Louis s’en étaient allés retrouver leurs domaines. Son règne débutait… Son règne débutait mal.
Déjà, Louis boudait le lit de la Reine. La rumeur du désaccord entre le Roi de quinze ans et son épouse de trente-cinq ans nourrissait les rumeurs de la Cour. Il parvenait, malgré tout, à faire bonne figure à ses côtés en société. Il offrait à Azalaïs son poing, sur lequel elle posait – le frôlant à peine –, une main à la carnation d’albâtre. Il ponctuait ses paroles de sourires qui pouvaient passer pour d’aimables attentions. Dans lesquels cependant, l’observateur le moins éveillé n’eût discerné aucune autre expression, qu’une froide politesse. Car convaincu de l’importance de son épouse dans la réussite de ses entreprises, le jeune Roi s’efforçait de faire étalage devant leurs seigneurs, d’une union sereine. Azalaïs incarnait la clé pour accéder à l’âme aquitaine. Combien de fois, Lothaire insista-t-il, sur la singularité de sa future bru ? La comtesse, fille d’Aquitaine de par sa naissance et de par ses épousailles, puisait en ces terres méridionales, ancrage autant que réputation. Sa parentèle comptait à son service de très influentes familles, disséminées sur un immense territoire. En fait, si le clan d’Azalaïs tenait entre ses mains si puissantes rênes, il en restait redevable à l’illustre Acfred, Duc, dont il défendit en son temps, âprement autant qu’impitoyablement la cause. Louis avait retenu la leçon paternelle, décidé puisqu’il ne saurait l’honorer dans son lit, à honorer publiquement cette femme que l’intérêt du Royaume avait faite sienne. Depuis le Sacre, Azalaïs sans chaleur, se prêtait à ce simulacre.
Bien que son épouse en incarnât l’âme, il fallait également à Louis, comprendre la langue de son nouveau Royaume, ses intonations surprenantes, tant étrangères au parler roman ! Car quelques jours avaient suffi au Roi, pour édifier un constat des plus déroutants. Si certains de ses vassaux ne pratiquaient, la langue latine – pourtant de rigueur dans l’aristocratie –, d’autres la maîtrisant recouraient néanmoins en sa présence, à la langue vulgaire. Méditant sur cette étrangeté, Louis lut dans leur conduite, une volonté, un pacte, destinés à lui signifier leur différence et plus grave, à réfuter et sa race et les usages francs. C’est ainsi qu’entraîné, ballotté dans un tumulte de mots abscons, le Roi sentait croître sa révolte, à mesure que décroissait sa tolérance envers ses vassaux. Impossible, même, en ces semaines-là, de se faire entendre du premier de ses serviteurs, un jeune noble d’environ vingt ans. Stephanus, fils du Seigneur de Beaumont, que la Reine Azalaïs avait sans tarder, affecté à son service.
Un visiteur se présenta pourtant, au cours de cette hasardeuse période. Le Seigneur Guillaume, Comte d’Arles, fils du Seigneur Bozon. À l’invitation de son Roi, l’homme, très brun, la quarantaine robuste, séjourna au château. L’érudition militaire, ainsi que le tempérament du comte séduisirent d’emblée son suzerain.
— C’est le modèle du noble serviteur, sur lequel aime s’appuyer un Roi… songea Louis.
Les heures passées avec le Comte Guillaume constituèrent à ce titre, un îlot rassérénant dans la mer confuse, où baignait le souverain. Pourtant, malgré la sympathie que lui inspirait son hôte, Louis se tenait aux aguets. Il attendit – les premiers jours surtout – qu’une requête à mi-mot exprimée, qu’une médisance glissée à l’encontre d’un rival, tombât comme négligemment, d’entre les lèvres du comte. Rien ne vint. Force fut de constater qu’il ne percevait en son interlocuteur, nulle trace de forfanterie ou de vanité. Et ce fut en compagnons qu’ils vidèrent leurs coupes. Guillaume de par sa nature, lui rappelait les Vermandois Eudes de Blesis, Herbert de Meldis, Héribert de Laudunum, les compagnons de son père. Herbert, surtout. Il s’exprimait droitement, sans politesse exagérée, écoutait attentivement sans interrompre ses vis-à-vis. Et, détail d’importance pour un Franc tel Louis, son étalon acquis auprès d’un calife d’outre-mer faisait l’objet de mille soins. Ses sabots comme ses dents luisaient sainement. L’animal – c’était une évidence – était choyé, confié par son maître aux mains d’écuyers, méticuleux et aguerris. Contrairement à la pauvre monture du Seigneur d’Anjou dont les crins emmêlés et la robe constamment maculée prouvaient qu’on ne l’étrillait correctement. Ces marques d’attention envers un cheval achevèrent de convaincre Louis de la valeur morale du Comte Guillaume. Il s’en réjouit, soulagé de rencontrer enfin chez un être de son entourage, valeurs semblables aux siennes.
Ainsi, sitôt que l’occasion se présentait, Guillaume étayait de ses analyses, les perceptions politiques de son jeune souverain. Avec doigté, quand il s’agissait du Royaume, plus ouvertement dès lors qu’il abordait le gouvernement de sa Provence. Concentré sur ses exposés, Louis veillait à n’en perdre miette. Une matinée lui suffit pour aboutir à une conclusion : à l’aune des analyses du Comte, Guillaume, les commentaires de son beau-frère Grisegonnelle se réduisaient à des cancanages de basse-cour. Le Roi ne fut, par ailleurs surpris, d’entendre son invité mentionner les liens amicaux qui l’unissaient à son oncle et à sa tante, Conrad et Mathilde de Burgondie. Selon ses dires, ses voisins et lui fédéraient leurs armées en vue de contrer – et l’avenir leur donna raison –, les incessantes incursions arabes, dont l’armée d’Otton à ses dépens avait fait les frais. Là ne résidait l’unique alliance conjointement bâtie. Roi et comte envisageaient, en fait, de déployer d’ambitieuses stratégies en matière de commerce. Le sujet, quoique mercantile, allumait, selon le comte, une passion nouvelle dans les yeux du vieux Roi. Conrad pressentait l’opération, annonciatrice d’un fulgurent essor de ses ports et comptoirs implantés en rivage du Rhodanus. Sans aucun doute, ses bienfaits s’étendraient aux cités bâties le long des affluents du grand fleuve. Malgré ses caprices liés aux saisons, Conrad concevait cette route fluviale, telle une route terrestre. Mais la route la plus large qui pût s’imaginer ! Un tronçon incontournable pour qui voulait rallier les côtes arabes à la mer septentrionale, desservir califats, comtés, duchés, royaumes et faire fructifier son négoce. Il songeait aux précieuses denrées acheminées depuis l’orient par les Radhanites, ces marchands juifs s’aventurant jusqu’aux confins du monde connu. Oui, tel essor ne pouvait que profiter à la Burgondie et à la Provence.
Hélas, il fallut au passionnant compagnon, regagner ses terres, rejoindre son épouse Esinthe, grosse après avoir perdu une première fois son fruit. Ce fut, avec regret, que Louis lui accorda le congé. La Reine également se montra chagrine de son départ. Son humeur s’assombrit davantage, au cours des jours qui le suivirent.
