Synthese TC DEF 14.04
Synthese TC DEF 14.04
Septembre 2013
Septembre 2013
IAU île-de-France
15, rue Falguière 75740 Paris cedex 15
Tél. : + 33 (1) 77 49 77 49 - Fax : + 33 (1) 77 49 76 02
http://www.iau-idf.fr
-2-
Sommaire
Introduction
Une étude sur la sécurisation des transports publics franciliens 5
Une démarche centrée sur la mise en œuvre au quotidien 6
Une méthodologie qualitative 7
2. Vision transversale 19
2.1. Un système structuré 19
2.1.1. Un champ d’action investi 19
2.1.2. Un haut niveau de coordination 19
2.2. Une approche globale, des leviers pluriels 21
2.2.1. Présence humaine 21
2.2.2. Dispositifs techniques 21
2.2.3. Expertise 22
2.2.4. Prévention 23
2.3. Des déclinaisons locales 25
2.3.1. Gare de Paris Saint-Lazare 25
2.3.2. Gare de Saint-Denis 27
2.3.3. Gare de Corbeil-Essonnes 29
-3-
1.3. Zoom sur la vidéosurveillance 39
1.3.1. Surveillance générale à des fins de dissuasion 39
1.3.2. Détection des comportements suspects 40
1.3.3. Assistance aux services 40
1.3.4. Identification des auteurs d’actes délictueux 41
La coproduction à la loupe 53
1. Les registres du partenariat 53
1.1. Interrelations au quotidien 53
1.1.1. L’échange d’informations 53
1.1.2. L’appui aux partenaires 54
1.1.3. Le passage de relais 55
1.2. Actions programmées 56
1.2.1. Coopérations internes 56
1.2.2. Coopérations externes 58
3. Perspectives d’avenir 65
3.1. La question de la sécurisation des réseaux de surface 65
3.1.1. Un maillage inégal et diffus 65
3.1.2. Une préoccupation croissante : vers un redéploiement de la BRF en surface ? 66
3.2. Les défis pour demain 69
3.2.1. Le Grand Paris des transports 69
3.2.2. L’ouverture à la concurrence 71
Annexes 73
Annexe 1 : Composition du comité de pilotage 74
Annexe 2 : Liste des entretiens et des séquences d’observation 75
Annexe 3 : Table des acronymes 79
Annexe 4 : Schéma d’organisation de la sécurisation des transports publics franciliens 81
-4-
Introduction
En Île-de-France, la problématique de l’insécurité dans les transports en commun revêt une
acuité toute particulière. Les chiffres enregistrés par les services policiers sont, à ce titre, très
parlants : la région capitale concentre à elle seule 60% des faits de délinquance commis dans les
transports en commun à l’échelle nationale1. Conduites tous les deux ans depuis 2001, les
enquêtes « victimations et sentiment d’insécurité en Île-de-France » permettent elles aussi de
dégager quelques tendances significatives2. Comme les précédentes, la dernière en date montre
notamment que les transports en commun et les gares arrivent en tête des lieux de victimation
pour les vols simples, en seconde place derrière les espaces publics pour les agressions tout
venant. Il en ressort aussi que plus de quatre Franciliens sur dix déclarent avoir peur, au moins
de temps en temps, dans les transports en commun. Comment prévenir la délinquance, garantir
la sécurité et rassurer les usagers dans les espaces de transport ? Considérant la densité du
trafic et l’affluence de voyageurs en Île-de-France, cette question constitue un défi majeur, une
priorité pour les pouvoirs publics comme pour les transporteurs.
Dans le cadre de son programme 2012-2013, la Mission Études sécurité (MES) de l’IAU île-de-
France a mené une étude sur la sécurisation des transports en commun franciliens. L’objet de ce
document est d’en présenter une synthèse.
La commande régionale
Cette étude répond à une demande d’évaluation de la Région Île-de-France, eu égard aux
financements alloués au titre de la politique de sécurisation des transports en commun. En ce
sens, le 8 avril 2011, la Région Île-de-France a approuvé une délibération3 instituant un Comité
de suivi et d’évaluation « prévention et sécurité » dans les transports (art. 6). Pour appuyer les
travaux de ce comité, il a été prévu qu’une étude soit réalisée « afin d’évaluer l’efficacité de la
politique de prévention et de sécurité dans les transports et de proposer, le cas échéant, les
améliorations possibles » (art. 7). C’est à cet effet que la MES de l’IAU-îdF a été sollicitée.
1
Source : Ministère de l’Intérieur.
URL : http://www.interieur.gouv.fr/fr/Actualites/Dossiers/La-securite-dans-les-transports-en-commun-en-Ile-de-France
2
Les résultats de ces enquêtes sont disponibles en ligne sur le site de l’IAU.
URL : http://www.iau-idf.fr/nos-etudes/theme/securite-prevention.html
3
N°CR 03-11 « Participation de la Région Île-de-France au financement de la sécurité dans les transports publics franciliens.
Complément au troisième programme de sécurité ».
4
Trois programmes au total (1997-1999, 2000-2001, 2002-2007), auxquels ajouter un complément au troisième programme
portant sur le renforcement de la vidéosurveillance sur le réseau SNCF Transilien (2011-2013).
5
Source : Région Île-de-France, note UAD, 2012.
-5-
Une démarche centrée sur la mise en œuvre au quotidien
Pour répondre à la commande du Conseil régional, notre démarche d’étude adopte un double
parti, au fondement d’une approche évaluative de type sociologique.
-6-
C’est un outil d’aide à la décision qui vise notamment à :
- améliorer la lisibilité d’un système d’action complexe, qui apparaît relativement nébuleux à
ceux qui n’en sont pas familiers, voire même à ceux qui en font partie ;
- fournir des éléments de diagnostic et d’analyse sur la politique de sécurisation telle qu’elle se
réalise au quotidien, identifier les enjeux problématiques pour l’action publique ;
- sensibiliser à l’expérience vécue des agents de première ligne, permettre une meilleure prise
en compte des réalités de terrain pour mieux prévenir les risques de déconnexion entre le
niveau de la prise de décision politique et le niveau de la mise en œuvre opérationnelle.
Précisions liminaires
Première remarque : il s’agit d’une étude sur le traitement de l’insécurité dans les transports, non
pas d’une étude sur l’insécurité dans les transports en tant que telle. À l’évidence, les
phénomènes d’insécurité constituent la trame de fond de notre travail : c’est l’objet même de la
politique étudiée que de lutter contre. Mais ce n’est en aucun cas l’objet de notre étude que d’en
établir le diagnostic. Ce qui nous intéresse, ce sont les réponses institutionnelles apportées face
aux problèmes d’insécurité ou, plus précisément, face à ce que les acteurs chargés d’intervenir
en ce domaine considèrent comme tels, quelles qu’en soient les manifestations (délinquance,
incivilités, sentiment d’insécurité).
Deuxième remarque : lorsqu’on parle d’insécurité dans ce rapport, c’est donc du point de vue des
professionnels concernés, à travers leurs propres représentations, l’expérience qu’ils en ont,
l’image qu’ils s’en font, l’analyse qu’ils en livrent et les significations qu’ils lui attribuent. Ce sont là
des formes de savoir pratique qui constituent des catégories pour l’action, des regards qu’il
convient à ce titre de relayer et de croiser pour objectiver l’appréciation de phénomènes dont la
perception reste éminemment subjective.
Troisième remarque : cette approche nous invite à dépasser les débats sémantiques sur les
notions d’« insécurité » et d’« incivilités », sur ce qu’il convient ou non d’y ranger. On ne se figera
pas ici sur des définitions exclusives, on reprendra ces mots dans le sens que leur donnent les
acteurs rencontrés. Suivant le même principe, on ne tranchera pas non plus sur les termes
« sécurité », « sûreté » ou encore « tranquillité » qu’on emploiera indifféremment, selon
l’institution, le service ou l’agent de référence, pour désigner un même champ d’action : la
protection quotidienne des personnes et des biens dans les espaces de transport.
-7-
Dernière remarque : si l’étude porte sur le système de sécurisation des transports publics
franciliens dans sa globalité, il a néanmoins fallu restreindre le champ des investigations pour
pouvoir mener à bien l’enquête de terrain. Face à l’ampleur du sujet, faute de pouvoir tout
étudier, notre travail s’est focalisé :
- sur les acteurs institutionnels : les pouvoirs publics (préfecture de police) et les transporteurs
(l’activité Transilien en particulier s’agissant de la SNCF) – c’est un choix délibéré que de laisser
de côté les usagers, qui constituent pourtant des acteurs centraux du système et dont le rôle
dans la coproduction de sécurité pourrait faire l’objet d’une étude à part entière ;
- plus spécialement, sur les services chargés de la prévention/sécurité : la police régionale des
transports, les services de sécurité de la RATP et de la SNCF, mais aussi les équipes de
médiation sociale (celles des entreprises privées d’Optile et celles de l’association Promevil
agissant pour le compte de Transilien) – à l’exception des sociétés privées de gardiennage qui
interviennent dans les gares SNCF et qui mériteraient elles aussi des investigations
complémentaires.
Notre dispositif d’enquête comporte deux phases qui renvoient à deux niveaux d’analyse distincts
bien qu’étroitement imbriqués : le niveau macro du système dans son ensemble et le niveau
micro des acteurs de terrain.
-8-
Cette phase, centrale dans notre démarche, repose sur une enquête de terrain (entretiens et
observations) menée pour l’essentiel entre décembre 2012 et mars 2013 sur trois sites choisis en
concertation avec le comité de pilotage : une grande gare parisienne (Paris-Saint-Lazare), une
gare de proche banlieue (Saint-Denis) et une gare de grande couronne (Corbeil-Essonnes).
Ces sites sont à considérer comme des points d’entrée pour pénétrer le système de sécurisation
des transports, toucher les acteurs de terrain et prendre en compte les logiques de mobilité qui
caractérisent leurs modes d’intervention. En tant que tels, les espaces-gares ne constituent pas
forcément une échelle d’action pertinente pour nombre des professionnels étudiés. Cependant,
comme les territoires d’intervention des uns et des autres ne se recoupent pas nécessairement, il
nous a fallu partir de ces lieux statiques sur lesquels tous sont, à un titre ou à un autre,
susceptibles d’intervenir et de se croiser, pour ensuite intégrer des portions de lignes (tous
modes confondus) desservant les gares en question.
Pour mener à bien cette phase de l’étude, 12 étudiants du Master 2 « régulations des conflits »
de l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines se sont mobilisés à nos côtés. Répartis
en trois groupes de quatre sur chacun des sites, ils ont conduit des entretiens et des séquences
d’observation, nous permettant ainsi de démultiplier le travail de terrain.
Au total (phases 1 et 2), notre équipe élargie (MES + étudiants) a mené 81 entretiens, interviewé
115 personnes dans ce cadre, et réalisé 42 séquences d’observation (cf. annexe 2). Ainsi, grâce
à la coopération de l’ensemble des services partenaires qui ont accepté de nous ouvrir leurs
portes, l’enquête nous a permis de recueillir un matériau qualitatif à la fois riche et dense – pas
moins de 700 pages si l’on cumule les notes de terrain, les retranscriptions d’entretiens et les
rapports remis par les étudiants. C’est sur ce matériau que s’appuie pleinement notre étude.
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Vue d’ensemble sur un système complexe
La sécurisation des transports publics en Île-de-France engage une pluralité d’institutions,
mobilisant divers services internes ou prestataires externes. Elle met en jeu différents types
d’activités et de métiers sur des espaces de mobilité où les domanialités se superposent et les
responsabilités s’entrecroisent. C’est un système d’action hybride (public/privé), complexe et
néanmoins structuré, dont il s’agit ici de dégager une vue d’ensemble.
1.1. Le Stif
Le syndicat des transports d’Île-de-France (Stif), établissement public à caractère administratif,
est l’autorité organisatrice des transports en commun à l’échelle régionale. À ce titre, pour
reprendre la formule officielle, « le Stif imagine, organise et finance les transports publics pour
tous les Franciliens ».
1
Sources pour les chiffres cités : Stif, « Le Stif et la prévention », document support pour l’audition au conseil régional d’Île-de-
France par le comité de suivi et d’évaluation de la politique de prévention et de sécurité dans les transports en commun, 05
octobre 2012.
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1.1.2. Traduction dans les contrats d’exploitation
Dans les contrats d’exploitation, cette politique se traduit au travers d’un volet spécialement
consacré à la prévention/sécurité. Y sont explicités les attentes du Stif et les engagements des
transporteurs, « sans préjudice du rôle dévolu à la police nationale », insistant à la fois sur « la
lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens » et sur « le traitement du sentiment
d’insécurité » dans les espaces de transport, incitant en particulier les entreprises privées au
« renforcement du travail de prévention et des actions de sensibilisation ». Il y est en outre prévu
que les exploitants s’appuient sur un plan de prévention et sur des outils de reporting.
Deux types d’indicateurs de suivi sont à fournir au Stif :
- des indicateurs de réalisation soumis à bonus/malus (impactant le montant des subventions) :
- taux d’occupation des postes subventionnés ;
- indicateurs de disponibilité des équipements (vidéoprotection et bornes d’appel) ;
- des indicateurs transmis à titre d’information :
- statistiques sûreté (atteintes physiques sur les agents, dégradations, ratio atteintes
physiques/nombre de voyageurs) ;
- usage de la vidéosurveillance (nombre d’enregistrements vidéo mis à disposition des
autorités de police / dupliqués à des fins judiciaires) ;
- pertes kilométriques ou cessations d’activités liées à des problèmes de sécurité ;
- activité des services de sûreté ferroviaire (SNCF) et de protection des réseaux (RATP)
(nombre moyen d’équipes par jour, taux d’intervention en moins de 10 minutes).
Au sein du Stif, une chargée de projet rattachée au pôle « politique de service » assure le suivi
du volet « prévention/sécurité » des contrats d’exploitation.
La direction de la sûreté
Rattachée au secrétariat général, la direction de la sûreté est une direction dédiée, transversale,
qui se positionne en appui de l’ensemble des activités et domaines de la SNCF. À l’échelle de
l’entreprise, elle anime la politique sûreté dont elle co-construit les grandes orientations en lien
avec les autres directions.
1
Soit le réseau de trains de banlieue et de gares couvrant la zone « Île-de-France » de la SNCF.
2
Une direction déléguée « prévention et gestion des incivilités » a été créée en septembre 2012.
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La direction de la sûreté se subdivise en deux lignes :
- une ligne fonctionnelle qui comprend plusieurs pôles (relations internationales, communication,
partenariat, liaison avec les services de l’État – police, gendarmerie, justice) et départements
spécialisés (pilotage transverse, expertise, coordination sûreté, défense) ;
- une ligne opérationnelle qui correspond au service de sûreté ferroviaire.
La sûreté ferroviaire
La sûreté ferroviaire, malgré sa nouvelle dénomination, continue d’être communément désignée
par l’abréviation Suge (en référence à l’appellation historique de surveillance générale). Elle
travaille pour le compte des différentes activités de la SNCF auxquelles elle est liée par des
conventions de performance. C’est une force de 2 800 agents en tenue, armés (bâton de défense
+ arme à feu) et assermentés, dont 1 250 sont affectés à la zone Île-de-France (parmi lesquels,
on l’a dit, 730 ETP subventionnés par le Stif pour Transilien).
Sur les emprises de la SNCF, les agents de sûreté ferroviaire sont chargés « de veiller à la
sécurité des personnes et des biens, de protéger les agents de l'entreprise et son patrimoine et
de veiller au bon fonctionnement du service »1. Prioritairement investis d’une mission préventive,
ils sont habilités à verbaliser les infractions à la police du transport ferroviaire et peuvent, en vertu
des articles 53 et 73 du Code de procédure pénale, procéder à des interpellations en flagrant
délit en partenariat avec les services policiers de l’État.
La sûreté ferroviaire s’organise suivant un principe de territorialisation. À l’échelle nationale, elle
compte onze directions de zone sûreté (DZS), dont cinq couvrent (et débordent) la région Île-de-
France2. Chaque DZS supervise plusieurs agences localement implantées, qui peuvent elles-
mêmes regrouper plusieurs sites. Sous l’autorité des chefs d’agence, les dirigeants de proximité
(DPX) encadrent les équipes Suge engagées sur le terrain.
La sûreté ferroviaire dispose d’un poste de commandement spécifique, le PC national sûreté
(PCNS). Situé à proximité de la gare du Nord, le PCNS fonctionne 24h/24. Il traite l’ensemble des
appels « sûreté » concernant l’EPIC SNCF (en provenance des agents Suge et de l’ensemble
des cheminots) et oriente l’intervention des équipes sur le terrain.
1
Art. L.2251-1 du Code des transports concernant les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
2
DZS Paris Nord, DZS Paris Est, DZS Paris Sud-Est, DZS Paris Rive Gauche, DZS Paris Saint-Lazare - Normandie.
3
http://www.securite-prevention-sncf.com/
- 13 -
Les prestations externes
Le dispositif sûreté de la SNCF repose en outre sur des prestations de services externalisées
(marchés en appel d’offres). Pour Transilien, il s’agit de médiation sociale et de sécurité privée.
▪ Médiation sociale
Près de 130 médiateurs sociaux de l’association Promevil interviennent en gare et dans les trains
sur les portions les plus sensibles du réseau (lignes A, B, D nord, D Sud, H et J).
▪ Sécurité privée
1 200 agents de gardiennage sont mobilisés pour sécuriser les gares transiliennes.
50 opérateurs sont affectés aux cinq centres de gestion des appels (CGA) pour traiter les appels
au 31.17 (numéro d’urgence voyageurs) et sur les bornes d’urgence, mais aussi pour visionner
les écrans de vidéosurveillance.
Le département sécurité
Au niveau de l’EPIC, la gestion des enjeux de prévention/sécurité relève d’un département à part
entière, le département sécurité, organiquement rattaché au secrétariat général du groupe. Ce
département compte au total 1 200 agents et fera l’objet d’une restructuration interne à l’automne
2013. Il inclut des entités fonctionnelles (coordination de la prévention, défense/NRBC2) ainsi
qu’un service d’assistance aux personnes en errance (recueil social), mais c’est à l’évidence
dans le groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) que la majeure partie des
effectifs se concentre.
