À propos de ce livre électronique
Au début du 20ème siècle, quand Force Ennemie fut couronné par le Goncourt, John-Antoine NAU n'avait publié jusque là que quelques nouvelles dans la revue blanche et une plaquette de vers à compte d'auteur. C'est donc le livre d'un parfait inconnu qui circula parmi les membres du jury: J.K. Huysmans, Octave Mirbeau et Léon Daudet qui désignent ce roman fulgurant comme le meilleur de l'année et lui décernent le premier prix des Goncourt. peut être était-ce l'un des meilleurs romans du siècle entier de par sa force visionnaire, son lyrisme violent et son style révolutionnaire, qui préfigure Céline avec trente ans d'avance. Force Ennemie a sa place indéniable à côté du journal des fous de Gogol, du Maître et Marguerite de Boulgakov, du voyage au bout de la nuit de Céline. Parfois, férocement cocasse, alternant la noirceur et l'amour fou, c'est un chef-d'oeuvre absolu.
Résumé:
Philippe Veuly se réveille un matin dans un asile d'aliénés, en pleine possession de ses moyens, mais sans aucun souvenir des circonstances qui l'ont amené à être interné. Est-il fou? ou bien sont-ce les aliénistes.....
Bonne lecture.
John-Antoine Nau
John-Antoine NAU (1860-1918) est un romancier et poète symboliste américain d'ascendance et d'expression françaises. Perpétuel voyageur hanté par la mer, il fut avec son roman "Force Ennemie" le premier lauréat du prix Goncourt de l'histoire en 1903.
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Avis sur Force ennemie
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Aperçu du livre
Force ennemie - John-Antoine Nau
Table des matières
FORCE ENNEMIE
Première partie
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
Deuxième partie
I
II
III
IV
V
VI
Troisième partie
I
II
III
IV
V
VI
VII
Avertissement
Je prie les amis inconnus qui voudront bien me, ou plutôt nous, lire de ne pas réclamer, d’urgence, mon internement à Sainte-Anne ou dans tout autre asile.
Je n’ai collaboré à ce volume que dans les proportions les plus modestes. Force Ennemie est en réalité l’œuvre d’un aliéné à demi-lucide que j’ai pu souvent et longuement visiter et qui me chargea, peu de temps avant sa mort, de publier sa prose après l’avoir revue.
Or, mes retouches n’ont porté que sur des détails. Le fond demeure parfaitement insane malgré une apparence de suite dans les idées. C’est peut-être, à mon humble avis, ce qui rendra l’ouvrage curieux, voire intéressant, pour des lecteurs doués de quelque indulgence.
Je me hâte de déclarer que je n’ai vu, de ma vie, une maison de santé pareille ou seulement analogue à celle dont le vrai auteur nous entretient. Certes, j’ai visité bon nombre de ces établissements, j’ai causé avec force médecins-aliénistes, gardiens et gardiennes ; mais je puis jurer que je n’ai jamais rencontré ni un Dr Bid’homme, ni une Célestine Bouffard, ni un Le Lancier, ni un Barrouge, ni une Aricie Robinet.
J’ai toujours vu les déments et démentes bien traités et soignés avec dévouement ou tout au moins avec le zèle convenable. Encore une fois, le livre a été écrit par un fou raisonnant mais sujet à caution.
Mon habituelle modestie — encore peu notoire — mais que le public aura, je l’espère, mainte occasion d’apprécier dans un prochain avenir, — me pousse à faire aux amis lecteurs une dernière recommandation.
Quand ils découvriront, par hasard, dans les pages qui suivent, un passage bien écrit, des finesses d’expression, une phrase dénotant de la délicatesse de sentiments, de la hauteur morale, — une belle âme, enfin ! — qu’ils n’hésitent pas une seconde à m’attribuer le passage, les finesses, la phrase…..
