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Référence de cet article : BROU-MOUSTAPHA J. E.

Migrations et déportations, conséquences de la


résistance des abbey en 1910. Rev iv hist 2017 ; 30 : 7-18.

MIGRATIONS ET DEPORTATIONS, CONSEQUENCES DE LA


RESISTANCE DES ABBEY EN 1910.

BROU-MOUSTAPHA Julie Eunice


Maître-assistant/Département d’Histoire
Université Félix Houphouët Boigny Abidjan-Cocody
Email : broucho@yahoo.
Contacts : +22501441635

RÉSUMÉ
La résistance des Abbey à la colonisation Française en 1910 a par sa gravité marqué les
consciences métropolitaines et nationales. Les conséquences qui en découlaient étaient aussi
assimilables à une tragédie à cause de la teneur des sanctions à tel point que le pays des
révoltés fut rendu désert. Cruauté, assassinats, emprisonnements, fusillades, décapitations
ont rythmé la vie quotidienne des guerriers abbey vaincus par les groupes coloniaux de 1910
à 1912, dernière année à laquelle le coup fatal, les déportations de guerriers abbey hors de
leur pays d’origine, mirent n à tout désir d’autonomie. Des colonies de l’Afrique Occidentale
et de l’Afrique Equatoriale française, ont enregistré un bon nombre de détenus abbey qui
n’en revint plus. Réduits à la plus simple expression de l’existence humaine, l’esclavage, des
descendants de quelques survivants annoncés par des sources des pays où ils résidaient
contribuent à cicatriser cette plaie puante qui avait du mal à guérir. La société abbey et celle
des voisins immédiats ont eu le coup de leur histoire modi ée par l’ampleur de la répression
coloniale tout en gardant leur dignité dans la douleur.
Mots-clés : Déportations-Migrations-Détenus politiques-Internement-Fugitifs

SUMMARY
The resistance of the Abbey to French colonization in 1910 has by its gravity marked the
metropolitan and national consciousnesses. The resulting consequences were as tragedy
because of the content of the sanctions, so much so that the country of the rebels was rendered
desolate. Cruelty, assassinations, imprisonment, shootings and beheadings punctuated the
daily life of the abbey warriors defeated by colonial groups from 1910 to 1912, the last year in
which the fatal blow, the deportations of abbey warriors from their home country, ended to any
desire for autonomy. Colonies from West Africa and French Equatorial Africa recorded a good
number of abbey detainees who did not return. Reduced to the simplest expression of human
existence, slavery, the descendants of a few survivors announced by sources in the countries
where they resided, help to heal this stinking wound that was struggling to heal. The abbey
society and that of the immediate neighbors have had the blow of their history modi ed by the
extent of the colonial repression while keeping their dignity in the pain.
Keywords: Deportation-Migration-Political prisoners-Internment-Fugitives

76 © EDUCI 2017. Rev iv hist.2017 ; 30 : 7-18. ISSN 1817-5627


INTRODUCTION
La résistance des peuples africains à la colonisation française n’est plus sujet à
discussion, tant de nombreux auteurs se sont intéressés à la question. Les peuples
de la colonie de la Côte d’Ivoire ne resteront pas en marge de ces soulèvements
ethniques. D’une région à une autre, ils vont manifester leur hostilité à la présence
des colonisateurs français installés dans leur pays vers le XXème siècle.
L’histoire de la résistance des Abbey en 1910 s’inscrit dans ce schéma. Les Abbey
sont éparpillés dans plusieurs localités du Sud, du Sud-est et du Centre-est de la Côte
d’Ivoire actuelle. Cependant, ils ne sont pas tous mêlés à la résistance. Les concernés
sont les Abbey de la forêt dense du pourtour des lagunes au Sud du territoire. Ils
forment quatre sous-groupes ethniques indépendants : Moriérou1, Abbévé2, Tiô ô3,
khoh4, auxquels on adjoint les Krobou comme cinquième groupe. Ils vont cependant
s’unir pour la cause de la révolte en 1910. Leur pays actuel se dénomme Agboville,
appellation provenant du cours d’eau Agnéby en bordure duquel les colonisateurs
français se déplacèrent à partir de 1906. Ils quittèrent alors le premier poste érigé à
Ery-markouguié en 1903.
Les Abbey sont environnés de nombreux peuples, tous d’origine Akan, que le cours
de l’histoire a mêlé directement et indirectement à la révolte lorsqu’ils prirent les uns
physiquement part à celle-ci ou en étant les autres, hôtes des fugitifs pourchassés
par l’armée française. Nous avons dans le Nord les Agni, à l’Est les Attié, à l’Ouest
les Abidji et les Baoulés, et au Sud les Ebrié et les Attié.
L’étude des migrations et des déportations qu’ont connues les Abbey sous l’ère de
la répression coloniale est un pan important de l’histoire de ce groupe. Ces migrations
et ces déportations sont l’une des conséquences tragiques d’une volonté tenace
d’indépendance forgée au cours des siècles suite aux contacts avec de nombreux
groupes de migrants qui se sont déferlés dans leur pays. En d’autres termes, les
Abbey rejetèrent l’autorité de la colonie française en gestation. L’intérêt d’une telle
étude réside dans la quasi inexistence d’un texte approprié. L’histoire des migrations
et déportations causées par la révolte des Abbey demeurent donc peu étudiées et
méconnues. Ces pans sombres de cette histoire sont d’ailleurs consciemment occultés
par la conscience collective des concernés. La collecte d’informations auprès des
traditionnistes Abbey notamment, ceux des sous-groupes Tio o et Moriérou, dont des
membres qui ont activement combattus les étrangers installés dans le pays furent
exilés, le con rme. Aussi, l’actualité récurrente de ces faits ces dernières années
nous pousse t- elle à étudier et à faire connaître cette histoire qui fait5 partir de leur
passé. D’ailleurs, certains écrivains contemporains fustigent le fait que cette histoire
soit restée dans les décombres jusqu’alors.

