[go: up one dir, main page]

Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Chasseurs d'éternité
Chasseurs d'éternité
Chasseurs d'éternité
Livre électronique325 pages4 heures

Chasseurs d'éternité

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le Trésor du Peuple des Brumes a fait de la Lorelei le navire pirate le plus redouté, mais aussi le plus envié de tous les temps. Membre de son équipage, Annabelle a su se faire une place dans ce monde d'hommes. Mais lorsque son corbeau revient à bord avec une nouvelle mission, le capitaine O'Brian n'est plus sûr de rien. Il ne veut plus risquer la vie de son équipage pour les beaux yeux d'un emplumé. Il ne veut plus affronter un peuple oublié de tous. Pourtant, lui non plus ne résistera pas longtemps à l'appel de l'Éternité... Plongez ou replongez dans une histoire de fantasy pirate qui revisite la mythologie !

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Née en Provence en 1987, Steffi Wolf est professeur d'allemand le jour et dévoreuse de livres la nuit. Entre les deux à l'aube et au crépuscule, elle écrit. Après plusieurs concours de nouvelles et une publication dans un recueil, elle se lance dans l'écriture de son premier roman. Une histoire qui mêle Fantasy et mythologies germanique et nordique.
LangueFrançais
ÉditeurSudarènes Editions
Date de sortie27 mai 2025
ISBN9782385723132
Chasseurs d'éternité

En savoir plus sur Steffi Wolf

Auteurs associés

Lié à Chasseurs d'éternité

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Chasseurs d'éternité

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Chasseurs d'éternité - Steffi Wolf

    PROLOGUE

    Le dragon avance seul dans le brouillard givrant de la grotte. À chacun de ses pas, ses griffes acérées raclent le sol. Parfois, elles s’y plantent. Les tunnels, de plus en plus étroits à cet endroit du souterrain, l’obligent à rabattre ses ailes blanchâtres, striées de bleu et de noir. De ses naseaux s’échappe une fumée qui se confond avec la brume. Il renifle, renâcle, à la recherche de sa proie… cet humain étrange qui l’a élevé. Cet homme entre la vie et la mort qui ne peut sortir de ce lieu maudit. Ce guerrier d’un autre temps condamné à l’enfermement éternel…

    « Brume ? C’est toi ? »

    Au son de cette voix maintes fois entendue, le dragon s’arrête. Ses écailles frémissent sur l’ensemble de son corps, cherchant à savoir d’où elle vient exactement. Afin de ne pas se faire surprendre. Il est le plus grand prédateur au monde et n’a pas le droit de devenir une proie. Jamais. Le temps des Tueurs de Dragons est révolu. Il est le dernier d’entre eux et compte bien rester en vie jusqu’à être las de son immortalité.

    « Brume, je sais que tu es là… »

    Cette fois, c’est la fourrure immaculée de la bête qui se met à onduler. Comme si une brise frappait son encolure. Cependant, au lieu de suivre son instinct de jeune loup, il écoute sa raison. Il ne doit pas réagir avec précipitation. Au contraire, il doit se montrer plus malin que sa proie. Alors, à l’instar d’un félin, il rétracte ses griffes, courbe l’échine de façon à ce que seules ses pattes de velours touchent la galerie, et avance. Il sait maintenant d’où vient la voix et comment surprendre l’humain.

    Le brouillard tout autour s’intensifie, s’infiltre dans le moindre tunnel, gagne les nombreuses sorties.

    « Brume ? »

    Cette fois, la voix de l’humain est incertaine. La nébulosité a pris le dessus. Et, instinctivement, il sait qu’il ne la doit pas uniquement à son dragon. Quelque chose d’autre est à l’œuvre. Quelque chose de beaucoup plus dangereux, de beaucoup plus pernicieux et malin. Quelque chose qu’il a combattu il y a bien des années de cela. Quelque chose qui a bien failli lui coûter la vie.

    « Impossible… » murmure-t-il.