Quand, au contraire, ils seront choqués par un style bas ou impropre, des idées baroques ou banales, des scènes plus ou moins indécentes ou grossières, des longueurs, des platitudes, — qu’ils en rendent responsable le mauvais fou, le vilain fou !
Je suis d’autant plus noble et généreux en agissant ainsi que je reconnais, dès lors, la part de travail du défunt et peu regrettable aliéné comme égale aux neuf dixièmes et demi du volume.
J. Ant. Nau.
Huelva, 28 juin 1902.
Pour mon cher B. Moussier.
Première partie
I
Quel étrange réveil ! Certes, je connais cette chambre, mais il me semble bien qu’il y a des mois, peut-être des années que je ne l’ai vue !
Ces parois de planches jaunes, cirées, m’ont été jadis assez familières ; mais pourquoi les avoir capitonnées depuis le parquet jusqu’à hauteur d’homme avec d’épais, d’énormes matelas recouverts de drap gris, — de « drap de wagon » ?
La lumière dorée du matin flue par une large fenêtre grillée aux barreaux médiocrement serrés.
Voyons : en me levant, en allant regarder par une vitre, je suis sûr que je vais apercevoir un grand bâtiment blanc, luisant, comme stuqué, un vaste jardin rapidement dessiné par un sous-Lenôtre contemporain et une sorte de tour en bois¹ toute plissée de lamelles de jalousies.
Eh oui ! c’est bien cela ! Et je reconnais, là-bas, cette colline frisée de bosquets ; plus près, ce petit clocher frêle d’un gris doux que rosit un peu la verdure ; et, sur cette butte rougeâtre, l’orme solitaire qui paraît géant.
Comment tout ce paysage peut-il m’affecter à la même minute — et comme un spectacle habituel et comme une vision perdue dans le vague des temps ? Singulière contradiction qui me trouble d’une bizarre inquiétude : serais-je devenu très vieux sans le savoir ? Aurais-je sommeillé des lustres ou un siècle ? Suis-je une espèce de très ridicule, de très vilain « Beau au bois dormant » ?
Ces sottes idées m’écrasent d’une si lourde tristesse, d’une si oppressante « pesadumbre », — diraient les Espagnols, — que je veux tout oublier, de nouveau.
Je me recouche, laisse tomber ma tête sur l’oreiller et ferme les yeux… À moi les bons menteurs de songes ou la divine inconscience !
… Cllacc — fffrrr… Ce bruit dur, — autoritaire et menaçant, dirait-on, — me terrifie au point de me paralyser. C’est à peine si j’ose entr’ouvrir les paupières et ce que j’aperçois ne me rassure nullement : un guichet bée dans la boiserie, au-dessus de ma tête ; deux yeux bleus très pâles me dévisagent, — avec férocité, me figuré-je. Mais bientôt j’ai honte de ma couardise, je me dresse sur mon séant et crie d’une voix aussi formidable que possible :
— Qu’est-ce que vous f…ichez là ? Voulez-vous bien me laisser dormir et aller espionner ailleurs !
L’ouverture du guichet est de belles dimensions. Une tête en sort qui fait une grimace de pitié, — une tête trouée des étranges yeux pâles, — ornée d’un mince nez en bec de perroquet et de longues moustaches tombantes, plus jaunes que la paroi. Elle ouvre une bouche que tord un assez laid rictus exhibant une dentition mordorée, — à petits créneaux — et profère des sons :
— Y a pas d’offense de ma part et je suis heureux de voir que ça va mieux « de la vôtre ». Si « Monsieur » veut «kekchose», je vais « vous » le sercher.
— Donnez-moi à manger… n’importe quoi ! Mais auparavant… pourriez-vous me dire ce que je fais ici ?
— Dans un estant… je vais vous ezpliquer…
L’homme referme son « guignol » et le voilà parti.
Dix minutes plus tard j’entends des grincements de verrous et le lourd clapotis d’une grosse serrure.