1 Dans le dialecte Abbey, Moriérou signi e les Morié au nord-est ou les plus anciens
2 Les Abbey localisés à l’Ouest
3 Multitude localisée au centre du pays abbey
4 Lourds ou durs fermant la frontière au sud
5 A l’occasion des élections en République du Congo Brazzaville, des écrivains notamment des littéraires
du Monde des Médias ont indiqué que des survivants des Abbey déportés résidaient dans cette partie
de l’Afrique et s’appelaient les M’Bochi d’oyo

Référence de cet article : BROU-MOUSTAPHA J. E. Migrations et déportations, conséquences


de la résistance des abbey en 1910. 77
« Aussi, ont-ils indiqué que l’histoire de la déportation des Abbey est ignorée
de beaucoup de Congolais ou même demeure un sujet tabou, secret réservé à une
caste donnée (...) le peuple congolais a droit à toutes les histoires du monde entier
mais sur celle de la déportation des Abbey, il n’y a pas un seul mot (BISHIKANDA
Dia pool,2016 P.1) »
L’occultation consciente de l’histoire des déportations des colonisés de l’Afrique
coloniale francophone en général et des Abbey en particulier est un constat qui
amène tout intéresser de l’histoire des déportations historiques à s’interroger pour
en savoir les motifs. Autant les Congolais que d’autres nationaux des pays coloni-
sés sont dans l’ignorance de ce passé et aspirent à une nette connaissance. Pour
appréhender les traces de l’histoire des déportés Abbey à travers cet article, les
préoccupations suivantes seront examinées tour à tour : pourquoi un gigantesque
mouvement migratoire au cours de la révolte des Abbey ? Quels types de migrations ?
Quelles furent les conséquences de ces migrations sur la région de l’Agnéby et des
régions environnantes ? Qui furent les déportés de la révolte des Abbey ? Où furent-
ils emmenés ? Quels sorts leur furent-ils réservés ? Il y eurent-ils des survivants de
cette déportation ? Que devinrent-ils ? Cette étude s’avère donc utile pour apporter
à la connaissance des détails de ces mouvements migratoires et de ces migra-
tions forcées que l’historiographie mondiale de diverses disciplines quali e de nos
jours de « déportation historique (BISHIKANDA Dia pool,2016 P.2) ». Ces intenses
déplacements des Abbey hors de leur région natale et leurs conséquences seront
analysés autour de trois axes : les migrations des Abbey à l’intérieur de la colonie de
Côte d’Ivoire, les déportations des Abbey hors de la colonie de Côte d’Ivoire et les
survivants des exilés Abbey de nos jours.

I- LES MIGRATIONS INTERNES DES ABBEY SOUS LA


RÉPRESSION COLONIALE DE 1910
Nous examinerons ici les raisons des mouvements migratoires au cours de la
révolte, les di érentes directions de ces déplacements et les conséquences.

1- Les origines des migrations internes

La région de l’Agneby a été vidée de sa population civile à la suite de la résis-


tance au regard des sources collectées. En e et, selon les sources des Archives de
la Côte d’Ivoire.
« Les Abbey ont évacué en grande partie leur pays et se sont réfugiés chez les
voisins. Seuls, des troupes de guerriers parcourent la région par intervalles et
viennent de temps à autre fusiller les trains à leurs passages6. »
Les principales raisons avancées des sources orales, des sources d’archives et
des sources écrites se résumeront en trois points.

6 Gabriel ANGOULVANT, La paci cation de la Côte d’Ivoire 1908-1915, méthodes et résultats, Paris,
Larose, 1917, 465 p., p. 286

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1-1 La cruauté de la répression coloniale ou l’élimination systématique
des Abbey

Les raisons essentielles qui justi ent la cruauté des troupes coloniales, notamment,
des tirailleurs sénégalais à l’égard des Abbey sont mentionnées dans les minutes des
archives sur les a aires civiles et justices de la Côte d’Ivoire. Elles soulignent que le
seul fait du déraillement du train et des incidents qui l’ont suivi, à savoir la destruction
des villages des étrangers européens et africains venus de la sous-région, ainsi que
les meurtres des o ciers français et l’assassinat de Rubino, sont des raisons su -
santes pour la liquidation physique des Abbey7. Les magistrats chargés du jugement
des Abbey indiquaient-ils aussi que :
« Le trouble profond qu’avait jeté chez les Abbey la sévère leçon qui avait suivi
leur révolte, la nécessité après la soumission de laisser reprendre con ance à
cette population terrorisée, dispersée et déprimée par les longues privations
auxquelles elle s’était astreinte n’avaient pas permis de reprendre immédiate-
ment l’a aire Rubino8. »
Aussi, si l’administration coloniale a fait le bilan humain de ses troupes confrontées
aux rebelles abbey, elle n’en t pas de même pour les guerriers abbey, qui d’après
les sources d’archives furent aussi nombreux et exécutés pendant la répression du
peuple « rebelle ». En e et, d’après quelques données des Archives Nationales de
Côte d’Ivoire, les guerriers abbey qui se soulevèrent contre l’occupant français et les
étrangers avaient un e ectif important en dehors des guerriers des peuples voisins
qui leur portèrent secours. Dès le début des évènements, le chef de poste d’Agboville
informe le gouverneur Gabriel Angoulvant
« Qu’aux dires des indigènes deux cents (200) abbey armés de fusils sont
rassemblés près d’Ery-Markouguié et se disposent à attaquer le poste dont la
garnison se compose de dix sept gardes de police9. D’après les mêmes sources,
les colonnes de l’armée française furent confrontées le 7 janvier 1910 à Agbo-
ville à trois cents (300) guerriers abbey10. Suivant encore ces mêmes sources,
quatre cents (400) abbey armés rejoignirent les Attié pour l’attaque du poste
d’Adzopé le 26 janvier 191011. »
Au regard des mêmes sources, le nombre d’armes retirées aux Abbey à la suite
du désarmement forcé témoigne que les e ectifs des Abbey en âge de combattre
était impressionnant. A la n du mois de mai 1910, le gouverneur faisant le bilan des
opérations de désarmement indique que sept cents (700) fusils avaient été rendus
(GUIRAL Michel,1976, p.50). Le commandant du cercle des lagunes renchérit dans
son rapport trimestriel de septembre que 1080 fusils avaient été rendus par les Abbey
dans le mois de septembre12.

