Nicolas Bock
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir.
Enluminure, cérémonial et idéologie monarchique au XJVe siècle
Esagero, si capisce, ma in fondo lutta
la liturgia non è altro che un sistema di
formalità in cui le apparenze definiscono la sostanza.
Luigi Malerba, Le maschere
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir - appelé aussi Ordre du Nœud à
cause de l'emblème en forme de nœud porté par ses membres sur la poitrine fut fondé en 1352 par Louis de Tarente, roi de Naples.' Outre les nobles les plus
importants du royaume, des étrangers tels que le Duc Bemab6 Visconti de Milan ont aussi fait partie des trois cents membres prévus à l'origine. 2 Les statuts
furent ornés d'une cinquantaine de magnifiques miniatures par Cristoforo
Orminia, un des plus importants enlumineurs de Naples. 3 Ce manuscrit de 17
!. L'année 1352 est donnée par les statuts de l'ordre et par le Chronicon Siculum, Josephus
de Blasiis ed., Napoli 1887, p. 17. Matteo Villani, Cronica, Giuseppe Porta ed., Parma 1995, vol.
I, p. 428 s., lib. III, cap. 83 cite au contraire !'an 1353 comme année de la fondation de !'ordre en
confondant la date avec celle de la première réuniori. D' Arcy Jonathan Dacre Boulton, The
knights of the crown. The monarchical orders of knighthood in Later medieval Europe 13251520, Suffolk 1987, p. 216 estime que la «'foundation' consisted of nothing more substantial than
a proclamation». Pareillement Émile G. Léonard, Histoire de Jeanne !', reine de Naples,
comtesse de Provence (1343-1382), 3 vol., Monaco-Paris 1932-37 (Collection des mémoires et
documents historiques IX), vol. III, p. 12. Tout à fait comparable est la fondation de !'Ordre de
!'Etoile en 1351 qui a vécu sa première et dernière réunion en août 1352. À propos de !'Ordre de
/'Etoile voir Boulton, p. 167-210.
2. Matteo Camera, Elucubrazioni storico-diplomatiche su Giovanna l" e Carlo III di Duraz.zo,
Salerno 1889, p. 171 cite comme membres Luigi Sanseverino, Guglielmo del Balzo conte di Nola,
Francesco Loffredo, Roberto Seripando, Gurello di Tocco, Giacomo Caracciolo, Roberto di Burgenza, Coluccio Bozzuto, Cristofaro de Costanzo, Matteo Boccapianola et Ludovico de Sabran conte di
Apice. Matteo Villani (n. 1), vol. I, p. 428 s., lib. III, cap. LXXXIII parle seulement de soixante
membres de !'ordre - et il est probablement beaucoup plus proche de la réalité. L' Ordre de la
Jarretière avait prévu également 300 membres. Boulton (n. !), p. 107, n. 2.
3. Une étude approfondie d' Andreas Brâm, Die neapolitanischen Bilderbibeln im Trecento,
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Nicolas Bock
pages, qui se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque nationale de France à Paris,
Ms. fr. 4274, n'est pas seulement la source documentaire la plus importante
pour cet ordre chevaleresque, mais il est aussi le seul exemplaire conservé des
statuts d'un ordre du Moyen Âge qui soit enluminé. 4 Il constitue donc l'une des
sources les plus importantes pour l'histoire visuelle des ordres chevaleresques
en général.
Une analyse approfondie des cérémonies représentées dans les miniatures
révèle des différences notables entre les images et la réalité. En particulier, la
reprise du baise-pied du cérémonial papal apparaît peu probable dans le
contexte historique. Dans ce sens, les miniatures des statuts de l' Ordre du SaintEsprit sont moins une reproduction d'une réalité historique qu'une vision idéale
du cérémonial de la cour napolitaine. En outre, par le choix surprenant de· 1a
Trinité comme saint patron de l'ordre - au lieu du saint habituel des autres
ordres chevaleresques - les miniatures des statuts se révèlent un document
important pour le développement de la justification théocratique du pouvoir
royal vers le milieu du XIV' siècle. Les miniatures concernent donc un
problème central de la théorie monarchique discutée par les savants de cour
durant tout le XIV' siècle européen, aussi bien chez le pape Boniface VIII et
Cola di Rienzo à Rome, que chez Charles V en France ou Edward III et
Richard II en Angleterre.
État de la recherche
Les statuts enluminés mis à part, il n'existe plus guère de documents
historiques sur la vie de !'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir. 5 En fait, l'ordre
n'est jamais apparu sur la scène politique, on ne l'a jamais vu activement engagé dans une guerre quelconque, et comme il a cessé d'exister au plus tard au
est en préparation. Pour Orimina cf. Alessandra Perricioli Saggese, "Aggiunte a Cristoforo
Orimina", in Studi di storia dell'arte in onore di Mario Rotili, Benevento 1984, vol. I, p. 251-259.
Dernièrement Pierluigi Leone de Castris, "Orimina, Cristoforo", in The Dictionary of Art, Jane
Turner ed., 34 vol., London 1996, vol. XXIII, p. 505 s. avec bibliographie. Pour les relations entre
la miniature napolitaine et celle de Hongrie voir Ernô Marosi, "Das Frontispiz der ungarischen
Bilderchronik (Cod. lat. 404 der Széchényi-Nationalbibliothek in Budapest)", Wiener Jahrbuch
far Kunstgeschichte, XLVI/XLVII (1993/94), p. 357-373, n. 3.
4. Pour les divers propriétaires voir Camera (n. 2), p. 171 s. Boulton (n. 1), p. 219, n. 10.
Andreas Bram, "Zeremoniell und Miniatur im Neapel der Anjou. Die Statuten vom Orden des
Heiligen Geistes des Ludwig von Tarent. Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. fr. 4274",
Romisches Jahrbuch der Bibliotheca Hertziana (sous presse), n. 13. Les citations se réfèrent à son
manuscrit.
5. a) La copie d'une lettre à Louis de Sabran, Comte d' Apice, dans lequel le roi lui offre
d'entrer dans l'ordre. Cf. ici appendice I. Camera (n. 2), p. 171 cite comme source le Recueil de
Nicola d' Alife, fol. 195". Traduction en anglais chez Boulton (n. !), p. 217 s.
b) L'ordre est cité brièvement dans deux chroniques, notamment dans le Chronicon Siculum
(n. 1) et chez Villani (n. !), vol. I, p. 428 s., lib. III, cap. LXXXIII.
c) Un paragraphe dans une lettre de Boccace. Émile Léonard, Boccace et Naples, Paris
1944, p. 112-116.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
417
moment du décès de son fondateur le roi Louis de Tarente, environ une dizaine
d'années après sa fondation, il est donc peu surprenant qu'il n'ait jamais été
sérieusement pris en compte par les historiens. 6 Le grand biographe de Jeanne Je
d'Anjou et de son mari Louis de Tarente, Émile Léonard, considère cet ordre
comme l'expression du rêve chevaleresque d'un roi, qui était incapable de
maîtriser la cruelle réalité des intrigues de la cour. 7 Les historiens de l'art, comme Ferdinando Bologna et Pierluigi Leone de Castris, se sont brièvement intèressés au style des miniatures des statuts, mais sans accorder aucun intérêt au
texte adjacent. s
C'est la recherche anglo-saxonne pour la culture des cours au Moyen Âge
qui a renouvelé l'intérêt pour les ordres chevaleresques. En 1987, dans son
grand ouvrage sur ces derniers, D' Arcy Jonathan Dacre Boulton résume la
recherche précédente, et compare !'Ordre du Saint-Esprit avec ses précurseurs,
en particulier avec l' Ordre de Saint Georges hongrois, ou encore l' Ordre de
!'Étoile (fondé en France quelques mois avant l'ordre napolitain, en 1351).9
Léonard ayant déjà souligné le rôle du grand sénéchal Nicola Acciaiuoli dans la
fondation de l' Ordre du Saint-Esprit, 10 Boulton lui attribue presque l'entière
responsabilité de celle-ci - sans toutefois justifier plus précisément cette hypothèse. En comparaison avec les autres ordres plus anciens, Boulton souligne les
liens étroits entre l'ordre napolitain et l'idéal littéraire des chevaliers de la Table
Ronde, l'ordre mythique du roi Arthur. Il remarque que la quête d'aventures des
chevaliers, puis la transposition littéraire de ces aventures remplacent quasiment
les preuves de courage lors de vrais combats de guerre, comme par exemple
celles qui furent exigées des membres de !'Ordre de !'Étoile lors de la guerre de
Cent Ans. Malgré tout, Boulton voit un but politique dans la fondation de
!'Ordre du Saint Esprit, c'est-à-dire la fondation d'un parti fidèle au roi parmi la
noblesse du royaume. 11
La contribution la plus récente à la recherche vient d' Andreas Bram, qui a
fait une nouvelle édition complète du manuscrit et commenté les miniatures. 12
6. La connaissance de l'ordre dans la littérature plus tardive se base selon Boulton (n. !), p.
216 surtout sur Pandolfo Collenuccio, Compendio dell'istoria del regno di Napoli, Venezia 1539,
1613.
7. Léonard (n. !), vol. ill, p. 12-23.
8. Pierluigi Leone de Castris, Arte di carte nella Napoli angioina, Firenze 1986, p. 378-381
se permit deux phrases sur !'ordre. Ferdinando Balogna, I pittori alla carte Angioina di Napoli
(1266-1414), Roma 1969 (Saggi e Studi di Storia dell' Arte II).
9. Boulton (n. 1), p. 211-240.
10. Léonard (n. 1), vol. III, p. 15. Très explicitement Émile G. Léonard, Gli Angioini di Napoli, Paris 1954, traduction italienne Varese 1967, p. 463-467.
11. Paravicini (n. 9), p. 22 s. Jacques Heers, Fêtes, jeux et joutes dans les sociétés d'occident
à la fin du moyen âge, Paris-Montréal 1971 (Conférence Albert-le-Grand), p. 41 caractérise les
ordres chevaleresques généralement comme 'ordres politiques'. Pour l'aspect social voir Peter
Johanek, "Fest und Integration", in Feste und Feiern im Mittelalter. Paderbomer Symposium des
Mediavistenverbandes, Detlev Altenburg, Jërg Jamut, Hans-Hugo Steinhoff edd., Sigmaringen
1991, p. 525-540.
12. Bram (n. 4), p. 6 voit des parallèles bibliques dans le nombre des membres. Je remercie
418
Nicolas Bock
Comme Boulton, Bram voit dans la fondation de l'ordre l'occasion de créer un
parti politique fidèle au roi. Mais le désir du roi de partir en croisade contre les
infidèles serait, selon lui, encore plus décisif, 13 désir de croisade qui jouait au
même moment (1347) un rôle central dans la fondation de !'Ordre de !'Epée à
Chypre. 14 On sait que Louis de Tarente était particulièrement attaché à la
tradition française, et que son modèle était Saint Louis. De plus, le paragraphe 9
des statuts de !'Ordre du Saint-Esprit nomme explicitement un «voyage outremer», et !'iconographie des batailles dans les miniatures flanquant les paragraphes 24 et 25 représente les ennemis comme des infidèles (fig. 16). 15 Au
contraire de Boulton, Bram relativise le rôle de Nicola Acciaiuoli dans la rédaction des statuts. Il conclut ses explications par une comparaison des illustrations du manuscrit avec celles du livre du couronnement de Charles V de France, dans lesquelles il voit également une représentation pragmatique et directive
des cérémonies de la cour - «eine vergleichbare Verbindung von Handlungsanweisung und einem bildlichen Vollzug hofischer Reprasentation».
Voici donc la difficulté principale liée aux statuts de !'Ordre du SaintEsprit. D'une part, ils apparaissent comme un reportage historiquement fidèle,
qui illustre en détail une série de cérémonies chevaleresques. D'autre part, l'opinion des chercheurs diverge complètement sur le but de la fondation et son caractère: L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir était-il d'abord l'instrument représentatif d'une unité politique (Boulton), la troupe de combat d'élite d'une future croisade (Bram), ou seulement la mise en scène vaniteuse des rêves chevaleresques d'un roi sans pouvoir (Léonard)? La situation politique compliquée
dans laquelle se trouvait la monarchie napolitaine depuis la mort de Robert le
Sage en 1343 et l'insuffisance des recherches historiques sur cette période
compliquent encore la résolution de ce problème. 16
Nous voulons donc essayer une fois encore de comprendre les visées concrètes de la fondation de !'Ordre du Saint-Esprit, et de définir plus précisément
le rôle du cérémonial dans la représentation du roi Louis de Tarente. À travers
une reconstruction minutieuse de !'arrière-plan historique, on peut démontrer
que les illustrations des statuts de !'Ordre du Saint-Esprit et le cérémonial
Andreas Bram pour la générosité avec laquelle il a laissé son matériel et ses photos à ma
disposition.
13. Briim (n. 4), p. 11, renvoie à l'alliance entre la France, le Pape, Venise et Byzance, conclue en 1334 pour la défense de Smyrne contre les Turcs.
14. L'Ordre de !'Epée n'est fondé officiellement qu'en 1359. Pour les préparations voir
Boulton (n. 1), p. 241-248.
15. La relation étroite entre les statuts de l'ordre et l'intention d'une croisade est également
visible dans le fait que l'évocation du Saint-Esprit au début de la réunion de l'ordre correspond à
l'hymne de Hrabanus Maurus, Veni creator spiritus, chanté par les chevaliers en 1248 à l'occasion de !'embarquement pour la Terre Sainte.
16. Du point de vue historique, on a jusqu'ici pensé que la représentation monarchique était
arrivée à son apogée sous le règne du roi Robert le Sage (1309-1343), suivi par le chaos et la confusion. II n'y a malheureusement pas des recherches historiques plus récentes sur la deuxième
moitié du xrve siècle.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
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représenté ne sont en aucune façon des images réalistes de la vie à la cour de
Naples, mais au contraire une prise de position élaborée face aux théories monarchiques vers le milieu du XIV' siècle. C'est du caractère unilatéral des points
de vue - soit de l'historien, soit de l'historien de l'art - que découlèrent les difficultés des recherches précédentes. Dans des cas comme celui-ci, les réponses à
des questions importantes pour l'historien de l'art - comme la question du but
de la commande du livre ou celle de la relation entre texte et image - ne peuvent
se trouver qu'à travers une reconstruction précise de larrière-plan historique.
Ainsi, dans le jeu finement travaillé des diverses cérémonies publiques - telles
que le couronnement, la translation du cadavre de la reine mère et la fondation
d'un ordre chevaleresque - Jeanne I d'Anjou et Louis de Tarente ont cherché à
donner une image légitime et représentative de leur souveraineté, tant au niveau
local qu'intemational. La première et seule réunion de l'ordre, le jour anniversaire du couronnement en 1353, servait déjà de memoria à cet événement, et la
commande de la version précieuse des statuts, faite probablement dès 1354, doit
certainement être vue comme directement liée aux événements du couronnement.
0
Les statuts de l'ordre
Puisque les miniatures de l'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir sont
l'unique témoignage visuel de la vie de lordre, il faut ici les présenter rapidement. Au début du manuscrit, on voit une miniature en pleine page de la Trinité
devant laquelle le couple royal est agenouillé, Jeanne et Louis chacun accompagné par une personne de son entourage (fig. 1). 17 La page suivante nous montre le roi trônant avec sa cour, un scribe à ses pieds, et à côté les premiers mots
des statuts, décrivant la fondation de l'ordre le jour du couronnement en 1352
(fig. 2). Les paragraphes suivants traitent successivement du serment de fidélité
que les chevaliers agenouillés prêtent devant un livre ouvert (la Bible ou les
statuts de lordre?) (fig. 3), puis des règlements au sujet des vêtements (folio 4',
fig. 4). 18 Directement sous la miniature correspondante qui montre le roi Louis
et ses chevaliers debout sous un baldaquin gothique, au lieu d'une illustration se
trouve une inscription encadrée de la même façon que les miniatures, qui ren17. Tous les deux sont nommés explicitement sur le cadre inférieur: D(omi)N(u)S LUDOVICUS REX, D(omi)NA IOhANNA REGINA. Et sur le cadre supérieur: LUDUVEUS DEI
GRATIA REX IERU(sa)L(e)M ET SICILIE.
18. Pour la signification de cette 'livrée' ou 'devise' cf. Simona Slanicka, '"Der Knotenstock ist abgehobelt' Der Hobel ais Sinnbild der 'Réformation' bei Johann ohne Furcht, Herzog
von Burgund", in Bi/der, Texte, Rituale. Wirklichkeitsbezug und Wirklichkeitskonstruktion
politisclz-rechtlicher Kommunikationsmedien in Stadt- und Adelsgesellschaften des spaten Mittelalters, Klaus Schreiner, Gabriela Signori edd., Berlin 2000 (Zeitschrift für historische Forschung,
Beiheft XXIV), p. 165-198, ici 169-171. Depuis 1382 et selon le modèle anglais, les devises étaient
introduites par Charles VI de France pour créer une «fiktive Gesellschaft von Gleichgestellten».
«Mit ihrer Scheinegalittit übernahmen die Devisen ein Modell, das bislang im kleinen Kreis der
Ritterorden praktiziert worden war und dehnten es auf die Gesamtheit einer Klientel aus».
420
Nicolas Bock
voie à deux additions au paragraphe trois (§§ 24, 25) à la fin du manuscrit. Ce
paragraphe 3 indique quelles prouesses guerrières donnent droit au signe de
distinction qu'est le port du nœud délié. Or, lors de la première assemblée
plénière en 1353, des précisions furent apportées sur ce point, et ajoutées aux
statuts déjà rédigés. 19
Ce renvoi écrit inséré à la place d'une miniature ne peut que difficilement
s'interpréter comme dû au manque d'imagination de l'enlumineur face à la disposition en question - au contraire, car les deux paragraphes ajoutés sont
chacun illustré avec une miniature. Il apparaît plutôt comme une forme artistiquement raffinée de glose. Il faut donc supposer que le manuscrit de Paris est
une copie précieuse des statuts originaux de 1352, qui - à l'instar de tous les
règlements d'ordre chevalier qui nous sont parvenus - n'avait pas encore été
enluminée, et à laquelle on a simplement ajouté à la fin les modifications dues à
l'assemblée de 1353, ainsi que le renvoi. Puis, pour la version enluminée, on a
fidèlement suivi le modèle: De plus, l'identification de l'année MCCCLIIII sur
l'inscription tombale des illustrations des paragraphes 20-22 (fig. 14) implique
que le manuscrit parisien est probablement né au plus tôt en 1354, c'est-à-dire
deux ans après la formation de l'ordre.2° Et l'uniformité de l'écriture suggère
une création en un seul jet, puisqu'elle ne laisse déceler aucune différence pour
les deux derniers paragraphes, contrairement à ce qui serait sans doute apparu
lors d'un ajout ultérieur. Le copiste, qui ne pouvait pas modifier l'ordre du texte
pour des raisons juridiques, a donc transformé la glose du paragraphe 3 de l'original en une pancarte précieuse.
