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COL L ÈGE DE FR A NCE – CN R S CE NTR E DE R ECH E RCH E D’H I STOI R E ET CIV I L I SATI ON DE BYZA NCE MONOGRAPHIES 43 R ICHESSE ET CROISSANCE AU MOYEN ÂGE. ORIENT ET OCCIDENT édité par Dominique Barthélemy et Jean-Marie Martin ACHCByz 52, rue du Cardinal Lemoine – 75005 Paris www.achcbyz.com 2014 INTRODUCTION Cette rencontre, à laquelle participent des médiévistes de plusieurs générations ayant pratiqué l’histoire économique et travaillant surtout (pas exclusivement) sur des régions méditerranéennes – occidentales, mais aussi byzantines et musulmanes – vise à faire le point sur la discipline. L’histoire économique médiévale – mais sans doute pas seulement médiévale – serait en crise. Cherchons à circonscrire cette crise. Les matériaux ne manquent pas ; les méthodes existent et ne demandent qu’à être ainées. Ce qui manque, ce sont les historiens qui choisissent cette branche de la recherche. Une telle constatation doit encore être nuancée : elle est, par exemple, plus valable en France qu’en Italie, où d’assez nombreux chercheurs s’aichent comme économistes sans craindre de passer pour ringards. On pourrait dicuter des causes de la spéciicité française dans ce domaine ; il est vrai que, pendant le dernier siècle, des Français ont, peut-être plus nombreux que d’autres, ouvert de nouvelles voies à la recherche historique, ce qui est évidemment positif ; mais ces nouvelles voies ont aussi entraîné un efet de mode – voire d’exclusion – exagéré. Alors que, dans les années 60 et 70 du siècle dernier, on cherchait à quantiier, à la suite des économistes (l’accessoire le plus sophistiqué de l’historien, qui ne disposait pas d’ordinateur, était alors la caisse enregistreuse), on compte encore (plus facilement), mais on considère souvent l’histoire économique comme secondaire et dépassée. Ajoutons à cela la crise – plus politique qu’intellectuelle – du marxisme et surtout, depuis peu, les conditions de l’« évaluation » de la recherche, qui détournent les chercheurs de tout travail de fond nécessitant des dépouillements systématiques, longs et ennuyeux – en histoire économique, mais aussi dans le domaine de la prosopographie et même de l’édition de sources. Il est temps de remettre de l’économie dans l’histoire médiévale, sans pour autant rejeter les nouveautés apportées dans d’autres domaines et qui donnent sa valeur à la « nouvelle histoire » (sinon quelques fantaisies inutiles, souvent venues d’outre-Atlantique). C’est Pierre Toubert qui a proposé le thème de la rencontre. Il nous a semblé qu’on pouvait, en introduction, poser quelques questions de méthode et de contenu tenant compte des récents développements de l’historiographie. On sait maintenant que le Moyen Âge – du moins au nord de la Méditerranée, mais en Orient comme en Occident – est, du point de vue économique, une période sans unité : deux crises majeures (mais aux conséquences bien diférentes), celle du viie et celle du xive siècle, séparées par une période de remarquable expansion continue, enin, après la seconde, un temps de réorganisation dans un climat nettement moins euphorique qui mène au xviiie siècle et est donc essentiellement moderne. Ces diverses phases, connues depuis longtemps, méritent encore d’être sérieusement approfondies. 6 INTRODUCTION Les voies d’approche se sont renouvelées. Si l’histoire économique elle-même est passée au second plan, plusieurs « sciences auxiliaires » qui la concernent au premier chef ont connu des développements assez spectaculaires. C’est le cas, en premier lieu, de l’archéologie médiévale, discipline née il y a environ un demi-siècle. Certes, c’est une discipline lourde (la prospection l’est déjà moins), qui demande des fonds importants et ne peut s’exercer que sous le patronage d’institutions solides ; en outre la publication des réultats est lente et coûte cher. Mais c’est à cette discipline qu’on doit aujourd’hui l’essentiel de nos connaissances sur les « dark ages », sur le « decline and fall of the Roman Empire » et, inalement, sur les liens entre Muhammad et Charlemagne. En Italie, Gian Pietro Brogiolo, Sauro Gelichi, Andrea Augenti dans le Nord et le Centre, Andrea Stafa dans les Abruzzes, Lucia Saguì à Rome, Giuliano Volpe, Paolo Peduto, Ghislaine Noyé et d’autres dans le Sud (pour nous limiter au très haut Moyen Âge) ont renouvelé la vision que nous avions de cette époque. Les villes ont connu une phase (du ive au