7 2EE4 et 2EE5, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, aires politiques et indigènes (a aires civiles et
justices), 11 mai 1912, pp 9-11.
8 2EE4 et 2EE5, ANCI, a aires politiques et indigènes ,11 mai 1912.
9 Gabriel ANGOULVANT, Op. cit., p. 281
10 Idem, p. 283
11 Ididem, p. 284
12 1EE18 (8), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de M. Banquet, septembre 1910.

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Le quali catif par lequel le colonisateur désignait le peuple abbey renferme en lui
le dégoût de ces habitants :
« Nous savions depuis longtemps que les Abbey sauvages farouches, au der-
nier échelon de l’humanité, qui se refusaient bien que proches du chemin de
fer à venir le voir, qui se livraient à la vie primitive et nomade du chasseur… »13
Ce quali catif aurait-il été une raison de la répression cruelle ? Le gouverneur
Angoulvant estime :
« En septembre 1910 qu’il serait maintenant inadmissible de faire usage des
armes contre les Abbey. Bien qu’ils ne résistaient plus, ils sont traités en rebelles
et poursuivis sans merci. Ils fuirent devant nos troupes et celles-ci considèrent
ces fuites comme de l’insurrection et continuent la répression. »
Et il y ajoute :
« Faut-il attendre que le pays soit désert pour le déclarer paci er ? (…) A l’avenir,
les soldats devront se contenter de faire des prisonniers et les actes de cruauté
seront sévèrement sanctionnés »14.
En plus de l’attentat à l’intégrité physique des Abbey vaincus, les habitations
n’étaient pas exemptes de destruction.

1-2 La destruction de villages et de campements des Abbey

La destruction des villages et des campements des Abbey constitue aussi une
cause profonde des migrations dans la forêt qui couvre la région et dans les villages
voisins. D’après les sources d’archives, en octobre 1911, des troupes coloniales
détruisirent dix-huit campements seulement dans le village de Yapo du sous-groupe
Tio o15. Les villages de Benguié, Markoudié, Adaou, Ouanguié, Azaguié ont été tous
enlevés et détruits au cours d’une seule nuit16. En 1914, les troupes en détruisent
encore cent cinquante-sept chez les Morié17.
Outre les villages abbey, les villages voisins des fugitifs sont pris d’assaut. Les
Abbey sont-ils ainsi pourchassés dans les villages Attié d’Adzopé (Bécedi, Kétté,
etc.), de d’ouest d’Anyama (N’Podi, N’Bonoua, etc.), dans les villages Abidji et dans
certains villages Dida du nord-ouest de Lahou. Les écrits sur la paci cation montrent
qu’inévitablement les Abbey ne devaient leur salut que dans la fuite. En e et, le
pays connut une longue période d’occupation militaire rythmée par les fouilles, les
arrestations, les répressions et les liquidations. La famine viendra assombrir encore
ce décor humanitaire.

13 Gabriel ANGOULVANT, Op. cit., p. 281


14 1EE18 (5), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, M. Angoulvant à Dakar, 27 septembre 1910
15 1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de M. Clerc, octobre 1911
16 Gabriel ANGOULVANT, Op. cit. p. 283
17 1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de l’administrateur du cercle des Lagunes,
18 août 1914

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1-3 La famine ou le désastre humanitaire

Aux dires des colonisateurs, le pays abbey sort complètement ruiner de son
aventure en 1911.
« Il faut maintenant aider les villages à se relever économiquement. En e et, la
guerre a amené son cortège de misère et de destruction. Ceci est notable dans
l’état de santé et de vieillards. Tous sou rent de maladies de carence, béri-béri.
Les razzias de bétails opérés par les troupes ont décimé le cheptel. Pour remé-
dier à toute cette misère, quatre tonnes de riz sont envoyées depuis Bingerville,
ce qui constitue un premier secours. La ferme modèle de la capitale s’occupera
peu à peu de reconstituer les troupeaux. De plus, il sera mis à la disposition des
villageois, des couples de porc provenant de Toumodi. Il faudra aussi les aider
à reconstituer leurs cultures, et ce sera le travail du chef de poste18. »

