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Les Litanies de L'Unique - Tome 1: Les Incarnations
Les Litanies de L'Unique - Tome 1: Les Incarnations
Les Litanies de L'Unique - Tome 1: Les Incarnations
Livre électronique612 pages7 heuresLes Litanies de l'Unique

Les Litanies de L'Unique - Tome 1: Les Incarnations

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À propos de ce livre électronique

"Dans une Contrée unifiée par la force et opprimée par l'Unique Dogme, l'isolement est gage de survie"

C'est un des préceptes que leur a enseigné le doyen, celui-là même dont Ghaal a retrouvé la tête, empalée au milieu de son village en ruine. Depuis, son seul but a été de quitter la Contrée-Unie pour laisser son passé, son deuil, et l'aiguillon de la vengeance derrière lui.

Mû par le désir de changer de vie, Ghaal s'appropriera le nom d'une divinité dont parlent les mythes d'au-delà la Contrée : le Drakhal'in. Jamais il n'aurait pensé que le nom du dieu aux mille visages puisse bouleverser sa vie, éveillant ainsi l'intérêt des Hérétiques, un groupe de rebelles cherchant à renverser la suprématie de L'Incarnation de l'Unique.

Drakhal'in devra lutter pour ne perdre ni la raison ni son identité, son esprit malmené par un étrange pouvoir dont il ne maîtrise pas la portée.
LangueFrançais
ÉditeurBooks on Demand
Date de sortie31 juil. 2020
ISBN9782322238163
Les Litanies de L'Unique - Tome 1: Les Incarnations
Auteur

Lancelot Sablon

Lancelot Sablon est un auteur de SFFF féru d'Histoire et d'ambiances médiévales. Son univers de la Contrée-Malade est amené à être enrichi au fil d'ouvrages et de cycles indépendants. Les Litanies de l'Unique constituent la pierre angulaire de ce monde de fantasy.

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    Aperçu du livre

    Les Litanies de L'Unique - Tome 1 - Lancelot Sablon

    Préambule

    Il existe en cet univers une quantité de connaissances insoupçonnées. Lors d’une aventure que je vous narrerai¹, j’ai découvert, cachée dans les plus lointains confins de notre réalité, une salle d’archives gigantesque.

    Beaucoup des ouvrages abrités par cette véritable pièce aux trésors se sont révélés altérés : l’humidité, la moisissure, la poussière ou simplement le passage infatigable du temps les ont laissés partiellement indéchiffrables. Certains, même, ne pourront jamais être reconstitués. Pourtant, j’y ai vu l’incroyable possibilité de mettre en lumière auprès du monde entier les récits historiques d’une période révolue.

    Les dialectes utilisés diffèrent en fonction des ouvrages, et même parfois au sein d’un seul récit. Ceci dit, avec les bons outils, aucune traduction n’est insurmontable et le travail de feu mon confrère et vénérable Maître me sera d’une grande aide, bien que tout ne soit pas écrit en elfique, loin s’en faut.

    Dans tous ces volumes poussiéreux, un ensemble de recueils bien conservés m’a attiré en premier lieu : « Le cycle de l’Unique », selon les premières traductions. Il semblerait que l’Histoire de la Contrée malade ait été particulièrement marquée par cet épisode. Ce devrait être une transcription intéressante. Ce que vous pourrez lire ci-après constitue un chapitre entier de cette grande Histoire qui, à elle seule, demanderait une vie entière à être retranscrite. Mais ici, dans cette fabuleuse pièce, j’ai tout le temps qu’il me faut.

    Le traducteur/transcripteur

    Prologue

    2e lune du 25e cycle solaire après l'Unification, quelque part dans la Forêt de l’Éternel.

    À plat ventre derrière une congère, il se tenait en position, l'arc à la main, la flèche encochée. Son souffle chaud creusait la neige à hauteur de sa bouche tandis que le froid l'enserrait, plantant ses crocs par-delà ses épais habits de fourrure. Au cours de ses vingt cycles solaires de vie, il n'avait pas souvenir d'un hiver aussi rigoureux ; le pays était couvert d'un blanc manteau qui ne cessait de s'alourdir. Il s'agissait sans nul doute d'une mise à l'épreuve de l'Unique. Cela faisait maintenant plus de trois lunes que le froid devenait chaque jour plus pénible. Personne n'avait prévu de telles conditions climatiques. Le village ne pourrait pas tenir beaucoup plus longtemps avec le peu de vivres restants. Ceux-ci ne tarderaient, d'ailleurs, probablement pas à être rationnés.

    Ghaal ne se le pardonnerait jamais s'il ratait le cervidé qu'il pistait depuis plusieurs jours déjà. Le Conseil avait envoyé aux quatre vents les plus robustes d'entre eux pour subvenir à la survie du village. Lui avait été envoyé au nord, à travers la forêt. Depuis, le jeune chasseur élancé qu'il était suivait de profondes empreintes dans la neige. Aujourd'hui, le prix de sa traque se dressait devant lui, à portée de flèche.