Le GPSR
Fort de 1 000 agents armés et assermentés, le GPSR est à la RATP ce que la Suge est à la
SNCF : les services de sécurité internes de ces deux entreprises publiques de transport sont
régis par les mêmes textes juridiques et exercent les mêmes missions dans les limites de leurs
emprises respectives. Autrement dit, le GPSR est chargé d’assurer la protection des voyageurs,
des personnels et des matériels sur les réseaux ferrés (métro, RER) et sur les réseaux de
surface (bus et tramways) exploités par la RATP.
Au moment de l’enquête, l’organisation du GPSR est établie sur la base d’un découpage en cinq
secteurs nommés Kheops, considérés comme des attachements principaux auxquels sont
affectées les équipes dédiées à la sécurisation du réseau ferré. Ces Khéops sont eux-mêmes
subdivisés en vingt-deux relais de sécurisation (ou attachements secondaires) auxquels sont
affectées les équipes dédiées à la sécurisation du réseau de surface.
La réforme qui sera prochainement mise en place se traduira par une réduction du nombre
d’attachements et par un redéploiement des effectifs là où les besoins sont les plus manifestes.
La nouvelle unité opérationnelle des territoires comportera quatre entités territoriales et une entité
multi-secteurs, sans oublier le groupe cynotechnique.
Quant à l’unité opérationnelle de commandement située quai de la Rapée au cœur de la Maison
de la RATP, elle englobera l’actuel centre d’information et de commandement (Cico), le bureau
d’analyse et de conseil opérationnel (Baco), le bureau de soutien opérationnel et le PC sécurité.
24 heures sur 24, ce dernier traite les appels des équipes, dirige leurs interventions sur le terrain
et coordonne leur action en liaison étroite avec le PC voisin de la police régionale des transports.
1
L'intégralité des lignes de métro, la majorité des lignes de tramway (à l’exception de la ligne T4 exploitée par la SNCF), une
partie des lignes A et B du réseau express régional (RER) ainsi qu’une partie des lignes de bus d'Île-de-France.
2
Prévention des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques.
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1.2.3. Optile : des politiques variables selon les entreprises
L’Organisation professionnelle des transports d'Île-de-France (Optile) est une association régie
par la loi 1901 qui regroupe l’ensemble des entreprises privées de transport de voyageurs de la
région. Celles-ci représentent près de 4 500 bus et cars, soit la moitié du parc circulant sur le
territoire francilien, en particulier sur la grande couronne. Optile assure la gestion administrative
des lignes régulières exploitées par ses adhérents et conduit des projets communautaires aux
côtés de la SNCF et de la RATP dans le cadre du réseau régional intégré, concernant
notamment les titres de transports, l’information voyageurs dynamique ou encore les questions
de prévention/sécurité qui nous intéressent ici très directement.
En la matière, Optile relaie les préoccupations des transporteurs privés et travaille auprès du Stif
sur les programmes d’équipement (vidéoprotection, géolocalisation) et les dispositifs de
médiation (sur les réseaux traversant des quartiers en politique de la ville). Pour autant, les
stratégies et moyens mis en œuvre restent très variables selon les entreprises, en fonction de
leur envergure, du type de territoire qu’elles desservent et de la nature des problèmes qu’elles
rencontrent.
À titre d’illustration, on propose de présenter les exemples de trois réseaux particulièrement
investis dans le champ de la prévention/sécurité, tous affiliés au groupe Kéolis (filiale de la
SNCF), avec qui nous avons eu contact dans le cadre de l’étude : les CIF, Tice et une direction
de secteur regroupant trois plus petites sociétés de transport interurbain.
1
Carnet à l’usage des médiateurs leur servant de support dans leur démarche « commerciale » en leur permettant de noter les
coordonnées des clients, qui sont ensuite rappelés par le back office pour une information plus précise et individualisée sur la
tarification, les abonnements, forfaits et autres titres spéciaux.
2
L’objectif est d’amener les personnes qui fraudent à régulariser leur situation. À cet effet, le contrôleur prend le numéro de
téléphone du voyageur ou lui remet une carte de visite avec un numéro de téléphone auquel rappeler. Le back office est ensuite
chargé de fixer un rendez-vous pour procéder à l’échange du PV contre un titre de transport.
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L’exemple de Tice
Le réseau Transports Intercommunaux Centre Essonne (Tice) est une société d’économie mixte
(SEM) résultant d’un partenariat entre les collectivités territoriales du secteur et le groupe privé
Kéolis. Tice transporte 80 000 voyageurs/jour sur une vingtaine de communes et exploite 18
lignes de bus au total, dont un site propre de 18km et une ligne majeure en termes de
fréquentation, la 402, qui traverse plusieurs quartiers sensibles et représente à elle seule 17 000
voyageurs/jour.
Le réseau Tice se positionne expressément comme un « acteur de la prévention/sécurité ». Sa
politique en ce domaine joue sur plusieurs leviers : humanisation, vidéoprotection, prévention
situationnelle et partenariats locaux (cf. infra). Au cœur du dispositif, le pôle médiation date de
1994 : c’est l’un des premiers à avoir été mis en place. Il compte une quarantaine d’agents dont
les trois quarts sont en CDI, les autres sous contrat adultes-relais. Formés par l’institut Kéolis, ils
sont titulaires du TP Amis, à l’instar des trente contrôleurs du pôle lutte anti-fraude.
Sur bien des points (structuration, effectifs, modalités de recrutement, qualification), le dispositif
de Tice est donc comparable à celui des CIF. À l’échelle d’Optile, il s’agit là de deux sociétés de
taille importante, régulièrement exposées à des désordres urbains, qui engagent des moyens
relativement conséquents pour la sécurisation de leur réseau.
1
Société de transport par autocars.
2
Reliant Paris à Beauvais, Creil, Dreux, Malesherbes et Vernon.
3
À savoir
- deux services de la PP compétents sur Paris intra-muros, qui ont fusionné dès 2002 : le service de protection et de
sécurisation du métro (SPSM), qui dépendait de la direction de la sécurité publique, et le commissariat des réseaux ferrés,
qui dépendait de la direction de la police judiciaire ;
- la branche Île-de-France de la brigade des chemins de fer (BCF), qui relevait de la PAF.
- 16 -
a été officiellement créé par décret ministériel, après que la loi d’orientation et de programmation
pour la sécurité intérieure (Lopsi) du 28 mars 2003 a confié au préfet de police le commandement
unique en matière de sécurité dans les transports sur l’ensemble de la région Île-de-France.
L’effectif initial était de 1 000 agents et, lors du lancement de la SDRPT, le ministre de l’Intérieur
avait annoncé vouloir l’augmenter à 1 500 – un chiffre ensuite ramené à 1 350.
1
Travail de rapprochement entre plusieurs plaintes considérant la description des auteurs et/ou des modus operandi.
- 17 -
g
Schéma d’organisation p
des acteurs de la sécurisation des transports p
publics franciliens
- 18 -
2. Vision transversale
Après avoir présenté dans les grandes lignes les acteurs en jeu et leurs services respectifs, il
s’agit dans ce second point de proposer une vision d’ensemble du système de coproduction de la
prévention/sécurité dans les transports publics franciliens.
Dans cette perspective transversale, force est de souligner deux traits saillants du système.
- C’est un système complexe, difficilement lisible pour le novice, parce qu’il met en scène une
multitude de partenaires institutionnels dont les modes d’organisation interne (sans parler des
acronymes) sont eux-mêmes spécifiques et complexes.
- C’est un système structuré, pour ainsi dire rôdé, qui, d’un point de vue institutionnel du moins,
fonctionne plutôt bien. Il s’agit là d’un résultat fort en soi, qui ne surprendra certes pas les
parties prenantes mais qui ne relève pourtant pas de l’évidence.
Premier constat : les enjeux de prévention/sécurité constituent un champ d’action à part entière
pour les pouvoirs publics comme pour les transporteurs. Ils sont globalement pris en compte,
pensés et investis, dans une acception large qui ne se limite pas à la lutte contre les actes
malveillants mais inclut aussi la problématique des incivilités et du sentiment d’insécurité. Ils font
l’objet de politiques et de dispositifs spécifiques à l’échelle des différents organismes concernés,
chacun selon ses prérogatives, son périmètre d’intervention et ses objectifs propres. Ils
mobilisent différents services opérationnels dont les effectifs cumulés représentent plus de 5 000
agents (cf. schéma p.18).
Deuxième constat : les différents dispositifs mis en place ne se juxtaposent pas simplement, ils
s’articulent entre eux. Autrement dit, ils font globalement système, un système relativement
intégré qui repose sur un partenariat institutionnalisé entre les principaux acteurs impliqués, plus
précisément entre la SDRPT, la RATP et la SNCF. Dans ce jeu d’acteurs, le réseau Optile
semble en effet plus isolé, moins directement associé, ce qui s’explique à la fois par l’éclatement
des entreprises adhérentes et par l’absence de services de sécurité à proprement parler.
En tout cas, entre la police régionale des transports et les services de sécurité des deux grandes
entreprises publiques, la coordination est forte et s’actualise notamment à travers :
- des réunions de coordination stratégiques et opérationnelles ;
- des opérations conjointes de type visibilité/dissuasion organisées par le bureau de
coordination opérationnelle de la SDRPT ;
- des process de coopération, juridiquement encadrés, balisés par les mandats respectifs des
services policiers, du GPSR et de la Suge ;
- des liens permanents entre les postes de commandement, en particulier sur le plan de la
vidéosurveillance (cf. schéma p.20), favorisés d’une part, par la mitoyenneté des PC de la
BRF et du GPSR, d’autre part, par les détachements à temps plein d’un agent de la Suge à
TN Réseaux et d’un agent de la BRF au PCNS ;
- des initiatives plus spécifiques à l’instar de la cellule vidéo multimodale (CVM) mise en place à
Châtelet-les-Halles, associant un opérateur du GPSR et un opérateur de la BRF.
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Schéma d’organisation de la vidéosurveillance dans les transports (DSPAP / RATP / SNCF)
- 20 -
2.2. Une approche globale, des leviers pluriels
Autre point notable par-delà la forte structuration du système : la coproduction de la sécurité dans
les transports franciliens s’inscrit dans une stratégie globale qui combine toute une gamme
d’actions complémentaires. On peut identifier quatre principaux leviers : la présence humaine, les
dispositifs techniques, l’analyse et la formation, la prévention sociale et situationnelle.
La vidéosurveillance
Le plus emblématique de ces outils est la vidéosurveillance. Le vaste programme d’équipements
des transports publics franciliens, en grande partie financé par le Stif et la Région, donne lieu au
bilan de réalisation suivant.
- 21 -
● Pour la RATP (juillet 2013)1 :
- 18 200 caméras embarquées à bord des bus, 900 dans les tramways, 2 300 sur les
nouveaux matériels du réseau ferré (métro et RER) ;
- 300 caméras dans les stations de tramway, 8 900 dans les stations de métro et gares RER.
● Sur le réseau Optile (octobre 2012)2 :
- environ 2 100 bus équipés de caméras embarquées dans 33 entreprises (pas de chiffre
communiqué concernant le nombre total de caméras que cela représente).
Pour exemple, on peut présenter les cas des sociétés retenues dans le cadre de l’étude.
- STA, Athis-Cars et Garrel et Navarre, ces trois filiales interurbaines dont la gestion est
mutualisée au niveau d’une même direction de secteur Kéolis, disposent toutes d’un
système de vidéosurveillance embarquée : leur parc de bus est intégralement équipé de
caméras, les bandes images peuvent être extraites sur réquisition judiciaire.
- Le réseau Tice a, depuis 2007, engagé une politique volontariste en matière de
vidéosurveillance. Au moment de l’enquête, le dispositif mis en œuvre inclut :
- l’équipement de l’ensemble du parc « bus » en caméras embarquées ;
- l’installation de caméras aux arrêts de la ligne en site propre (soit 43 caméras fixes +
31 caméras dômes), dont la couverture sera prochainement renforcée (17 caméras
supplémentaires en partie financées par le Fonds interministériel de prévention de la
délinquance – FIPD) ;
- un poste central de supervision, qui assure en temps réel la gestion centralisée du
réseau sur le plan de l’exploitation, de l’information, de la maintenance mais aussi de
la sécurité, et qui visionne les images transmises par les caméras du site propre ;
- un projet de vidéosurveillance embarquée en temps réel dans les bus, qui devrait être
prochainement expérimenté grâce à l’obtention d’une subvention du FIPD.
2.2.3. Expertise
Le troisième levier identifié relève de ce qu’on propose de rassembler sous le terme générique
d’expertise, ce qui recouvre à la fois le volet « analyse » et le volet « formation ».
Analyse
Loin de l’image de services englués dans la gestion de l’urgence « le nez collé au guidon », les
acteurs de la sécurisation des transports s’efforcent de prendre de la hauteur et mènent un travail
d’analyse. Sur la base des remontées de terrain, ils affinent le diagnostic des situations-
problèmes pour mieux les traiter et (ré)orienter les interventions en conséquence.
Dans les plus grandes structures, parmi les différentes unités d’experts, certaines se consacrent
pleinement à cette activité : c’est le cas de la cellule statistique de TN Réseaux, du bureau
d’analyse et de conseil opérationnel (Baco) du GPSR ou encore de l’observatoire de la sûreté de
la SNCF. Dans les plus petites structures (entreprises adhérentes d’Optile), les moyens
1
Source : département de la sécurité de la RATP, juillet 2013.
2
Source : Stif, « Le Stif et la prévention », document support pour l’audition au Conseil régional d’Île-de-France par le Comité
de suivi et d’évaluation de la politique de prévention et de sécurité dans les transports en commun, 05 octobre 2012.
- 22 -
d’ingénierie sont évidemment moindres mais ce travail d’analyse n’est pas forcément négligé
pour autant – en atteste, par exemple, le niveau d’élaboration des rapports de remontée des
incidents du réseau Strav-Véolia.
Globalement, on peut donc dire que la coproduction de la prévention/sécurité dans les transports
en commun repose aussi sur la mobilisation d’indicateurs et d’outils d’analyse (statistiques
sûreté, cartographie dynamique, enquêtes clients, études ciblées, etc.) qui servent à la fois
d’instruments de mesure et de pilotage. Au niveau macro des services centraux voire au niveau
plus micro des établissements de lignes Transilien par exemple, des initiatives relativement
abouties nous ont été présentées en ce domaine, à l’instar du baromètre tranquillité mis au point
par le délégué sûreté produit de la ligne H.
Formation
Parallèlement, les organisations misent sur la formation, dans l’objectif de renforcer les
compétences et la professionnalité des agents, de mieux les armer pour l’exercice de leurs
missions dans les espaces de transport franciliens.
La BRF s’est dotée d’un service dédié. Des formations sur mesure sont délivrées aux policiers,
permettant d’intégrer, au-delà de leur formation de base, les spécificités de leur environnement
de travail et les risques électriques en milieu ferroviaire. Des formations communes avec les
agents du GPSR et de la Suge ont également été mises en place.
Le département de la sécurité de la RATP et la direction de la sûreté de la SNCF disposent eux
aussi de leur centre de formation respectif. Les modules proposés concernent non seulement les
agents de sécurité/sûreté, mais aussi les autres personnels (contrôleurs, agents de vente et
d’accueil, etc.) qui travaillent au contact direct des usagers et se trouvent exposés à des
problèmes d’insécurité (gestion du stress, prévention/gestion des conflits).
Les équipes de médiation sociale ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse de l’association Promevil,
particulièrement investie sur ces questions, ou des dispositifs intégrés aux entreprises privées de
transport (réseau Optile), les responsables témoignent d’un souci partagé de professionnalisation
et de qualification (TP Amis), chacun sachant pertinemment que la légitimité même des
médiateurs en dépend. Il importe de rompre avec l’image désastreuse qu’a pu laisser
l’expérience des « grands frères », ce qui passe en premier lieu par la formation.
2.2.4. Prévention
Le quatrième grand registre se rapporte à la prévention, dans une double acception :
- soit dans l’objectif d’agir en amont sur les causes sociales de la délinquance, dans une logique
de sensibilisation et de responsabilisation (prévention sociale),
- soit dans l’objectif d’agir en situation sur l’environnement et l’aménagement des lieux pour
dissuader le passage à l’acte délinquant, renforcer la qualité des espaces et conforter le
sentiment de sécurité des usagers (prévention situationnelle).
- 23 -
Élément remarquable, cette politique de prévention ne mobilise pas seulement les grandes
entreprises publiques (RATP/SNCF), mais aussi les opérateurs privés qui sont, sur ce plan,
fortement incités par le Stif. Riches et variées, leurs actions témoignent de leur engagement
partenarial et de leur inscription territoriale, dans une démarche qui dépasse largement le cadre
de la sécurisation des bus stricto-sensu. Pour le réseau Tice par exemple, on peut évoquer les
grandes lignes de la stratégie mise en œuvre : investissement actif dans les CLSDP des
collectivités desservies, projet de stratégie territoriale de prévention et de sécurité dédiée au
réseau, organisation de manifestations récréatives au cœur des quartiers (tournois de football),
etc. On peut en particulier signaler la publication d’un ouvrage intitulé La 402 au féminin. Portraits
et paroles de femmes de la ligne de bus 402, résultat d’un travail participatif mené avec l’appui
d’un cabinet d’ethnologues, fondé sur l’implication de 59 usagères, dans le but de redorer l’image
de cette ligne à la réputation sensible.
Quitte à déborder du champ de la prévention sociale, il faut aussi mentionner, au titre des actions
dites de solidarité, les dispositifs relatifs à la gestion de l’errance. En ce domaine, la SNCF
conventionne avec les associations spécialisées dans la prise en charge des personnes en
grande exclusion. La RATP dispose d’un service interne rattaché au département de la sécurité,
le recueil social (50 agents), dont la vocation est d’« aider quotidiennement les plus démunis »,
de « leur apporte[r] une première assistance » et de « les accompagne[r] vers des structures
d’accueil s’ils le souhaitent »1. Quant à la police régionale des transports, elle a créé un « pôle
errance » et l’a confié à une brigadière au profil atypique, pour qui il s’agit certes de favoriser la
circulation des SDF en gare, mais « dans une démarche d’humanisation et de réhabilitation des
personnes ».
