En Rade
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À propos de ce livre électronique
Paru en 1887, «En Rade» confronte les stéréotypes de la ville à ceux de la campagne, comme un couple aux rapports antagoniques.
Joris-Karl Huysmans
Joris-Karl Huysmans est un écrivain et critique d'art français, né le 5 février 1848 à Paris et mort le 12 mai 1907. "À rebours" est un roman paru en 1884.
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Aperçu du livre
En Rade - Joris-Karl Huysmans
Joris-Karl Huysmans
En Rade
SAGA Egmont
En Rade
Image de couverture : Shutterstock
Copyright © 1928, 2021 SAGA Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788726860658
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.
Cet ouvrage est republié en tant que document historique. Il contient une utilisation contemporaine de la langue.
www.sagaegmont.com
Saga Egmont - une partie d'Egmont, www.egmont.com
I
Le soir tombait ; Jacques Marles hâta le pas ; il avait laissé derrière lui le hameau de Jutigny et, suivant l’interminable route qui mène de Bray-sur-Seine à Longueville, il cherchait, à sa gauche, le chemin qu’un paysan lui avait indiqué pour monter plus vite au château de Lourps.
La chienne de vie ! murmura-t-il, en baissant la tête ; et désespérément il songea au déplorable état de ses affaires. À Paris, sa fortune perdue par suite de l’irrémissible faillite d’un trop ingénieux banquier ; à l’horizon, de menaçantes files de lendemains noirs ; chez lui, une meute de créanciers, flairant la chute, aboyant à sa porte avec une telle rage qu’il avait dû s’enfuir ; à Lourps, Louise, sa femme, malade, réfugiée chez son oncle régisseur du château possédé par un opulent tailleur du boulevard qui, en attendant qu’il le vendît, le laissait inhabité, sans réparation et sans meubles.
C’était là le seul refuge sur lequel lui et sa femme pussent maintenant compter ; abandonnés par tout le monde, dès la débâcle, ils pensèrent à chercher un abri, une rade, où ils pourraient jeter l’ancre et se concerter, pendant un passager armistice, avant que de rentrer à Paris pour commencer la lutte. Jacques avait été souvent invité par le père Antoine, l’oncle de sa femme, à venir passer l’été dans ce château vide. Cette fois, il avait accepté. Sa femme était partie pour la commune de Longueville sur les confins de laquelle s’élève le château de Lourps ; lui, était resté dans le train jusqu’à la station des Ormes où il était descendu, dans l’espoir de recouvrer quelques sommes.
Il y avait visité un ami, insolvable ou se disant tel, avait subi de chaudes protestations, d’incertaines promesses, essuyé en fin de compte un refus très net ; alors, sans plus tarder, il s’était replié sur le château où Louise, arrivée dès le matin, devait l’attendre.
Il était torturé d’inquiétudes ; la santé de sa femme égarait la médecine depuis des ans ; c’était une maladie dont les incompréhensibles phases déroutaient les spécialistes, une saute perpétuelle d’étisie et d’embonpoint, la maigreur se substituant en moins de quinze jours au bien en chair et disparaissant de même, puis des douleurs étranges, jaillissant comme des étincelles électriques dans les jambes, aiguillant le talon, forant le genou, arrachant un soubresaut et des cris, tout un cortège de phénomènes aboutissant à des hallucinations, à des syncopes, à des affaiblissements tels que l’agonie commençait au moment même où, par un inexplicable revirement, la malade reprenait connaissance et se sentait vivre. Depuis cette faillite qui la jetait au rancart, elle et son mari, sur le pavé, sans le sou, la maladie s’était affilée et accrue ; et c’était la seule constatation que l’on pût faire ; l’abattement paraissait s’enrayer, les couleurs revenaient, les chairs devenaient fermes, alors qu’aucun sujet d’alarme ou de trouble n’existait ; la maladie semblait donc surtout spirituelle, les événements l’avançant ou la retenant, selon qu’ils étaient déplorables ou propices.