Le possesseur des yeux pâles et de la moustache jaune entre, agite des clefs géantes, repousse la porte et s’approche de mon lit, un plateau à la main.
— Voilà l’artique demandé.
— Merci. Mais, maintenant, allez-vous répondre à ma question de tout-à-l’heure ?
— Tout de suite… D’abord, que « Monsieur » mange.
— Bon, je ne demande pas mieux… Voyez ! Parlez à présent ! où m’a-t-on fourré ? Je vois que je ne suis pas en prison : il y a bien les verrous, mais…
— Non ! « Monsieur » n’est pas « dans la honte ». Il s’est trouvé « dans le malheur » tout simplement. « Vous » avez été malade, très malade…
— Alors je suis dans… un hôpital ?
— C’est ça, sans l’être…
— Enfin, quoi ?
— C’est une maison pour les personnes souffrantes… comme Monsieur.
— Une maison de… santé ?
— On appelle ça comme ça, des fois, — si on veut.
J’ai un frisson si violent que j’en éprouve comme une douleur dans la nuque, puis tout le long de la colonne vertébrale :
— Vous ne voulez pas dire que je me trouve dans un asile d’aliénés !…
— Oh ! vous « ezpliquez » les choses d’une façon !… Et puis il ne faut pas vous frapper, c’est pas une de ces baraques à bonnes sœurs où on déniche des erquésiastiques dans tous les placards… Ici c’est libre : ça n’appartient ni à l’État ni aux « Cléricaux » ; c’est l’établissement du docteur Froin.
— Et ça se trouve ?
— À Vassetot, donc ! Vous savez bien !
— Mais, j’ai des parents par ici !
— Parbleu ! c’est M’sieur vot’ cousin qui vous a « apporté » l’autre jour ! il a dit comme ça que vous vous étiez trouvé souffrant en promenade à Dieppe et qu’y savait plus quoi fiche avec vous. Le dites pas « que je vous ai dit qui » ! C’est défendu ici ; mais je vous vois si tranquille, si « plaisant »…
— Ah ! si Roffieux est dans l’affaire, je ne suis plus surpris ! En tout cas, vous avez raison ; je suis très calme et n’éprouve pas la moindre colère contre… cet… individu. Mais vous dites : «l’autre jour» ? Il y a donc peu de temps que j’ai été… mis au frais dans cette chambre ?…
— Après-demain il y aura deux semaines.
— Vous êtes sûr que je n’étais jamais venu ici… autrefois ? Il me paraît que j’ai déjà vécu entre ces quatre murs mais qu’il y a des siècles de cela…
— Oui, on dit que ça produit de ces effets-là. C’est des idées que vous avez, car moi « qu’y a dix ans que je reste dans la maison », j’ai pas jamais vu le « pareil de Monsieur ». Je peux lever la main de ça ! Mais, vous savez, voilà comment ça peut s’arriver : on « apporte » une personne ici, en voiture, « par exemple » ; on la présente au Directeur qui l’admet. Ça fait qu’alors on a tout d’un coup besoin de faire une visite à kékun qui demeure à côté ; le directeur aussi ; et c’est pas la peine que la personne apportée se dérange ; c’est une visite embêtante « et ci et l’autre » ; la « personne » attendra en se reposant : Alle est un peu fatiguée. Étant indisposée, alle a eu de l’egzitation ; ça va mieux mais faut la ménager. Seulement alle s’ennuierait dans le cabinet du Directeur qui est pas une pièce « avantageuse » : « Ça fait qu’alors » on va l’acconduire dans un endroit où qu’y a une bien belle vue et des journaux illuscrés. — Ça va bien pour une petite domieure : La « personne » regarde par la fenêtre, raffûte dans l’appartement, alle trouve tout ça « gentil et comme-il-faut ». Mais après ça, alle s’impatiente et quand çui-ci ou çui-là lui egzplique qu’on n’a pas pu revenir la sercher et que le Directeur l’invite, «sensé» par amitié, à passer la nuit dans l’établissement, la personne veut s’en aller, on l’empêche : « Ça fait qu’alors » elle se fâche, a… une attaque de nerfs ; on la couche — et elle reste des dix ou douze jours tantôt dans l’egzitation, tantôt dans le sommeil. Quand alle est guérie a’ se souvient d’un peu de ce qu’alle a vu l’promier jour ; mais ça lui semble « loin de loin ». Y a rien comme l’egzitation pour faire paraître le temps long… après ; parce que « durant » c’est pas ça qui gêne.