***
Le départ du comte sonna et de manière durable, l’avènement de sa solitude de Roi. La Royauté, ce sacerdoce jaloux, au nom duquel Louis venait d’accepter un inconcevable renoncement. Dès lors, une soif d’agir s’empara de lui. Soif inextinguible à laquelle, il décida de se livrer sans retenue d’autant qu’elle lui évitait de songer à l’Aimée. Ou pire encore, de compter les jours le séparant de l’arrivée de son messager. La première mesure qui guida l’action de Louis consista à appréhender les rouages internes de son Royaume. Il lui fallait en découvrir, avec plus de finesse, les incontournables personnages. Avec tact, le Comte Guillaume lui avait laissé entrevoir son opinion. Sans pour autant s’appesantir ou livrer le fond de sa pensée. Il se garda de tronquer et le jugement de Louis et ses futures relations avec ses vassaux. Un matin de la fin octobre, le Roi manda un nommé Cunebert. L’homme assurait la fonction de secrétaire auprès de la comtesse et de son fils le Seigneur Pons, durant leurs séjours à Vetusta-Brivata. Cunebert excellait au maniement de la langue noble, ce qui le ravit. Son oncle, un noble de la famille de Chanteuges, avait jusqu’à son décès l’an passé, exercé la fonction de prévôt dans la cité. Ne laissant d’héritier direct, une part de sa fortune échut à Cunebert, lequel de constitution fragile, affichait du haut de ses trente ans, un corps précocement voûté aux épaules étroites. Quand il lui fut présenté, Louis marqua un moment d’indécision, déconcerté par sa triste figure, sa robe qui lorgnait davantage vers le froc que la tunique. Mais il retrouva aplomb en croisant le regard vif du secrétaire, regard semblable à celui de Monseigneur Liudolphe, l’avisé conseiller de son père Lothaire. Dès que son souverain aborda le domaine des généalogies, sa face de Carême se fendit d’un franc sourire, et la culture de l’homme s’avéra époustouflante d’érudition. Le Roi lui confia aussitôt ses premières missions, lui intimant de produire les archives qui conforteraient par leurs écrits, l’immense étendue de sa mémoire. Hélas, malgré la volonté qu’il déploya pour satisfaire son maître, ce fut un Cunebert balbutiant et contrit qui s’inclina devant son maître. Il étala de fort anciennes cartes, caduques pour la plupart, dont il commenta avec précision, les modifications survenues. Même réponse fut apportée concernant les actes, les recueils, les généalogies que le Roi mandait à consulter.
— Ces documents ne se trouvent ni ici ni à Mematensemvinculum, Votre Majesté. Ni au monastère de Saint-Julien. J’ai personnellement interrogé l’Abbé. Les pièces ne sont archivées ni en un lieu ni en une chancellerie unique. Non, les actes restent détenus par les seules parties concernées… S’ils n’ont été détruits…
Déçu, le Roi soupira :
— Encore un effet de ces sempiternelles faides, de ces guerres entre clans.
— Non seulement Majesté.
L’embarras de Cunebert était palpable.
— Parlez en ce cas. N’ayez crainte de votre Roi puisque vous le servez honnêtement.
— Il est des pratiques que je réprouve, que votre Majesté a dû rencontrer également dans le royaume de son père. Celles de certains fils qui, afin de ne point se trouver lésés en leur héritage, détruisent toute trace de donations consenties par leurs aïeux… Ces malversations entravent grandement notre travail, quand il s’agit de mettre à jour nos cartes et nos inventaires.
L’exemple du Vicomte de Dalmas s’imposa à son esprit. Heureusement le Roi, s’il savait le contraindre d’un regard, ne savait déchiffrer ses pensées. Louis rétorqua :
— Je les ai pourtant examinées à Laudunum. Devrais-je envoyer quérir des copies auprès de mon père ? Laissez pour ce jour ! Déposez ce que vous avez pu m’apporter en un lieu sûr. Il ne faudrait pas que nos archives s’étiolent davantage.
Réfrénant sa colère, le jeune Roi l’abandonna, en tête-à-tête avec les parchemins qui, inutilement, encombraient la table. Sans même se couvrir d’un manteau, il gagna l’écurie, bâtiment sombre abrité dans la petite cour du château. Une odeur lourde de fumier émanait de l’endroit où l’attendait son compagnon d’exil. Il enfourcha Tonnerre, talonnant à peine l’étalon. Les murs de la cité franchis, le cheval s’élança, suivi à distance par deux cavaliers. À l’image d’un souffle sur une flammèche, le vent de la course balayait la colère de Louis, jusqu’à l’éteindre complètement. Sa poitrine s’emplit de la fraîcheur piquante, presque hivernale de l’air, tandis que sa vue se brouillait. Il distinguait à peine les paysans figés sur son passage, les cultures d’automne restées en champs, les arbres bordant le sentier forestier sur lequel caracolait Tonnerre. Cavalier et cheval s’enfonçaient dans la sylve. Des hommes débouchèrent d’une clairière. Des bûcherons, qui manœuvraient une charrette de grumes. Ils n’eurent de temps, que de garer leur attelage sous les branches, pour attendre prudemment, que l’escorte à son tour, les eût dépassés. Perdu en d’autres terres, auprès d’une autre femme, Louis laissait Tonnerre mener leur course, songeant n’avoir jamais éprouvé une solitude pareille à celle qu’il vivait. Dès que s’évanouissaient les écueils du quotidien – comme à chaque fois sur le dos de Tonnerre –, le souvenir de Lhywin réclamait tous ses droits, faisant voler en éclat, et les préoccupations et l’amertume qui se disputaient habituellement ses pensées. Guénolé bientôt, reviendrait à Vetusta-Brivata. Du moins, Louis l’espérait. Il s’impatientait du retour du messager, mais aussi de la présence de l’ami. Pénétrant ses narines, des odeurs de châtaigniers, de fougères, de résine lui indiquaient la végétation que sa course effrénée traversait. Louis s’en grisait, ignorant ses autres sens. Il laissait Tonnerre les guider.
***
La Cour comptait peu de « nourris ». Si les frères d’Azalaïs – trop promptement au goût du Roi – avaient déserté Vetusta-Britava, ses fils eux y prolongeaient exagérément leur séjour. Pons atteignait ses vingt-cinq ans. Et si Louis se montrait conciliant envers Étienne, son aîné également par l’âge, son humeur rapidement fulmina devant les épanchements d’affection de mise entre Azalaïs et Pons. Épanchements mêlant mots incompréhensibles, rires étouffés et tendre complicité, dont jamais en sa mémoire, sa mère la Reine Emme ne fit montre. De plus, l’aîné de son épouse, s’il lui fallait s’adresser ou répondre à son jeune beau-père, refrénait à peine son agacement. Confronté à la morgue de l’héritier du Gévaudan, Louis serrait les mâchoires. Il ne voulait prononcer si tôt dans leurs relations, la parole qui fut de trop. Un après-midi, laissant mère et fils penchés sur un psaltérion dont Adélaïde pinçait les cordes, Louis prit brutalement congé. Il regagna sa chambre, qu’il avait exigée, éloignée de celle de sa femme. Déception et impuissance le submergeaient avec une intensité jamais atteinte. Car les semaines succédaient aux semaines, ineptes. D’une oisiveté forcée. Insupportables ! Dans l’esprit du jeune Roi, le doute, né de l’inaction, ouvrait dangereusement le champ à toutes les conjectures :
— Ce n’est ainsi que peut se forger un Royaume ! Ces Anjou veulent-ils d’ailleurs de la royauté ? À moins que le couronnement de leur sœur, suffise à asseoir auprès de leurs rivaux, leur autorité ? Je ne les sens disposés à m’appuyer, ainsi qu’ils le devraient. Surtout en ce moment… Ni à consacrer à la royauté franque, muid de leur temps ou de leurs préoccupations.