    Mais c’est trop tard. Un vent puissant balaye tout sur son passage. L’humain a beau s’accrocher à la roche, il ne fait pas le poids face aux forces qui déferlent dans les galeries. Ses doigts glissent, la pierre casse quelques-uns de ses ongles et son corps est soudain emporté par le souffle nébuleux.

    « Brume !!! »

    Son cri se répercute en échos dans toute la grotte. Mais le dragon ne l’entend pas, hypnotisé par un pouvoir jamais éprouvé auparavant. Un pouvoir similaire au sien, et pourtant bien différent. Un pouvoir maléfique et envoûtant qui lui embrume l’esprit.

    Rejoins-nous…

    Les voix sont nombreuses, caverneuses. Elles semblent venir de partout et nulle part à la fois. Il a l’impression de les entendre dans sa tête.

    Tu es à nous.

    Tu nous appartiens.

    Tu fais partie de nous.

    Rejoins-nous.

    Aide-nous…

    Les voix se font pressantes. Elles compriment son crâne, semblent s’emparer de son cœur. Elles sont à la fois faibles et fortes. Elles ont besoin d’aide, de son aide. Et en même temps, elles sont si puissantes…

    Tout à coup, le dragon ressort ses griffes. S’il est attiré par ces voix, quelque chose lui dit qu’il ne devrait pas les suivre. Qu’elles sont un piège. Sur ses gardes, il se remet à la recherche de son humain. Sauf que cette fois, ce n’est plus pour jouer au chat et à la souris, mais bien parce qu’il sent qu’un danger imminent est sur le point de s’abattre sur eux. Sur lui. Soudain, faire du bruit lui est égal. Tout ce qui importe, c’est retrouver l’humain, le protéger comme celui-ci l’a protégé. Hélas, lorsqu’il arrive près du petit corps inerte recouvert de glace, il sait qu’il est trop tard.

    Couché au sol, face contre terre, l’humain enveloppé d’une couche de givre ne bouge pas. Il n’est certes pas mort puisque c’est un être qui n’est ni en vie, ni trépassé… Mais il ne peut se mouvoir, bloqué par un maléfice nébuleux. De sa gueule, le dragon tente tout de même de le secouer légèrement. En vain.

    Laisse-le.

    Rejoins-nous.

    Aide-nous.

    Cette fois, à chaque phrase prononcée, une silhouette de brume apparaît devant la bête.

    Viens avec nous.

    Nous avons besoin de toi.

    Après, tu pourras revenir ici.

    Il sera toujours là.

    Il t’attendra.

    Le dragon observe ces étranges créatures faites de brouillard. Il ne les a jamais vues, mais il sait qui elles sont. En son for intérieur, il sait ce qu’elles veulent. Et, surtout, il sait qu’il ne pourra faire autrement que de les suivre… Alors, après un dernier coup d’œil à celui qui, jusqu’ici avait veillé sur lui, il rejoint le Peuple des Brumes.

    PARTIE 1

    ABYSSES

    1

    Où suis-je ? Qui suis-je ?

    Je ne sais pas. Je ne sais rien… Mais j’ai comme une impression de déjà-vu… Sauf que, dans mon souvenir – tiens, j’ai des souvenirs ? – ça ne tanguait pas comme ça. Dans mon souvenir, j’étais allongée sur le sable blanc du Désert. Dans mon souvenir, j’étais une femme. Je suppose que ça n’a pas changé. Je me souviens du médaillon qui pendait autour de mon cou, de ce corbeau qui parlait avec une voix de femme… la voix de ma mère.

    Je me souviens de tout ce qui s’est passé avant. De ma rencontre avec Rick, ou plutôt le capitaine Richard O’Brian. De ma requête, de notre quête. De Bran. Du Trésor. Du Peuple des Brumes.

