La Gouvernance Des Forêts Au CMR FR CED AGter
La Gouvernance Des Forêts Au CMR FR CED AGter
LA GOUVERNANCE DES
                                                                                   FORÊTS AU CAMEROUN
                                        AUTEURS :                                  A PROPOS DE CETTE PUBLICATION
                                        Marta Fraticelli (AGTER), Mathieu
                                                                                   Ce dossier a été réalisé par l’association aGter dans le cadre du projet
                                        Perdriault (AGTER), Cécile Pinsart (sta-
                                                                                   «Gouvernance des ressources forestières et reconnaissance des droits
                                        giaire AGTER), Jesse Rafert (stagiaire
                                                                                   des populations locales», une contribution à la coalition RRI à partir
                                        AGTER)
                                                                                   d’expériences d’Afrique et d’Amérique Latine”, grâce au financement
                                        ÉDITEURS :                                 de la Fondation Ford.
                                        Marta Fraticelli (AGTER), Michel Merlet
                                        (AGTER)                                    Le dossier a été réalisé en collaboration avec les organisations parte-
                                                                                   naires au Cameroun de la coalition Rights and Resources Initiative
                                        AVEC LA CONTRIBUTION DE:                   (RRI) : le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED),
                                        Monique Munting (membre d’AGTER),          Cameroun Écologie et la Coopérative agro-forestière de la Trinationale
                                        Patrice Kamkuimo (CED), Pierre             (CAFT).
                                        Etienne Kenfack (CED), François
                                                                                   Ces travaux ont aussi bénéficié de l’appui que la Fondation Charles
                                        Medard Medjo (CAFT), Joseph Mougou
                                                                                   Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) apporte à aGter pour
                                        (CED), Samuel Nguiffo (CED), Michelle
                                                                                   la création de sites web de ressources documentaires.
                                        Ongbassomben (CED), Patrice Pa’ah
                                        (CAFT), Mireille Tchiako (CED), Jacques    En parallèle, un autre dossier a été réalisé sur la gouvernance des
                                        Waouo (CED), Christian Ze (CED)            forêts au Guatemala. La réflexion croisée sur ces deux réalités,
                                                                                   développée à l’occasion d’un voyage d’étude réalisé au Cameroun
                                        COORDINATION DU PROJET :
                                                                                   avec deux représentants des organisations membres de RRI au
                                        Marta Fraticelli, chargée de pro-
                                                                                   Guatemala, a donné lieu à une troisième publication.
                                        gramme d’aGter
                                        PHOTO DE COUVERTURE :
                                        Marta Fraticelli
                                        DATE DE PUBLICATION :
                                        Septembre 2013
                                        Le site du fond de ressources              Parmi les nombreuses personnes qui ont contribué à la réalisation de ce
                                        documentaires :                            dossier, nous tenons tout particulièrement à remercier Cécile Pinsart et Jesse
                                        www.agter.org                              Rafert, étudiantes en Master 2 respectivement à l’ISTOM et à l’IEDES, qui ont
                                                                                   réalisé le travail de terrain. Nous remercions également Alain Karsenty, qui a
                                        Le site de l’association :                 contribué à l’accompagnement du travail de Cécile Pinsart. Ses travaux sur
                                        www.agter.asso.fr                          les forêts du Cameroun nous ont beaucoup aidé.
                                        E-mail :                                   Un grand merci aussi à toutes les autres personnes qui ont contribué à la
                                        agter@agter.org                            construction de la réflexion. En particulier aux collègues du Centre pour
                                                                                   l’Environnement et le Développement et à Samuel Nguiffo, son secrétaire
                                                                                   général, et aux collègues de la CAFT, Patrice Pa’Ah et François Medard Medjo.
                                                                                   Leurs apports ont été essentiels pour notre réflexion.
                               AGTER    AGTER
    Indice                                                                          LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
             Conclusion
             Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?                                    123
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                                                                                                                    AGTER
    Introduction et présentation du dossier                                            LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                      Introduction et présentation du dossier
    INTRODUCTION ET PRÉSENTATION
    DU DOSSIER
    Ces forêts constituent un véritable réservoir de biodiversité. Elles abritent de nombreuses espèces animales
    et végétales, dont une grande partie est endémique. Elles jouent aussi un rôle fondamental dans le maintien
    des équilibres environnementaux : leurs écosystèmes, caractérisés par un équilibre complexe et fragiles,                   impact sur le couvert forestier potentiellement bien plus important que la demande domestique de terres.
    contiennent une quantité importante de ressources (flore et faune, sols, eau...) et fournissent de nombreux                Par ailleurs, les activités liées à l’extraction minière s’intensifient. Facilitées par la construction de nouvelles
    « services écologiques » (régulation du climat, maintien des cycles hydrologiques, stockage de carbone dans                infrastructures, les effets combinés du développement des mines et de l’agro-industrie sur les forêts du
    les sols et les arbres...), précieux tant à l’échelle locale et régionale que pour la planète toute entière.               bassin du Congo risquent d’être catastrophiques.
    Ces caractéristiques confèrent aux forêts du bassin du Congo la valeur d’un bien commun à toute l’huma-
    nité, tant pour la population actuelle que pour les générations futures. Leur altération, et a fortiori leur               Les pays du Bassin du Congo se trouvent aujourd’hui face à un double défi : d’une part, développer leurs
    disparition, aurait des conséquences sur la vie de l’ensemble des humains au niveau global. La définition                  économies, afin de réduire la pauvreté dans laquelle vit une partie importante de leurs populations
    de politiques susceptibles de permettre leur préservation concerne pour cette raison tous les citoyens du                  et d’autre part, protéger leurs forêts en limitant l’impact négatif de la croissance économique sur les
    monde.                                                                                                                     ressources naturelles. Le choix entre différents modèles de développement est une question éminemment
                                                                                                                               politique. Jusqu’à maintenant, l’exploitation des ressources naturelles et minières et la mise en place de
    Les forêts du bassin du Congo revêtent aussi une importance vitale pour les populations qui les habitent.                  grands projets agricoles n’ont pas permis de satisfaire les besoins alimentaires des populations et n’ont
    Elles hébergent quelques 30 millions de personnes, et fournissent des moyens de subsistance à 75 millions                  souvent bénéficié qu’à une minorité. Leur contribution au développement territorial local a souvent été
    d’individus. Les produits de ces forêts (fruits, champignons, petit gibier, poissons...) satisfont à une part              limité, voire parfois nettement négatif. De fortes tensions sont apparues entre les différents acteurs dans
    importante des besoins de subsistance de ces populations (aliments, médicaments etc.).                                     certaines régions, allant parfois jusqu’à des conflits armés.
    Les rapports que les hommes ont entretenu avec le milieu forestier ont constamment évolué : les sociétés
    s’adaptent au milieu naturel, tout en le transformant ; leurs rapports avec les forêts se modifient du fait des
    changements démographiques et socio-économiques en leur sein, mais aussi en fonction des changements                       Pourquoi s’intéresser aux forêts du Cameroun ?
    qui se produisent à l’extérieur ; ils évoluent aussi bien sûr avec les technologies disponibles.
                                                                                                                               En raison de la réforme du secteur forestier qu’il a entreprise dès 1994, le Cameroun a été pendant deux
    Si on les compare avec les autres bassins forestiers tropicaux du monde, les forêts du bassin du Congo                     décennies un laboratoire politique grandeur nature sur la gouvernance des forêts en Afrique Centrale. Cette
    se trouvent encore dans un très bon état de préservation. En Amazonie, c’est surtout l’avancée du front                    réforme, adoptée dans la foulée des sommets de Rio et de Johannesburg et dans le contexte des politiques
    agricole avec le développement des activités d’élevage extensif qui a le plus fort impact sur la forêt. En                 d’ajustement structurel promues par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, a été considé-
    Asie du Sud-Est, ce sont les plantations forestières d’arbres à croissance rapide pour la production de pâte               rée comme une avancée importante en direction d’une meilleure durabilité des ressources forestières et
    à papier et les plantations destinées à la production d’agrocarburants qui conduisent à la destruction des                 d’une plus grande participation des populations forestières à la gestion de ces ressources.
    forêts tropicales. Jusqu’à ces dernières années, ces moteurs des processus de dégradation du couvert fores-
                                                                                                                               La réforme répondait à plusieurs objectifs : réguler l’exploitation forestière industrielle (qui continue d’être
    tier avaient été moindres en Afrique Centrale. Mais la déforestation s’est accélérée dans les pays du Bassin
                                                                                                                               la principale modalité de gestion des ressources forestières, au Cameroun comme dans l’ensemble du
    du Congo au cours de la dernière décennie (à un rythme de 0,23% par an, entre 2000 et 2010, d’après la
                                                                                                                               bassin du Congo5) pour augmenter les recettes fiscales de l’État, tout en poursuivant des objectifs de conser-
    FAO2). Il faut s’interroger sur les raisons de cette évolution, afin de pouvoir faire face à une situation qui
                                                                                                                               vation, mais aussi promouvoir la décentralisation et la participation des communautés et des collectivités
    risque de continuer à s’aggraver.
                                                                                                                               locales à une gestion durable des ressources forestières.
    La densité de population est en moyenne assez faible dans le bassin du Congo, mais le taux d’accroisse-
                                                                                                                               La mise en place de nouveaux dispositifs légaux aurait dû permettre la reconnaissance des droits des
    ment annuel de la population (2,7% par an3) y est plus élevé que dans les autres grands bassins forestiers
                                                                                                                               populations forestières. Cependant, dans la pratique, l’application des différents dispositifs est encore
    tropicaux. La déforestation et la dégradation des forêts du Bassin du Congo sont généralement associées
                                                                                                                               insuffisante et laisse toujours ouvertes des questions importantes relatives au partage des droits sur les
    à l’expansion des activités de subsistance (agriculture de subsistance et utilisation du bois et du charbon
                                                                                                                               ressources naturelles. La gestion des ressources naturelles (le bois, la terre, les mines, le carbone contenu
    de bois pour la production d’énergie). Dans une situation où les droits des communautés sur le territoire
                                                                                                                               dans les arbres,...) reste la prérogative d’un nombre restreint d’acteurs économiques.
    qu’elles occupent ne sont pas sécurisés, l’installation de champs ou de plantations est perçue comme une
    « mise en valeur » et contribue à la reconnaissance de leurs droits sur la terre. Mais si l’avancée de la frontière        Ce dossier documentaire s’intéresse à la gouvernance des forêts denses humides du sud du pays, qui recou-
    agricole du fait des dynamiques propre aux populations locales a un impact sur les ressources forestières,                 vrent presque 20 millions d’hectares. Il donne des clés de compréhension de certaines limites des reformes
    c’est loin d’être la seule cause de disparition de ces forêts. La demande croissante de terres agricoles pour              actuelles : ne pas avoir tenu compte des systèmes de gestion et d’organisation des communautés forestières
    la production de matières premières, en particulier d’agrocarburants pour les marchés mondiaux, a un
6                                                                                                                                                                                                                                                                   7
                                                                                                                      AGTER    AGTER
    Introduction et présentation du dossier                                           LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                   Introduction et présentation du dossier
    et de ne pas s’être assez clairement attaqué à la modification des rapports de force qui déterminent dans la              Un dossier documentaire qui s’insère dans un travail plus vaste de
    pratique la possibilité pour les différents acteurs de s’approprier des ressources communes.
                                                                                                                              réflexion sur la gouvernance des forêts
                                                                                                                              Depuis sa création en 2005, l’association internationale aGter, dont la raison d’être est de contribuer à l’amélio-
    Une analyse historique de la gouvernance des forêts, qui fait appel au                                                    ration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles, avait surtout travaillé sur les questions
    « pluralisme juridique »                                                                                                  foncières. Les forêts, qui recouvrent un tiers de la surface terrestre et revêtent une importance fondamentale
                                                                                                                              en tant que bien commun à toute l’humanité, ne pouvaient rester exclues de la réflexion que mène l’associa-
    Les systèmes de gestion des ressources forestières élaborés par les populations forestières locales sont                  tion. Depuis 2010, aGter a engagé un chantier de réflexion sur la gouvernance des ressources forestières, dont la
    complexes et divers. Ils intègrent des pratiques agricoles en milieu boisé et des activités de prélèvement                spécificité est de travailler en parallèle sur des réalités diverses de différentes régions du monde, en croisant les
    de ressources de la forêt (chasse, cueillette, pêche, plus généralement, extractivisme). Ces systèmes de                  regards et les approches afin d’enrichir la réflexion.
    gestion n’avaient pas été reconnus pendant la période coloniale6. Ils ne le sont toujours pas aujourd’hui,
                                                                                                                              Le Cameroun et le Guatemala, deux pays très différents autant d’un point de vue géographique que pour leur
    le cadre légal en vigueur ne reconnaissant que des droits partiels aux communautés et aux habitants, qui,
                                                                                                                              histoire et leur culture, ont été les premiers à faire l’objet de ce travail d’analyse et de documentation. Par delà
    par ailleurs n’ont souvent pas les moyens de les rendre effectifs. Nous verrons comment les acteurs locaux
                                                                                                                              les différences, des enjeux communs apparaissent lorsque l’on s’intéresse aux formes de gestion des ressources
    ont été autorisés à prendre part (mais de manière très limitée) au « jeu » de l’exploitation et de la commer-
                                                                                                                              naturelles et aux choix politiques qui les ont fondées.
    cialisation du bois, pour lequel ils n’étaient nullement préparés. Les communautés et les communes qui
    ont voulu user de ces nouveaux droits sont, depuis, confrontées à de nombreuses formes de captures de                     Pour la réalisation de ce travail, aGter a choisi de s’associer à un réseau mondial qui réunit un certain nombre
    la rente forestière qui était sensée contribuer à leur développement. Pourtant, l’observation des territoires             d’organisations forestières, la coalition Rights and Ressources Initiative (RRI) et qui travaille à la reconnaissance
    villageois en milieu forestier montre qu’il existe dans les dispositifs locaux de gestion des ressources un               et au renforcement des droits des populations et communautés forestières dans différents pays.
    potentiel qu’il serait possible de valoriser, et qui permettrait la préservation de ces écosystèmes complexes.            Les organisations membres de RRI au Cameroun ont participé à la réflexion et à la conception des documents
    Les dispositions légales introduites au Cameroun n’ont apparemment pas permis de corriger les processus                   qui composent ce dossier. Celui-ci s’est construit d’une façon collective, en recueillant des contributions
    d’exclusion depuis longtemps à l’œuvre dans les régions forestières et dont sont victimes de nombreux                     plurielles. Deux étudiantes de Master, encadrées par aGter et accueillies en 2011 et en 2012 par le Centre pour
    Camerounais. Là où leur application a été tentée, elles peuvent même avoir contribué à la destruction des                 l’Environnement et le Développement (CED) ont contribué à ce travail.
    solidarités et avoir accentué la déstructuration des systèmes de gestion des ressources communes au sein                  Les deux principaux objectifs de ce dossier sont :
    des collectivités locales. C’est du moins ce que semblent indiquer les visites réalisées dans le cadre de la
    préparation de ce dossier auprès de quelques communes et communautés bénéficiaires de ces dispositifs                     • renforcer les capacités et le fonctionnement des organisations qui œuvrent pour la reconnaissance et la
    d’exploitation définis comme « participatifs ».                                                                           protection des droits des populations forestières, au Cameroun, notamment dans leur travail de plaidoyer et de
                                                                                                                              propositions politiques;
    La compréhension de la complexité et de la variété des normes qui existent autour de la gestion des
    ressources forestières conduit à remettre en cause la possibilité d’existence d’un cadre normatif unique et
                                                                                                                              • alimenter, au Cameroun et dans d’autres pays du monde, la réflexion sur la gouvernance des forêts et sur
    exclusif. Les cadres de régulation que les sociétés forestières ont définis pour régler les usages individuels
                                                                                                                              le rôle des communautés locales, paysannes et indigènes, dans la mise en place de systèmes de gestion des
    et collectifs de la terre et des ressources naturelles sont pluriels, et les droits de chacun correspondent à des
                                                                                                                              ressources forestières capables d’assurer leurs moyens de vie tout en préservant les ressources naturelles. Le
    constructions sociales, définies sur la base de l’organisation et des relations de pouvoir qui les sous-tendent.