Les jours qui suivirent ne démentirent son sentiment. Un matin, n’y tenant plus, Louis rejoignit son épouse dans la grand’salle. Il préférait s’entretenir avec elle, en ce lieu ouvert à tous, plutôt que dans la chambre conjugale, emplie d’abominables souvenirs. À peine poussa-t-il porte et tenture, que les suivantes d’Azalaïs s’inclinèrent et disparurent. C’étaient deux femmes d’âge mûr, qu’il lui avait souvent vues. La veuve de Chanteuges, tante du diligent Cunebert, sa première dame, et une femme d’environ trente ans. Il s’agissait de Dame Gausberte, fille du Vicomte Dalmas. Depuis le début de l’automne, les candélabres demeuraient allumés le jour durant. Dans l’âtre – dont un conduit donnait sur l’extérieur – flambait un tronc de hêtre. La pièce était confortable. À l’entrée de son époux, Azalaïs suspendit sa lecture, prenant garde néanmoins de ne refermer son ouvrage. Après une brève inclinaison de la tête, sans préambule, le Roi aborda l’objet de son mécontentement :
— Madame. Me faudra-t-il compter uniquement sur mon secrétaire pour me seconder dans la conduite de ce royaume ?
Azalaïs se contenta d’un haussement de sourcils.
— Pourquoi cette question, mon ami ?
— Pour la raison première que les seigneurs laïcs de notre royaume ne comprennent ni la langue franque ni même la langue latine, que tout homme de haut rang se doit pourtant de pratiquer.
— Nombreux la pratiquent mon doux Seigneur. Détrompez-vous.
Elle déposa son livre sur une tablette encombrée d’épais fils de couleurs. Puis, du ton dont on sermonne un enfant, ajouta :
— L’expérience me le démontra, la langue qui permet de bien gouverner est celle parlée par sa noblesse.
— Vous fûtes épouse de comte, Madame, vous êtes Reine maintenant. Rendez-en grâce à votre père, le Seigneur Foulque. Il veilla à vous instruire en lettrée, vous dota richement, favorisant ainsi de hautes unions. Il vous reste toutefois, tout à apprendre de votre nouveau rang.
Azalaïs eut un sourire crispé. D’une voix amère, elle corrigea :
— Vous n’énumérez là, mes seules qualités mon Seigneur. Il ne tient qu’à vous de découvrir les autres.
Un picotement glacé parcourut les mains de Louis. Refusant de laisser paraître son trouble, il rétorqua sèchement :
— Je n’ai nul désir de pousser plus loin leur… exploration. Ce que j’en ai vu m’a amplement suffi.
Puis enchaînant, sans laisser à son épouse le temps de la répartie :
— Nous nous attardons ici dans ce château qui au demeurant, constitue l’héritage de votre aîné. Je conviens que ces murs n’ont point été érigés, en vue d’offrir résidence à des souverains. Pas davantage que d’autres possessions, que j’ai pu visiter.
— Nous n’avons visité mes domaines ni en Gévaudan ni en Aquitaine. Seriez-vous déjà fâché de régner en mon pays, que vous me reprochiez l’inculture de mes seigneurs et l’architecture de mes châteaux ?
Le mes résonna déplaisamment aux oreilles du Roi.
— Il me semble Madame, que vous parlez de notre pays, de nos seigneurs et de nos châteaux ?
— Cela est évident. Je ne suis point encore accoutumée à notre mariage… et m’y accoutumerais plus rapidement, si je retrouvais chaque soir mon mari.
— J’aime la pudeur dans le langage. J’y lis délicatesse et éducation. Je retrouverai le chemin de votre couche quand le désir m’en prendra. Ce ne sont pareilles dispositions de votre part qui m’y inciteront.
Azalaïs tarda à répondre. Son époux déjà enchaînait :
— Je suis venu vous entretenir de points d’importance. Existe-t-il en votre entourage un serviteur sur lequel un Roi – même Franc – puisse reposer sa confiance en vue d’établir son commandement ? Ce préalable à la conduite d’un Royaume ? Mon père jouit du soutien de compagnons fidèles. Votre famille compte-t-elle de ces hommes ? Fut-ce d’un seul ? Un homme sur lequel je puis m’appuyer… et de préférence parlant la langue latine ?
Un nom s’imposa à Azalaïs, qu’elle tint caché. Elle répondit simplement.
— Ne comptez-vous régner avec votre Reine ?
— La Reine disposera de toutes les prérogatives d’une Reine franque. Elle recevra sollicitations et doléances, tiendra audience. Elle conseillera le Roi avec justesse. Elle assurera la gouvernance des châteaux et des palais où elle séjourne en l’absence de son mari. Et bien entendu, elle mettra tout son cœur à renforcer les liens entre le Trône et les puissants de sa famille ou leurs alliés. Au profit de la Couronne et du Royaume. Ce rôle sera vôtre, Madame. Mais il faut pour régner : gouverner. Un Roi a nécessité d’un conseil composé de vassaux honnêtes, acquis à l’intérêt commun. J’ai rencontré nombre de Grands, qu’ils soient Mercœur, Arvernis, ou Velay, ainsi que des familles de moindre prestige, au cours du voyage qui me mena à vous. Je ne puis jurer ni de leur tempérament ni de leur volonté d’œuvrer pour la Couronne. D’aucuns m’apparurent repliés sur leurs domaines. Il faudra pour asseoir notre règne, instaurer un conseil ainsi qu’une Cour, dignes de ce nom, afin que nos seigneurs sachent que dorénavant, le pouvoir réside entre les mains du Roi.
Tandis que Louis exprimait sa pensée, Azalaïs, sa colère tombée, semblait évaluer la hauteur de l’obstacle. Il ne remarqua sa grimace, alors que mentalement, elle concluait :
— Cela ne se pourra. Tu ne connais nos règles.
Elle conservait le visage baissé.
— La tâche me paraît ardue, mon ami.
— Vous avez, à moins que je ne m’égare, introduit auprès de ma mère, votre souveraine une supplique. Dois-je en conclure, que l’unique motivation de notre mariage résidait en fait, en la protection de votre clan. S’il fallait un Sacre pour museler vos ennemis, je mesure la puissance de ceux que notre union range aujourd’hui, au nombre de mes adversaires.
— Mon Roi ! Perdez-y votre superbe, mais ma famille est l’une des plus illustres qu’il soit ! Nous n’avions besoin d’un quelconque secours, pour nous garder de nos ennemis ! Non, nos comtés réclamaient un Roi, pour qu’enfin, la paix y soit rétablie. Y compris, au prix de l’oriflamme franc ! Trop de générations n’ont vécu d’autres saisons que celles des carnages et de l’horreur. Depuis Géraud d’Aureliacus, chaque tentative de réunification avorte dans le sang. Nos terres ne sont que des bourbiers de cendres et de cadavres, étouffant toute espérance d’un jour meilleur. L’Église, ses princes et ses prêtres se démontrent impuissants à imposer une trêve au nom de Dieu ! Votre ironie, face aux souffrances de votre Royaume, résonne du pire aloi mon ami !