    Voilà, je sais qui je suis et d’où je viens… ou presque. Cependant, je ne sais toujours pas où je suis. Sous mon dos, le sol est plus dur que le sable. Je le tâte et mes doigts glissent sur un plancher de bois. Délicatement, j’ouvre les yeux. J’ai peur que la lumière ne m’éblouisse. Mais ce sont les ténèbres qui m’accueillent. L’obscurité presque totale d’un lieu clos. Je tourne la tête d’un côté, puis de l’autre. Une envie de vomir me prend tandis que je reconnais les lieux. Je suis dans la cabine de la Lorelei, le navire pirate du capitaine Rick. En fait, je suis dans sa cabine. Quant à savoir ce que j’y fais… ça reste un mystère.

    Lentement, je pousse sur mes mains. Je n’ai plus trop de force dans les bras mais je parviens tout de même à me mettre en position assise. Ça tangue encore plus. Dans mon estomac, ça remue autant qu’une mer agitée. La houle est si forte que la bile me monte à la gorge. Ma tête douloureuse tourne sans bouger. Étrange sensation.

    Soudain, la porte d’entrée s’ouvre avec fracas et un faisceau de lumière illumine la pièce. Tenant la lampe à huile devant lui, le capitaine m’observe. Son visage balafré est toujours aussi inexpressif qu’au premier jour. Du moins, c’est l’allure qu’il se donne car, avec le temps, j’ai appris à décrypter le moindre de ses sourcillements. Là par exemple, il est amusé de me voir dans cet état… Mais dans quel état au juste ?

    — Quoi ?

    Il hausse les épaules, ce qui fait bouger le bas de sa cicatrice, dans son cou. Il ne me répondra pas. Pas tout de suite en tout cas.

    Pour ma part, la bouche pâteuse qui vient d’articuler ce mot me donner une des clés de l’énigme.

    J’ai la gueule de bois.

    Pourtant, je sais que je ne bois pas autant que les hommes de Rick. D’une part, parce que je ne sais pas avaler des chopes de rhum comme d’autres engloutissent des litrons de bières. D’autre part parce que je crains trop de ne pas pouvoir contrôler ma magie si je suis saoule. Certes, je la maîtrise de mieux en mieux, mais je fais surtout tout ce que je peux pour éviter d’avoir à m’en servir. Une femme à bord d’un bateau, ça porte malheur… alors une sorcière ?!

    Bien sûr, avec le temps, nous avons vaincu les superstitions. Toujours est-il que moins l’équipage me voit utiliser la magie, mieux il se porte. Les gars me tolèrent et même me traitent comme leur égale, c’est déjà pas mal. Il ne faudrait en demander trop.

    — J’imagine qu’on a fêté un abordage réussi… ?

    Je tente d’en savoir plus sur la raison de mon état et ma présence sur ce plancher dont je n’ai toujours pas décollé. Mais Rick reste placide. Égal à lui-même. Je pense d’ailleurs qu’il ne va rien dire du tout et s’en aller. Pourtant, il me prouve que je ne le connais pas encore assez bien et finit par ouvrir la bouche.

    — Tout le monde a décuvé… sauf toi visiblement. Il faudra bien pourtant car on lève l’ancre dans moins d’une heure. Va voir Rob, il te donnera ce qu’il faut.

    Sans un mot de plus, O’Brian me tourne le dos et sort comme il est entré. Je suis à nouveau dans le noir, si ce n’est la lueur de l’aube qui se lève et commence à éclairer la cabine au travers des fenêtres.

    2

    Rob est le médecin de la Lorelei. Dans la fleur de l’âge, cet homme au physique dur et à la patte folle ne compte plus les victimes qu’il a dû réparer, encore moins celles qu’il n’a pas su aider. Pourtant, j’ai l’impression que l’équipage est resté le même depuis que je suis montée à bord. Les pirates ont été esquintés par les batailles, mais ils sont toujours là, fidèles au poste. Pour la plupart en tout cas, car affronter le Peuple des Brumes n’a pas été des plus faciles.