    Le cerf ne semblait pas l'avoir remarqué, le vent portait l'odeur du jeune homme dans la direction opposée. Majestueux, il claquait ses longs bois contre le tronc d'un arbre dont l'écorce s'arrachait sous les coups répétés. Le chasseur leva son arc, lentement, pour ne pas avertir la bête de sa présence. Son bras tremblait, mais il savait que, plus que le froid, c'était la peur de ne pas remplir sa mission dont dépendaient ses proches qui en était la cause.

    Doucement, il banda son arc, ses frissons cessèrent. Dans ce même mouvement lent et concentré, il porta la main à la commissure de ses lèvres gercées par le vent glacé, ferma son œil gauche, inspira profondément et bloqua sa respiration ; le moment était venu, il était prêt à tirer. Il visa le cerf au cœur, juste derrière l'épaule de sa patte avant gauche. Sa vue s'assombrit : il allait faire nuit.

    Mais le soleil vient à peine de se lever !

    Il ne distinguait déjà plus qu'une ombre entre les arbres et la blancheur de la neige. Alors, tout devint noir et une douleur insupportable jaillit à l'arrière de ses globes oculaires, lui donnant l'impression que ses yeux allaient s'exorbiter sous une pression interne inexpliquée. Il décocha la flèche, qui partit dans un sifflement sonore.

    Lâchant son arc, il s'effondra dans la neige, se tenant la tête des deux mains. Il n'avait plus aucune notion du temps, de son environnement, ni même du reste de son propre corps tant la douleur le brutalisait. Il perdit connaissance dans de violents spasmes. Puis, longtemps après, sa respiration ralentit, son cœur recouvra un rythme normal jusqu'à devenir véritablement lent. Une expression sereine prit la place de la moue tourmentée à l'image de la souffrance extrême qui en était la cause.

    Il commença à neiger.

    *

    Ce fut la faim qui le tira de sa torpeur. Il était recroquevillé en position fœtale, se protégeant instinctivement du froid mordant. La neige, ayant fondu sous la chaleur de son corps, avait formé un nid de glace auquel ses vêtements humides s'accrochaient.

    Il avait visiblement neigé à en croire le blanc manteau immaculé. Pourtant, aucune trace sur lui de quelque flocon. Curieusement, il n'avait pas froid, chose difficile à concevoir au vu de sa situation. Peu importait. Il leva les yeux vers la voûte céleste ; la lune était juste au-dessus de lui, elle était pleine, parfaitement ronde. S'il n'y avait pas eu la blancheur de la neige qui ressortait sous les pâles rayons de l'astre, il aurait été impossible de se diriger.

    D'abord manger ! pensa-t-il. On n’a jamais les idées claires le ventre vide... Son estomac émit une lente approbation. Combien de temps suis-je resté là à me vider de mes forces ?

    Il s'assit sur un tronc d'arbre couché qui dépassait de la neige, et sortit de sa besace quelques fruits secs qu'il enfourna à la hâte dans son gosier. Sa faim se fit progressivement moins obsédante. Il se mit à repenser aux derniers événements : de quoi se souvenait-il ? Il avait l'impression de sortir d'un profond coma. Des images défilaient dans son esprit, floues, sans qu'il puisse leur donner une signification ni parvenir à se focaliser sur l'une d'entre elles.

    Tourmenté, il comprit que son état était vraisemblablement plus alarmant que ce qu'il avait pensé à l'origine. Il finit sa maigre pitance et s'efforça de recouvrer un peu sa mémoire. Assis sur sa branche, il ferma les yeux espérant une soudaine réminiscence.

    Les minutes passèrent, rien ne semblait devoir changer. La forêt était silencieuse. Seule la neige tombant des cimes vacillantes produisait de petits sons étouffés. Un craquement de temps à autre ou, parfois, le croassement d'un corbeau solitaire, résonnaient entre les arbres. Au fil du temps, il perdait toute confiance, tout espoir de se sortir de cette prison silencieuse : ses pensées continuaient à virevolter d'un vague souvenir à un autre.

    Se sentant paniquer, le jeune homme se concentra sur sa respiration, qu'il voulait lente et régulière. Enfin, une image s'imposa à son esprit avec une clarté déconcertante. Il sut tout de suite de quoi il s'agissait ; c'était le village, son village. Il distinguait les maisonnées aux quelques cheminées fumantes : les villageois s'étaient rassemblés dans un petit nombre de chaumières pour se tenir chaud mutuellement et économiser les stères de bois.

    Brusquement, sa tête l'élança d'une douleur sourde. Ghaal gémit et se laissa tomber sur les genoux, dans la neige, en se tenant la tête comme pour l'empêcher d'éclater, se couchant sur le flanc, replié sur lui-même. Tous ses souvenirs perdus se déversaient dans son esprit ; un flot d'informations indompté comme le courant d'une rivière forçant une retenue d'eau, la pression faisant céder chaque vanne l'une après l'autre.

    Puis, le calme revint.