                                                                                                                              cas du Cameroun n’est pas présenté comme un modèle, mais comme une base d’expériences utiles. La mise
    Ce dossier présente une analyse historique de l’évolution de la gestion des forêts au Cameroun, qui part
                                                                                                                              en perspective avec l’autre dossier construit sur la même période au Guatemala permet de mieux comprendre
    de l’observation des modes de vie des populations vivant dans ces forêts et de leurs efforts d’adaptation
                                                                                                                              les évolutions et d’apporter des éléments pour la réflexion et la formulation de propositions. Celles-ci seront à
    aux contraintes imposées par le milieu naturel et aux changements provenant de l’extérieur. On y observe
                                                                                                                              construire au cas par cas, en fonction des spécificités de chaque pays.
    comment ces sociétés s’organisent pour la gestion des espaces et des ressources naturelles et définissent
    des cadres normatifs multiples pour la régulation de la gestion et de l’appropriation de ces ressources. On y             Ce dossier ne prétend pas à être exhaustif sur l’ensemble des questions qui concernent la gouvernance des
    examine ensuite le système normatif de l’État, orienté par des objectifs spécifiques, et on regarde comment               forêts au Cameroun. Certains aspects, comme celui des concessions forestières industrielles, ne sont abordés
    celui-ci s’est superposé aux systèmes locaux de régulation, sans les reconnaître dans leur complexité et                  que partiellement, bien qu’ils représentent dans le panorama de la gestion forestière au Cameroun une dimen-
    leur diversité.                                                                                                           sion considérable : sur près de 20 millions d’hectares de forêt, 6,4 avaient été classés en 2009 comme des forêts
                                                                                                                              de production à long terme et faisaient l’objet de telles concessions.
    Pour développer cette analyse, nous nous sommes appuyés sur les apports méthodologiques du « plura-
                                                                                                                              Nous espérons que l’analyse développée au fil de ce dossier contribuera à fournir des éléments susceptibles
    lisme juridique ». Cette approche considère que, sur un même espace et sur les ressources qu’il contient,
                                                                                                                              d’aider les acteurs à modifier les cadres réglementaires dans le but de garantir un meilleur usage des forêts et
    coexistent une pluralité de droits et différents ayants droit. Ces droits sont de natures différentes; les insti-
                                                                                                                              de la rente tirée de l’exploitation forestière à des fins d’intérêt collectif. Dans les contextes sociaux des commu-
    tutions créées pour leur régulation sont des constructions sociales, qui évoluent selon les contextes et dans
                                                                                                                              nautés agro-forestières du sud du Cameroun, l’apparition d’opportunités importantes de revenus associés à la
    le temps, sur la base des rapports de force existant dans les sociétés.
                                                                                                                              commercialisation du bois entraîne des transformations très profondes. Quels mécanismes pourraient être mis
    Le dossier analyse comment la coexistence de ces différents sources normatives s’est mise en place dans                   en place pour couper court aux tentatives internes et externes de capture privative des ressources communes,
    les espaces forestiers du Cameroun, afin d’en examiner les conséquences sur les modes de vie des popula-                  qui déstabilisent les sociétés locales et ruinent souvent leurs efforts d’adaptation de leurs modalités de gouver-
    tions et sur la préservation des ressources forestières. Il aborde l’histoire de la construction des droits, mais         nance ? Ne sommes nous pas amenés, sur la base des observations réalisées, à questionner le modèle d’exploita-
    aussi les éléments économiques qui orientent les choix des différents acteurs dans les domaines touchant à                tion dominant et les dispositifs légaux qui le soutiennent ? L’exploitation maximale des ressources pour le profit
    la gestion des ressources forestières, autant d’éléments importants à prendre en compte pour comprendre                   d’un minimum d’acteurs économiques conduit à une exploitation excessive et donc destructrice de la forêt, qui
    les évolutions et les dynamiques de leur gouvernance.                                                                     s’accélère de manière alarmante dans le bassin du Congo. Les auteurs de ce dossier espère contribuer de par
                                                                                                                              leur réflexion à relever le défi d’une gestion durable des ressources dans l’intérêt des peuples qui vivent dans les
                                                                                                                              forêts, des populations avoisinantes et de l’humanité dans son ensemble.
8                                                                                                                                                                                                                                                               9
                                                                                                                     AGTER    AGTER
     Introduction et présentation du dossier                                                                LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   Introduction et présentation du dossier
     Ce dossier se compose, dans sa version sur support papier, de 12 fiches thématiques. Un CD contenant une
     version électronique de ce travail ainsi que du dossier parallèle réalisé sur le Guatemala en français et les
     mêmes documents en langue espagnole sera disponible prochainement.
     Ce travail ne constitue qu’un document d’étape. Il sera enrichi et complété par la production de nouveaux
     documents sur d’autres expériences intéressantes de gouvernance des ressources forestières, au fur
     et à mesure du développement du chantier de réflexion. Ces travaux seront disponibles sur le       site de
     ressources documentaires d’aGter, et sur les sites des organisations partenaires.
     1 C. Megevand et al., Dynamiques de déforestation dans le bassin du   5 D’après la Banque Mondiale, environ 44 millions d’hectares de forêt
     Congo, Banque Mondiale, 2013                                          seraient en concession à des entreprises forestières dans l’ensemble
     2 Rapport sur l’état des forêts de la FAO, 2011                       du Bassin (C. Megevand, Dynamiques de déforestation dans le bassin
                                                                           du Congo. Réconcilier la croissance économique et la protection de la
     3 Ibidem                                                              forêt, BM, 2013)
     4 Cf. Jean Bakouma, Les enjeux de la valorisation économique des      6 Ils avaient même été alors en partie détruits.
     écosystèmes forestiers dans les pays du Bassin du Congo.
10                                                                                                                                                                                                                                    11
                                                                                                                                           AGTER    AGTER
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
                                             Cette fiche introductive présente à l’intention des lecteurs qui ne connaissent pas
                                             le Cameroun quelques traits généraux de la situation économique et sociale de ce
                                             pays. La diversité géographique et culturelle du Cameroun lui ont valu le surnom
                                             d’ « Afrique en miniature ». Sa situation économique et sociale est aussi celle de
                                             nombreux autres pays du continent : un exode rural massif, une population dont
                                             le doublement est attendu d’ici à 2050, des systèmes de santé, d’éducation ou
                                             encore de justice insuffisamment dotés pour répondre aux besoins de tous, une
                                             économie largement fondée sur l’exportation de ressources naturelles peu ou pas
                                             transformées. Le pays doit importer une grande partie de ses besoins en produits
                                             manufacturés, en produits alimentaires et en carburants, alors que la terre n’est
                                             pas une ressource rare et qu’il dispose de pétrole brut qu’il exporte par ailleurs.
                                             Sous l’influence des institutions financières internationales, le pays s’est ouvert
                                             largement aux entreprises étrangères intéressées par ses ressources naturelles.
                                             Les forêts font figure de levier stratégique pour le développement et attisent de
                                             nombreuses convoitises.
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                                    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                                   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                            Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
     DIVERSITÉ
                                                                                                                                                                                                                                     redoute de voir se répandre. Les mouvements de
                                                                                 Les deux langues officielles du Cameroun sont
                                                                                                                                                                                                                                     libération camerounais, en particulier l’Union des
                                                                                 l’anglais, parlé en particulier dans deux régions de
                                                                                                                                                                                                                                     Populations du Cameroun (UPC), vont alors subir de
     GÉOGRAPHIQUE ET                                                             l’ouest du pays frontalières avec le Nigeria, et le
                                                                                 français. Des affrontements entre les forces gouver-
                                                                                                                                                                                                                                     l’armée française une répression sanglante jusqu’à
                                                                                                                                                                                                                                     l’accession du pays à l’indépendance, en 1960. Cette
     CULTURELLE                                                                  nementales camerounaises et des factions séces-
                                                                                 sionnistes ont éclaté à plusieurs reprises dans les
                                                                                                                                                                                                                                     violence a été jusqu’à récemment largement passée
                                                                                                                                                                                                                                     sous silence, de même que celle exercée contre les
                                                                                 années 90 dans les territoires anglophones, en lien
                                                                                                                                                                                                                                     mouvements qui, aussitôt après l’indépendance,
     Situé à l’ouest de l’Afrique Centrale, le Cameroun a                        avec le contentieux territorial qui oppose, depuis les
                                                                                                                                                                                                                                     ont lutté contre l’instauration d’un régime de parti
     une superficie de 475.000 km2. Son territoire s’étire                       indépendances, le Cameroun et le Nigeria.
                                                                                                                                                                                                                                     unique. En 1982, Paul Biya accède à la présidence
     des côtes du golfe de Guinée, où se trouvent les ports                                                                                                                                                                          du Cameroun. A partir de 1990, l’officialisation de
     de Douala et Kribi, jusqu’au rives du lac Tchad. Cet                                                                                                                                                                            nouveaux partis devient possible, mais selon des
     étalement sur plus de 1 200 km, entre la zone souda-
     no-sahélienne et la zone équatoriale lui confère une                        UNE POPULATION TRÈS                                                                                                                                 modalités auxquelles certains groupes d’opposition
                                                                                                                                                                                                                                     refuseront de se conformer voyant en elles l’avène-
     grande diversité de climats et d’écosystèmes. Trois
     régions géographiques principales peuvent être                              JEUNE ET DE PLUS EN                                                                                                                                 ment d’un « multipartisme sous contrôle ».
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                                                                                                                                                   AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                                 LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                             Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
Annexe
                                                                                          *
                                                                                                                                                        DOSSIER : Gouvernance des forêts du Cameroun – Fiche 1
                                                                                                                                                        FICHE RÉDIGÉE PAR : Marta Fraticelli (AGTER) et Mathieu Perdriault (AGTER), version initiale révisée par Mireille Fouda Effa (CED)
                                                                                                                                                        DATE DE RÉDACTION : Octobre 2011
                                                                                                                                                          Retrouvez ce document et beaucoup d’autres sur la site documentaire d’aGter
                                                                                                                                                        SOURCES :
                                                                                                                                                         Global Forest Watch. 2005. Atlas forestier interactif du Cameroun : http://www.globalforestwatch.org/french/pdf/Document_synthèse_français.pdf.
                                                                                          **
                                                                                                                                                         Ngnikam E., Tolale E.. 2009. Systèmes énergétiques : Vulnérabilité – Adaptation – Résilience (VAR). Cameroun, Helio International.
                                                                                                                                                         Wasseige, C. (de) et autres. 2009. Les forêts du Bassin du Congo. État des forêts 2008, Comifac.
                                                                                                                                                         Deltombe T. 2009. Port, rail, plantations : le triste bilan de Bolloré au Cameroun, Le Monde Diplomatique.
                                                                                                                                                         CED, RACOPY, FPP. 2010. Les droits des peuples autochtones au Cameroun. Rapport supplémentaire soumis, suite au deuxième rapport périodique
                                                                                                                                                        du Cameroun, au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale. Centre pour l’Environnement et le Développement (CED);
                                                                                                                                                        Réseau Recherche Actions Concertées Pygmées (RACOPY); Forest Peoples Programme (FPP)
                                      * premières catégories de produits par     ** premières catégories de produits                                     Dkamela G. P.. 2011. Le contexte de la REDD+ au Cameroun, CIFOR.
                                      ordre de valeur monétaire décroissant      par ordre de valeur décroissant et plus
                                      et plus important pays importateur pour    important pays fournisseur de chaque                                    Deltombe T.. 2011. Interminable fin de règne à Yaoundé, Le Monde Diplomatique, octobre.
                                      chaque catégories de produits              catégorie
                                                                                                                                                         Cerutti P.O. et Lescuyer G.. 2011. Le Marché Domestique du sciage artisanal au Cameroun, état des lieux, opportunités et défis, CIFOR.
20                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       21
                                                                                                                                               AGTER    AGTER
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
22                                                                                                                       23
                                    AGTER
     Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche                                       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                    Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche
24                                                                                                                                                                                                                                                                                                   25
                                                                                                                                               AGTER     AGTER
     Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche                                             LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                  Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche
     Cette double évidence oblige à s'interroger sur la                            des systèmes socio-économiques marqués par                                 où la forêt ne s'est pas encore reconstituée. Ces                        forestier. Pourtant, force est de constater que depuis
     réussite du modèle de gouvernance des ressources                              un faible développement des institutions et un                             systèmes cessent alors d'être durables et deviennent                     que l’exploitation industrielle du bois s’est accélérée
     forestières mis en place au Cameroun, qui a claire-                           poids important des relations interpersonnelles,                           un important facteur de déforestation : ils peuvent                      dans les années 1980, ses conséquences, directes
     ment privilégié la grande exploitation privée. Le                             la recherche de profit individuel favorise souvent                         entraîner le développement de processus d'érosion                        ou indirectes, sur le couvert forestier et sur les
     gouvernement considère que c'était la meilleure                               le développement de phénomènes de corruption,                              des sols, ils contribuent à la destruction de la biodi-                  modes de vie des populations locales sont devenues
     opportunité pour le développement du pays, du                                 à tous les échelons, et de pratiques « illégales » au                      versité (en particulier lorsqu'ils doivent se dévelop-                   importantes.
     fait des taxes forestières qui sont prélevées aux                             regard du droit de l'État qui contribuent à la destruc-                    per dans des forêts primaires résiduelles) et à
                                                                                                                                                                                                                                       Historiquement, on observe dans diverses régions
     exploitants. Il est aussi présenté comme un modèle                            tion des ressources forestières.                                           l'émission nette de gaz à effet de serre. Ces atteintes
                                                                                                                                                                                                                                       du monde que beaucoup d'exploitants forestiers
     de gestion durable, notamment lorsque les exploi-                                                                                                        écologiques de portée globale appellent des change-
                                                                                   Bien que de dimensions encore relativement                                                                                                          cherchent à tirer profit des richesses naturelles
     tations sont certifiées pour leurs pratiques écolo-                                                                                                      ments urgents de comportements. On perçoit dès
                                                                                   limitées, le phénomène des accaparements fonciers                                                                                                   qui se sont constituées bien avant toute interven-
     giques par des organismes internationaux. Mais la                                                                                                        à présent que ce ne sont pas les pratiques agro-
                                                                                   à grande échelle pour la mise en place de grandes                                                                                                   tion humaine sur la forêt. Après un premier cycle
     réalité est beaucoup plus complexe.                                                                                                                      forestières en elles-mêmes qui sont mauvaises : ce
                                                                                   plantations d'arbres à croissance rapide, de cultures                                                                                               d'exploitation, où sont prélevés les arbres de plus
                                                                                                                                                              sont les modifications de l'environnement socio-
                                                                                   destinées au marché agroalimentaire ou d'agrocar-                                                                                                   grande dimension et à plus forte valeur économique,
                                                                                                                                                              économique général qui, en réduisant l'ampleur des
                                                                                   burants, constitue une menace grandissante pour                                                                                                     la rentabilité de l'exploitation forestière diminue.
                                                                                                                                                              surfaces susceptibles d'être cultivées conduisent
     DES ÉCOSYSTÈMES                                                               la préservation des forêts. Leurs effets dévastateurs
                                                                                   sur les forêts primaires ou secondaires sont sans
                                                                                                                                                              à une diminution des cycles de rotation et par là
                                                                                                                                                                                                                                       Tant qu'il existe des forêts non exploitées acces-
                                                                                                                                                                                                                                       sibles, les exploitants préfèrent se déplacer vers
                                                                                                                                                              même à la perte de durabilité de ces systèmes.
     MENACÉS                                                                       pareil. À cela s'ajoute, et se superposent (souvent
                                                                                   même physiquement, sur les mêmes espaces) des
                                                                                                                                                                                                                                       celles-ci, en abandonnant leur concession initiale.