Prévention situationnelle
En matière de prévention situationnelle2, la question se pose de savoir dans quelle mesure les
acteurs étudiés s’investissent. L’appellation « prévention situationnelle » étant encore assez peu
diffusée dans le champ des transports publics, rares sont ceux qui la revendiquent expressément
– c’est le cas de la SEM Tice qui, au chapitre « prévention/sécurité » d’un document de
présentation de sa politique, y consacre un point spécifique3. Cependant, sans pour autant le
labelliser comme tel, nombreux sont ceux qui donnent dans la prévention situationnelle,
considérant que l’aménagement constitue un levier de la sécurisation des espaces de transport –
c’est notamment le cas lorsque, à propos des nouvelles rames boa du métro ou du Francilien, les
avantages en termes de sécurité sont mis en avant.
Autrement dit, l’aménagement est, de fait, mobilisé à des fins de sécurisation des espaces de
transport, et ce, de diverses manières :
- en réponse à l’obligation réglementaire de réaliser des études de sûreté et de sécurité publique
(ESSP) en amont des projets d’aménagement des gares de première et deuxième catégorie
sises dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants4 ;
- pour résoudre des problèmes de sûreté identifiés et limiter les pratiques « indésirables »
pouvant constituer une gêne pour l’image et pour l’exploitation (errance, regroupement
d’individus, etc.) : condamnations d’accès, mobiliers urbains ne permettant pas de s’allonger ou
de s’asseoir longuement, etc. ;
- pour soutenir des politiques d’animation, au travers de « micros-aménagements »
(végétalisation, puits de lumière naturelle, diffusion d’odeurs ou de musique, etc.) visant à
améliorer l’ambiance et à favoriser l’appropriation positive des espaces.
1
Cf. site officiel de la RATP. URL : http://www.ratp.fr/fr/ratp/r_6393/solidaire-dans-la-ville/print/
2
La prévention situationnelle est communément définie par « des mesures qui visent à supprimer ou à réduire les opportunités
de commettre une infraction en modifiant les circonstances dans lesquelles ces infractions pourraient être commises. Elle
s’attache à rendre plus difficile, plus risquée et moins profitable la commission des infractions par la dissuasion et la protection
des victimes potentielles, que celles-ci soient des personnes ou des biens ». Délégation interministérielle à la ville, Politique de
la ville et prévention de la délinquance, Recueil d’actions locales, Paris, éditions de la DIV, coll. Repères, 2004.
3
Il y est fait mention de la vidéoprotection/géolocalisation, des cabines anti-agression, des aménagements urbains (barriérage,
élagage, éclairage), mais aussi, plus loin dans le document, d’une ESSP sur le site propre.
4
Décret n° 2011-324 du 24 mars 2011 relatif aux études de sécurité publique.
- 24 -
En gare Saint-Lazare par exemple, le développement de l’offre commerciale (plus de 80
boutiques), la présence d’imposantes terrasses, de kiosques et de services, permettent
d’occuper l’espace et d’identifier fortement les usages attendus. L’orientation des magasins, des
distributeurs automatiques de billet et des panneaux d’affichage permettent aussi de diriger et de
canaliser les flux et les cheminements. De tels aménagements participent à la normalisation des
comportements au sein des espaces de transports.
Présentation du site
La gare de Paris St-Lazare est située dans le 8e arrondissement, à proximité immédiate du 9e et
du 17e, au cœur d’un quartier dense et dynamique de la capitale. Avec 450 000 voyageurs par
jour, c’est la deuxième gare ferroviaire d’Europe en flux voyageurs. Le trafic est à 80% Transilien,
ce qui souligne une forte vocation régionale. C’est aussi un nœud intermodal important : 2 lignes
Transilien, 4 lignes de métro, 16 lignes de bus, 12 lignes Noctilien et des correspondances
possibles avec les RER A et E via les gares d’Auber et d’Hausmann Saint-Lazare.
Entreprise il y a une dizaine d’années, la rénovation de la gare de Paris Saint-Lazare s’est
achevée en fin d’année 2012. Elle a permis la création de trois niveaux :
- un niveau N-1 reliant l’enceinte de la gare au métro, dédié aux commerces et services ;
- un niveau N0 ouvert sur la ville, lui aussi dédié aux commerces et aux services ;
- un niveau N+1 comportant une autre zone de commerces et la partie réservée à l’accès aux
trains (quai transversal et voies).
Les trois niveaux communiquent par le biais d’une vingtaine d’escalators installés dans un puits
éclairé de lumière naturelle. Tout est ainsi fait pour fluidifier la circulation des usagers sur les trois
niveaux et favoriser les liaisons train-ville-métro ainsi que l’intermodalité.
Cette opération de rénovation accorde une place considérable aux commerces : plus de 80
boutiques sur une surface de 10 000 m2. Par contraste, le quai transversal parait sous-
dimensionné, il est vite encombré aux heures de pointe. Aucun espace d’attente n’ayant été
prévu, les usagers patientent soit dans la zone commerciale, soit debout sur le quai.
La restructuration de la gare St-Lazare soulève un certain nombre d’enjeux relatifs à l’articulation
entre les différents espaces :
- entre la zone commerciale nouvellement créée et la partie ancienne du bâtiment, la luminosité
et la qualité des espaces contrastent fortement (quai transversal sombre, mauvais état de la
marquise au-dessus des voies etc.) ;
- entre les emprises SNCF et les emprises RATP, les limites territoriales sont insuffisamment
traitées (problèmes de signalétique, de luminosité, etc.).
- 25 -
Les différents espaces de la gare de Paris Saint-Lazare
- 26 -
Présentation du site
La gare de Saint-Denis, construite au 19ème siècle, est l’un des plus gros pôles multimodaux d’Île-
de-France (60 000 voyageurs / jour). Située à moins de 10 minutes de la capitale, elle se trouve
sur le passage de l’ensemble des trains en provenance ou à l’arrivée de la gare du Nord. Elle
dispose d’un réseau dense d’infrastructures de transports en commun : ligne D du RER, ligne H
du Transilien, tramway T1, 8 lignes de bus (donc un Noctilien).
La gare est exiguë, inadaptée aux besoins actuels, et pose des problèmes de gestion de flux aux
acteurs de terrain. Les tunnels qui desservent les voies apparaissent trop étroits et peu
praticables, ce qui génère des conflits d’usage entre flux entrants et flux sortants. Les guichets de
vente de billets et, surtout, l’agence Transilien, créent des files d’attente qui saturent la gare et
perturbent la bonne circulation des flux. Les tensions quotidiennes (incivilités, altercations) sont
souvent liées à cet agencement problématique de l’espace gare. Le manque de lisibilité des
connexions entre la gare et les équipements proches ne facilite pas les liaisons tram-bus-train.
Le site de la gare s’inscrit dans un secteur à caractère industriel, marqué par les infrastructures
naturelles (canal Saint-Denis, Seine) et artificielles (réseaux routiers – dont l’A86 au Sud – et
voies ferrées). Le quartier alentour est réputé sensible et fait partie de la zone de sécurité
prioritaire (ZSP) de Saint-Denis. C’est un quartier complexe, relativement dégradé, qui ne
manque cependant pas d’atouts et connaît d’importantes mutations. Le grand parvis face à la
gare, rénové en 2010, offre un potentiel important mais ne joue pas pleinement son rôle (défaut
de valorisation de l’entrée gare et de structuration des cheminements). Une partie de ce parvis
est actuellement occupée par le poste de police nationale de la BRF et par des commerces peu
qualifiants (restauration rapide, taxiphone).
Si la gare dispose d’une situation géographique intéressante par rapport à la ville et au
département, le territoire n’est que peu structuré pour l’instant et ne développe pas d’identité
propre, les projets le concernant ayant souvent pâti de la volonté locale de ne pas concurrencer
la centralité urbaine existante (quartier centre-ville Basilique). Les infrastructures de transport
accentuent la complexité spatiale et gênent les flux de proximité.
- 27 -
Le quartier de la
a gare de S
Saint-Denis : un site en
n transform
mation
©
© IAU-Île-de-France, CG
G, MES, juillet 2013
1
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nciens dégradés
s.
- 28 -
Services opérationnels compétents en matière de prévention/sécurité
● Du côté des forces de l’ordre :
- UASG de la BRF, implantée sur le parvis de la gare, compétente sur la gare SNCF et ses
abords, la gare routière voisine, les stations et portions de réseau du tramway T1 et de la ligne
13 du métro couvrant Saint-Denis, ainsi que sur le RER D et la ligne H du Transilien entre
gare du Nord et Saint-Denis.
- Commissariat de police nationale de Saint-Denis, compétent sur la circonscription de sécurité
publique ;
- Renforts mobilisés dans le cadre du dispositif de zone de sécurité prioritaire (ZSP),
compétents sur le quartier centre-ville/gare ;
- Police municipale de Saint-Denis, compétente sur la commune.
● Du côté des transporteurs :
- Équipes de sûreté ferroviaire de l’agence d’Ermont-Eaubonne, compétentes sur les gares et
trains Transilien du secteur ;
- Vigiles et maîtres-chiens des sociétés de gardiennage travaillant pour le compte de la SNCF,
compétents sur la gare ;
- Équipes GPSR relevant de l’attachement de Bobigny, compétents sur les réseaux RATP du
secteur (métro, bus et tramway) ;
- Équipes de médiateurs des sociétés privées de transport desservant Saint-Denis,
compétentes sur les lignes de bus concernées (ligne 11 des CIF) ;
* Nota bene : conformément aux directives données par Transilien, les équipes de médiation
Promevil affectées à la ligne D Nord n’interviennent quasiment pas en gare de Saint-Denis,
considérant que le site est déjà bien couvert. Elles se déploient sur les autres gares du Nord
de la ligne qui sont moins « saturées » de présence police/sûreté.
Présentation du site
La gare de Corbeil-Essonnes, desservie par la ligne D du RER, est empruntée quotidiennement
par 12 000 voyageurs. Ouverte sur l’espace public, elle n’est pas« CABée »1, ce qui signifie que
les usagers ne sont pas obligés de passer par le bâtiment voyageurs pour accéder aux quais. Le
périmètre de la gare n’est donc pas strictement borné. En accord avec les partenaires, il est
admis que la délimitation de l’emprise de la gare correspond au tracé d’une verticale, des
marquises des toits du bâtiment voyageurs jusqu’au sol.
Cette perméabilité ne facilite pas les opérations de contrôle des titres de transport, qui obligent à
boucler l’ensemble de la gare et mobilisent donc un grand nombre de personnels. Si la gare n’a
jamais été « CABée », c’est notamment en raison des dimensions du bâtiment voyageurs, du
souterrain et des escaliers desservant les quais, trop étroits pour pouvoir y installer des
dispositifs de contrôle automatiques.
Pour les acteurs de terrain, le souterrain qui permet d’accéder aux différents quais est
problématique. Vétuste et mal éclairé, il contribue au sentiment d’insécurité des usagers et du
personnel en gare. Bien qu’équipé d’un système de vidéosurveillance, il est désigné comme le
lieu le plus « criminogène » du site (notamment pour les vols et les agressions). Très emprunté, il
sert de voie de franchissement et de communication entre les deux parties de la ville et entre les
deux gares routières (Émile Zola et Henri Barbusse).
1
Dans le jargon SNCF, l’acronyme CAB (contrôle automatique banlieue) désigne les dispositifs automatiques de contrôle
d’accès dans les gares transiliennes.
- 29 -
L
La gare de Corbeil-Ess
C sonnes dan s son envirronnement : un site à fforte densitté
©
© IAU-Île-de-France, CG
G, MES, juillet 2013
- 30 -
Service
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● Du côté des forcees de l’ordre :
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● Du côté des transsporteurs :
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- Équippes de méd diateurs des sociétés prrivées de traansport, com
mpétentes ssur les ligness de bus
du seecteur (Tice et STA nota amment).
- 31 -
- 32 -
Le travail de sécurisation à l’épreuve du terrain
Par-delà la présentation institutionnelle du système d’acteurs, quid de la sécurisation des
transports publics franciliens à l’épreuve du terrain ? À l’appui de notre démarche empirique,
cette deuxième partie propose d’étudier l’activité concrète des services, la réalité des pratiques et
l’expérience vécue des agents de première ligne.
- 33 -
cas de non-présentation d’une pièce d’identité. « Il n’y a pas de problème », répond le jeune homme.
Patrice insiste : « vous êtes sûr que vous n’avez aucun papier, même dans votre sac-à-dos ? » À
nouveau, l’individu répond par la négative. […] Face à l’entêtement de son « client », Patrice appelle le
PC sécurité, comme le veut la procédure. Il demande que le commissariat de la Défense soit contacté
et leur envoie des policiers. Son interlocuteur lui répond qu’un équipage devrait arriver sur les lieux
dans une vingtaine de minutes – notons que le commissariat en question se situe à l’étage, juste au-
dessus de nos têtes. L’attente va durer plus de 30 minutes. Pendant ce temps, la conversation va bon
train entre les agents du GPSR et leur « client ». Le ton est plutôt cordial, sans animosité en dépit de la
longue attente.
Finalement, trois policiers arrivent vers 15h30. En aparté, Georges, l’agent de maîtrise qui se tient
légèrement à l’écart de la scène, me dit qu’il aurait quant à lui laissé le contrevenant s’en aller et se
serait contenté d’une déclaration verbale d’identité. Mais, ajoute-t-il, il laisse ses agents libres de
mener leur mission comme ils l’entendent. Les policiers posent les mêmes questions que les agents du
GPSR. Le jeune réitère sa version : il n’a pas de papiers sur lui. Les policiers procèdent alors à une
rapide fouille à corps, puis regardent dans le sac à dos en retournant deux ou trois papiers. Hormis des
prospectus, ils ne trouvent rien d’intéressant. Ils décident donc de noter les coordonnées de l’individu
sur ses simples déclarations. Pendant ce temps, Patrice se rapproche de l’un des trois policiers et lui
demande de mieux regarder les papiers à l’intérieur du sac à dos ; il est persuadé d’y avoir vu une
lettre avec une adresse. Le policier hésite, puis finalement demande au jeune de lui rouvrir sur son
sac. Il le fouille plus attentivement et y trouve une facture de Carglass avec des coordonnées. Celles-ci
correspondent bien à celles données par le contrevenant. « Alors, vous voyez bien que vous aviez des
documents dans votre sac », lui dit le policier. « - Je vous jure que je ne savais pas, j’étais persuadé de
n’avoir que des prospectus avec moi ». C’est parole contre parole.
Sur cette base, Patrice rédige le PV. Puis, ses collègues et lui raccompagnent le jeune homme vers la
sortie. Sur les marches qui mènent vers la dalle de La Défense, il leur annonce à demi-mots les avoir
roulés dans la farine. Une fois à l’extérieur, il sort son permis de conduire de la poche intérieure de son
blouson et la montre en souriant aux trois agents. Ces derniers repartent presque amusés et,
manifestement, ne lui en veulent pas de leur avoir fait perdre autant de temps. D’une certaine manière,
ils semblent contents d’avoir rencontré ce type de client : « Ce n’est pas le premier à nous faire le
coup, au moins on a une vraie discussion avec ces gens-là ». « Il est très fort, il a un vrai sens de la
tchatche », dit Patrice avant d’ajouter : « Même si à plusieurs reprises, j’ai senti qu’il cherchait à fuir. Si
on ne l’avait pas encerclé par notre position, et si on n’était pas imposant par notre carrure, je suis sûr
qu’il aurait tenté de prendre la fuite. Et, nous n’aurions rien pu faire. »
- 34 -
Séquence d’observation avec un équipage de l’UASG de Saint-Denis
Présence et rappel des règles d’usages
13h15 : la patrouille sort du poste. Paul, Stéphane et Maïté décident de faire un tour en gare. Dans le
hall, ils saluent de la main les agents SNCF. Sur les quais, ils sécurisent ensuite la descente de trois
trains successivement. R.A.S. Puis ils ressortent de la gare par les CAB situés à l’extérieur, juste à
côté du stand de fruits et légumes où ils vont serrer la main au vendeur.
Devant ces CAB, les agents assurent une statique d’une petite dizaine de minutes. Flux de voyageurs
sortants.
- Un couple d’adultes avec un jeune enfant ne parvient pas à sortir. Les agents vérifient leur titre de
transport : ils sont hors zone. Un monsieur âgé, probablement le grand-père, vient à leur rencontre et
récupère l’enfant par-dessus le CAB. Mais l’homme et la femme sont toujours bloqués et ne savent
que faire. Paul les invite à passer par le hall de la gare par l’accès PMR qui reste perpétuellement
ouvert…
- Une jeune fille passe le CAB derrière un autre voyageur ; elle n’a pas de titre de transport, les
policiers la rappellent à la règle.
- Une autre femme sans titre de transport tente de se justifier : « je sors de l’hôpital, j’ai la gastro,
j’ai très mal au ventre, j’étais pressée de rentrer, c’est pour ça… » À retenir parmi les « perles » des
excuses de mauvaise foi. « La gastro, on me l’avait encore jamais faite, celle-là ! », commente
Stéphane.
- À nouveau, une personne hors zone, coincée derrière les CAB car son ticket n’est valable que
pour les zones 1 et 2. Paul l’oriente vers le passage PMR ouvert en gare.
- À quelques secondes d’intervalle, deux voyageurs (une femme au style « bourgeois » et un vieil
homme) franchissent les CAB en passant derrière d’autres voyageurs. Ils ont pourtant chacun un Pass
Navigo, mais « ça ne passe pas » (démagnétisation ?), constatent-ils respectivement. Les policiers ne
cherchent pas à en savoir plus.
- Une jeune fille passe derrière une autre femme. A-t-elle un titre de transport ? Elle fait mine de
fouiller dans son sac mais ne trouve aucun ticket. Les policiers lui demandent ses papiers, elle
présente une carte d’identité étrangère. Ils appellent le poste pour passer son nom au fichier, R.A.S,
puis la sermonnent un peu. « Vous devez être en possession d’un titre de transport valable. Après, si
vous ne voulez pas payer, c’est votre choix… »
Autre point statique derrière les CAB dans le hall de gare. Flux entrants et sortants. En dépit de la
présence policière, de nombreux voyageurs passent par l’accès PMR ouvert, question d’habitude. Les
policiers rappellent aux voyageurs que ce passage n’est pas autorisé et qu’il leur faut valider leur titre
de transport pour entrer ou sortir. Nous restons là à peine plus de cinq minutes et au total, une bonne
quinzaine de personnes sont ainsi rappelées aux règles d’usages. Rien n’y fait, les voyageurs
continuent d’emprunter l’accès PMR.