Les règlements portés au verso du folio 4 traitent du marquage des armes
(fig. 5), du jeûne et des aumônes que le roi fait distribuer dans la miniature attenante par l'ecclésiastique de l'ordre qui est fréquemment représenté dans le manuscrit. Au recto du folio 5, quinze miniatures dépeignent comme une épopée le
voyage des chevaliers vers Naples pour l'assemblée générale (fig. 6). Ce voyage
se termine par l'hommage au roi conclu par un baise-pied. Au verso, les chevaliers offrent au roi le rouleau contenant le récit de leurs aventures, en rendant
une fois de plus hommage au roi par un baise-pied (fig. 7). Les récits sont
confiés à l'ecclésiastique, certainement responsable du livre d'aventures. Cette
19. Le troisième paragraphe constate seulement que le combat ne peut pas être mené contre
!'église romaine et que le membre de !'ordre doit le finir avec honneur. Dans ce cas, le nœud peut
être porté de façon déliée. Après la visite au Saint-Sépulcre, où le nœud du chevalier sera affiché
avec son nom, le chevalier le portera de façon liée, mais cette fois avec la devise «Il a plu à Dieu»
et avec les rayons du Saint-Esprit.
Les paragraphes 24 et 25 fixent le nombre des adversaires à 50 au minimum, respectivement à
300 pour des batailles plus grandes. Le nombre des membres de l'ordre ne doit en aucun cas dépasser
le nombre des adversaires. En plus, ces paragraphes prescrivent un comportement très courageux.
20. Boulton (n. 1), p. 219 date les statuts qui sont, pour lui, identiques au le manuscrit
parisien - d'avant la première réunion à pentecôte en 1353. La miniature qui, selon lui, se trouvait
à l'origine à côté du paragraphe 3, a été effacée dans un deuxième temps, justement pour y mettre
le renvoi aux additions à la fin des statuts. Le manuscrit, au contraire, ne montre aucune trace
d'une manipulation postérieure ou d'un effacement.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
421
collection de récits de voyage et d'aventures devait non seulement témoigner de
la bravoure des membres de !'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir, mais aussi
le rendre littérairement célèbre à l'image des chevaliers de la Table Ronde du
mythique roi Arthur. 2'
Les quatre illustrations suivantes, sur le folio 6 recto et verso, ont comme thème le départ vers la Terre Sainte, sa libération des infidèles, et le cri de bataille
des chevaliers (fig. 8, 9). On y voit les chevaliers chevauchant, et l'embarquement
en Terre Sainte. Au paragraphe 11, illustré de quatre miniatures, on retourne à la
réunion annuelle et au repas officiel (fig. 9). Pour punir les membres déméritants,
on les assoit à une table plus petite, au centre de l'assemblée. Le folio 7 recto
montre un chevalier demandant au roi, avec un baise-pied, la permission d'entreprendre un long voyage (fig. 10). En plus, le texte souligné la sollicitude du roi ei
des seigneurs de l'ordre envers les pauvres. Les statuts comme ceux de l' Ordre de
la Jarretière anglais prévoient la création d'un hôpital pour les vieux et handicapés. Au verso, on lit que, pour des exploits hors du commun, certains chevaliers
peuvent prendre place à la table du roi. Le Parlement et la démission d'un chevalier qui a l'intention d'adhérer à un autre ordre sont les thèmes de la page suivante (folio 8', fig. 12). Après la représentation de l'accolade, sur le verso du folio
8, les cinq miniatures suivantes montrent la marche à suivre à la mort d'un chevalier.22 À l'origine, le manuscrit s'arrêtait là, mais en 1353 on y a ajouté deux paragraphes, qui concernent le port de l'insigne, et règlent les circonstances et les
succès guerriers qui permettent à un chevalier de porter le nœud délié. Ils sont
illustrés avec des batailles équestres (fig. 16).
La plupart des éléments des statuts s'inscrivent dans la tradition des ordres
chevaleresques monarchiques. Les grands banquets, la codification des vêtements, la réglementation des combats et les conventions pour la commémoration des morts sont des éléments typiques de ces associations chevaleresques. 23
21. Cf. Villani (n. 1), vol. II, p. 580, lib. X, cap.Cà propos de Louis de Tarente qui utilisait
beaucoup de récits chevaleresques: «Delle magnifiche cose che a·llui parea avere fatto a tempo di
guerra e di pace, tanto si lodava e vantava, che ogni uomo che ·ll'udia tediano facea maravigliare:
e di tali frasche fece comporre scritture d'alto dittato, compiacendosi nelle proprie lusinghe».
Léonard (n. 1), vol. III, p. 21 propose qu'un des deux livres, donnés par Charles III d'AnjouDurazzo à l'Ordine della Nave, qu'il avait fondé auparavant, était le livre des aventures de
!'Ordre du Saint-Esprit. Pour cet ordre voir Boulton (n. l), p. 291-324.
22. Louis de Tarente avait déjà donné une grande importance à son propre adoubement par
le Doge Guernieri, reçu après son retour à Naples. Villani (n. 1), vol. I, p. 44, lib. I, cap. XXIII.
23. Il existe encore le monument funéraire de Roberto de Burgenza ou de Diano à S. Chiara
(fig. 18). Cesare d'Engenio Caracciolo, Napoli Sacra, Napoli 1624, p. 240 donne l'inscription:
Hic iacet corpus viri magnifici Domini Roberti de Burgentia militis ipsius Terre Burgentie, Camerote et Campore domini, qui obiit anno Domini 1354 die XI mensis novembris. Camera (n. 2),
p. 169 s. complète la date avec Vlll lndictione et il donne à p. 111, n. 4 le Piémont comme pays
d'origine. Sarah Bevan, Sepulcral Monuments in Naples and the Neighbouring Region. 1300-1421,
Ph. D. Oxford 1979, p. 381-384, cat. nr. 53.
Camera (n. 2), p. 169 cite encore un autre monument funéraire, disparu aujourd'hui, qui se
trouvait dans la Cathédrale et qui appartenait à Coluccio Bozzuto. L'inscription est donnée
comme suit: Hic iacet strenuus miles Colutius Buczutus filius eius qui fuit de societate Nodi illu-
422
Nicolas Bock
«Effaucement de chevalerie et accroissement donnour», cité comme but dans
l'avant-propos des statuts de !'Ordre du Saint-Esprit, est un standard de toutes
les fondations d'ordres chevaleresques. On retrouve ce but dans !'Ordre de
Saint-George en Hongrie en 1325/26, dans !'Ordre de la Bande en Castille en
1330, dans !'Ordre de la Jarretière en Angleterre en 1349 et dans !'Ordre de
['Étoile en France en 1351.24 Le modèle commun est toujours et partout celui
des chevaliers de la Table Ronde du roi Arthur. 25 La littérature chevaleresque,
très appréciée à Naples, avait propagé cet idéal dans tout le monde occidental et
formait, déjà au temps de Charles II, une grande partie de la production des
livres enluminés. 26 Il n'est donc guère étonnant de voir qu'un des buts princistris Ludovici Regis Sicilie quem nodum in campali hello victoriose dissolvit et dictum nodum
relegavit in Hierusalem; qui obiit anno Domini MCCCIXX die octavo mensis septembris IX lndict.
Cuius anima requiescat in pace. Amen. Le monument funéraire était placé dans le transept nord
proche de la sacristie. De chaque côté du cimier du défunt, il y avait des nœuds peints avec la croix
de Jérusalem au centre. Camera propose une lecture différente: à la place dufilius eius, il litfilius
Jacobi parce que l'inscription devrait se référer au monument du père directement au-dessus (mais
également disparu aujourd'hui). Iacobus Bozzutus était lui aussi membre d'un ordre chevaleresque,
!'Ordre de !'Etoile. Voir l'inscription: Hic iacet egregius miles Jacobus Buczutus qui fuit de
societate Stelle illustris domini Joannis Regis Francorum et Collateralis et Consiliarij incliti domini
Ludovici ducis Duracij 1358 die ... À propos des monuments funéraires d'autres membres de la
famille, notamment de Niccolo et de Francesco Bozzuto, les deux aujourd'hui au Museo di San
Martino, voir Bevan p. 388. Pour l'indication que Niccolo était parmi les premiers membres de
!'Ordre du Nœud, l'auteur renvoie à Berardo Candida-Gonzaga, Memorie dellefamiglie nobili delle
provincie meridionali d'Italia, 6 vol., Napoli 1875-1882, rééd. Bologna 1965, ici vol. I, p. 132.
24. Bien que le français eût perdu toute son importance pour !'administration du royaume, il
faut souligner son rôle comme 'langue de culture'. Léonard (n. 1), vol. III, p. 13 s. voit dans le
choix de la langue française surtout un rapport direct aux statuts de !'Ordre de !'Etoile ou de la
Noble Maison fondé en 1351. La lettre de Jean le Bon du 6 novembre 1351 utilise presque les
mêmes mots que ceux employés dans les statuts de!' Ordre du Nœud pour décrire l'intention de la
fondation: «En essaucement de chevalerie et accroissement d'onneur». Comme exemple de
l'utilisation du français dans des inscriptions représentatives, il faut aussi citer le monument
funéraire de l'amiral Ludovico Aldomoresco à S. Lorenzo Maggiore (1421). Nicolas Bock, Kunst
am Hofe der Anjou-Durazzo. Der Bildhauer Antonio Baboccio 1351 - ca. 1423, Berlin-München
2001 (Italienische Forschungen des Kunsthistorischen Instituts Florenz, I Mandorli I), p. 368-396,
433-436, Kat. Nr. 4. Pour le niveau linguistique et le développement du 'Volgare' à Naples voir
Francesco Sabatini, "La cultura a Napoli nell'età Angoina", Storia di Napoli, vol. IV, 2, Napoli
1974, p. 168 S.
25. Le paragraphe 18 des statuts de !'Ordre del'Etoile prévoyait en analogie avec les 'neuf
preux' une table d'honneur de neuf chevaliers méritants. Boulton (n. 1), p. 179. Contrairement à la
différenciation cérémonielle très soignée des miniatures napolitaines dans les statuts, les Grandes
Chroniques de France (Paris, BnF, Ms. fr. 2813, fol. 394') montrent l'histoire de !'Ordre de !'Etoile
seulement avec une miniature illustrant le banquet à !'occasion de la réunion en 1352 (fig. 30). Anne
D. Hedeman, The royal image. Illustrations of the Grandes Chroniques de France, 1274-1422, Berkeley-Los Angeles-Oxford 1991, p. 107-109, pl. 76. Pour les théories et les traités de chevalerie
qui ont joué un rôle décisif dans la fondation de !'Ordre de /'Etoile voir Richard W. Kaeuper,
Elspeth Kennedy, The 'Book of Chivalry' of Geoffroi de Charny. Text, Context and Translation,
Philadelphia 1996, p. 22-28.
26. Alessandra Perriccioli Saggese, I romanzi cavallereschi miniati a Napoli, Napoli 1979
(Miniatura e arti minori in Campania XIV).
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
423
paux de !'Ordre du Saint-Esprit est la rédaction d'un livre d'histoire, qui contiendrait toutes les aventures présentées publiquement à !'occasion des assemblées annuelles." Ce n'est pas pour rien que ces réunions, qui reflètent la vie
publique de !'ordre, sont traitées avec une grande attention dans les statuts.
L'avant-propos de 1352 souligne déjà la mission des statuts de régler les
assemblées, 28 et dix des vingt-trois paragraphes d'origine traitent des aspects du
protocole de ces réunions. En comparaison, seuls six statuts règlent la memoria
- c'est-à-dire la tombe, les messes et la cérémonie d'enterrement pour les chevaliers décédés - et six autres les vêtements. 29 Le choix du Castell dell' Ovo
comme quartier général et lieu de réunion de l'ordre, c'est-à-dire le choix d'une
des plus importantes résidences du roi napolitain et avant tout le lieu de sa cour
personnelle, montre bien que le cérémonial de l'ordre a été conçu dès l'origine
comme une partie intégrante des usages de la cour du roi. 30 Or, ce n'était pas
une décision évidente. En effet, si Edward III roi d'Angleterre avait choisi sa
résidence principale, le château de Windsor, comme siège de son Ordre de la
Jarretière, et si ce lien entre la cour et l'ordre a tenu jusqu'à nos jours,31 Jean II
de France par exemple fit un choix tout différent: Il affranchit son Ordre de
l' Etoile de toutes les institutions religieuses établies, et choisit un nouveau lieu
symbolique pour créer son ordre, c'est-à-dire un château entre Saint-Ouen et
Saint-Denis. 32 Parallèlement à l'attachement de l'ordre à sa résidence, Louis de
27. L'importance des récits des évènements est déjà soulignée dans le Libre que es de
l'ordre de cavalleria, écrit dans le dernier quart du XIUC siècle par Ramon Llull, comme dans sa
traduction française écrite peu après et dans le roman du Lancelot du Lac, écrit au début du XIV'
siècle. Kaeuper, Kennedy (n. 25), p. 24 s., 67-69.
28. «Et pour ce tous les / sudits compaignons qui bonnemant poueront / soient audit iour
audit lieu en tel maniere comme / ci apres sera deuise. Et a donques sera plus a pleiin / a tous les
compaignons parle de ceste matere». Introduction aux statuts de !'Ordre du Nœud, cité d'après
Bram (n. 4).
29. Pour la spiritualité des ordres chevaleresques cf. la vue très critique de Hans-Dietrich
Kah!, "Die Spiritualitiit der Ritterorden ais Problem. Ein methodologischer Essay", in Die Spiritualitiit der Ritterorden im Mittelalter, Zenon Hubert Nowak ed., Torun 1993 (Universitas Nicolai
Copemici, Ordines Militares, Colloquia Torunensia Historica VII), p. 271-295.
30. Léonard (n. 1), vol. III, p. 18 souligne les origines légendaires du château qui sont liées à
Virgile et auxquelles l'introduction des statuts fait allusion: «Chastel de leuf enchante du merueilleux peril». En plus du Castell dell'Ovo, les Anjou possédaient plusieurs autres résidences
dans la ville de Naples, comme le Castel Nuovo avec la fameuse série des fresques de Giotto.
Voir généralement Andreas Beyer, Parthenope. Neapel und der Siiden der Renaissance, München-Berlin 2000 (Kunstwissenschaftliche Studien LXXXIV).
31. Boulton (n. 1), p. 106.
32. La raison de cette décision pourrait être liée aux circonstances de la fondation de l'ordre.
Les premiers plans remontent temps où Jean n'était que Dauphin et Duc de Normandie. En conséquence, il ne pouvait pas utiliser librement les lieux de la représentation et du pouvoir royal,
comme la Sainte-Chapelle à Paris ou l'abbaye de Saint-Denis. Pour Saint-Ouen voir Boulton (n. 1),
p. 181, 197-199. Etant donné que le château de chasse appartenait au roi depuis 1328 et qu'il n'est
pas mentionné dans la lettre papale de 1344, Boulton en tire la conclusion que la décision d'y fonder
le siège principal de l'ordre ne peut dater qu'après que Jean soit devenu roi en 1350, bien que les
premiers plans pour la fondation de l'ordre soient beaucoup plus anciens. Pour le premier projet de
1344 voir Boulton (n. 1), p. 174-180.
424
Nicolas Bock
Tarente tint à lier le cérémonial de l'ordre à l'expression de son pouvoir. Comme modèle du cérémonial, il s'est servi de son couronnement. Ainsi, il ne fixa
pas seulement la date de l'assemblée le jour même de l'anniversaire de son
couronnement, mais il promit aussi expressis verbis de porter sa couronne et de
rembourser les chevaliers étrangers pour leurs dépenses, comme il !'avait fait
pour son couronnement: «et la [se. Castel dell'Ovo] tendra la Roy sa pleiniere
court de son coronement allonneur du Saint esperit et portera la iour coronne». 33
La lutte pour la couronne: Louis de Tarente
Cette insistance du fondateur de !'ordre sur son couronnement attire !' attention. Quelles raisons poussent Louis de Tarente à tant mettre l'accent là-dessus?
Les années avant la fondation de !'Ordre n'ont été ni tranquilles ni sereines pour
le royaume de Naples. Après la mort de Robert le Sage en 1343, le regnum était
passé à sa nièce Jeanne. Depuis bien des années déjà, et par tous les moyens, le
roi avait planifié cette succession qui contrastait ouvertement avec la coutume
française excluant les femmes de la succession royale. Plus encore, pour renforcer la position de Jeanne, Robert avait intentionnellement laissé ouverte la question de la participation du mari à la régence, ce qui allait provoquer de gros problèmes par la suite. Très vite, la lutte pour le pouvoir fit rage autour du trône.
L'époux de Jeanne, André de Hongrie, exigea une participation au pouvoir, et
!'alliance de Marie d'Anjou, la sœur de la reine, avec son cousin le Duc de
Durazzo (1343), força Jeanne à chercher soutien et assistance auprès de ses
autres cousins angevins, les Ducs de Tarente. L'assassinat d'André, puis le mariage de Jeanne avec Louis de Tarente exacerbèrent les tensions. 34 Le roi Louis
de Hongrie lança une expédition punitive contre le royaume de Naples
(1347/48) pour venger la mort de son frère et pour assurer en même temps sa
propre succession sur le trône napolitain. Jeanne et Louis de Tarente cherchèrent alors leur salut dans l'exil en Provence, et ce n'est qu'en 1350, après plusieurs tentatives et grâce à un fort soutien de la papauté, qu'ils purent retourner
dans leur capitale.
Ce n'est donc pas plus d'un an et demi avant leur couronnement que Jeanne
et Louis étaient retournés à Naples. Jusque-là, leur entente n'avait pas été des
33. Paragraphe 6 «et la tendra la Roy sa pleiniere court de son coronement allonneur du Saint
esperit et portera la iour coronne. ( ... ) Sera donne de par le Prince a chascun deeux tant dargent
comme chascun par son sacrement dira en uenant a la dicte feste et en revenant en son pais il aura
despendu honnestement». Cf. Joachim Ott, Krone und Kronung. Die VerheifJung und Verleihung
von Kronen in der Kunst von der Spiitantike bis um 1200 und die geistige Auslegung der Krone,
Diss. Marburg 1995, Mainz 1998, ici p. 211-215 pour la couronne comme signe cérémoniel.
34. Pour le mariage voir Léonard (n. !), vol. II, p. 89 s., sp. p. 90, n. 4 pour la dispense;
cf. aussi Reg. Vat. 141, fol. 122v. Clément VI, Lettres closes, patentes et curiales intéressant
les pays autres que la France, Eugène Déprez, Guillaume Mollat edd., Paris 1960 (Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome, ser. 3, III bis.), p. 202, nr. 1538 du 22 novembre 1347.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
425
plus cordiales. 35 En 1349, Louis de Tarente avait presque réussi a réunir les
pleins pouvoirs dans ses mains. Quelques mois plus tard, en août 1350, les fidèles de la reine !'avaient forcé par les armes à les rendre à son épouse. Puis ils
s'étaient réconciliés. Mais la paix avec la Hongrie ne fut pas signée avant avril
1352. Le couronnement et l'amnistie marquèrent la fin de ces événements et le
début d'une nouvelle période dans l'histoire du royaume.
Le couronnement de Jeanne et Louis de Tarente, le 27 mai 1352, fut donc
la confirmation officielle et diplomatique de leur pouvoir par la papauté. Des
délégations de toute l'Italie participèrent à l'événement. 36 Louis de Tarente
avait d'avance accepté les conditions imposées initialement au premier époux
de Jeanne, André de Hongrie. Malgré son titre de roi, il n'avait que le statut
d'un prince consort, sans aucun droit sur .l'héritage de la couronne qri' il
portait. 37 La cérémonie même du couronnement nous est racontée par des lettres du pape Clément VI.3 8 Après la messe, puis le couronnement et !'onction
35. Lettre de Clément VI à l'évêque Anibaldo de Tusculum datant du 6 juin 1349: «Et
quoniam sicut communis fere omnium habet assertio carissima in Christo filia nostra Johanna,
regina Sicilie illustris, et dilectus vir Ludovicus de Taranto, vir suus, maritali affectione et
incumbentibus eis periculosis negociis non attentis, suggerente diabolo, nutriunt invicem odium et
rancorem nos considerantes attente ipsis et regno prefato non minus ex hoc quam quibusvis causis
aliis imminere ruinam precibus et exhortationibus nostris addicimus ut eos ad unitatem et
concordiam solerter inducas, pericula que eis palpabiter imminent et que negligenter et periculose
nimis pretereunt frequenter ante oculos suas ponens». Clément VI (n. 34), p. 272-274, nr. 2011.
