FR411 Cours de Poèsie S2 CHAFAI
FR411 Cours de Poèsie S2 CHAFAI
Objectifs du cours
Contenu du cours
Introduction
I. La versification française
1. Le vers et le décompte syllabique
1.1 La notion de vers
1.2 Le décompte syllabique
1.3 Les règles du décompte syllabique
1.4 Le ‘’e’’ caduc
1.5 L’hiatus et l’élision
1.6 La diérèse et la synérèse
2. Les différents vers français
3. Le rythme
4. La césure
5. L’enjambement et le contre-enjambement
6. Le rejet et le contre-rejet
7. La rime
7.1 La disposition
7.2 Le genre
7.3 La qualité
8. Les reprises de sonorité
II. Les poèmes à formes fixe
1. La notion de strophe
2. La strophe et la laisse
3. La strophe et la stance
4. Les différentes formes de la strophe
5. Le rapport entre le nombre de vers et la mesure des vers
6. Les poèmes d’une seule strophe
Bibliographie
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I. La versification française
L a versification française tire ses origines de la versification latine populaire, tout comme
la langue française est issue de la langue latine vulgaire. Elle est définie comme
l’ensemble des techniques utilisées dans l’expression poétique traditionnelle en langue
française ; et les usages qui y règlent la pratique du vers, le regroupement en strophes, le jeu
des rythmes et des sonorités tels que les types formels de poèmes. La versification se
distingue cependant de l’ « art poétique » qui renvoie à des conceptions esthétiques de la
poésie revendiquées par une personne ou un groupe. Le Romantisme, puis les autres écoles
poétiques du XIXe et du XXe siècles, désireuses de se « libérer » des règles très rigides qu’on
avait imposées à la versification au XVIIe siècle, permirent plutôt à la poésie d’inventer
encore de nouvelles règles graphiques, syntaxiques, et hypertextuelles ouvrant à de
nouvelles perspectives esthétiques. Elles modifièrent jusqu’au fonctionnement fondamental
de la langue elle-même.
Notons qu’en poésie, la forme est productrice de sens. C’est pourquoi il est impératif de ne
pas dissocier le fond et la forme. Dans ce sens, Valéry, dans Variété 1 parle dans la poésie de
l’ « égalité d’importance de valeur et de pouvoir » existant « entre la forme et le fond, entre
le son et le sens ». Dès lors, on ne pourrait concevoir une analyse littéraire qui fait fi de cette
forme ou la néglige. En outre, le lien entre la versification et la signification est si important
qu’il aide à la compréhension de l’œuvre et éclaire la conception de chaque poète de la
poésie. Par ailleurs, pour comprendre et saisir totalement le choix d’une pratique métrique,
il convient de la replacer dans une perspective chronologique. En effet, histoire littéraire et
histoire de la versification sont liées ; les poètes n’étaient pas soumis aux mêmes contraintes
métriques quand ils écrivaient et ceci a une énorme importance pour ce qui est de la
compréhension de leur œuvre.
Poème :
Le poète
Ces quatre lignes qui ouvrent le poème sont des vers. Comment les reconnaît-on ?
1-La première remarque qui s’impose est la typographie, en fait, la présentation diffère
de la prose dans la mesure où les lignes ne sont pas complètement remplies même
quand la phrase n’est pas achevée : les vers 2,3 et 4 constituent en effet une seule
phrase.
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2-La deuxième remarque est que ces lignes n’ont pas la même longueur mais elles ont
des limites bien marquées : d’abord, l’alinéa au début, puis la majuscule et l’alignement
vertical et à la fin, l’espace blanc qui est laissé.
En somme, chaque vers est traité typographiquement comme s’il formait à lui seul un
paragraphe. En revanche, il existe dans la versification française traditionnelle un certain
nombre de paramètres qui contribuent à réaliser l’existence et la perception du vers. Il
s’agit du nombre des syllabes.
Dans notre poème ci-dessus, chacun des vers contient 12 syllabes, ainsi transcrits en
phonèmes. La versification est attachée au nombre des syllabes dans les vers. Il y a aussi
la versification rythmique qui dépend de la place des syllabes accentuées ou atones dans
les vers. Les vers de mesure paire (6,8, 10, 12) ont été à peu près les seuls employés
jusqu’aux révolutions poétiques du XIXe siècle.