- 35 -
Séquence d’observation avec des médiateurs Promevil
Une statique en gare de bras de Fer
- 36 -
1.2.1. Des missions à géométrie variable
Premier élément de relativisation : pour un même métier, on observe une pluralité de pratiques.
Sur le terrain, les agents disposent en effet d’une certaine liberté d’action, d’une marge
d’interprétation différentielle de leur rôle. Par-delà les fiches de poste et les directives
hiérarchiques, ils s’approprient diversement leurs missions selon les contextes, les dynamiques
de groupe et les profils individuels.
À l’évidence, les pratiques sont conditionnées par le milieu d’intervention. Prenons l’exemple des
policiers de la BRF affectés au département de la police des gares : ceux de l’UASG de Paris-
Saint-Lazare et ceux de l’UASG de Saint-Denis évoluent dans des environnements très
contrastés (Paris vs banlieue, mixité des populations vs ségrégation socio-urbaine, etc.). Ils ne
sont confrontés ni aux mêmes publics, ni aux mêmes problèmes et, de fait, travaillent
différemment. Compte tenu de l’envergure du site et de la densité des flux, les premiers se
concentrent sur la gare Saint-Lazare : ils sont pour ainsi dire « sédentarisés » et incarnent bel et
bien la police de la gare. Les seconds sont à la fois plus mobiles et plus ancrés dans la ville. Leur
périmètre d’intervention déborde largement la gare de Saint-Denis et s’étend à l’ensemble des
espaces de transport de la commune. Leur logique d’implantation fait plus penser à celle d’un
poste de quartier qu’à celle d’une vigie-gare.
Au niveau des collectifs de travail, les pratiques sont également impactées par les logiques
internes, les effets de management et les effets de groupe. Reprenons l’exemple de l’UASG de
Saint-Denis : comme le résume un policier, « ici, il y a trois brigades et trois manières de
travailler ». L’une d’elle se démarque en particulier. Les agents qui la composent se définissent
eux-mêmes comme des « chasseurs ». Ils investissent le terrain bien au-delà de la gare et des
stations de métro, à la manière d’une brigade anti-criminalité, dans une course aux « flags » et
aux belles affaires qui les conduit à se concentrer sur la voie publique : « pour nous, le transport
n’est qu’un prétexte », explique l’un d’eux.
Au niveau individuel, les pratiques varient aussi selon les intérêts et les sensibilités de chacun.
Par-delà l’environnement de travail, les styles professionnels sont fonction des motivations
personnelles, de l’image que chacun se fait de son métier. Un exemple parmi d’autres pour
l’illustrer : le commentaire d’un encadrant du GPSR à propos de deux agents avec lesquels il fait
équipe ce jour-là, alors qu’ils verbalisent un musicien non autorisé à jouer dans le métro : « C’est
une équipe qui aime bien gratter. C’est leur choix, je ne le conteste pas. Mais moi, je suis plus
porté sur la prévention, je ne vois pas l’intérêt de mettre des PV pour ça… »
- 37 -
médiation, tandis que les médiateurs sont amenés à faire de la lutte anti-fraude, voire à « faire la
police » dans les espaces de transport… Que les choses soient claires, ces recoupements n’ont
rien de dysfonctionnel. Au contraire, ils montrent que les uns et les autres parviennent à ne pas
se crisper sur leur référentiel propre, qu’ils sont en mesure d’élargir leur répertoire et de l’ajuster
aux situations. Il faut y voir non pas d’infructueux doublons, mais un signe positif d’adaptation, du
moins tant que chacun reste dans les limites de ses prérogatives.
Ceci étant, il peut aussi y avoir des frottements problématiques, des glissements d’un registre à
l’autre par-delà les missions légitimes, le mandat légal ou le référentiel-métier.
● Premier cas de figure significatif : quand les agents de la Suge ou du GPSR basculent de fait
sur le registre du maintien de l’ordre. Certes, ils n’ont pas compétence en la matière, la position
de leur direction respective est tout aussi claire que les textes juridiques. Il n’en reste pas moins
qu’ils sont exposés en première ligne sur le terrain et peuvent se trouver confrontés à des
situations qui débordent leur cadre initial d’intervention. En l’absence d’équipages policiers
immédiatement disponibles, dans l’attente d’éventuels renforts, ils doivent, d’une manière ou
d’une autre, faire face aux problèmes qui se posent à eux, ce qui les conduit parfois à se
repositionner sur un axe plus répressif, voire à recourir à la force, quand bien même les directives
hiérarchiques n’ont rien de sécuritaire.
« On se ment un peu dans le sens où… effectivement, vous l’avez entendu, vous l’entendrez encore :
la Suge, c’est un métier de prévention. Il faut faire de la prévention et de la dissuasion, c’est ce qu’on
nous demande. Et on le dit toujours, le maintien de l’ordre n’est pas de notre compétence. Très bien,
c’est vrai, c’est une réalité… enfin non, c’est pas la réalité, c’est la théorie, on va dire. Sauf que quand
vous vous retrouvez dans une gare comme Grigny, Evry, au milieu d’une rixe entre bandes, c’est du
maintien de l’ordre, qu’on le veuille ou non. […]
Il y a des paradoxes. On nous demande de ne pas faire de maintien de l’ordre, mais on va nous former
aux phénomènes de bandes. Or le phénomène de bandes, c’est du maintien de l’ordre, qu’on le veuille
ou non. Alors tant mieux qu’on soit formé, c’est une très bonne chose. Mais à ce moment-là, je pense
qu’il faudrait être un peu plus honnête dans la démarche et reconnaître qu’effectivement, on sera
amené à faire du maintien de l’ordre. » (Agent, sûreté ferroviaire)
● Deuxième cas de figure tout aussi éclairant : quand les médiateurs basculent pleinement, et
ostensiblement, sur le registre de la lutte anti-fraude. On peut certes attendre d’eux qu’ils veillent
au respect de la réglementation, l’expliquent et incitent à l’achat/la validation des titres de
transports. Pour autant, la lutte anti-fraude ne saurait être la finalité première de leur action, sauf
à rompre avec la définition-même de la médiation sociale1 et à saper les fondements d’un
dispositif initialement voué au renforcement de la présence humaine, à la restauration du lien
social et à l’apaisement des tensions. Or, de ce point de vue, la politique de certains
transporteurs pose question, encourageant une certaine confusion des genres entre les
médiateurs et les contrôleurs. Le réseau Tice, notamment, met en place des opérations
communes de lutte anti-fraude, dans l’objectif d’asseoir l’autorité des médiateurs (mais est-ce là
la base de leur intervention ?), ce qui peut déstabiliser leur positionnement professionnel et
semer le trouble dans les esprits des usagers.
« Au quotidien, on tente de faire travailler ensemble les médiateurs et les contrôleurs. C’est un
nouveau concept. Ça a démarré en début d’année, mais on a un peu de mal. Il y a eu des
interruptions, et là, on repart sur cette méthodologie. Alors, c’est de faire en sorte que les médiateurs
et les contrôleurs travaillent ensemble à un moment donné pour apporter de la crédibilité aux agents
de médiation surtout. […] Au bout d’un moment, il y a de l’usure chez les médiateurs. Ils ont
l’impression que les clients se moquent un peu d’eux, et d’ailleurs, il y en a qui le disent clairement
‘ouais, t’es qu’un médiateur, tu me laisses monter !’. Il y a donc une frustration du médiateur. Pour la
réduire, on a eu l’idée de les faire travailler avec les contrôleurs. […]
Il y a deux formes de méthodologie pour ce travail en collaboration. Il y a à l’arrêt. Mais les médiateurs
ne sont pas très chauds à l’arrêt parce qu’il y a un risque d’amalgame entre contrôle et médiation. On
serait en contradiction avec ce que l’on a fait l’an dernier : pour éviter tout amalgame, on a fait fort, on
a mis du rouge pour qu’ils soient bien visibles en tant que médiateurs. En plus, la plupart des contrôles
à l’arrêt sont faits avec la police. Du coup, les médiateurs sont encore plus frileux parce qu’ils veulent
encore garder le côté neutre de la médiation par rapport à tout ce qui est dissuasion ou répression.
1
« La médiation sociale est un processus de création et de réparation du lien social et de règlement des conflits de la vie
quotidienne, dans lequel un tiers impartial et indépendant tente, à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les
institutions, de les aider à améliorer une relation ou de régler un conflit qui les oppose. » Définition adoptée en septembre 2000
par la Délégation interministérielle à la ville et la Communauté européenne.
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C’est culturel si j’ose dire. […] Donc quand il s’agit de travailler avec la police, ils ne sont pas très
chauds.
L’embarqué, c’est autre chose. Le médiateur va faire son travail comme d’habitude avec le message
qu’il fait passer aux clients, en sachant que les médiateurs savent que les contrôleurs sont à tel arrêt
mais ils ne disent rien aux clients. Le médiateur, il aura fait son travail d’incitation à l’achat en insistant
bien sur le risque de PV. Arrivé à l’arrêt, le contrôleur ne monte dans le bus qu’à une condition, que le
médiateur lui dise de monter. Si le bus est ‘propre’ entre guillemets, ça ne sert à rien que le contrôleur
monte. S’il y a deux ou trois personnes qui n’ont pas payé, le médiateur fera signe au contrôleur de
monter. Le contrôleur n’ira pas directement vers la personne concernée mais ira contrôler l’ensemble
du bus, et ces fameuses personnes seront verbalisées. Et l’impact du médiateur sera d’autant plus fort.
Le client se dira, ‘le médiateur m’a prévenu, il avait raison’. Ça fait son effet.
Est-ce que ça ne risque pas de saper un peu la légitimité que les médiateurs auraient pu acquérir
auprès des publics récalcitrants à l’autorité ?
Certains médiateurs estiment en effet que, dans les missions partagées, ce n’est pas terrible parce
que ça met en question notre image… » (Responsable pôle médiation, Tice)
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conjoncturelle » transmise par la hiérarchie. Cette veille est d’autant plus limitée que les
opérateurs ont, bien souvent, d’autres missions à accomplir.
Prenons l’exemple des cinq centres de gestion des appels de Transilien. Les opérateurs, qui
fonctionnent en binôme, n’ont pas moins de 1 000 caméras à surveiller. Ils doivent également
venir en appui aux interventions (par exemple, sur une opération de contrôle associant des
agents de la Suge et des contrôleurs) et participer à « la manifestation de la vérité » en
cherchant, lorsqu’un délit a été commis dans une gare ou à bord d’un train, les séquences
enregistrées susceptibles d’intéresser les services policiers. Ils doivent aussi gérer les appels du
réseau de téléassistance et traiter les appels au numéro d’urgence Transilien 31.17. Au regard
de la pluralité de ces tâches et des usages multiples de la vidéosurveillance, on comprend que le
travail de veille préventive par des rondes électroniques ne puisse qu’être limité. S’il y a bien de
l’information image systématiquement enregistrée, la surveillance en direct des espaces est en
revanche très discontinue.
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- pour des « levées de doute » face aux évènements portés à la connaissance des opérateurs
(notamment en cas d’accident de voyageur, pour disposer rapidement des informations
permettant de relancer le trafic dans les plus brefs délais) ;
- pour calibrer les forces à déployer en fonction du type et de la gravité des problèmes. Les
unités de commandement y voient un gain certain d’efficacité, un moyen de rationaliser et
d’optimiser l’emploi des effectifs. La visualisation de la situation à distance permet
notamment d’éviter l’envoi systématique d’équipages sur le terrain suite à divers
signalements, alors même qu’il ne se passe parfois rien.
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la vidéosurveillance n’est certes « pas une condition suffisante » pour permettre à ses services
d’obtenir de bons résultats, mais c’est « une condition nécessaire ». Sans conteste, c’est ce qui
explique les très bons résultats de la police régionale des transports en termes d’élucidation.
« Non seulement les images sont utiles, mais c’est le point de départ. Alors, moi, j’insiste sur une
chose : c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Condition nécessaire, c’est-à-dire que sans
la vidéo, on est aussi pauvres que nos collègues de surface […]. Nous, on a un taux d’élucidation
global sur l’année dernière, sur l’ensemble des infractions spécifiques réseaux, qui est de 48%. C’est-
à-dire qu’on élucide quasiment une affaire sur deux. […] Qu’est-ce qui fait la différence entre nous et le
taux d’élucidation en surface : c’est la vidéoprotection. […] C’est uniquement ça, parce qu’on a un
maillage vidéo… […] Dans 85% des cas, on va avoir de la matière ‘image’ de départ. À partir de
laquelle on peut fonder un travail d’investigation. […] Mais je le redis, ce n’est pas ça qui suffit. Il y a de
l’investigation derrière. On en revient à la méthodologie […] : on travaille sur l’image, et après, on fait
de l’investigation classique, de l’enquête de voisinage, des choses comme ça. […] Tout ça pour dire
qu’il n’y a pas ces résultats-là s’il n’y a pas la vidéo. » (Responsable du DIJ, BRF)
D’autres acteurs, qui ne disposent pourtant pas de pouvoirs de police judiciaire, participent
également à ce travail d’identification des auteurs grâce à la vidéosurveillance :
- les agents GPSR du centre de traitement des informations vidéo (CTIV) implanté au PC
sécurité de la RATP ;
- les agents Suge des cellules d’exploitation vidéo attenantes aux cinq CGA transiliens.
Ces opérateurs assurent une relecture des images initiée soit sur la base de la réquisition d’un
OPJ, soit sur la base du signalement d’un fait via les fiches-incidents de leur service respectif. Ils
gravent ensuite les séquences d’images pertinentes par rapport à l’affaire concernée et les
transmettent aux services de police. Plus en amont encore, les opérateurs des CGA sont
habilités à consulter les enregistrements afin de préparer le travail des agents des cellules
d’expoitation de la Suge, en réponse aux réquisitions des services policiers.
Dans le système de production de la sécurité dans les transports, la reconnaissance du rôle de
ces agents en matière de relecture des images révèle l’institutionnalisation d’une nouvelle
division du travail relatif à « la manifestation de la vérité ». Les services de sécurité de la RATP et
de la SNCF sont désormais partie intégrante de la chaîne pénale. Par leur travail d’analyse, de tri
et de sélection d’images en vue ou dans le cadre d’une procédure judiciaire, ils assurent en effet
un quasi-travail d’enquête au service des forces de police qui, aujourd’hui, pourraient difficilement
s’en passer. À titre indicatif, en 2010 :
- 5 269 séquences d’enregistrements vidéo ont été exploitées par les CGA Transilien,
- 2 550 en réponse à une réquisition judiciaire,
- dont 1 665 (soit 65%) ont été « utiles »1.
Deux raisons sont principalement avancées pour expliquer l’efficacité de la vidéosurveillance sur
ce plan, tout particulièrement pour les réseaux ferrés du cœur d’agglomération :
- le maillage très serré en caméras,
- et, concernant la RATP, la fixité des caméras (qui ne peuvent être orientées et avec lesquelles
on ne peut zoomer). Il s’agirait d’un avantage dans la mesure où, vu la densité du maillage,
peu de zones échappent à cette couverture permanente. Il n’y a donc pas de visualisation
discontinue (ce qui ne veut pas dire qu’il y ait une surveillance continue).
Toutefois, l’efficacité des images de vidéosurveillance en matière d’élucidation judiciaire est
limitée par des contraintes techniques :
- les capacités de stockage des serveurs (limitées à 72h au PCNS, ce qui signifie que les
relectures d’images ne peuvent se faire que dans ce délai des 72 h suivant la commission des
faits, sauf à avoir été gravées auparavant sur un support non altérable) ;
- la difficulté de repérer les individus dans la foule ;
- le flou de certaines images (par exemple, celles des jeunes auteurs d’un vol à l’arraché à
hauteur d’un tripode, dont il est impossible de distinguer les visages compte tenu de leur vitesse
de déplacement et de leur posture courbée) ;
- les défaillances techniques des caméras (pannes, mauvais réglages, etc. : 5% du parc est
chaque jour en maintenance).
1
Source : SNCF, « Transilien : vidéosurveillance et assistance vidéo », document support transmis pour l’audition au conseil
régional d’Île-de-France par le comité de suivi et d’évaluation de la politique de prévention et de sécurité dans les transports en
commun, 22/06/2012.
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2. Des métiers sous tension
Par-delà l’analyse des pratiques, ce second point porte plus largement sur l’expérience vécue du
travail, les motifs de satisfaction/d’insatisfaction des agents, les difficultés qu’ils rencontrent
concrètement et la manière dont ils y font face. Sur ce plan, force est de souligner les tensions
qui traversent les métiers de part en part, interrogeant à la fois leur rapport à l’environnement et
leur rapport à l’institution.
Parallèlement, l’analyse des discours permet de mettre au jour les processus de catégorisation
des publics-cibles, les systèmes d’étiquetage des « clientèles » jugées potentiellement
problématiques, celles qui risqueraient d’attenter à la tranquillité ou dont les comportements
(réels ou supposés), voire la seule présence, ne correspondent pas aux usages attendus dans
les espaces de transport. Ainsi ressortent quelques figures-types sur lesquelles pèse une
présomption sinon de dangerosité, du moins d’indésirabilité : les « Hamido »1, les « Roms »2, les
« wesh-wesh »3, les « toxicos », les « alcoolos » et autres « clodos », sans oublier les usagers
« stressés », « énervés », qui, pour nombre d’agents, restent « les plus difficiles à gérer ». On
peut, très légitimement, s’interroger sur les effets discriminants de telles terminologies
classificatoires. Mais force est de constater qu’elles sont mobilisées en situation.
1
Pour « Hamidovitch » : cf. supra (p. 40).
2
Terme générique (improprement) employé par la plupart des acteurs de terrain pour désigner l’ensemble des populations
tziganes originaires des pays d’Europe de l’Est, sédentarisées ou non.