                                                                                                                                                                                                                                       Ces comportements sont favorisés par le fait que
                                                                                   projets d’exploration / exploitation minière, dont                                                                                                  les cycles forestiers réels sont toujours beaucoup
                                                                                   les impacts directs et indirects sur les écosystèmes                       Le bois comme source d'énergie                                           plus longs que les périodes de concession. On peut
                                                                                   forestiers et sur la vie des populations locales sont                      Le prélèvement de bois et la fabrication de charbon
     Un taux de déforestation croissant                                            difficilement mesurables et qui connaissent depuis                         à des fins énergétiques constituent une autre cause
                                                                                   quelques années une véritable explosion.
     dont les causes sont multiples                                                                                                                           majeure de déforestation.
                                                                                   Ces choix concernant les modalités de gestion des                          Au Cameroun, en zone rurale, bois de feu et charbon
     Le taux de déforestation est passé de 0,94% pour la
                                                                                   ressources forestières sont souvent déterminés par                         de bois représentent la principale source d'énergie36;
     période 1990-2000 à 1,04% pour la décennie suivante
                                                                                   des intérêts qui dépassent les frontières nationales.                      la consommation de bois par habitant a été estimée
     (données FAO). Les causes de ces pertes importantes
     de couvert forestier sont multiples. Les forêts sont                                                                                                     à 9 723 m3 en 2008 (source Banque Mondiale, World
     aujourd’hui le lieu d’interactions entre des acteurs                                                                                                     Data Bank), alors qu'elle était de 773 m3 par habitant
     aux logiques contradictoires et aux intérêts souvent                          Des pratiques agricoles                                                    dans la même année au Gabon, pays où les besoins
                                                                                                                                                              énergétiques sont couverts par l'utilisation du
     divergents.
                                                                                   traditionnelles non sans effets                                            pétrole.
     La déforestation n'est pas seulement le fait des
                                                                                   La forêt est au cœur des systèmes agraires balais-
     grandes exploitations        forestières industrielles,
                                                                                   brosses qui assurent l'alimentation des nombreuses                                                                                                      Fig. 8 Des grumes dans une scierie industrielle. SE du Cameroun
     l'exploitation illégale joue également un rôle impor-
     tant, ainsi que les pratiques traditionnelles  ; la
                                                                                   populations bantoues. Il s'agit d'une pratique                             Une exploitation minière d’au                                                                                                    Photo : J.Giron
                                                                                   performante et durable, tant que le cycle d'abattage
     consommation de bois de feu occupe une place
                                                                                   - culture - longue friche permet le renouvellement                         moins une partie des ressources                                          en déduire deux hypothèses importantes et complé-
     considérable parmi les causes de dégradation du
     couvert forestier.
                                                                                   de la forêt et de la fertilité des sols35.                                 forestières par les exploitations                                        mentaires : 1/ une partie de la rentabilité des entre-
                                                                                                                                                                                                                                       prises forestières provient de la capture d'une rente
     Les concessions données par l'État pour l'exploi-
                                                                                   Lorsque la pression démographique augmente et                              industrielles de bois                                                    naturelle, et 2/ une exploitation forestière rentable
                                                                                   lorsque les espaces forestiers utilisables diminuent,                                                                                               peut être fondée sur une extraction de type minier,
     tation industrielle du bois, censées garantir une                                                                                                        L’exploitation commerciale du bois s'était développé
                                                                                   du fait de la concurrence avec les exploitations                                                                                                    lorsqu'elle n'assure pas le retour à une situation
     gestion durable de la forêt, ont souvent été le théâtre                                                                                                  dès la période coloniale, avec l'attribution à des
                                                                                   industrielles du bois ou avec les plantations agro-                                                                                                 identique d'inventaire de bois sur pied en fin de
     de pratiques qui ont fortement altéré le couvert                                                                                                         entreprises privées de grandes surfaces de forêts par
                                                                                   industrielles, les agriculteurs doivent réduire le                                                                                                  cycle d'exploitation à ce qu'il était à l'origine.
     forestier  : coupes à blanc, écrémage (coupe des                                                                                                         le biais de concessions. La réforme de 1994 confirme
                                                                                   cycle de rotation et mettre en culture des parcelles
     arbres les plus précieux), utilisation de techniques                                                                                                     et accentue cette tendance.                                              Ce dossier n'aborde pas directement cette problé-
     d'abattage et de débardage inappropriées, non                                                                                                                                                                                     matique  : aucune étude de cas n'a été réalisée sur
     respect des obligations de reboisement. L'ouverture                           35 Les systèmes d'abattis-brûlis, parfois appelés culture itinérante,      L’impact de l’exploitation commerciale sur la
                                                                                   occupent d'importantes superficies dans différentes régions du monde                                                                                la durabilité des grandes exploitations forestières au
     de pistes facilite la pénétration des forêts denses                                                                                                      déforestation est souvent présenté comme étant
                                                                                   depuis très longtemps. Les souches des gros arbres ne sont pas                                                                                      Cameroun. Nous avons choisi d'aborder la question
     par les exploitants illégaux, qui procèdent au pillage                        détruites, et 10 à 20 années de friche (parfois plus) sont en général
                                                                                                                                                              très limité. L'exploitation sélective des arbres,
                                                                                                                                                                                                                                       de la gouvernance des forêts dans un premier
     des ressources, parfois avec la complicité de repré-                          nécessaires pour permettre la régénération d'une forêt susceptible         soumise à des contraintes légales devenues de plus
                                                                                                                                                                                                                                       temps en partant des pratiques des populations.
     sentants des communautés locales qui les aident à                             de maintenir un niveau acceptable de fertilité, les racines ramenant       en plus exigeantes au cours des dernières décen-
                                                                                   à la surface des éléments minéraux des couches profondes du sol.                                                                                    Des études spécifiques sur les concessions fores-
     localiser les essences les plus recherchées34. Dans                                                                                                      nies, est censée assurer la conservation du couvert
                                                                                   Par ailleurs, le couvert forestier permet de limiter la présence de                                                                                 tières et leur durabilité seraient d'un grand intérêt,
                                                                                   mauvaises herbes. Une densité de population inférieure à 20 habitants                                                                               s'il était possible d'avoir accès aux informations
                                                                                   par km2 permet normalement un fonctionnement durable des systèmes
     34 L'exploitation illégale se fait dans la majorité des cas avec de faibles   d'abattis-brûlis (Bahuchet, 1996 ; Brady, 1996 et Boserup, 1965, dans M.   36 Les foyers à bois et charbon sont généralement très peu
                                                                                                                                                                                                                                       dans un certain nombre d'entreprises. Mais d’ors et
     moyens techniques, impliquant des destructions et des gaspillages             Chimère Diaw, Si, Nda Bot et Ayong: culture itinérante, occupation des     économiques et en outre nocifs pour la santé. L'introduction de foyers   déjà, de l'avis des différents spécialistes consultés
     importants.                                                                   sols et droits fonciers au Sud-Cameroun, 1997)                             améliorés pourrait permettre de réduire la consommation de bois.
26                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      27
                                                                                                                                                     AGTER    AGTER
     Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche                                    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                     Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche
                                                                                                                                                     une option qui est testée dans certains pays, en                          sion sont les populations locales, en particulier les
                                                                                                                                                     particulier en Amérique Latine38.                                         populations autochtones, dont les formes d’organi-
                                                                                                                                                                                                                               sation et de gestion des ressources et les culture ont
                                                                                                                                                                                                                               été détruites, souvent à jamais.
28                                                                                                                                                                                                                                                                                                                29
                                                                                                                                             AGTER   AGTER
     Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche                                             LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
     concrètes est d'autant plus grande que les institu-                         vant l'octroi des permis d’exploitation à sa guise.
     tions et les agents en charge de veiller à leur appli-                      Le cadre normatif légal a été imposé de cette façon
     cation font défaut.                                                         comme source normative privilégiée, en excluant les
                                                                                 systèmes normatifs construits localement par les
     De nouvelles occasions de mettre en place des
                                                                                 populations forestières.
     régulations dans le domaine forestier sont apparues
     plus récemment avec la prise de conscience                                  Par delà les insuffisance de ce système normatif
     mondiale des enjeux écologiques, en particulier                             légal, le problème de fond est la non prise en compte
     climatiques, attachés à la fôret:                                           des autres systèmes normatifs de gestion des
                                                                                 ressources qui existent au niveau local. Leur évolu-
     • Le Cameroun a signé un accord de partenariat
                                                                                 tion, toujours nécessaire, ne se fait pas dès lors en
     avec l'Union européenne (FLEGT), premier importa-
                                                                                 fonction des intérêts des groupes qui les ont insti-
     teur de ses produits ligneux, qui limite à partir de
                                                                                 tués, mais essentiellement en fonction des rapports
     2012 l'importation de bois aux filières contrôlées et
                                                                                 de force avec des acteurs externes.
     certifiées. Cet accord risque de ne pas conduire à
     une réduction de la demande de bois non certifié : la                       Le dossier se propose d'apporter des éclairages
     Chine, qui n'est pas concernée par son application,                         sur ces différentes questions, et de contribuer à la
     occupe une place de plus en plus importante dans                            construction d'une gouvernance plus inclusive de
     le secteur du bois au Cameroun et l'application du                          ces biens communs que sont les forêts.
     FLEGT entraînera probablement un déplacement des
     exportations de bois vers ce pays.
     SOURCES :
        Bahuchet S. Fragments pour une histoire de la forêt africaine et de son peuplement : les données linguistiques et culturelles,
     1996 In : L’alimentation en forêt tropicale : interactions bioculturelles et perspectives de développement, UNESCO, 1996.
       Brady, 1996 et Boserup, 1965, dans M. Chimère Diaw, Si, Nda Bot et Ayong: culture itinérante, occupation des sols et droits fonciers au Sud-
     Cameroun, 1997
       Angerand S., Forêts du Bassin du Congo : des concessions aux forêts communautaires, Les Amis de la Terre, 2006.
       FAO, Rapport sur les forêts 2011 : La situation des forêts dans le bassin amazonien, le bassin du Congo et l’Asie du Sud-Est, Brazzaville.
       Molnar A. et al., Large acquisition of rights on forest lands for tropical timber concessions and commercial wood plantations, RRI et ILC,2011.
30                                                                                                                                                                                                                                                      31
                                                                                                                                                    AGTER
     De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,                                  LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                          De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,
     un long processus qui débute avant l’indé-pendance du Cameroun                                                                                                                                                                                             un long processus qui débute avant l'indé-pendance du Cameroun
     PÉRIODE COLONIALE
                                                                                         reconnus. Il en a résulté un système hybride, dans
                                                                                         lequel le droit endogène cohabitait avec le droit
                                                                                         écrit, le premier étant toujours soumis en dernière                       Le système des concessions à
                                                                                         instance au second.
                                                                                                                                                                   l'époque coloniale
                                                                                                                                                                                                                                             LA NON
     L'imposition depuis le haut d'un
                                                                                         Le droit imposé par le haut a ainsi amputé une part
                                                                                         des droits que les populations locales avaient définis                    Dans les régions forestières, l’administration                            RECONNAISSANCE DES
     système normatif qui généralise
                                                                                                                                                                                                                                             DROITS ENDOGÈNES
                                                                                         pour elles-mêmes de plus ou moins longue date. Il a                       coloniale a attribué des terres par le biais de conces-
                                                                                         aussi permis directement ou indirectement l'appro-                        sions à des entrepreneurs privés européens sur
     la privatisation de la terre et ne                                                  priation des ressources communes par un nombre                            les vastes superficies dont elle s'était assignée
     reconnaît pas pleinement les droits                                                 restreint d’acteurs.                                                      la propriété. Les concessionnaires ont ainsi pris                         DANS L'ACTUEL CADRE
                                                                                                                                                                   le contrôle d'énormes ensembles fonciers et des
     communautaires                                                                                                                                                ressources naturelles et humaines qui s'y trouvaient.
                                                                                                                                                                   Cela a été le préalable au développement de
                                                                                                                                                                                                                                             NORMATIF RELATIF À
     En 1885, à la Conférence de Berlin, dans le souci de                                La déstructuration des modes de
     prévention des conflits, les puissances coloniales
                                                                                         vie des populations locales et de
                                                                                                                                                                   systèmes d'exploitation commerciale des ressources
                                                                                                                                                                   forestières et de l'installation de plantations, notam-
                                                                                                                                                                                                                                             LA TERRE
     européennes se sont accordées sur des règles de
                                                                                                                                                                   ment d'hévéa (pour le caoutchouc) jusqu’en 1913,
     comportement dans le cadre de leurs politiques                                      leurs systèmes de gouvernance                                             année où les cours de ce produit se sont effondrés,
     africaines. Le traité qui en a été le produit donnait
                                                                                         Avant la colonisation, les terres qui aujourd'hui                         et de palmier à huile. Leurs produits étaient ensuite
     le droit aux puissances coloniales occupant la côte
     d'annexer l'arrière pays. L'Allemagne avait dès                                     forment le Cameroun correspondaient aux terri-                            exportés pour alimenter l'industrie européenne.                           La « présomption de
     lors la liberté d'annexer les terres de l'hinterland,                               toires de différentes populations, souvent organi-
                                                                                                                                                                   Mais l’extraction des ressources et des produc-                           domanialité46», spécificité des
                                                                                         sées en Royaumes. Le foncier, élément fondamental
     dans l'objectif de faire du Cameroun (Kamerun)
     une colonie de peuplement pouvant accueillir de                                     de cohésion sociale, constituait la base de l'autorité
                                                                                                                                                                   tions nécessitait la construction d'infrastructures                       anciennes colonies
                                                                                                                                                                   routières et ferroviaires importantes. Pour disposer
     nombreux colons.                                                                    des chefs.                                                                                                                                          Toutes les terres qui étaient sous le contrôle de la
                                                                                                                                                                   de la main d'œuvre nécessaire, les colons ont
                                                                                         La colonisation a introduit des changements                               assujetti les populations locales43.                                      puissance colonisatrice deviennent, au moment de
     Un an plus tard, le protectorat allemand promulgue                                                                                                                                                                                      l'indépendance, les terres de l'État du Cameroun.
     par décret que toutes les terres qui sont réputées                                  importants qui ont bouleversé l'organisation de
                                                                                                                                                                   Contrairement à ce qui se passait à la même                               Elle sont versées au « domaine ».
     « vacantes et sans maître » deviennent propriété de                                 ces sociétés, leurs modes de vie et le rapport des
                                                                                                                                                                   époque dans la métropole, où la concession du droit
     la Couronne allemande, qui peut ainsi décider de                                    hommes à la terre et aux ressources. Certains ont                                                                                                   Avant cela, en 1935, un décret portant sur la
                                                                                                                                                                   d'exploiter une forêt était soumise à adjudication
     leur utilisation. Cet instrument juridique permet                                   contribué tout particulièrement à la déstructuration                                                                                                régulation du foncier dans les territoires d'Afrique
                                                                                                                                                                   publique et à des paiements élevés, les concessions
     de justifier l'appropriation et l'annexion à l'Empire                               des systèmes locaux de gouvernance des ressources                                                                                                   Occidentale Française avait introduit le concept de
                                                                                                                                                                   au Cameroun se font pratiquement sans contrepar-
     allemand de territoires peu peuplés, mais pas vides                                 naturelles et des territoires forestiers :                                                                                                          domaine. Il est repris à son compte par le législateur
                                                                                                                                                                   tie. L'administration coloniale justifie cette situation
     d'hommes. Des populations « Pygmées » et Bantoues                                   • les politiques de délocalisation et de sédentari-                       par le fait que la mise en valeur des terres fores-                       camerounais en 197447.
     y avaient organisé des systèmes complexes de                                        sation des villages des communautés nomades et                            tières inaccessibles constitue à ses yeux un service                      Cette notion succède à celle de « terres vacantes et
     gestion des ressources naturelles ( Voir Fiche 4.                                   semi-nomades, imposées autour des années 1920.                            pour la collectivité toute entière. L’administration                      sans maître » qui avait légitimé toutes les entreprises
     Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du                                    Après l'indépendance, ces politiques trouveront                           coloniale assure aux compagnies exploitantes                              de colonisation. Elle recouvre les même espaces
     Cameroun et        Fiche 5. Organisation sociale et                                 un écho radical, en 1962, avec la décision du prési-                      une sécurité foncière qui leur permet de tirer les                        et prolonge l'œuvre de dépossession des terres
     systèmes de production agro-forestiers des Bakas).                                  dent Ahidjo de sédentariser toutes les populations                        meilleurs bénéfices des investissements qu'elles                          communautaires. Toutes les terres sur lesquelles
     . La colonisation française, par la suite, adoptera la                              autochtones.                                                              réalisent pour la construction des infrastructures de                     n'avaient pas été revendiqués précédemment des
     même politique pour s'approprier les ressources                                                                                                               transport44.