C’est Malherbe qui créa vers 1606 les règles strictes de la versification, lesquelles
règles ont perduré jusqu’à l’époque romantique. Or, ces licences autorisées jusqu’au
début du XVIIème siècle disparaissent pendant plus de vingt ans pour ne revoir le jour
qu’au cours du XIXème siècle et même au XXème siècle.
Rappelons donc que la syllabe est un groupe de phonèmes pris ensemble (étymologie :
grec sun, « avec » et lambanein, « prendre ») organisé autour d’une seule voyelle. Cette
syllabe peut être formée diversement :
1-d’une seule voyelle, ex. [e] pour et.
2- D’une voyelle+ une consonne : [ir] pour s’évanouir.
3-D’une consonne + une voyelle ; la consonne dans ce cas est appelée consonne d’appui.
Néanmoins, il peut y avoir différents schémas :
*syllabes dites ouvertes quand elles se terminent par une voyelle (structure courante en
français) :
- c+v : ex. [SU], première syllabe de souffert ;
- c+c+v : la deuxième consonne est combinée avec la consonne d’appui. C’est le plus
souvent une liquide ([r] ou [l]), mais ce peut être aussi une semi- consonne. Ex. [bru],
première syllabe de brouillard ; ou encore [vwa] pour voit.
*Syllabes dites fermées quand elles se terminent par une consonne :
- c + v+ c, ex. [mal] pour mal.
- v+c, ex.(Il) pour il
Le vers français étant syllabique, il s’articule autour d’un nombre fixe de syllabes et pour
définir un isosyllabisme (iso, élément du grec « isos », signifiant « égal »), il faut compter
les syllabes, c’est-à-dire les groupes de sons qui se prononcent d’une seule émission de
voix et dont le centre est obligatoirement vocalique, mais on se heurte à deux
difficultés :
1-le ‘’ e’’ dit muet ou caduc, qui peut être « mangé » (Ronsard) ;
2- les voyelles i, o, u, ou, quand elles sont suivies d’une autre voyelle, peuvent se
prononcer dans une diction courante soit dans la même émission de voix que la voyelle
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suivante (passion, nuit, fouet), soit en une émission distincte (meurtri-er). Or, à
l’intérieur du vers, les règles de prononciation courante peuvent être modifiées.
L’unité de mesure du vers français est la syllabe et le mètre est le nombre de syllabes
comptées dans un vers, ce qui détermine le type de vers.
Retenons toutefois qu’il suffit d’une voyelle pour composer une syllabe, aussi la
versification française s’avère-t-elle une versification vocalique.
Le décompte syllabique a pu faire resurgir la place particulière de la limite entre la
sixième et la septième qui marque une certaine pause rythmique et syntaxique ; c’est la
césure.
1.4 Le « e » caduc
Comme son nom l’indique, le « e » caduc est par nature instable. Dans le poème
proposé et qui date du XVIème siècle, plusieurs cas se présentent :
1- en finale absolue de vers, il n’est jamais compté et ce qu’on appelle
l’apocope de l’ « e » caduc.
Vers 6 : ton ef- fi- gie au vif tant res- sem blant(e)
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s’il est placé devant une voyelle, le « e » n’est pas compté et il n’est pas non
plus prononcé : c’est un cas d’élision.
Vers 9 : et sur la nuit ta- ci- t (e) et som- meil- lant (e).
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
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Cette règle explique dans le dernier vers l’orthographe particulière de « encor », il s’agit
d’une licence poétique (liberté accordée au poète pour transgresser certaines règles de la
langue du point de vue orthographe, morphologie, syntaxe pour les besoins de l’expression
poétique) ; si le mot avait été écrit avec ‘’e ‘’ dans « encore », le vers aurait eu une syllabe de
trop.
Les règles classiques concernant le décompte de l’ ‘’e’’ caduc ont persisté jusqu’à la fin du
XIXème siècle. Les poètes modernes et contemporains le font jouer beaucoup plus librement
et la syllabation des vers doit tenir compte de cette élasticité.
Lorsqu’un mot terminé par une voyelle précède immédiatement dans l’intérieur d’un
vers un mot commençant par une voyelle, on a soit une élision, soit un hiatus. L’élision
consiste à supprimer la première des deux voyelles tant dans la prononciation que dans le
décompte syllabique. L’hiatus, par contre, consiste à prononcer les deux voyelles
séparément et donc elles comptent toutes les deux.