Le voyage avait été singulièrement pénible, traversé de défaillances, de douleurs fulgurantes, de désarrois de cervelle affreux. Vingt fois, Jacques avait été sur le point d’interrompre sa route, de descendre à une station, de faire halte dans une auberge, se reprochant d’avoir emmené Louise sans plus attendre ; mais elle s’était entêtée à rester dans le train et lui-même se rassurait, en se répétant qu’elle serait morte à Paris, s’il ne l’avait soustraite à l’horreur du manque d’argent, à la honte des requêtes injurieuses et des menaçantes plaintes.
La vue, auprès de la gare, du père Antoine attendant sa nièce avec une carriole pour l’emmener et charger ses malles l’avait soulagé, mais maintenant, harassé par la monotonie d’une route plate, il s’abandonnait, obsédé par une angoisse dont il reconnaissait l’exagération, mais qui l’opprimait et s’imposait à lui quand même ; il redoutait presque d’arriver au château, de peur de trouver sa femme plus souffrante ou morte. Il se débattait, eût voulu courir pour dissiper plus tôt ses craintes et il demeurait, tremblant, sur le chemin, les jambes tour à tour alertes et lentes.
Puis l’extérieur spectacle du paysage refoula pour quelques minutes les visions internes. Ses yeux s’arrêtèrent sur la route, cherchèrent à voir et leur attention détourna les transes du cœur qui se turent.
À sa gauche, il aperçut enfin le sentier qu’on lui avait signalé, un sentier qui montait, en serpentant, jusqu’à l’horizon. Il longea un petit cimetière aux murs bordés de tuiles roses et s’engagea dans un chemin creusé de deux ornières glacées par des fers de roues. Autour de lui s’étendaient des enfilades de champs dont le crépuscule confondait les limites, en les fonçant. Sur la côte, au loin, une grande bâtisse emplissait le ciel, pareille à une énorme grange aux traits noirs et durs, au-dessus de laquelle coulaient des fleuves silencieux de nuées rouges.
— J’arrive, se dit-il, car il savait que derrière cette grange qui était une vieille église, se cachait dans ses bois le château de Lourps.
Il reprenait un peu courage, regardant s’avancer vers lui ce bâtiment percé de fenêtres qui, se faisant vis-à-vis au travers de la nef, flambaient, traversées par l’incendie des nuages.
Cette église noire et rouge, à jour, ces croisées semblables, avec leurs rosaces étoilées de filets de plomb, à de gigantesques toiles d’araignées pendues au-dessus d’une fournaise, lui parurent sinistres. Il regarda plus haut ; des ondes cramoisies continuaient à déferler dans le ciel ; plus bas le paysage était complètement désert, les paysans tapis, les bestiaux rentrés ; dans l’étendue de la plaine, en écoutant, l’on n’entendait, au loin, sur des coteaux, que l’imperceptible aboiement d’un chien.
Une alanguissante tristesse l’accabla, une tristesse autre que celle qui l’avait poigné, pendant la route. La personnalité de ses angoisses avait disparu ; elles s’étaient élargies, dilatées, avaient perdu leur essence propre, étaient sorties, en quelque sorte, de lui-même pour se combiner avec cette indicible mélancolie qu’exhalent les paysages assoupis sous le pesant repos des soirs ; cette détresse vague et noyée, excluant la réflexion, détergeant l’âme de ses transes précises, endormant les points douloureux, lénifiant la certitude des exactes souffrances par son mystère, le soulagea.
Parvenu en haut de la côte, il se retourna. La nuit était encore tombée. L’immense paysage, sans profondeur pendant le jour, s’excavait maintenant comme un abîme ; le fond de la vallée disparu dans le noir semblait se creuser à l’infini, tandis que ses bords rapprochés par l’ombre paraissaient moins larges ; un entonnoir de ténèbres se dessinait là où, l’après-midi, un cirque descendait de ses étages en pente douce.
Il s’attardait dans cette brume ; puis ses pensées, diluées dans la masse de mélancolie qui l’enveloppait, s’atteignirent et, redevenues par cohésion actives, le frappèrent en plein cœur d’un coup brusque. Il songea à sa femme, frissonna, reprit sa marche. Il touchait à l’église ; près du portail, au coude du chemin, il aperçut, à deux pas devant lui, le château de Lourps.