Elle ajouta d’un ton de défi :
— … et comment organiseriez-vous le commandement du Royaume ?
Louis, lui tournant le dos, s’approcha du feu. Ces récits de tueries, de milites sanguinaires, de massacres entre clans, il les avait ouïs cent fois à Laudunum. Aussi choisit-il de ménager Azalaïs. Il la savait sincère en son émoi et elle demeurait pour l’heure, son unique, quoique précaire, alliée. Il fit quelques pas, se plaça derrière son siège, et déclara d’une voix posée, contrastant avec son agacement perceptible l’instant d’avant :
— Un Royaume ne se décrète ni ne se bâtit en un jour. Il nous faudra compter des années, pour implanter de nouveaux usages. Et pour ce faire, il conviendra d’en livrer l’exemple aux Grands. Cela suppose par exemple, comme il en est à la Cour de Lothaire, d’Otton, ou de Conrad, bref de tout monarque, d’éduquer en notre maison les enfants de nos vassaux. Leur enseigner le latin, afin que tous puissent se comprendre, au-delà des dialectes qui sont langues vulgaires. Grâce aux ouvrages laissés par les Anciens, en y adjoignant comme je l’ai eu en mon instruction, mathématiques, musique, rhétorique, auxquels s’ajoutent les savoirs nécessaires selon que l’enfant soit de l’un ou l’autre sexe. C’est à cette école que les précepteurs éduqueront les jeunes gens, au respect de la hiérarchie temporelle, que Dieu a voulue sur terre : le Roi, les Grands, la noblesse et le peuple. L’unité des Grands et du peuple ne peut s’espérer, si dans le Royaume, tous ne sont convaincus de cet ordre sacré. Reconnaître la puissance royale et respecter le Roi sont les premiers devoirs du vassal, qu’il soit laïc ou ecclésiastique. Cela impliquera en ce qui relève de la Reine, de placer dans sa suite, filles, sœurs, épouses de hauts lignages non seulement des voisins proches, afin de leur inculquer le respect dû à l’épouse royale. Telle fonction s’apparente à une distinction pour la demoiselle choisie. Ainsi, ce qui est d’usage au niveau d’un comté sera d’usage à la Cour. Selon une hiérarchie supérieure, il en va de soi. J’inclus à mes réformes, l’ost, la justice qui aujourd’hui se garde de juger les faides, les règles de négoces et le développement des accès par routes et par rivières. J’ai pu me rendre compte, ici comme dans le nord, que ports autant que voies, doivent être restaurés. Y compris les routes de pèlerinage. Je pense à la Via Regorda, dont les pavés manquants, occasionnent multiples dommages tant aux sabots des chevaux, qu’aux essieux des charrois. Y compris aux pieds des pèlerins qui la parcourent d’hiver comme d’été… Le commerce vers le nord et ses riches productions duquel tous, pourrions tirer profit, peine à s’étendre, faute de routes sûres. Sans négliger les déplacements de l’ost, qui en l’état actuel de nos routes, pâtirait de retards occasionnés par des détours inutiles, induits par des tracés désuets. Nous avons des frontières à protéger et des alliances à honorer, elles ne souffrent d’atermoiements.
Louis s’était immobilisé, soliloquant plus que dialoguant. Il ne voyait de son épouse qu’un dos, des épaules arrondies sous un voile rouge sang brodé d’or qui lui couvrait les chevilles. À la manière d’une stola… Fixant le feu, il se pencha, s’appuyant au dossier de noyer ciselé, avant de reprendre :
— En ce qui me concerne, je recevrai les Grands ici. Nous traiterons les affaires du Royaume en ce château. Dans un premier temps du moins à défaut d’un autre lieu. Un évêque chemine-t-il d’église en église pour organiser la cure des âmes ? Non, jamais on n’assistera à telle scène. Le logis d’un Roi, même modeste, vaut bien une cathédrale. Vers lui, tous doivent converger. Ce qui n’exclut de me rendre sur les terres de mes vassaux. Un Roi doit saisir la réalité de son Royaume, s’il ne veut devenir le jouet de mauvais conseillers. On ne peut régner ni assis sur son Trône ni constamment par les quatre chemins.
Pendant qu’il énonçait son idée, la voix de Louis s’affirmait, laissant entrevoir au fur et à mesure qu’il les exposait, les travaux à mener. Travaux que sa position – du moins l’espérait-il – lui permettrait de mener à leur terme, en dépit de l’adversité. Il les envisageait, comme autant de batailles à livrer pour conquérir son Royaume. Des batailles politiques, dont le butin consisterait en la pacification des terres du midy et en leur soumission à la royauté franque. Plus que d’épousailles entre deux êtres, il était question d’épousailles entre deux peuples et deux terres. Cette perspective au fil des jours et malgré les rébarbatifs augures était parvenue à enflammer son ardeur de conquête. Et s’il lui fallait régner, Louis à la réflexion, se réjouissait que ce soit sur un Royaume qu’il forgerait, dont il modèlerait l’organisation, où il instaurerait de nouvelles et plus justes coutumes. Après les échecs de ses prédécesseurs, l’heure de la réunification entre nord et midy, sonnait-elle enfin ? Mais, encore et toujours, un point, un point capital refroidissait ses élans enthousiastes. Où les dénicher ces hommes, ses futurs compagnons, ces Grands animés tant par la volonté de pacifier leurs terres, que par la confiance en la Couronne ? Ceux sans lesquels, ses ambitions se cantonneraient au rang de chimères… Il lui fallait accoutumer l’Aquitaine au pouvoir royal, instaurer la confiance prélude à la loyauté, s’il voulait les gagner à sa cause.
— Vous en conviendrez : la Reine seule n’y pourvoira pas. Mais sa place, dans mon dessein, sera à bien des égards, prépondérante.
Azalaïs esquissa une mimique douloureuse. La fougue, vibrant, dans la voix de son époux, réchauffait sa nuque. Obéissant à une impulsion, elle leva son visage vers lui, réclamant qu’il la dévore de cette bouche qui la fascinait tant. Louis se déroba, déplia son corps et retourna près de l’âtre, simulant n’avoir perçu son attente.
La Reine dissimula sa blessure. La frustration lui laissait la bouche entrouverte. Louve affamée, à laquelle on venait d’arracher un morceau de viande. Le Franc dédaignait la femme, peut-être apprécierait-il la Reine ? Elle composa une attitude conciliante.
— Sans doute avez-vous raison Louis. Il me faudra réfléchir et vous proposer des seigneurs renommés pour leur vaillance et leur vertu. Je ne saurais, bien entendu, me prononcer. Il vous appartient de constituer votre conseil. Certainement, retiendrez-vous d’autres hommes, parmi votre choix propre.
— Cela me convient, Madame. J’attends vos propositions et rencontrerai les hommes, que vous jugez bienveillants envers la Couronne et à votre famille, puisqu’elle est mienne maintenant. Je les rencontrerai, avant de recevoir ici même, les autres Grands. Il me faudra prévoir un traducteur fidèle.