2- Les types de migrations internes

Il eut deux types de mouvements migratoires au cours de la révolte des Abbey


comme l’attestent les écrits susmentionnés et les traditionnistes interrogés. D’après
les traditionnistes abbey, les mouvements au sein du pays se sont dirigés dans les
villages moins touchés par la répression, dans les villages limitrophes tels que Lapo,
Céchi, Loviguié, Azaguié, Attobrou, etc. et dans les campements reculés de la forêt
dense19. La seconde direction des fugitifs de la révolte était les villages abbey de la
région du Bas-Bandama (Tiassalé) où résidaient des parents, les villages des eth-
nies alliées telles que les Dida20, les villages des ethnies qui vécurent autrefois avec
les Abbey pendant longtemps avant de se déplacer dans leur région actuelle et qui
sont les Adjoukrou, qui d’ailleurs prirent part à la révolte avec le soutien de certains
fétiches, les villages des peuples frères comme les Attié et les villages Abidji de la
région actuelle de Sikensi. Certains fugitifs se dirigèrent très loin chez des parents au
nord du pays abbey de la région du N’zi-comoé (M’bahiakro, Bocanda, Bongouanou,
Agnibilékro, Daoukro) et dans les régions côtières des lagunes et de la mer telles
que Djibi (Abobo), Sébiayao (Bingerville) et des villages abbey près de l’aéroport
actuel d’Abidjan (BROU MOUSTAPHA Julie,2014, p238-245). Quelles furent les
conséquences de ces migrations ?

3- Les conséquences des migrations

Les migrations qu’enregistrait le pays abbey eurent de nombreuses conséquences


parmi lesquelles le dépeuplement de la région d’Agboville au cours de longues
années, la naissance et le grossissement de certains villages abbey hors de la zone
d’Agboville21, le peuplement de villages voisins, le brassage culturel et le resserrement
des liens de parenté et d’amitié avec les groupes voisins, les relations matrimoniales
18 1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport du gouverneur de Côte d’Ivoire sur la soumis-
sion complète des Abbey, 23 janvier 1911
19 Kouassi DEMBA, ancien chef de village de Tio o, interrogé en 1999 à Ery-Markouguié 1
20 Abbey et Dida sont des peuples alliés depuis l’époque précoloniale. Ils signent des accords d’aides
militaires en cas d’agression par une partie adverse. D’où l’implication de ce groupe dans la révolte
21 Sékou BAMBA, Le Bas-Bandama précolonial : une contribution à l’étude historique des populations
d’après les sources orales, thèse de 3ème cycle, Tome 1, Paris-Sorbonne, 1978, 867 p.

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intenses après la révolte avec les ethnies voisines, la disparition de certains villages
et la création de nouveaux en bordure de nouvelles pistes coloniales, une crise éco-
nomique notoire et la fuite momentanée des étrangers du pays abbey. D’autre part,
il eut une prise de conscience collective des Abbey qu’une indépendance telle qu’ils
l’envisagent se préserve grâce à la force militaire. Aussi, le colon déterminé à anéantir
toute velléité de liberté chez ce peuple révolté décida-t-il de conduire aussi loin que
possible les tenants de la révolte après deux années d’accalmie.

II- LES DÉPORTATIONS DES ABBEY HORS DE LA COLONIE DE


CÔTE D’IVOIRE
Les déportations des Abbey hors de leur pays d’origine à partir de 1912 reposent
sur des fondements juridiques et historiques. Elles répondaient aux objectifs des
colons français et étaient liées à plusieurs motifs.

1- Origines, objectifs, fondements et motifs des déportations

Les sources collectées ont indiqué les motifs et les objectifs des déportations des
Abbey hors de leur pays natal.

1-1 Les objectifs et les motifs des déportations des Abbey d’après les
Sources d’archives

Les sources d’archives nationales de Côte d’Ivoire sur les a aires politiques
indigènes d’avril 1911 relatives aux internements ont indiqué les objectifs des dépor-
tations précisant
« Qu’il n’avait jamais été question d’assainir la masse des indigènes, de la
débarrasser de ses éléments de troubles. C’est cette mesure essentielle, devant
accompagner toute répression que j’ai décidé de prendre, à l’égard des chefs et
féticheurs qui ont été les principaux instigateurs des mouvements »22.
Pour atteindre ces objectifs dans le pays abbey, les meneurs des révoltes ou les
têtes de ls des villages et sous-groupes ethniques qui ont farouchement combattu
contre les troupes coloniales françaises ont été jugés et condamnés à des peines
d’emprisonnement. Le dessein du colonisateur était de mettre un terme à toute velléité
d’indépendance du pays abbey.
Aussi, ces sources ont-elles énuméré les motifs précis de la déportation des Abbey
à travers les procès-verbaux d’interrogatoire des chefs de guerre, de leurs notables
ou de leurs ls à partir de 1912 :
Participation à l’attaque du train du 6 janvier 1910, attaque au cours de laquelle un
Européen M. Rubino, le chef de train François ainsi que plusieurs voyageurs indigènes
furent tués 23, les reproches faites aux Abbey ont été ainsi précisées :

22 Archives Nationales de Côte d’Ivoire, aires politiques indigènes, Rapport du conseil d’administration
sur internements des chefs rebelles, Bingerville, avril 1911.
23 2EE4 et 2EE5, Gaston Joseph, Archives Nationales de Côte d’Ivoire. A aires civiles et justices, avril
1912.