Cette vue dissémina ses angoisses. La curiosité d’un château dont il avait longtemps entendu parler, sans l’avoir vu, l’étreignit, durant une seconde ; il regarda. Les nuées guerroyantes du ciel s’étaient enfuies ; au solennel fracas du couchant en feu, avait succédé le morne silence d’un firmament de cendre ; çà et là, pourtant, des braises mal consumées rougeoyaient dans la fumée des nuages et éclairaient le château par derrière, rejetant l’arête rogue du toit, les hauts corps de cheminée, deux tours coiffées de bonnets en éteignoir, l’une carrée et l’autre ronde. Ainsi éclairé, le château semblait une ruine calcinée, derrière laquelle un incendie mal éteint couvait. Fatalement, Jacques se rappela les histoires débitées par le paysan qui lui avait indiqué sa route. Le chemin en lacet qu’il avait parcouru s’appelait le chemin du Feu parce que jadis il avait été tracé, à travers champs, la nuit, par le piétinement de tout le village de Jutigny qui courait au secours du château en flammes.
La vision de ce château qui paraissait brûler sourdement encore, exaspéra son état d’agitation nerveuse qui depuis le matin allait croissant. Ses sursauts d’appréhensions interrompues et reprises, ses saccades de transes se décuplèrent. Il sonna fébrilement à une petite porte, percée dans le mur ; le bruit de la cloche qu’il avait tirée l’allégea. Il écoutait, l’oreille plaquée contre le bois de la porte ; aucun bruit de vie derrière cette clôture. Ses frayeurs galopèrent aussitôt ; il se pendit, défaillant, au cordon de la cloche. Enfin, sur un craquement de graviers, des galoches claquèrent ; un crissement de ferraille s’agita dans la serrure ; on tirait vigoureusement la porte qui tressaillait mais ne bougeait point.
— Poussez donc ! fit une voix.
Il lança un fort coup d’épaule et pencha avec le battant qui céda, dans le noir.
— C’est toi, mon neveu, dit une ombre de paysan qui le retint dans ses bras et lui frotta de ses poils mal rasés les joues.
— Oui, mon oncle, et Louise ?
— Elle est là qui s’installe ; ah dame ! tu sais, mon homme, c’est pas à la campagne comme à la ville ; il n’y a pas comme chez vous un tas d’affûtiaux pour son aisance.
— Oui, je sais ; et comment est-elle ?
Louise, ben, elle est avec Norine, elles brossent, elles balaient, elles cognent, malheur !
— mais ça les amuse ; elles se font du bon sang, elles ricassent ensemble si fort qu’on ne sait plus à qui entendre !
Jacques respira.
— Allons un peu vers elle, garçon, reprit le vieux. Nous leur donnerons un coup de main, car il faut que Norine s’en aille soigner le bestial ; et puis, dépêchons, car nous aurions belle d’être trempés. T’arrives à temps ; tiens, vois, v’là le ciel qui se chabouille !
Jacques suivit l’oncle Antoine. Chemin faisant, il regardait autour de lui. Ils marchaient dans d’invisibles allées bordées de massifs que décelaient des frôlements ployés de branches dans le ciel plus clair où filaient des nuées déchirées de tulle, des feuillages en aiguilles, pareils à ceux des pins, dressaient à des hauteurs formidables des cimes hérissées dont on n’apercevait plus les troncs plantés dans l’ombre. Jacques ne pouvait se rendre compte de l’aspect du jardin qu’il traversait. Tout à coup, une éclaircie se fit, les arbres s’arrêtèrent, la nuit devint vide, et, au bout d’une clairière, une masse pâle apparut, le château, sur le seuil duquel deux femmes s’avancèrent.
— Eh ben, ça ira-t-il ? cria la tante Norine, qui, avec un geste mécanique de poupée en bois, lui jeta ses bras roides autour du cou.
En deux mots, Jacques et Louise se comprirent.
Elle allait mieux ; lui, revenait sans argent, bredouille.
— Norine, t’as mis le boire au frais ? dit le père Antoine.
— Oui-da, et de peur que vous ne tardiez, je vas toujours aller couper la soupe.