                                                                                         • L'introduction dans les villages des cultures                                                                                                     droits de propriété ou de jouissance, ou qui n'avaient
     naturelles communes.
                                                                                         d'exportation, notamment celle du cacao, qui boule-                       Dans les faits, l'appropriation des terres et de la forêt                 pas été exploitées ou occupées depuis plus de dix
     Forts de leur position dominante (militaire, écono-                                 versent les systèmes de production coutumiers ;                           se fait presque gratuitement. Le système conces-                          ans48 sont présumées appartenir au domaine.
     mique... ), et tout en le justifiant par un souci d'uni-                                                                                                      sionnaire forestier profite de ce qu'il est bien diffi-
                                                                                         • La soumission à l'impôt, pour lequel ont été crées                                                                                                L'État à proprement parler n'est propriétaire que
     formisation, les protectorats coloniaux ont imposé                                                                                                            cile aux populations forestières de faire reconnaître
                                                                                         des « chefferies administratives » qui ont constitué                                                                                                d'une partie des terres du domaine  : celles du
     un cadre normatif commun. Ce droit écrit, calqué                                                                                                              leurs pratiques coutumières, temporaires et mobiles,
                                                                                         le maillon local de l'administration coloniale. Au                                                                                                  « domaine public »49 et celles du « domaine privé
     sur le droit impérial, était bâti sur le concept du                                                                                                           d'utilisation des ressources de la forêt comme une
     droit de propriété privée de la terre. Il posait l'État en
     garant de ce droit. Ce nouveau cadre, créé depuis le                                                                                                                                                                                    45 A. Karsenty, S. Assembe, (2010) et C. Coquery-Vidrovitch (1982)
     haut, s'est superposé à la multiplicité des systèmes                                                                                                                                                                                    46 D'après G. Chouquer (2010). Le concept de "domanialité" désigne le
                                                                                         42 Le terme endogène caractérise quelque chose qui est produit à                                                                                    régime des biens appartenant aux personnes publiques.
                                                                                         l'intérieur d'un organisme ou d'une structure (d'après la définition      43 Dans le nord du pays l’établissement de la colonie a été différent,    47 Ordonnance n°74/1 du 6 juillet 1974 portant sur le régime foncier.
                                                                                         du Larousse). Nous avons choisi d'utiliser cet adjectif pour définir      autant à cause de la moindre diversité de ressources naturelles           48 Durée inférieure à celle des jachères pratiquées dans la plupart des
                                                                                         les systèmes normatifs qui ont été construits au cours du temps par       exploitables, qu'à cause de la structuration sociale différente des       systèmes agro-forestiers coutumiers.
                                                                                         les sociétés locales pour organiser l'accès, l'usage et la gestion des    populations d’agriculteurs-éleveurs du Nord, moins faciles à assujettir   49 Le domaine public est défini comme la propriété exclusive de l'État
                                                                                         ressources naturelles. Ce terme a été préféré à celui de « coutumier »,   et à contrôler.                                                           et des collectivités locales (régions et communes). L'État peut décider
                                                                                         normalement utilisé pour qualifier ces systèmes normatifs, mais qui       44 Voir Ouedraogo, H. (2010) « Mythes, impasses de l'immatriculation      de son attribution en concession ou par des autorisations provisoires
                                                                                         véhicule souvent à tort une connotation d'archaïques et d'immuables.      foncière et nécessité d'approches alternatives ».                         d'occupation en faveur d'acteurs privés.
32                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    33
                                                                                                                                                          AGTER    AGTER
     De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,                                  LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                            De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,
     un long processus qui débute avant l’indé-pendance du Cameroun                                                                                                                                                                                                 un long processus qui débute avant l'indé-pendance du Cameroun
     de l'État »50. Une troisième catégorie, le « domaine                                                                                                            étendues forestières a été le fait de groupes écono-                        sous la forme de baux de longue durée ou de
     national », est définie de façon résiduelle. Il                                                                                                                 miques étrangers mais aussi de groupes ethniques                            titres fonciers de propriété, pour leur conversion à
     comprend toutes les terres qui ne sont pas affec-                                                                                                               camerounais (comme celui des Bamilekes, origi-                              d'autres usages (production de matières premières
     tées sous un autre statut. L’État se pose comme                                                                                                                 naires de l'ouest du pays). Il contribue sensiblement                       pour l'industrie alimentaire ou pour la production
     son simple « gardien », mais il peut décider d'y attri-                                                                                                         à alimenter la conflictualité inter-ethnique55.                             d'agrocarburants)60. Les bénéficiaires répondent
     buer des terres à des individus ou à des personnes                                                                                                                                                                                          aisément à l'obligation de mettre en valeur de
     morales ou d'en reverser une partie à l'un des deux                                                                                                                                                                                         manière visible les terres concédées en détruisant le
     premiers domaines. Rentrent dans le domaine
     national les terres qui sont occupées mais pour
                                                                                                                                                                     Une reconnaissance très partielle                                           couvert forestier pour implanter des cultures desti-
                                                                                                                                                                                                                                                 nées à l'industrie agro-alimentaire, la production
     lesquelles les droits d'occupation et d'utilisation du                                                                                                          des droits des populations locales                                          d’agrocarburants, ou à d'autres transformations
     sol n'ont pas été formellement reconnus. Il s'agit
     notamment des territoires coutumiers dont les
                                                                                                                                                                     sur les ressources naturelles                                               industrielles (hévéa).
     habitants n'ont pas la possibilité de faire reconnaître                                                                                                         La législation foncière de l'État camerounais ne
     leurs droits (voir ci dessous).                                                                                                                                 traite pas directement de la question de la proprié-
                                                                                                                                                                                                                                                 UN DÉCOUPAGE
                                                                                                  Fig. 10 Système de culture agro-forestier. Photo : M. Fraticelli
                                                                                                                                                                     té coutumière56, aucune disposition ne considère
                                                                                         tation pour répondre à l'exigence de visibilité de la
                                                                                                                                                                     les terres communautaires comme une catégorie
     L'exclusion des systèmes normatifs
                                                                                         mise en valeur52.
34                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        35
                                                                                                                                                           AGTER     AGTER
     De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,                                    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                            De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,
     un long processus qui débute avant l’indé-pendance du Cameroun                                                                                                                                                                                                    un long processus qui débute avant l'indé-pendance du Cameroun
     est la plus répandue dans les sociétés « dévelop-                                   parcelles s'accroissent. Si les surfaces forestières                           La mise en place de ce cadre légal induit une exclu-                        les villages sont apparues, ceux-ci se trouvant dès
     pées ». E. Le Roy a montré que certains types de                                    disponibles sont réduites du fait de l'attribution de                          sion encore plus forte des populations autochtones                          lors en compétition pour l'appropriation de la rente
     droits sur la terre et sur les ressources naturelles                                la forêt à d'autres usages, les populations locales                            de chasseurs pêcheurs cueilleurs Bakas, même si                             associée aux ressources ligneuses67.
     étaient caractéristiques de chaque représentation de                                n'auront à terme d'autre recours que de réduire                                ceux-ci conservent la possibilité d'utiliser certains
                                                                                                                                                                                                                                                    En l'absence d'autre mécanisme effectif de recon-
     l'espace : ainsi, la propriété exclusive et absolue de                              la durée des rotations des systèmes d'abattis-                                 produits forestiers sur les espaces occupés par
                                                                                                                                                                                                                                                    naissance des droits des populations de la forêt sur
     la terre et des ressources est très largement associée                              brûlis. Les rendements des cultures vivrières vont                             les UFA. La loi et les normes officielles limitent la
                                                                                                                                                                                                                                                    les territoires qu'elles occupent et les ressources
     à une représentation géométrique de l'espace,                                       diminuer, et les rivalités pour l'accès à la terre dans                        durée, l'étendue et les modalités d'utilisation des
                                                                                                                                                                                                                                                    qu'ils contiennent, le dispositif de la « forêt commu-
     dont l'expression la plus évidente est le parcellaire                               les villages s’accroître. Au sein des familles élargies,                       produits forestiers par les populations, sans tenir
                                                                                                                                                                                                                                                    nautaire » a été perçu comme une possibilité de
     cadastral.                                                                          des conflits se multiplient entre familles nucléaires,                         compte de leurs pratiques. Les populations les
                                                                                                                                                                                                                                                    sécurisation des territoires coutumiers, vis-à-vis des
                                                                                         essentiellement au moment des héritages. Ceux-ci                               plus affectés sont celles qui vivaient traditionnel-
     Dans les massifs forestiers du sud du Cameroun, le                                                                                                                                                                                             acteurs externes (villages avoisinants, État, exploi-
                                                                                         donnent lieu à des revendications concurrentes                                 lement des produits tirés des activités réalisées en
     pouvoir colonial puis l'État indépendant ont imposé                                                                                                                                                                                            tants forestiers et miniers...). Les limites de surface
                                                                                         sur les mêmes legs fonciers, en particulier lorsqu'il                          forêt, parfois à de très grandes distances, pour leur
     une définition des droits d'utilisation des différents                                                                                                                                                                                         imposées par la loi aux « forêts communautaires »,
                                                                                         s'agit des « jachères »63 les plus anciennes. Il devient                       consommation ou pour des échanges commerciaux.
     espaces et ressources largement fondée sur une                                                                                                                                                                                                 5  000 ha maximum par unité villageoise, n'ont pas
                                                                                         de plus en plus difficile de trouver des espaces de                            Dans les zones de forêt destinées à la production
     représentation de l'espace forestier de type géomé-                                                                                                                                                                                            permis de sécuriser l'ensemble des espaces villa-
                                                                                         forêt vierge pour ouvrir de nouvelles parcelles et les                         ou à la conservation, les activités de prélèvement
     trique. Les systèmes normatifs endogènes et les                                                                                                                                                                                                geois. Par ailleurs, la création depuis l'extérieur de
                                                                                         jeunes sont obligés de chercher des activités écono-                           des produits forestiers non ligneux, la chasse et la
     formes de gouvernance des ressources naturelles                                                                                                                                                                                                modalités d'exploitation communautaire alors qu'il
                                                                                         miques alternatives.                                                           pêche font l'objet de restrictions, voire sont complè-
     préexistantes ont été profondément affectés par                                                                                                                                                                                                n'existait pas d'expérience préalable de gestion
                                                                                                                                                                        tement interdits dans certaines zones. L'utilisation
     l'application depuis le « haut » de ces cadres légaux.                              La réduction des territoires communautaires du                                                                                                             collective de biens marchands dans les communau-
                                                                                                                                                                        des ressources est limitée à l'autoconsommation, la
     Ils supposent une délimitation claire de chaque                                     fait de la multiplication des concessions fores-                                                                                                           tés a souvent eu des conséquences négatives. Les
                                                                                                                                                                        commercialisation étant interdite.
     espace (par une opération de planification dite de                                  tières industrielles remet en cause la durabilité des                                                                                                      communautés n'ont pas eu le temps d'apprendre
     zonage), et leur affectation à des fonctions (usages)                               systèmes agro-forestiers existants. Les zones de                               La réglementation officielle concernant les droits                          à contrôler ces nouveaux mécanismes. Le disposi-
     spécifiques exclusives les unes des autres. Ces                                     forêt affectées à la production du bois, les Unités                            d'usage reconnus aux populations locales reste                              tif n'a souvent bénéficié qu'à un très petit nombre
     espaces sont ensuite attribués à différents sujets de                               Forestières d'Aménagement (UFA)64, se superpo-                                 floue. Les populations la connaissent mal et les                            d'acteurs, ceux qui étaient déjà en position de force,
     droit (personnes physiques ou morales), à travers                                   sent parfois aux espaces dédiés par les locaux                                 entreprises forestières, l'administration et les ONG                        et pas à l'ensemble des membres de la commu-
     une procédure dite de classement. Il s'agit en fait                                 aux cacaoyères et souvent à ceux utilisés par les                              qui œuvrent pour la conservation de la nature                               nauté. Le résultat global semble donc plutôt relever
     d'une procédure de création de nouveaux droits et                                   rotations longues cultures vivrières / friche fores-                           s'opposent souvent à toute tentative de faire respec-                       d'un accaparement des opportunités ouvertes
     de nouveaux ayants droit, et non de la reconnais-                                   tière. Elles empiètent fréquemment sur la « réserve                            ter leurs droits.                                                           par la décentralisation de la gestion forestière par
     sance des droits définis pour elles-mêmes par les                                   foncière » de chaque village. Les populations locales                                                                                                      certaines « élites 68, et non pas d'une reconnaissance
     populations en place.                                                               sont alors considérées comme des squatteurs                                                                                                                effective des droits des populations ( Voir Fiche 7.
                                                                                         lorsque leurs activités s'étendent sur le périmètre                                                                                                        Comment le dispositif de « foresterie communau-
     Depuis 1995, deux objectifs sous-tendent explicite-
     ment le mode d'organisation de l'espace forestier
                                                                                         qui a été défini pour la concession forestière. Le                             UN RÉGIME FONCIER                                                           taire » s’est-t-il inséré dans les systèmes de gestion
                                                                                         concessionnaire a la possibilité de les interdire,                                                                                                         des territoires forestiers par les communautés ?).
     imposé par l'État :
                                                                                         mais des accords informels sont souvent établis afin
                                                                                         d'éviter les conflits qui auraient un coût trop élevé
                                                                                                                                                                        QUI POSE PROBLÈME                                                           Les populations de chasseurs pêcheurs cueilleurs,
     • l'exploitation               commerciale                des       ressources
                                                                                                                                                                                                                                                    communément appelées "pygmées", dont la spécifi-
     naturelles et                                                                       pour les exploitants, et parce qu'il s'agit souvent
                                                                                                                                                                                                                                                    cité n'est pas reconnue en tant que telle par la loi,
                                                                                         d'espaces relativement pauvres en ressources
     • la conservation, sur le mode de la sanctuarisation.                               ligneuses. Les populations locales ne peuvent, elles,                          Les « forêts communautaires » de                                            n'ont pas la possibilité de s'insérer dans ces dispo-
                                                                                                                                                                                                                                                    sitifs. Elles sont les plus grandes perdantes en terme
     Dans cette perspective, la forêt est conçue comme                                   faire valoir aucun droit dans les cas où des dégâts                            la loi de 1994 ne constituent pas                                           d’accès aux ressources, restreint tant par le cadre
                                                                                         sont causés à leurs parcelles et plantations situées
     un espace spécifique, réglé par un cadre normatif
                                                                                         dans le périmètre de l'UFA65.
                                                                                                                                                                        une reconnaissance des droits                                               légal que par les pratiques coutumières des groupes
     particulier distinct de celui qui s'applique aux                                                                                                                                                                                               bantous ( Voir Fiche 4. Les sociétés agro-fores-
     espaces agricoles, orienté soit vers la maximisation                                                                                                               des habitants sur les terres et les                                         tières Bantoues du sud du Cameroun).
     de l'extraction du bois (dans les forêts de produc-
                                                                                         63 Mot souvent utilisé pour qualifier les friches forestières entre deux
                                                                                                                                                                        forêts gérées par les communautés
     tion) soit vers la préservation de la biodiversité
                                                                                         périodes de culture, même s'il ne s'agit pas ici de terres labourées.