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« Permettez-moi monsieur le gouverneur général, de retracer les événements
qui ont marqué la rébellion des Abbey dont l’assassinat de Rubino ne fut qu’un
des épisodes les plus tragiques (…) une insurrection a éclaté les crimes qui en
sont les conséquences ont été réprimées par les troupes. Mais l’assassinat de
Rubino fut tellement atroce24 et excita une telle réprobation, une telle émotion
dans la population européenne de la colonie que cet acte d’insurrection ne pou-
vait rester impuni (…) Ce n’est que deux ans après, qu’il fut possible d’obtenir
des renseignements précises sur cette a aire et de connaître les individus qui
avaient pris la part la plus active »25.
Les Abbey qui furent désignés comme les criminels seront donc déportés d’abord
dans la colonie puis à l’extérieur selon la gravité des crimes commis.

1-2 L’origine historique de la déportation des Abbey : l’exil d’Obodji


Soboa en 1906.

Les français se sont inspirés de la déportation d’Obodji Soboa pour in iger


une sanction exemplaire aux Abbey. En e et, ce personnage fut emmené en exil
dès l’occupation de la région à la suite des révoltes de 1906 des groupes tio o et
abbeyve. Il a été emprisonné à Tabou pendant quelques années pour être assagi
suivant les sources orales et les sources d’archives. Revenu de son exil, il devient
le collaborateur des Français si bien que selon certains traditionnistes abbey, Obodji
Soboa comprenait la langue des colons. Mais il fut rejeté par les siens et assassiné
pendant sa fuite vers le centre de la Côte d’Ivoire. Cet épisode encouragea les colons
à déporter les Abbey et d’autres colonisés révoltés.

1-3 L’origine juridique de la déportation des Abbey

Les déportations des « rebelles » des colonies françaises sont inspirées des lois
qui régissent le gouvernement général de l’Afrique occidentale française et appliquées
sans exception à toutes les colonies dont la Côte d’Ivoire. Ainsi, les décrets du 18
octobre 1904 et du 21 novembre 1904 portant réglementation de l’indigénat dans les
colonies françaises et notamment, l’application des articles 1 et 2 dudit décret, ainsi
que l’arrêté du 10 avril 1911 portant internement de divers indigènes de la Côte d’Ivoire
pour fait d’insurrection contre l’autorité de la France26, ont décidé du sort des Abbey
à savoir leur déportation dans la colonie de Côte d’Ivoire et hors de cette colonie.

2- Les déportations des Abbey dans la colonie de Côte d’Ivoire

Les déportations des Abbey à l’intérieur de la colonie de Côte d’Ivoire remontent


en 1909. Les Abbey se révoltèrent alors pour la seconde fois contre les exigences
de l’administration coloniale : le paiement de l’impôt, le portage et la réquisition de
la main d’œuvre pour les travaux d’utilité publique tels l’ouverture des voies rou-
tières. Les meneurs de cette révolte furent durement punis. Ils furent condamnés
24 La dépouille de Rubino d’après les traditions orales et les sources écrites a été déchiquetée par des
guerriers abbey.
25 2EE5, Archives Nationales de Côte d’Ivoire. A aires politiques et indigènes 11 mai 1912
26 Joseph Clozel, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Le gouverneur général de l’Afrique occidentale
française, n° 988 à Dakar le 1er juillet 1912.

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de la résistance des abbey en 1910. 83
à des peines d’emprisonnement allant de six à dix ans 27. Ces prisonniers politiques
étaient majoritairement issus du sous-groupe Morié. La liste recueillie aux Archives
Nationales dresse les noms suivants : Kotchy Beneri, Nso chef d’Adaou, Beri, chef
adjoint de grand Morié, N’daimon, Mbo et N’deme, chef d’Azaguié28. La révolte de
1910 prolongea cette liste et ajouta les noms de ceux qui déboulonnèrent les rails et
qui mirent le feu au train à Gbôgbôbô, village où le français Rubino trouva la mort.
Il s’agit de : Ara du village de Bouroukro et Anopoua du village de Yadio. Ils furent
emprisonnés à Daloa, une région de l’ouest de la colonie pour une durée de cinq
années (GUIRAL Michel ,1976, p.55). D’autres prisonniers politiques ont été conduits
hors de la colonie de Côte d’Ivoire.

1- Les détenus politiques Abbey hors de la colonie de Côte d’Ivoire

Les Abbey furent emmenés comme prisonniers hors de la colonie de Côte d’Ivoire
en destination de nombreuses régions de l’Afrique Occidentale Française et de
l’Afrique Equatoriale Française. Les régions citées par les sources d’Archives sont le
Gabon, le Sénégal, le Dahomey, la Mauritanie, la Centrafrique et le Congo Brazzaville.
Déjà en 1909, trois Abbey dont deux hommes et une femme ont été déportés
dans des zones non clairement identi ées par les sources. Ils étaient originaires des
groupes Morié et Tio o. Nous avons les nommés Akissi de Motcho, Yao de Seguié et
N’dir de Makoudjé29. A partir de 1912, les déportations selon les colonisateurs mirent
n aux révoltes en pays Abbey. Les Abbey accusés d’avoir mutilé le corps de Rubino
furent Dibi de Bouroukro et Anopoua de Yadjo., D’après les registres des procès-ver-
baux de justice indigènes, le premier a amputé les mains de la dépouille tandis que
le second l’aurait décapité30. En e et, selon les mêmes sources le véritable coupable
serait un certain Oboumo, père du prisonnier Co Amana, qui serait mort avant le
début des procès. Ils furent tous deux condamnés à des travaux forcés et réduits à
l’esclavage. D’après les journaux o ciels31, Dibi fut emmené à Port-Etienne au Gabon
et Anopoua à Kaédi en Mauritanie pour une durée de cinq ans32. D’autres détenus
furent conduits à Podor dans la région du Sénégal puis à Kaédi en Mauritanie pour
une durée de dix années. Ce sont les nommés Ohouo, Co Amana, Ayé du village
de Bouroukro, Cotchi Olué du village d’Assassi, Bomoa et Akafou Guié du village de
Laoguié33. Certains prisonniers ont été dirigés dans les régions de Congo Brazzaville.
Ils ont été désignés sous l’appellation Mbochi d’oyo. Ce nom est celui qui leur a été
donné dans leur pays d’adoption. Nous ignorons le sens de ce nom car les sources
restent muettes à son sujet. Désignait-il tous les déportés de divers peuples issus des
colonies françaises ? En e et hormis les Abbey, des insurgés d’autres groupes de la
27 1EE18 (6), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de Monsieur Angoulvant à Dakar, février 1909
28 1EE18 (6), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de Monsieur Angoulvant à Dakar, février
1909
29 Idem
30 Procès verbal d’interrogatoire, Achives Nationales de Côte d’Ivoire octobre 1912. P.26.
31 William Ponty, «Arrêté condamnant onze indigènes de la Côte d’Ivoire à des peines d’emprisonnement»,
in Journal o ciel de la Côte d’Ivoire, n°681 bis, 31 Août 1910.
32 2EE5, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Etat des détenus originaires de la Côte d’Ivoire internés
à l’extérieur, 1917,
33 Afrique Occidentale Française, Arrêté portant sur l’internement des indigènes originaires de la Côte
d’Ivoire, Dakar 1912,