    Et, lorsque la moindre ondulation eut disparu de la surface de ses pensées, chaque chose qu'il avait vécue lui apparaissait de nouveau lisible dans son souvenir. Le Conseil, l'hiver, la faim qui approchait, ses amis sélectionnés pour sauver le village de la disette, ses parents à qui il avait promis de revenir, le Doyen du Conseil devant lequel il avait solennellement engagé sa responsabilité, la forêt, la piste, le cerf... et la douleur.

    La douleur.

    Celle-là même qui l'accablait à l'instant. Le souffle haletant, il suait abondamment par tous les pores de la peau. Une sueur froide, glacée. Le temps s'écoula, mais la douleur ne le brisa pas. Néanmoins, il ne sut s'en départir.

    Peu à peu, il retrouva la maîtrise de sa respiration. Il inspira longuement et renouvela l'exercice de nombreuses fois. La douleur était toujours là, comme une amie de toujours, profondément enracinée. Pourtant, elle se fit moins insistante, de telle sorte qu'il lui soit de nouveau permis de bouger. Puisant en lui toute la force et le courage qu'il pouvait y trouver, il entreprit de reprendre le chemin de son foyer, dépité à l'idée d'annoncer à tous ceux qu'il aimait qu'il avait failli, qu'ils ne mangeraient pas grâce à lui...

    *

    Il marchait déjà depuis quelques heures lorsqu'il vit le jour poindre sous un soleil vermillon comme il n'y en avait que suivant les longues nuits d'hiver. En dépit de sa situation, qu'il jugeait désastreuse, il ne put que s'arrêter quelques minutes pour ancrer ce paysage apaisant dans sa mémoire.

    Il avait les jambes enfoncées dans la poudreuse jusque mi-cuisse. Devant lui, la neige fraîche, brillante et immaculée renvoyait les rayons du soleil en une multitude de reflets ocre. Il voyait le soleil se dégager de l'horizon par-delà les arbres pour prendre sa place dans le ciel d'un bleu pâle. Ce spectacle lui insuffla un courage neuf.

    La route est encore longue mais, avec un peu de chance, je croiserai un lapin ou un autre petit gibier.

    Ce serait au moins un présent pour sa famille, un moyen de sauver l'honneur.

    Regardant une dernière fois le soleil d'un orange virant au jaune, il se remit en route. L'astre diurne l'avait conforté sur la direction à prendre.

    *

    Il marchait péniblement à travers le sous-bois blanchi. Bien sûr il ne croisa personne. Quant aux animaux, il pouvait distinguer dans la neige des traces de toutes sortes, mais n’aperçut réellement que quelques corbeaux cherchant à se nourrir. En tous cas, nulle trace d'une proie facile.

    La lumière commençait déjà à décliner. Aussi courte fût-elle, la journée de marche l'avait épuisé. Il ferait bientôt nuit. Il s'adossa au tronc le plus massif qu'il trouva à portée de vue et creusa un peu la neige pour s'abriter autant que possible du vent glacial qui lui cinglait le visage. Son abri de fortune terminé, il sortit ce qui lui restait comme provision du sac qu'il portait en bandoulière : quelques morceaux de pommes séchées, une portion de bœuf fumé, une poignée d’amandes et un morceau de pain devenu sec.

    Cela ne peut pas suffire.

    Résolu à conserver cette maigre ration le plus longtemps possible, il rangea le tout dans sa besace désespérément légère, prenant son mal en patience.

    Il allait fermer l’œil lorsqu'il distingua au loin une lumière chaude et vacillante.

    Un feu !

    Ghaal en était persuadé, cet éclat éveilla en lui une lueur d'espoir malgré la distance évidente qui le séparait de son salut.

    Qui peut bien avoir l'idée de traverser une forêt enneigée par des jours si froids ? À part moi, bien sûr.

    C'était totalement irréel, mais ça n'avait pas la moindre importance. C'était peut-être la seule façon de passer la nuit.

    Il se redressa, frotta ses vêtements pour en faire tomber la neige qui s'y était collée et se dirigea vers la lumière. Il avait tellement peur à l'idée que ce ne soit qu'une illusion, un mirage, dû à son esprit fragilisé et ses membres obsédés par le froid. Pour se convaincre du contraire, il la fixait sans discontinuer, sans jamais détourner le regard, à mesure qu'il se frayait un chemin à travers la poudreuse.

    Parfois, un tronc d'arbre lui obstruait la vue, suscitant un sentiment immédiat de panique le poussant à accélérer pour retrouver la lueur dansante qui se rapprochait lentement. Trop lentement. La nuit était particulièrement silencieuse et la neige craquait bruyamment sous ses pas. Ghaal était tant focalisé sur l'éclat de lumière que le temps ne semblait plus avoir de consistance. Il s'étirait. Chaque seconde laissait place à une longue minute d'attente et d'espoir.

    Chose cruelle que l'espoir, peut-être le pire des poisons et le meilleur des remèdes.

    Il évoluait avec difficulté, mais frénétiquement, au travers du lourd manteau neigeux.

