En 1619, le capitaine Sébastian de Pineda, qui avait été justicia mayor (gouverneur) du port de Cavite dans les îles Philippines, écrivit une brève mais importante relation « sur des choses afférentes aux Philippines », dans laquelle il...
moreEn 1619, le capitaine Sébastian de Pineda, qui avait été justicia mayor (gouverneur) du port de Cavite dans les îles Philippines, écrivit une brève mais importante relation « sur des choses afférentes aux Philippines », dans laquelle il exprimait son point de vue sur les problèmes qui touchaient l’archipel à ce moment. Dans ce rapport, une grand part est dédiée aux mousses (grumetes) philippins qui s’embarquaient à Manille, et qui à leur arrivée à Acapulco, se dispersaient sur le territoire de la Nouvelle Espagne pour ne pas revenir à leur pays d’origine. Il donna comme exemple le cas du galion Espíritu Santo, qui en 1618 arriva à Acapulco avec 75 mousses philippins, desquels seulement 5 revinrent dans l’archipel. Le capitaine Pineda, grand opposant à l’immigration philippine en Nouvelle Espagne, argumentait que le préjudice causé à la Couronne par cette pratique répétée de désertion, mettait en évidence au moins deux niveaux de faits : l’un de caractère moral, lorsqu’il déclarait que la majorité des Philippins qui restaient vivre en Nouvelle Espagne étaient préalablement mariés, mais se remariaient au lieu d’arrivée, commettant le délit de bigamie. Par ailleurs s’y ajoutait un trait économique, car selon lui beaucoup de ces Philippines s’occupaient à produire du vino de coco (alcool à partir du palmier) dans les haciendas de beneficio établies tout au long de la mer du Sud (Pacifique), ce qui favorisait la consommation de ce produit, et non le vin de Castille. Au final notre capitaine exhortait les autorités vice-royales à éviter à tout prix que les mousses asiatiques restassent en Nouvelle Espagne, et, comme avertissement et punition, que l’on coupât leurs palmiers et que l’on brûlât leurs bouteilles d’alcool.
Ces déclarations de Pineda doivent être mises en contexte dans le cadre d’une conjoncture histo¬rique qui n’a pas été suffisamment abordée encore, celle des déplacements transcontinentaux dans l’espace de la Monarchie hispanique, au long de l’époque moderne ; et plus encore l’histoire des connexions rurales et la circulation des savoirs traditionnels entre sociétés indigènes, à travers le Pacifique, aux temps du galion de Manille. C’est pour cela que dans cet article j’essaierai de mettre en scène les formes d’insertion des Philippins–connus en Nouvelle Espagne comme « Indiens chinois »- en particulier ceux que leur profession faisait appeler « vinateros » (producteurs de vin de palmier) dans la province de Colima, au long du XVIIe siècle. J’ai divisé le texte en deux parties : dans un premier temps je traiterai de quelques aspects sociaux de cette population, comme leurs origines géographiques, leur localisation à Colima, leur statut juridique, leur activité comme vinateros. Dans un second temps j’expliquerai les différents mécanismes d’insertion socio-économique de ces individus dans les différentes haciendas de beneficio de palma.