L’homme au bec de perroquet n’est pas aussi absolument idiot qu’on pourrait le croire en le regardant tout d’abord… et en entendant certaines de ses phrases. Il vient, je le vois, de me raconter à sa manière, tantôt fort stupidement et maladroitement, tantôt avec des précautions assez heureuses, l’histoire de mon entrée dans l’établissement du Dr Froin. Çà et là, au cours de son bref récit et surtout en son explication finale, il s’est peut-être même montré capable de sécréter une certaine dose de psychologie rudimentaire.
Eh non ! c’est un crétin, — puisqu’il m’a permis de savoir que j’avais été fou pendant une dizaine de jours.
Il aurait dû s’arranger pour me laisser ignorer cela… longtemps. J’aurais pu croire… quoi ?… qu’aurais-je pu croire ?…
Au fait, c’est moi le crétin ! Que vais-je demander là à un pauvre diable abruti par ce milieu, après une première éducation reçue, sans doute possible, sur un fumier de campagne !
Quoi qu’il en soit, puisqu’il compatit évidemment à mon malheur, j’aurais bien tort de l’indisposer contre moi ; il a la langue longue, il peut donc m’être utile quand j’aurai besoin d’être renseigné…
On dirait que la mémoire me revient un peu : oui, les façons mystérieuses de Roffieux, Dieppe, la voiture, l’arrivée dans l’ « Établissement », le départ du cousin pour la fausse visite, voire même ma colère, — je me souviens « brumeusement » de tout cela. Mais il est indispensable que j’ « alimente » la conversation si je tiens à demeurer dans les bonnes grâces de mon gardien. Les individus de son espèce détestent par-dessus tout le mutisme des « gens fiers », des « mufes bourgeois » ; ( je dois lui faire l’effet d’un bourgeois, hélas !) Je lui pose donc la première question venue :
— Et Roffieux ? mon cousin ? A-t-on reçu des nouvelles de lui depuis qu’il m’a voituré jusqu’ici ?
— Ah ! il est venu il y a cinq jours, lundi dernier, il est parti une domieure (demi-heure) après, très contrarié : il disait comme ça qu’il avait bien de l’ennui que Monsieur voulait pas le reconnaître et qu’il reviendrait peut-être l’autre lundi, après-demain.
Voici qu’une nouvelle idée me traverse le cerveau : une idée de fou, certainement. Je me rappelle, à présent, avoir parlé au Directeur, mais il me semble qu’à peu de minutes d’intervalle il a subi une métamorphose complète : d’abord grand, gros, peut-être sexagénaire, il est devenu tout à coup jeune, de taille et d’embonpoint plus que médiocres, son poil grisonnant a pris des teintes d’un fauve roux. La voix seule ne changeait pas. Je confie ma singulière impression à mon gardien, tout en prenant soin de la « traduire » de manière aussi peu démente que possible.