    Contrairement à ce que l’on croit, les pirates sont des hommes d’honneur. Une fois lancés dans une quête, ils n’en démordent pas, quitte à y laisser la vie. Leur honneur, leur arme, leur confiance, ils les donnent à leur capitaine. Si celui-ci décide qu’un abordage vaut mieux qu’un autre, ou que se jeter dans une mission impossible en vaut la chandelle, alors ils le suivent. Ils savent qu’à la fin, ils auront leur partie du butin. Et, au final, c’est tout ce qui compte pour eux. Ça, et la franche camaraderie qui les lie malgré la jalousie et la convoitise qui parfois refont surface.

    Lorsque je descends sous le pont pour rejoindre la partie dortoir de la Lorelei où je sais que je trouverai Rob, je croise l’un des hommes de Rick. Sur l’instant, avec ma tête qui tourne et mon esprit qui tangue, je ne trouve plus son nom. Lui en revanche me reconnaît. En même temps, difficile d’oublier la seule femme du vaisseau !

    — Alors Anna, on se réveille enfin ?

    Si j’avais eu dix ans de moins, je lui aurais volontiers tiré la langue. Mais je ne suis plus une fillette. Je suis une femme. Encore ivre de la veille, certes, mais une femme tout de même. Et une pirate. Alors je ne m’abaisserai pas à lui répondre de la sorte – même si j’en crève d’envie ! Au lieu de cela, je prends l’attitude je-m’en-foutiste du capitaine et hausse nonchalamment les épaules. Le pirate se marre en voyant que ce simple mouvement m’a fait vaciller. Sous mon crâne, ça cogne dur.

    — Rob est encore avec Joffrey, là-bas.

    D’un geste, il pointe un recoin du dortoir. Le médecin est effectivement en train de s’occuper d’un des hommes de Rick.

    — Il est un peu jeune, mais je suis sûr qu’il supportera le rhum avant toi !

    Une fois encore, ce maudit pirate se moque de moi. Alors, de nouveau et malgré la douleur, je hausse les épaules et le dépasse.

    Lorsque j’arrive à hauteur des deux hommes, je comprends que le médecin est en train de traiter la gueule de bois d’un autre que moi. Comme quoi, O’Brian avait tort : je ne suis pas la seule à avoir des restes d’alcool dans le sang.

    — Reste allongé encore quelques heures, déclare Rob au jeune marin. Je vais m’arranger pour que le capitaine t’accorde un léger répit. Après tout, mieux vaut que tu sois en forme pour un abordage ! Sortir du port, on peut le faire sans toi…

    Joffrey, une jeune recrue arrivée à bord juste avant le dernier pillage mais déjà rompue à l’art de la piraterie – si l’on omet la partie beuverie – remercie le médecin et prend place dans le hamac. Le torse dénudé et les bras sous la tête, il laisse saillir ses muscles entraînés au combat. D’après ce que je sais, ce gaillard-là a dû défendre maintes fois sa vie après que son père l’a jeté dehors pour avoir volé quelques malheureux écus. Il a alors survécu dans les rues de Port de Plomb avant de croiser la route de Rick. Aussitôt, le capitaine l’a mis à l’épreuve et embauché, si l’on peut dire.

    — À nous maintenant, déclare Rob en venant vers moi.

    Je ne l’avais même pas vu se déplacer tant j’étais perdue dans mes souvenirs…

    — Je suppose que tu souffres du même mal que ce pauvre Joffrey ? me demande-t-il en soulevant mon menton de son index.

    Il plonge son regard vert dans le mien, scrute mes réactions. Je n’ai pas besoin de lui répondre, il doit voir à quel point mes yeux sont rougis par les restes de rhum et non par la fatigue.

    — C’est bien ce qu’il me semblait… Vous, les femmes, vous croyez que vous avez la même capacité que nous à tenir l’alcool, mais c’est faux. Vous n’êtes pas faites pour boire, vous…

    Il n’a pas le temps de finir que je plante mon poing droit dans son épaule gauche. Il vacille à peine, amusé.

    — Je vois que ce n’est pas si grave si tu sais encore réagir à mes blagues…

    — Elles sont pourries tes blagues, je réponds péniblement, ce qui a pour effet d’élargir son sourire.