— Je puis vous conseiller le Seigneur Bertrand. Frère de l’Abbé Dalmas. Sa fille, que vous avez croisée en arrivant, porte le nom de feu son épouse, une amie regrettée. Elle est l’une de mes familières, elle sera prochainement de ma suite. Je ne mets en doute l’attachement de son clan à ma famille. Nous partageons un même sang que le vicomte ne saurait renier.
— Soit, je m’entretiendrai donc avec ce Dalmas. Il me faudra également, disposer de cartes, de diplômes, d’inventaires, tout ce qui permettra d’appréhender plus clairement les possessions, les alliances de mes vassaux. Il me faudra, pareillement, m’informer de leurs projets d’aménagements. Je songe comme je vous l’exposais, aux voies, mais aussi aux fortifications.
— Je puis vous garantir une réponse, en ce qui concerne ma famille. Mais je crains, cher époux, une résistance de la part nos seigneurs.
Louis s’attendait à cette réserve :
— Je les recevrai ici même avant de me rendre sur leurs terres. Envoyez quérir ce Bertrand que vous me recommandez que je juge par moi-même de sa qualité.
Il soupira :
— Dommage que je ne puisse disposer des fonctionnaires de mon père.
Puis, n’ayant mot à ajouter, Louis s’inclina devant son épouse et s’engouffra sous les tentures. Leur long entretien, s’il ravivait son impatience d’enfin goûter au pouvoir – dont l’ombre tangible remuait ses sangs –, bouleversait son corps. Contre toute attente, sitôt la porte refermée, une houle malsaine monta de ses entrailles. Elle se répandit dans sa gorge en une nausée, qu’il réprima douloureusement. Son buste se tordit. Il se rattrapa de justesse, les paumes plaquées contre le mur. Blême, pareillement à un poisson à l’agonie, Louis happait l’air humide suintant des moellons. Pourtant il s’était félicité d’avoir, en la présence de son épouse, su sans effort se concentrer, sur les seules affaires royales. Il avait fait montre de maîtrise. Or voilà qu’une houle abjecte submergeait audace et détermination qui, l’instant d’avant, avaient transporté haut ses élans, lui arrachant sur son passage, les ultimes lambeaux de son intégrité. Une évidence s’imposait. Elle foulait aux pieds, ses espérances.
— Je ne pourrais durablement composer avec cette femme. Ces concessions sont au-delà de mes forces. Elles sont reniements. Je ne me souviens d’avoir éprouvé un écœurement semblable à celui face auquel, aujourd’hui je succombe.
Il fouillait sa mémoire, incapable de se remémorer un malaise qui pût offrir support à une comparaison. Il fit quelques pas. Soudain, pour la seconde fois, son flanc se vrilla. La nausée le reprit.
— M’aurait-elle enherbé ? Si tôt après notre mariage ?
Son inquiétude laissa place à un soulagement las.
— Non, de ce mal-ci je suis coutumier. Pour en avoir la preuve, je n’ai qu’à avaler le remède de Dame Liuta. Il cédera.
Une image s’imposa avec une précision inouïe. Il revit les prunelles d’argent de la médecin. Elle – l’expression qui accompagna sa vision fut – « buvait des yeux » chacun de ses mots, tandis qu’il répondait à ses questions et décrivait au mieux, ses maux. Puis l’image s’évapora, remplacée par une autre. Le visage de Lhywin. Si réaliste que le cœur battant, Louis ralentit sa marche dans l’étroit couloir, afin d’à son aise, le contempler. Affolé à la pensée que la douce vision ne s’évanouît, il en dévora goulûment l’ovale pur et le grain mordoré de la peau. Il s’emplit les yeux des taches rousses saupoudrant son nez et ses joues, des lèvres juteuses et des longs yeux couleur de miel. S’attendrit sur la courbe de son cou si gracile, que ses doigts, autrefois, parcouraient avec dévotion. Il retrouvait intacts ces détails, qu’il se désolait n’avoir pu graver vivants en son esprit. Lhywin lui revenait entre ces murs austères et humides, créature féerique d’un impossible printemps. Que faisait-elle en cet instant ? Leurs pensées venaient-elles de se rejoindre par-delà les forêts ? Aucune nouvelle de Laudunum… Aucun voyageur franc ou même germain n’était venu s’égarer entre les frontières de son nouveau royaume.
***
Enfin le Seigneur Pons s’en retournait vers sa propriété de Mematensemvinculum, où l’attendait sa jeune épousée. Son équipage s’engageait sous la futaie, quand s’annonça l’escorte hérissée d’angons, du Seigneur Bertrand de Dalmas. Louis se souvint de l’homme de bonne taille, à la nuque piquetée de poils noirs, dont il reçut l’hommage le jour du Couronnement. Sa famille figurait parmi les plus célèbres de la région. Bertrand portait gaillardement ses cinquante-sept années. Il conservait, alourdi, mais toujours impressionnant, un poitrail large d’où émergeait un cou massif de taureau. Attributs dont il savait user, pour imposer le respect, qui du temps de sa jeunesse, lui avaient d’ailleurs valu le surnom de « biou ». Il posa le genou à terre. Le Roi l’apostropha d’un timbre alliant courtoisie et réprimande :
— Seigneur Dalmas. Mon vassal le plus proche en voisinage. J’imaginais vous rencontrer plus tôt.
Le Seigneur Bertrand arbora une mine confuse :
— Que mon Roi me pardonne. Il me fallut prendre la route dès l’hommage rendu à votre Majesté, aux fins de régler dans la plus grande des hâtes une affaire d’alleu.
— Une affaire d’alleux ?
La réponse déstabilisa Louis. Il ne s’attendait à si prosaïque, motif. Il supposait plutôt l’excuse d’une parente gravement souffrante. Voire, plus crédible celle d’un domaine à pacifier, argument qui dans la bouche de son serviteur eut revêtu davantage de panache. Dubitatif, le Roi fixait le vicomte. S’il ne l’égalait par carrure, il l’égalait par la taille et tirait confiance de ce constat.
— Les alleux sont pratiques fort usités ici.
Outre la vénalité de l’excuse, Louis s’irritait des incidences fâcheuses offertes par ces dérogations légales. L’alleu exonérait de taxe seigneuriale, d’obligation et de service, son heureux propriétaire. Le bénéfice, certes, ne revenait à la Couronne.
— Que votre Majesté me pardonne ! Je n’ai point songé à me montrer irrespectueux envers mon Roi. Que Dieu m’en garde ! Il doit être vrai puisque votre Majesté l’affirme, que les alleux sont plus nombreux en nos terres, qu’ailleurs. Je l’ignore pour ma part, car il ne m’a été donné de voyager. Mais ces pièces sont ainsi, depuis de nombreux héritages.
Louis se taisait, rattrapé par ses pensées. Le vicomte, mal à son aise, se tenait coi, déstabilisé par son silence. Deux servantes firent leur apparition, les laissant seuls après avoir rempli les coupes, d’un vin grenat. Louis ne paraissait les avoir remarquées. Il s’intéressa enfin au vicomte.