— Non, non ! me répond l’homme aux moustaches éplorées. Notre maison n’a pas deux directeurs. Voilà ce qu’il y a : le Patron, le Dr Froin, le seul patron, a amené, comme adjoint, qu’y disent, de son pays, de Franche-Comté, — une espèce de petit singe de médecin qui a le même agzent que lui, qui imite son parler, ses espressions et toutes ses magnières, — un « bas du dos » si enragé de montrer qu’il est quelque chose ici qu’il arrive toujours sur les talons de son chef quand il y a « de l’entrée ». Ça serait un petit malade de quatorze ans qu’y ferait le même fourbi pour l’épater et se rendre important. Dès que le père Froin a le dos tourné c’est lui qui joue au directeur, qui chahute, qui fait de la mousse. Il imite plus personne alors ! Si Monsieur était fatigué du voyage y se sera « confusionné » et n’aura plus su à quel moment « le petit s’est détaché du gros » pour continuer la conversation sur le même ton que le Patron, mais avec moins d’arménité. Moi qui suis habitué, je reconnais leurs voix l’une de l’autre, les yeux fermés. Celle du petit, du Dr Bid’homme, c’est bien plus râpeux, plus essolent, tandis que le père Froin c’est que magistueux. Mais des « nouvelles gens » comme vous, ça sait-y, la première fois ?
— C’est un brave homme, le Dr Froin ?
— Il est bien avenant, bien « parlant ». On dit qu’il est « scientifique comme un musée ». En tout cas, il est bon pour les « malades ». Il les embête pas, pas même assez que raconte « par derrière lui » son second. Oui, le Dr Bid’homme, il est toujours à chanter qu’y a pas de descipline ici, que les « malades » les moins récarcitrants se promènent trop à leur aise dans les jardins, qu’on en a vu parler aux femmes, près de l’autre bâtiment ; qu’ailleurs, dans le Doubs, il a été employé dans une maison où c’était sérieux, où les presque guéris eux-mêmes ne bougeaient pas de leurs sections, tantôt casernés dans les salles, tantôt en récriation dans des cours dont les portes s’ouvraient que pour le gros monde…
— Vous ne l’aimez guère, ce Bid’homme…
— Comme la bronchique et les engelures… Sitôt que le père Froin est sorti il tarabuste tout le bazar « de la tête aux pieds ». Les infirmières de l’aut’bâtiment crèvent de coliques quand elles le voient sans son « employeur ». Nous autres, on est plus d’attaque, mais c’est eugal, des fois on se sent tournibulé tout de même.
— C’est tout à fait un mauvais diable ?…
— ’coutez : je vais vous répondre comme je le ferais à personne, passque, réellement, vous êtes « un malade » bien convenabe et « raisonnant »…
Un nouveau frisson me parcourt, qui n’a rien de délicieux…
— Oui, je vais vous parler, je pourrais dire comme sous le siau de la confession, si j’étais un clérical, mais ne répétez jamais ce que je vous confie là ; c’est grave !
La figure de mon « gardien » prend une expression mystérieuse, alarmée. Il se penche vers moi et c’est presque à mon oreille qu’il murmure d’une voix éteinte :
— Le Dr Bid’homme, vous voulez que je vous donne mon « opinion de jugement », eh bien, c’est un « nom de Dieu » !
Cette qualification blasphématoire a, sans doute, pour lui, un sens terrible ; ces trois mots doivent contenir des océans d’horreur, constituer la suprême injure, flétrir à jamais ; car l’homme aux yeux pâles tire frénétiquement sa moustache jaune et sa physionomie angoissée me révèle qu’il se repent déjà de s’être si dangereusement compromis.
— Je vous assure, conclut-il, que j’aime mieux ne plus revenir là-dessus, jamais, jamais. D’ailleurs pourquoi ? À présent vous savez tout et je vous demande le silence le plus abzolu.
Son émotion me gagne. Pour détourner le cours de ses inquiétudes, je le prie de bien vouloir débarrasser mon lit de deux assiettes qui me gênent ; l’une contient encore une tranche de viande froide, l’autre un fort morceau de gruyère. Mon gardien dépose la première dans le tiroir de la table de nuit, met la seconde — sous clef — à un étage quelconque de la commode avec une tasse vide, un couteau et une fourchette et se retourne vers moi, déjà soulagé par la satisfaction du devoir accompli. Il pontifie un peu :
— ’faut avoir de l’ordre : c’est pas un bon système de tout laisser traîner à la valdrague, on retrouve plus rien après ! Oh ! c’est pas que j’accuserais Monsieur de s’approprier la vaisselle de l’établissement, mais un agzident s’est si vite arrivé !