3
Terme argotique communément utilisé dans les banlieues pour désigner les jeunes des cités (syn. : « ziva »).
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2.1.2. L’épreuve des relations avec le public
Dans cet environnement sensible, les rapports avec le public sont souvent sous tension, pour des
raisons qui ne tiennent pas seulement aux problématiques socio-urbaines des territoires
desservis, mais aussi, et directement, aux conditions de transport, à la densité des réseaux
franciliens, à l’affluence de voyageurs et aux perturbations du trafic. Aussi les acteurs de terrain
témoignent-ils d’une expérience éprouvante des relations avec la population. Certes, la plupart
des interactions se déroulent sans encombre. Pour reprendre les mots d’un agent du GPSR,
« 90% des fois, ça se passe bien. Heureusement ! Comme on dit chez nous, ce n’est pas la
guerre tout le temps ». Cela étant, les altercations sont fréquentes. Quels que soient les métiers
considérés, il s’agit de métiers au contact du public. C’est ce qui en fait à la fois toute la richesse
et la difficulté. Ainsi que le déclare cette policière, « tous les métiers qui ont un contact direct
avec le public sont des métiers durs ».
En première ligne sur le terrain, les agents sont constamment exposés aux situations
conflictuelles, en proie aux regards défiants, aux réactions sociales hostiles voire violentes. Tous
ne supportent pas pareillement cette commune condition, ils la vivent plus ou moins bien selon
leur propre rapport à l’environnement, leur manière d’investir et de gérer les relations. Mais
nombreux sont ceux qui font part d’un certain malaise, d’une forme d’usure professionnelle. En
dépit des formations et des dispositifs de soutien psychologique, ils expriment le sentiment de
n’être pas forcément bien armés, ni même pleinement soutenus par leur hiérarchie, pour faire
face à cette réalité-là.
Si ces questions concernent l’ensemble des acteurs de la prévention/sécurité dans les transports,
elles ne soulèvent cependant pas les mêmes enjeux pour tous les métiers, selon les types de
positionnement professionnel et selon la perception que les usagers en ont. Quitte à forcer le
trait, on peut distinguer trois cas de figure.
▪ Concernant la police, les enjeux de légitimité vis-à-vis du public se posent en termes de qualité
des relations. Ils interrogent la capacité à nouer sereinement le contact, à créer des liens de
confiance avec la population dans toutes ses composantes, notamment avec les jeunes avec qui
les rapports sont souvent très rugueux. Pour le dire simplement, les policiers ne bénéficient pas
d’un grand capital sympathie et se sentent souvent mal aimés. Ceci étant, généralement, ils
veulent d’abord être craints, non pas être appréciés : c’est l’un des fondements mêmes de leur
culture professionnelle. Sur la défensive, ils cherchent alors à se protéger d’un environnement
perçu comme menaçant.
« T’es fliquart, t’es flic, t’es du bleu. Y’a un excès de haine, hein ! […] Vous ne vous êtes jamais
demandé pourquoi les flics vous vendaient jamais de calendrier à la fin de l’année ? Pourquoi les
pompiers, ouais, les éboueurs, ouais, les gens des égouts, ouais ? Et nous, on ne le fait pas, parce
que les gens nous crachent à la gueule. […] Faut voir comme on nous parle, faut voir comme on nous
parle ! […] Ici, quand je sors, je me fais pourrir ! » (Brigadier, UASG de Saint-Denis, BRF)
Classiquement, la police se vit effectivement comme un groupe social clos : elle se tient à
distance du public et c’est dans l’isolement, face au sentiment de danger extérieur, qu’elle
renforce son unité. Mais à mesure qu’elle se replie sur elle-même, elle s’ostracise toujours plus et
creuse le fossé qui l’éloigne de la population.
▪ Concernant les services de médiation, les enjeux de légitimité vis-à-vis du public se posent en
termes de crédibilité. Ils interrogent la capacité des médiateurs à incarner une forme alternative
d’autorité, à se faire respecter alors même qu’ils n’ont pas de pouvoir de sanction et que leur
posture professionnelle leur interdit de jouer sur le registre de la répression. Centrée sur le
dialogue, leur approche est favorable à la relation et, globalement, les usagers se montrent
ouverts à leur endroit, réceptifs à leurs messages. Néanmoins, les médiateurs sont régulièrement
malmenés sur le terrain, discrédités sur le thème « vous ne servez à rien ! » ou confondus avec
les contrôleurs, ce qui les expose à des attitudes agressives et les obligent à continûment justifier
leur cadre d’intervention. Face à la « petite minorité récalcitrante », ils estiment qu’il vaut mieux
rapidement lâcher prise : « nous, notre seule arme, c’est la parole. […] Quand on a un mur en
face de soi, ça ne sert à rien de se casser le nez ». Ils doivent apprendre à « se blinder », à
passer outre les insultes et les comportements dénigrants.
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« Notre sécurité pose un peu problème. C’est la peur d’être agressé. Il y a des gens récalcitrants. […]
Quand une personne a décidé de vous insulter, elle le fait. À chaque fois, on tente d’anticiper. On sait
lâcher prise et quand prendre les bonnes distances. […] Les agressions verbales sont quand même
fréquentes. On a au minimum une insulte par jour. […] On n’entend plus, nous, à force. On sait que ça
fait partie de notre quotidien. » (Médiatrice, STA)
Si certains parviennent sans mal à prendre le recul nécessaire, cela n’a toutefois rien d’évident.
C’est pourquoi les responsables des dispositifs de médiation sociale s’efforcent d’ouvrir de
nouvelles perspectives professionnelles aux agents au bout de quelques années passées sur le
terrain, considérant que le métier est trop épuisant psychologiquement pour pouvoir être exercé
sur le long terme.
▪ Les services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP présentent un cas de figure mixte.
Comme les policiers, les agents de la Suge et du GPSR représentent l’ordre et pâtissent de
l’impopularité de la répression. Ils cristallisent un même sentiment d’hostilité à l’égard de
l’uniforme en général et partagent une même vision désabusée des rapports avec le public. Leur
identité professionnelle renvoie d’ailleurs plus à la culture policière ou gendarmique qu’à la
culture cheminote. Leur sentiment d’appartenance au monde de la sécurité prime sur leur
sentiment d’appartenance au monde des transports. Pour autant, ce ne sont pas des policiers, et
les usagers informés ne manquent pas de leur signifier. Comme les médiateurs (même si la
comparaison a ses limites), les agents de la Suge et du GPSR sont mis en porte-à-faux sur le
terrain, contestés sur le thème « vous n’êtes pas la vraie police ». Ils doivent convaincre de la
légitimité de leur autorité, quitte à jouer sur les ambiguïtés de leur image auprès de ceux qui ne
feraient pas clairement la différence entre leurs équipes et les services policiers.
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expressions caractéristiques et récurrentes, entendues non seulement chez les policiers, les
agents de la Suge et du GPSR, mais aussi chez les médiateurs et même chez les agents
commerciaux rencontrés en gare de Saint-Denis. Ce champ lexical à connotation guerrière,
commun à l’ensemble des métiers, est significatif de cette vocation partagée de régulation et,
conséquemment, de la relation d’opposition avec une partie du public.
Ceci étant, tous les acteurs ne se placent évidemment pas au même niveau dans la chaîne de
sécurisation des transports publics. Sur l’axe lien social/contrôle, le curseur se déplace en
fonction des services. Dans tous les cas, il reste toutefois relativement flottant. Autrement dit, les
positionnements sont ambivalents. Ils renvoient à la question des identités professionnelles, aux
enjeux de reconnaissance vis-à-vis du public et des autres métiers.
Comparativement aux autres, la police se situe d’emblée du côté du contrôle. Il ne faudrait pas
pour autant négliger la fonction d’humanisation qu’elle remplit potentiellement. À travers les
unités d’accueil et de sécurisation des gares notamment, on peut supposer que la police
régionale des transports répond à ce souci d’occupation sociale des espaces de transport et de
rapprochement police/population : ce sont des implantations territorialisées à l’échelle des gares,
qui misent en principe sur la visibilité et la disponibilité vis-à-vis du public. En particulier, l’unité de
Saint-Denis, localisée au cœur du quartier de la gare, est centrée sur un travail de surface dans
l’environnement immédiat et peut faire penser à une forme renouvelée de police de proximité.
C’est en tout cas le point de vue que défend l’adjointe au chef de poste.
« La police de proximité, maintenant ils disent qu’il n’y en a plus, mais ça existe toujours, en fait. […]
Ici, caractéristique par rapport aux autres gares, c’est qu’on fait davantage un travail d’îlotage. Parce
que nous, contrairement aux autres, on fait un travail en surface. […] Le terme îlotage, c’est ça, c’est
être en surface, en patrouille pédestre, et être accessible à la population. Faire un travail de fond,
nouer plus de contacts réguliers, avec les gardiens d’immeubles, les partenaires, les mairies, voilà,
c’est un travail de fond. » (Brigadier, UASG de Saint-Denis, BRF)
Entre les discours et les pratiques, il y a cependant lieu de s’interroger sur la nature des liens
réellement établis avec les populations locales. À Saint-Denis, nos séquences d’observation ont
montré que les échanges restent de fait assez limités et que les interactions sont souvent
distantes, voire conflictuelles.
La Suge et le GPSR occupent une position intermédiaire dans le système de sécurisation des
transports franciliens. Ils sont mandatés tout autant pour humaniser que pour contrôler. Mais ces
deux orientations sont parfois difficilement conciliables en pratique. Aussi les agents témoignent-
ils des tensions entre les objectifs de visibilité et de service aux clients (priorités politiques
affichées) et les objectifs de lutte contre la délinquance (travail valorisé), entre les missions à
caractère « commercial » (information, assistance, lutte anti-fraude) et les missions à dimension
« para-policière » (interventions, interpellations). Au cœur de l’activité quotidienne, ces tensions
transparaissent au travers de scènes ordinaires observées lors des patrouilles, par exemple au
moment de disperser des jeunes un peu trop véhéments, lorsque les équipages, en pleine
intervention, concentrés sur la situation pour éviter tout débordement, sont apostrophés par un
voyageur un peu perdu qui leur demande les horaires du prochain train ou le chemin vers les
toilettes de la gare…
Quant aux médiateurs, ils se situent franchement du côté du lien social, c’est au fondement
même de leur métier. Mais, par-delà le strict cadre de leur référentiel professionnel, on doit
admettre qu’ils sont plus largement employés, pour ne pas dire « instrumentalisés », à des fins
de sécurisation et de lutte anti-fraude, ce qui brouille leur positionnement et leur image.
« Le truc que je n’aime pas, je vais être sincère, c’est que… pour moi, un médiateur ne doit pas… […]
je ne dois pas faire de répression. Je ne dois pas dire aux gens d’aller acheter leurs tickets, c’est pas
mon travail. Normalement, ce n’est pas mon taf, et on a beaucoup de problèmes à cause de ça, parce
que les gens nous insultent, nous gueulent dessus, nous prennent la tête… » (Médiateur, Promevil)
Face à ces dévoiements, les médiateurs de l’association Promevil ont, disent-ils, l’avantage de
relever d’une structure indépendante : s’ils interviennent pour le compte de la SNCF, ils n’en font
pas partie intégrante et sont, de ce fait, mieux à même de faire valoir la spécificité de leur
approche. Par contraste, leurs homologues des réseaux Optile, directement salariés par les
entreprises de transport, ont plus de mal à tenir leur rôle de tiers neutre et impartial. Sur le réseau
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Tice, la politique de rapprochement entre les équipes de médiateurs et de contrôleurs (cf. supra)
illustre ces malaises de positionnement.
Sans pousser jusqu’à ce cas paroxystique, il faut bien voir que les dispositifs de médiation sont,
dans leur ensemble, concernés par ces questions, y compris Promevil qui ne pourrait se
permettre de perdre le marché Transilien et doit donc composer avec les attentes de la SNCF.
Pour tous, l’enjeu est de parvenir à concilier les principes de base du métier et les exigences
imposées par le Stif aux transporteurs en matière de lutte anti-fraude, sans pour autant céder à la
confusion des genres entre contrôle et médiation.
2.2. Entre les cadres imposés par le haut et l’expérience vécue à la base
Ainsi que le montrent les exemples précédents, les difficultés rencontrées par les acteurs de la
sécurisation des transports ne se résument pas seulement aux problématiques sociales du milieu
d’intervention et des relations avec le public. Elles renvoient aussi aux problématiques
institutionnelles des politiques mises en œuvre, des organisations de travail et des moyens mis à
disposition. Les écarts saillent entre les cadres imposés par le haut et l’expérience vécue à la
base, entre ce que le travail est censé être formellement parlant et ce qu’il est réellement pour les
acteurs de terrain, compte tenu de leurs conditions concrètes d’exercice et de leurs propres
modes d’engagement professionnel.
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ferroviaire’ placardé dans le dos : nous sommes des agents de sécurité. Donc forcément, la défiance
est d’autant plus importante, parce qu’à leurs yeux, nous n’avons pas les mêmes prérogatives, nous
sommes entre guillemets des ‘policiers au rabais’. […]
Je vous donne un exemple sur la politique générale de la SNCF et l’incompréhension de nos agents :
c’est notre écusson. Notre écusson actuel est apparu il y a trois ou quatre ans, et les agents ont été
choqués d’une chose : le drapeau bleu blanc rouge a été interdit. On travaille pour la SNCF, société
nationale des chemins de fer français ! Et ça, c’est quelque chose de très politique, qui a fortement
choqué nos agents. […] C’est un détail, mais ces détails ont vraiment leur importance. C’est significatif
de l’approche générale, d’un contexte, d’une politique. Et cette politique-là crée de l’incertitude, crée
des doutes. C’est pas bon. Les agents sont déjà confrontés à beaucoup de difficultés dans leur
quotidien, on crée des doutes supplémentaires, on pourrait s’en passer. » (Agent, Suge)
La distance critique que les acteurs de terrain manifestent vis-à-vis de leur institution renvoie plus
largement au mouvement de managérialisation des services, au poids des exigences accrues en
termes de justification de l’activité, de reporting et de démonstrations chiffrées des résultats. Ils
se plaignent de ces nouvelles contraintes que leur direction leur impose, souvent sous la
pression d’autorités extérieures, en l’espèce du Stif concernant les transporteurs. Ils dénoncent
les travers d’une approche comptable en profond décalage avec leur vision opérationnelle, d’une
logique centrée sur les moyens qui perdrait de vue les finalités de l’action.
Pour l’illustrer, on peut à nouveau citer le cas de la Suge et les retours négatifs recueillis à propos
des normes gestionnaires (conventions de performance, revues mensuelles, etc.) qui prévalent
désormais dans la relation avec les différents domaines et activités (dont Transilien) de la SNCF.
Le système de contractualisation en vigueur confère aux autres services de l’entreprise un statut
de « clients », en position de faire valoir leurs propres vues sur l’emploi des équipes de sûreté
ferroviaire. Aussi peut-il être vécu par les agents comme une forme de négation de l’expertise et
du travail de la Suge.
« Je suis le premier à dire que la contractualisation a eu des effets positifs, en termes de maîtrise
économique, d’optimisation des effectifs, des ressources, tout ce que vous voulez. Mais il y a aussi des
conséquences en matière de sûreté qui ne sont pas très bonnes. De mon point de vue. […]
Alors, la contractualisation était bonne tant qu’on en restait à des experts sûreté et qu’on apportait
justement cette expertise. Aujourd’hui, dans l’esprit de certains [de nos clients SNCF], on est devenus
des prestataires de services, et nous nous devons de répondre à nos clients qui, eux, nous accordent
un volume d’heures… mais au détriment de la sûreté. C’est-à-dire qu’on en arrive à accepter certaines
demandes, mais qui vont parfois à l’inverse de ce qui devrait être fait. […]
Transilien par exemple, il y a trois semaines de cela, nous a demandé de faire un tractage. Alors,
l’esprit, pourquoi pas, dans le sens où Transilien a créé un tract spécifique sûreté destiné à sa clientèle
pour présenter toutes les actions sûreté, les différents métiers liés à la sûreté. Plutôt intéressant. Sauf
qu’on nous a demandé à nous, agents Suge en tenue, armés, assermentés, de faire la distribution de
tracts ! Or on casse une image ! Alors, je ne devrais peut-être pas vous le dire, mais autant vous dire
que le tractage, on l’a fait de loin, parce qu’on était mal à l’aise. Ça nous a mis mal à l’aise par rapport
à cette clientèle qui venait nous parler de leurs problématiques sûreté, des difficultés qu’ils
rencontraient dans les trains, dans les gares, nous faire comprendre qu’il n’y avait pas assez de
personnels pour assurer leur sécurité… Et derrière, on mobilisait une équipe pour distribuer des tracts !
Je pense qu’on peut faire les choses différemment. […] Là, on est en train de casser les vocations. En
ce sens que les agents ne comprennent plus leur positionnement. Ne comprennent plus les directives.
Ne comprennent plus leur métier, dans l’absolu. […]
Et c’est vrai que notre frustration aussi, c’est de voir que notre discours, qui est un discours
opérationnel, qui va vraiment dans le sens de l’entreprise, et dans l’intérêt de l’entreprise, n’est pas
entendu. Ou est déformé. En tout cas n’atteint pas l’objectif. […] Moi, aujourd’hui, je suis plus dans une
approche opérationnelle. Dès qu’on passe en direction, on est plus dans une approche comptable.
Une difficulté qui s’ajoute à ça : on a ce qu’on appelle des comités de pilotage avec nos clients, qui
sont des points d’étape par rapport à la contractualisation, les objectifs, etc. Et souvent, nos
interlocuteurs ne sont pas forcément des experts sûreté […] – on est face à des contrôleurs de gestion.
Donc on ne peut avoir le même discours. Nous, on a un discours opérationnel, un discours sûreté. Eux
ont un discours de chiffres. Ils ont un discours comptable tout simplement. C’est le volume d’heures,
c’est l’enveloppe, et le reste n’a pas beaucoup d’importance. » (Chef d’agence, Suge)
Sur le même thème, on peut aussi parler de la police nationale et relayer les commentaires
entendus au sujet de la politique du chiffre et de la culture du résultat.