vi/viie siècle) de profondes transformations, qui en ont altéré le centre monumental avant la grande crise qui, le plus souvent, les a drastiquement réduites au Nord et détruites au Sud. À la campagne, du moins dans le Sud, de nombreuses villae sont remplacées par des villages. La crise – démographique et économique – est brutale ; elle atteint d’abord (vie/viie siècle) les régions conquises par les Lombards, au viiie siècle seulement les zones restées byzantines. Même si on peut émettre des réserves sur l’exemplarité du site de la Crypta Balbi, au centre de Rome, on ne peut nier l’importance des résultats des fouilles qui y ont été menées. Les recherches archéologiques portant sur la période suivante – dont les résultats peuvent être confrontés aux données des textes – ont également fourni d’importants résultats (on pense notamment à celles d’Étienne Hubert dans le Latium, de Jean-Marie Pesez en Sicile, de Paolo Delogu en Campanie). Les trouvailles monétaires – notamment de trésors – et l’analyse technique et économique des monnaies et de leur circulation ont pratiquement bouleversé nos connaissances depuis cinquante ans ; on pense notamment aux travaux de Philip Grierson et de Cécile Morrisson. Cela dit, le renouvellement des données entraîne aussi celui des questions : on sait probablement moins sûrement qu’on ne le croyait autrefois à quoi servait la monnaie. On connaît les discussions sur son rôle commercial dans l’Occident du haut Moyen Âge : si elle est nécessaire au mécanisme économique, la place qu’elle y occupe reste peu précise. On constate, en tout cas, une diférence nette, du moins jusqu’au xie siècle, dans son usage entre Occident et monde byzantin (et sans doute certaines régions au moins du monde musulman) ; à Byzance, son rôle dépasse largement le circuit commercial et sert d’abord à l’État, acteur économique majeur en tant que percepteur et distributeur. L’évolution politique de l’Orient byzantin, mais surtout de l’Occident, dont l’étude est actuellement au premier plan des préoccupations historiques, a des rapports fondamentaux et évidents avec la production monétaire et l’évolution des prélèvements, que les États occidentaux commencent à systématiser à partir du xiiie siècle ; les rapports entre prélèvements de l’État et prélèvement seigneurial ne semblent pas avoir fait l’objet d’tudes globales. INTRODUCTION 7 Cependant, l’histoire politique et idéologique – disons la « nouvelle histoire » – d’une manière générale peut et doit servir l’histoire économique : dons et contre-dons, ofrandes, legs, actions de bienfaisance, taxes indirectes, prélèvements économiques et politiques ne peuvent se comprendre sans en connaître les motivations, les pressions exercées, les éventuelles résistances ; à leur tour, ces phénomènes servent à évaluer la puissance, la contrainte, bref les relations entre les percepteurs (au sens large) et ceux qui les alimentent. De ce point de vue, l’Empire byzantin est relativement mieux éclairé (en dépit du nombre restreint de sources écrites) puisque, dès l’abord, l’histoire byzantine a été avant tout l’histoire de l’État, de ses rapports avec la population et avec les puissants. Je doute que la documentation permette des analyses aussi ines dans le monde musulman, mais je sais, par exemple, que le service des prélèvements publics de la Sicile normande (diwan al-tahqiq al-ma‘mur) est d’inspiration fâtimide. Le prélèvement, au demeurant, n’est pas un monopole d’État. Le prélèvement seigneurial, à l’échelle de l’Occident (où il est mieux documenté et sans doute plus important) mériterait une approche à la fois globale et diférenciée : depuis la grande synthèse de Georges Duby sur L’économie rurale et la vie des campagnes, sortie il y a cinquante ans, de nouvelles analyses ont été menées, notamment sur l’Europe méditerranéenne (je pense évidemment à la thèse de Pierre Toubert, à celle de Pierre Bonnassie), alors encore très mal connue. Il faudrait encore, parmi d’autres, reprendre le problème – à la fois économique et social – qui semble avoir suscité peu d’intérêt au cours du dernier demi-siècle, de la naissance d’une catégorie d’hommes d’afaires dont le développement, en Occident, est d’ailleurs en bonne partie lié à celui de l’État. Le problème était à l’ordre du jour quand j’étais étudiant et les travaux, alors célèbres, d’Yves Renouard ou d’Armando Sapori, sont encore parfaitement lisibles aujourd’hui, mais auraient besoin d’être ajournés et