    — Bon, je vais te donner la même chose qu’à Joffrey. Mets-toi là, je reviens. Le jeune a tout bu.

    Rob s’en va de son pas boiteux. De mon côté, je peine à m’asseoir sur le hamac qu’il m’a désigné. En effet, la Lorelei vient de se mettre en mouvement et le sol, que je sentais bouger, tangue à présent réellement.

    Le bateau semble s’ébrouer. D’habitude, j’entends toujours lorsque l’on remonte l’ancre et que l’on décroche les attaches. Cela me permet de me préparer à la mise en route. Mais cette fois, il faut croire que mon état ne m’a pas permis d’anticiper. Alors je titube encore plus que tout à l’heure. Toutefois, je finis par m’asseoir sur ce maudit hamac qui ne veut pas rester en place et attends le retour du médecin. Rob ne tarde d’ailleurs pas à revenir, une bouteille au sombre contenu à la main.

    D’après ce que je sais, il range ses potions et ses outils de chirurgie dans l’un des placards de la cuisine de Hazel, mais je ne sais pas lequel. En réalité, je le soupçonne de changer l’emplacement assez souvent pour qu’aucun membre de l’équipage ne trouve ses remèdes. Il faut dire qu’on devient vite accro à certains d’entre eux. Toutefois, je doute que ce soit le cas avec la mixture qu’il me tend. Ça sent le café froid associé à des herbes plus ou moins médicinales… À tous les coups, il a pioché dans les réserves de l’Écureuil pour concocter ce répugnant breuvage !

    — Ça pue ton truc !

    — C’est toujours plus efficace si ça pue, s’amuse le médecin.

    Tu parles ! Je suis sûre qu’il s’arrange pour ne jamais tomber malade afin de ne pas avoir à goûter aux horribles potions qu’il nous prépare…

    — Allez, bois. Ça va te faire du bien.

    Je porte le goulot de la bouteille à mes lèvres. Rien que l’odeur qui vient de se rapprocher de mon nez me donne envie de vomir. Déjà que j’avais des remontées de bile post-ivresse…

    — Allez ! m’encourage-t-il.

    Je ferme les yeux, oublie de me pincer le nez et avale une première gorgée. C’est dégueulasse ! Pire que ce que je pensais. J’écarte la bouteille de mon visage, me penche et recrache ce que je viens d’avaler. Un jet gluant, mélange de son horrible breuvage, de bile et de mon dernier repas s’écrase sur le plancher.

    — C’est bien, fait Rob en me tapotant l’épaule, sourire aux lèvres.

    Je ne comprendrai jamais ce médecin. À quel moment est-ce bien de vomir le remède qu’on vient d’avaler ?

    — Je t’avais dit qu’il était efficace ! Allez, continue.

    — Je peux pas…

    — Mais si tu peux, allez !

    Cette fois, je me bouche le nez avant d’avaler. C’est toujours aussi mauvais, mais, au moins, je ne sens pas l’odeur avec autre chose que mes papilles… si tant est que ce soit possible. Après tout, qu’est-ce que j’en sais moi, je ne suis pas médecin ! Ce dernier semble d’ailleurs bien s’amuser de mes réactions car il m’invite à continuer de boire.

    — Tu dois passer au moins la moitié de la bouteille pour aller mieux.

    Je regarde ladite bouteille, mon ennemie du moment. C’est à peine si j’ai bu un quart de ce qu’il me demande d’avaler… Je sens que je ne vais pas y arriver.

    Derrière moi, la voix pâteuse de Joffrey s’élève :

    — Vas-y cul sec, tu verras, c’est plus facile.

    Je me tourne vers lui, dubitative. Est-ce qu’il se moque de moi ou est-ce qu’il me donne véritablement un conseil ? Je ne le saurai pas tout de suite car la jeune recrue vient de refermer les yeux, comme si de rien n’était. Bon sang ! Que faire ?