     (dans les forêts de conservation)                                                                                                                                  La loi forestière de 1994 a ouvert la possibilité
                                                                                         64 Le zonage forestier distingue deux différents domaines du couvert
                                                                                         forestier: le Domaine Forestier Permanent, dans lequel sont définies           d'affecter des droits d'exploitation des ressources
                                                                                                                                                                                                                                                    Le problème foncier s'aggrave
     L'aménagement de l'espace forestier par l'État n'a                                  les aires de production et les aires de réserve, et le Domaine Forestier       forestières aux communautés locales par le biais
     laissé qu'une place marginale aux systèmes de                                       Non Permanent. La création du domaine forestier permanent a pour                                                                                           67 Auparavant, la gouvernance des espaces forestiers n'entraînait pas
                                                                                         vocation, entre autres, de limiter la déforestation, en freinant l'avancé du
                                                                                                                                                                        d'un dispositif appelé « forêt communautaire »66                            de conflits entre villages voisins. Tracer une limite n'était pas nécessaire
     gestion coutumière des territoires forestiers. Les
                                                                                         front pionnier agricole.                                                       ( Voir Fiche 6. La réforme du régime forestier de                           et il existait souvent une zone intermédiaire d'usages partagés entre
     villages et les activités des populations locales sont
                                                                                         65 Leur situation pourrait empirer avec la mise en place des normes de         1994). Sont alors apparues de nouvelles opportu-                            deux villages. Avec l'apparition de la « foresterie communautaire », des
     confinés dans des « bandes agro-forestières », définies                             gestion forestière prévues par l’Accord Volontaire de Partenariat FLEGT,                                                                                   villages peuvent aujourd'hui s'opposer pour obtenir le rattachement
                                                                                                                                                                        nités d'exploitation des ressources naturelles et la
     le plus souvent le long des routes. Souvent trop                                    celui-ci exigeant le durcissement des contrôles relatifs au respect du                                                                                     d'étendues de forêt à leur territoire et un droit exclusif d'y exploiter le
                                                                                         zonage. L'Accord de Partenariat Volontaire FLEGT (Applications des
                                                                                                                                                                        possibilité d'obtenir des revenus liés à l'extraction                       bois. Il y a souvent eu une sorte de « privatisation » par des villages de
     étroites, elles ne correspondent pas aux territoires
                                                                                         réglementations forestières, Gouvernance et Échanges commerciaux)              du bois. Des revendications contradictoires entre                           ressources forestières qui étaient jusque là communes à plusieurs
     auto-définis par les systèmes de droit endogène.
                                                                                         est un accord international bilatéral entre l’Union Européenne et un                                                                                       d'entre eux.
     Lorsque la population d'un village augmente, le                                     pays exportateur de bois, dont le but est d’améliorer la gouvernance                                                                                       68 Nom donné en Afrique francophone aux hommes forts, qui souvent
     besoin de produire des aliments et la nécessité                                     forestière du pays et de s’assurer que le bois importé dans l’UE remplit       66 Nous utilisons l'expression entre guillemets pour distinguer la figure   habitent les villes et s'appuient sur leur position de force pour développer
     pour y parvenir de mettre en culture de nouvelles                                   toutes les exigences réglementaires du pays partenaire. Le Cameroun            légale instaurée par la loi de 1994 des forêts historiquement gérées par    des activités économiques leur permettant l'accès aux cercles de
                                                                                         s’est engagé à le signer avec l’UE en janvier 2013.                            les communautés, mais sans reconnaissance légale.                           pouvoir villageois.
36                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           37
                                                                                                                                                              AGTER     AGTER
     De la gestion commune à la privatisation des terres et des ressources naturelles,                               LA GOBERNANZA
                                                                                                                         LA GOUVERNANCE
                                                                                                                                   DE LOS
                                                                                                                                        DES
                                                                                                                                          BOSQUES
                                                                                                                                            FORÊTSEN
                                                                                                                                                   AUGUATEMALA
                                                                                                                                                      CAMEROUN
     un long processus qui débute avant l’indé-pendance du Cameroun
     Compte tenu de l'importance spatiale du domaine                                     Les conséquences de ces dynamiques sur les
     national et des compétitions croissantes qui                                        systèmes coutumiers de gouvernance des ressources
     portent sur les meilleures terres, les difficultés des                              sont très lourdes. Leur déstructuration et l'introduc-
     occupants coutumiers d'y faire valoir leurs droits                                  tion des pratiques liées à la marchandisation du
     historiques sont en passe de devenir de plus en plus                                foncier par des acteurs externes aux communautés
     importantes au Cameroun. C'est en particulier le cas                                villageoises ont des effets destructeurs tant sur le
     sur le Domaine Forestier non Permanent.                                             tissu social de ces territoires que sur les écosys-
                                                                                         tèmes forestiers.
     L'impact de ces phénomènes d'accaparement
     de la terre et des forêts sur les territoires et les                                Pour toutes ces raisons, de plus en plus d'acteurs
     systèmes de gestion coutumiers est déjà très fort                                   de la société civile plaident pour l'élaboration d'une
     dans certaines zones du pays, en particulier les                                    nouvelle loi foncière 70.
     régions côtières (zone de Campo Ma'an69), où des
     grandes plantations industrielles d'hévéa et de
     palmier à huile s'étendent sur des terres histori-
     quement occupées par des populations diverses.
     De plus, avec l'augmentation du prix de la terre que
     cause l'implantation de ces projets, des tensions                                   70 Des coalitions regroupant plusieurs organisations membres de la
                                                                                         société civile camerounaises sont en train d'élaborer des propositions
     apparaissent dans les villages entre les tenants de                                 pour la réforme des cadres normatifs foncier et forestier, qui permettent
     la détention communautaire de la terre et ceux qui                                  de mieux prendre en compte des droits des populations locales. Ces
     souhaitent un individualisation des droits, qui leur                                organisations mènent également des luttes compliquées contre des
     permettrait de revendre leurs parcelles.                                            giga-projet d'accaparement des terres et des autres ressources
                                                                                         naturelles, qui sont cause d'éviction des droits des populations locales
                                                                                         et de destruction des milieux naturels. Le Centre pour l'Environnement
     69 Dans cette région, deux plantations industrielles de vastes                      et le Développent et le Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA) ont
     dimensions installées sur la base de baux emphytéotiques de 99 ans                  obtenu en juin 2013, une belle victoire contre le projet de plantation de
     empiètent sur les terres revendiquées par des communautés locales.                  73  000 hectares de palmier à huile, de l'entreprise ASG Sustainable
     L'entreprise Hévéa Cameroun (HEVECAM), appartenant à 90% au groupe                  Oils  Cameroon  PIC (Sgsoc),  filiale de l’américaine Herakles Farms        Le rapport des hommes à l’espace et aux ressources naturelles dépend
     singapourien GMG, gère une concession de 41  339 hectares, dont un                  au Cameroun. Un long processus de lutte a permis de dénoncer les
     peu moins de la moitié est occupé par une plantation en monoculture                 irrégularités du processus et l'inutilité du projet pour le développement   des caractéristiques du milieu, des outils et techniques dont ils dispo-
     d’hévéa  ; la Société des palmeraies du Cameroun (SOCAPALM), liée                   de l'économie camerounaise. La convention initialement signée par           sent, mais aussi de leur culture et de leur organisation sociale et
     au groupe français Bolloré, gère une concession de 16  332 ha où sont               l'entreprise avec le gouvernement camerounais a été annulée et le projet
     plantés les palmiers à huile.                                                       doit être maintenant révisé.                                                politique. Chaque groupe humain, souvent constitué en interaction -
                                                                                                                                                                     conflictuelle et/ou constructive - avec les autres, a élaboré des modes
                                                                                                                                                                     de gestion et des systèmes de gouvernance des ressources naturelles
     DOSSIER : Gouvernance des forêts du Cameroun – Fiche 3                                                                                                          qui lui sont propres. Dans le droit endogène des sociétés forestières
     FICHE RÉDIGÉE PAR : Marta Fraticelli (AGTER)
     DATE DE RÉDACTION : Mars 2012
                                                                                                                                                                     du Cameroun, le rapport des hommes au territoire et aux ressources
       Retrouvez ce document et beaucoup d’autres sur la site documentaire d’aGter                                                                                   se structure sur des bases différentes de celles auxquelles nous faisons
                                                                                                                                                                     communément référence. La terre étant avant tout un élément de média-
     SOURCES :
                                                                                                                                                                     tion entre l’homme et le sacré, elle ne peut pas être appropriée de façon
      Dumont, R.. 1962. L’Afrique noire est mal partie, Ed. Du Seuil.                                                                                                privée. Une pluralité de droits et d’ayant-droits coexistent et se super-
       Coquery-Vidrovitch C.. 1982. Le régime foncier rural en Afrique noire, dans Le Bris E., Le Roy E. et Leimdorfer F.. « Enjeux fonciers en Afrique              posent sur les différents espaces et ressources forestiers.
     noire », Orstom Karthala.
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                                                                                                                                                                     Les sociétés du sud forestier du Cameroun sont majoritairement des
     forets des tropiques, CIRAD.                                                                                                                                    populations Bantoues. (On y trouve aussi des Bakas, peuples autoch-
      Le Roy E., Karsenty A. et Bertran A.. 1996. La sécurisation foncière en Afrique. Pour une gestion viable des ressources renouvelables, Karthala, Paris.        tones de chasseurs cueilleurs aux structures sociales très différentes,
       Diaw C.. 1997. Si Nda Bot et Ayong. Culture itinérante, occupation des sols et droits fonciers au Sud-Cameroun, Réseau foresterie pour le                     dont l’évolution récente fait l’objet d’une fiche spécifique). Cette fiche
     développement rural.                                                                                                                                            présente les caractéristiques de la structuration sociale et spatiale des
      Karsenty A.. 1999. Vers la fin de l’Etat forestier ? Appropriation des espaces et partage de la rente forestière au Cameroun. Dans Politique africaine n°75.   sociétés Bantoues et leurs modes d’utilisation du milieu.
       S. Nguiffo, P.E. Kenfack et N. Mballa. 2009. Les droits fonciers et les peuples des forêts d’Afrique. Perspectives historiques, juridiques et
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38                                                                                                                                                                                                                                                39
                                                                                                                                                            AGTER
     Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun                                                 LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                       Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun
     UNE ORGANISATION
                                                                                                                                                            ressources naturelles et leur répartition, en parti-                       plantations de cacao.
                                                                               • Le clan est constitué d’un ensemble de patri-
                                                                                                                                                            culier à l’occasion des mariages et des successions.
                                                                               lignages (voir échelle suivante) disposant d’un                                                                                                         Les Bantous pratiquent l’abattis-brûlis, un système
                                                                                                                                                            La famille nucléaire dispose de l’unité de «proprié-
     STRUCTURÉE PAR LES                                                        ancêtre commun. Les individus d’un même clan
                                                                               revendiquent explicitement une facette identitaire
                                                                                                                                                            té» de base, déterminée par le partage des terres
                                                                                                                                                                                                                                       de production typique des agricultures manuelles
                                                                                                                                                                                                                                       en milieu forestier, très répandu dans le monde.
                                                                                                                                                            agricoles qui s’est opéré aux échelons collectifs de
     LIENS DE PARENTÉ                                                          partagée. L’endogamie35 est plus ou moins autori-
                                                                               sée au sein des clans selon la proximité de parenté.
                                                                                                                                                            gouvernance supérieurs, notamment à l’occasion du
                                                                                                                                                            mariage et des successions.
                                                                                                                                                                                                                                       Les parcelles défrichées sont cultivées durant une,
                                                                                                                                                                                                                                       deux, voire parfois trois années puis abandonnées
                                                                               Les membres d’un même clan peuvent habiter des                                                                                                          au reboisement naturel (friche) pendant une durée
     Lorsque les chercheurs caractérisent les sociétés                         villages différents et un même village peut être                             La segmentation des lignages - leur scission en                            qui varie de quelques années à plusieurs décennies.
     Bantoues du Sud Cameroun comme acéphales ou                               habité par les membres de clans différents.                                  plusieurs nouveaux lignages distincts – suppose                            Le terrain est nettoyé par le feu après abattage des
     segmentaires, cela signifie qu’elles ne sont pas                                                                                                       l’affranchissement de ces derniers membres. Elle                           arbres afin de permettre l’installation d’une culture.
                                                                               • Le « patrilignage36 » est composé d’un ensemble
     structurées selon une organisation hiérarchique                                                                                                        a lieu généralement lorsque le groupe atteint une                          Le terrain n’étant pas essouché, les arbres repous-
                                                                               de familles élargies (voir plus bas), ou « grandes
     dans laquelle il serait possible d’identifier une                                                                                                      taille critique, génératrice d’un trop grand nombre                        sent, par rejets ou par régénération naturelle, et une
                                                                               familles », qui possèdent un ancêtre commun identi-
     autorité politique centrale. Les différents groupes                                                                                                    de conflits41.                                                             forêt secondaire se reconstitue.
                                                                               fié et à partir duquel les membres des familles
     qui les composent sont déterminés par la proximité
                                                                               savent reconstituer leur arbre généalogique détaillé.                        Un village peut être constitué d’une ou de plusieurs                       Ce type d’agriculture permet de contrôler la végéta-
     parentale de leurs membres, et chaque ensemble
                                                                               Le mariage est exogame37 relativement au membres                             lignées exécutives, voire patrilignages et mêmes                           tion herbacée et de limiter les tâches de désherbage
     lignager évolue avec une grande autonomie. Cela
                                                                               du patrilignage et il repose sur un principe de virilo-                      clans bantous. Mais il peut aussi inclure des Bakas                        dans les champs cultivés. Celle-ci disparaît en effet
     ne signifie pas pour autant que ces sociétés soient
                                                                               calité. Autrement dit, l’homme est tenu de trouver                           (Voir Fiche 5. Organisation sociale et systèmes de                         après plusieurs années de couvert forestier. L’abattis-
     désorganisées et sans capacité d’arrêter des choix
                                                                               sa femme au sein d’un patrilignage différent du sien                         production agro-forestiers des Bakas). Il est généra-                      brûlis permet également de régénérer la fertilité des
     collectifs. Bien au contraire, elles disposent d’ins-
                                                                               et le couple de fonder son foyer dans le village de                          lement situé sur une piste qui le relie à d’autres                         sols, grâce à la longue phase de repousse forestière.
     titutions fortes qui s’appuient sur un attachement
                                                                               l’homme.                                                                     villages. En général, les villages ne sont pas éloignés                    Les arbres puisent des éléments minéraux dans les
     profond des individus aux valeurs du système
                                                                                                                                                            les uns des autres de plus de quelques kilomètres.                         couches profondes du sol, et un sol fertile et meuble
     clanique et lignager30.                                                   • La famille élargie38 ou « lignée exécutive39» est
                                                                                                                                                                                                                                       se reconstitue sous le couvert arboré. Une partie des
                                                                               l’unité de parenté dotée d’une base territoriale et
     Chaque groupe de parenté (ou lignage) organise                                                                                                                                                                                    éléments minéraux provenant des végétaux abattus
                                                                               d’un ensemble de ressources naturelles données.
                                                                                                                                                                                                                                       et brûlés est restituée aux cultures sous la forme de
     l’utilisation d’un territoire distinct et des ressources
     naturelles qu’il contient. Les processus sociaux qui
                                                                               Chaque grande famille constitue un hameau au sein
                                                                               du village et est composée couramment par une
                                                                                                                                                            LE SYSTÈME DE                                                              cendres. Enfin, tant que les parcelles cultivées sont
     conduisent à la définition des droits et à l’aména-                                                                                                                                                                               dispersées et immergées dans un univers forestier,
     gement de leurs garanties se déroulent dans les
                                                                               dizaine de ménages. À sa tête, on trouve le « chef
                                                                               de la grande famille » qui prend seul des décisions                          PRODUCTION :                                                               ces systèmes ne provoquent pas de phénomènes
                                                                                                                                                                                                                                       importants d’érosion.
     espaces de décision31 que sont le foyer, la famille
     étendue et, finalement, des espaces aussi ouverts
     que le lignage et même le village tout entier, qui
                                                                               opérationnelles ou officialise des choix collectifs. Il
                                                                               est chargé du partage de l’accès aux terres entre les                        «ABATTIS-BRÛLIS» ET                                                        Le facteur limitant pour les agriculteurs utilisant des
                                                                               membres de la famille élargie et règle notamment                                                                                                        outils manuels est la force de travail pour l’abattage
     peut réunir plusieurs lignages32.