« Nous, on a la politique du chiffre, alors voilà… […] On est carrément touchés par ça. Faut pas croire,
maintenant, la police, c’est une entreprise. Y’a une productivité à assurer. C’est une question de
pognon. […] On en arrive là. » (Agent, DPGP, BRF)
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Dernier exemple : le poids de l’activité de reporting dans les services de médiation. Indispensable
pour pouvoir rendre des comptes aux financeurs, cette tâche alourdit considérablement la charge
administrative des équipes. Elle les oblige à consigner en permanence tous les éléments leur
permettant d’établir les bilans journaliers et autres fiches de signalement. Elle peut les mettre en
porte-à-faux sur le terrain, vis-à-vis du public – il est mal vu de noter sur un carnet, « ça fait
flic ! ». Surtout, elle peut conduire à une forme de « bureaucratisation » du travail au détriment
des missions premières… sans nécessairement permettre de justifier pour autant l’utilité sociale
du dispositif. Chez les médiateurs comme dans les autres groupes professionnels étudiés,
nombreux sont les agents qui soulèvent à ce titre la question problématique de l’évaluation,
insistant sur les limites des indicateurs de réalisation et sur la difficulté de mesurer l’efficacité de
la prévention.
Par contraste, les médiateurs souffrent d’une certaine précarité et d’un niveau rémunération qu’ils
jugent n’être pas à la hauteur de la responsabilité sociale dont on les investit : « on nous
demande beaucoup, mais le salaire et le statut ne suivent pas ». On peut certes objecter que les
dispositifs étudiés répondent de politiques volontaristes d’insertion professionnelle, que les
postes de médiateurs y sont considérés comme des tremplins et que, malgré tout, certains se
voient au final proposer un CDI. Il n’en reste pas moins que les médiateurs officiant dans les
transports franciliens sont majoritairement recrutés en contrat aidé et que, dans tous les cas, leur
salaire reste relativement bas, plus encore chez Promevil. Cette structure se mobilise pourtant
très activement en matière de professionnalisation mais, compte tenu de son statut associatif,
semble avoir bien peu de marge financière et propose des salaires sensiblement inférieurs à
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ceux des médiateurs des sociétés privées de transport. À travers ces questions pécuniaires, ce
sont à l’évidence des enjeux de reconnaissance symbolique qui se posent aussi, ce qui peut
affecter la motivation au travail, voire même la crédibilité des agents sur le terrain. À ce sujet, un
chef d’équipe nous rapporte le commentaire d’un usager froissé d’avoir été rappelé à l’ordre :
« Ils se prennent pour qui, les médiateurs ? Ils gagnent le Smic ! »
Autre point de tension : les problèmes d’effectifs. Sur le réseau STA notamment, de l’avis du
coordonnateur comme des agents, le dispositif de médiation récemment mis en place est sous-
dimensionné, ce qui limite les capacités d’intervention et insécurise les équipes sur le terrain.
« Sur STA, on a 6 médiateurs. C’est un poil insuffisant. Mais comme il n’y avait personne [sur mon
poste auparavant], personne n’a négocié avec le Stif pour améliorer le système.
- Ça reporte au prochain contrat d’exploitation ?
- Justement, je dois aller voir [la personne du Stif chargée de ce dossier] pour discuter de l’avenir et
voir un peu comment on peut étoffer. » (Coordonnateur prévention/sécurité, STA)
« Pour nous, ça reste un métier risqué. Je trouve qu’on n’est pas assez. Quand les équipes ne sont
pas assez fournies, une ou deux personnes, le risque augmente. Le mieux serait d’augmenter le
nombre de médiateurs parce que le secteur de Corbeil reste assez difficile. » (Médiatrice, STA).
« Il faudrait vraiment plus d’effectifs. On n’est pas très nombreux, on fait avec les moyens du bord. »
(Médiateur, STA)
Au sein de la BRF, la problématique des sous-effectifs est particulièrement criante.
Constamment, les services jonglent avec les absences (congés, arrêts maladie, accidents de
travail), sans parler des postes théoriquement ouverts mais non pourvus. À l’UASG de Saint-
Denis par exemple, il est normalement établi que deux agents doivent rester à l’accueil durant les
plages d’ouverture du poste au public, mais, faute d’effectifs, il n’est pas rare que l’un des deux
s’en retire pour permettre a minima de constituer un trinôme sur le terrain. L’après-midi, lorsqu’à
l’extérieur, le climat devient plus tendu, il peut même arriver que la brigade ferme le poste pour
pouvoir sortir en nombre suffisant. À la SNCF, ce sont les accords d’entreprise qui prévoient le
nombre minimal d’agents par équipe Suge (de trois à cinq selon la criticité supposée des
secteurs). Si l’effectif ne permet pas d’atteindre ces quotas, les agents présents ne sont pas
autorisés à patrouiller, sauf à renforcer d’autres équipes ; c’est un paramètre supplémentaire
avec lequel doivent composer les encadrants dans la gestion quotidienne des ressources
humaines.
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son environnement (à l’image du chef de gare de Saint-Denis qui, faute de meilleure solution
pour l’instant, laisse volontairement ouvert l’accès PMR du hall principal1) et/ou pour mieux
satisfaire son propre idéal professionnel (à l’image de la brigade des chasseurs de l’UASG de
Saint-Denis, évoquée supra.).
● Retrait – L’agent se sent en si profond décalage avec les cadres imposés qu’il s’en extrait.
Quand, pour diverses raisons, l’insatisfaction gagne et le travail ne fait plus sens, alors la
démotivation l’emporte. L’agent s’investit a minima, voire n’assure plus les missions qui sont
attendues de lui. C’est le cas, par exemple (non généralisable), de ces médiateurs qui, lors d’une
séquence d’observation, ont passé presque autant de temps dans leur salle de repos que sur le
terrain, ou encore de ces agents de la BRF qui, le jour où les grands médias se faisaient écho
d’un rapport sur le « blues » des policiers2, nous ont longuement parlé de leurs difficiles
conditions de travail et sont sortis moins d’une heure sur une vacation de 8 heures…
En tout cas, ces considérations posent directement la question du management, des bons leviers
en la matière, et interrogent en particulier la capacité de l’encadrement intermédiaire à assumer
son rôle. À tout le moins, elles montrent que les marges d’autonomie restent grandes en
situation. C’est bien au niveau de la base que l’actualisation des politiques engagées au sommet
se joue. De ce point de vue, il est donc nécessaire de tenir compte de l’expérience et des
difficultés vécues sur le terrain pour la mise en œuvre de politiques dont l’effectivité dépend, in
fine, de ce que les acteurs de première ligne en font concrètement.
1
En dépit des exigences du Stif qui, sur les gares « CABées », impose que tous les accès soient automatiquement contrôlés,
cet accès-là est hors service depuis fort longtemps. Les usagers (entrants et sortants) se sont tant habitués à l’emprunter (avec
ou sans titre de transport) qu’en l’absence d’un dispositif d’accompagnement pédagogique adapté (qui reste à mettre au point),
toute tentative de fermeture semble vaine, les précédents tests ayant montré que le portique était systématiquement
endommagé et mis hors d’usage.
2
Molines Mathieu, Étude sur le management et le stress au travail. Synthèse des premiers résultats, Rapport CRM-CNRS pour
le syndicat Alliance-police, février 2013.
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La coproduction à la loupe
Affichée, défendue par les acteurs institutionnels rencontrés, la coproduction est un mot d’ordre
qui semble au cœur du système de sécurisation des transports franciliens. Les dispositifs
partenariaux mis en place entre les états-majors, les coopérations construites autour de la
vidéosurveillance, la présence même de la brigade des réseaux ferrés dans les locaux de la
RATP et de la SNCF, sont autant d’indices qui laissent penser que la coproduction n’est pas
qu’un slogan. Pour savoir ce qu’il en est dans les faits, il faut néanmoins descendre au niveau
des acteurs de première ligne et s’intéresser à leurs modalités concrètes de coopération.
Autrement dit, il faut étudier la coproduction à la loupe, au plus près des réalités de terrain.
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Au bout du quai, les agents croisent d’abord des CRS qu’ils saluent, puis des agents d’escale qu’ils
saluent également. L’un d’eux leur signale la présence sur le quai voisin d’un homme, SDF a priori,
qui souvent circule sur les lignes du secteur et importune les usagers. Les agents se rendent sur le
quai concerné et repèrent aisément cet homme d’une soixantaine d’années, à l’allure vagabonde, à
la démarche titubante. Ils vont à sa rencontre, contrôlent son titre de transport et discutent
quelques minutes avec lui. Rien de plus, il n’y a pas d’infraction. « Mais il y a un œil », commente le
DPX, pour qui il importe de signifier la présence d’un garant des lieux.
De retour sur le quai transversal, les agents échangent brièvement avec des contrôleurs. À ce
moment-là, l’observateur renonce à noter systématiquement toutes ces micro-interactions
interprofessionnelles qui ponctuent continûment les patrouilles de la Suge.
Sur un mode plus formalisé, encadré par des textes (conventions) voire par le droit (code
de procédure pénale), en réponse ou à partir de demandes précises.
Un exemple : les échanges de fichiers de vidéosurveillance entre les agents du CTIV du GPSR
ou des cellules d’exploitation de la Suge d’une part, et les services policiers d’autre part. Les
premiers sont sollicités quotidiennement par les seconds, voire anticipent leur demande d’images
à partir des signalements de faits qui leur remontent via les fiches-incidents de leurs propres
services. Ils sont chargés de transmettre, sur la base de réquisitions judiciaires, des séquences
enregistrées puis gravées sur des supports vidéo. Sur la base des informations fournies par les
services de police, ils assurent un travail de tri dans le flux d’informations « images » enregistré
par les milliers de caméras situées dans les gares, les trains ou les bus. Ils assurent une fonction
de filtre, de sélection de l’information utile pour l’élucidation des affaires, et s’imposent ainsi
comme des unités d’appui indispensables au travail d’enquête des services judiciaires. La tâche
qu’ils effectuent demande en effet de la technicité et du temps, aussi bien pour récupérer les
images stockées dans les rames lorsqu’il s’agit de vidéosurveillance embarquée que pour
sélectionner les séquences pertinentes.
En d’autres termes, l’utilisation plus intensive, coordonnée et professionnalisée des images à des
fins judiciaires s’est accompagnée d’une nouvelle répartition des rôles entre les services policiers
et les cellules d’exploitation des deux grands transporteurs franciliens. Ces cellules sont pour
ainsi dire devenues des maillons à part entière de la chaîne pénale. De fait, elles interviennent
dans une position de subordination vis-à-vis des officiers de police judiciaire auxquels elles
transmettent des séquences d’observation directement exploitables. Mais, comme le dit un agent
de l’une de ces cellules, « tout le monde s’y retrouve » dans cette division des tâches. Pour les
services policiers, c’est un gain de temps qui permet de se concentrer sur d’autres missions, et
c’est un moyen d’améliorer la performance des unités judiciaires (taux d’élucidation) sans coût
humain supplémentaire. Pour les agents de la Suge et du GPSR, c’est une activité valorisante
qui s’apparente à une forme d’investigation très en amont de la procédure et les rapproche de ce
que nombre d’entre eux perçoivent comme le vrai travail policier. C’est un moyen d’affirmer leur
professionnalisme aux yeux de leurs partenaires et de conforter leur rôle dans le système de
sécurisation des transports.
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1.1.3. Le passage de relais
Le troisième mode de coopération identifié tient au jeu de complémentarité entre les acteurs, à
leur étroite interdépendance en raison de l’organisation même de la production de la sécurité
dans les transports, qui implique des passages de relais obligés, des formes de délégation
nécessaires au bon fonctionnement du système. Les différents acteurs s’inscrivent en effet dans
une chaîne où chacun intervient selon ses prérogatives. Quand les situations auxquelles ils sont
confrontés débordent leur mandat, il leur faut passer le relais aux partenaires compétents. En ce
sens, ils ont non seulement un intérêt mutuel à coopérer, mais plus encore, ils ne peuvent faire
les uns sans les autres.
Les médiateurs, par exemple, se positionnent sur un registre exclusivement préventif, centré sur
la communication, l’apaisement et la persuasion. Face aux usagers récalcitrants, ils se trouvent
rapidement limités dans leur capacité d’intervention. En cas de problème, quand le dialogue ne
suffit pas pour gérer la situation, ils se voient contraints de faire appel à des services à vocation
plus répressive, la Suge ou la police.
« Si, nous, on relève une personne vraiment dangereuse, un usager avec un couteau ou une arme…
ça nous est déjà arrivé d’intervenir dessus si on sent que c’est possible, mais, la plupart du temps, on
va pas le faire. On va se retirer, et on va pas contacter directement la police parce qu’on a un numéro
à la SNCF qui s’appelle le 31.17. Eux, après, ils dispatchent soit à une ambulance, soit aux services
médicaux, soit aux pompiers, soit à la police s’il y a besoin. Donc, s’il y a une situation qui vraiment
nous dépasse ou par exemple on va sensibiliser quelqu’un, on se fait lourdement insulter ou la
personne nous menace, on va relever l’incident et on va le transmettre à la SNCF qui, elle, après fait
ce qu’elle a à faire avec la Suge, etc. » (Médiateur Promévil).
Une autre illustration, quasi-quotidienne pour les services de sécurité de la RATP et de la SNCF,
concerne ce qui se joue autour du contrôle des titres de transport et des infractions constatées au
code des transports. Face à un contrevenant qui refuse ou n’est pas en mesure de donner son
identité, les agents du GPSR et de la Suge font appel à la police. N’étant pas habilités à procéder
aux contrôles d’identité, ils ont besoin des services policiers pour que leur intervention ne reste
pas sans suite ; il en va de leur crédibilité. Inversement, les policiers peuvent s’appuyer sur les
équipes du GPSR ou de la Suge en cas d’infraction au code des transports qu’eux-mêmes ne
sont pas habilités à verbaliser. Ces infractions constatées par leurs partenaires (absence de titre
de transport par exemple) leur donnent un titre à intervenir, un motif juridiquement valable pour
effectuer des contrôles d’identité, des palpations et des « passages aux fichiers », ce qui parfois
débouche sur d’autres affaires. « C’est intéressant », déclare un policier du DPGP à ce sujet,
« c’est comme ça qu’on peut trouver des stups, des armes ou des téléphones volés ».
Cependant, ces relations d’interdépendance fonctionnelle ne sont pas sans générer des tensions,
notamment, du point de vue des agents du GPSR et de la Suge, parce que la réponse des
services policiers n’est pas assez rapide, ou encore, du point de vue des agents de la BRF, parce
que les services de sécurité des transporteurs leur apportent une charge de travail
supplémentaire, des affaires jugées peu intéressantes voire « indignes », autrement dit du « sale
boulot » dont ils se passeraient bien volontiers.
« On a la Suge, la police de la SNCF qui nous ramène toujours les gros boulets. En fait, tout ce qu’ils
veulent pas faire ! […] En fait, eux, ils nous ramènent tout quoi, tout et n’importe quoi, un alcoolique,
enfin un mec qui est bourré. Nous, on gère tout donc, voilà, y’a pas de tri qui est vraiment fait. Donc,
on travaille avec eux par nécessité. Voilà, eux, souvent ils font des opérations de contrôle et, par
exemple, y’a une personne qui a pas composté son ticket de métro, donc ils vont la contrôler. Ils ne
sont pas sûrs de son identité, alors ils vont la ramener pour que nous, on fasse la vérification d’identité,
savoir si c’est bien elle, etc. Donc on travaille en partenariat avec eux. » (Policier, BRF)
L’accueil plutôt froid qui fut réservé par les policiers de l’UASG de Paris Nord à une équipe de la
Suge venue pour la mise à disposition d’un contrevenant, laisse transparaître ces tensions.
- 55 -
Jusqu’au dernier wagon, rien à signaler. Arrivé à hauteur des derniers sièges, Vincent s’arrête pour
demander à un homme négligemment installé de retirer ses deux pieds de la banquette. N’a-t-il pas
entendu ou fait-il semblant de ne pas entendre ? En tout cas, l’individu poursuit sa conservation
téléphonique, nullement gêné par la remarque de Vincent, qui lui demande alors son titre de
transport. Il n’en a pas.
Vincent engage donc la procédure et commence à dresser un PV. Il demande au jeune homme
une pièce d’identité. Ce dernier n’en a pas, hormis une carte d’étudiant à la Sorbonne. Vincent le
prévient sur un ton agacé : « ça risque d’être compliqué, Monsieur, si vous ne jouez pas le jeu.
Avez-vous 89 euros pour régler ? – Non. - Vous avez déjà eu des amendes à la SNCF ? - Oui, il y
a quelques jours, je l’ai réglée. » […]
Le contrevenant n’étant pas en mesure de présenter une pièce d’identité valable, les agents Suge
lui indiquent, après avoir contacté le PCNS, qu’ils vont le conduire au poste de police nationale de
la gare du Nord afin d’y faire vérifier son identité. En gare du Nord, une fois descendus à quai, ils
s’arrêtent cinq minutes pour finir de rédiger le PV puis escortent l’étudiant. Celui-ci explique qu’il est
étranger et qu’il n’a pas encore eu son visa temporaire, d’où l’absence de papiers sur lui.