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colonie de Côte d’Ivoire et des colonies occidentales avaient été aussi emmenés en
ces lieux. A propos, l’auteur BISHIKANDA Dia Pool a indiqué que :
« Jadis, l’espace que l’on nomme le Congo Brazzaville, était peuplé uniquement
des Bantou et des Pygmées ; mais depuis la n de la colonisation, il abrite des
peuples déportés de force par le colonisateur, qui venaient là exécuter des peines
de travaux forcés. C’est le cas du peuple guerrier Abbey venu d’Afrique de l’ouest
manu militari, enchainé et sous les coups de fouets de miliciens coloniaux…. »
(BISHIKANDA Dia Pool, 2016, P.3).
Les griefs contre ces détenus ont été énumérés dans le procès-verbal d’interro-
gatoire du 1er octobre 191234. Cotchi Olué est inculpé pour avoir attaqué le train le 6
janvier 1910 dès le début de la révolte. Ohouo du village Bouroukro fut le porte-canne
du chef Bourou, fondateur dudit village. Il fut parmi ses notables. Co Amana et Ohouo
avaient été désignés comme les chefs ou les organisateurs de la révolte. Le premier
avait été le chef d’équipe des guerriers Abbey et possédaient par ailleurs les clés
qui servirent à déboulonner les rails. Le second était le chef suprême qui avait visité
tous les villages pour les entraîner à la guerre. Cotchi Olué et Bomoua du village de
Laoguié avaient quant à eux visité le wagon de première classe où s’était réfugié le
commerçant Rubino pour ensuite informer les autres. Ayé du village de Bouroukro
et Akafou Guié de Laoguié furent accusés d’avoir tiré des coups de fusil sur Rubino.
Le village de Bouroukrou fut le lieu de rassemblement des guerriers abbey, le lieu
où le corps de Rubino fut mutilé et dispersé. Aussi, le chef Bourou à qui l’on aurait
remis la tête de Rubino35, selon le témoignage des traditionnistes aurait été à son
tour décapité par les tirailleurs sénégalais. D’autres chefs guerriers qui ne furent
pas déportés à l’extérieur auraient subi le même sort. Quel fut le sort réservé à ces
prisonniers politiques ?

III- LES TOURMENTS DES DÉPORTÉS DANS LES ZONES


D’ACCUEIL ET LES DESCENDANTS
Dans cette section, nous décrirons les lieux de détention, énumérerons les travaux
auxquels étaient réduits les prisonniers et parlerons de ceux que certains auteurs
et la mémoire collective considèrent comme les descendants des survivants Abbey
déportés en Afrique Equatoriale Française.

1- Les lieux d’incarcération des détenus politiques abbey en Afrique


Equatoriale Française : Le Congo-Brazzaville et la Centrafrique

L’absence des données aux Archives Nationales de Côte d’Ivoire sur les déporta-
tions des Abbey en Afrique Equatoriale Française et principalement dans les zones
de Congo-Brazzaville et de Centrafrique fut comblée par les informations recueillies à
partir des sources électroniques. Grâce à ces dernières sources, les lieux de détention
des Abbey ont été connus. D’après ces sources, les Abbey ont été emprisonnés dans
des habitats appelés « les villages de liberté » au Moyen-Congo et de l’Oubangui-Chari
34 Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Procès-verbal d’interrogatoire, 1er octobre 1912, pp. 10 à 13
35 Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Procès-verbal d’interrogatoire, Op. cit., p.11