— … des héritages, certes, vous avez raison. Il est regrettable cependant que taxes et impositions soient à ce point plus pesantes, ici que dans le nord. Il est encore plus regrettable que l’imposition se fasse tout au bénéfice de la famille et non point, de la Couronne.
Encouragé par le ton pondéré de sa voix, le Seigneur Bertrand risqua une explication.
— C’est qu’il n’y avait de Couronne en nos terres Majesté.
Louis le fixa, interloqué. Décidément y compris en langue noble, ils ne parlaient un même langage.
— Il y a depuis deux siècles, couronne en vos terres vicomte. Couronne, dont le maître se trouve à Laudunum. Et dont fâcheusement la mémoire ne vous revient, que lorsque la nécessité s’en fait sentir.
— Que votre Majesté pardonne ma maladresse et n’y lise offense. Vous me le rappelez avec raison. Cela sera d’autant plus clair pour chacun, qu’à présent, un Roi détient la capitale ici, en ces terres.
Bertrand s’emmêlait la langue. Il tentait d’amoindrir l’effet de ses réponses précipitées. Si l’attitude de prime abord songeuse du Roi avait pu laisser supposer un tempérament hésitant, la vivacité de sa répartie, lui prouva le contraire. Il ne tolérerait de manquement. Ni à l’égard de ses aïeux. Ni à l’égard des affaires royales. Le vicomte avait sous-estimé son nouveau souverain. Berné par son âge, il ne s’attendait à lui découvrir un caractère si affirmé. D’autant que Geoffroy d’Anjou, décrivant le Roi, n’avait eu de mots que pour sa jeunesse, la qualifiant d’extrême. Visiblement Grisegonnelle manquait de jugement ! Le vicomte se prit à espérer que le sceptre fût réellement entre les mains d’Anjou ainsi que les frères d’Azalaïs le clamaient. Sans guère plus y croire cependant, car le raisonnement et l’aplomb manifestés par l’adolescent mettaient à mal leur présomption. Dalmas décriait l’erreur de jugement du comte. Trop de pompe, peu de lucidité. À son habitude !
— Voilà qui ressemble bien à notre cher Grozferd. Il nous vend un héritier franc, docile, un pantin entre les mains du clan. Et voilà que le damoiseau dévoile des crocs de loup. Féroce à défendre et sa race et son droit. Et qui, de surcroît, pousse l’offense jusqu’à dédaigner l’épouse, qu’avec son frère Guy, il déposa dans son lit.
Sous les pieds de Bertrand, le sol devenait meuble. Il avait franchi le pont du château s’imaginant tuteur de l’adolescent, et le temps de deux phrases se réveillait sous les traits d’un serviteur indésirable.
— Dieu me garde qu’il ne soit adulte, avec dix ans de plus.
… Doté d’une volonté affirmée par l’exercice de la Royauté et débarrassée des hésitations de la jeunesse. D’une stature qui, autant que son tempérament, forcerait le respect. Un Roi guerrier… Se livrant à ces réflexions, les yeux de Dalmas jaugeaient Louis, avant de se plisser en un sourire. Le vicomte se rangea à la voix de la prudence, jugeant préférable de se désolidariser – pour un temps du moins –, des intérêts de sa belle-famille.
Les paroles de Louis avaient porté. Bien sûr la contrition du vicomte n’était que surface, mais il faisait acte de soumission. Cela suffisait… pour l’instant. Aussi, opta-t-il pour la diplomatie, refusant de s’enliser dans leur différend. Après avoir à son tour, estimé une dernière fois son homme, Louis répondit :
— Soit, vicomte, l’avenir nous le confirmera. Je ne souffrirai de réentendre pareils propos. Ils relèvent du commérage et non du conseil que j’attends de la part de mes vassaux. Conseil, dont je prie le Ciel, les analyses se feront en termes davantage réfléchis.
Sa conclusion le renvoya à une autre semonce, assénée – au cours d’une autre existence – par son père, à leurs compagnons. Rompant là, Louis saisit enfin sa coupe. D’un signe de tête, il invita le Vicomte Bertrand à l’imiter. Tout en goûtant au vin sucré, il l’interrogea, brisant la glace encore épaisse :
— La Reine épousa en ses premières noces, feu le Comte Étienne. Le comte fut lui-même époux en ses premières noces d’une de vos sœurs, si j’en réfère aux généalogies. Est-ce exact ?
— Oui ma sœur Anna. La malheureuse enfant décéda sans héritier.
— Vous figurez parmi les proches de la Reine.
— Par le jeu des remariages et l’implantation de mes domaines, Majesté. Par d’anciennes branches de lignée également. Mon ambition, dorénavant, consiste à vous servir, Majesté. Loyalement. La parenté n’octroie la prérogative de figurer, parmi les intimes conseillers du Roi…
Bertrand suspendit sa phrase en une invite. Souhaitant ardemment que le Roi la complétât. Son trouble croissait. Le grand seigneur aux rides nobles abattait ses cartes. Il descendait d’un clan des plus illustres et des plus anciens. Des plus fortunés aussi. Enrichi, ainsi que la famille de la Reine, grâce à la reconnaissance du Duc Acfred, alors que régnait Louis d’Outremer, le grand-père de son jeune suzerain. Clan puissant. Influent. Généreux en ses dons. Violent, en ses exactions. Arrachant par les armes, pour redonner par la main. Y compris à l’Église. Tant de grandeur, tant de courage, mais surtout tant de scandales avaient émaillé ce prestigieux nom, que lustre et honneur n’en sauraient rejaillir hors les feux, d’une nouvelle grandeur. C’était là du moins, l’opinion du vicomte qui escomptait par le service royal, en redorer les éraflures. Dalmas misait sur l’amitié du Roi, ainsi qu’il eût misé sur les bénéfices d’un mariage. Ainsi qu’en usèrent les frères Guy et Geoffroy. La conquête risquait de s’avérer plus ardue que prévu. Le Roi ne répondait à sa sollicitation.
— Je n’ai encore revu votre frère, l’Abbé. J’espère l’accueillir prochainement avec son épouse à ma table où vous serez le bienvenu, avec Dame…
— Dame Foy. Mon épouse se nomme Foy, Majesté. Puis-je me permettre une question ?
— Faites.
Bertrand, avalant sa salive, décida de revenir à la charge.
— Votre Majesté envisage-t-elle de réunir le conseil ?
— J’y songe, vicomte, j’y songe. Il ne peut d’ailleurs en être autrement. Telle est la règle sur les terres de mon ancêtre Charles-le-Grand. Les lois franques ne sont lois romaines, mais lois saliques dictées pour les Francs saliens. La Gesta Regum Francorum régit ces lois, auxquelles le Roi obéit. Elle exige des Grands qu’ils ne jouissent seulement de prérogatives ou ne remplissent seulement devoirs communs, mais qu’ils assistent leur Roi en conseil. Un Roi ne peut régner seul. Cela ne se conçoit. Mon père Lothaire, ses pères avant lui n’ont manqué de recourir aux avis de leurs compagnons. Qu’ils fussent pertinents ou non. Il appartient, ensuite, au Roi, de décider. Ce qu’il fait seul.