36. Louis de Tarente avait déjà demandé le couronnement auprès du Pape le 14 juin 1350 en
acceptant toutes les conditions possibles qu'on lui imposerait: «ad petendum ( ... ) ut ( ... ) [se.
pontifex] odinare quod, ita insigniti predicti honore et titulo, tanquam vir ipsius regine simul
debeamus inungi et coronari, de apostolica benignitate dignetur sub cautelis, declarationibus,
provisionibus et ordinacionibus alias in casu simili tempore regi Andree fieri cum ordinatione
provisis». Léonard (n. 1), vol. II, p. 263, n. 1, p. 331 s., n. 5. En 1351, une autre ambassade était
envoyée à Avignon «pro obtinenda corona regis». Chronicon Siculum (n. !), p. 17. Pour les conditions du couronnement imposées à André de Hongrie cf. Léonard (n. 1), vol. I, p. 461.
37. Convention du 23 mars 1352, où le Pape reconnaît ses titres et ses droits. Boulton (n. 1),
p. 214. Cf. le récit amusant de Villani (n. 1), vol. I, p. 39 s., lib. I, cap. XX: «Messere Luigi
trovandosi in carte di papa marito della reina Giovanna, e non re, li parve, avendo diliberato di
tomare ne· Regno, che ·Ili fosse di nicistà avere titolo dire: a·cciè> ch'avendo colla reina a governare le case de· reame, e a·ffare le lettere da sua parte e della reina, il titolo non disformasse, e pero che ancora la santa Chiesa nonn·avea diliberato di farlo re di Gerusalem e di Cicilia, si fece titolare i·rre Luigi d'altro reame, il quale non avea, né era per potere avere. E d'allora inanzi cominciarono a scrivere le lettere intitolandole in questo modo: 'Lodovicus et Johanna Dei gratia rex et
regina Ierusalem et Cicilia etc.' E d'allora inanzi messer Luigi fu chiamato re».
38. La lettre de Clément VI du 21 janvier 1352 déclare que l'archevêque de Bénévent doit
couronner le roi au cas où l'envoyé du Pape, l'archevêque de Braga, arriverait trop tard. Pour documenter visuellement sa position comme remplaçant du Pape, l'archevêque est tenu de porter
pendant la cérémonie du couronnement le pallium papal. Ainsi, pour prévenir toute absence ayant
une motivation politique, le Pape ordonnait à tous d'être présent pendant la cérémonie.
La pression exercée par Louis de Tarente pour obtenir un couronnement par le Pape luimême est bien compréhensible. Cela s'explique par le fait que Charles II et Robert le Sage furent
couronnés selon le modèle impérial par des papes eux-mêmes (Nicolas IV, Clément V) alors que
seul Charles Id' Anjou avait été couronné par cinq cardinaux, et que d'un autre côté, le couronne-
426
Nicolas Bock
par l'archevêque de Braga, vint l'intronisation du couple royal, à qui les nobles présents rendirent hommage. 39 Louis et Jeanne portaient alors probablement les vêtements du trésor royal prévus pour ces occasions, les mantum et
colobium, 40 sceptrum et pomum, coronam et mitram, et le Pape avait demandé
expressément à l'archevêque de porter le pallium papal. Une chevauchée
conclut la cérémonie du couronnement et ouvrit la période des fêtes, qui dura
plusieurs semaines. 41
Parmi les cérémonies officielles qui eurent lieu pendant cette période, deux
événements revêtent une importance particulière. Tout d'abord, à l'occasion du
siège du parlement du 4 juin 1352, Jeanne et Louis se virent contraints de faire
une sorte de déclaration d'intention pour leur gouvernement, dans laquelle ils se
proclamèrent «simples agents d'exécution d'une théocratie», auxquels le
royaume n'était en somme que prêté - respublica eis commissa. 42 Ils promirent
de ne recourir qu'à de bons conseillers,43 de protéger les ordres religieux, monastères et églises, 44 de défendre la paix et d'établir la justice. Après ces déclarations d'ordre général venaient des dispositions précises, garantissant une amnistie à tous ceux qui rendraient hommage au couple royal. La guerre civile devait
finir à tout prix.
L'autre événement de grande importance fut, le 11 juin 1352, deux semaines après le couronnement, la translation des restes mortels de la reine mère
Sancia de Mallorca, morte depuis déjà plusieurs années, de son humble sépultument de Louis de Tarent était le premier à être accompli à Naples, donc dans la capitale même Charles I était couronné en 1266 à Saint-Pierre à Rome, Charles II en 1289 à Rieti et Robert et
Sancia en 1309 à Avignon. Jean-Paul Boyer, "La 'foi monarchique': royaume de Sicile et Provence (mi XIII'-mi-XIV' siècle)", in Le forme della propaganda politica nef Due e nef Trecento, Relazioni tenute al convegno internazionale (Trieste, 2-5 marzo 1993), Paolo Camrnarosano ed., Roma 1994 (Collection de !'Ecole Française de Rome CC!), p. 85-110, ici p. 86 s., 109.
39. Les festivités avaient lieu dans le palais des ducs de Taranto. Villani (n. 1), vol. I, p. 335,
lib. III, cap. VIII. Camera (n. 2), p. 155
40. Le colobium est un sous-vêtement avec des manches courtes. Pour les vêtements du couronnement des Anjou voir Boyer (n. 38), p. 88.
41. Villani (n. 1), vol. I, p. 335, lib. III, cap. VIII pour la chevauchée, lorsque le roi tombe de
son cheval en cassant sa couronne.
42. Appendice, nr. 2. Document cité par Camera (n. 2), p. 161 avec une datation erronée au
4 juin. Selon Léonard (n. 1), vol. II, p. 362, n. 5 la date de l'édition est le IO juin 1352. Nicolo
d' Alife, Arcani storici, Società di Storia Patria, Napoli, Ms. XXX, C 2 bis, origin. fol. 282.
43. À propos du topos du bon conseiller voir Jacques Lemaire, Les visions de la vie de cour
dans la littérature française de !afin du Moyen Age, Bruxelles-Paris 1994, p. 311 s., qui cite les
traités de William Perrault, De eruditione principum, et de Gilles de Rome, De regimine principum. Pour Jacques de Cessoles cf. Dora M. Bell, L'idéal éthique de la royauté de France au
Moyen Age, Genève-Paris 1962, p. 137. Pour Jean Gerson cf. Louis Mourin, Jean Gerson, prédicateur français, Brugge 1952 (Rijksuniversiteit te Gent. Werken uitgegeven door de Faculteit van
de Wijsbegeerte en Letteren CXIII), p. 263 s. Pour Jean Courtecuisse cf. Giuseppe di Stefano ed.,
L'oeuvre oratoire française de Jean Courtecuisse, Torino 1969 (Università di Torino, Facoltà di
Lettere e Filosofia moderna III), p. 283.
44. Pour le rex christianissimus et la tradition française cf. Jacques Krynen, L'empire du roi.
Idées et croyances politiques en France. Xlll'-XV' siècle, Paris 1993, p. 345 s.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
427
re provisoire au somptueux monument en marbre conçu pour l'occasion. 45 Toute
la cour participait à cet acte symbolique et attesta de !'odeur de sainteté de la
reine morte. Tout comme celui de son époux Robert le Sage l'était depuis 134648 à Santa Chiara,46 son monument fut placé derrière l'autel, au centre des
stalles des clarisses de Santa Croce où Sancia avait passé les derniers moments
de sa vie. S'il ne reste rien aujourd'hui du sarcophage, des gravures de Séroux
d' Agincourt témoignent des thèmes sculptés sur ses flancs (fig. 19).47 On y voit
Sancia en regina christianissima, assise sur son trône et entourée d'une cour en
grande partie ecclésiastique, et au dos du sarcophage Sancia en summae humilitatis exemplum, c'est-à-dire en religieuse au centre de ses sœurs franciscaines.
Par sa foi, la reine mère apparaissait ainsi comme un exemple de vertu, à l'instar
du roi Robert sur son monument funéraire. La reine Jeanne ne pouvait manifester plus clairement la continuité de sa dynastie et la domination des Anjou
comme beata stirps que par cette cérémonie, dont les détails furent immédiatement décrits au pape. 48
Cette concordance entre le couronnement, la déclaration d'intention du
gouvernement, la translation de la reine mère et la fondation de !'Ordre du
Saint-Esprit au Droit Désir n'a jamais été particulièrement remarquée. En plus,
la volonté de Louis de Tarente d'être couronné le jour de pentecôte n'était pas
seulement un désir pieux, mais faisait certainement partie d'un plan conçu soigneusement, dans lequel la fondation de !'ordre avait aussi une place bien
précise. 49 Il s'agit d'une définition du rôle des souverains à la fois modelée sur
la rhétorique politique et religieuse des rois précédents, et tâchant de s'en distinguer.50
45. Pour le monument funéraire cf. Bock (n. 24), p. 251-269. Tanja Michalsky, Memoria
und Repriisentation. Die Grabmiiler des Konigshauses Anjou in Italien, Diss. München 1995,
Gêittingen 2000 (Verêiffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte CLVII), p. 122 s.,
342-345, Kat. Nr. 35. Adrian S. Hoch, "Souvereignity and Closure in Trecento Naples: Images of
Queen Sancia Alias 'Sister Clare"', Arte Medievale, II Ser., X (1996), p. 121-139.
46. Pour le monument à Robert le Sage voir dernièrement Michalsky (n. 45), p. 149-152,
325-341, Kat. Nr. 33. Lorenz Enderlein, Die Grablegen des Hauses Anjou in Unteritalien. Totenkult und Monumente 1266-1343, Worms 1997 (Rêimische Studien der Bibliotheca Hertziana XII),
p. 167-188, 203.
47. Jean Baptiste Louis George Séroux d'Agincourt, Denkmaeler der Architektur, Skulptur
und Malerei vom IV. bis zum XVI. Jahrhundert, revidiert von Ferdinand von Quast, 2 vol., Berlin
s.a. (1840), Taf. XXXI.
48. Pour la lettre voir Bock (n. 24 ), appendice C, XVIII. Camera (n. 2), p. 160. Pour les
lettres comme moyen publicitaire de la politique voir Werner Faulstich, Medien und Ôffentlichkeit
im Mittelalter (800-1400), Gêittingen 1996 (Geschichte der Medien Il), p. 262 s.
49. Le couronnement lors des jours de fêtes est une tradition: en 1266, Charles I d'Anjou
choisit !'Épiphanie, Charles II en 1289 la Pentecôte. Boyer (n. 38), p. 109.
50. Les messes du Saint-Esprit sont souvent liées à l'élection des représentants politiques,
comme à Londres (1406), Francfort/Oder, Gêittingen et Greifswald. Dietrich W. Poeck, "Rat und
Memoria", in Memoria in der Gesellschaft des Mittelalters, Dieter Grevenich, Otto Gerhard
Oexle edd., Gêittingen 1994, p. 286-335, sp. p. 330 s.
428
Nicolas Bock
Royauté et Saint-Esprit: la tradition française
L'idée d'une royauté sacrée aux pouvoirs thaumaturges n'est pas une
invention de Louis de Tarente, mais faisait partie depuis longtemps des topai de
la propagande angevine. 5' L'ordo du couronnement des rois de Naples combine
des éléments des ordines épiscopaux et impériaux, à la manière des rois français.52 L'onction des mains et la mitre montrent le pouvoir sacerdotal des rois
qui communiaient sous les deux formes, tels Robert ou Charles 1". Le choix
d'un jour de fête spécifique pour le couronnement est également habituel. Ainsi
Charles I a choisi le 6 janvier - jour de l'Epiphanie - pour son couronnement,
en accord avec sa conviction d'être un divini prelii executor et d'être spirituellement inspiré par Dieu, tout comme l'avaient été les rois mages. 53 Le concept du
roi assimilé à un interprète de la volonté divine se retrouve chez Robert le Sage,
qui aimait proclamer ses intentions politiques lors de prêches à l'église, tel un
nouveau Salomon.54
Si la cour de Robert le Sage aspirait encore à être une cour des Muses et
des Vertus, et si le roi se voulait un héros grâce à ses vertus - l'inscription sur
son monument funéraire de 1346/48 le nomme cernite Robertum Regem virtute
refertum -, Louis de Tarente se présente comme un souverain théocratique, un
mandataire du Saint Esprit, sans se soucier d'évoquer ces arts et ces vertus omniprésents chez son prédécesseur. Ainsi, la volonté de Louis est supposée exprimer
directement l'inspiration divine, le Droit Désir. Cette idée est clairement exprimée
dans les illustrations des statuts de l'ordre, où la colombe du Saint-Esprit est
représentée dans toutes les circonstances au-dessus de la tête du roi. 55 Il faut
51. Boyer (n. 38), p. 94 «La réputation de la maison de France, accompagnée d'une 'aura'
de surnaturel, était implantée en Italie. Elle se reporta sur Charles I"». Cf. Robert Folz, Les saints
rois du Moyen Age en Occident (Vl'-Xlll' siècles), Bruxelles 1984 (Subsidia Hagiographica
LXVIII), sp. p. 117-135.
52. Michel Andrieu, Le pontifical romain au Moyen Age, Città del Vaticano 1940, vol. Ill, p.
41, 669-677. Boyer (n. 38), p. 87 souligne que «surtout, il ne s'agissait pas d'une simple imitation
pour ainsi dire 'au rabais'. Quelques modifications accentuaient fortement l'incertitude entre sacre royal et ordination: de là, certainement, les réticences de Nicolas IV».
53. F. Brandileone, "Una preghiera ecclesiastica per Corradino", Archivio storico perle province napoletane, VII (1882), p. 789 s. et les remarques de Giuseppe de Blasiis, Archivio storico
perle province napoletane, VIII (1883), p. 339 s. Boyer (n. 38), p. 109, n. 81.
54. Pour les allocutions et les prêches cf. Darleen Pryds, "Rex praedicans: Robert of Anjou
and the politics of preaching", in De l'homélie au sermon. Histoire de la prédication médiévale.
Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve (9-11 juillet 1992), Jacqueline Hamesse,
Xavier Hermand edd., Louvain-la-Neuve 1993 (Publications de l'Institut d'études médiévales,
Textes, études, congrès XIV), p. 239-262. Enderlein (n. 46), p. 47-54. Krynen (n. 44), p. 208-217
pour l'idée de la sagesse comme programme politique et ses bases théoriques. Voir, par exemple,
la qualification de Robert le Sage dans la Bible de Malines: «Rex Robertus, rex expertus in omni
scientia».
55. La colombe du Saint-Esprit apparaît au-dessus de la tête du roi dans toutes les quatorze
miniatures figurant Louis de Tarente. Il n'y a que deux exceptions: folio 4v où on voit Louis de Tac·
rente qui distribue des aumônes, et folio 8v, où il passe le nœud à un chevalier. Une autre exception
est naturellement le frontispice avec le Gnadenstuhl sur le folio 3, où la colombe est attribuée à la
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
429
remonter jusqu'à l'empereur Henri Il pour retrouver une image comparable
d'un souverain surmonté de la colombe du Saint-Esprit (fig. 20).56
À cet égard, le frontispice des statuts exige une attention particulière. Il
montre le couple royal agenouillé devant la Trinité, le Gnadenstuhl (fig. 1). 57
Alors que sur le rebord inférieur de la miniature Jeanne et Louis sont nommés de
la même manière - D(omi)N(u)S LUDOVICUS REX, D (omi) NA IOhANNA
REGINA - sur le rebord supérieur seul Louis est nommé, avec son titre royal
complet: LUDUVEUS DEI GRATIA REX IERU(sa)L(e)M ET SICILIE. Son
autorité royale est donc le thème de la miniature, et ceci est confirmé par le fait
que seulement sa devise - SI DIEU/PLEA - apparaît dans les deux bandeaux
présentés par un ange au-dessus du couple.
Le choix du Saint-Esprit comme patron protecteur de l'ordre, et surtout la
représentation du Gnadenstuhl avec le couple de fondateurs agenouillés sur le
frontispice sont inhabituels vers le milieu du XIV' siècle. Bien que la question
de la Trinité soit depuis toujours un des objets principaux des querelles théologiques,58 le Gnadenstuhl n'a joué quasiment aucun rôle dans la représentation
des donateurs dans l'art napolitain. 59 Pour les représentations de la Trinité, on a
généralement préféré le Dieu créateur à deux visages, surmonté de la colombe
spirituelle. 60 En ce qui concerne la signification du frontispice, il n'y à pas eu
Trinité. Elle apparaît en plus au-dessus des autels de la chapelle funéraire de l'ordre, au-dessus de la
tête du prêtre qui célèbre la messe des défunts et, enfin, au-dessus d'un monument funéraire d'un des
membres de l'ordre (ici, semble+il, l'illustrateur avait besoin de remplir l'espace).
56. Rome, BAV, Ottob. lat. 74, évangéliaire de Mont-Cassin (avec Henri II ou Henri III). Un
rapport direct à l'empereur Henri II se trouve en même temps chez !'empereur Charles IV (13461378) qui soulignait de plus en plus l'aspect sacré de son règne. Pour ses portraits comme roi-prêtre
en général et plus spécifiquement pour le rapport à Henri II - duquel il se voyait comme nepos dans l'initiale 'F' de l'antiphonaire de Vysehrade voir Franz Machilek, "Privatfromrnigkeit und
Staatsfromrnigkeit", in Kaiser Karts IV., Staatsmann und Miizen, Ferdinand Seibt ed., München
19782, p. 87-101, sp. p. 100. H. Bansa, "Heinrich von Wildenstein und seine Leichenpredigten auf
Kaiser Karl IV.", Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, XXIV (1968), p. 217.
57. Pour la terminologie voir Wolfgang Braunfels, Die Heilige Dreifaltigkeit, Düsseldorf
1954 (Lukas-Bücherei zur christlichen Ikonographie VI), p. xxxv-xxxvii.
58. Voir amplement Franz Courth, "Trinitat in der Scholastik", in Handbuch der Dogmengeschichte, vol. II/! b, Michael Schmaus, Alois Grillmeier, Leo Scheffczyk, Michael Seybold
edd., Freiburg 1985.
59. Bram (n. 4), n. 23 cite trois exemples de missels napolitains qui montrent le Gnadenstuhl
comme illustration de la fête de la Trinité. Pour d'autres représentations de la Trinité, comme la
visite des trois anges chez Abraham cf. Braunfels (n. 57), passim.
60. Bram (n. 4), p. 5 renvoie à plusieurs bibles enluminées et aux initiales du Liber sententiarum de Petrus Lombardus dans la Bibliotheca Vaticana lat. 681. Comme exemple dans la sculpture, j'aimerais citer la vertu-caryatide de lafides du monument funéraire de Charles d'Anjou-Duras
dans S. Lorenzo Maggiore (fig. 21), sculpté peu après 1400. Bock (n. 24), p. 119-140, 455 s., Kat.