À 18h40, l’équipage arrive au poste de police de la gare du Nord. Les agents de la Suge saluent un
à un les huit policiers présents à l’entrée du bâtiment qui fait office de salle d’accueil. Les policiers
attendent leur chef de brigade qui, assis sur une table, passe un coup de téléphone personnel. Le
contact entre les agents de la Suge et les policiers n’est pas des plus chaleureux. Ils s’en tiennent
au minimum de civilité. Christophe me dira, quelques instants après avoir quitté la vigie, qu’« il est
difficile de travailler avec eux ; ça ne se passe pas très bien entre nous. »
L’étudiant s’est assis sur l’une des trois chaises placées contre le mur gauche de l’entrée. Sur une
autre, se trouve une jeune fille, prostrée, les jambes serrées, le regard fixe posé sur le sol. De
l’autre côté de l’entrée, deux Asiatiques attendent avec leurs valises qu’un agent veuille bien
enregistrer leur plainte. Christophe explique au planton ce qui l'amène : mise à disposition d’un
contrevenant qui a refusé de présenter une pièce d’identité. Gaëtan et Olivier se sont placés à
l’entrée, debout. Christophe et Vincent sont accoudés à l’accueil, penchés sur l’ordinateur du
gardien de la paix, qui fait des recherches sur différents fichiers afin de vérifier l’identité du jeune
homme. Le policier lui demande s’il n’a pas une autre pièce d’identité, un visa provisoire ; il répond
que cela fait moins de trois mois qu’il est en France. « Mais, vous devez avoir eu un récépissé
lorsque vous avez fait cette demande ? - Oui, mais je l’ai oublié chez l’ami de mon cousin chez qui
je loge actuellement. - Vous pouvez nous indiquer son nom et son adresse ? - Bah non, je ne m’en
rappelle pas… » L’histoire racontée par l’étudiant n’est pas vraiment convaincante. Elle ne l’est
pas, en tout cas, pour les policiers et les agents de la Suge, qui restent très dubitatifs. Mais, en
l’absence de traces de son identité dans les fichiers (AGDREF)1, le policier le laisse partir sans qu’il
ne soit inquiété. Et toute la procédure engagée par les agents de la Suge ne sera finalement pas
suivi d’effet.
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systématique de l’accès à un train au départ. En première ligne, les contrôleurs sont chargés de
vérifier les titres de transport de l’ensemble des voyageurs. En seconde ligne, les agents Suge
les appuient et veillent au bon déroulement de l’opération.
16h00 : Premier accueil embarquement (sur un train en direction de Rouen). Les quatre agents
Suge saluent les sept contrôleurs et leur responsable qui sont déjà en place, formant un barrage
humain au départ du quai. Ils se positionnent derrière eux, quelques mètres en retrait, de manière
bien visible.
L’opération dure une vingtaine de minutes. Rien de particulier à signaler, sinon les réflexions de
certains voyageurs, irrités par ce dispositif de contrôle. « Oui, à Vernon, c’est vrai qu’on est tous
des criminels ! », marmonne une femme, comme pour marquer son incompréhension à l’égard de
ce déploiement massif d’uniformes sur le quai. « Ce type de réflexion, c’est classique », me disent
les agents. Pesant aussi : « On apprend à faire avec, mais c’est chiant », précisent-ils.
16h20 : Fin de l’accueil embarquement. Les quatre agents s’en vont patrouiller en gare. […]
18h00 : Troisième accueil embarquement sur deux trains simultanément, en partance de part et
d’autre d’un même quai.
Quelques réflexions de voyageurs dubitatifs, agacés ou consternés par ce dispositif de contrôle.
Sinon, rien de particulier à signaler. Les contrôleurs vérifient les titres de transport, les agents Suge
restent postés derrière, en retrait. « Ce qui est dommage, déplore François, c’est que quand on est
sur des accueils embarquement, on n’est pas sur la gare. Si ça se trouve, c’est la merde cours de
Rome… » – sous-entendu : et nous, on est là à ne pas servir à grand-chose…
18h30 : Fin de l’accueil embarquement, c’est le dernier de la journée pour cette équipe Suge. Tout
s’est bien passé cet après-midi, satisfaction des équipes qui se saluent cordialement.
Cette logique « inter-métiers » est au fondement même de certains services dont la particularité
est d’associer différents types de compétences professionnelles.
- C’est le cas de l’équipe d’assistance rapide (EAR) de l’Île-de-France, une unité dédiée à la
gestion de crises créée en 2009. Mêlant à parité des agents de la Suge et des agents
commerciaux d’escale (accueil/vente), elle compte au total une centaine d’agents qui, pour son
responsable, se définissent tous comme des « spécialistes de la prise en charge des clients en
situation très perturbée » (grève, travaux, problèmes techniques, intempéries, arrivées tardives,
immobilisation prolongée de trains en pleine voie, etc.).
- C’est aussi le cas de l’équipe mobile tranquillité (EMT), une initiative récente de la ligne H qui a
vocation à faire école sur d’autres lignes transiliennes. Cette équipe agrège des agents de la
Suge, des agents commerciaux des gares et des contrôleurs. Ils mènent des opérations
conjointes, permettant de jouer sur la complémentarité des métiers et de miser tout à la fois sur
la sécurisation, l’accueil et la lutte anti-fraude.
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1.2.2. Coopérations externes
Le système de coproduction de la sécurité dans les transports franciliens repose, nous l’avons
déjà souligné, sur des partenariats institutionnels relativement bien rôdés. Sur le plan
opérationnel, cela donne lieu à la programmation de nombreuses actions communes, qu’il
s’agisse des opérations planifiées par le bureau de coordination opérationnelle de la SDRPT
avec le département de la sécurité de la RATP et la direction de la sûreté de la SNCF, associant
des équipes de la BRF, du GPSR et/ou de la Suge1, ou des opérations programmées plus
localement, associant les services des transporteurs et les services territoriaux de police
nationale, de gendarmerie ou de police municipale. À défaut de fournir une liste exhaustive, voici
deux exemples d’opérations auxquelles nous avons assisté.
Le premier exemple concerne une opération de contrôle des titres de transport sur des lignes de
bus exploitées par la RATP, réalisée par le GPSR avec l’appui d’une police municipale.
1
Opérations ciblées et coordonnées (OCC), opérations ciblées, coordonnées et sectorisées (OCCS) ou opérations visibilité,
rencontre, dissuasion (OVRD).
- 58 -
Le second exemple concerne une opération de contrôle des titres de transport sur le réseau Tice,
assurée par les contrôleurs, avec l’appui des policiers du commissariat de secteur.
- 59 -
2. Les déterminants du partenariat
L’observation des interactions entre les services et l’analyse des registres de coopération
permettent de mettre en évidence plusieurs facteurs déterminants du partenariat.
La capacité à faire preuve de réactivité face aux sollicitations des partenaires peut varier en
fonction du crédit qui leur est accordé. Ceci étant, elle dépend aussi, et surtout, des moyens
humains et des modes d’organisation des services requis. S’agissant par exemple de la BRF, il
est clair que les unités de sécurisation, en raison de leur organisation très centralisée, ne peuvent
se projeter avec la même rapidité sur l’ensemble des réseaux franciliens. Elles sont bien plus
présentes et réactives sur le réseau ferré que sur le réseau de surface, dans le cœur
d’agglomération que dans la profondeur régionale. C’est pourquoi, au quotidien, la BRF a noué
un partenariat privilégié avec le GPSR, avec qui elle partage un même territoire concentré. En
revanche, elle a bien moins de relations avec la Suge et les transporteurs privés du réseau
Optile, qui font directement appel aux services territoriaux de police et de gendarmerie en cas de
problème, sans passer par la police des transports.
« […] ici, notre fonction fait qu’on bosse beaucoup avec la RATP. […] Parce que la RATP, c’est quoi :
c’est Paris, quelques bouts de ligne en petite couronne, c’est une grande partie du RER A et c’est une
moitié du RER B. Mais schématiquement, dans l’immense majorité de notre quotidien, c’est le métro.
[…] Le métro, nous, on peut être réactif à peu près partout. […] parce que déplacer une force, ça peut
prendre cinq ou dix minutes, mais je prends un bonhomme là, je le mets là, quelle que soit l’heure, j’ai
un métro toutes les deux / trois minutes, je n’ai pas de souci de réactivité. […] Là, vous voyez, on a
une carte de l’Île-de-France : toute cette zone [les frontières de la DSPAP], on arrive à peu près à être
réactif. Au pire, si on ne l’est pas nous directement, on a les moyens pour dire à l’état-major : ‘moi, je
ne pourrai pas l’être, envoyez une équipe là parce que j’ai une merde !’ Et ça va aller très vite. C’est un
territoire très concentré, un territoire qu’on partage avec la RATP et son service de sécurité. Donc, si
moi je ne peux pas y être, eux peuvent, et inversement. […] La logique a voulu qu’on est devenu très
rapidement le point d’entrée unique de la RATP. Quand la RATP a un problème de sécurité, c’est ici
qu’ils appellent. Et nous, quand on a un problème avec la RATP, on passe par la salle d’à côté, eux
font remonter et ça se règle très rapidement. […] C’est hyper-réactif, d’un côté comme de l’autre. Ça
marche très, très bien. […] SNCF, on ne parle pas du même territoire. […] la SCNF, vous voyez [sur la
carte], il y a tout le reste [la grande couronne dans toute son étendue]. […] Problème de réactivité en
ce qui nous concerne sur la banlieue. Ce qui fait que, fort logiquement – fort logiquement : mon
directeur me taperait sur les doigts s’il m’entendait – la SNCF n’a pas pris pour habitude qu’on soit son
point d’entrée unique. Parce que eux, s’ils ont une merde là, évidemment, la merde, il faut la régler tout
de suite. Et eux, ils vont appeler la police ou les gendarmes, les territoriaux les plus proches. […] Mais
ils ne passeront pas par nous. […] Avec la SNCF, les rapports ne sont pas extraordinaires. Il y en a
peu. Parce que la question que je viens de vous citer est au centre de tout. C’est-à-dire qu’on n’est pas
réactif vis-à-vis d’eux, donc eux ne passent pas par nous. » (Officier, BRF)
- 60 -
2.2. La bonne échelle du partenariat
Ces enjeux de réactivité expliquent et justifient des alliances entre acteurs qui, d’un point de vue
institutionnel, ne sont pas forcément censés traiter en direct mais qui, d’un point de vue
opérationnel, s’imposent comme des partenaires « naturels » sur le terrain. À la gare de Saint-
Denis par exemple, les agents de vente et d’accueil de la SNCF sont en lien direct avec les
agents de l’unité de la BRF implantée à deux pas. Pour des raisons évidentes de proximité, c’est
vers eux qu’ils se tournent spontanément en cas de souci, non pas vers la Suge comme la
logique institutionnelle le voudrait. Les relations de coopération se tissent donc parfois en dehors
des cadres protocolaires que les agents contournent pour renforcer l’efficacité de leur action ou
pour mieux assurer leur protection. Ces réajustements d’échelles sont des formes d’adaptation
au contexte. Ils peuvent toutefois mettre les équipes en porte-à-faux vis d’une hiérarchie
soucieuse de faire respecter les cadres établis du partenariat.
Les exigences institutionnelles et les exigences du terrain peuvent effectivement entrer en
tension. Entre la préfecture de police et la SNCF notamment, le partenariat est respectivement
géré par la SDRPT et la direction de la sûreté. Sur le plan opérationnel, cela se traduit par une
centralisation des procédures de coopération. Pour faire simple, si l’on se place du côté des
agents de la Suge, toute demande d’intervention policière doit passer par le poste de
commandement de la sûreté ferroviaire (PCNS). Celui-ci se charge alors de contacter le poste de
commandement de la police régionale des transports (TN Réseaux) à qui il revient d’engager les
effectifs disponibles de la BRF ou de relayer la demande d’intervention auprès des services
territoriaux compétents. Ce process très formalisé, mis en place dans le but de rationaliser et
d’encadrer le partenariat, prémunit certes d’éventuels cafouillages et garantit une « couverture »
hiérarchique. En contrepartie, il mobilise plusieurs intermédiaires et rallonge les temps de
réaction. Il fait obstacle à la mise en place d’une coopération plus souple entre acteurs d’un
même territoire, interdisant notamment aux équipes de la Suge de prendre directement attache
avec celles du commissariat de secteur, quand bien même celui-ci se trouve à 200 mètres à
peine de leur zone d’intervention (cf. encadré).
- 61 -
Il faut ainsi souligner les limites de ces modes de gestion centralisés qui tendent à rigidifier les
partenariats et à décourager les initiatives locales. Lorsque les dispositifs de coopération
s’imposent dans une logique « top-down », les acteurs de terrain risquent de se sentir
dépossédés des actions partenariales et de s’en désinvestir parce que les injonctions
hiérarchiques ne font tout simplement pas sens à leurs yeux. À ce sujet, un chef d’agence de la
Suge insiste sur la nécessité d’aller au-delà de la coordination institutionnelle affichée au sommet
pour développer de « vrais partenariats » localement. Compte tenu de son poste antérieur au
sein du staff d’une DZS, il peut témoigner de son expérience en la matière : « on avait des
réunions avec les partenaires, la PRT. Mais des hauts gradés, hein ! Et en arrivant ici, je me suis
rendu compte que ce qu’on mettait en place n’avait pas forcément de retombée sur le terrain. »
Et de raconter plusieurs anecdotes à propos d’opérations programmées sur lesquelles les
équipes de la Suge se sont finalement retrouvées seules, les effectifs policiers prévus ne s’étant
pas déplacés. « C’est compréhensible » pour notre interlocuteur : quand la décision vient du haut
et que les agents de la base n’y sont pas directement intéressés, ils y vont à reculons, voir n’y
vont pas du tout faute d’adhésion. « C’est pourquoi on en revient au local », conclut ce chef
d’agence qui s’emploie à construire des liens plus serrés avec les services territoriaux de police
et de gendarmerie pour opérationnaliser les partenariats à cette échelle-là.
- 62 -
Les démarches visant à favoriser les rapprochements entre les institutions se concrétisent parfois
même par l’immersion d’agents au sein des services partenaires. C’est l’option prise par les
états-majors de la BRF et de la Suge. Conscients de leurs liens faibles sur le plan de la gestion
opérationnelle quotidienne, ils ont souhaité pallier ces carences. Depuis plus de deux ans, un
agent de la Suge est détaché à temps plein dans la salle de TN Réseaux et, inversement, un
agent de la BRF l’est dans la salle du PCNS. Ces agents jouent le rôle d’interface entre les deux
entités. Ils facilitent la circulation de l’information et décodent pour leurs partenaires les modes de
fonctionnement de leurs propres services.
- 63 -
subordonnés. La mission de coordination fonctionnelle dont elle est investie ne saurait se
confondre avec une fonction d’autorité fonctionnelle.
« Les transporteurs sont très attentifs, logiquement attentifs, à garder l’autonomie qui est la leur. Mais
on travaille très bien avec eux. Surtout avec la RATP : on vit avec la RATP, on est dans la Maison de
la RATP ! Mais avec la SNCF, pas moins. Pour autant, on ne peut pas considérer que le préfet de
police a une autorité fonctionnelle, à travers moi, sur le patron de la Suge ou sur le patron du GPSR.
On en a récemment parlé avec les transporteurs, on s’est mis d’accord sur l’idée de coordination
fonctionnelle, qui est donc la sémantique que nous retenons pour désigner ce type de travail en
commun. » (Sous-directeur SDRPT).
Il n’en reste pas moins que les services policiers dans leur ensemble sont vus et s’imposent
comme la pièce centrale dans le jeu des relations quotidiennes de travail. Parce qu’ils
représentent la puissance régalienne et disposent de prérogatives plus importantes, ils peuvent
être tentés de jouer de cette prééminence pour se décharger sur leurs partenaires de tâches que
ces derniers n’ont pourtant pas à assumer. En substance, c’est ce que leur reproche un chef
d’agence de la Suge concernant la transmission de fichiers de vidéosurveillance, exemple
apparemment anodin qui révèle bien ces velléités de subordination.
Malgré cette dissymétrie des relations, il ne faudrait pas négliger ce résultat fort : globalement,
les différents services travaillent bien ensemble et les acteurs institutionnels s’accordent à
souligner la qualité des partenariats. Il ne faudrait d’ailleurs pas non plus surévaluer la position
prédominante de la SDRPT. Certes, elle est le maître d’œuvre de la sécurité dans les transports
collectifs franciliens, mais elle doit composer et négocier avec ses partenaires, ménager les
susceptibilités eu égard aux investissements qu’ils lui consentent. En ce sens, la SNCF et la
RATP ont du pouvoir sur la police régionale des transports. À la base comme au sommet, les
policiers de la BRF savent qu’ils dépendent des transporteurs sur le plan matériel et budgétaire.
« Même si la police des transports est maître d’œuvre en matière de sécurité dans les transports par
décret, il y a des enjeux financiers qui dépassent un peu les liens logiques. Là [dans les locaux de la
BRF gare de Lyon], on est chez la RATP. Les bureaux sont fournis. Cet ordi, je crois que c’est SNCF.
La voiture que j’utilise, c’est SNCF. Ils [les transporteurs] tiennent quand même les cordons de la
bourse, alors je ne sais plus dans quelle proportion, mais on a trois budgets. On a un budget police, on
a un budget SNCF, on a un budget RATP. Donc faut pas se raconter d’histoire. À partir de là, il y a
quand même un lien… On est plus, parfois, dans la négociation que dans une position complète de
maître d’œuvre. Ceci dit, c’est aussi logique qu’on écoute leur avis. […] Et puis, comme on le disait,
c’est difficile de savoir si un travail de sécurisation est bien fait, on n’a pas beaucoup d’indicateurs. Et
l’avis du transporteur, c’est un indicateur. » (Officier, BRF)
- 64 -
3. Perspectives d’avenir
Pour clore cette partie sur les dynamiques partenariales et plus largement conclure notre étude, il
nous semble important d’interroger les perspectives d’avenir qui se dégagent en matière de
coproduction de la prévention/sécurité dans les transports publics franciliens. Autrement dit, il
s’agit d’ouvrir une réflexion prospective sur les enjeux et évolutions à anticiper face aux mutations
des territoires, considérant que les transports en commun constituent une dimension-clé des
projets de développement à l’échelle métropolitaine.
● Du côté des transporteurs, les dispositifs mis en place sont variables selon les réseaux.
- Sur les lignes de bus et de tramway exploitées par la RATP sur la zone dense de Paris et de la
petite couronne, le GPSR intervient.
- De même, sur la ligne de tramway T4 exploitée par la SNCF entre Aulnay-sous-Bois et Bondy,
la Suge est mobilisable.
- En revanche, sur les réseaux de bus exploités par les entreprises privées, notamment en
grande couronne, il n’y a pas de dispositif équivalent, celles-ci ne disposant pas de service de
sécurité interne. Outre les conducteurs et les contrôleurs qui, à leur façon, assurent une
présence régulatrice, il y a bien des médiateurs sur certaines lignes, mais la sécurisation en tant
que telle ne relève pas de leur mission.