    De son côté, Rob m’invite à suivre la recommandation de son patient précédent. Mais là encore, je n’arrive pas à savoir s’il est sincère où s’il fait ça pour se moquer de moi. Dans le doute, j’avale une nouvelle petite gorgée. Ce n’est vraiment pas bon. Alors, finalement, je prends une grande inspiration, me bouche le nez en pinçant si fort que j’en ai mal, et avale cul sec plus de la moitié de la bouteille. Lorsque le goulot quitte mes lèvres, j’ai plus que jamais envie de vomir. Mais je me retiens, de peur que le médecin me demande de boire le reste de sa mixture de malheur !

    — Eh ben voilà ! Tu vois que ce n’était pas si difficile !

    — Tu parles, je parviens à articuler sans laisser sortir autre chose que ma voix disloquée.

    — Allez, allonge-toi maintenant. J’imagine que le capitaine te veut en forme toi aussi.

    Sans un mot de plus, Rob me laisse là. Un instant, mes yeux fixent le plancher au-dessus de moi. Là-haut, j’entends les hommes qui s’affairent. Le bateau est en branle et la houle commence à se faire sentir.

    On quitte le port.

    H - 20

    Comme tous les matins, Faris se lève avant ses parents. Depuis tout petit, il aime profiter de ces instants, seul, à lire ou dessiner. Le calme qui règne dans la maisonnée est propice à la lecture ou au développement de son imagination au bout d’un fusain.

    Ce matin, Faris a envie de dessiner un dragon. Il en a déjà vu. Sa mère est une Guerrière-Dragon et il l’a déjà vue en croupe sur son immense destrier. Il sait cependant que leur île, leur cité, est la seule à vouloir préserver la vie de cet animal ancestral. Partout ailleurs, les Tueurs de Dragons font rage, prenant la vie de ces créatures mythiques en même temps que les trésors qu’elles gardent. Mais pas ici. Dans cette partie reculée du monde, au cœur des océans, les dragons veillent sur la Cité et sur le secret qu’elle renferme. Un secret plus convoité que n’importe quel trésor. Le secret de l’Éternité.

    Ici, les hommes vivent plus longtemps qu’ailleurs. Éternellement. C’est à eux seuls que revient la décision de mourir. Quand ils en ont assez vu. Quand la vie les a comblés. Quand ils estiment avoir assez vécu. Quand ils pensent que rien de nouveau ne les attend.

    C’est ce secret que les dragons de l’île gardent précieusement. Les dragons, et les guerriers.

    Faris est assis à la table de la salle à manger. Face à lui, une feuille vierge en attente de recueillir un nouveau dessin. Dans sa main droite, un fusain tout neuf.

    Le garçon prend un instant pour regarder sa feuille et son crayon. Bientôt, il fera entrer les deux en collision, tracera des lignes, des courbes, dessinera des écailles, des ailes, des pics et des crocs. Et, alors qu’il approche le fusain de la feuille qu’il a choisie un peu plus tôt, il entend un bruit de vibration.

    Il se fige. D’ordinaire, il n’entend rien. Seul le silence accompagne ses matinées solitaires. Mais aujourd’hui, il perçoit un bruissement dans la chambre parentale. Il tend l’oreille. Habitué au calme, il sait reconnaître le moindre son traducteur du réveil de ses parents. Il entend la main qui fait taire l’appareil de communication, le lit qui s’affaisse un peu avant de reprendre sa forme originelle. D’un côté seulement car, au bruit discret des pas sur le sol, Faris devine que seule sa mère s’est levée. Il l’entend fouiller dans sa commode dans des gestes qu’elle pense sans doute discrets. Il l’imagine sans mal se saisir de ses habits puis les passer. Il perçoit ses déplacements jusqu’à la salle de bains où elle fait quelques ablutions. Elle apparaît enfin dans la pièce principale.

    — Déjà debout ?

    Tous deux ont parlé en même temps. Puis la mère reprend :

    — Évidemment que tu es déjà levé… Tu dessines ce matin ?

    — J’allais le faire, oui.

    — Quoi donc ?

    — Un dragon.

    La mère acquiesce. Elle

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1