Nr. 16. Ce type de représentation de la Trinité s'est probablement développé à partir de la
représentation de la Trinité comme trois hommes de même aspect, comme on le trouve déjà dans le
Hortus deliciarum de Herrad de Landsberg. Pour d'autres exemples d'une tête avec trois faces, voir
Leaves of Gold. Manuscript Illumination from Philadelphia Collections, James R. Tanis ed.,
Philadelphia 2001, p. 172, nr. 59 Niccolè di Ser Sozzo, avec références à des exemples de Pacio di
Nicolas Bock
430
encore d'explication exhaustive. Bram souligne surtout l'aspect individuel et religieux de la représentation, qui exprime une dévotion personnelle du couple royal
et son espoir de rédemption. D'autre part, il voit aussi des implications politiques
dans la scène, en analogie avec la représentation de la Trinité et les discussions
théoriques sur la monarchie à la cour de Charles V. 61
Le roi français, qui portait le titre de roi très chrétien, était connu pour sa
vénération particulière pour la Trinité. Ainsi en 1379, l'inventaire royal compte
cinq représentations de la Trinité, et la même année Charles V lui dédia la Sainte Chapelle de Vincennes (fig. 21). 62 A la cour, la Trinité joua un rôle particulier
dans la dispute sur les relations entre Je pouvoir laïc du roi et Je pouvoir spirituel
du pape. Bien qu'au XIII siècle l'absolue suprématie des rois français dans leur
royaume eût déjà été fixée par les juristes de la cour, la justification de ce point
avait cependant varié au cours du temps. 63 Le point essentiel de la dispute était
0
Buonaguida, New York, Pierpont Morgan Library M. 742, de Luca di Tommé, S. Diego, Timben
Art Gallery, n. 3, et de Lippo Vanni, Cambridge, Houghton Library, Harvard University, Berry
Antiphonary, MS Typ 79, fol. 178'. Voir aussi Braunfels (n. 57), sp. p. xxiii: «Eine Sonderentwicklung erfuhr unser Thema in der Neapler Buchmalerei. Es haben sich eine Reihe von Miniaturen
erhalten, die die schaffende Gottheit ais ein zweikôpfiges Wesen mit nur einem Leib, doch mit
groBen Flügeln zeigen. Das alteste Beispiel,die Hamilton-Bibel in Berlin, erweist in ihrer
Darstellung des ersten Schôpfungstages die Herkunft des Typus aus der Vereinigung zweier
verschiedener Vorbilder. Die Gesamtkomposition und die Haltung des gôttlichen Wesens entlehnte
der Neapler Maler des 14. Jahrhunderts einem byzantinischen Exemplum mit dem 'Allen der Tage',
das uns in einer Miniatur des Smyrna-Octateuchs erhalten ist. Dieses Wesen besitztjedoch nur einen
Kopf mit zwei Gesichtern, einem Greisen- und Jünglingsantlitz, wie es auf vielen Darstellungen des
Monats Januar im Mittelalter vorgepragt war. Die gro13en Flügel, die seinen Schultern entwachsen,
kônnen ais Attribut des Heiligen Geistes gedeutet werden». Voir en plus Willibald Kirfel, Die
dreikopfige Gottheit. Archiiologisch-ethnologischer Streifzug durch die Ikonographie der
Religionen, Bonn 1948, p. 147-158. A. Hackel, Die Trinitat in der Kunst, Berlin 1931, p. 99-117. Le
Pape Benoît XIV protestait contre cette façon de représenter la Trinité dans un bref de 1745.
61. Bram (n. 4), p. 5 s. Pour les traités sur le pouvoir royal, cf. Ulrike Heinrichs-Schreiber,
Vincennes und die hOfische Skulptur. Die Bildhauerkunst in Paris 1360-1420, Berlin 1997, p. 67,
182 s. Elle souligne surtout l'importance des explications de Jean Gerson (1363-1429) et Pierre
d' Ailly (1350-1420), qui reprennent des éléments des théories de Hugo de St-Victor et qui sont à
mettre en rapport avec la devotio moderna. Percy Ernst Schramm, Die Konige von Frankreich, 2
vol., Weimar 1939, rééd. Weimar 1960, vol. I, p. 190, 240.
62. Krynen (n. 44), p. 345 s. Heinrichs-Schreiber (n. 61), p. 28 s, 67. En plus, Charles V faisait consacrer la Sainte-Chapelle de Vincennes à la Trinité. Dans ce contexte, il faut citer les initiales des documents de la fondation de cette chapelle: Paris, Musée des archives nationales, AE
II, 401 A und B. Cf. Claire Richter Sherman, The portraits of Charles Vof France (1338-1380),
New York 1969 (Monographs on Archeology and the Fine Arts XX), fig. 25, 26. Pour ce livre
voir obligatoirement le compte-rendu de Gerhard Schmidt, Zeitschrift fiir Kunstgeschichte,
XXXIV (1971 ), p. 73-88. Dans ce contexte, il faut aussi citer la vénération de la Trinité par les
ducs de Bourgogne, surtout par Philippe le Bon (1394-1467), et la riche tradition des représentations de la Trinité qui avait inspiré le Gnadenstuhl de Claus Sluter sur la Maison du Miroir,
maison des cartusiens à Dijon. Gyôngyi Tôrôk, "Beitrage zur Verbreitung einer niederliindischen
Dreifaltigkeitsdarstellung im 15. Jahrhundert", Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen
Wien, LXXXI (1985), p. 7-31.
63. Jean Rivière, Le problème de l'église et de l'état au temps de Philippe le Bel, LouvainParis 1926. Krynen (n. 44), p. 348 s.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
431
premièrement la question de savoir comment empêcher une succession féminine
au trône français, et comment refuser donc toutes les exigences généalogiquement fondées du roi anglais. Mais on discutait également la signification du
sacre du roi pendant la cérémonie du couronnement. 64 Le sacre était, comme le
résume le juriste Evrart de Trémaugnon dans son Songe du vergier (1378), essentiellement !'occasion de marquer «grant joe et grans solempnités» et de
montrer «la grant magnificence du Roy». 65 Néanmoins, et surtout en comparaison avec d'autres rois, l'onction manifestait la position particulière des rois
français, en tant que signe de la faveur particulière du Saint-Esprit. 66 Les trois
lys du blason français renvoient ainsi immédiatement au lien direct du roi avec
la Trinité. 67 La comparaison avec la culture de la cour _parisienne semble in- .
diquer que la reprise du modèle français de !'Ordre de !'Etoile par les statuts de
!'ordre napolitain ne se fait pas seulement sur le plan formel, mais aussi sur le
plan intellectuel.
Toutefois, la miniature napolitaine se différencie nettement des représentations françaises. Dans les statuts de !'ordre napolitain, la Trinité se présente dans
l'axe de symétrie, dans une mandorle, devant un arrière-plan héraldique avec les
lys des Anjou (fig. 1). 68 Dieu le Père trône sur un arc-en-ciel avec, autour de la
mandorle, un chœur d'anges en adoration. La représentation du Gnadenstuhl avec
Charles V nous montre au contraire Dieu le Père trônant sans mandorle ni chœur
d'anges. La différence ne peut pas être expliquée par de simples variations
picturales régionales autour d'un même thème, mais implique plusieurs niveaux
de signification. Si la représentation de Naples, influencée par d'anciennes
64. Krynen (n. 44), p. 349: «Dès les années 1300, on s'est très fermement opposé en France
à toute argumentation d'inspiration grégorienne. Le sacre ne fait pas le roi, l'onction n'ajoute rien
à son pouvoir». Pour les précédents développements voir Louis Rougier, "Le caractère sacré de la
Royauté en France", in La regalità sacra, Contributi al tema dell VIII congresso internazionale di
storia delle religioni (Roma, aprile 1955), Leiden 1959 (Studies in the history of religions,
Supplement to 'Numen' IV), p. 609-619.
65. Le Songe du vergier, Marion Schnerb-Lièvre ed., 2 vol., Paris 1982, vol. I, p. 123.
66. «Mez quoy que nous dïons dez aultres Roys, il samble que nul ne doie doubter que le roy
de France ne praingne especial grace du Saint Espirit par sa sainte unction. Car ainssi que il est plus
merveilleusement oynt et plus especialment que nul aultre Roy, c'est chose vraysemblable que,
devant tout aultre, il receve par celle uncion especial don et grace du Saint Espirit. Car il est oynt de
la Saincte Ampoule, laquelle fust envoïee par l' Angre du Ciel, pour quoy il appiert que lez roys de
France ne sont pas oyns seulement par ordenance humaine, mezsont oyns, consecrés et couronnés
par l'ordenance du Pere, du Filz et du Saint Espirit». Le songe du vergier (n. 65), vol. I, p. 133.
67. Ibidem: «En troys fleurs de lis, en l'oneur et remembrance de toute la Trenité». Krynen
(n. 44), p. 350 s., n. 18 souligne la grande importance du Songe du vergier pour tout l'Ancien
Régime. Presque tous les juristes contemporains, ainsi que les théologiens, écrivains et poètes - il
cite Mézières, Gerson, Courtecuisse, Etienne de Conty, Alain Chartier, Robert Blondel, Noël de
Fribois, Pierre Desgros, Cosme Guymier comme exemples - y font référence.
68. En comparaison, voir les décorations héraldiques du retable de Saint-Louis de Toul_ouse
de Simone Martini, de la fresque avec l'allégorie de la pauvreté évangélique au réfectoire de S.
Chiara, et aussi des imagines pietatis sur les sarcophages des monuments funéraires de Charles
d'Anjou-Duras et de sa fille Jeanne à S. Lorenzo Maggiore.
432
Nicolas Bock
représentations (peut-être romanes), souligne d'abord la maiestas du thème, 69 les
représentations françaises plus modernes, dans lesquelles le Gnadenstuhl est fréquemment hors de l'axe de l'image, impliquent davantage un aspect narratif (fig.
21-22). 70 La différence la plus claire est cependant la fréquence et la variété des
apparitions de la Trinité chez Charles V. La dévotion personnelle du roi, pour qui
la Trinité représente une sorte de 'saint protecteur', est probablement décisive ici.
Tout au contraire, la représentation de Louis de Tarente avec la Trinité se limite
au seul frontispice des statuts de son Ordre du Saint-Esprit. Dans toutes les autres
images du manuscrit, le souverain n'est accompagné que de la colombe du SaintEsprit, qui lui transmet l'inspiration divine dans chaque situation. Sa présence
dans les miniatures révèle ainsi la véritable source de l'autorité royale, et justifie
les actions du roi par la plus haute autorité céleste.
Outre ces différences, il faut encore souligner l'écart temporel. Charles V
est arrivé au pouvoir en 1364, soit dix ans après la rédaction du manuscrit napolitain. En France, les représentations de la Trinité ne gagnèrent une large popularité que vers le tournant du XV siècle. De plus, la naissance d'une théorie
monarchique par Jean Golëin et les théologiens parisiens n'a également eu lieu
que dans le dernier tiers du XIV siècle. 71 Il est donc clair qu'un réemploi de la
tradition française n'entre pas ici en ligne de compte, mais qu'il s'agirait plutôt
de !'inverse.
0
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69. Les représentations de la Trinité dans la mandorle sont assez rares dans la peinture du
XIV' siècle. Cf. par exemple le tableau de Luca di Tomrné et ses collaborateurs dans Millard
Meiss, Painting in Florence and Siena after the black death, Princeton 1951, Taf. 50 qui fusionne
le thème de la crucifixion avec la Vierge et Saint Jean et un moine franciscain agenouillé avec
celui de la Trinité représenté sous la forme de trois hommes avec un seul corps.
70. Paris, Bibliothèque del' Arsenal, Ms. 5212, Bible historiale de Charles V, de 1370175 (fig.
22). Cf. Les Fastes du gothique, cat. expo. Paris, Françoise Baron ed., Paris 1981, p. 332 s., nr. 286.
Voir aussi les documents fondateurs de la Sainte-Chapelle à Vincennes. Heinrichs-Schreiber (n. 61),
p. 67 s. La prière du roi Charles V dans le cartouche - Bonitatem et disciplinam et scientiam doce me
- ressemble plus à la devise d'un roi 'savant' qu'à une prière de salut. «In der Dreifaltigkeit so die
Aussage des Bildes - liegt die Quelle für die Güte und Weisheit des Kônigs Karl V. Darin ist er
Salomon gleich, der im linken Bildfeld unter anderen Personifikationen der biblischen Bücher
thront». Ibidem, p. 68 s. À voir aussi la description de Charles V dans le livre de Christine de Pizan,
Le livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, (1404), où les trois parties principales
traitent des qualités de Charles, notamment la noblesse, la chevalerie et la sagece. La relation entre
les idées politiques de Charles V et l'art est traitée de façon superficielle par Pierre Pradel, "Art et
politique sous Charles V", Revue des Arts, I (1951), p. 89-93, et par Gaston Dodu, "Les idées de
Charles V en matière de gouvernement", Revue des questions historiques, CXICXI (1929), p. 20-22.
71. Le but était de lier le concept de l'origine céleste du pouvoir royal avec la caractèristique
particulière de la monarchie française. Ernst Kantorowicz, lLludes Regiae. A study in liturgical
ace/mations and medieval ruler worship, Berkeley 1946, p. 5. Marc Bloch, Les rois thawnaturges, Etude sur le caractère surnaturel attribué a la puissance royale particulièrement en France
et en Angleterre, Paris 1961, p. 479-489, sp. p. 481. Krynen (n. 44), p. 128-142. La mise en scène
de la sacralité de la monarchie était nettement renforcée pendant le XIV0 siècle. On le voit surtout
dans les entrées royales, qui ressemblent de plus en plus à des processions religieuses. Dans ce
contexte, les rois, eux aussi, commencent à se servir du baldaquin comme signe d'honneur.
Bernard Guenée, Françoise Lehoux, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris 1968
(Sources d'histoire médiévale V), surtout l'introduction.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
433
Royauté et Saint-Esprit: la tradition anglaise
En Angleterre, la Trinité apparaît en relation avec des images idéologiques
de la maison royale bien plus tôt encore qu'en France. La tradition des représentations de la Trinité remonte au XIIIe siècle. 72 Peu avant 1272, la miniature de la
Douce-Apocalypse, où le prince Edward Je et son épouse Eléonore de Castille
sont agenouillés des deux côtés de la Trinité, en est un exemple précoce (fig.
23). 73 Le choix de cette thématique est probablement d'abord fondé sur la piété
personnelle d'Edward, qui préparait alors sa participation à la deuxième croisade.74 La représentation ressemble typologiquement à d'autres images du même
thème, comme celle du comte Hermann von Thüringen et de sa femme dans le
psautier d'Elisabeth à Cividale. 75 Cependant, dès le début du XIVe siècle, l'im-·
portance et l'utilisation des images de la Trinité semblent avoir changé. Dans le
manuscrit De nobilitatibus, sapientiis et prudentiis regum de Walter von Milemete, créé en deux phases en 1326/27, on voit pour la première fois une représentation d'un roi recevant ses armes de la Trinité, ici le roi anglais Edward III
Plantagenet (fig. 24). 76 Dans la deuxième phase du manuscrit, une autre miniature répète le thème (fol. 3'), mais cette fois c'est Saint Georges qui présente les
armes au roi (fig. 25). 77 Avant même l'adoption 'officielle' du saint comme
protecteur de l'Angleterre, dans le cadre de la fondation de l'Ordre de la
Jarretière, on voit donc ici les débuts d'une iconographie qui prendra un
72. Ernest W. Tristram, English wall painting in thefourteenth century, London 1955, p. 67
s. Les autres représentations sont, par exemple, un Gnadenstuhl en ivoire, London, Victoria and
Albert Museum, A49-1937, ca. 1330, éventuellement d'origine anglaise. Age of chivalry. Art in
Plantagenet England 1200-1400, cat. expo. Royal Academy of Arts, Johnathan Alexander, Paul
Binski edd., London 1987, p. 424 s., cat. nr. 519.
73. Oxford, Bodleian Library, MS Douce 180, fol l'. Pour l'apocalypse Douce voir Peter
Klein, Endzeiterwartung und Ritterideologie. Die englischen Bilderapokalypsen der Frühgotik
und Ms. Douce 180, Graz 1983. Nigel John Morgan, Early Gothie Manuscripts (1190-1285), 2
vol., London 1988 (A survey of Manuscripts illuminated in the British Isles IV), vol. II, p. 141145, nr. 153.
74. Klein (n. 73), p. 171-184, sp. p. 184 «Offenbar bestellt Eduard eine illustrierte
Apokalypse, weil in ihren Bildern ritterlich-hiifische Unterhaltung und religiiise Erbauung - die
gewiss auch mitgemeint war - sich mit dem zentralen, ins Heilsgeschichtlich-Eschatologische
gewendeten aventure-Ideal und den monarchischen Artus-Pratentionen zu einer einheitlichen
ldeologie verschmelzen Iiessen».
75. Bram (n. 4), Abb. 19.
76. Oxford, Christ Church Ms. 92, fol. 5'. Cf. Michael A. Michael, "The iconography of
kingship in the Walter of Milemete treatise", Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
LVII (1994), p. 35-47, ici p. 39 remarque de façon laconique: «This reflects Walter's text on the
invocation of the name of God». Pour le manuscrit cf. Montague Rhodes James, The treatise of
Walter of Milemete. De nobilitatibus, sapientiis et prudentiis regum, Oxford 1913. Lucy Freeman
Sandler, Gothie Manuseripts 1285-1385, 2 vol., Oxford 1986 (A survey of manuscripts illuminated in the British Isles V), vol. II, p. 91-93, nr. 84.
77. Sandler (n. 76), vol. I, Abb. 217. Cf. aussi Richard Marks, "Sir Geoffrey Luttrell and some
companions: images of chivalry, ca. 1320-50", Wiener Jahrbuchfür Kunstgeschiehte, XLVI/XLVII
(1993/94), p. 343-355 pour la représentation religieuse des chevaliers, et pour leur armement par
des anges p. 353
434
Nicolas Bock
caractère normatif autour de 1348 avec la nouvelle consécration de la chapelle du
château de Windsor à la Sainte Vierge Marie et à Saint Georges ainsi qu'avec le
sceau du College of St. Georges à Windsor, et qui ressurgira ensuite dans d'autres
images idéologiques, telles que le Wilton Diptyque. 78 La sacralisation du pouvoir
d'Edward, déjà claire dans ces feuillets, atteint finalement son apogée dans la
représentation de son couronnement par Dieu, au folio 18'(fig. 27). 79
L'importance du De nobilitatibus, sapientiis et prudentiis regum n'est pas
seulement fondée sur la richesse de sa décoration figurative. Avec le Secretum
Secretorum du Pseudo-Aristote qu'on lui avait donné peu avant, il est l'un des
trois manuscrits qui furent créés pour Edward III alors qu'il était encore sous la
tutelle de sa mère, au début de son règne (le 25 janvier 1327), et qui concernent
la question du 'Bon Gouvernement'. 80 Il est donc à !'origine de la tradition qui
veut que les hauts fonctionnaires de la cour transmettent les traités de gouvernement au prince héritier avant son accession au trône, 81 traités dont beaucoup
78. La nouvelle consécration de la chapelle et la fondation du collège ont eu lieu le 6 août
1348, donc bien avant la constitution officielle de l'ordre. Pour l'histoire de la fondation entre
1344 et 1348 voir Boulton (n. 1), p. 101-117.