    La respiration saccadée, il se rapprochait de son but. Il distinguait à présent clairement les flammes orangées d'un feu bien entretenu entre les arbres. Haletant, il déboucha sur une petite clairière. Au centre trônait un feu de camp délimité par de grosses bûches. À côté, un long tapis de cuir grossier s’enfonçait dans la neige. Plus loin, à la lisière de la trouée, un cheval piétinait, attaché à un arbre. C'était un hongre robuste visiblement habitué à parcourir de longues distances. Ses muscles saillants laissaient à penser que son endurance avait déjà été mise à l'épreuve le jour même et probablement ceux qui précédaient.

    Personne.

    Ce constat défiait toute vraisemblance.

    Un feu, un cheval et… personne.

    Les lèvres fendues par le froid, la gorge asséchée par l’effort et par le vent sec, il ne lui sembla pas nécessaire de chercher à se faire remarquer ; d'autant plus qu'il n'était même pas sûr d'être capable d'émettre le moindre son.

    Il s'approcha lentement de la couche de cuir et s'y assit délicatement afin de ne pas l'enfoncer davantage dans la neige. Il sentit ses muscles endoloris par le froid se détendre à la chaude et réconfortante proximité du feu.

    Enfin quelque chose d'apaisant.

    Il ferma les yeux et tout l'univers fut aussitôt recouvert d'un voile éthéré. Le craquement lointain des branches secouées par le vent, le croassement des corbeaux, le hululement des seigneurs ailés de la nuit, toute cette ambiance lugubre devenue familière se trouva transportée hors de la réalité chaleureuse et accueillante du halo des flammes.

    — Je savais bien que je finirais par rencontrer âme qui vive sur mon chemin, mais je ne pensais pas vraiment que ce serait au beau milieu d'une forêt désolée, constata, amusée, la voix bourrue d'un homme.

    Ghaal ne réagit pas immédiatement, de telle sorte que les paroles de l'homme semblèrent devoir franchir une série d'obstacles pour l'atteindre. Il ouvrit les yeux comme au sortir d'une longue nuit de sommeil, tourna mécaniquement la tête et retrouva ses esprits lorsqu'il croisa le regard de l'homme occupé à entretenir le feu. Il sursauta violemment et eut un mouvement de recul paniqué, une peur irrationnelle lui enserrant le cœur. Il se mit à balbutier de manière incompréhensible.

    — Je... Pardonnez... moi... avais... froid..., balbutia-t-il.

    L'inconnu avait la mine grave et interrogative, mais ses yeux pétillaient indubitablement d'amusement.

    — Calme-toi, mon garçon. Si tu m'avais gêné, tu serais déjà reparti dormir entre les arbres !

    Considérant l'air toujours aussi apeuré du jeune homme qui avait l'âge d'être son fils, il ajouta :

    —Tu ne m'as pas entendu jusqu'à ce que je m'adresse à toi et, pourtant, l'Unique sait à quel point cette foutue neige empêche toute discrétion ! Si je voulais m'adonner à quelque vilenie te concernant, tu serais déjà en mon pouvoir et soumis à ma volonté...

    Il laissa sa phrase en suspens, puis, voyant qu'il avait eu raison du premier rempart de protection, il renchérit :

    — À moins que je ne tire mon véritable plaisir qu'en faisant souffrir ceux qui me font aveuglément confiance !

    Face à la désapprobation évidente qu'il lisait sur les traits de son interlocuteur, il éclata d'un rire rauque.

    — Excuse-moi pour cette boutade, gamin, je n'ai pas pu m'en empêcher ! Je m'appelle Baest, Baest le messager, annonça l'homme en tendant la main avec enthousiasme.

    Ghaal le toisait à présent. C'était un homme de bonne taille, trapu, à la carrure imposante. On pouvait aisément deviner le corps puissant dissimulé par les couches de vêtements juste en regardant la large main calleuse qu'il tendait en arborant un sourire amical.

    Ce sourire, d'ailleurs, autant que ses yeux rieurs, brillants de dynamisme, contrastait avec le reste de son apparence. Les traits tirés de son visage laissaient deviner une vie mouvementée et évoquaient, comme son corps, un guerrier vétéran. Il portait une barbe drue, noire de jais, qui mangeait une bonne partie de son visage. Son teint hâlé indiquait qu'il n'était pas originaire du Nord et qu'au contraire il était né sous le soleil de la capitale, réputée pour son climat côtier. Une cicatrice lui barrait le front, une autre traversait son crâne rasé témoignant d'un passé guerrier.

    Ghaal n'avait, à vrai dire, jamais rencontré de véritables combattants. Les quelques hommes d'armes du village ne s'étaient jamais vraiment battus et perdaient chaque jour un peu plus leurs connaissances très théoriques sur le combat et ses techniques.

    Baest l'intimidait, pourtant, après une hésitation prononcée et sous le regard insistant de l'homme, Ghaal serra, ou plutôt tenta de serrer, la puissante main du vétéran, ce qui lui valut un clin d’œil engageant de celui-ci.

    — Me diras-tu ton nom ou devrai-je t'appeler « gamin » toute la soirée ?

    — Ghaal. Je viens d'un village aux portes de la forêt.