Bertrand acquiesça. Louis devenait prolixe en évoquant les coutumes franques. S’il n’avait en ce jour, la certitude de compter parmi les compagnons du Roi, le vicomte conservait bon espoir de siéger à son futur conseil. Les nuages lourds avaient déserté les lieux. Les deux hommes, maintenant, devisaient courtoisement. Le Roi même, se prêtait à sourire, d’un sourire qui illuminait ses yeux et sa face entière. Et l’invitation à la table royale augurait, il est vrai, de crédibles espoirs de rapprochement.
Monseigneur d’Arvernis
Las de guetter le retour de son beau-frère, le Seigneur Grozferd – reparti les cérémonies du Sacre à peine achevées, vers sa cité d’Andegavis – le Roi décida d’honorer l’invitation d’un autre vicomte. Le Vicomte Guy d’Arvernis. Allié notoire des Poitiers et du clan Robertien. Son intention dut franchir par vol, terres et cieux, car la veille de son départ, ledit Comte Geoffroy Grozferd, escorté d’une dizaine hommes à la mine épuisée, se présentait aux portes de Vetusta-Brivata. Faisant fi de ses rituels, aux fins de ne perdre un instant, le frère de la Reine en négligea jusqu’à ses dévotions sur le tombeau de Saint Julien, situé pourtant sur sa route. Le comte entraînait dans son escorte son neveu Pons, ainsi qu’un adolescent vêtu à la mode franque. Prévenu de leur arrivée, le Vicomte Bertrand se pressa d’avertir le Roi. Il le savait auprès de la Reine, dans la grand’salle. Azalaïs écoutait distraitement la traduction d’un poème de Virgile, déclamée par la Dame de Chanteuges. Elle piquait tout aussi distraitement, un linge d’autel. Derrière elle, le Roi, les mains croisées dans le dos, habillait ses réflexions d’incessants va-et-vient. Essoufflé par la course dans l’escalier, Dalmas reprit haleine avant de pénétrer dans la pièce. À sa vue, Louis interrompit sa déambulation. Azalaïs expira longuement. Les jours passants, les déplacements de Louis – ceux d’un animal en cage – lui devenaient insupportables. De plus la Reine les savait désormais annonciateurs de scènes. Elle redoutait un nouvel affrontement. Il débuterait invariablement par un regard du Roi congédiant ses dames. Affrontement qui n’aurait effectivement tardé, car Louis tout en marchant, échafaudait la tournure du discours qu’il s’apprêtait à lui tenir. Encore et toujours il maugréait, face au fébrile enthousiasme témoigné par ses beaux-frères à lui porter appui. Pouvait-il se fier au Seigneur d’Arvernis qui, spontanément, lui avait dépêché son invitation ? Arvernis, un allié du Dux et non un homme de sa parenté ? Hypothèse qu’il ne repoussait pas. Car dans ses spéculations, un soupçon irrésistiblement, élargissait sa brèche. Le timide empressement de Guy et de Geoffroy à remplir leur féal devoir, ne s’expliquait-il pas, par un contentement désormais satisfait ? Dans la jouissance effective, de leurs premiers appétits ? Louis les soupçonnait avoir engagé de lucratives opérations ou conclu avec leurs ennemis, des accords dans lesquels pesait avantageuse, la tare de leur nouveau statut. Il était temps pour Louis de s’en ouvrir sans détour avec le principal membre du clan : la Reine. À l’annonce de l’arrivée de son beau-frère, le Roi soupira :
— J’en jalouserais le Seigneur Geoffroy ! La façon dont la Providence s’emploie à l’inspirer, ne laisse de doute : il compte au nombre des Élus de notre Seigneur.
La déclaration lourde d’ironie tomba d’entre ses lèvres. Azalaïs souleva les paupières, mais signifia à sa suivante de vérifier par elle-même. La Dame de Chanteuges se hissa sur le tabouret disposé à cet effet, près d’une mince lucarne. Elle s’exclama joyeusement :
— Votre Majesté ! Le Seigneur Pons est de retour avec votre frère le Seigneur Grozferd ! Je crois que votre neveu les accompagne.
Dalmas prit le parti de ne point s’adresser à la Reine. Il s’enquit auprès de Louis :
— Votre Majesté recevra-t-elle le Seigneur d’Andegavis ici ?
— Qu’il vienne.
Azalaïs lui lança un regard d’orage :
— Ne conviendrait-il de recevoir ma famille en un lieu plus conforme à son rang ?
— Votre parenté sera reçue ici, en l’intimité de notre existence conjugale. Cela devrait vous réjouir madame.
Le Seigneur Geoffroy Grisegonnelle s’employa le jour entier, à étaler ses vastes argumentaires en vue de renvoyer aux calendes grecques, la visite convenue avec la maison d’Arvernis. Un déplacement si précipité, aux portes de l’hiver, ne laisserait-il supposer que le Roi mendiait l’appui du clan ? Comment les alliés de la maison d’Andegavis interpréteraient-ils telle distinction accordée à d’orgueilleux aristocrates, soumis aux Poitiers ? La traversée de l’Auvergne devenait de jour en jour plus périlleuse. À la faveur d’une récente discorde, les familles de Crest et de Monton, une fois de plus armaient leurs rangs. Les campagnes déjà brûlaient. À se demander si une masure restait à flamber sur leurs territoires ! Des cadavres roussis jonchaient la terre. Grisegonnelle en oubliait presque les Nonette et leurs parents les Brezon ! Rivalisant de fureur, enragés par le sang, ils régalaient leur âme perdue d’une infâme soif d’occire, encore et encore… Impunément ! Car telle était – selon les dires de son beau-frère –, la nature profonde des vassaux de Louis. Dans la vicomté d’Arvernis, les hommes de haute naissance, conservaient de leurs aïeuls, une sauvagerie d’ours. À croire que sangs d’hommes et de bêtes s’étaient en d’autres époques, mélangés. Et partout, compagne des calamités que l’homme et non Dieu, déversait sur la terre, la peste, la terrible faucheuse, réclamait son infernal écot. N’épargnant ni miséreux ni imprudents, lui faisant l’affront de se hasarder par les routes. … Nonobstant le grand émoi manifesté par le comte à l’égard de la santé du Roi, le voyage pourtant, se fit.
Louis admit, néanmoins, que son beau-frère exagéra à peine son descriptif. Durant leur chevauchée vers le château d’Arvernis, ce ne furent que successions de paysages incendiés. Ils parcoururent des terres hier ensemencées, aujourd’hui piétinées, retournées, comme sous le passage de sangliers déments. Sous le commandement du Seigneur Pons, ses hommes exécutèrent une horde de chevaliers pillards, coupant net leur ruée sur une villa. Crevant le silence de mort, les hurlements et les sanglots montaient des terres dévastées. Ces scènes, trop communes, rappelaient à Louis d’autres exactions. À la différence toutefois, que ces dernières ne sévirent qu’une année. Tandis qu’en Aquitaine, chaque génération venant, la haine s’enracinait plus profondément.