Il regarde sa montre et change de ton :
— ’c’est pas tout ça : voilà sept heures. Vous allez pas tarder à recevoir la visite de Bid’homme. Quand le service est pas désorganisé y commence toujours par cette aile-ci, l’aile des à part. J’aime autant le rencontrer dans le couloir qu’ailleurs, ’y a du champ et Bid’homme a la patte leste.
Là-dessus il fait une belle sortie sur les pointes gigantesques de ses pieds, en m’adressant une quantité de gestes avertisseurs qui me recommandent, sans doute, la discrétion, la prudence, une circonspection extrême dans mes rapports avec le terrible petit médecin.
II
Il a dû survenir quelque accident qui aura désorganisé le service car voici deux heures qu’on n’a fait jouer les ferrailles de ma porte quand j’entends une voix à la fois joyeuse et dure que je reconnais !
— Léonard ! cochon ! barbouillé ! Où traîne-t-il ses sales espadrilles ? Ah ! vous voilà, espèce de loupe ! Débarricadez-moi cet antre un peu lestement ou bien…
Nouvelle musique de serrures et de verrous !
L’huis massif reçoit une impatiente poussée et m’apparaît, tout botté, un petit bonhomme de noir vêtu, redingoté, paré (?) d’une cravate blanche un peu jaunie, mais coiffé d’un bonnet de boyard, portant éperons aux talons et cravache à la main.
Il a des yeux d’une méchanceté allègre, des sourcils fauves, — en brosses à dents, — une grosse moustache plus rousse, — en brosse à ongles, — une barbe panachée de roux et de fauve, taillée en deux pointes très écartées. Le nez court et droit, — mais droit dans le sens horizontal, — semble viser des canons de ses narines, un objet ou un être placé à quinze mètres de son possesseur ; et bien qu’embroussaillée de poils, la mâchoire se révèle terriblement saillante, simiesque, trop volumineuse pour les proportions de la tête.
Il se détourne pour jeter sa cravache sur une chaise.
Son buste relativement haut et large, aux épaules remontantes, est absolument plat de profil et rigide comme une plaque de cuirassé. Les jambes épaisses et courtes pourraient appartenir à un enfant de douze ans assez « développé. »
Il souffle avec bruit en marchant et dégage un composite parfum de cigares, de drogues et de balayures d’écurie. À le voir se frotter les mains, cligner de l’œil, glousser de petits rires comme distraits, tout en faisant claquer sa mâchoire, sa féroce mâchoire, et en fronçant ses vilains sourcils hérissés, je n’ai pas grands efforts à faire, surtout après la recommandation de Léonard, — puisque c’est Léonard, — pour deviner en lui le parfait « mufle » qui joue au bon garçon, pour la minute :
— Crebleu ! crebleu ! On m’y repincera, à cheval, un jour de boue !
Il s’adresse au mur, à la fenêtre, aux arbres de la cour. Selon toute apparence je n’existe pas pour lui, — bien que je l’aie vu me regarder très fixement quand il est entré. Il s’approche d’une table, bouscule des livres qui s’y trouvent, a l’air de chercher quelque chose, examine le marbre de la commode… Intrigué, je ne perds pas un de ses gestes… Mais sa petite comédie, — si c’est une comédie, — ne dure qu’un instant.
Brusquement il pivote sur les talons, s’approche à grands pas de mon lit ; le voici à moins d’un mètre de moi. Il me plante ses yeux dans les yeux et part d’un éclat de rire :
— Ah ça ! je vous parais donc énormément drôle, que vous écarquillez les paupières comme cela !