Edward I avait déjà choisi Saint Georges conune saint patron dans les combats contre les
Ecossais. En 1285, Edward I avait donné deux figures en or à la chàsse de Saint Thomas de Canterbury, l'une figurant Saint Georges, !'autre Saint Edward. Michael (n. 76), p. 39 parle en conséquence
d'un «distinctive 'patriotic' connotation» du saint et renvoie à la représentation de Saint Georges
avec Thomas de Lancester dans le livre d'heure Douce par l'un des artistes qui ont aussi créé le
De nobilitatibus de Walter of Milemete. Par la suite, Edward III eut presque une 'politique des
saints'. Il essayait de faire avancer le processus de sanctification de Thomas de Lancaster, un
ancêtre de Henry de Lancaster qui avait accolé Edward. Saint Georges apparaît également dans
les fresques perdues de la Chapelle de Saint-Etienne à Westminster (1350/56), où il intercédait
pour Edward III et sa famille. Michael (n. 76), Abb. 9,c. Saint Georges était aussi le saint patron de
!'Ordre de Saint-Georges fondé en Hongrie en 1325/26 l'un des premiers ordres chevaleresques
séculaires. Boulton (n. 1), p. 27-45. Pour le Wilton Diptyque voir Dillian Gordon, Lisa Monnas,
Caroline Elam edd., The regal image of Richard II and the Wilton Diptych, London 1997 et dans le
même ouvrage pour l'aspect de la vénération des saints, spécialement Shelagh Mitchell, "Richard II:
Kingship and the Cult of Saints", p. 115-124 et Lucy Freeman Sandler, "The Wilton Diptych and
Images of Devotion in Illuminated Manuscripts", p. 137-154.
79. Michael (n. 76), p. 43-45 voit un rapport direct entre la miniature et la représentation du
roi Edward III en trône entouré par des évêques et des nobles. En relation avec les idées de Ernst
H. Kantorowicz, Die zwei Korper des Konigs. Eine Studie zur politischen Theo/agie des Mittelalters, Princeton 1957, 19662, München 1990, Micheal renvoie à Hugo de Fleury, De regia
potestate et sacerdotali dignitate, PL CLXIII, col. 942: «Verumtamen rex in regni sui corpore
Patris omnipotentis obtinere videtur imaginem et episcopus Christi. Unde rite regi subjacere
videntur omnes regni ipsius episcopi, sicuut Patris Filius deprehenditur esse subjectus non natura
sed ordine». Dans un deuxième temps, il compare la miniature avec la représentation d'un roi et
Dieu-le-père au-dessus de sa tête: les chroniques de Matthew de Westminster, les peintures
murales de la chambre d'Henri III et les illustrations des psautiers. Cf. aussi Walter Ullmann,
Princip/es of gouvernment and politics in the Middle Ages, London 1966, p. 151-192.
80. Pour le Secretum Secretorum (BL Add. MS 47680) Sandler (n. 76), vol. II, p. 93 s., nr. 85.
81. Pour la succession du Secretum Secretorum, Michael (n. 76), p. 35, n. 3 liste le Regiment
of Princes de Hoccleve qui fuit donné à Henri V avant 1413: le The Governance of Princes de
Lydgate, et le Confessio Amanlis de Gower.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
435
contenaient en outre !'ordo du couronnement des rois anglais. 82 Le changement
abrupt de régime, dû à la destitution et à l'assassinat d'Edward II, semble avoir
réveillé dans l'entourage du roi le besoin d'une réflexion théorique sur la nature
de la royauté anglaise. 83 Le lien étroit entre le texte du De nobilitatibus et celui
des Articles of Deposition du roi Edward II, écrits en janvier 1327, confirme la
proximité entre la théorie et la pratique politique. 84 Ainsi, le langage symbolique
des illustrations du De nobilitatibus, qui vont souvent bien au-delà de ce que le
texte dit, ne fut pas seulement choisi sur le fond d'une réflexion de droit public
précise, 85 mais il était d'une grande actualité sur le plan politique, avec des
conséquences de grande portée. La riche bibliothèque d'Edward III, qui reçut un
nouvel exemplaire du Secretum Secretorum lors de son mariage le 24 janyier
1328 avec Philippa de Hainault, 86 témoigne en outre que le roi, tout comme sa
mère Isabella, possédait les connaissances intellectuelles nécessaires à la
compréhension de ces écrits, et que pour eux les miniatures ne peuvent pas
avoir été seulement un travail décoratif. 87
Par la suite, il n'y aura pas que le roi qui recourra à l'iconographie de la
Trinité comme source de justification céleste et de revendication du pouvoir
terrestre. Ainsi son fils, le Prince Noir, apparaît sur deux boucles de plomb en
adoration de la Trinité, de laquelle il reçoit ses armes (fig. 28). 88 Juliet Yale
situe ces représentations dans la ligne directe du manuscrit de Milemete déjà
mentionné, qui aurait circulé dans les plus hauts milieux de la cour jusqu'au
milieu du siècle au moins. 89 Cette tradition de la justification céleste du pouvoir
82. Surtout les manuscrits du Secretum Secretorum. Mahmoud A. Manzalaoui, "Philip of
Tripoli and his textual methods", in Pseudo-Aristotle. 'The Secret of Secrets'. Sources and Influences, William F. Ryan, Charles B. Schmitt edd., London 1982 (Warburg Institute Surveys IX), p. 65.
83. Edward II meurt en prison le 21 septembre 1327.
84. Michael (n. 76), p. 36. Plusieurs corrections laissent soupçonner que le texte était écrit
déjà avant 1327.
85. Michael (n. 76), p. 41.
86. Michael (n. 76), p. 35, n. 2. A. Michael, "A Manuscript Wedding Gift from Philippa of
Hainault to Edward III", Burlington Magazine, CXXYII (1985), p. 582-599.
87. Juliet Yale, Edward III and Chivalry. Chivalric society and its Context (1270-1350 ),
Woodbridge 1982, p. 42-56, cap. III "Cultural patronage at the court of Edward". Edward était en
même temps le premier roi qui choisit !'anglais comme langue officielle de la cour.
88. 1. London, British Museum, M&LA OA 100: Boucle en plomb avec le Prince Noir
agenouillé à côté du Gnadenstuhl. Un ange tient ses armoiries, d'autres emportent ses armes.
Inscription de la devise «Hony soyt ke mal y pense». Selon Micheal (n. 76), p. 40 le boucle était faite
pour son enterrement. Cf. la représentation de Saint George avec Thomas, Earl of Lancaster, Oxford,
Bodleian Library, Ms. Douce 231, fol. 1. Sandler (n. 76), vol. II, cat. nr. 87, I, fig. 218.
2. London, Museum of London, TL 74 1428. Boucle en plomb, circa 1376, éventuellement du
chapeau du Prince Noir qui s'est agenouillé à côté de la Trinité. Inscription: «The Trynyty [and Saint
George] be at oure endynge». Pour les biens du Prince Noir cf. Age of Chivalry (n. 72), p. 479-481,
cat. nr. 626-633. Yale (n. 87), n. 141 pour l'iconographie du Gnadenstuhl. Sans donner de raisons
plus précises, elle voit dans un baldaquin, qui est orné avec un Gnadenstuhl et qui est normalement
associé au monument funéraire du Prince Noir, le frontispice d'un autel.
89. Yale (n. 87), p. 50, n. 140 s. ajoute une autre miniature dans le Ms. Oxford, Christ
Church, Ms. E. 11, fol. 5'. Il faut y ajouter une autre représentation du Prince Noir au-dessous du
436
Nicolas Bock
terrestre est aussi intéressante dans la mesure où dans les années 1390, Richard I,
en référence à Edward III et aux théories développées au début du siècle, aspirait
à une nouvelle élévation spirituelle de la royauté. 9° Cela se remarque dans les
traités théoriques, comme dans les adresses au du roi, 91 dans les cortèges solennels92 et dans le cérémonial qu'il souhaitait. 93 La cause de ce retour du roi anglais
à la tradition était, outre les raisons personnelles et de politique intérieure, les
idées formulées en France sous Charles V - rappelons ici seulement l'insertion
déjà mentionnée de la formule roi très chrétien dans le titre de Charles V.
Il reste à retenir qu'en Angleterre, la Trinité était déjà un élément constant
de l'iconographie visant la justification de l'étendue du pouvoir royal dès la fin
des années vingt. La fondation de l'Order of the Garter, et la promotion. de
Saint Georges comme saint patron de l'état anglais font partie de ce processus,
qui s'est réalisé ici beaucoup plus tôt, plus clairement et sur un niveau plus
symbolique qu'en France. Or, étant donné les contacts internationaux entre les
maisons royales et dans l'aristocratie, ces développements ne peuvent pas être
restés inaperçus à Naples. Une fois de plus, l'interaction entre les maisons
royales est nette. Pour la première fois, on peut alors esquisser à grands traits le
schéma de l'évolution d'une idée, dont les débuts émanent de l'Angleterre
d'Edward III, dans les années trente et quarante du XIV• siècle, qui se poursuit
avec une intensité particulière à Naples au milieu du siècle, avant d'être adaptée
Gnadenstuhl, vers 1390, dans le récit de la vie du prince écrit par le héraut de Sir John Chandos.
University of London Library, ULI MS 1. Age of chivalry (n. 72), p. 478 s., cat. nr. 623.
90. Nigel E. Saul, "Richard II's Ideas of Kingship", in Gordon, Menas, Elam (n. 78), p. 2732, sp. p. 29 s. pour les idées impériales du Prince Noir, surtout en relation avec son règne et avec
l'obéissance de ses sujets. La relation étroite entre Richard II et Edward III est montrée par la
représentation commune des deux rois au-dessous d'un arbre de Jessé dans la fenêtre à l'est de la
chapelle du Winchester College commandée par William de Wykeham, évêque de Winchester en
1390/93. Christopher Wilson, "Rulers, Artificers and Shoppers: Richard II's Remodelling of
Westminster Hall, 1393-99", in Gordon, Menas, Elam (n. 78), p. 33-59, ici p. 47.
91. Saul (n. 90), p. 31. Les formules «A tresdroiturell et tresdoute seigneur le Roi» ou «A
nostre seigneur le Roi» étaient de plus en plus remplacées par des formules plus élaborées
soulignant la 'majesté' du roi. Voir par exemple une pétition du Parlement en 1391: «A tres
excellent et tres redoute et tres puissant Prince, et tres gracions Seigneur, nostre Seigneur le Roi
( ... ) Qe plese a vostre Hautesse et Roiale Mageste ( ... ) graciousement granter les Petitions».
Rotuli Parlamentorum, vol. VIII, p. 290. Cf. Nigel Saul, "Richard II and the vocablurary of
kingship", English Historical Review, CX ( 1995), p. 854-877.
92. Saul (n. 90), p. 30 s. Pendant les cortèges solennels qui s'inspirent, selon Saul, les
joyeuses entrées des rois français, on a même pu observer la représentation d'un trône, tout à fait
à la façon d'une hetoimasie, avec autour trois cercles d'anges. Cf. The Anonimalle Chronicle
1333 to 1381, V. H. Galbraith ed., Manchester 1927, p. 108. G. Kipling, "Richard II's 'sumptuous
Pageants' and the idea of the civic triumph", Pageantry in the Shakespearean Theatre, D. M.
Bergeron ed., Athens (Ga) 1986, p. 83-103.
93. Saul (n. 90), p. 29 s. Lors des occasions solennelles et pendant le temps entre le repas et
les vêpres, Richard II prenait place sur son trône sans parler à personne. Au cas où son regard
croisait celui de quelqu'un, celui-ci était obligé de se mettre tout de suite à genoux. Canterbury
Eulogium, in Chronicles of the Revolution, 1397-1400, Chris Given-Wilson ed., Manchester
1993, p. 68.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
437
à la situation française dans les années soixante par la cour de Charles V et
l'université parisienne, puis finalement être repatriée et intensifiée à la cour de
Richard II à la fin du siècle.
Royauté et Saint-Esprit: la tradition des spirituali
Mais alors la question du contenu et de l'intention de la miniature du frontispice des statuts de !'Ordre du Saint-Esprit se pose à nouveau. Puisque l'étude
du motif du point de vue de l'histoire de l'art ne permet pas à elle seule de donner des indications suffisantes, il semble rationnel d'étudier aussi la dimension
théologique du sujet. La pneumatologie du Moyen-Age insiste particulièrement
sur le lien entre le Saint-Esprit et les vertus, et notamment avec la caritas. 94 Ceci
est particulièrement intéressant, puisque les statuts de !'ordre napolitain se distinguent de leur précurseur français justement sur ce point. Les exhortations du
paragraphe 5 au jeûne hebdomadaire et aux aumônes (à partager chaque fois
entre trois pauvres) ne trouvent d'équivalent ni dans les statuts de !'Ordre de
['Etoile, ni dans l'Order of the Garter. 95 La Charité comme regina cirtutum est
aussi la seule des vertus qui soit représentée au bord du texte correspondant, sur
le folio 4v. Emile Léonard avait déjà remarqué que les statuts napolitains ne proposaient pas seulement une ligne de conduite chevaleresque dans la bataille,
mais aussi plus généralement un moyen de perfectionnement humain. 96 Intuitivement, il !'expliquait par la forte tradition du parti radical de !'ordre franciscain, les spirituali, à la cour napolitaine.
Cela peut se confirmer de manière étonnamment exacte. En se basant sur
l'idée que les sept dons du Saint-Esprit représentent le perfectionnement des
vertus théologales et morales, 97 on développait une théorie mystique de l'histoire. Joachim de Fiore reliait notamment chacune des trois personnalités
divines de la Trinité à une étape du salut et à une période de !'histoire du mon94. Christian Schütz, Einführung in die Pneumatologie, Darmstadt 1985, p. 90-114 pour la
pneumatologie médiévale, et ici sp. p. 92-94, 101-105. Sur la base de Rom 5,5 et 1 Jean 4,7 s.;
élaborée chez Augustin, De Trinitate libri XV, 2 vol., William J. Mountain ed., Turnhout 1968
(Corpus Christianorum, series latina L), lib. XV, cap. 17 (spec. 27, 31), 19 (spec. 37); Petrus
Lombardus, Sententiae, 106-113; plus tard aussi chez Thomas d'Aquin et Hugo de St-Victor.
95. Mais, bien sur, on le retrouve sur fol. 14v du De nobilitatibus de Walter de Milemete, où
le roi est représenté en donnant !'aumône en correspondance au texte qui demande la générosité
envers l'église. Michael (n. 76), p. 45
96. Léonard (n. 1), vol. III, p. 21 s.
97. Pour le topos des sept dons du Saint-Esprit voir Schütz (n. 94), p. 94-98; en plus de
Rupert de Deutz, Bernard de Clairveaux, Saint-Bonaventura et Thomas d'Aquin, il faut nommer
surtout Hugo de Sancto Victore, De quinque septenis seu septenariis opusculum, Jacques-Paul
Migne ed., Turnhout 1992 (PL CLXXV), col. 411. Petrus Damianus, Sermones, Ioannis Lucchesi
ed., Turnhout 1983 (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis LVII), Sermo XLV, In nativitate sanctae Mariae sermo prùnus, l, p. 264-273, ici 265 (aussi PL CXLIV, col. 741). Honorius
Augustodunensis, In pentecostem, Jacques-Paul Migne ed., Turnhout 1895 (PL CLXXII), col.
962. Gregorius Magnus, Moralium liber I in lob, cap. XXVII, Jacques-Paul Migne ed., Turnhout
1963 (PL LXXV), col. 544.
438
Nicolas Bock
de. 98 Dans la période du Saint-Esprit, l'idéal de la sainteté et de la perfection
trouve son accomplissement. Ainsi dans cette période, l'église de la tradition de
Saint Pierre sera remplacée par une église selon la vision de Saint Jean où, à la
place de la succession apostolique des évêques, un ordre des viri spirituali sera
instauré. 99 L'activité du Saint-Esprit dans l'histoire comporte donc des
caractéristiques de la dialectique: Tout comme le Saint-Esprit est le moteur de
l'histoire, le but final du développement historique est le Saint-Esprit. 100
Or ces théories étaient non seulement connues à la cour napolitaine, mais
elles servirent réellement à l'élaboration de !'Ordre du Saint-Esprit au Droit
Désir, comme le prouve une lettre du roi à Louis de Sabran dans laquelle il lui
propose d'adhérer à son ordre.'°' Cette lettre était peut-être conçue par Nicola
Acciaiuoli, mais en tout cas il l'avait rédigée lui-même. Par chance, un modèle
d'une lettre comparable du roi français nous est parvenu, dans lequel il invite de
la même façon à une adhésion à son Ordre de l'Etoile. '°2 Mais alors que Jean de
France parle essentiellement de son but central, donc du renforcement de la
chevalerie, la lettre napolitaine attire dès son introduction l'attention sur l' enseignement pneumatique et les activités du Saint-Esprit. L'aspect johannique apparaît clairement dans la suite, où le Saint-Esprit est décrit comme le Paraclet.
Immédiatement après une allusion biblique à la conversion de Saul, et à la place
des réflexions historiques du roi français, suit l'indication que le grand sénéchal,
qui sera aussi le porteur de la lettre, sera autorisé à recevoir le serment de fidélité. Louis se réfère ensuite explicitement au renforcement spirituel des membres
de l'ordre par les sept dons du Saint-Esprit. La lettre se termine enfin dans un
esprit très joachimique avec l'interprétation eschatologique du Saint-Esprit, qui
rénovera la terre et effacera l'obscurité des temps passés. Au propre et au figuré,
98. Schütz (n. 94), p. 98 s. Pour l'âge du Saint-Esprit cf. Antonio Crocco, "Genesi e
significato dell' 'età della Spirito' nell'escatologia di Gioacchino da Fiore'', in Storia e messaggio
in Giacchino da Fiore, Atti del I congresso internazionale di Studi Gioachimiti (S. Giovanni in
Fiore, 19-23 settembre 1979), S. Giovanni in Fiore 1980, p. 195-224. Pour le personnage voir
dernièrement Edith Pàsztor, "Joachim von Fiore", in Lexikon des Mittelalters, 9 vol., StuttgartWeimar 1999, vol. V, col. 485-487.
99. Pour l'ordo spiritualis voir Schütz (n. 94), p. 99 s. Joseph Ratzinger, Die Geschichtstheologie des Hl. Bonaventura, München 1959, p. 80-95. Pour le remplacement de l'église de
Saint-Pierre cf. Joachim de Fiore, Tractatus super quatuor evangelia, ed. Ernesto Bonaiuti, Roma
1930 (Ponti per la storia d'Italia, Scrittori secolo XII) p. 241, 278 s. suivi surtout par Petrus
Johannes Olivi, Lectura super Apocalypsim qui souligne encore plus le rôle du Saint-Esprit. Pour
le contexte voir Delno C. West, "A millenarian earthly paradise: renewal and the age of the Holy
Spirit", in L'età della Spirito e la fine dei tempi in Giacchino da Fiore e net gioachimismo
medievale, Atti del II congresso internazionale di Studi Gioachimiti (S. Giovanni in Fiore, Luzzi,
Celico, 6-9 settembre 1984), Antonio Crocco ed., S. Giovanni in Fiore 1986, p. 257-276, sp. p.
272 pour le pater spiritualis comme nouveau guide.
100. Pour l'homme dans l'âge du Saint-Esprit à image même du Saint-Esprit cf. par exemple
Joachim de Fi ore, Tractatus (n. 99), p. 257.