    Baest hocha la tête, satisfait, puis reporta son attention sur le feu. Pour Ghaal, il n'était plus question de s'endormir. Il regarda lui aussi le feu dont les flammes léchaient le bois. Elles dévoraient lentement chaque bûche que le messager introduisait dans le cercle de pierre. Étonnamment, ce fut lui qui brisa le silence qui avait gagné le campement.

    — Comment faire un feu sur la neige ? demanda-t-il naïvement.

    Baest rit de nouveau avec franchise.

    — C'est impossible, tu le sais bien ! Le feu ferait fondre la neige sur lequel il repose, ce qui l'éteindrait !

    Vexé à l'idée qu'on le prenne pour un imbécile, Ghaal se renfrogna, puis désigna ce qui était leur source de chaleur depuis que la nuit était tombée.

    — Vous voulez dire que c'est un feu magique, peut-être ! rétorqua-t-il sèchement.

    — Décidément, t'es pas éveillé comme garçon, toi.

    Son ton était narquois, mais sans aucune méchanceté.

    — Si le feu était magique, je ne l'alimenterais pas ! Et surtout, si la magie avait la moindre existence, j'aurais déjà fait venir de quoi bien manger !

    Sur ces mots, il se tapota le ventre, déjà perdu dans des songes aux odeurs de viandes grillées, de galettes de céréales recouvertes de légumes badigeonnés d'huile, de fromage, de bière, de...

    — Et donc, ce feu ?

    — Bon, leçon de réflexion numéro un, grogna Baest qui se sentit arraché à son rêve aux senteurs de miel. Regarde autour de toi. Que vois-tu ?

    — Des arbres,  on est dans une forêt, non ?

    Baest souffla bruyamment.

    — Ne pourrais-tu pas t'appliquer un peu ?

    — Il fait nuit, on ne voit rien d'autre !

    Sa protestation était peu convaincante, Ghaal le savait, il ne s'en rendait que trop compte.

    — Je vais t'aider. Cette clairière est circulaire, elle n'est donc pas naturelle. Elle a été dessinée, taillée dans la forêt par l'homme.

    Ghaal le fixait sans comprendre.

    — Et le feu ?

    — Tu ne comprends donc toujours pas ? Nous sommes en réalité dans un sanctuaire, probablement créé par tes ancêtres pour vénérer les anciens dieux...

    — On ne peut plus en parler ! C'est interdit depuis que l'Unique nous a montré la vérité et nous a sauvé de l'ombre, s'exclama vivement Ghaal.

    Baest le fixa durement.

    — Si tu me poses des questions, aie la politesse et la sagesse d'écouter la réponse. Mais ne t'inquiète pas, tu n'entendras pas de blasphème sortir de ma bouche.

    Il reprit.

    — Bien. J'ai donc établi le feu sur la pierre centrale qui affleurait la surface neigeuse. Je pense qu'il servait d'autel. Et, si je ne me trompe pas, il devrait y en avoir quatorze autres plus petites positionnées en cercle autour de celle-ci. Enfin, la neige ne fond pas autour, car la chaleur dégagée par le feu ne saurait être suffisante pour élever la température jusqu'à faire fondre la neige au-delà de la pierre.

    Ghaal resta bouche bée, les yeux écarquillés par la démonstration pratique de Baest. Celui qu'il avait pris quelques instants auparavant pour un simple mercenaire lui apparaissait désormais comme un érudit accompli.

    — J'ai beaucoup vécu déjà. C'est ce qu'on appelle un apprentissage par la pratique, lança-t-il tout sourire, répondant à la question silencieuse du jeune homme.

    — Je ne savais pas qu'il existait de tels endroits. Et encore moins dans cette forêt.

    — Tu n'as pas l'air de bien connaître les environs, pour un natif.

    Il n'avait pas tort et Baest put lire le désarroi dans l'expression de son compagnon. En réalité, le cours du monde le dépassait.

    — Quel âge as-tu ?

    — Bientôt vingt cycles.

    C'était un âge relativement avancé pour un humain, surtout dans le nord, où peu dépassaient les cinquante cycles.

    — Que sais-tu du monde ? En dehors de tout ce qui a trait à ton village.

    La question était large. Il le savait bien, mais être trop précis aurait risqué de l'accabler, de lui jeter son ignorance en plein visage.

    — Seuls les membres du Conseil sont instruits, tenta-t-il de se justifier. Les autres, disent-ils, n'ont pas besoin de savoir que le monde va mal. Chacun sait juste comment le village fonctionne. Du reste, nous ne connaissons que ce que veut bien nous dire le Conseil.

    Il marqua une pause comme pour s'excuser, puis reprit.

    — J'habite dans un village au nord du pays, à l'orée de la Grande Forêt qui s'étend jusqu'aux Monts Éternels, les montagnes aux gobelins. Je ne sais rien sur eux, juste qu'il faut les éviter. Au sud, le climat est plus doux. Chaque cycle, Hoeran, un des Conseillers, quitte le village pendant quelques lunes pour aller payer notre impôt à La Cité. J'ai toujours appris à vénérer l'Unique mais je sais que certains au village refusent Sa vérité. Selon eux, il existerait d'autres divinités, l'Unique ne serait qu'un usurpateur céleste. Pourtant j'ai toujours cru que le pays avait été unifié et régi par sa volonté...