Autour de la table du conseil, auquel siégeait pour l’occasion le Roi Louis, avaient pris place, Guy, fils de Robert d’Arvernis l’héritier du clan, ses oncles les dénommés Eustorge, Umbert et Étienne, Évêque de Arvernis, ainsi que les seigneurs formant escorte au Souverain, Grisegonnelle d’Anjou, Pons du Gévaudan et le Vicomte de Dalmas. Si l’intérêt de Louis allait à Monseigneur de Arvernis – dont la réputation le convainquit d’entreprendre le voyage –, il ne devait négliger l’héritier du titre, le Seigneur Guy. L’adolescent atteignait sa dix-huitième année. À la mort de son père, l’enfant avait grandi entre sa mère Inselberge, et ses oncles. Il brillait, astre solaire, sur une parenté totalement dévouée. Le descendant mâle de Robert se trouvait fort d’un illustre héritage. Et si en son apparence, Guy ne présentait visage ni beau ni disgracieux, que lui importait ! Il détenait de par son éducation, une incontestable assurance, manifestant dès le berceau un tempérament que d’aucuns qualifiaient respectueusement de résolu. Aussi, à l’annonce de l’arrivée du Roi, le Vicomte Guy tint à mener le protocolaire accueil, jusqu’à se constituer en unique interlocuteur autorisé. Au fil d’une discussion qui, rapidement, prit vêture de monologue, Louis dut reconnaître que sur ce point-ci non plus, Grozferd ne mentait point. Arvernis puisait une confiance immodérée dans son sang. Louis, s’il en ressentit par moment des pointes d’agacement, s’abstint d’en faire état.
— Suis-je en mon Royaume ou en le sien ? Je puis toutefois comprendre, grâce à lui, certains usages de ce pays. Car quiconque passe un jour en compagnie d’Arvernis, n’a de choix que de lever une armée contre lui… Ne fut-ce que pour le contraindre au silence.
Le vicomte énonçait céans, les innombrables possessions de sa famille en Aquitaine, se complaisant à détailler ses monastères, églises, alleux, cours et villas. Louis s’efforça de faire fi du pesant étalage, afin de ne retenir que l’indéniable influence, à la fois temporelle et religieuse, de son clan. L’arbre, en effet, ne suffisait à dissimuler la forêt. C’eût été une erreur, au motif que la leçon était assénée par un vaniteux, de ne point l’apprécier à son exacte mesure. Mi-irrité, mi-absorbé, Louis conclut :
— Me voilà nanti d’un grand à la ressemblance de notre Duc Hugue, bien que plus disert. Appartenant de surcroît au clan des Poitiers, alliés des Robertiens.
Il s’efforça de ne laisser transparaître d’émotion, bien que la pente de son humeur inclinât dangereusement vers l’impatience. Malgré lui, son regard chercha parmi les oncles, un adulte capable de couper court aux envolées de l’héritier. La réserve à laquelle Louis se contraignait n’échappait à Monseigneur Étienne. L’évêque devinait le Roi crispé et déduisait sans mal qu’il se contenait, aux fins uniquement de ne paraître discourtois.
— Il me faut agir si je ne veux dès aujourd’hui, nous aliéner notre souverain. Mon cher neveu n’est jamais aussi prolixe, que lorsqu’il s’agit de la grandeur de notre maison. Grand bien lui fasse, mais il s’entend surtout à échauffer oreilles et sang, de qui subit son discours.
Monseigneur d’Arvernis se résolut à mettre fin au supplice de ses visiteurs :
— Mon neveu, le Roi Louis aura loisir de visiter ses provinces. Nous serons honorés de lui offrir, ainsi qu’à la Reine Azalaïs, notre hospitalité. Soucions-nous d’abord du confort de nos invités qui nous arrivent en de si affligeantes circonstances. Votre Majesté fit-elle bonne route ?
Monseigneur Étienne, avec civilité, prenait les rênes de la conversation. Louis le gratifia d’un sourire reconnaissant, tandis que le vicomte, réalisant son emportement, se murait dans le silence. Le Roi répondit :
— Le pays d’Auvergne offre moult splendeurs à l’œil. Mais, j’ai pu le déplorer, par trop arrosées du sang de mes sujets.
Un masque douloureux grava les traits du prélat. Il opina.
— Ces agissements déshonorent notre noblesse. Ils portent injure à notre Roi autant qu’ils offensent notre Créateur.
Il poursuivit :
— Dieu a fait don à ses enfants, d’une âme divine. Y compris au plus humble d’entre eux. Son fils bien aimé, notre glorieux Rédempteur, ne naquit-il sur la paille d’une étable, nous désignant la voie de la charité ? Las, nos milites se complaisent à souiller son divin exemple. Lorsque leurs épées tranchent bras et jarrets de nos paysans, fendent femmes et enfants, c’est de notre Sauveur qu’ils se détournent.
Louis renchérit :
— La guerre se mène contre l’assaillant, non contre le frère. Elle appauvrit le Royaume et affaiblit les Rois. De terres exsangues, ne croîtra nulle semence. Quel gâchis !
Monseigneur Étienne – selon une habitude rodée – soupesait son vis-à-vis, tout en conversant.
— Le Roi a acquis expérience auprès de son père. Lothaire dut se montrer meilleur pédagogue qu’Umbert et moi le fûmes pour Guy. À moins que son fils se révélât meilleur élève que notre neveu. À peine sorti de l’enfance, le Roi ne rechigne à ouïr un conseil.
Pendant que Louis entamait le récit de son périple, l’évêque scrutait ses yeux, s’attardant sur ses prunelles étranges, si bleues sur leur contour. Elles flamboyaient, en proie tour à tour, à l’emprise émue de la compassion et au feu d’une révolte qu’il devinait, viscérale. Sa voix, aux inflexions agréables, vibrait, enrobait ses paroles de l’écho passionné de ses convictions. Monseigneur d’Arvernis s’avoua conquis. Quand le Roi se tut, il s’enquit :
— On dit ces querelles meurtrières, moins fréquentes dans le nord, Sire Louis.
Les yeux gris, aussi vifs que ceux du Roi, étincelaient dans la face glabre. L’éclat des chandelles se moirait dans le jeu de ses rides. Louis éprouvait du soulagement à découvrir ainsi, peu à peu, la personnalité de son interlocuteur. Il ne se formalisa en entendant son nom dans la bouche de Monseigneur Étienne. Au contraire, l’adolescent voulut lire dans cette familiarité, la marque d’une sympathie qui lui convint.
— Le premier signe d’une amitié honnête depuis des semaines… pensa Louis, avant de répondre :
— D’ordinaire oui Monseigneur. Bien qu’en nos forêts, rôdent des bandes de brigands à l’affût de rapines. Comme ici, une végétation épaisse épouse les limites des essarts. Ce décor facilite leur fuite. La mort brutale est le lot de ces méchants. Au printemps de l’an passé, j’ai de ma main, occis un égorgeur. Un criminel mangeur de chair humaine. Ses chefs furent exécutés sur ordre de mon Père. Tels faits ne sont courants. Dieu nous en préserve ! Mais ce furent-là, assassins de basse souche, non point, des meurtriers bien nés. Il y eut, je dois le reconnaître, des nobles mêlés à ces exactions… déchus de leur rang depuis. Depuis le traité que mon père signa avec Otton-le-Second, querelles pérennes entre gens de bien et moins encore faides, ne trouvent plus ni place ni clémence, sur ses domaines.
À l’exception de Louis et de l’Évêque Étienne, les hommes présents tendaient l’oreille, sans intervenir. Ils vidaient des coupes de vin, tout en méditant aux paroles entendues. Le Vicomte Guy ne s’immisça plus dans