10 !. Appendice, nr. !.
102. Archives nationales de France, Mémoires de la Chambre des Comptes, C, fol. 121 et
registre JJ 81, fol. 288', nr. 570. Boulton (n. 1), p. 184 s.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
439
Louis se fait représenter comme le guide éclairé d'un groupe de viri spirituales,
qui aide à bâtir l'ordre divin universel grâce au soutien et par l'inspiration du
Saint-Esprit. 103
La connaissance des idées spiritualistes lors de la fondation de l' Ordre du
Saint-Esprit est certainement due en grande partie à la longue et forte présence
de la branche paupériste des franciscains à Naples et dans le royaume. Robert
d'Anjou et sa femme Sancia s'étaient ouvertement déclarés en faveur des frères
poursuivis par la papauté, et leur avaient offert l'asile à leur cour et dans leur
royaume. Cependant, dans les discours ecclésiologiques sur le caractère - ecclesia carnalis versus ecclesia spiritualis - et le plein pouvoir de la papauté 'monarchique' - on pense par exemple à la dispute entre Boniface VIII et Philippe
le Bel - les papes eux-mêmes avaient eu recours aux idées joachimiques dès le
début du XIV' siècle. 104 Ceci nous ramène à la lenteur de la formation d'une
conception du pouvoir théocratique. 105 On en trouve une application pratique chez
Cola di Rienzo, qui règna à Rome en 1347 et 1354, et qui était particulièrement
lié aux spirituali. 106 Parallèlement à son usage de l'antiquité, pour la légitimation
de son pouvoir, c'était surtout le Saint-Esprit qui lui donnait une autorité particulière, tout à fait comme la justification de l'omnipotence du pape en tant que candidatus Spiritus Sancti. 107 Ceci est non seulement expliqué dans les lettres officielles que Cola fit envoyer aux communes et hommes de pouvoirs étrangers, 108 mais
forme simultanément un topos des cérémonies officielles autour de sa personne,
comme son couronnement ou l'adoubement des chevaliers. 109 C'est donc très
103. Cf. l'opinion de Petrus Aureoli qui propose une perception plutôt individuelle du SaintEsprit dans les temps plus tardifs, contre l'action du Saint-Esprit éprouvée de manière collective à
l'âge de la première église. Il estime que l'église universelle catholique ne peul pas se tromper
parce qu'elle est guidée par le Saint-Esprit. Une argumentation, donc, très utile pour Louis de Tarente! Petrus Aureoli, Sentenzenkommentar, 1d16 f; IV d 1a1; IV d. 14 q.; et pour la conclusion:
IV q. l a. 1. Schütz (n. 94), p. 111.
104. Raoul Manselli, "Papato avignonese ed ecclesiologia trecentesca", in Aspetti culturali
della società italiana ne! periodo del papato avignonese, Atti del convegno (15-18 ottobre 1978),
Todi 1981 (Convegni del Centro di studi sulla spiritualità medievale XIX), p. 175-195.
105. Carlo Dolcini, "Aspetti del pensiero politico in età avignonese. Dalla teocrazia ad un
nuovo concetto di sovranità", in Aspetti culturali (n. 104), p. 129-174 avec bibliographie.
106. Pour Cola di Rienzo et ses idées politiques, voir Massimo Miglio, "Gli ideali di pace e
di giustizia in Roma a metà del Trecento'', in La pace net pensiero nella politica, negli ideali del
Trecento, Atti del convegno (13-16 ottobre 1974), Todi 1975 (Convegni del centra di Studi sulla
spiritualità medievale XV), p. 175-197. Id., "Et rerum facta est pulcherrima Roma. Attualità della
tradizione e proposte di innovazione", in Aspetti culturali (n. 104), p. 311-369. Eugenio Dupré
Theseider, Roma da! Comune di Popolo alla Signoria pontificia (1252-1377), Balogna 1952
(Storia di Roma XI), sp. p. 517-574.
107. Serena Romano, "L'immagine di Roma. Cola di Rienzo e la fine del Medioevo'', in
Arte e iconografia a Roma da Costantino a Cola di Rienzo, Maria Andaloro, Serena Romano
edd., Milano 2000 (Di fronte e attraverso DXXXVII; Storia dell'arte XV), p. 227-256, sp. p. 236238, n. 23 S.
108. Cela concerne surtout les lettres de la première période de son règne. Epistolario di
Cola di Rienzo, Annibale Gabrielli ed., Roma 1890, rééd. Torino 1966.
109. Le cérémonial du couronnement prévoyait qu'il fallait passer le sceptre et une des six
440
Nicolas Bock
près de Naples, et dans une proximité temporelle immédiate, que Louis de
Tarente et son conseiller Nicola Acciaiuoli ont trouvé un modèle - très novateur
pour la situation italienne - de justification du pouvoir, qui pouvait être repris
sans problème et aussi avant tout être parfaitement mis en scène. Et, tout
comme Cola di Rienzo l'avait déjà fait à Rome, le cérémonial jouait un rôle
essentiel dans cette justification du pouvoir royal.
Le cérémonial de l'ordre: le baise-pied
Avec ces explications en arrière-plan, on n'est plus surpris si le cérémonial
représenté dans les statuts de !'Ordre du Saint-Esprit ne reprend pas en tout
point celui de son cousin Jean de France, ou celui du grand roi napolitain Robert
le Sage. 110 Au contraire, le modèle suivi est celui du pape et du cérémonial de la
cour papale, d'où provient le baise-pied comme geste d'hommage. 111 Ce geste,
qui fait également partie du culte des empereurs, signifie aussi bien reverentia,
que reconciliatio, oboedientia et subiectio. 112 De Byzance, où la proskynesis
couronnes qu'il avait reçues du haut clergé des églises les plus importantes de Rome au prieur de
Santo Spirito en prononçant les mots: «Tribune augustue, suscipe dona Spiritus Sancti cum corona et sceptro et spiritualem coronam». Ibidem, p. 245 s.
11 O. Pour la conscience des capacités sémiotiques du cérémonial en France cf. les diligentes
préparations pour la visite de !'empereur Charles V à Paris. Les détails cérémoniels ont dû servir à
montrer clairement la souveraineté du roi dans son royaume - selon la devise rex est imperator in
reg no sua -, mais sans évoquer des ennuis politiques. On a dû éviter que !'empereur ne puisse
«faire aucun signe de quelconque dominacion ou seigneurie» (Grandes Chroniques, VI, cap. LII,
p. 361; cap. LVI, p. 368. Christine de Pizan (n. 70), IUC partie, cap. XXXV, p. 293). Dodu (n. 70),
p. 43 s. avec d'autres exemples, aussi du côte de l'empereur, dont les théologiens se sont bien
aperçus des intentions françaises. Très intéressante est aussi la valeur attribuée à la pompe comme
moyen politique destinée à servir l'état: «pour garder, maintenir, donner exemple à ses successeurs et leur faire savoir que par ordre solennel se doit tenir et mener le très digne degré de la haute
couronne de France» Christine de Pizan (n. 70), l' partie, cap. XI, p. 44 s. Dodu (n. 70), p. 20.
111. Klaus Schreiner, "FuBkuB", in Lexikon des Mittelalters, 9 vol., Stuttgart-Weimar 1999,
vol. IV, col. 1063-1066 avec littérature. Cf. aussi Günter WeiB, "Proskynese", in Lexikon des
Mittelalters, Stuttgart-Weimar 1999, vol. VII, col. 265 s. Otto Treitinger, Die Ostromische Kaiserund Reichsidee nach ihrer Gestaltung im hofischen Zeremoniell, Darmstadt 19562 , sp. p. 84-93. Tout
autre chose est le baise-pied liturgique fait pendant le baptême et pendant le lavement des pieds le
jeudi-saint comme signe de fraternité. Schreiner, col. 1065. Rudolf Suntrup. Die Bedeutung der
liturgischen Gebi:irden und Bewegungen in lateinischen und deutschen Aus/egungen des 9.-13.
Jahrhunderts, München 1978 (= Münstersche Mittelalter-Schriften XXXVII), p. 362-379, sp. p. 367
à propos du baise-pied liturgique du sousdiacre après la messe du Pape. Les analogies du cérémonial
papal avec celui de la cour de Louis de Tarent vont bien plus loin. La miniature du banquet des
chevaliers de !'Ordre du Nœud, où le roi est assis à une table isolée, correspond aux habitudes de la
cour papale, où le pape avait lui aussi une table isolée sur une estrade. Bernhard Schimmelpfennig,
"Der Palast ais Stadtersatz, Funktionale und zerernonielle Bedeutung der Papstpalaste in Avignon
und im Vatikan", in Zeremoniell un Raum (1200-1600), 4. Symposion der Residenzen-Kommission
der Akademie der Wissenschaften zu Gottingen (September 1994), Werner Paravicini ed.,
Sigmaringen 1997 (Residenzenforschung VI), p. 239-256, ici p. 245.
112. En 1182, par exemple, les consuls de Milan baisaient les pieds de l'empereur Frédéric
Barbarossa en signe de soumission. Schreiner (n. 111), ibidem. Les Normands connaissaient aussi
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
441
faisait partie intégrante du cérémonial de salutation impérial, le baise-pied fut
incorporé dès le vue siècle dans le cérémonial papal, en particulier pour !' intronisation d'un nouveau pape. 113 En 1079, Gregoire VII le réclamait même comme prérogative papale, 11 • et par la suite le baise-pied fut utilisé notamment lors
des couronnements impériaux. 115 Contrairement à !' osculum pacis et fidei, le
baise-pied n'a jamais eu de signification juridiquement précise, mais reste symbolique.116 C'était cette caractéristique qui a permis de l'incorporer sans problème
le baise-pied comme signe habituel d'infériorité. Cf. Dudo de Sancto Quinto, De moribus et actis
primorum N01manniae ducum libri tres, in S. Fulberti opera omnia, Jacques-Paul Migne ed.,
Paris 1880 (PL CXLI}, col. 630, pour le baise-pied de deux jeunes Daciens qui demandaient de
l'aide à Rollo (auxilium, tutela, protectio) en lui promettant de le servir en échange (servitium
facere incessantem). Quand Rollo est devenu plus tard le vassal du roi français Charles, en
reçevant en même temps sa fille en mariage, le duc Normand se refuse de faire le baise-pied en
plus de l'hommage de main. Ibidem, col. 650 s. Malgré l'intervention des évêques, «qui tale donum recipit, osculo debet expetere pedem regis», Rollo continue de refuser le baise-pied. A la fin,
il donne l'ordre à l'un de ses guerriers de le faire à sa place. Le guerrier, donc, prend le pied du roi
français, le tire vers !'haut, vers sa bouche de manière telle que le roi tombe par terre et que les
autres s'en moquent. De même importance et de même valeur symbolique que le baise-pied est
donc l'action qui se déroule d'habitude avant l'acte même, c'est-à-dire s'abaisser devant les pieds
de l'autre et courber la nuque (curvare genua). Cf. la description du père de Rollo «qui nunquam
colla suae cervicis cuipiam regi subegit nec cuiuslibet manibus gratia servitii maous suas commendando commisit». Ibidem, col. 629. Gerd Althoff, "Huld. Überlegungen zu einem Zentralbegriff der mittelalterlichen Herrschaftsordnung", in Id., Spielregeln der Politik im Mittelalter.
Kommunikation in Frieden und Fehde, Darmstadt 1997, p. 199-228, ici p. 224 s.
113. Attesté depuis Valentin I (827) et déclaré mas anticus depuis Léo IV (847-855). Le baisepied fait partie de la consécration du Pape depuis Grégoire X (1271-76), où il était fait avant
!' osculum pacis. Schreiner (n. 111), ibidem. En 525, l'empereur byzantin faisait le baise-pied pour la
première fois au Pape. Karl August Wirth, "Imperator pedes Papae deosculatur. Ein Beitrag zur
Bildkunde des 16. Jahrhunderts", in Festschrift Harald Keller, Hans Martin Freiherr von Erffa ed.,
Darmstadt 1963, p. 175-213, ici p. 175.
114. Dictatus papae, IX: «Quod solius Papae pedes omnes principes deosculentur». Karl
Hofmann, Der Dictatus Papae Gregors VII., Paderborn 1933 (Verôffentlichungen der Sektion für
Rechts- und Staatswissenschaft der Gôrresgesellschaft zur Pflege der Wissenschaften LXIII}, p. 5254 souligne l'intégration des exemples historiques dans les cérémonies du baise-pied dans les
collections des canones du Deusdedit et d'Anselme de Lucca Ct 1086). V. Wolf von Glanvell, Die
Kanonessammlung des Kardinals Deusdedit, Paderborn 1905, p. 494-496. Friedrich Thaner, Anse/mi
episcopi Luccensis collectio canonum una cum collectione minore, Innsbruck 1915, p. 49.
115. Le baise-pied se trouve, par exemple, dans !'Ordo Romanus ad benedicendum imperatorem de Cenci us Savelli (plus tard Honorius III, t 1227), mais il était déjà fait en 1111 à!' occasion du
couronnement d'Henri V. Annales Romani, (MGH SS V}, p. 474: «Cum vero ad superiora graduum
ascendisset, illic dominus papa cum episcopis pluribus, cum cardinalibus presbyteris, et diaconibus,
cum subdiaconibus, et ceteris scole cantorum ministris affuit. Ad cuius vestigia cum rex corruisset,
post pedum oscula ad oris oscula elevatus est». Depuis 1209, c'est-à-dire depuis le couronnement de
!'empereur Otto IV, il fallut donner un deuxième baise-pied. Wirth (n. 113), p. 175 s.
116. Geoffrey Koziol, Begging Pardon and Favor. Ritual and Political Order in Early
Medieval France, Ithaka-London 1992, p. 308 et n. 82 pour les différentes valeurs symboliques
des baisers. Contrairement à Jacques LeGoff, "The Symbolic Ritual of Vasallage", in Time, Work
and Culture in the Middle Ages, Chicago 1980, p. 237-287, ici p. 243, Koziol soutient que la question de savoir qui commence le baiser est bien sûr d'une haute importance. Les sources soulignent la valeur symbolique variée du baise-pied. Cf. Joachim de Fiore qui distingue entre diffé-
442
Nicolas Bock
dans le cérémonial de la cour de Louis de Tarente. Il faut cependant se demander
si le baise-pied était vraiment accompli par les nobles du royaume, ce qui est fortement improbable vu ses implications symboliques et la constellation politique jamais un Durazzo n'aurait baisé les pieds de son cousin! En tout cas, la mise en
scène de ce cérémonial dans les statuts de l' Ordre du Saint-Esprit montre la haute
valeur formelle du manuscrit et de ses miniatures en tant que programme royal. 117
La question du caractère réaliste des actions représentées dans les miniatures, encore jamais abordée dans les recherches, se comprend dès lors qu'on les
compare avec l'exemplaire BnF, Ms. fr. 2813 des Grandes Chroniques de
France, 118 dont les illustrations sont traitées en détail par Anne Hedemann. 119 À
partir de 1375, Charles V fit compléter avec l'histoire des Valois et prolonger
jusqu'à son accession au pouvoir les Grandes Chroniques commencées par les
moines de Saint-Denis. 120 Au début de la partie sur la vie de Charles V, les illustrations de 1375177 représentant son couronnement et celui de sa femme
Jeanne de Bourbon sont particulièrement intéressantes (fig. 29). Au contraire de
presque toutes les autres miniatures, ces images ont un modèle concret, qui est
le Livre de couronnement de Charles V fait par le même atelier en 1365. 121 Sur
rents types de baisers: le osculum pedis appartient à !'ordo laicorum et il est le signe d'humilité
du sujet envers son seigneur; contrairement à l'osculum manis, qui appartient à l'ordo clericorum
parce que dans cet état tous les membres sont humbles les uns envers les autres; et finalement
l' osculum oris de ]'ordo monachorum. Edith Pasztor, "!deale del monachesimo ed età della
Spirito corne realtà spirituale e forma d'utopia", in L'età della Spirito (n. 99), p. 55-124, sp. le
schéma p. 62. Une autre signification est attribuée au baise-pied par Hugo abbas Flaviniacensis,
Chronicon, lib. II, 20. Pendant les adieux de Richard de son ami Siméon, le baise-pied sert à se
rendre mutuellement honneur: «Flentem itaque et tristem eum a se dimisit, utrimque pedibus
manibus et genibus exosculatis, quia erat in eis gratia Spiritus sancti». MGR SS VIII, Georg
Heinrich Pertz ed., Hanover 1848, rééd. Stuttgart-New York 1963, p. 280-503, ici 394. Aussi PL
CLIV, J.-P. Migne ed., Paris 1881, col. 245. Cf. Koziol p. 97, 53 (le baise-pied comme signe de
gratitude pour un cadeau); p. 152 s. et s.v. 'prostration' ad indicem. À propos du baise-pied dans
la critique littéraire de la papauté cf. Wirth (n. 113).
117. Pour le problème de la forme cf. Paravicini (n. 9), p. 25, n. 95.
118. Bram (n. 4), p. 24 voit les miniatures comme des images historiques et les définit
comme un règlement du cérémonial - "zeremonielle Handlungsanweisungen". Selon lui, les
intentions de la représentation visuelle sont tout à fait les mêmes que celles du Sachsenspiegel,
des statuts des communes italiennes et du livre du couronnement de Charles V. Pour la problématique voir aussi Klaus Schreiner, "Bilder, Texte, Rituale. Fragen und Ertrage einer Sektion auf
dem Deutschen Historikertag (8. bis 11. September 1998)", in Schreiner, Signori (n. 18), p. 1-15.
Pour la légèreté avec laquelle le langage symbolique des miniatures est vu comme la pure réalité
voir par exemple Michael (n. 76), p. 37 qui d'abord interprète le contenu symbolique des miniatures du De nobilitatibus, sapientüs et prudenciis regum pour à les caractériser ensuite comme
«almost in the nature of a 'reportage' of events».
119. Hedeman (n. 25).
120. Pour les différentes périodes de l'illustration (1375, 1377 et après 1378) cf. Hedeman
(n. 25), p. 95 S.
121. London, British Library, Cotton Tiberius B VIII, fol. 59v, 70'. Hedeman (n. 25), p. 110114, Plates 4-6. De toutes les 175 miniatures, seulement ces deux sont orientées vers des modèles
plus anciens. En même temps, elles sont ornées avec beaucoup plus de détails que par exemple la
scène très générique du couronnement de Jean le Bon au fol. 393 (ibidem, fig. 79).
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
443
le folio 439, on ne voit pas le couronnement lui-même, mais une image symbolique: les nobles et le haut clergé du royaume tiennent la couronne, en geste de
soutien au pouvoir royal. 122 Hedemann a pu montrer que le choix de ce moment
de la cérémonie est dû aux circonstances politiques particulières en 1360/77, et
qu'il n'a donc pas été repris dans d'autres manuscrits des Grandes Chroniques
pour cette raison. 123 Comme les statuts de l'Ordre du Saint-Esprit, le manuscrit
français contient un passage cérémoniel fictif, ou du moins absent du texte des
Grandes Chroniques. Le grand pouvoir de suggestion de la miniature se fonde
sur l'apparence presque réaliste d'un instant historique dans une cérémonie bien
connue du spectateur. Si lors de la rédaction, les événements indésirables des
vies précédentes étaient interchangés ou biffés - le texte lui-même laissé
intact 124 - lors de la décoration de ce point central, on introduit une pure fiction. ·
Et comme la forme et l'expression de l'image correspondent aux modèles anciens, historiques et quasiment 'officiels', la fiction se laisse à peine démasquer.