Sa voix très gutturale et très sonore semble insistante ; il prolonge certaines syllabes comme pour bien affirmer qu’elles sont d’une extrême importance et qu’il ne les a pas employées au hasard.
Je ne puis m’empêcher de lui faire cette réponse bête :
— Drôle, peut-être, mais nullement surprenant, assez banal au contraire. Avant de vous parler dans le cabinet du Directeur, je vous avais déjà rencontré dans les Contes d’Hoffmann et d’autres bouquins de ce genre.
Ses sourcils dessinent deux brosses circonflexes et l’on dirait qu’ils vont pointer en avant, pour attaquer.
— Allons ! vous n’êtes pas aussi bien réveillé que je le croyais !… Et vous ne vous souvenez pas de m’avoir vu depuis le moment où je vous ai adressé la parole dans le Cabinet di-rec-to-rial ?
Ces deux derniers mots avec amertume. Je l’ai blessé en lui rappelant qu’il n’est que le second dans la maison.
— Non, je ne m’en souviens pas…
— Tant pis !
— Mais c’est exactement ce que je croyais. Et comment vous trouvez-vous ce matin ?
— Plutôt bien.
— Avez-vous mangé ?
— Avec appétit.
— Ce n’est pas trop tôt, car, ces derniers jours, ce qu’on a pu vous obliger à prendre n’a pas été grand’chose.
Je me préoccupe bien de cela ! C’est du passé ! Ce qui m’inquiète, c’est l’avenir immédiat. Je lui demande avec impatience :
— Et combien de temps pensez-vous me garder encore ici, je vous prie ? Si j’ai été fou, je ne le suis plus ; je suis encore un peu faible et voilà tout. Pourriez-vous me renseigner à ce sujet ?
Les sourcils de Bid’homme se hérissent de plus en plus :
— Il vous serait facile de me parler sur un ton moins impoli ; mais je vais vous répondre catégoriquement : Vous sortirez de cette maison dès que je… dès que l’on jugera à propos de vous en laisser sortir.
— Me voilà bien avancé ! Enfin vous n’avez pas l’intention de me conserver ici sous clef indéfiniment. Je suis absolument raisonnable et ne puis être un danger pour personne.
— Vous êtes encore très excitable et très nerveux, comme tous ceux qui se sont mis dans votre cas.
— Que voulez-vous dire ?
— J’entends, comme tous les alcooliques.
— Ah ça ! êtes-vous venu ici pour m’insulter ?
— Eh ! vous commencez à m’échauffer les oreilles ! Et vous me tapez sur les nerfs ! Est-ce qu’on insulte un ivrogne, un soûlaud, en lui disant qu’il est un soûlaud ?
Je fais tous mes efforts pour demeurer de sang-froid et réplique très posément :
— Je veux bien admettre que j’ai certains excès à me reprocher. J’ai été jusqu’à ces temps derniers, malgré mon apparence, un homme de très forte constitution, gros mangeur et grand buveur. Pourtant je vous assure que je n’ai jamais souffert de mon « intempérance » avant d’avoir éprouvé de cruels ennuis récents. En tout cas, il me semble que le rôle d’un médecin est de soigner et non d’injurier. Quand je quitterai cet établissement , vous pourrez m’adresser des recommandations… aussi courtoises que possible. Là s’arrête votre droit.
— Vous me tapez sur les nerfs ! Je vais, peut-être, prendre des gants !…
— Bon ! supposons pour un instant que vous agissiez admirablement en me parlant comme vous le faites ; mais pourrai-je vous demander qui vous a si bien mis au courant de mes habitudes ?
— Vous allez me poser des questions, encore ! Mais c’est le monde renversé !
— En effet ! C’est vous qui auriez dû me poser quelques questions avant de prendre pour argent comptant tout ce qu’il a plu à M. Elzéar Roffieux, mon illustre cousin, de vous débiter sur mon compte.