L’élision est généralement notée par une apostrophe dans l’orthographe usuelle lorsqu’il est
question de mots auxiliaires et usités : article, pronom, préposition, conjonction, ex. l’enfant,
l’âme, j’arrive, il l’envoie, jusqu’à, s’il…
A part ces cas où la voyelle élidée est quelquefois un ‘’ a ‘’ou un ‘’ i ‘’, l’élision ne concerne
qu’un ‘’ e’’ inaccentué final, mais elle reste obligatoire à chaque fois que cette voyelle est
suivie d’un mot commençant par une voyelle ou un « h » dit muet.
Ex.1 : Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots. (Chénier)
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Dans un groupe de deux phonèmes vocaliques successifs dont le premier est constitué
des voyelles i, o, u, ou ou, on assiste à deux opérations :
1- soit les deux phonèmes sont prononcés d’une seule émission de voix et on parle de
synérèse (signifiant en grec « resserrement ») : hier, palier, foin, enfouir…
2- Soit les deux phonèmes sont dissociés en deux émissions de voix et on parle de
diérèse (signifiant en grec « division ») : passi-on, ru-ine, nati-on, poè-te…
Notons que la prononciation poétique peut se dissocier de la prononciation courante.
La poésie française privilégie les vers pairs, c’est à dire les vers ayant un nombre pair des
syllabes.
L’alexandrin : (12 syllabes), il doit son nom à sa première apparition dans le Roman
d’Alexandre, poème narratif anonyme du XIIème siècle. C’est le mètre le plus utilisé dans la
langue française, dans tous les types d’expression poétique comme les textes du théâtre
classique. L’usage traditionnel impose une coupe centrale (la césure) qui divise le vers en deux
hémistiches :(6/6).
Ex. « Dans la nuit éternelle/ emportés sans retour ».
Lamartine
Ex. « Je tisserai le ciel / avec le vers français ».
Aragon
Le décasyllabe (10 syllabes) : dont l’emploi est dominant au Moyen Age mais plus rare
ensuite ; il comporte une césure traditionnelle 4/6 qui définit des sous-parties paires.
Ex. « Nous aurons des lits/ pleins d’odeurs légères ».
Baudelaire
L’octosyllabe (8 syllabes) : sans coupe régulière, il se caractérise par la légèreté.
Ex. « Autant en emporte le vent ! » (Villon).
Il est assez souvent employé en association avec d’autres mètres plus longs ou plus courts.
Ex. « Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ? » (Verlaine).
L’hexamètre ou l’hexasyllabe (6 syllabes) qui se rencontre seul mais qui est souvent utilisé en
association avec l’alexandrin pour rompre la monotonie et la majesté.
Ex. « Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ». (Verlaine).
Les vers impairs recherchent l’écart et la souplesse, ils sont fondés sur le nombre de syllabes
qu’ils comportent : trisyllabe (3 syllabes), pentasyllabe (5 syllabes), heptasyllabe (7 syllabes),
ennéasyllabe (9 syllabes), hendécasyllabe (11 syllabes).
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Le vers de deux syllabes est appelé dissyllabe, celui de quatre tétrasyllabe.
Le vers libre : il s’agit d’une création des poètes symbolistes qui date de la fin du XIXème
siècle ; ses caractéristiques touchent plusieurs aspects :
1- d’abord, la typographie, en effet, quoique les vers commencent tous par une majuscule,
on remarque l’absence de retrait pour isoler le début par un espace blanc. Ils sont par
ailleurs regroupés en séquences, ensembles librement constitués, sans structure fixe ou
récurrente : ici, trois fois quatre vers, puis cinq vers, puis un vers final isolé.
2- Ensuite, l’abandon de certaines règles du décompte ; en effet, il n’y a aucun cas d’hiatus
dans le vers libre, aucun cas de diérèse et seul le statut de l’« e » caduc demeure un peu
bousculé. Cependant, comme dans la prosodie classique :
- la syllabe finale de vers en « e » est apocopée,
- tout « e » devant consonne est compté,
- il y a élision d’un « e » devant une voyelle.
3. Le rythme
4. La césure
Dans les plus anciens vers français, la césure est une pause dans l’intérieur du vers, se
trouvant à place fixe après une syllabe obligatoirement accentuée. Mais, il faut que la
syntaxe l’admette. La césure divise le vers en deux parties que l’on nomme hémistiches
mais qui n’ont pas nécessairement le même nombre de syllabes. La césure définit une
mesure à l’intérieur de la cellule rythmique du vers ; les vers courts n’ont ni césure ni
découpage intérieur, ils peuvent se dire d’une seule traite.