Ainsi la représentation de la cérémonie se prête particulièrement à la précision
et l'actualisation du discours politique dans le texte des Grandes Chroniques.
Si l'on observe maintenant que l'existence concrète de l'Ordre du SaintEsprit n'est prouvée que par l'assemblée plénière de 1353, il devient clair que
beaucoup d'actions détaillées dans les statuts et représentées dans les miniatures
n'ont jamais pu être réellement réalisées. Les festivités de la fondation de l'ordre elles-mêmes, historiquement attestées, avaient déjà soulevé la résistance de
certains membres de la famille royale. Robert de Tarente, le frère du roi, avait
refusé de porter la tenue de l'ordre qui lui était spécialement destinée par le roi,
et se tint résolument à l'écart des festivités. 125 Étant donné la durée de vie limi122. Il existait une miniature du couronnement même dans le Livre du couronnement. Les modèles des deux miniatures opposées dans le manuscrit BnF, Ms. fr. 2813 sont séparés dans le Livre
du couronnement par 11 pages. En plus, ils donnent deux moments différents de la cérémonie.
123. Hedeman (n. 25), n. 27 renvoie à trois ordonnances de Charles V données en 1374 pour
assurer sa succession, et au Traité du Sacre de Jean Goleïn de la même année, ce qui explique le
contenu symbolique de la scène. C'est pour cette raison que le même texte a reçu une ornementation différente dans le manuscrit de la Pierpont Morgan Library, M. 536, fol. 353' et dans celui de
. le Bibliothèque Mazarin, Ms. 2028, fol. 427'. Hedeman (n. 25), fig. 107 s. Pour le Traité du Sacre
cf. Richard A. Jackson ed., "The Traité du Sacre of Jean Gotein", Proceedings of the American
Philosophical Society, CXIII (1969), p. 302-324, sp. p. 306 s. Claire Richter Sherman, "The
Queen in Charles V's Coronation Book: Jeanne de Bourbon and the Ordo ad reginam benedicendam", Viator, VIII (1977), p. 255-298. Pour l'amalgame de moments différents cf. aussi Ott
(n. 33), p. 37-45, sp. p. 44, n. 113.
124. Hedeman (n. 25), p. 95 s. pour les changements.
125. Villani (n. 1), vol. !, p. 428 s., lib. III, cap. LXXXIII: «! ·rre Luigi di Gerusalem e di Cicilia, in questo anno, il di della Pentecosta, avea fatta solenne festa co' suoi baroni per Io rinovellamento annuale di sua coronazione. E in quella festa ordinè cosa nuova e disusata alla corona, che elli
elesse LX tra cavalieri e baroni, i quali giurarono fede e compagna insieme col dette re, sotte certo
ordine di loro vita, e di loro usaggi e vestimenti: e fatto il giuramento, si vestirono d'una cottardita e
d'una assisa e d'un colore tutti quanti, portando nel petto uno nodo Salamone, e·cchi ebbe l'anime
vano più magnificè la cottardita e 'l nodo d'oro e d'argento, e di pietre preziose di gran costo e di
grande apparenza: e ·ffu chiamata la compagnia del nodo. Il prenza di Taranto, fratello de ·rre, non
444
Nicolas Bock
tée de l'ordre et le nombre restreint de ses membres, ni le protocole pour les
changements d'ordre, ni l'adoubement des chevaliers, ni la table de la honte
pour les 'mauvais' chevaliers ne purent être réalisés. Et la chapelle royale au
Castel dell'Ovo n'a pas pu s'imposer comme lieu de sépulture pour les chevaliers, contre la tradition des chapelles familiales. 126
Ainsi la version illustrée des règles de l' Ordre du Saint-Esprit, finalement
complétée en 1354, pourrait en somme avoir servi de substitut 'idéal' de la vie
réelle de la cour avec ses problèmes quotidiens, ses intrigues et les révoltes qui
naissaient sans fin. Et elle aurait aussi facilement pu être intégrée, avec le Livre
d'aventures, dans la représentation royale. Dans cette fiction chevaleresque,
sous l'aspect d'une reproduction fidèle des événements historiques autour du
roi, on fait passer une représentation idéologique hautement symbolique du
caractère sacré de la royauté napolitaine. Le roi, inspiré par le Saint-Esprit,
conduit son royaume vers un état socialement parfait et d'esprit chevaleresque une secunda aurea aetas sub Spiritu sancto - où le cérémonial ecclésiastique
met en évidence l'ordre divin. Cette conception du roi comme pourvoyeur du
salut se retrouve encore plus explicitement quelques années plus tard chez les
successeurs de Louis, les Anjou-Durazzo. Là, le roi - portant officiellement le
titre de divinus - intercédera comme un Saint auprès de la Vierge et du Christ,
afin de procurer à ses sujets le salut de leur âme.127À cet égard, le règne de Louis
de Tarente marque un développement important, voire même un point charnière
dans l'idéologie de la royauté napolitaine.
L'Ordre du Nœud et Nicola Acciaiuoli
Pour finir, je voudrais rapidement traiter le problème du commanditaire du
manuscrit et de son intention. La question de savoir à quel point la fondation de
l'ordre et la rédaction des statuts sont dues au grand sénéchal du royaume est
discutée de façon contradictoire dans la recherche. Le roi était-il vraiment le
v'era, ma sopravene e ·rre li aveva fatta fare la cottardita reale, con u· nodo di grosse perle di gran
valuta, e mandogliele all'ostello: il prenze no·lla voile vestire, dicendo che '! nodo del fraternale
amore portava ne! cuore, e donolla a un suo cavaliere, la quale cosa i ·rre non ebbe a grado».
126. La chapelle royale de Louis de Tarente n'était probablement pas trop grande et n'avait
pas beaucoup d'influence -surtout en comparaison avec celle de Robert et Sancia. Cf. Boyer (n.
38), p. 105. Boulton (n. !), p. 232 s. pour les collèges des prêtres de l'Order of the Carter et de
!'Ordre de l 'Etoile, avec des spéculations sur des stalles pour 300 chevaliers dans la chapelle du
Castel dell'Ovo.
127. La titulature divus se trouve sur le monument funéraire du roi Ladislaus d'Anjou-Durazzo à S. Giovanni a Carbonara à Naples. Nicolas Bock, "Antiken- und Florenzrezeption in
Neapel. 1400-1450", in Opere e giorni. Studi su mille anni di arte europea dedicati a Max Seidel
(Werke und Tage. Tausend Jahre europiiischer Kunstgeschichte - Studien zu Ehren von Max
Seidel), Klaus Bergdolt, Giorgio Bonsanti edd., Venedig 2001, p. 241-252 avec bibliographie ultèrieure. Pour la fonction du roi comme intermédiaire du salut cf. Id., "Honor et Gratia. Das
Grabmal des Ludovico Aldomoresco ais Beispiel familiarer Selbstdarstellung im spatmittelalterlichen Neapel", Marburger Jahrbuchfür Kunstwissenschaft, XXIV (1997), p. 109-134.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
445
maître dans son état, ou était-ce le grand sénéchal qui tirait les ficelles, en tant
qu'éminence grise? En tout cas Nicola Acciaiuoli était déjà considéré par ses
compatriotes comme l'instigateur de la politique de Louis de Tarente. Ainsi, à
l'occasion du couronnement de Jeanne et Louis de Tarente, Matteo Villani, après
un très court rapport sur la cérémonie et sur le cortège qui suivit, où le roi - quel
mauvais présage! - tomba de son cheval, consacrait tout le chapitre suivant à la
louange de Nicola Acciaiuoli. 128 Et en cette même occasion, Pétrarque félicita
non pas le roi mais Nicola Acciaiuoli pour son succès diplomatique. Le poète
saisit alors l'occasion de dépeindre au grand sénéchal le caractère de son maître,
qu'il nomme «rex tuus» et «unica tua cura». «Habes regem, animo senem annis
adolescentem, cum quo terra marique iactatus es, quem per multa preciJ?itia
cogente fato in summum status humani fastigium perduxisti», lui écrit-il. A la
manière dont Pétrarque énumère tout ce que Nicola Acciaiuoli devrait faire
comprendre à son roi, on comprend que le roi «réunit tous les défauts de la
jeunesse à tous les vices de la vieillesse ( ... ) Il est à la fois violent et porté au
mensonge, prodigue et avare, débauché et cruel». 129 Pétrarque exhorte Acciaiuoli à ne pas se laisser éblouir par le succès, puisque c'est justement le moment
de commencer les actions décisives. 13° C'est seulement si Acciaiuoli accomplit
bien son devoir que le roi pourra vivre et mourir heureux. 131 Ces exhortations de
Pétrarque donnent déjà un aperçu de cet homme, qui était peut-être l'homme le
plus puissant du royaume, et qui avait sûrement tiré les ficelles dans la
fondation de l'ordre. 132
128. Villani (n. 1), vol. !, p. 336-339, lib. III, cap. IX: «Comendazione i· laude di messer
Niccola Acciaiuoli».
129. Léonard (n. 1), vol. II, p. 338.
130. «'Quorsum hec?' forsan interroges. Quia scilicet multos auguror futuros quibus quiescendi iam tempus esse videatur. Michi penitus diversa mens est; si me audire volueris, scies unum esse
laboris et vite finem tibique et omnibus claris viris usque ad extremum spiritum vel cum visibili vel
cum invisibili hoste luctandum fore; quin etiam - vide quantum a comuni opinione dissentio - gerninatum tibi laborem et senties et gaudebis. Nullo unquam tempore tam magno conarnine consurgendum tibi tamque supra se ipsum attollendus animus fuit. Ad summa certarnina ventum est ut universus orbis intelligat in utraque fortuna qualis quantusque vir fueris, neque tu tantum sed qui tuis etiam
consiliis obsequuntur». Francesco Petrarca, Familiarium rerum librum XII, 2, 8-9, p. 726 s.
131. Petrarca, Familiarium rerum librum XII, 2, 38, p. 733: «Hune tu igitur gloriosissimis
acccinge primordiis; dum enim consumasse putas, tune incipies; hune optirnis et regis et reipublice curis exerce, quibus exagitatus et felicius hic aget et postquam hinc abierit, ut Cicero opinatur
et nos scimus, velocior ad sectes etheras pervolabit».
Pareillement, la caractérisation très négative de Louis de Tarente par Matteo Villani (n. 1),
vol II, p. 578-580, lib. X, cap. C à l'occasion de sa mort: «Signore fu di poca gravezza e meno
d'autorità, e in aspetto e fatto sanza scienza alcuna, e in fatti d'arme poi fu re poco si travaglio.
Poco amore porto a·ssuo sangue ( ... )Mobile fu, tirnido e pauroso ne' casi dell'aversa fortuna ( ... )
moite volte corne una vil fernina in grande vituperio della corona ( ... )». Villani souligne surtout le
rôle positif de Nicola Acciaiuoli auprès le roi: «Col suo balio messer Niccola Acciauoli gran siniscalco, e da·ccui a' bisogni avea aiuto e consiglio aile grandi cose, moite volte per punzellamenti
e malvagi conforti de' suoi sudetti suoi baroni venne in sospetto, e quando la virtù di colui s'alungava dalla corte i fatti de·rre andavano male».
132. Boulton (n. 1), p. 215 s.
446
Nicolas Bock
Né en 1310 à Florence, Nicola Acciaiuoli vint à Naples à l'âge de 21 ans
pour y représenter la maison de commerce paternelle. Jeune et plein d'ambition,
il entra immédiatement dans l'entourage de Catherine de Valois-Courtenay,
l'épouse de Philippe de Tarente, frère du roi Robert le Sage. Là, il fit une carrière rapide, et reçut comme récompense de riches terres en Grèce. Au début des
années 40, il entra au service de Louis de Tarente. C'est lui qui prépara le rapprochement entre Louis de Tarente et Jeanne Je d'Anjou, alors encore mariée à
André de Hongrie. Quelques années plus tard - il était alors Gran Siniscalco du
royaume - il prépara le retour du couple royal de son exil en Provence, et aida
son maître à saisir le plein pouvoir royal des mains de sa femme. 133 Il échappa
alors seulement de justesse à une tentative d'assassinat par les fidèles de la
reme.
Au cours des années 1352/1353, Acciaiuoli poursuivit une politique d'unification nationale. Il s'occupa de faire libérer le prince de Tarente de sa captivité
hongroise, de ce que la commune de Florence, après une longue période de relations presque hostiles, se rallie à la ligne politique de Naples, pour favoriser la
pacification du royaume par !'argent, les armes et le soutien politique. En outre,
Nicola mit tout en œuvre pour établir un compromis entre Jeanne et Louis. 134 Le
calme et la paix à l'intérieur du royaume étaient les conditions d'une politique
extérieure expansive, et là aussi, le grand sénéchal avait des plans de grande
portée. La fondation de !'Ordre du Saint-Esprit avait également sa place dans
cette politique.
Acciaiuoli combinait ses propres qualités et capacités avec un large réseau
de relations familiales, qu'il avait systématiquement construit et développé.
Nous ne présenterons ici que trois de ses familiers:
1. Angelo Acciaiuoli, du même âge que Nicola, était un des Dominicains
les plus importants de Florence. Il avait quitté la ville sur l' Arno en 1349 pour
gagner le royaume et y devenir chancelier. En compensation de la perte de ses
revenus florentins, il reçut du pape, avec le soutien de Nicola Acciaiuoli, !' abbaye de Montecassino. Angelo était l'élément de jonction principal entre Nicola et
le haut clergé, donc aussi très important pour la maison royale napolitaine dans
ses relations avec la papauté.
2. Giovanni Acciaiuoli était depuis 1348 un chanoine important à Florence,
et pour Nicola le garant d'une connexion étroite avec la ville-république. Il
renseignait Nicola, avec qu'il était en contact épistolaire permanent, sur toutes
les intentions politiques du gouvernement florentin, et représentait les intérêts
du grand sénéchal auprès du Conseil de la ville.
133. Villani (n. 1), vol. I, p. 337, lib. III, cap. IX: «Avendo fatto poco innanzi cavaliere il
detto messer Nicola; e da·cquell'ora apresso il detto messer Luigi in tutto si resse e governè perle
marri di messer Nicola».
134. En· 1354, la reine Jeanne avait demandé expressis verbis que non seulement elle,
(comme ce fut encore le cas le 28 août 1344 à S. Chiara pour le serment de fidélité au pape Clément VI) mais aussi son mari Louis de Tarente, puissent rendre le serment de fidélité au nouveau
pape Innocent VI. Camera (n. 2), p. 175 s.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
447
3. Donato Acciaiuoli avait la charge des vastes possessions de Nicola Acciaiuoli en Grèce (la baronnie de Calamata), ainsi que de la régence de Corinthe. Il fut suivi par Neri, que Nicola avait pris avec lui à Naples après la mort
de ses parents, et qui reçut plus tard la régence d'Athènes.
Avec ces connexions familiales, Nicola avait à sa disposition des liens
excellents avec le clergé - important pour les relations avec le Pape -, avec
Florence -1' allié le plus important de Naples en Italie - et avec l'est de la Méditerranée. Les Acciaiuoli et les familles qui leur étaient apparentées par le mariage et le commerce agissaient comme une association dirigée par Nicola, qui
faisait valoir ses intérêts sur le plan international. Dans le domaine politique,
Nicola agissait indépendamment, mais toujours en considérant le bien de son
seigneur et maître. Par exemple, en 1354, il proposa à Louis et Jeanne «di recuperare il Reame di Gerusalemne appresso recuperata la Sicilia». Il pensait alors
sûrement moins à la libération du Saint-Sépulcre qu'à des effets positifs sur ses
possessions en Grèce. 135 Effectivement, après avoir obtenu l'aide financière et
militaire de Florence avec le support de Giovanni Acciaiuoli, il reconquit
presque toute la Sicile entre février et l'été 1354. Seuls les conflits internes de la
famille des Anjou firent finalement échouer son entreprise. 136 Et c'est avec la
même flexibilité politique et la même largeur d'esprit qu'il imagina en 1356
faire nommer Robert de Tarente, le frère du roi, héritier de Louis de Hongrie,
afin de renverser la situation dangereuse de 1348/1350. '37 À la fin du siècle,
Charles III et Ladislaus d'Anjou-Durazzo tenteront à leur tour d'unir les royaumes de Naples et de Hongrie, mais par les armes cette fois-ci.
135. Mais même ici Acciaiuoli regardait bien les avantages de son maître. Louis de Tarente
avait dû solennement promettre au Pape que la succession passerait d'abord, en cas de décès
anticipé de Jeanne, aux enfants de Jeanne, puis à sa sœur Marie d'Anjou et ses enfants, et qu'il
n'utiliserait plus son titre de rex. C'est seule par une lettre du 21 janvier 1352, écrite probablement sur l'instigation de Nicola Acciaiuoli, Louis reçevait le droit de succession à la condition
que ses enfants ne meurent pas avant lui. Reg. Vat. 145, fol. 147v. Léonard (n. 1), vol. II, p. 334,
n. 1. Encore plus favorable au droit de succession de Louis de Tarente, étaient les contrats faits
par le grand sénéchal Nicola Acciaiuoli en 1353/54 avec la noblesse de Sicile, porteur des
sentiments très favorables au royaume de Naples. On stipulait premièrement que le royaume
Naples-Sicile était indivisible et deuxièment que la succession tombait en cas de décès anticipé de
la reine Jeanne directement à Louis de Tarente et ses propres héritiers. Léonard (n. 1), vol. III,
p. 62 S.
136. Pour le rôle joué par Nicola Acciaiuoli pendant la guerre de Sicile cf. Villani (n. 1), vol.
I, p. 475 s., lib. IV, cap. III. Généralement Léonard (n. 1), vol. III, p. 49-83.
137. Léonard (n. 1), vol. III, p. 50 donne une liste des hommes les plus importants du gouvernement: Matteo della Porta pour l'administration; les évêques de Naples, Giovanni Orsini, et
de Brindisi, Pino, comme représentants de l'église; Napoleone Orsini, comte de Manopello et frère de l'évêque de Naples, comme logotheta et prothonotarius du royaume; Angelo Acciaiuoli,
évêque de Florence, comme chancelier; Goffredo de Marzano, comte de Squillace, comme
amiral; Raimundus del Balzo, comte de Soleto, comme comte-chambrier. Tous avaient déjà pris
parti pour Louis de Tarente, quand il s'opposait encore à Jeanne. Nicola Acciaiuoli restait le plus
important de tous.
448
Nicolas Bock
L'Ordre du Saint-Esprit pouvait être à l'occasion un instrument politique
utile. 138 Mais, en comparaison avec d'autres règlements, le devoir des chevaliers
de participer à une croisade, ou au moins à ce qui porte le nom général de «lutte
contre les ennemis», était formulé très vaguement. Il promettait cependant
d'être utile pour des entreprises telles que la guerre de Sicile, qui se préparait
pendant !'enluminure du manuscrit, avec Jérusalem en point de mire. 139 Et ce
devoir pouvait aussi trouver son application dans les actions militaires de
pacification toujours nécessaires. 140 Quoi qu'il en soit, la coïncidence constatée
plus haut entre le programme du gouvernement, la date du couronnement à
Pentecôte et la fondation de !'Ordre du Saint-Esprit s'accorderait bien avec le
style politique de Nicola Acciaiuoli. Avec la fondation de l'ordre, il aurait _suivi
ce que les rois de France et d'Angleterre avaient commencé peu avant avec de
grands espoirs. Ce n'est sûrement pas sans fondement que Boccaccio attribue au
grand sénéchal Acciaiuoli au moins la paternité du Livre d'aventures de
!'ordre. 141 Et ses instructions détaillées à propos de la chartreuse de Val d' Elma
et de son monument funéraire de la main d'Orcagna nous montrent clairement
138. Léonard (n. !), vol. III, p. 16 soulignait déjà l'ordre très logique des statuts napolitains
qui contrastent nettement avec les statuts de !'Ordre de !'Etoile. Selon Léonard, Acciaiuoli avait
donné une importance bien plus méritée à des aspects d'aide mutuelle et au devoir du conseil que
Jean le Bon ne l'avait fait quelques années auparavant.
