Le sujet que j’ai choisi d’aborder aujourd’hui, la présence d’une influence lucrétienne dans certains exposés de physique élémentaire, peut paraître surprenant dans la mesure où, s’agissant de la constitution de la matière, la théorie...
moreLe sujet que j’ai choisi d’aborder aujourd’hui, la présence d’une influence lucrétienne dans certains exposés de physique élémentaire, peut paraître surprenant dans la mesure où, s’agissant de la constitution de la matière, la théorie atomiste exposée par Lucrèce diffère dans son essence même de la physique qualitative aristotélicienne telle que la pratique encore massivement le XVIe siècle. Les travaux de Susanna Longo sur Lucrèce et Épicure à la Renaissance italienne ont en effet mis en évidence le fait essentiel que l’influence de l’atomisme dans l’univers mouvant de la physique universitaire ne se faisait pas sentir au niveau des théories sur la structure complexe de la matière, mais au contraire là où l’on s’interroge sur l’existence possible de minima quantitatifs et, bien sûr, dans les discussions qui touchent à l’existence du vide. Ce n’est donc pas sur la physique qualitative technique des universitaires aristotéliciens, telle qu’elle se déploie en particulier dans les commentaires du De Generatione et corruptione ou des Météorologiques, que je vais m’interroger aujourd’hui, mais sur des textes que l’on peut dire intermédiaires, c’est-à-dire plus nettement tournés vers la vulgarisation ou vers une libre interprétation des théories savantes, tout en demeurant d’un bon niveau scientifique. Il me semble en effet que certains d’entre eux attestent d’une forme de pénétration, certes discrète et plus ou moins explicite, mais néanmoins bien réelle, de la pensée épicurienne dans la réflexion sur les éléments et sur les corps composés, via le vecteur privilégié que constitue le De Rerum natura. L’un des points qui m’intéresse ici tout particulièrement est la possibilité que la lecture de Lucrèce ait pu influencer la manière de comprendre ou de rendre compte de la physique élémentaire aristotélicienne, sans qu’il y ait pour autant volonté manifeste de contredire ou d’infléchir cette doctrine, autrement dit que la force du modèle lucrétien, en particulier en raison de la puissance du poème, que soulignent ses lecteurs, ait pu, chez des « physiciens » qui n’avaient aucune intention particulière de céder aux sirènes de l’atomisme, contribuer, peut-être inconsciemment, à forger une vision singulière du monde, à construire une version de la physique des éléments qui a en réalité participé à sa transformation.