    Baest qui l'avait écouté attentivement et, jusque-là, sans mot dire, le coupa.

    — Continue de le croire, il vaut mieux !

    Ghaal lui jeta un regard interrogatif. À la place, le militaire changea de sujet.

    — Tu as l'air d'en savoir plus que tu ne le laisserais penser. Peut-être as-tu déjà eu l'occasion d'étudier une carte alors !

    L'intéressé secoua négativement la tête. Baest se leva, marcha jusqu'à son hongre et sortit de l'une de ses sacoches de selle un parchemin enroulé et maintenu par une petite corde. Il revint près de son élève, déroula la peau de bête sur laquelle était dessinée une carte de la Contrée et entreprit un bref cours de géographie. La carte était détaillée et représentait un flot d'informations.

    — Cette forme symbolise les frontières de la Contrée-Unie, commença Baest.

    Il avait d'ores et déjà l'attention la plus complète de Ghaal. Il reprit.

    — Comme tu l'as dit, au nord il y a les Monts Éternels, presque infranchissables, bordés par l'épaisse forêt dans laquelle nous nous trouvons. Au sud, il y a la mer qui morcelle les plaines australes et y délimite la frontière. À l'est, un marécage puis ce sont les terres vierges. En réalité, cette zone ne mérite son nom à aucun point de vue. On les appelle aussi, plus justement, le « pays noir ». Les créatures qui y vivent sont toutes maléfiques, de manière plus ou moins manifeste. Peu s'y sont aventurés, mais L’Incarnation leur a fait mettre un genou à terre... Comme à tous les autres.

    Il marqua une pause.

    — Enfin à l'ouest le pays s'achève avec la Grande Fosse, le grand vide, on ne connaît rien au-delà.

    Le feu crépita comme pour se rappeler à leur bon souvenir. Baest remit deux bûches dans les flammes.

    — Que dire de plus ? Ou plutôt de quoi te parler ? Il y a tant à raconter.

    Ghaal le fixait toujours, le regard avide, manifestement décidé à rattraper en une soirée vingt cycles de connaissances perdues.

    — Tu voudrais peut-être me poser une question avant qu'on aille se reposer ?

    L'élève baissa les yeux, réfléchissant à l'ultime proposition annonçant déjà la fin de la leçon. Il y avait tant de questions qui se pressaient dans sa tête, toutes exigeant une réponse. Il finit par demander :

    — Parlez-moi du Karna.

    Son professeur esquissa une moue.

    — Tu es censé le connaître comme nous tous, répondit-il d'un ton sec.

    — Je voudrais en savoir plus sur lui, qui il est, ce qu'il est... Est-ce vrai qu'il est l’incarnation de l'Unique ?

    Le maître, brusquement redevenu mercenaire, garda le silence. Le jeune homme insista :

    — Tout ce que je sais, c'est qu'il règne en maître et qu'il a soumis la moindre parcelle de la Contrée. Notre Doyen, Dùnvan, affirme qu'il a volé nos libertés et...

    — Arrête ! Personne ne doit dire ça ! Et personne ne devrait apprendre ça à un ignorant !

    Le soldat le toisa, visiblement en colère. La lueur facétieuse de ses yeux avait laissé place à un nuage noir d'orage qui ternissait son regard et transformait toute l'expression de son visage en une moue féroce.

    — Puisqu'on t'a mis en danger en t'enseignant une opinion, je vais t'apprendre les faits dépourvus de tout jugement.

    Il prit une grande inspiration.

    — Le Karna est l’incarnation de l'Unique, dont il exécute la volonté. Il a pris le pouvoir il y a vingt-cinq cycles grâce à la force conférée par le divin. Il a par la suite conquis les divers domaines et autres pays qui divisaient la Contrée pour établir une union entre les peuples. Il règne depuis La Cité, d'où il parachève son œuvre d'unité. C'est tout ce qu'il y a à savoir !

    — Mais vous, Baest, qu'en pensez-vous ?

    — Je t'ai prévenu, tu n'auras que les faits. Je me garde de toute opinion.

    Un oppressant silence s’abattit sur le campement. Ghaal fixait le feu, déçu, mais surtout frustré qu’on lui réponde sur ce ton. Le brusque agacement de Baest le taraudait et soulevait en lui de nombreuses interrogations. Pourquoi un tel comportement de la part de celui qui avait été si bienveillant à son égard ?

    Le messager s’affairait à préparer son couchage de façon à se protéger au maximum du froid.

    Il y a quelque chose d’anormal !

    Il avait la mine renfrognée de celui perdu dans un flot de pensées qui semblaient brutalement l’assaillir ou du moins le tourmenter. Lorsqu’il en eut fini, il se glissa dans sa couche de fourrure et lança :

    — Va dormir maintenant, nous avons tous deux beaucoup de chemin à parcourir demain !

    La voix forte de l’homme tira Ghaal de ses réflexions. Il n’était vraiment pas décidé à dormir, ni résolu à laisser son précepteur aux bras réconfortants de Morphée. Il interrogea Baest de nouveau :

    — Où allez-vous, d’ailleurs ? Vous n’en avez rien dit !