139. La fondation de l'ordre ne comportait aucune véritable intention de croisade et les allusions dans le texte et dans l'iconographie sont beaucoup trop vagues pour permettre une conclusion plus détaillée. L'idée d'une croisade n'était qu'un topos général de la littérature et de l'idéologie chevaleresque, qui pouvait trouver son accomplissement aussi bien dans de petits combats,
sans avoir besoin et sans inclure nécessairement l'organisation d'une croisade à la façon du XII'
ou XIII' siècle. Pour l'idéal de la croisade en général et dans la littérature cf. Lemaire (n. 43), p.
73 qui souligne le rapport entre l'idéalisation aux temps du roi Arthur et de Louis IX dans la littèrature et le combat contre les Sarrasins exigé par les écrivains, un rapport qui contrastait nettement avec la situation réelle de la politique en France. «Cet intérêt pour la guerre sainte montre
combien les écrivains favorables à la vie de cour et leur public cultivent, malgré les nécessités
pressantes de l'heure, des valeurs démodées; tout entiers tournés vers un passé idéalisé, ils cherchent dans !'Antiquité et dans la mémoire nationale des mobiles d'action et des modèles de conduite pour la chevalerie». Comme le programme de la fondation de !'Ordre de /'Etoile était né
sous l'influence de ces poètes, et comme ses statuts et ses idées ont à leur tour influencé, sinon dirigé la fondation de!' Ordre du Saint-Esprit, il faut conclure que l'idéal de la croisade sort du même contexte littéraire en France. Cf. Joan Williamson, "Philippe de Mézières and the Idea of Crusade", in The military Orders. Fighting for the Faith and Caring for the Siek, Malcolm Barber
ed., Aldershot 1994, p. 358-364 pour l'idée du pèlerinage dans la propagande contemporaine des
croisades. Cf aussi Joumeys towards Gad: Pi/grimage and Crusade, B. N. Sargent Baur ed.,
Kalamazoo 1992 (Studies in Medieval Culture XXX; Occasional Studies Series in the Medieval
and Renaissance Studies Program of the University of Pittsburgh V).
140. Pour l'aide militaire de Florence pour la reconquête des Marches en 1354 cf Léonard
(n. 1), vol. III, p. 51 s.
141. Bocaccio écrivait dans une lettre à Francesco Nelli que Acciaiuoli «Scripse in francesco
de'fatti de'cavalieri del Santo Spirito, in quello stile che già prr addietro scrissero alcuni della
Tavola Ritonda, ne! quale che cose da ridere e el tutto false abbia posta, egli el sa». Fr. Corazzini,
Le lettere edite ed inedite di Messer Giovanni Boccaccio, Firenze 1877, p. 161.
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
449
que Nicola Acciaiuoli savait bien estimer la qualité artistique. 142 Peut-être a-t-il
donc quelque chose à voir avec la conception des miniatures et leur commande
au meilleur enlumineur de Naples. Mais, comme toujours à Naples, les intérêts
particuliers des nobles et des différents membres de la famille royale déterminent beaucoup plus fortement la politique 'nationale' qu'en France ou en Angleterre. En raison des résistances multiples et du manque de succès, l'inutilité pratique de ce 'club' peut être apparue rapidement à l'homme politique pragmatique
qu'était Nicola Acciaiuoli, et expliquerait pourquoi cet ordre n'a pas laissé plus
de traces dans l'histoire.
142. En ce cas le manuscrit comme le cérémonial représenté dedans comptaient parmi les
moyens que le grand senechal utilisait pour flatter et diriger son roi.
450
Nicolas Bock
Appendix
1. Lettre de roi Louis de Tarent à Louis de Sabran. 1352 circa.
Nicolo d' Alife, Arcani storici, Società di Storia Patria, Napoli, Ms. XXX, C 2
bis, origin. fol. 195v. Camera (n. 2), p. 171. Traduction en anglais par Boulton
(n. 1), p. 217 S.
Magnifice vir, et fidelis dilecte. In illius Spiritus Sancti nomine, qui in Christi discipulos
emissus de superis eos roboravit in fide, ordinem quemdam fecimus ipsius Sancti Spiritus
vocabulo insignitum in Catholicis et militaribus quibusdam Capitulis comprahensum, ad
quem per nos tamquam Institutorem et Inventorem illius ij assumpti sunt, et successive tantummodo assumuntur, quorum sit nabis nota et fida in sinceritate strenuitas, et eadem sine
discrepantia in quolibet operatione voluntas, inter quos, et de quorum numero te conditionis
praemissae virum connumerandum decrevit nostrae electionis Judicium, ad tuae fidei
constantiam roborandum, in qua eiusdem infusione Paracliti apud Nos naturalis instinctu
dominij clarere caepisti, factusque Nabis nosceris fidelis et socius, qui de Saulo, sicut confidimus, deinceps comprobaveris esse Paulus. NODUM igitur sub cuius denominatione ORDO
ipse sumpsit vocabulum, ecce transmittimus per magnificum virum Nicolaum de Aczarolis
tibi vice nostri felicis auspiciis exhibendum, qui eadem vice et nomine nostro ordinatum, et
provisum a te proinde recipiet Juramentum, donec Deo duce infra brevis temporis spatium
Nos te videre contingerit, et in nostris illud manibus renovabis. Suscipiens itaque in eiusdem
Spiritu Sancti nomine NODUM ipsum, qui sicut partes suas figuraliter stringit, sic Professores illius moraliter in unitatem connectit, ita ad multiplicandum tuam strenuitatem infide, et
ad tuum vigorandum de virtute in virtutem processum in opere incumbens tibi exhinde charitatis ampectaris nexum, quod potioris laudis consequaris augumentum, Sociis praesertim
imitabiliter per exemplum, prout in ipsis assignandis tibi ex parte nostra Capitulis contineri
videbis, ut Sancti Spiriuts ipsius septiformi adjutus gratia magis strenue aggredi valeas in
quibus virtutis experimentum constat laudabilius fortiora omneque vestigium praeteritae
caliginis auferat, qui renovando Terrae faciem nova creat.
2. Déclaration du Parlement, le 4 juin 1352, publié sous forme d'un édit le 10
juin 1352.
Nicolo d' Alife, Arcani storici, Società di Storia Patria, Napoli, Ms. XXX, C 2
bis, origin. fol. 282. Camera (n. 2), p. 161 s.
LUDOVECUS et JOHANNA etc. etc. In primis quod Domini sequentes vestigia Predecessorum
suorum in cunctis negotiis et eventibus prosecuti sunt causam eorum um directione, consiliis,
assistentia et favore Sancte matris ecclesie, et Sedis Apostolice, quam habuerunt et habent,
velut reverentes et humils filij in eorum matrem, moderatricem et dominam singularem, et
ad hoc merito et debito obligantur, tum quia pro regno speciales vassalli eius existunt, tum
quia innumerabilia beneficia et favores ab ea in arduis casibus susceperunt, maxime hoc
discriminoso tempore quo totum regnum evidentibus exponebatur ruinis.
Propter quod va/entes ostendere possibilem ei gratitudinem ad quam se teneri fatentur,
intendunt firmiter et constanter, sicut semper intenderunt conformare se in omnibus beneplacitis et mandatis eiusdem Sancte matris Ecclesie et Apostolice Sedis, ac manutenere et
defendere ecclesias et personas ecclesiasticas in Juribus et libertatibus earumdem, et adhibere propterea opportunas presidentie sue partes presertim circa preservationem illarum ab
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir
451
occupationibus iniuriis et offensis, et circa relevamen ab indebitis oppressionibus quibuscumque.
Item quantum ad personas eorum intendunt experimentaliter ostendere, quod in unitate et
caritate coniugij decreverunt eorum negotia dirigere, et ad illa vacare cum matura et sano
consilio, qui ab eorum conditionibus Deum timeant, et alieni a corruptis intentfonibus
existant; nec non retribuere benemeritis secundum conditionem et servitia cuiuslibet, et per
ministros approbatos de reformatione Jurium regalium curam habere, ut exinde emolumenta provenire possint ad felicem prosecutionem expeditionum Reipublice eis commisse, et fideles respirare aliqualiter valeant, sicut dignabitur concedere ipse Deus.
Et similiter debitum regiminis ipsorum ad omnes persolvere sine acceptione aliqua personarum; visitando temporibus opportunis Provincias Regni, nec parcendo laboribus quibuscumque, ita quod eorum regimen possit esse Deo gratum, eidem Sancte matris Ecclesie
acceptum, et credito eius populo fructuoosum
Item signanter et specialiter intendunt, quod vigeat ubique in Regno iustitia per providos et
fideles officia/es, qui a meritis conditionum et non servitiis vel interpositionibus seu precibus vel aliis modis illicitis preficiantur, ut tale possit esse ipsorum exercitium, quod malorum refrenetur audacia, et bonorum probitas remaneat in tranquillitate secura ad honorem
et fidelitatem ipsorum dominorum sublatis extorsionibus et gravaminibus, que ipsi fideles iis
temporibus admodum sunt perpessi. /ta quod de bono in melius continue prosperetur status
ipsorum, et promptiores ipsius existant ad regios honores quoscumque. Et super huiusmodi
cultujustitie intenditur observantia in suis casibus constitutionum et capitulorum ac aliorum
edictorum et ordinationum factorum per precessores dominorum ipsorum cum maturis et
digestis declarationibus a!iis, que propter mutata tempora in aliquibus requirentur.
Item cum oves reducte et reducende ad pastorum proprium et ovile non sint provocande per
improperationem erroris ipsorum, intenditur expresse per ipsos Dominos, quod Regnicole
non audeant sibi alterutrum dicere vel se vocare proditores vel rebelles, quos constiterit
esse fideles sub pena personarum, sicut clare memorie Dominus Robertus Dux Calabrie
statuit de Gebellinis et Gue/fis tune temporis in Regno, cum per alios non debeat eis imputari culpa, quam Regia delevit clementia. Maxime quia scriptum est: Ubi te invenero, ibi te
judicabo, sed unaminiter omnes remotis odiis et rancoribus consurgant, et conetur viriliter
ad expulsionem et exterminium predonum et raptorum residuorum, qui Regnum spreta
obedientia ipsius Ecclesie ad impediendam concordiam de predationibus suis fatigant. Et ut
Regia benignitas universaliter innotescat, faciunt ipsi Domini generalem remissionem de
quibuscumque criminibus, eu/pis, delictis et commissis hactenus tam ratione guerre, quam
aliter quovis modo omnibus, et singulis Comitibus, Baronibus, Nobilibus et aliis subditis et
subiectis eorum cuiuscumque status, conditionis et gradus, qui infra mensem a die coronationis ipsorum Dominorum in antea computandum ad obedientiam personaliter venerint, et
petierint remissionem eamdem interim desistentes a malo. Ex nunc ipsi Domini assecurant
eos in verbo et fide regia.
Et nihilominus volunt et mandant ad pleniorem cautelam petentibus securitatis litteras inde
concedi, et post impensam obedientiam eis fieri de remissione huiusmodi litteras opportunas.
Demum quaecumque dependentia a praemissis que improvisa deliberatione venire quotidie
poterunt, et alia respicientia honorem dictorum Dominorum, et statum fidelium ipsorum
expedienter, sicut emerserint quantum Deus promise rit successive. /ta quod de omnibus ipsi
Domini et consilium suum tanguntur, nihil penitus totis studiis emittantur etc.
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L Cristoforo Orimina, Statuts de l' Ordre du Saint·Esprit au Droit Désir, Paris, Bibliothèque
nationale de France, Ms. fr. 4274, fol. 2, frontispice avec la Trinité
2. Ibidem, fol. 3', introduction
3. !bidem, fol. 3', § l, serment de fidelité
4. Ibidem, fol. 4', §§ 2 et 3, le vêtement des chevaliers et le renvoi aux §§ 24 et 25 ü la fin du
n1anuscrit
5. Ibidem, fol. 4', §§ 4 et 5, à propos du nom sur l'épée et la charité
6. Ibidem, fol. 5', §§ 6 et 7, voyage au conseil général à Naples
7. Ibidem, fol. 5', § 8, les récits d'aventures
8. Ibidem, fol. 6', § 9, débarquement à la Terre-Sainte
9. Ibidem, fol. 6\ §§ lO et 11, cri de bataille, repas solennel
!O. Ibidem, fol. 7', §§ 13 et l3 le permis de voyager, la prévoyance pour les pauvres
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13. Ibidem, fol. 8 , r;r; 17 , ,
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15.
16.
17.
18.
Ibidem,
Ibidem,
Ibidem,
Naples,
fol. 9\ § 21 et 22
fol. 10', §§ 23 et 24
fol. 5'
S. Chiara. Monument funéraire de Roberto de Diano ( 1354)
19. Séroux d'Agincourt. Iv1onu1nent funéraire de Sancia de Mallorca
20. Biblioteca Apostolica Vaticana. Cod. Ottob. lat. 74
21. Naples, S. Lorenzo Maggiore. Monument funéraire de Jean d'Anjou-Duras et Robert d'Artois
( 1400-1408). La Trinité, détail de lafides,
22. Paris. Archives nationales de France, Charte de la fondation de la Ste-Chapclle à Vincennes.
AE li 401 B, Charles V et la Trinité
23. Paris, Bibliothèque de l' Arsenal, Ms. 5212, fol. l ', Bible historiale de Charles V, Charles V
devant la Trînité
24. Oxford, Bodleian, Ms. Douce 180, fol. 1', Edward et Eleonore devant la Trinité
25. Oxford, Christ Church. Ms. 92, Walter de Milemete, De nobilitatib11s, sapientiis et prndentiis
regwn. 1325/27, fol. Y, Edward Ill reçoit ses armes de la Trinité
26. Ibidem, fol. 3', St. Georges présente les armes anglaises au roi Edward III
27. Sceaux du College of St. Georges, Windsor, Edward Ill devant St. Georges, London, Public
Record Office E 42/479
28. Oxford, Christ Church, Ms. 92, fol. 18\ Walter de Milemete, De 11ohili1a1ihus, sapientiis et
prudellliis regum, 1325127, couronnement de Edward III par Christ et les trois vertus théologales
29. Boucle en plomb, Le Prince Noir reçoit ses armes par la Trinité, London, British Museum
M&LAOA 100
30. Couronnement de Charles V et Jeanne de Bourbon, Grandes Chroniques de France, Paris, BnF,
Ms. fr. 2813, fol. 439
Art, Cérémonial et Liturgie
au Moyen Age
A
Actes du colloque de 3" Cycle Romand de Lettres
Lausanne-Fribourg, 24-25 mars, 14-15 avril, 12-13 mai 2000
sous la direction de
Nicolas Bock, Peter Kurmann,
Serena Romano, Jean-Michel Spieser
viella
Copyright ©2002 - Viella s.r.l.
Tutti i diritti riservati
Prima edizione: marzo 2002
ISBN 88-8334-061-2
Ce volume a été publié avec le soutien financier des Universités de Lausanne et Fribourg.
Rédaction: Nicolas Bock et Flora Dobay
viella
Libreria editrice
via delle Alpi, 32
I-00198 ROMA
tel. 06 84 17 758
fax 06 85 35 39 60
e-mail: viella@flashnet.it
Table des matières
Introduction
7
Espace sacré et architecture
Johannes G. Deckers
Der erste Diener Christi. Die Proskynese der Kaiser ais Schlüsselmotiv
der Mosaiken in S. Vitale (Ravenna) und in der Hagia Sophia (Istanbul)
ll
Catherine Jolivet-Lévy
Aspects de la relation e/lfre espace liturgique et décor peint à Byzance
71
Kerstin Englert
la fonction des 'déambulatoires' dans les églises byzantines
des Xlll'-X!V' siècles
89
Cristiana Filippini
la chiesa e il s1w santo: g/i a.ffreschi dell'undicesimo secolo
ne/la chie.1·a di S. Clemente a Roma
107
Beat Brenk
les églises de pèlerinage et le concept de prétention
125
Andreas Briim
Bi/der der liturgie in liturgischen Handschriften bis in ottonische Zeit
141
Kristina Krüger
la fonction liturgique des galilées clunisiennes:
les exemples de Romainmôtier et Payerne
169
Werner Jacobsen
liturgische Kollisionen im Kirchenraum:
Sugers Neubau von Saint-Denis. Voraussetzwzgen und Folgen
191
Carola Jtiggi
Raum und liturgie in franziskanischen Doppelk!Ostern:
Konigsfelden und S. Chiara in Neapel im Vergleich
223
Stephan Gasser
Ein dsthetisches
Das langhaus der Kol/egiatskirche von n・オョ「キセゥ[Z@
Konzept der varietas mit funktionsorientiertem Hintergedanken?
247
Ferdinand Pajor
Devant et autour de la cathédrale de Bâle: 1250-1582.
le mobilier urbain permanent et temporaire
257
Processions et cérémonial
Rainer Warland
Strategien der Vergegemvdrtigung.
Zum Verhiiltnis von Kunst und liturgie infrühbyzantinischer Zeit
277
6
Table des matières
Serena Romano
L'icône acheiropoiete du Latran. Fonction d'une image absente
301
Barbara Bruderer Eichberg
Prolegomena zur ji-iihchristlichen und friihmittelalterlichen
Tau/organisation Rom.1·. Die Baptisterien und die Stifterrolle der Piipste
321
Sible de Blaauw
Contra.1·1.1· in Processional Liturgy.
A Typology of Outdoor Processions in Twe(fth-Cenlllry Ro111e
357
Patrizia Carmassi
Processioni a Milano ne! Medioevo
397
Nicolas Bock
L'Ordre du Saint-Esprit au Droit Désir.
Enluminure, cérémonial et idéologie monarchique au XIV' siècle
415
Enrico Parlato
Cerimonie nella cappella ro111a11a di Oliviero Carafa
461
Chapelles privées
Georges Descœudres
Priva/oratorien in der Friihzeit des Mihzchtums
481
Susanne Wittekind
Liturgierejlexion in den Kunststijiungen Abt Wibalds von Stablo
503
Christian Freigang
Chapelles latérales privées.
Origines, fonctions, jïnancement: le cas de Notre-Dame de Paris
525
Julian Gardner
Thefami!y chape!: artistic patronage and architectural transformation
in Italy circa I 275-1325
545
Alessio Monciatti
Il Palazzo Aposto!ico Vaticano allajïne del medioevo: sui sistema
delle cappelle prima e dopo il soggiorno della Curia ad Avignone
565
Gottfried Kerscher
Roma nova - Virtuelles Rom. Die Palastkapel!en in Avignon
und das Zeremoniell der Piipste
585
Nicolas Schtitti
Chapelles funéraires de quelques églises de l'ancienne Savoie du Nord
au XV' siècle: organisation de /'espace sacré, décors et aménagement
595