                                                                               les successions. Il est aussi l’autorité de résolution                       CACAO-CULTURE                                                              des gros arbres. Il faut plusieurs années et parfois
     Au sein des communautés Bantoues, il existe une                           des litiges.                                                                                                                                            plusieurs décennies pour que se reconstitue sur la
     grande diversité d’ayants-droit33. Un individu appar-                                                                                                                                                                             friche arborée la quantité de biomasse qui permet la
                                                                               • Chaque famille élargie est constituée d’un                                 Les sociétés bantoues du sud forestier du Cameroun
     tient à de multiples groupes sociaux bien identi-                                                                                                                                                                                 durabilité du système, humus et parties aériennes
                                                                               ensemble de familles nucléaires (nda bot)40 ou                               sont des sociétés d’agriculteurs qui complètent leur
     fiés, tous déterminés par le degré plus ou moins                                                                                                                                                                                  des arbres. Il convient également d’éviter que le
                                                                               « lignées nucléaires ». Cette unité sociale de base                          régime alimentaire au moyen de la chasse, de la
     éloigné de parenté des membres qui le constituent.                                                                                                                                                                                terrain soit envahi par des « mauvaises herbes » qui
                                                                               couvre trois générations (grands-parents, parents,                           pêche et de la cueillette de produits forestiers non
     On pourrait dire de ces groupes qu’ils sont donc                                                                                                                                                                                  entreraient en compétition avec les plantes culti-
                                                                               enfants). Elle ne correspond pas nécessairement                              ligneux. Les systèmes de production agricoles des
     « emboîtés » d’un point de vue généalogique34.                                                                                                                                                                                    vées et dont le contrôle demanderait, compte tenu
                                                                               à l’unité résidentielle ou domestique. Le nda bot                            populations Bantoues associent de nombreuses
                                                                                                                                                                                                                                       des outils disponibles une quantité de travail exces-
     Les droits sur les ressources situées en un point                         constitue le plus petit ensemble d’individus qui                             cultures : plantain, arachide, maïs, macabo, manioc,
                                                                                                                                                                                                                                       sive. Les systèmes d’agriculture sur abattis-brûlis
     donné du territoire relèvent à la fois de la sphère                                                                                                    haricot, courge, piment et des arbres fruitiers
                                                                                                                                                                                                                                       fonctionnent donc sur la base d’un compromis entre
     individuelle et de la sphère collective déclinée à                                                                                                     (avocatiers, manguiers et orangers). Les plantations
                                                                               35 La possibilité de choisir son partenaire à l’intérieur du groupe social                                                                              facilité d’abattage du couvert secondaire d’un côté,
     toutes les échelles de l’organisation généalogique de                                                                                                  pérennes (de cacaoyers, de caféiers42) ont été intro-
                                                                               ou du territoire géographique de référence                                                                                                              et reproduction de la fertilité du milieu de l’autre.
     la communauté. Quelles sont ces échelles ?                                36 Du latin pater (pére) -linea (ligne), le patrilignage regroupe
                                                                                                                                                            duites auprès des populations locales par l’adminis-
                                                                               l’ensemble de descendant d’un même ancêtre mâle                              tration coloniale allemande. C’est à cette époque que                      Le temps laissé à la reconstitution du couvert
     • L’ethnie réunit un ensemble de clans qui partagent                      37 En dehors du groupe d’appartenance                                        les agriculteurs de la forêt se fixent dans des villages                   végétal est bien sûr fonction à la fois de la pression
     une langue, une histoire et une origine communes                          38 Une famille élargie est un ensemble apparenté de plusieurs                le long des routes construites par l’administration                        démographique et de l’étendue de la « réserve
                                                                               personnes vivant dans le même foyer
     (le terme de tribu est généralement réservé à des                                                                                                      coloniale. La cacao-culture s’intensifie à l’époque                        foncière », c’est-à-dire de la surface de forêt où peut
                                                                               39 Certains chercheurs, dont M. Chimère Diaw, utilisent ce terme pour
                                                                               indiquer que l’unité de parenté est dotée d’une base de ressources           de la colonisation française. Elle a donné lieu à une                      s’opérer la mise en culture pour les besoins du
     30 Diaw et Oyono, 1998                                                    territoriales et est en même susceptible de prendre des décisions            spécialisation des rôles à l’intérieur des familles. Les                   village. La dimension de la réserve foncière dépend
     31 souvent appelés forums par les anthropologues.                         opérationnelles et de faire des choix collectifs. Dans certaines
     32 Diaw, 1997                                                             communautés, c’est le nda bot et non la famille élargie qui peut
                                                                                                                                                                                                                                       notamment de la capacité journalière de déplace-
     33 On emploie ce terme dans le sens de détenteurs de droits.              constituer l’unité opérationnelle.                                           41 M. Augé, 1975                                                           ment des cultivateurs bantous. Traditionnellement,
     34 Cette description se base sur les travaux de P. Bonte et M. Izard &.   40 De nda, maison et bot, personne, cette unité de parenté constitue la      42 Les palmiers à huile, qui font aussi partie des plantations bantoues,   à partir d’un certain seuil, une partie de la popula-
     Al, 2000                                                                  base de la vie en forêt                                                      sont originaires des forêts du Sud Cameroun.
40                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  41
                                                                                                                                                  AGTER     AGTER
     Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun                                           LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                      Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun
     tion doit fonder un autre village plus loin en forêt.                   du cacao a été longtemps poussée par l’État afin de                  ces espaces abritent; les activités concurrentielles                      tuée par la partie du couvert forestier qui n’a jamais
     L’accroissement des besoins alimentaires d’une                          mieux organiser la production.                                       s’excluent entre elles, mais l’accès aux ressources                       été défrichée de mémoire collective. Les marécages
     population qui augmente conduit ainsi les popula-                                                                                            pour des usages non concurrentiels est consenti.                          sont bien souvent confondus avec la forêt primaire
     tions bantoues à étendre leur emprise foncière,                                                                                                                                                                        puisqu’il s’agit d’espaces qui n’ont généralement
     à trouver plus loin des terres à mettre en culture                                                                                                                                                                     jamais été mis en valeur.
     suivant le même système de production. Les
     systèmes agricoles bantous sont des systèmes agro-
                                                                                                                                                  Une diversité d’espaces sur                                               Une partie de la forêt constitue la « réserve foncière
     forestiers, dans lesquels les espaces agricoles s’intè-                                                                                      lesquels s’exercent des activités                                         agricole ». Il s’agit de l’espace destiné à l’ouverture
                                                                                                                                                                                                                            de nouvelles parcelles et plantations, notamment
     grent complètement dans la forêt.                                                                                                            multiples                                                                 pour les générations futures. Cet espace s’étire
     Ces systèmes ont été souvent diabolisés, accusés                                                                                             Les communautés villageoises du Sud Cameroun                              perpendiculairement à la route, généralement sur
     de détruire l’écosystème forestier. Ce n’est pas le                                                                                          définissent généralement six grands espaces                               une distance inférieure à sept kilomètres du village.
     cas s’ils disposent de superficies suffisamment                                                                                              physiques caractéristiques de leur environne-                             La forêt lointaine, du fait de sa distance, ne peut pas
     grandes permettant une intégration durable entre                                                                                             ment43: l’espace agricole  (Si-mefub), les champs en                      être considérée comme un espace agricole potentiel
     les pratiques agricoles et la régénération du couvert                                                                                        jachère (ekotok, qui font partie intégrante du cycle de                   pour les générations futures. Ces territoires sont
     forestier. Mais lorsqu’il y a de moins en moins de                                                                                           culture) , les terres marécageuses (élobe), les routes                    parcourus par un réseau hydrographique dense
     terres accessibles, lorsque la densité de population                                                                                         et chemins, l’espace aquatique (mendim) et la forêt                       et par de nombreux sentiers sinueux et étroits qui
     sur celles-ci augmente, les populations ne parvien-                        Fig. 13 Cacaoyère dans le département de Lomié. Photo M. Merlet   (afan). Cette dernière, selon les zones d’étude, peut                     forment un ensemble complexe de voies d’accès
     nent plus à maintenir l’équilibre du cycle long                                                                                              être considérée unitairement comme forêt primaire,
                                                                             Les systèmes de production se sont complexi-                                                                                                   aux parcelles et aux plantations ainsi qu’aux zones
     d’abattis – production agricole – repousse forestière.                                                                                       ou bien être constituée de deux espaces distincts  :
                                                                             fiés. Une division du travail entre hommes et                                                                                                  de chasse, de pêche et de cueillette. Ils relient aussi
     Elles doivent alors allonger la durée des cultures et                                                                                        forêt primaire et secondaire.
                                                                             femmes s’est développée. Les femmes sont parfois                                                                                               les villages entre eux, parfois jusqu’à plusieurs
     réduire celle de la friche arborée. Cela entraîne une
                                                                             contraintes de pratiquer des rotations avec des                      Dans chaque différent espace, un ensemble de                              centaines de kilomètres. Des portions de forêt
     baisse de fertilité du milieu, et une déforestation de
                                                                             friches d’un an seulement (dites « codinguy »). La                   règles et de normes coutumières est défini.                               primaire sont souvent maintenues entre un village
     plus en plus prononcée qui s’accompagne souvent
                                                                             polygamie est fréquemment observée dans les                                                                                                    et un autre (généralement dans des bas-fonds peu
     de phénomènes d’érosion. Les systèmes de produc-
                                                                             sociétés d’agriculteurs sur abattis-brûlis et la société                                                                                       propices à la production agricole).
     tion ne sont alors plus durables.                                                                                                                L’espace agro-forestier
                                                                             bantoue ne fait pas exception. Les femmes sont
                                                                                                                                                                                                                            Les territoires forestiers abritent les activités de
                                                                             généralement les individus qui, au sein de la société                Le centre d’un village Bantou est constitué par une                       cueillette et d’extraction des produits forestiers
                                                                             bantoue, disposent de la plus faible quantité de                     série de maisons, alignées le long de la piste, regrou-                   non ligneux, de chasse et de pêche. Ici, l’espace ne
                                                                             ressources foncières et de main d’œuvre pour les                     pées en quartiers juxtaposés les uns à côté des                           fait pas l’objet d’une appropriation individuelle. Les
                                                                             cultiver.                                                            autres. Chaque quartier réunit les membres d’une                          limites spatiales des droits territoriaux des diffé-
                                                                                                                                                  même famille élargie ou d’un même lignage.                                rents individus et groupes y sont de moins en moins
                                                                                                                                                  Autour des habitations, se dessine une mosaïque                           définies et ces droits sont de moins en moins exclu-
                                                                             L’ORGANISATION                                                       d’espaces agricoles faite de jachères, de plantations
                                                                                                                                                  cacaoyères et de champs vivriers. Une partie de cet
                                                                                                                                                                                                                            sifs à mesure que l’on s’éloigne des zones d’habita-
                                                                                                                                                                                                                            tion et d’activité agricole et que la compétition pour
                                                                             DES TERRITOIRES                                                      espace, dite « maîtrisé », réunit les parcelles qui sont
                                                                                                                                                  travaillées (champs vivriers et plantations), mais
                                                                                                                                                                                                                            les ressources diminue.
42                                                                                                                                                                                                                                                                                                       43
                                                                                                                                         AGTER    AGTER
     Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun                                               LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                            Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun
                                                                                                                 lement brûlés après la               la période de jachère, la défriche forestière étant un                    un bien commun à plusieurs grandes familles. Son
                                                                                                                 défriche et/ou des haies de          travail très coûteux en travail46.                                        appropriation ne se faisait pas de manière exclusive,
                                                                                                                 bananiers plantées à cette                                                                                     mais en tant que support des autres activités.
                                                                                                                                                      Le droit de hache ne garantit pas un partage égali-
                                                                                                                 fin complètent souvent le
                                                                                                                                                      taire des terres entre les individus. Certaines                           Sur les terres proches du village, les individus
                                                                                                                 tracé des limites des parcelles
                                                                                                                                                      familles disposent de parcelles plus proches du                           et groupes disposent de droits exclusifs sur des
                                                                                                                 de cultures vivrières qui
                                                                                                                                                      village que d’autres, ou de surfaces totales plus                         parcelles distinctes. L’accord sur les limites est large,
                                                                                                                 évoluent au fil du cycle des
                                                                                                                                                      grandes. Ces foyers mieux dotés appartiennent                             les enjeux attachés à cette division concernant ici
                                                                                                                 rotations friches/cultures.
                                                                                                                                                      généralement à des familles élargies et à des                             l’ensemble de ses habitants. Les chefs locaux étaient
                                                                                                                 Les limites des cacaoyères
                                                                                                                                                      lignages dont les ancêtres étaient polygames ou                           chargés de la répartition de l’usage du sol aux
                                                                                                                 sont moins clairement mises
                                                                                                                                                      disposaient d’une main d’œuvre «pygmée» asservie                          membres du groupe social (la famille élargie, qui à
                                                                                                                 en évidence. Seuls quelques
                                                                                                                                                      leur permettant de mettre en culture des espaces                          son tour le redistribue entre ses membres), pour sa
                                                                                                                 arbustes sont plantés le long
                                                                                                                                                      plus vastes. Cette réalité illustre la manière dont les                   mise en culture au fil des générations. Une autre
                                                                                                                 des chemins pour annoncer
                                                                                                                                                      rapports de force entre les individus et les groupes                      partie de la terre est cultivée ou utilisée en commun.
                                                                                                                 la limite entre deux planta-
                                                                                                                                                      déterminent l’appropriation de l’espace (les « forces »
                                                                                                                 tions. Ils indiquent le point                                                                                  Plus loin de la route, les limites entre parcelles ou
                                                                                                                                                      en présence se mesurant ici en termes de main
                                                                                                                 de départ de la ligne (perpen-                                                                                 plantations relèvent moins d’un accord communau-
                                                                                                                                                      d’œuvre voire de capacité à asservir des tiers...). On
                                                                                                                 diculaire au chemin) qui                                                                                       taire que de l’idée que s’en font les seuls utilisateurs
                                                                                                                                                      voit que les pratiques coutumières ne sont pas, en
                                                                                                                 sépare les plantations de                                                                                      directs des terres considérés.
                                                                                                                                                      elles-mêmes, nécessairement garantes d’une égale
                                                                                                                 deux individus ou de deux
                                                                                                                                                      répartition des droits sur les ressources naturelles.                     Dans la zone de forêt, les droits que les uns et les
                                                                                                                 foyers différents. Enfin, les
                                                                                                                 jachères ne sont délimitées                                                                                    autres se reconnaissent sur les ressources naturelles
                                                                                                                 par aucun repère identifiable        La combinaison de droits collectifs et indivi-                            se construisent sur la base de la distance à laquelle
                                                                                                                 (mais des arbres ou des              duels dans les territoires coutumiers Bantous                             chaque zone se situe par rapport aux habitations et
           Fig. 14 Le bloc diagramme illustre comment sont organisés les différents sous espaces forestiers
                                                                                                                                                                                                                                aux zones de cultures. Sur les arbres, sont établis des
         et agro-forestiers dans les territoires villageois (Source : Élaboration Cécile Pinsart sur la base des rochers servent cependant à          est soumise à une reconnaissance mutuelle
                                                                                            données de terrain) les localiser).Il résulte de cette                                                                              droits (notamment pour l’extraction des Produits
                                                                                                                 organisation de l’espace des         Les systèmes normatifs endogènes définissent les                          Forestiers Non Ligneux) qui varient selon leur valeur
     Ces facteurs déterminent aussi les limites de la                                                                                                 règles d’utilisation et de gestion de la terre et des                     économique et leur emplacement/distance par
                                                                                   territoires complexes où il est difficile pour l’obser-
     réserve foncière du village et la possibilité d’ouvrir                                                                                           ressources. Ils sont le résultat d’une combinaison                        rapport au village.