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5. L’enjambement/ contre-enjambement
6. Le rejet et le contre-rejet
Le contre- rejet est un procédé symétrique du rejet puisqu’il consiste à faire empiéter un
segment court d’un groupe syntaxique sur le vers (contre-rejet externe) ou sur
l’hémistiche (contre-rejet interne) précédents. Le segment qui porte l’accent métrique
est mis en valeur de cette façon.
Ex. « Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau ferle comme un papillon de mai »
(Rimbaud, Le Bateau ivre)
7. La rime
La rime est le retour de sonorités identiques à la fin d’au moins deux vers avec pour
base la dernière voyelle tonique.
Différente de l’assonance médiévale, la rime exige l’homophonie des sons
consonantiques qui suivent la dernière voyelle prononcée s’ils existent.
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La première rime a en commun le phonème vocalique [e] et le phonème
consonantique [r] ; le phonème consonantique [t] précédant la dernière voyelle
accentuée est également commun. La deuxième rime a en commun le phonème
vocalique [o].
La poésie latine classique ne connaissait pas la rime ; la poésie médiévale et dès le IXème
siècle, utilisait l’assonance qui est l’identité entre la dernière voyelle tonique de deux
vers, alors que les consonnes qui la suivent, peuvent être différentes : (belle/terre, son
vocalique [e] commun). Parallèlement, la rime sur une syllabe voit le jour et au XIIIème
siècle, la rime l’emporte définitivement sur l’assonance. Les rimes masculines dominent
au début parce que la rime féminine qui comportait une syllabe en surnombre (la
dernière syllabe à voyelle atone) posait problème aux poètes. Puis, le système
d’alternance entre rimes masculines et féminines prend progressivement place.
« L’histoire du vers français débute où apparaît la rime, […] la rime est l’élément caractéristique
qui libère notre poésie de l’emprise romaine, et en fait la poésie française. » Écrit Aragon dans
la Préface aux Yeux d’Elsa. (Cité in Brigitte Buffard - Moret, Précis de versification). L’étude
de la rime se fait sur trois axes :
a. Rimes plates ou suivies : c’est le cas de deux rimes semblables qui se suivent
aa, bb, cc, et c’est le schéma habituel dans une pièce de théâtre et dans les genres
suivis (narratif, didactique, satirique…) :(chanté/ été ; dépourvue/venue).
Ex. « Qui frappe l’air, bon Dieu ! /de ces lugubres cris ?
Est-ce donc pour veiller/ qu’on se couche à Paris ?
Et quel fâcheux démon/ durant les nuits entières,
Rassemble ici les chats/ de toutes les gouttières ? »
(Boileau, Satires, VI)
b. Rimes croisées : ce sont des rimes qui alternent selon le schéma abab,
cdcd… : (pensées/bruit ; croisée/nuit).
c. Ex. « Beau chien, quand je te vois/ caresser ta maitresse,
Je grogne malgré moi/-pourquoi ? –Tu n’en sais rien…
Ah ! C’est que moi-vois-tu/ jamais je ne caresse,
Je n’ai pas de maitresse, / et… ne suis pas beau chien. »
(Corbière, Les Amours jaunes, « Sonnet à Sir Bob)
d. Rimes embrassées : c’est le cas de deux vers à rimes plates qui sont encadrées
par deux autres vers rimant entre eux : abba, cddc… (Chandelles/filant ;
s’émerveillant/ belle).
Ex. « Je voudrois estre/ Ixion et Tantale,
Dessus la roue/ et dans les eaux là- bas,
Et nu à nu/ presser entre mes bras
Ceste beauté/ qui les anges égale. »
(Ronsard, Premier Livre des Amours, XLIV.)
e. Rimes redoublées : en compliquant ces schémas qui sont de base, on parle de
rimes redoublées. On les voit dans des strophes contenant un nombre de vers
impairs comme dans les vers mêlés des Fables et des Contes de La Fontaine.
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Ex. « De prière, d’encens/ prodigue nuit et jour,
Le fanatisme se relève.