    La question tira l’ancien mercenaire de sa torpeur. Déjà dans les éthers, il émit un soupir sonore attestant d’un retour brutal aux réalités. Il se retourna dans son couchage pour fixer le curieux de ses yeux pleins de fatigue.

    — Je fais la route de Braiseroc à l’extrême nord-ouest jusqu’à La Cité, où j’ai une importante missive à faire parvenir à notre seigneur, L’Incarnation.

    Les yeux de son jeune interlocuteur s’arrondirent.

    — Vous…

    — Je suis un messager de l’Unique, le coupa-t-il. Et ?

    — Ce que j’ai dit tout à l’heure… Je ne le pensais pas… Personne ne le pense… ni même Dùnvan, nous sommes fidèles à l’Unique.

    Ghaal balbutiait son explication qui, déjà peu convaincante, en devenait à peine compréhensible. Son visage à l'expression confuse se mit à larmoyer.

    — Calme-toi.

    Le ton de Baest était bourru mais dénué, de nouveau, de toute agressivité.

    — Je suis messager, c’est tout. Je porte des messages et te dénoncer toi et les tiens ne fait pas partie de ma mission et ne m’apporterait absolument rien ! Par contre, il te faudra être plus prudent à l’avenir. Entendu ?

    Ghaal n’osait parler, il hocha la tête d’un air affligé, se mordant les lèvres, les yeux fixant le sol. Une main ferme vint se poser sur son épaule. Baest s’était extirpé de son sac de couchage.

    — Ne te morfonds pas pour si peu ! L’Incarnation n’est pas celui que tu crois, il n’est pas celui que l’on croit.

    Il ajouta à mi-voix :

    — Quel que soit le discours qu’on en tienne… Grâce à lui, la Contrée-Unie est quasiment sûre pour les marchands et les voyageurs, et les peuples de la Contrée ne se déchirent plus en de mesquines guerres fratricides. Il n’est pas maléfique. Il sert la Contrée. Tu ne crains rien et tu ne devrais pas en avoir peur.

    Devrais. Son ton était calme, compréhensif et rassurant, mais quelque chose sonnait faux dans l’expression apaisante qu’il se voulait afficher. Son regard dénotait une certaine incertitude, un doute qui voilait son expression sereine.

    Il lui ébouriffa les cheveux comme l’aurait fait son propre père.

    Par l’Unique, qu’est-ce qu’il me manque, lui, ma mère, mes frères et ma sœur…

    — Allez, dors à présent !

    Il recouvrit Ghaal d’une couverture de fourrure, puis alla se coucher à son tour. Bientôt, Baest devint la source d’un ronflement sonore tandis que le feu crépitait de plus belle comme pour lui répondre, et que les arbres grinçaient dans une longue plainte lancinante portée par le vent.

    Ghaal finit par s’endormir, bercé par cette mélodie mêlant sons lugubres et familiers.

    *

     Lorsque Ghaal s’éveilla, le jour était levé depuis déjà quelques heures, à en croire la position du soleil. Le feu, qui les avait réchauffés la veille et une bonne partie de la nuit, n’était plus qu’un tas de braises rougeoyantes au centre d’un foyer de pierres. Il frotta ses yeux chassieux et entreprit de s’extirper des limbes du sommeil.

    Il avait étonnamment bien dormi et se sentait reposé, prêt à affronter les dernières heures de marche. Il espérait arriver avant le coucher de l’astre solaire. Il régnait sur le campement un silence auquel il ne se serait pas attendu.

    Baest !

    Nulle trace du messager de la veille avec qui il avait partagé la soirée. Pourtant, il portait encore la couverture qu’il lui avait prêtée quelques heures plus tôt.

    Qu’est-ce que cela peut bien pouvoir signifier ?

    Son ventre émit un grondement l’invitant à puiser dans les maigres réserves de sa besace. Il y trouva ses provisions, ainsi qu’une feuille de papyrus pliée en quatre. Sa curiosité prenant le pas sur sa faim, il la déplia hâtivement. Quelques mots avaient été griffonnés dans une écriture peu enviable mais lisible. Tout le monde ne savait pas lire au village, mais Ghaal avait eu la chance d’être initié à la lecture et à l’art de l’écriture.

    Comme il l’avait aisément deviné, le message était l’œuvre de Baest, le style était pour le moins sommaire ;

    « Parti pour La Cité dès l’aube, beaucoup de route

    Garde la couverture, voulais pas te réveiller.

    Deux lapins pour toi dans le sac près du foyer.

    Je les ai pris ce matin au collet.

    Bonne chance. Que l’Unique t’accompagne.

    Les maux de tête s’estomperont quand le Monde aura fini de changer et quand tu trouveras ta voie. »

    Un profond malaise lui retourna l’estomac. Il n’avait pas parlé de ses douleurs, il en était certain. Là n’était peut-être pas le véritable problème, il avait vraisemblablement parlé pendant son sommeil.

    Mais que veut-il dire ?