replacés dans un contexte global qu’on connaît mieux. L’émergence de ces hommes ‘afaires constitue l’un des marqueurs les plus sûrs du développement économique à partir du xiie siècle. Pour inir, on voudrait énoncer – ou plutôt rappeler – quelques points de méthode. Les sources écrites de l’histoire économique du Moyen Âge présentent de telles disparités qu’elles doivent être traitées de façons très diférentes les unes des autres. Celles du haut Moyen Âge – comme d’ailleurs les sources byzantines et, sans doute, musulmanes – ne peuvent permettre de faire de l’histoire économique pure, à de rarisimes exceptions près (les polyptyques carolingiens) ; à partir du xiiie ou du xive siècle, on commence à disposer de sources sérielles, parfois aussi précises que celles de l’époque moderne. Second point : la méthode quantitative, l’usage de nombres, ne peut être mise en œuvre que quand les sources mêmes fournissent des chifres comparables. Je me souviens que, lors de sa soutenance de thèse, Pierre Toubert l’avait publiquement condamnée pour le haut Moyen Âge – sauf évidentes exceptions. Or l’histoire économique ne peut se passer totalement du quantitatif ; elle doit souvent se contenter de vagues estimations et de tendances convergentes ; le refus même de la précision quand celle-ci est méthodologiquement inaccessible est sans doute un acquis récent de l’histoire économique. Jean-Marie Martin TABLE DES MATIÈRES Introduction .............................................................................................................................. 5 PREMIÈRE PARTIE : LE MONDE BYZANTIN .................................... 9 Cécile Morrisson La place de Byzance dans l’histoire de l’économie médiévale (717 ENV. – 1204) : méthodes, acquis, perspectives ......................................................... 11 Vivien Prigent La Siberia dell’Impero. Notes sur l’économie de la province byzantine de Sicile. ............................................................................................... 31 DEUXIÈME PARTIE : L’ITALIE ....................................................................... 57 Jean-Marie Martin Quelques rélexions sur l’évolution économique du Mezzogiorno (vie–xiiie siècle) ................................................................................................................................ 59 Jean-Pierre Delumeau Sur la croissance rurale et urbaine en Toscane, xe-xiie siècles ........................................... 79 Paolo Cammarosano Finanze e iscalità pubblica nelle città comunali italiane (secoli xii-xv): bilanci e prospettive .......................................................................................................................... 97 TROISIÈME PARTIE : L’ESPAGNE .............................................................. 109 Philippe Sénac Frontier or not rontier ? Quelques remarques sur les relations commerciales entre la Gaule carolingienne et al-Andalus (viiie-ixe siècles) ........................................... 111 Antonio Malpica Cuello Eau et agro-écosystème irrigué dans al-Andalus. Histoire économique et archéologie du paysage ................................................................... 133 QUATRIÈME PARTIE : LA FRANCE ....................................................... 149 Luc Bourgeois Production et distinction : l’artisan au château (Nord-Ouest de l’Europe, xe-xiie siècles) ................................................................................ 151 Dominique Barthélemy Économie monastique et société féodale : les cadeaux ou « charités » des moines Aux chevaliers, en France de l’Ouest au xie siècle ................................................................ 183 Julie Claustre Du crédit à la dette. Remarques sur l’apport de la documentation judiciaire à l’histoire économique du Moyen Âge ....................................................................................... 225 Nicolas Carrier Malthus à la montagne ? Les Alpes dans la conjoncture économique de la in du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) ................................................................................ 245 Pierre Toubert POSTFACE .......................................................................................................................................... 263 INDEX NOMINUM ET LOCORUM ............................................................................................ 269