Martyrs, bourreaux, tyrans, / rebelles tour à tour,
Ministres effrayants/ de concorde et d’amour,
Venus pour apporter le glaive. »
(Chénier, Ode, « Le Jeu de paume »)
Dans cette strophe, il y a redoublement de la rime a en [ure] et dans ce poème, diverses
combinaisons se succèdent de manière récurrente, créant des strophes de 19 vers.
f. Rimes orphelines : une rime est dite orpheline quand elle est isolée, sans
répondant mais elle est très rare et le plus souvent, une rime laissée orpheline dans
une strophe trouve son répondant dans la strophe suivante. On parle donc d’une
rime disjointe.
Elle est déterminée par le nombre de sons communs ; les exigences relatives à la
richesse de la rime ont varié au cours des siècles.
La rime pauvre : un seul phonème commun qui est logiquement la dernière voyelle
accentuée.
Ex. [o] dans rameaux/ tombeaux
La rime suffisante : deux homophonies, soit voyelle+ consonne, ex. (silence/s’avance ;
amoureuse/ mystérieuse. Soit consonne+ voyelle, ex. (horizon/ gazon ; cieux/yeux).
La rime riche : trois homophonies. Ex. ([obr] dans : sombre/ombre).
Remarque : Certaines rimes contiennent plus de trois homophonies, on parle alors de rimes
plus que riches ou léonines. Ex. ([dezer] dans désert / des airs; [tyrn] dans nocturne et
taciturne.)
Notons qu’en principe, la rime ne prend en compte que les sons et non les lettres ou les
syllabes.
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8. Les reprises des sonorités
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II. Les poèmes à forme fixe
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Mon amoureux qui n’ose
Rien me dire, y passait
Moi je cueillais la rose,
La rose et les muguets.
Charles Cros, Le Coffret de santal, « Roses et muguets ».
Elles sont complètement différentes l’une de l’autre et donc il ne faut pas les
confondre. En effet, la laisse, qui est la forme spécifique des anciennes chansons de
geste (chanson de Sainte Foy au XIème siècle, Fragment d’Alexandre), est un
groupement de vers isosyllabiques à assonance ou à rimes identiques en série de
longueurs différentes : certaines assonances peuvent s’étendre simplement sur 4 ou 5
vers alors que d’autres se répètent sur plusieurs centaines de vers. La strophe, par
contre, est caractérisée par la régularité de sa structure.
Venu de l’italien, la stance est un terme qui fut introduit en France à la Renaissance
en même temps que celui de strophe ; il est resté synonyme de strophe jusqu’au XIXème
siècle. Au théâtre, par contre, le mot désignait au XVIIème siècle les monologues ayant le
caractère d’un poème lyrique divisé en strophes.
Les stances, rompant avec l’organisation en rimes plates du reste de la pièce, sont
constituées de strophes dont chacune a son sens distinct et se termine par une
ponctuation forte. Elles n’ont guère moins de trois strophes et dépassent rarement sept
strophes. En outre, elles sont généralement hétérométriques et les mètres qui les
constituent peuvent être très variés, mais ce qui prédomine c’est l’octosyllabe et
l’alexandrin :
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Corneille, La Suivante, II, 4.
Le quatrain peut être isométrique, c’est-à- dire que les quatre vers ont le même mètre,
ou hétérométrique. Mais le cas le plus fréquent est celui du quatrain à clausule ou à
agencement coué (de caudatus, « à queue ») où le vers court final souligne la fin de la
strophe :
*Le quintil : c’est une strophe de cinq vers, sur deux rimes. Elle est peu employée avant
le XIXème siècle, sauf la forme (aabba) fréquente à l’époque médiévale sous le nom de
cinquain. Le schéma le plus adopté par les romantiques et les Parnassiens (Leconte de
Lisle) est : (abaab) :
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Les soirs illuminés / par l’ardeur du charbon.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le Balcon ».