● Du côté de la police régionale des transports, l’improprement nommée brigade des réseaux
ferrés est potentiellement compétente sur les réseaux de surface. Mais qu’en est-il de fait ? Si la
BRF continue de se concentrer sur les réseaux ferrés conformément à sa vocation historique,
elle effectue néanmoins plusieurs types de missions de surface.
- La BRF assure des « missions tram », notamment sur la ligne T1. « C’était un peu un vide
policier », explique le chef du département de sécurisation générale, « donc là, on est en train
de mettre plus d’équipes sur les trams ».
- La BRF assure des « missions bus » de jour, sur les trois départements de la petite couronne,
selon trois méthodes distinctes.
▪ Dans le Val-de-Marne, l’unité de sécurisation des transports en commun (USTC) constitue
un cas spécifique. Rattachée à la BRF depuis fin 2009, elle émane à l’origine de la DDSP du
94 et reste relativement autonome dans son fonctionnement. Elle intervient dans les bus et
fonctionne sur « une logique territoriale » marquée.
▪ En Seine-Saint-Denis, ce sont des renforts (CRS ou gendarmes mobiles) quotidiennement
mis à disposition de la BRF qui sécurisent les lignes sensibles en escortant les bus en
véhicule.
▪ Dans les Hauts-de-Seine, s’il arrive ponctuellement que des renforts mobiles soient aussi
mis à disposition de la BRF, ce sont sinon les agents du service de sécurisation des réseaux
de banlieue (SSRB) qui, dans le cadre de leurs missions générales, sont amenés à sécuriser
à pied les réseaux de surface, « c’est-à-dire que [le policier] va faire un peu de RER, un peu
de métro, un peu de tram, un peu de bus. »
- 65 -
- Enfin, la BRF assure des « missions bus » de nuit. Celles-ci reviennent au service de
sécurisation nocturne des réseaux (SSNR), qui se mobilise fortement sur les pôles et les bus
Noctiliens. USTC mise à part, c’est la seule unité d’envergure de la BRF qui ne soit pas centrée
sur les réseaux ferrés.
Ceci étant, rapportées à l’ensemble de l’activité de la BRF, ces différentes missions de surface
restent somme toute assez marginales. En outre, elles sont circonscrites au cœur
d’agglomération : au moment de l’enquête, la BRF ne se déploie pas sur les lignes de bus en
grande couronne (sauf dans le cadre d’opérations ponctuelles planifiées au mois sur les lignes
interdépartementales les plus sensibles).
1
Coprésidées par le sous-directeur régional de la police des transports et le responsable développement d’Optile, ces réunions
rassemblent les responsables sécurité des quinze entreprises les plus importantes et/ou les plus sensibles du réseau, ainsi que
des représentants des services de police et de gendarmerie de la petite et de la grande couronne.
- 66 -
organisé… on est juste organisé pour traiter les inflammations. De ce point de vue-là, il y a toute une
réflexion, qui sera l’un des éléments pivots, à mon avis, de la politique de sécurité que vous dégagerez
dans les prochaines années : que faire des transports de surface ? Qui doit être compétent ? Est-ce
que c’est une autorité régionale comme la nôtre ? Est-ce que c’est une super-police de proximité ?
C’est-à-dire est-ce que c’est l’espace communal, l’espace traversé par le bus, qui doit sécuriser le bus,
et à ce moment-là, c’est le policier municipal ou le policier territorial, en tout cas très proche du terrain,
qui est responsable ? Ce sont vraiment des enjeux très importants que je souhaitais un peu mettre en
avant à l’occasion de cette conversation. » (Sous-directeur régional, SDRPT)
En tout cas, au sein de la BRF, l’idée de créer un service dédié à la sécurisation des bus fait son
chemin. Mais comment s’y prendre et pour quels résultats ? « C’est un vrai débat qu’on a
actuellement, on en parle quasiment tous les jours », déclare un cadre de la BRF, « le problème,
c’est qu’on n’a pas encore réglé la question de savoir comment sécuriser ». La perspective d’un
redéploiement de la BRF sur les réseaux de surface soulève effectivement bien des questions.
■ Quelles sont les objectifs visés et les logiques d’intervention à promouvoir ? Faut-il mettre
l’accent sur la visibilité ou sur l’anti-délinquance ? Faut-il opter pour une présence diluée sur
l’ensemble des réseaux, dans un souci d’équité territoriale, mais avec un impact nécessairement
limité faute d’élasticité des effectifs, ou pour une présence concentrée sur les secteurs les plus
problématiques, au risque de délaisser certains secteurs et d’établir un système de sécurisation à
plusieurs vitesses ? Faut-il adopter une stratégie préventive d’implantation territoriale, dans une
logique proactive d’anticipation et de prévention des problèmes, ce qui suppose une gestion
déconcentrée gourmande en effectifs, ou une stratégie réactive de traitement déterritorialisé des
inflammations, dans une logique ‘coup de poing’ de réponse à des problèmes ponctuels, ce qui
suppose une gestion centralisée des équipages ?
■ Quels sont les modes opératoires à privilégier ? Faut-il monter à bord des bus comme le
font les agents de l’USTC du 94, ce qui n’est pas sans exposer les fonctionnaires à d’éventuelles
prises à partie ?
« Comment on sécurise ? Combien on en monte dans le bus ? Et surtout, qu’est-ce qu’on fait si nos
mecs sont pris à partie ? Parce que c’est aussi la réalité de la banlieue. Je monte dans le bus, je me
fais repérer par les loustics qui mettent le bus à feu et à sang… On est un peu démunis. Et le
problème, c’est que trois minutes, cinq minutes en banlieue face aux loustics en face, ça peut être très
long. Alors, le problème, c’est qu’on ne peut pas dire non plus qu’on n’y va pas parce qu’on a peur.
Mais malgré tout, on ne peut pas envoyer nos gars au casse-pipe. » (Officier, BRF)
Ou faut-il escorter les bus en véhicule comme à l’heure actuelle en Seine-Saint-Denis, ce qui
permet d’être rapidement projetable, de rassurer les machinistes et de désamorcer les conflits
sociaux dans les entreprises de transport, mais ce qui n’a guère d’effet auprès des usagers ?
« Aujourd’hui, c’est vrai que la sécurisation qu’on fait, c’est éviter le conflit social. […] On est en voiture
derrière le bus. […] C’est-à-dire qu’en gros, on joue le rôle du service de sécurité du transporteur. On
le fait assez rarement, du coup, sur des bus RATP [puisque le GPSR est mobilisable]. Ça, on le fait
surtout sur des sociétés privées. […] Ça va rassurer le machiniste. Mais en termes d’efficacité sur le
citoyen lambda, rien. […] Notre boulot, ce n’est pas de faire en sorte que le bus roule, c’est de faire en
sorte que l’usager, enfin le citoyen, ne se fasse pas attaqué. Si on voulait vraiment sécuriser du bus,
- 67 -
c’est à ça qu’il faudrait d’abord penser. Mais comment on fait pour que les usagers soient rassurés
durablement et ne se fassent pas attaqués dans un bus ? Et sur l’ensemble des réseaux ? Sachant
que là, on n’est plus en circuit fermé, on est à l’air libre, et que potentiellement, nos interventions
peuvent amener une problématique de surface. […] Ça pose un problème d’action. » (Officier, BRF)
Face à ces dilemmes, partant du principe que la sécurisation des bus relève avant tout d’une
logique de surface, c’est l’option suivante que la BRF retient pour l’heure : celle d’une force
d’appui aux services territoriaux et aux transporteurs, mobilisable en fonction des incidents,
chargée d’escorter les bus sur un laps de temps court pour permettre un retour à la normal. Il
s’agit là d’une position confirmée par le chef d’état-major du SDRPT lors de la dernière réunion
du comité de pilotage de notre étude.
« Il est bien évident que la sécurisation des réseaux de surface, notamment plus on s’éloigne de Paris,
en grande couronne et même en petite couronne, ce n’est pas qu’un problème SDRPT. Les réseaux
de surface ont, jusqu’à maintenant, été sécurisés en grande couronne par les services territoriaux. En
petite couronne, par les services territoriaux avec l’appui de la SDRPT depuis la création de la DSPAP
en 2009. Mais le problème des réseaux de surface est de toute façon un problème territorial avant tout.
[…] Donc nous, on a fait des propositions pour se positionner en force d’appui aux territoriaux. Pour
engager une unité très temporairement, en raison d’un problème grave survenu, pour arriver en
soutien du transporteur, y compris au niveau de la direction d’entreprise […]. Pour éviter des droits de
retrait qui, dans des zones profondes d’Île-de-France, ont quand même des conséquences
relativement lourdes pour les usagers, puisque c’est le seul moyen de transport qu’ils ont – les gens
sont beaucoup plus pénalisés qu’en très proche banlieue ou sur Paris. Donc on a cette volonté d’avoir
une force de frappe qui serait un peu à disposition des territoriaux et des transporteurs, pour pouvoir,
sur deux, trois, quatre jours, permettre un retour à la normale, permettre de rassurer, de sécuriser.
Mais on ne peut pas sécuriser tous les réseaux de banlieue, ça, c’est bien trop compliqué pour nous.
On a déjà engagé ce genre d’opérations sur des lignes du Val d’Oise, une fois sur les CIF du côté de
Villiers-le-Bel / Goussainville. Et on l’a fait sur des lignes de l’Essonne, de la Tice. On a actuellement
une patrouille qui intervient deux fois par semaine sur une vacation d’après-midi sur la ligne Tice
402. » (Chef d’état-major, SDRPT)
En tout cas, du côté des transporteurs privés, les attentes sont fortes en matière de sécurisation
des bus. À n’en pas douter, les projets de redéploiement de la BRF en surface seront les
bienvenus pour les entreprises du réseau Optile.
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3.2. Les défis pour demain
1
Entendue ici comme une dynamique territoriale structurante à l’échelle régionale, par-delà le périmètre institutionnel resserré
(Paris + petite couronne) défini par le projet de loi visant à créer une métropole du Grand Paris (adopté en première lecture par
l’Assemblée nationale le 19 juillet 2013).
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- 70 -
Le projet de réorganisation de la BRF, s’il vise d’abord à résoudre la difficile équation entre la
baisse des effectifs (1 350 agents en 2012, 1 200 en 2013) et l’accroissement des missions,
s’inscrit pleinement dans cette optique. Actuellement en attente de validation par les autorités
compétentes, il mise à la fois sur :
- le déploiement dans les réseaux de surface (cf. supra) ;
- le renforcement de la visibilité, notamment en profondeur régionale ;
- le dépassement du clivage Paris/banlieue.
Comme le remarque justement un officier de la BRF, ce clivage « est marquée chez nous, en
termes d’acronymes, puisqu’on a deux services, qui s’appellent service Paris et service Banlieue.
[…] Bon, ça fait tâche de dire Paris/banlieue à l’heure du Grand Paris. » Aussi, « l’idée, c’est
d’avoir un service général qui s’occupe de Paris/banlieue », et non plus deux grosses unités de
sécurisation affectées pour l’une, sur les lignes de métro parisiennes (SSRP), pour l’autre, sur les
trains de banlieue (SSRB). En d’autres termes, il s’agit de s’affranchir d’une logique sectorisée
qui entérine l’opposition Paris/banlieue pour se redéployer autour de nœuds intermodaux à partir
desquels faire circuler les équipages en étoile.
« Pour l’instant, on est dans une logique de secteur. Logique de secteur, on essaie de tout faire. On
essaie de ne rien laisser à l’abandon, on essaie d’être partout, mais un peu. Donc on a une présence
qui est très diluée. À Paris, on a cinq secteurs, avec deux ou trois équipes dessus, mais vu le nombre
de stations, c’est très peu. Pour couvrir toute la région parisienne hors Paris, on a quatorze secteurs.
Divisez la région en quatorze, ça fait une équipe sur chaque tronçon… on est partout, mais on est nulle
part. […] L’idée, ce serait de se concentrer sur les pôles de transports multimodaux : La Défense,
Massy-Palaiseau, Juvisy, ces endroits où il y a des gros nœuds de RER, de trains de banlieue, et de
bus et de tram. Se concentrer là, se montrer là, et partir de ce point-là et y rester toute la journée. […]
L’idée, c’est […] de baser les équipes là pour la journée, et de les faire circuler en étoile autour de ce
point-là. Et non plus de faire des aller-retour Paris - bout de ligne, ou Paris - milieu de ligne comme on
le fait aujourd’hui. […] Il faut… vouloir moins être partout et se concentrer sur des zones. Quitte à
modifier régulièrement les zones où on est. Mais se montrer plus et être concentrés sur des nœuds où
la délinquance a une réalité. » (Officier, BRF)
Récemment validée, la réforme du GPSR qui prendra effet à l’automne suit un mouvement assez
similaire. Si elle s’appuie sur une restructuration des services fonctionnels et de l’unité de
commandement, elle repose aussi, et surtout, sur une nouvelle politique de sectorisation (quatre
entités territoriales pour les zones Nord, Est, Sud, Ouest + une entité multi-secteurs), dans une
logique de concentration des moyens là où les besoins sont les plus criants. Cela se traduit par :
- une redistribution des effectifs, avec un renforcement des secteurs les plus sensibles au
détriment des autres ;
- une réduction du nombre d’implantations locales, pour optimiser les capacités de projection
des équipes à l’échelle d’un territoire plus large.
1
Loi ORTF n° 2009-1503 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions
relatives aux transports.
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pour les opérateurs historiques. Mais s’achemineront-ils vers un nouveau statut supra-
transporteurs (entité autonome) qui leur permettraient de se positionner comme des prestataires
de services pour l’ensemble des opérateurs ?
- Peut-on envisager une mutualisation des différents services chargés de la sécurisation dans les
transports publics franciliens ? En l’état actuel des choses, compte tenu des différences
d’objectifs et de cadres juridiques, une fusion de la BRF, du GPSR et de la branche francilienne
de la Suge semble assez peu probable. C’est toutefois une idée qui nous a été soumise à
plusieurs reprises dans le cadre de notre enquête, à la fois par des policiers et par des agents
des services de sécurité des transporteurs, considérant, pour les citer, qu’« après tout, [ils font]
tous à peu près le même travail… »
***
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ANNEXES
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Annexe 1
Composition du comité de pilotage
Pour le STIF
- Baya SEKHRAOUI, chargée de projet prévention/sécurité
Remplacée au cours de l’étude par :
- Marie FLEISCH, chargée de projet prévention/sécurité
Pour la SNCF
- Michèle FORT, responsable observatoire sûreté, direction de la sûreté
- Catherine LIZIER, pôle sûreté & lutte anti-fraude, SNCF proximités - Transilien
Remplacées au cours de l’étude par :
- Isabelle POTHERAT, responsable observatoire sûreté, direction de la sûreté
- François TULLI, directeur délégué Île-de-France, direction de la sûreté, responsable sûreté activité Transilien
- Bernard ROUSSEAU, chef de division sûreté, trains et lutte anti-fraude, SNCF Proximités –Transilien
Pour la RATP
- Josiane SOMMACAL, responsable coordination prévention, département de la sécurité
Pour Optile
- Alain RIOU, directeur du développement
Remplacé au cours de l’étude par :
- M. JAMET, directeur du développement
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Annexe 2
STIF
1 Chargé de projet prévention/sécurité, Stif 11/06/2012 MES
OPTILE
2 Responsable développement OPTILE 01/10/2012 MES
Directeur
Tice 5 20/11/2012 MES
Responsable prévention/sécurité
6 Coordonnateur médiation 20/11/2012 MES
RATP
Département 13/06/2012
15 Responsable coordination prévention MES
sécurité 26/06/2012
16 Directeur Sécurité des réseaux 10/07/2012 MES
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SNCF
Direction sûreté 23 Responsable adjoint, pôle partenariat 18/09/2012 MES
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SNCF (suite)
Déléguée locale sûreté/solidarité, gare Paris Saint-Lazare
Gares & connexions 56 28/05/2013 MES
Responsable de l’unité gare
Promevil MES
SDRPT
Contrôleur général, sous-directeur régional
66 15/06/2012 MES
Commandant, chef d’Etat-Major
BRF 67 Commissaire, chef adj. de la brigade des réseaux ferrés 10/07/2012 MES
06/07/2012
68 Commandant, chef du département de sécurisation générale 11/01/2013
MES
AUTRES
Commissaire divisionnaire, chef de l’UCSTC
UCSTC 81 15/10/2012 MES
Lieutenant-colonel de gendarmerie, chef adj. de l’UCSTC
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Séquences d’observation
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Annexe 3
Table des acronymes
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FIPD Fonds interministériel de prévention de la délinquance
GPSR Groupe de protection et de sécurisation des réseaux
IAU-îdF Institut d’aménagement et d’urbanisme île-de-France
IMS Intervention en milieu scolaire
IRAS Infractions révélées par l’activité des services
MES Mission études sécurité
OCC Opération ciblée et coordonnée
ONDRP Observatoire national de la délinquance dans les transports
OPJ Officier de police judiciaire
OPTILE Organisation professionnelle des transports d’Île-de-France
OVRD Opération visibilité rencontre dissuasion
PCNS Poste de commandement national sûreté
PIMMS Point information médiation multiservices
PM Polices municipales
PMR Personne à mobilité réduite
PNRQAD Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés
PP Préfecture de police
RATP Régie autonome des transports parisiens
RER Réseau express régional
RRS Responsable régional sûreté
RSA Responsable sûreté activité
SDRPT Sous-direction régionale de police des transports
SEM Société d’économie mixte
SNCF Société nationale des chemins de fer
SNPF Service national de police ferroviaire
SSNR Service de sécurisation nocturne des réseaux
SSRB Service de sécurisation des réseaux de banlieue
SSRP Service de sécurisation des réseaux de Paris
SSG Sociétés de sécurité et de gardiennage
STA Société de transport par autocars
STIF Syndicat des transports d’Île-de-France
SUGE Surveillance générale (nouvelle appellation : sûreté ferroviaire)
TP AMIS Titre professionnel d’agent de médiation, information, service
UAR Unité d’assistance rapide
UASG Unité d’accueil et de sécurisation des gares
UCSTC Unité de coordination de la sécurité dans les transports en commun
USTC Unité de sécurisation des transports en commun
ZSP Zone de sécurité prioritaire
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Juillet 2013
Juillet 2013