                                                                                   vateur extérieur de distinguer de prime abord les
     de nouvelles parcelles à la lisière de la forêt                                                                                                  et de la coexistence de droits aussi bien individuels
                                                                                   différentes « propriétés ». Pour pouvoir localiser et                                                                                        Trois principales catégories de détenteurs de droits
     primaire . Au plus loin des habitations, les parcelles
                  44
                                                                                                                                                      que collectifs. Les droits que chaque individu peut
                                                                                   comprendre l’organisation de l’espace, il est néces-                                                                                         peuvent être identifiées. Elles désignent soit des
     et jachères appartenant à différentes familles                                                                                                   légitimement revendiquer sont ceux qui lui sont
                                                                                   saire de s’informer auprès de ceux qui possèdent                                                                                             détenteurs collectifs (familles élargies ou familles
     élargies d’un même village et même de villages                                                                                                   reconnus par les autres. Ils dépendent donc du
                                                                                   des droits sur les différentes « parcelles ».                                                                                                nucléaires) soit des détenteurs individuels, qui
     voisins se trouvent fréquemment mélangées les                                                                                                    statut que chaque individu occupe dans les diffé-
     unes avec les autres.                                                         La variable temps est aussi très importante dans ces               rents groupes sociaux
                                                                                   systèmes normatifs locaux. La validité des différents              (famille, clan, lignage...)47.
     Dans certaines cas les limites du territoire villageois
                                                                                   droits varie dans le temps selon l’utilisation que l’on
     sont clairement définies et revendiquées par ses                                                                                                 La      re c o n n a i s s a n c e
                                                                                   fait de la ressource. Une fois achevée son utilisation,
     habitants; des éléments du paysage tels que des                                                                                                  mutuelle des droits peut
                                                                                   un droit peut prendre fin et être assigné à un autre
     rivières, crêtes ou sentiers permettent souvent de                                                                                               trouver son origine dans
                                                                                   utilisateur du groupe. Ainsi, certains droits sont
     matérialiser ces limites.                                                                                                                        le passé. C’est le cas au
                                                                                   évolutifs dans le temps.
     À l’intérieur du territoire villageois, la définition                                                                                            plus près du centre du
     des espaces des individus et des familles bantoues                                                                                               village, où elle remonte
     ou bakas, s’appuie davantage sur des repères L’appropriation de l’espace                                                                         à la fondation du village
     topo-centriques  : collines, arbres, rochers, …. Les                                                                                             par les générations
     différents espaces agricoles sont d’ailleurs souvent forestier est réglée par « le droit de                                                      antérieures. Dans tous
     désignés par des noms liés à ces repères (ou hache »                                                                                             les cas, les rapports de
     « topo centres »), par exemple  : mbout qui signifie                                                                                             forces ou d’influence
     colline ou adjap, le nom donné à de grands arbres Le « droit de hache » règle, en droit endogène bantou,                                         entre individus ne sont
     moabies45. Des résidus de troncs d’arbres partiel- l’établissement des parcelles cultivées par les foyers.                                       pas étrangers à l’établis-
                                                                                   Le « droit de hache » permet à la personne qui a                   sement de la répartition
     44 C’est la raison pour laquelle la présence de chemins et voies d’accès      défriché, après autorisation, un lot de forêt, de jouir            spatiale des droits.
     est déterminante dans l’émergence de situations de pression foncière          pleinement des fruits qu’elle peut tirer de cette
     plus ou moins forte. L’exploitation des ressources forestières dans le                                                                           Dans les systèmes coutu-
                                                                                   terre, pour une période correspondant au cycle de
     cadre de la foresterie communautaire et l’ouverture de nouvelles pistes                                                                          miers de gestion, la terre
                                                                                   culture. Mais elle peut s’étendre même au delà de
     devient alors un motif d’espoir pour les jeunes, du fait de l’amélioration                                                                       était considérée comme
     de l’accessibilité à des espaces aujourd’hui trop éloignés du village.
     45 Le moabi, Baillonella toxisperma, est le plus grand arbre de la
     forêt centre-africaine. Ses fruits sont utilisés dans l’alimentation des   une valeur sacrée. Le bois de moabi est aussi un bois tropical très   46 René Dumont, 1962.                  Fig. 15 Le schéma illustre la répartition des droits des familles élargies au sein du territoire villageois et
     populations «pygmées», pour lesquelles les arbres de moabi ont aussi       apprécié par les forestiers pour l’exportation.                       47 Karsenty, Assembe, 2010.           entre villages voisins. Les limites sont schématisées en pointillées. Les flèches indiquent la direction dans
                                                                                                                                                                                               laquelle les villageois étendent leurs réserves foncières dont les limites lointaines ne sont jamais préci-
                                                                                                                                                                                              sément fixées. La couleur dégradée de ces flèches symbolise la façon dont les droits des individus et des
                                                                                                                                                                                           groupes sur les ressources sont séparés dans l’espace à mesure que l’on s’éloigne des villages en direction
                                                                                                                                                                                                                  de la forêt. (Source : Élaboration de Cécile Pinsart sur la base des données de terrain)
44                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 45
                                                                                                                                             AGTER    AGTER
     Les sociétés agro-forestières Bantoues du sud du Cameroun                                                      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
     disposent de droits de natures différentes et portent                             Individus : L’individu forme l’unité de détention
     sur des arpents de terres de dimensions aussi                                 de droit la plus petite. Il peut disposer de droits
     différentes.                                                                  d’usage exclusif (de défriche, culture, plantation,
                                                                                   récolte...) sur des portions de l’espace clairement
         La famille élargie (répartie sur un ou plusieurs
                                                                                   délimitées, tels que celui de cultiver des parcelles
     villages). La règle générale veut que chaque famille
                                                                                   à des fins de production vivrière ou de planter des
     élargie dispose des terres situées à l’arrière de son
                                                                                   cultures pérennes dont les produits sont destinés au
     quartier, des deux cotés de la route. Cependant le
                                                                                   marché. Il peut aussi prélever des ressources dans
     territoire sur lequel s’exercent effectivement les
                                                                                   les territoires forestiers éloignés (cueillette, chasse,
     droits d’usage de ses membres n’est souvent pas
                                                                                   pêche). En tant que membre d’un collectif (la famille
     constitué d’un seul bloc mais plutôt d’un ensemble
                                                                                   nucléaire ou la famille élargie) il peut aussi avoir une
     d’«îlots de territoires» éparses. À mesure que l’on
                                                                                   voix dans les processus qui conduisent ce collectif à
     s’éloigne des habitations, les territoires des diffé-
                                                                                   répartir la terre (droit de gestion) entre les familles
     rentes familles élargies appartenant à un même
                                                                                   nucléaires qui le compose.
     village ou à des villages différents s’entremêlent et
     peuvent se chevaucher. Ces situations peuvent être                            Du fait de l’imbrication des espaces agro-forestiers
     motif de conflit. On trouve néanmoins des cas de                              appartenant à différents ayant droits, les limites
     territoires de familles élargies entièrement regrou-                          entre villages voisins ne sont pas nettes.
     pés. C’est souvent le cas des plantations coloniales
     anciennes qui ont été subdivisées au moment de
     l’indépendance.
46                                                                                                                                                                                                                                            47
                                                                                                                                                       AGTER
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48
48                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             49
                                                                                                                                                      AGTER     AGTER
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     Les Bakas et les Bantous distinguent la « grande                             perception qu’ont les jeunes Bakas de la forêt et la            territoire                                                                 dépens des activités de collecte de produits alimen-
                                                                                                                                                                                                                             taires en forêt. Or, ces dernières garantissaient aux
     chasse » de la « petite chasse ». La première concerne                       relation qu’ils entretiennent avec elle sont de toute
                                                                                                                                                  La sédentarisation a eu un impact sur l’organisa-                          familles Bakas des apports en glucides indispen-
     le gros gibier (éléphant, sanglier, gorille, chimpan-                        évidence très différentes de celles de leurs aînés.
                                                                                                                                                  tion sociale des Bakas et sur les rapports avec les                        sables, par le biais des tubercules sauvages récoltés
     zé, etc.) et se pratique essentiellement pendant                             Mais l’image, véhiculée par certaines associa-                  Bantous. Elle a réduit les fonctions et la légitimité                      que les productions réalisées sur leurs parcelles
     la grande saison des pluies (Sokoma). La « petite                            tions, d’une tradition «pygmée» contradictoire avec             du kobo. C’est désormais le chef de village Bantou                         agricoles ne leur permettent pas d’assurer.
     chasse » consiste en la recherche de petits mammi-                           la modernité et défendue par une volonté Baka                   qui choisit le chef des Bakas. Sa décision est ensuite
     fères tels que des rongeurs et s’effectue surtout en                                                                                                                                                                    Une perte d’autonomie alimentaire s’opère ainsi
                                                                                  unanime de retour à la forêt ne rend sans doute                 entérinée par le sous-préfet. Ce chef est investi
     saison sèche.                                                                                                                                                                                                           avec la sédentarisation. Un cercle vicieux se met
                                                                                  pas pleinement compte de la réalité. Si beaucoup                d’un simple rôle de représentation auprès des
                                                                                                                                                                                                                             en place : le manque de temps et le déficit d’appro-
     La pêche est pratiquée par les femmes qui piègent                            de Bakas aspirent à améliorer leurs conditions                  Bantous et des autorités publiques sans que lui soit
                                                                                                                                                                                                                             visionnement en certains produits entretient la
     le poisson au moyen de barrages en saison sèche ou                           matérielles de vie, c’est souvent avec à l’esprit               reconnue une quelconque fonction administrative.
                                                                                                                                                                                                                             dépendance des travailleurs Bakas à l’égard des
     usent d’une substance toxique tirée d’un fruit pour                          des modèles d’habitat et d’activités sédentaires.               Cette nomination de l’extérieur s’est traduite par
                                                                                                                                                                                                                             rémunérations en nature de leurs employeurs
     les empoisonner.                                                             Ces aspirations sont cause d’incompréhension et                 la déliquescence de la figure politique majeure des
                                                                                                                                                                                                                             Bantous.
                                                                                  même de conflits inter-générationnels au sein des               bakas : plusieurs décennies après leur « installation »
                                                                                  communautés. Les anciens rejettent les jeunes                   dans un village bantou, c’est à son chef bantou que                        Le cycle des activités agraires et celui des activités
     La cueillette                                                                qu’ils accusent d’être de faux Bakas. En retour,                les Bakas reconnaissent aujourd’hui la plus grande                         forestières se chevauchent tout au long de l’année.
     Divers produits sont obtenus par cueillette ou                               de nombreux jeunes, en rupture avec leurs aînés,                autorité et c’est notamment à lui qu’ils préfèrent                         Plus la sédentarisation est marquée, plus la période
     ramassage: jeunes feuilles, fruits, noix et amandes                          n’entretiennent plus les liens de solidarité tradition-         faire appel en cas de litige.                                              dédiée à l’activité agricole s’allonge alors que celle
     (avec lesquelles de l’huile est produite), champi-                           nels qui pourraient peut-être amoindrir certaines                                                                                          passée en forêt se réduit. La chasse continue de
                                                                                                                                                  La sédentarisation n’a pas impliqué la régularisation
     gnons, tubercules, insectes (chenilles collectées à la                       situations de très grande précarité.                                                                                                       jouer un rôle important dans l’économie et les
                                                                                                                                                  du statut administratif des communautés Bakas.
     saison des pluies, larves de coléoptères et termites,                                                                                                                                                                   modes de vie des populations Bakas durant la
                                                                                                                                                  Celles-ci sont identifiées à travers les hameaux que
     en particulier), miel, etc..                                                                                                                                                                                            période des pluies, y compris chez celles qui ont
                                                                                                                                                  forment leurs habitations au sein du village et elles
                                                                                                                                                                                                                             été le plus éloignées de leurs mode de vie tradition-
     Le prélèvement d’une large gamme de produits au                                                                                              sont placées sous la dépendance de la chefferie
                                                                                                                                                                                                                             nels. Le maintien des pratiques de chasse s’explique
     moyen de techniques variées permet de palier les                                                                                             Bantoue. Celle-ci ne reconnaît généralement aucune
                                                                                                                                                                                                                             notamment par la persistance de l’organisation du
     difficultés qu’oppose le milieu naturel, en particulier                                                                                      prérogative territoriale officielle au chef Baka, ce
                                                                                                                                                                                                                             travail en groupe. Malgré la sédentarisation, nombre
     la dispersion des produits et leur saisonnalité.                                                                                             qui participe à sa dévalorisation aux yeux de sa
                                                                                                                                                                                                                             de Bakas ont conservé l’habitude de partir vivre
                                                                                                                                                  communauté.
                                                                                                                                                                                                                             quelques mois, chaque année, dans des campe-
                                                                                                                                                                                                                             ments établis en forêt. Ils quittent alors les habita-
     Des bouleversements récents                                                                                                                                                                                             tions du village.
                                                                                                                                                  Pratiques agricoles et modifications
     La société Baka est en pleine transformation. La                                                                                                                                                                        La construction des maisons traditionnelles (des
     sédentarisation, initiée de manière forcée au cours                                                                                          des activités traditionnelles                                              huttes faites de grandes feuilles) était auparavant
     des années 1950 sous la domination coloniale55, a                                                                                            Bien qu’elle n’occupe encore qu’une place margi-                           de la responsabilité des femmes. Les hommes ont
     entraîné un bouleversement radical de leurs modes                                                                                            nale, l’agriculture est de plus en plus intégrée dans                      repris cette tache, et endossé la valeur symbo-
                                                                                                                                                  les nouveaux modes de vie des populations Bakas,                           lique qui en découle, dès l’adoption du modèle de
                                                                                                                                                  du fait de la sédentarisation forcée dont ils ont fait                     la maison rectangulaire bantoue57 au début de la
     quelques éléphants âgés.
                                                                                                                                                  et font encore l’objet56. Les Bakas sont impliqués                         sédentarisation. Les rares huttes encore utilisées
     54 À ces occasions le Baka peut récupérer une partie du gibier chassé
     ou être payé (dans la région de Djoum) à hauteur de 30% de la valeur du                                                                      dans des pratiques agricoles en tant que travailleurs
     gibier qu’il a prélevé. Il arrive cependant souvent que le Bantou refuse
     de payer et dans ce cas le Baka ne dispose d’aucun moyen de recours.
     55 La sédentarisation est imposée par les pouvoir coloniaux sous la                                                                                                                                                     57 L’évolution du mode d’habitation est le symbole des changements
     contrainte et avec la force. Les Bakas qui s’opposaient à cette obligation                                                                   56 Des récoltes sur abattis-brûlis effectuées par des Bakas avaient déjà   que vivent les populations Bakas. La hutte en feuillage convenait aux
     et rejoignaient la forêt étaient souvent battus.                                                                                             été décrites aux alentours des années 1930 et désignées comme le fruit     campements provisoires, alors qu’avec la sédentarisation on privilégie
                                                                                                                                                  d’un apprentissage auprès des populations agricoles bantoues voisines.     les habitats solides.