*Le sizain ou sixain : c’est une strophe de six vers, généralement construite sur trois
rimes, utilisée ainsi dès le XVIème siècle, l’époque médiévale se contentant presque
toujours de deux rimes. On rencontre souvent le schéma suivant : (aabccb), fréquent
surtout au XVIème siècle chez Ronsard, au XVIIème siècle chez Malherbe et Racan et au
XIXème siècle chez Victor Hugo :
*Le septain : il s’agit d’une strophe de sept vers, beaucoup utilisée au Moyen Age et ce
grâce aux combinaisons variées qu’elle permettait sur trois rimes.Vigny a écrit cinq des
poèmes des Destinées en septain, en adoptant le schéma : (ababccb) et on l’a appelé
ensuite « septain romantique » :
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*Le huitain : c ’est une strophe de huit vers qui permet divers agencements de rimes ; la
combinaison (ababbcbc) est la plus courante et connue parce qu’on la retrouve dans
tous les huitains de Villon :
*Le neuvain : très peu utilisée car c’est une strophe impaire et longue. Mais, on la
retrouve, en particulier, chez les Rhétoriqueurs et au XIXème siècle, c’est-à-dire à des
périodes de grande recherche formelle étant donné que le neuvain fonctionne sur un
système de trois ou quatre rimes :
*Le dizain : ou dixain est une strophe de dix vers qui apparut vers le milieu du
XVème siècle ; elle permettait plusieurs combinaisons mais, on en préférait deux :
1-la structure (ababbccdcd), utilisée par Maurice Scève dans sa Délie ainsi que par
Marguerite de Navarre. Les dizains présentent dès lors une organisation
symétrique, formant deux quintils inversés :
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Je parleray, / mais je n’aimeray plus.
Marguerite de Navarre, Dixain LXX.
*Les strophes de plus de dix vers : au XIIIème et XIVème siècle, lorsque la poésie
était encore chantée, les strophes longues étaient très à la mode et la structure
de la strophe était rendue sensible par l’accompagnement musical. Puis, ce type
de strophe fut abandonné jusqu’à la période préromantique et romantique :
Chénier, à titre d’exemple, utilise la strophe de dix-neuf vers pour son poème « Le
Jeu de paume », et Lamartine emploie jusqu’à vingt vers pour certaines de ses
strophes.
Une strophe isométrique est définie par le rapport existant entre le nombre
de vers et la mesure des vers qui la composent. Lorsque le nombre de vers est
très inférieur au nombre de syllabes de vers, on parle de strophe horizontale et
c’est le cas le plus fréquent des quatrains d’alexandrins. Par contre, lorsque le
nombre de vers est très supérieur au nombre de syllabes du vers, on parle de
strophe verticale. Ce cas est très rare car les vers courts sont généralement peu
employés ; mais, on le rencontre chez les poètes qui se plaisent aux acrobaties
métriques :
Le vidame
De Conflans
Suit sa dame
A pas lents
Et plus d’une
S’importune
De la brune
Aux bras blancs.
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Hugo, Odes et Ballades, « Le Pas d’armes du roi Jean ».
Quand la rime du cinquième vers est déjà venue deux fois, on ne l’attend plus car
les quatre premiers vers constituent déjà un système de rimes auquel il ne
manque rien :
Le sixain ne se construit que sur trois rimes : deux vers à rimes plates suivis de
quatre vers à rimes croisées ou embrassées. Le huitain se construit toujours sur
trois rimes dont l’une est répétée quatre fois. Ce sont deux strophes de quatre
vers, à rimes croisées ou embrassées, unies seulement par le fait que le
quatrième et le cinquième vers a obligatoirement la même rime :
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A Monfaucon Samblançay l’ame rendre,
A votre advis, lequel des deux tenoit
Meilleur maintien ? Pour le vous faire entendre,
Maillart sembloit homme que mort va prendre ;
Et Samblançay fut si ferme vieillart
Que l’on cuidoit, pour vray, qu’il menast pendre
A Monfaucon le Lieutenant Maillart.
Marot, Epigrammes.
Le lai
Il figure parmi les poèmes à forme fixe qui ne se composent pas d’une strophe
unique et il est l’un des plus anciens. Il a été abandonné depuis le XVIème siècle
et admettait un nombre indéterminé de couplets sur deux rimes entremêlées à
volonté à condition toutefois que l’une des deux fut dominante. Le nombre des
vers de chaque couplet n’était pas limité et les divers couplets n’en avaient même
pas obligatoirement le même nombre.
Quant aux mètres usités, c’étaient les vers de sept, de cinq et de trois syllabes,
mélangés selon le goût du poète dans chaque couplet ; seuls le premier et le
dernier couplet devaient avoir les mêmes combinaisons.