Référence de cet article : BROU-MOUSTAPHA J. E. Migrations et déportations, conséquences


de la résistance des abbey en 1910. 85
ou Centrafrique36. Selon les mêmes sources, ces habitations seraient des cabanes
en bois dont la toiture est recouverte de feuilles comme celles des maquisards. Les
villages de liberté étaient uniquement habités par ceux qu’on appelait les non-libres
ou les esclaves. Ils étaient comparés aux camps de concentration ou à des prisons
en plein air (BISHIKANDA Dia Pool, 2016, P.6). Ces habitations étaient aussi des
concessions de l’administration coloniale que les mêmes sources décrivent comme
d’immenses territoires obtenus par les négociants colons chargés d’exploiter l’hévéa
et les bois exotiques. Les non-libres qui avaient le statut d’esclave vivaient donc dans
des conditions inhumaines au point où en 1919, André Matsoua d’origine française
fonda à Paris l’Amicale des originaires de l’Afrique équatoriales française qui était
une association d’entraide réclamant la n de la discrimination raciale et du régime
de l’indigénat dont sou raient les déportés des travaux forcés (les Mbochi). Au sujet
des conditions de vie, les mêmes sources précisent qu’elles étaient comparables à
celles des bêtes sauvages :
« Le révolutionnaire abbey vaincu va être transformé en bête sauvage, en animal.
Car de toutes les façons, ils n’avaient pas le choix puisque pour l’administration
coloniale ils étaient des prisonniers. » (BISHIKANDA Dia Pool,2006, p.7). Quelles
étaient les fonctions de ces prisonniers ?

2- Les tâches assignées aux prisonniers politiques abbey

Exilés comme des prisonniers politiques, les Abbey étaient avant tout des esclaves
contraints à des travaux forcés. Ils étaient une main d’œuvre corvéable et serviable
à merci pour les compagnies concessionnaires et pour l’administration coloniale
française. Les pires corvées étaient le portage, la fourniture de vivres et de volailles
à tout agent administratif ou militaire et à sa suite, les livraisons obligatoires d’un
certain poids de caoutchouc ou du latex et d’une quantité de pointes d’ivoires. Aussi,
n’avaient-ils pas de repos.
« Car dès le matin homme et femmes étaient transformés en récolteurs et, obli-
gés à leur retour au village de procéder aux longues opérations de lavage des
racines sécrétant le latex d’herbe. » (BISHIKANDA Dia Pool,2016, p.8)
Ils furent totalement libres qu’après la proclamation de l’indépendance du Congo-
Brazzaville, où ils furent autorisés à sortir des villages de liberté. Ils y eurent-ils des
survivants ? Comment expliquer l’existence de leur descendance dans ces zones ?
En e et, les écrivains contemporains du Congo-Brazzaville attestent que certains
survivants abbey ont eu des descendants qui exercent aujourd’hui les hautes fonc-
tions de l’Etat.

3- Des survivants des prisonniers politiques abbey de l’Afrique


Equatoriale Française

D’après les traditionnistes abbey et les sources électroniques d’écrivains congolais,


les déportés politiques abbey ont eu des descendants qui ont occupé la magistrature
suprême d’Etats d’Afrique Equatoriale tels la Centrafrique et le Congo-Brazzaville. En

36 Dia pool BISHIKANDA, Op. cit., p. 6

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et, Jean Bedel Bokassa, Ange Philippe Patassé et Denis Sassou N’Guesso seraient
d’après surtout les secondes sources des descendants de ces déportés abbey (KRA.
Bernard, 2016, P.1). Les tenants de cette thèse s’appuient sur les patronymes de ces
hommes d’Etat dont les pays ont accueilli en 1910 des insurgés de la colonie de Côte
d’Ivoire comme les Abbey. Ils soutiennent donc que ces patronymes sont d’origine
abbey, et que ces présidents seraient originaires du village de Grand-Morié (KRA.
Bernard, 2016, P.1). Les connaissances recueillies chez les concernés à savoir les
Abbey n’in rment pas ces propos. Les origines abbey de Jean Bedel Bokassa et de
Denis Sassou N’Guesso ont été con rmées par certains traditionnistes abbey des
groupes Tio o et Moriérou. Le premier, Jean Bedel Bokassa serait revenu sur les
traces de ses aïeux de la région de l’Agnéby qui se dénomme de nos jours Agboville
à l’époque où vivait le président Houphouët Boigny37. Il se serait rendu dans un village
autre que Grand-Morié, appelé Moutcho, un village de la tribu Morié. La mémoire
collective des Abbey a conservé ce souvenir qui date d’une époque récente. Quant
à Denis Sassou N’Guesso, bien que son nom soit rattaché aux ascendants du sous-
groupe Tio o, les traditionnistes pour l’instant restent muets sur l’origine exacte de
sa famille. Toutefois, ils ont signalé que les ancêtres de cet illustre personnage ne
seraient pas des prisonniers politiques contrairement aux connaissances livrées par
les écrivains congolais. Ces ancêtres ne seraient donc pas des rebelles et moins des
esclaves. Ils seraient d’une origine noble c’est-à-dire que ses ascendants seraient des
Gblemgbi ou des dirigeants38. Ses aïeux seraient des chefs de tribus et le seraient
encore39. Toutefois, des recherches poussées restent à faire pour in rmer ou con r-
mer cette liation familiale abbey. Le consul du Congo en Côte d’Ivoire a nettement
indiqué que l’Afrique a connu de nombreuses migrations qui ont conduit si loin certains
de ses ls en faisant allusion aux nombreuses migrations des Akan et des Bantou40.
Quant au Président Ange Philippe Patassé, son patronyme Patassé proviendrait de
« Appata », nom qui le rattache à certains villages de la sous-formation ethnique
Moriérou. Cependant, l’ignorance est totale sur sa provenance communautaire exacte
suivant la conscience collective des Abbey. Des recherches ultérieures pourraient
con rmer son origine exacte.