— Alors c’est prêt là-haut ? reprit le vieux, s’adressant à Louise.
— Oui, mon oncle, mais il n’y a pas d’eau !
— De l’eau ! il en manque ben ! je vas vous en tirer un seau.
La tante Norine disparut à grandes enjambées, dans la nuit le père Antoine s’enfonça parmi des arbres dans un autre sens ; Jacques et sa femme demeurèrent seuls.
— Oui, je vais mieux, dit-elle en l’embrassant ; ce mouvement que je me suis donné m’a remise, mais montons ; j’ai fini par découvrir dans tout le château une pièce presque logeable.
Ils pénétrèrent dans un couloir de prison. Aux lueurs d’une allumette qu’il fit craquer, Jacques aperçut d’énormes murailles en pierre de taille, fuligineuses, trouées de portes de cachots, surplombées d’une voûte en ogive, abrupte, comme taillée dans le roc. Une odeur de citerne emplissait ce couloir dont les carreaux de pavage oscillaient à tous les pas.
Le corridor fit coude et il se trouva dans un gigantesque vestibule dont les panneaux peints en marbre pelaient, devant un escalier à rampe forgée de fer ; et il monta, regardant la cage carrée de pierre, percée de très petites fenêtres à double croix.
Par les vitres brisées, le vent s’engouffrait, remuant l’ombre amoncelée sous la voûte, secouant les portes dont les battants geignaient, à des étages supérieurs, en l’air.
Ils s’arrêtèrent au premier. C’est là, dit Louise. Il y avait trois portes, une en face, une dans un renfoncement à droite, une autre dans un renfoncement à gauche.
Une raie de lumière filtrait sous la première. Il entra et aussitôt un inexprimable malaise le saisit ; la pièce dans laquelle il s’était introduit était très grande, tapissée sur les murs et le plafond d’un papier imitant une treille, losangé de barreaux vert cru sur fond saumâtre. Des trumeaux en bois gris surmontaient les portes et, sur la cheminée en marbre griotte, une petite glace verdâtre dont le tain coulé picotait l’eau de virgules de vif argent, était encadrée dans des boiseries également grises.
En fait de plancher, des carreaux autrefois peints en orange et, le long des cloisons, des placards dont les portes en papier tendu sur châssis étaient criblées de balafres et d’éraflures.
Bien qu’on eût balayé la chambre et ouvert la fenêtre, une senteur de vieux bois, de plâtre mou, de filasse humide et de cave, s’exhalait de ce logis mort.
C’est sinistre ici ! pensa Jacques.
— Il regarda Louise ; elle ne semblait pas effarée par la glaciale solitude de cette pièce. Au contraire, elle l’examinait avec complaisance et souriait à la glace qui lui renvoyait son visage décoloré par l’eau verte, grêlé par les brèches de l’étamage.
Et en effet, comme la plupart des femmes, elle se sentait fouettée par cet imprévu d’un campement à la diable, d’une installation de bohémienne dressant n’importe où sa tente. Ce bonheur enfantin de la femme de rompre une habitude, de voir du nouveau, de s’ingénier à d’adroits manèges pour s’assurer un gîte, cette nécessité de penser par extraordinaire, cette obligation de simuler ce nomade perchoir d’actrice en tournée que secrètement toute bourgeoise envie, pourvu qu’il soit atténué, sans danger réel et bref, cette importance de fourrier responsable chargé d’assurer le coucher et le vivre, ce côté maternel, arrangeant la litière de l’homme qui n’a plus qu’à s’étendre, quand tout est prêt, avaient agi puissamment sur elle et rebandé ses nerfs.
— L’ameublement est médiocre, fit-elle, désignant dans l’alcôve un antique lit de bois sur lequel gisait un matelas et une paillasse, puis, au milieu de la pièce, deux chaises de paille et une table ronde visiblement retirée d’un jardin où ses jambes avaient gonflé, tandis que sa plate-forme s’était exfoliée sous des rafales de soleil et de pluie ; — mais enfin, nous verrons, demain, à nous procurer les objets qui manquent.
Jacques approuva d’un mouvement de tête ;