Le virelai
Il s’agit d’une forme très usitée au XVème siècle. C’est un lai où la rime
dominée est virée en dominante d’un couplet à l’autre. Et ces reprises de rimes
constituent une sorte de refrain dans une sorte de virelai, sachant que ce dernier
peut se présenter sous différentes formes. Cependant, dans les autres formes, il y
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a un véritable refrain et le cas le plus fréquent est celui où les deux premiers vers
seulement fournissent le refrain, revenant alternativement à la fin de chaque
couplet, d’abord le premier, puis le second, jusqu’au dernier couplet qui se
termine en reprenant les deux vers, mais en ordre inverse. Par ailleurs, dans un
cas comme dans l’autre, le nombre des couplets et celui des vers de chaque
couplet sont indéterminés. En plus, on peut employer des mètres différents,
comme dans le lai ou alors garder le même mètre d’un bout à l’autre.
La villanelle
Tu regrettes ta femelle,
Hélas ! aussy fay-je moy :
J’ai perdu ma tourterelle.
Ta plainte se renouvelle,
Toujours plaindre je me doy :
J’ai perdu ma tourterelle.
Le triolet
C’est une forme dont on a des exemples dès le XIIIème siècle et qui eut une
grande valeur jusqu’à la Renaissance, puis tomba dans l’oubli jusqu’à la deuxième
moitié du XVIIème siècle, mais elle retrouva à cette époque une certaine faveur
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et ne sorti plus de l’usage depuis. Le triolet se compose généralement de huit
vers sur deux rimes, et construit de telle sorte que le premier vers revient comme
quatrième, et que le septième et le huitième sont la répétition du premier et du
deuxième. La rime dominée n’apparaît qu’aux deuxième, sixième et huitième
vers. Et quand il n’y a que sept vers, c’est que le deuxième n’est pas répété à la
fin.
Notons qu’une pièce peut être constituée par un seul triolet ou par une suite de
triolets ; en voici un exemple tiré d’une pièce d’Alphonse Daudet :
Le rondel
Les rondels ou rondeaux anciens ont connu leur succès entre le XIVème et le
XVIème siècles ; puis abandonnés au XVIIème et au XVIIIème siècles, ils ont été
repris par quelques poètes modernes. Le rondel le plus fréquent est celui de 13
vers dans lequel le premier et le deuxième vers reviennent comme refrain après
le sixième vers, et le premier vers constitue de nouveau, à l’aide d’un refrain final,
le treizième vers :
Le rondeau
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Il est à l’origine une petite chanson destinée à accompagner la danse connue
sous le nom de ronde. Il a vu le jour au XIIIème siècle et se caractérise par une
construction sur deux rimes et par un refrain qui apparaît à son début, en son
milieu et à sa fin. Cependant, il peut avoir des formes très variées : le nombre de
strophe n’est pas fixe et le refrain peut se déplacer dans le poème. En outre,
banni par la Pléiade, après une brève apparition au XVIIème siècle chez Voiture, il
revient au XIXème siècle avec la vogue de mode de tout ce qui touche au Moyen
Age, chez Musset, Banville et Mallarmé :
La glose
Forme qui, introduite en France avec Anne D’Autriche et les Espagnols, n’a pas
vraiment eu de place considérable à tel point qu’aucun exemple ne soit bien
connu, à part celle que fit Sarrazin sur le Sonnet de Job de Benserade. Ce poème
est la parodie d’un autre poème ; il est en strophes de quatre vers et en contient
autant qu’il y a de vers dans le poème glosé ; en effet, chacun de ces vers
constitue, à son tour, le quatrième vers de chacune de la glose. Le rondeau
redoublé est, en quelque sorte, la glose de ses quatre premiers vers.
La ballade
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C’est le poème à forme fixe qui connut la plus grande vogue aux XIVème et
XVème siècles, son nom vient en fait du verbe « ballar » qui signifie danser. Il se
compose de trois strophes isométriques, oscillant entre six et seize vers, assez
souvent carrées, qui se terminent par un refrain, en général d’un vers et parfois
de deux. Un envoi (qui reproduit la forme de la seconde moitié d’un couplet) doit
clore le poème à partir de Molinet, c’est-à-dire du milieu du XVème siècle. C’est
encore un poème à refrain, car le dernier vers du premier couplet revient comme
dernier vers des deux autres et de l’envoi. Ce genre de poème possède assez de
souplesse et de liberté, ce qui permet à la poésie de s’épanouir en l’adoptant,
comme c’est le cas dans la célèbre Ballade des pendus de Villon mais bien
d’autres poètes ont utilisé ce schéma :
L’envoi
Madame, plus que ne sçavez,
Amour si tresfort me guerroye,
Qu’a vous me rens ; or me prenez,
Ma seule souveraine joye.