CONCLUSION
Les Abbey comme bon nombre de peuples de Côte d’Ivoire, ont manifesté leur
hostilité contre la présence française en 1910. Cette lutte acharnée aux conséquences
très douloureuses était guidée par un seul motif : l’indépendance coûte que coûte.
Depuis des siècles, les Abbey ont jalousement préservé leur indépendance après
des luttes acharnées contre de nombreux migrants qui ont traversé leur territoire
pour sauvegarder leur identité. La résistance contre celui qu’il considérait comme
l’envahisseur s’inscrivait dans cet élan. Mais la répression sanglante a désillusionné
les farouches guerriers abbey qui ont pris d’assaut les régions voisines pour sauve-
garder leur vie. Ils ont mêlé leurs sou rances à celles des populations qui subiront
aussi le gourou des troupes françaises au risque de perdre leur vie, leurs villages
37 Président de la République de Côte d’Ivoire de 1960 à 1993
38 Témoignage de chef traditionniste abbey que nous mettons pour l’instant dans l’anonymat
39 Traditionnel abbey anonyme, chef de village actuel, interview réalisé en 2016 à Abidjan
40 Dia Pool BISHIKANDA, Op. cit., pp. 7-8

Référence de cet article : BROU-MOUSTAPHA J. E. Migrations et déportations, conséquences


de la résistance des abbey en 1910. 87
et même leurs biens. Les migrations enregistrées pendant la révolte de 1910 sont
sans précédent dans l’histoire des Abbey. La conscience collective des Abbey et la
conscience coloniale n’ont pu quali er l’extrême vengeance des tirailleurs sénégalais
au mépris de la vie humaine. Les survivants qui espéraient une nouvelle vie furent
déportés lorsqu’ils ne furent pas décapités ou fusillés. L’histoire de la déportation
des Abbey comme prisonniers politiques loin des siens demeure un souvenir tant
des sources orales, des sources d’archives que des sources écrites parce qu’elles
conservent encore les stigmates de ce passé. Les Abbey bien que vaincus restent
dignes dans la volonté de toujours préserver non seulement leur identité mais aussi
leur indépendance, ayant conservé tout ce qui fait encore leur essence culturelle,
même si dans un passé récent leur société a été déstructurée. Peuple révolutionnaire ?
Ce peuple l’était à l’instar des autres peuples de Côte d’Ivoire qui ont pris part aussi
à la lutte pour l’émancipation nationale.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Sources

Sources orales
Anonyme traditionnel abbey, chef de village, interview réalisée en février 2016 à Abidjan
Demba Kouassi, ancien chef de village de Tio o, interrogé en 1999 à Ery-Markouguié 1

Sources d’archives
1EE18 (5), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, M. Angoulvant à Dakar, 27 septembre 1910
1EE18 (8), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de M. Banquet, septembre 1910
1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de M. Clerc, octobre 1911
1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport du gouverneur de Côte d’Ivoire de
Côte d’Ivoire sur la soumission complète des Abbey, 23 janvier 1911
1EE18 (9), Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Rapport de l’administrateur du cercle des
Lagunes, 18 Août 1914
2EE4 et 2EE5, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, A aires politiques et indigènes (A aires
civiles et justices), 11 mai 1912
2EE5, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Etat des détenus originaires de la Côte d’Ivoire
internés à l’extérieur, 1917
Arrêté condamnant onze indigènes de la Côte d’Ivoire à des peines d’emprisonnement, Journal
ciel de la Côte d’Ivoire, n°681 bis, William Ponty, 31 Août 1910
Arrêté portant sur l’internement des indigènes originaires de la colonie de Côte d’Ivoire, Gou-
vernement général de l’Afrique occidentale française (AOF), Dakar, 1912
Procès-verbal d’interrogatoire, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, 1er octobre 1912
Procès-verbal, signé Joseph GASTON, Archives Nationales de Côte d’Ivoire, 2 octobre 1912

Source imprimée
ANGOULUANT (Gabriel), la paci cation de la Côte d’Ivoire 1908 - 1915, Méthodes et Résultats,
Paris, Larose, 1917, 465 P.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrage général
BROU-MOUSTAPHA (Julie Eunice), L’histoire des Abbey des origines à la colonisation fran-
çaise, Allemagne, Presses académiques francophones, 2014, 319 p.

Thèse et mémoire
BAMBA (Sékou), Le Bas-Bandama précolonial : une contribution à l’étude historique des popu-
lations d’après les sources orales, thèse de 3ème cycle, Tome 1, Paris-Sorbonne, 1978, 867 p.
GUIRAL (Michel), La pénétration française en pays Abbey de 1903 à 1911 et la révolte des
Abbey, mémoire de maitrise d’Histoire, Université Paris-Sorbonne, 1976, 70 p.

Documents électroniques
BISHIKANDA (Dia pool), « L’histoire de la déportation forcée du peuple guerrier (Mbochi
d’Oyo) de la Côte d’Ivoire au nord du Congo pendant la colonisation », [En ligne]. http: //
www.ladepechedabidjan.info/l-histoire-de-la-deportation-forcee-du-peuple-guerrier-abbey-
Mbochi-d-oyo-de-la-cote-d-ivoire-au-nord-du-congo-pendant_a17761.html.(Page consultée
le 01/07/2016 à 07h37)
KRA (Bernard), « 100 ans, près la révolte des Abbey, pourquoi le colon Rubino a été mangé »,
[En ligne]. http://www.rezoivoire.net/cotedivoire/patrimoine/274/100-ans-apres-la-revolte-
des-abbey-pourquoi-le-colon-rubino-a-ete-mange.html#.V3YamtUzMw (Page consultée
le 01/07/2016 à 07h28)

Référence de cet article : BROU-MOUSTAPHA J. E. Migrations et déportations, conséquences


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