    Cette dernière phrase, si sibylline, ne semblait pas avoir de sens. Résigné, Ghaal se recentra sur sa priorité : gagner le village. Voilà à quoi il pourrait penser durant sa journée de voyage. De toute façon, il ne gagnerait rien à rester sur place.

    Un sac de cuir l’attendait effectivement près de ce qui était, quelques heures plus tôt, leur feu de camp. N’y croyant que difficilement, il se leva pour ramasser le paquet, l’ouvrit, curieux, impatient et plein d’espoir. Le mot ne mentait pas, du moins, pas sur ce point-là : deux lièvres à la fourrure blanche reposaient dans le sac. Il pourrait au moins en faire cadeau à sa famille ; une maigre consolation, mais la bonté de son compagnon de la nuit était tout à son honneur.

    En y repensant, il émanait clairement de lui un certain mystère. Un serviteur de l’Unique campant au milieu d’une forêt déserte lui avait laissé un message énigmatique. Ce constat avait quelque chose d’irréel, comme tous les évènements de ces derniers jours. Pourtant, il avait survécu au froid ; pourtant, il avait encore la couverture de la veille. Ces lapins ne pouvaient être une illusion, il ne pouvait pas avoir rêvé !

    Bien qu’intrigué, il décida d’y réfléchir plus tard, il lui importait d’arriver le soir même au village, il n’aurait pas la même chance la nuit prochaine. De plus, son corps fatigué résistait de moins en moins aux morsures du froid. Il passa la couverture autour de ses épaules, sa besace en bandoulière et, le sac jeté sur son dos, il reprit la route à travers la poudreuse.

    Le ciel était dégagé et formait une voûte d’un bleu froid ; les rayons du soleil, tamisés par les branches nues des arbres, laissaient sur la peau de son visage une chaleur réconfortante tandis qu’un brouillard matinal se densifiait entre les arbres, donnant à la forêt une dimension mystique. Le brouillard se déplaçait lentement au gré des courants d’air filant entre les arbres. Ces mouvements réguliers laissaient à penser que la forêt vivait, respirait comme un être organique.

    L’air froid et sec s’engouffrait dans ses poumons selon le rythme de sa respiration. Cette fraîcheur, loin d’être désagréable, lui clarifiait l’esprit, tonifiant son corps comme ses pensées.

    *

    Comme prévu, il avait marché toute la journée, sans encombre. Le temps avait été clément. Le soleil avait baigné de sa chaude lumière la moindre surface qui n’était pas recouverte par les ombres massives des arbres. Alors que le crépuscule tendait à céder sa place à la nuit, Ghaal touchait enfin au but. La lisière de la forêt de l’Éternel était à moins d’une lieue. Il en serait sorti à la nuit tombée. De là, il suivrait les lumières du village comme un phare dans la nuit le guidant vers son foyer.

    Par l’Unique !

    Comme ce périple, cette quête infructueuse, lui avait semblé long ! Ce qui lui manquait n’était pas tant la chaleur et le confort des maisonnées, mais la chaleur et le réconfort qu’il tirait de sa famille et du moindre de leurs sourires affectueux, ou simplement de ceux, amicaux, des autres membres de la communauté. Il eut une pensée pour ses camarades qui, comme lui, étaient partis en quête de nourriture et pria l’Unique pour qu’ils aillent aussi bien que lui et qu’ils soient déjà rentrés.

    Le soleil se couchait dans son dos. Le disque solaire, d’un rouge inhabituel, disparaissait de moitié au cœur d’une mer de nuages cachée par les arbres. Il s’imagina au sommet des montagnes qui surplombaient Braiseroc, la ville naine, regardant le coucher de cet astre flamboyant prenant progressivement une gamme exceptionnelle de rouge, allant d’un orange franc à un pourpre prononcé, en passant par le rouge couleur de sang, le rouge de la colère, celui de l’amour et des passions.

    Tant de nuances.

    Jamais il ne lui serait donné de spectacle plus délicieux, il en était persuadé.

    Enfin, il émergea de l'immense forêt enneigée ; enfin, il échappait à son étreinte ; enfin, il échappait à son mystère ; enfin, il se soutirait au symbole de son échec. Une vaste plaine légèrement en pente l'amènerait chez lui.

    La maison, douce et paisible.

    Il soupira de satisfaction. Le vent de nord avait balayé la neige, en laissant une épaisseur beaucoup plus supportable.

    Au bout de la plaine, son village. Toutefois, quelque chose n'allait pas. Il regardait dans la bonne direction, il en était certain, pourtant quelque chose, peut-être le vent sifflant dans les arbres en bordure de forêt, lui soufflait, lui hurlait, que la lueur anormalement vacillante à l'horizon n'était pas son village, ne pouvait pas l'être ! Il tressaillit.

    Me suis-je donc trompé ?

    Non. Il en était sûr.

    Les étoiles ne mentent pas et le ciel est dégagé.

    Pourtant, il s'attendait aux lumières faibles, lointaines, mais inébranlables des chaumières. À la place, cette lumière, incertaine mais plus présente visuellement, s'agitant comme pour attirer le regard.

    Le

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