Charles D’Orléans, Ballades, II.
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Le chant royal
C’est une ballade de cinq couplets au lieu de trois ; les couplets contiennent
les plus souvent onze vers et un envoi de cinq vers, de six ou de sept. Eustache
Deschamps, Villon et Marot s’y sont particulièrement distingués. Abandonné
depuis le XVIème siècle, il a été repris parfois au XIXème siècle.
L’acrostiche
C’est plus un jeu de société qu’un poème ; Villon, Marot et Gringore y ont
excellé. En effet, les lettres qui constituent le nom de la personne à laquelle il
s’adresse ou dont il parle commencent chacune à son rang chacun des vers de la
pièce sans aucune contrainte formelle.
La sextine
La terza-rima
Importée d’Italie au XVIème siècle, elle fut pratiquée, quoique très peu, par
Salel, Jodelle, Baif et Desportes pour être abandonnée aux XVIIème et XVIIIème
siècles. Elle reparut ensuite au XIXème siècle, particulièrement avec Théophile
Gautier et Le conte de Lisle qui lui rendirent sa valeur. Il s’agit d’un poème écrit
en alexandrins et dont la longueur n’est pas limitée tandis que la disposition des
rimes en fait toute la difficulté et en même temps le principal intérêt : le premier
vers rime avec le troisième, le second avec le quatrième et le sixième, le
cinquième avec le septième et le neuvième, et ainsi de suite. En somme, toutes
les rimes sont répétées trois fois, sauf la première et la dernière et il n’y a nulle
part de rimes plates.
La terza-rima est divisée en groupe de trois vers ou tercets par des blanc s ; dans
chaque tercet le premier et le troisième vers riment ensemble et entourent un
vers qui rime avec le premier et le troisième du tercet suivant. Il y a ainsi un
enchaînement continu des rimes tout au long du poème.
Le pantoum
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deux et quatre de la première strophe deviennent les vers un et trois de la
strophe suivante. Le dernier vers doit également reprendre le premier. Le
pantoum doit théoriquement comporter deux thèmes traités parallèlement, l’un
occupant les deux premiers vers de chaque strophe, l’autre les deux derniers ; ces
thèmes doivent être différents mais doivent se compléter et se pénétrer l’un
l’autre.
Dans la pratique, cette forme a donné des poèmes pleins d’artifice et sans grand
intérêt (Banville, Leconte de Lisle), ce qui a poussé les poètes, notamment
Baudelaire, le Pantoum négligé de Verlaine étant une œuvre charmante mais
jugée mineure, à prendre beaucoup plus de liberté pour faire des poèmes.
L’iambe
L’ode
Le sonnet
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jusqu’au XXème siècle (Valéry, Desnos…). Pour ce qui est de sa composition, il
contient deux quatrains et un sixain ; les quatrains se terminent par une
ponctuation forte, les séparant franchement du sixain. L’organisation du sixain
est beaucoup moins stable au début, mais petit à petit, deux structures se
détachent : (ccd eed) dans le cas du sonnet italien ; puis (ccd ede) et le sonnet est
appelé français.
Le mètre utilisé est d’abord le décasyllabe, ensuite c’est Ronsard qui introduit
définitivement l’alexandrin : c’est le mètre de l’ensemble des Regrets de Du
Bellay mais le décasyllabe coexiste :
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Bibliographie
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BUFFARD- MORET, Brigitte, Précis de versification, avec exercices corrigés, Coll.
Lettres Sup., Armand Colin, Siège, 2004.
CARTON, Jean-Paul, Poésie française, premiers exercices d’analyse, Ed. Piter Lang,
1999.
DESSONS, Gérard, Introduction à l’analyse du poème, Paris, Bordas, 1991.
DUCROS, David, Lecture et analyse du poème, Armand Colin, Paris, Col. Cursus, 1996.
GRAMMONT, Maurice, Petit traité de versification, Armand Colin, Coll. U, Paris, 2000.
MARC, Robert, La Poésie française au XIXème siècle - Anthologie, Paris, Hatier 2005.
SERVEAU, Didier, La poésie au XIXème siècle et au XXème siècle, Paris, Hatier, 2000.
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