50
50                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 51
                                                                                                                                         AGTER    AGTER
     Organisation sociale et systèmes de production agro-forestiers des Bakas                               LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                            Organisation sociale et systèmes de production agro-forestiers des Bakas
     aujourd’hui ne le sont que par des femmes seules                                                                                                 femme Bantoue implique une dette implicite, qui                      Le détournement des connaissances tradi-
     ou veuves.                                                                                                                                       peut aller jusqu’à générer des relations d’asservisse-               tionnelles au service du braconnage et du
                                                                                                                                                      ment. Les femmes Bakas peuvent dès lors se trouver
     La division traditionnelle du travail ne semble plus                                                                                                                                                                  trafic d’ivoire
                                                                                                                                                      obligées à vendre leur force de travail comme
     guère perpétuée que dans les périodes, de plus en
                                                                                                                                                      journaliers auprès des Bantous.                                      La « grande chasse » des éléphants est aujourd’hui
     plus courtes, de vie en forêt. La chasse et la récolte
                                                                                                                                                                                                                           essentiellement commanditée par des Bantous et
     du miel y sont toujours essentiellement réservées                                                                                                Le défrichage des espaces forestiers pour leur mise
                                                                                                                                                                                                                           pratiquée très au-delà des territoires coutumiers60,
     aux hommes58 mais avec la contribution indirecte                                                                                                 en culture nécessite une main d’œuvre masculine
                                                                                                                                                                                                                           dans le cadre d’activités de réseaux de braconnage
     des femmes indispensable notamment lors des                                                                                                      et des outils. Or, les hommes Bakas, essentiellement
                                                                                                                                                                                                                           organisé. Elle est soit le fait d’  « élites » Bantoues
     rituels qui accompagnent la chasse.                                                                                                              occupés par la chasse, ne sont pas souvent dispo-
                                                                                                                                                                                                                           installées, soit celui de jeunes Bantous qui y trouvent
                                                                                                                                                      nibles pour cette activité et le coût de location d’une
                                                                                                                                                                                                                           ponctuellement l’importante somme d’argent dont
                                                                                                                                                      tronçonneuse rend ce genre d’outil inaccessible aux
                                                                                                                                                                                                                           ils ont besoin pour s’émanciper rapidement de leurs
     L’assujettissement aux populations                                                                                                               Bakas. Par ailleurs, le statut qu’occupent les Bakas
                                                                                                                                                      dans les représentations des Bantous font qu’il est
                                                                                                                                                                                                                           aînés61.
     Bantoues                                                                          Fig. 18 Hutte, maison traditionnelle Baka. Photo : M. Merlet   sans doute impensable pour un Bantou de louer une                    Dans cette chasse, les Bakas n’ont qu’un rôle d’exé-
                                                                                courante de la violence à l’égard des Bakas, qui irait                tronçonneuse à un Baka.                                              cutants au service des braconniers. Cinq chasseurs
     La transformation de relations anciennes                                   parfois jusqu’à la torture. Elle serait exercée par                                                                                        Bakas accompagnent généralement un mois durant
                                                                                                                                                      La seule alternative qui reste le plus souvent aux
                                                                                des « pères » Bantous pour sanctionner des compor-                                                                                         les jeunes Bantous qui seraient incapables sans eux
     Bakas et Bantous coexistent sur les mêmes terri-                                                                                                 Bakas est celle de vendre leur force de travail dans
                                                                                tements jugés insolents... L’acceptation de cette                                                                                          de pister les éléphants et de s’orienter en forêt sur
     toires depuis très longtemps. Mais leurs relations                                                                                               les plantations bantoues (pour les semis, le sarclage
                                                                                situation comme normale semble générale chez les                                                                                           de telles distances. C’est l’activité privilégiée des
     ont évolué, depuis la période coloniale, vers ce que                                                                                             et la récolte). Les conditions d’accès à la terre entre-
                                                                                Bakas. Son « intériorisation » va peut-être jusqu’à la                                                                                     jeunes hommes Bakas qui ne séjournent qu’une
     des chercheurs décrivent comme des formes de                                                                                                     tenues par les Bantous leur permettent de mainte-
                                                                                reconnaissance de la « mission civilisatrice » dont se                                                                                     dizaine de jours au village entre deux parties de
     vassalisme59.                                                                                                                                    nir les Bakas dans le statut d’ouvrier agricole à très
                                                                                disent chargés les Bantous.                                                                                                                chasse62.
                                                                                                                                                      faible coût. Leur rémunération s’échelonne entre 500
     Chaque campement Baka a toujours entretenu                                                                                                       à 1500 Franc CFA par jour (80 centimes à 2,5 euros
     une relation étroite avec un ou plusieurs villages                         L’accès problématique au foncier et les                               par jour). Il sont parfois payés en nature au moyen
     bantous alentour, auxquels ils étaient traditionnel-                       moyens de production limités favorisent                               de produits vivriers (paniers de manioc) et d’objets
     lement liés par un pacte héréditaire qui unissait                          une « vente » de main d’œuvre proche du                               manufacturés (d’origine européenne). Le paiement
     deux familles et se perpétuait d’une génération à                                                                                                en produits addictifs, tel que le tabac, le chanvre ou
                                                                                travail forcé
     l’autre. Si l’on référait alors couramment les familles                                                                                          l’alcool en sachets est fréquemment pratiqué, selon
     Bakas à leur « patrons » bantous, les Bakas n’étaient                      Les surfaces agricoles laissées, hier comme                           un schéma tristement classique de soumission
     pas dans un véritable rapport d’obligation vis-à-vis                       aujourd’hui, à disposition des populations Bakas                      des peuples autochtones. L’usage de stupéfiants et
     d’eux. Cette relation consistait essentiellement en                        sont insuffisantes, voire inexploitables. Lors de leur                d’alcool renforce la dépendance des Bakas vis-à-vis
     des échanges de biens et services, les Bakas fournis-                      sédentarisation forcée, les sous-préfets de l’Etat                    des Bantous. Il impose aux premiers la nécessité                     60 Dans l’arrondissement de Djoum, zone étudiée pour les besoins de la
     sant aux Bantous des produits de la forêt (en parti-                       colonial ont attribué localement des espaces aux                      d’une rémunération quotidienne qui entretient la                     réalisation de ce dossier documentaire, les chasseurs partent souvent
     culier des surplus de chasse) en échange de fer, de                        Bakas, en accord avec les communautés Bantoues.                       logique de vente de leur force de travail.                           au Gabon, dont la frontière est située à 200 km de distance. Ils y trouvent
     sel et de produits vivriers. Les Bakas prêtaient aussi                                                                                                                                                                une plus grande abondance d’éléphants du fait de la meilleure efficacité
                                                                                Situées souvent à des distances rendant impossible
                                                                                                                                                      Les conflits sont fréquents dans ce contexte. Ils                    des mesures de contrôle du braconnage.
     leur force de travail à diverses activités agricoles                       leur exploitation au quotidien depuis le village,                                                                                          61 Cette émancipation demande un investissement important pour
     et domestiques en échange de la protection de                              elles n’ont pas toujours contribué à l’adoption                       apparaissent notamment suite à des prélèvements                      le payement d’une dote, la construction d’une maison, l’ouverture de
     la famille Bantoue. Durant l’époque coloniale, les                         de pratiques agricoles qui auraient pu couvrir les                    par les ouvriers Bakas de ce qu’ils considèrent                      nouvelles plantations de cacao ou le développement d’activités lucratives
     Bakas aidaient notamment à la récolte du caout-                            besoins alimentaires auxquels pourvoyait aupara-                      comme leur dû dans les espaces forestiers occupés                    en tout genre (beaucoup de jeunes investissent notamment dans l’achat
                                                                                                                                                      par les plantations des Bantous, mais qui sont du                    d’une moto pour leurs propres déplacements ou pour faire le taxi).
     chouc et dans les plantations de cacao. C’est à cette                      vant la forêt.                                                                                                                             62 Au cours d’une partie de chasse, sont tués en moyenne vingt
     période que leurs relations auraient commencé                                                                                                    vol pour ces derniers.                                               éléphants et rapportés une centaine de kilogrammes d’ivoire. Le prix du
     à se déséquilibrer, jusqu’à basculer, au cours des                         Les Bantous, aménageurs historiques des terri-                                                                                             kg d’ivoire peut atteindre 100 000 FCFA (150 euros). Il est d’autant plus
     dernières décennies, dans une situation proche de                          toires agraires villageois, n’y ont jamais reconnu                                                                                         élevé que la quantité totale d’ivoire rapportée est grande. La recette
                                                                                aux Bakas de droits d’exploitation susceptibles de                                                                                         totale d’une grande chasse peut ainsi s’élever à 10 millions de FCFA
     l’esclavagisme.                                                                                                                                                                                                       (15  300 euros). La part revenant aux Bakas est minime : les porteurs
                                                                                leur permettre une installation digne et durable. Les                                                                                      sont payés environ 2  000 FCFA (3 euros) par kg d’ivoire transporté. Ils
     Selon des chercheurs, des Bantous se comportent                            femmes Bakas sont fréquemment contraintes de                                                                                               portent entre 20 et 30 kg chacun ce qui représente un gain de 40 000 (60
     désormais comme si les membres de la famille Baka                          mendier auprès de femmes Bantoues pour obtenir                                                                                             euros) à 60 000 FCFA (90 euros) par porteur. Le tireur est payé environ
     à laquelle ils sont liés par pacte étaient leur proprié-                   d’elle la mise à disposition d’une parcelle. Leur sont                                                                                     200  000 FCFA (300 euros). L’organisation d’une partie de « grande
                                                                                                                                                                                                                           chasse » demande un investissement d’environ 300 000 FCFA (460 euros)
     té. Ce rapport serait même couramment justifié à                           alors cédées celles dont le potentiel de rendement                                                                                         pour la location des fusils, l’achat des munitions, la paye d’avant départ
     travers un système de droit divin fondé sur le culte                       est le plus faible, à cause de périodes de friche trop                                                                                     nécessaire à l’engagement des Bakas s’engagent, l’alimentation…). Ces
     des ancêtres. Le paternalisme traditionnel des                             courtes pour permettre un renouvellement suffisant                                                                                         coûts rendent impossible aux Bakas l’organisation de telles opérations
     Bantous laisserait souvent la place à une pratique                                                                                                                                                                    de manière autonome. Il est peu probable que la liberté de le faire leur
                                                                                de la végétation et de la fertilité du sol, ou encore
                                                                                                                                                                                                                           serait laissée par les bantous quand bien même ils disposeraient des
                                                                                les terrains les plus fortement soumis à l’érosion. La                                                                                     ressources nécessaires. L’argent tiré par les jeunes Bakas de cette
                                                                                production qu’elles permettent ne justifie souvent                                                                                         activité, de loin la plus lucrative de toutes celles qui leur soit couramment
     58 Les filets, la hache, la machette, la lance et les harpons sont la      même pas l’investissement en travail fourni pour les                                                                                       possible de mener, est assez peu redistribué au sein de la communauté.
     propriété des hommes et se transmettent par hérédité de père en fils.                                                                                                                                                 Il ne peut pas être assimilé à une source de revenu pour les ménages
                                                                                cultiver. Par ailleurs, l’emprunt d’une parcelle à une
     59 Turnbull, 1965 et Demesse,1980, dans Bahuchet, 1985                                                                                                                                                                (Source : informations recueillies lors du stage de terrain).
                                                                                                                                                                                  Fig. 19 Femmes Baka. Photo : M. Merlet
52
52                                                                                                                                                                                                                                                                                                                53
                                                                                                                                             AGTER    AGTER
     Organisation sociale et systèmes de production agro-forestiers des Bakas                                  LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                  Organisation sociale et systèmes de production agro-forestiers des Bakas
     RECONNAÎTRE LA
     SPÉCIFICITÉ ET
     LES DROITS DES
     POPULATIONS BAKAS,
     UNE NÉCESSITÉ
     La reconnaissance du statut de citoyen aux Bakas
                                                                                                   Fig. 20 Chef d’un village baka. Photo : M. Fraticelli
     par l’État camerounais n’est guère que formelle.
     Leur conditions de vie concrètes relèvent davan-                           Aujourd’hui, les projets de conservation qui concer-
     tage d’une catégorie de citoyen de seconde zone.                           nent de grandes étendues de forêts camerounaises,
     Ils connaissent un ensemble de difficultés que les                         au titre de la protection de l’environnement, consti-
     autres citoyens du pays ne semblent pas cumuler                            tuent paradoxalement une nouvelle menace pour
     aussi systématiquement. Ils rencontrent des                                les populations Bakas. Ceux-ci ne bénéficient pas en
     problèmes majeurs d’accès à la terre, des difficultés                      effet de dérogation par rapport aux interdictions et
     de reconnaissance administrative de leurs commu-                           aux limites apposées à l’exploitation des ressources
     nautés et habitats, un accès limité aux services                           dans ces zones64.
     sociaux de base (éducation et santé) et une grande                         Le respect des droits fondamentaux de ces peuples
     difficulté d’exercice de leur droits civils63.                             premiers ne répond pas seulement à un impéra-
                                                                                tif moral universel. Nous avons énormément à
     La sédentarisation forcée a constitué l’une des                            apprendre de ces peuples. Ils connaissent mieux que
     étapes déterminantes de ce processus de relégation.                        quiconque le milieu naturel dans lequel ils vivent.
     Elle illustre la manière dont est nié, depuis la période                   Au moment où nous prenons conscience à l’échelle
     coloniale, le droit des Bakas d’entretenir le système                      de la planète de la nécessité de préserver les grands
     particulier de relations aux ressources naturelles qui                     bassins forestiers tropicaux, directement menacés
     est le leur. Ce sont aujourd’hui les pratiques coutu-                      par le pillage et la marchandisation des ressources
     mières Bantoues et le cadre étatique de gestion des                        naturelles et par l’avancée des fronts pionniers
     forêts qui le leur rend impraticable.                                      agricoles, la reconnaissance des droits des popula-
                                                                                tions Bakas devient un enjeu qui dépasse l’horizon
     Le détournement de certains savoirs Bakas à des
                                                                                local et nous concerne tous.
     fins lucratives aggrave la crise sociale, culturelle
     et identitaire de ces communautés. La négation
     de leurs droits fondamentaux, notamment les
     violences physiques et morales quotidiennes qu’ils
     subissent, et la perspective de la disparition de leur
     culture et de leurs savoirs sont dramatiques. Elles
     justifient que soient prises des mesures politiques
                                                                                                                                                           DOSSIER : Gouvernance des forêts du Cameroun – Fiche 5
     et juridiques spécifiques. Faute de les prendre, le                                                                                                   FICHE RÉDIGÉE PAR : Marta Fraticelli (AGTER) et Cécile Pinsart, version initiale révisée par par Joseph Mougou (CED) et Mathieu Perdriault (AGTER)
     Cameroun est montré du doigt par la communauté                                                                                                        DATE DE RÉDACTION : Septembre 2011
     internationale pour son non-respect des droits des                                                                                                      Retrouvez ce document et beaucoup d’autres sur le site documentaire d’aGter
     minorités ethniques et des peuples autochtones en
     particulier.                                                                                                                                          SOURCES :
                                                                                                                                                            Althabe G.. 1965. Changements sociaux chez les Pygmés Baka de l’Est du Cameroun, Cahiers d’études africaines, Vol.5, # 20.
     Les rapports de force concrets (économiques,
     politiques, juridiques et même physiques) dans                                                                                                         Bahuchet S.. 1985. Les Pygmées Aka et la forêt centrafricaine, ethnologie écologique, SELAF.
     lesquels évoluent quotidiennement les Bakas leur                                                                                                        Bauchet S.. 1986. Linéaments d’une histoire humaine de la forêt du bassin congolais, MNHN, dans Vertébrés et forêts tropicales humides
     sont entièrement défavorables. Certains avancent                                                                                                      d’Afrique et d’Amérique, Mémoires du Muséum National d’Histoire Naturelle, Série A Zoologie.
     que leur rééquilibrage pourraient passer non seule-                                                                                                      Bahuchet S.. 1996. Fragments pour une histoire de la forêt africaine et de son peuplement : les données linguistiques et culturelles, dans UNESCO,
     ment par le volontarisme politique et juridique de                                                                                                    « L’alimentation en forêt tropicale : interactions bioculturelles et perspectives de développement »
     l’Etat, mais aussi par des programmes de sensibili-                        64 L’organisation Forest Peoples Programme, FPP travaille depuis des
                                                                                                                                                             Tchoumba B. et Nelson J.. 2006. Protéger et encourager l’usage coutumier des ressources biologiques par les Baka à l’ouest de la Réserve de
     sation et d’éducation sur les enjeux du respect inter-                                                                                                biosphère du Dja Contribution à la mise en œuvre de l’article 10 (c) de la Convention sur la diversité biologique, Forest Peoples Programme et
                                                                                années pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones du
                                                                                                                                                           Centre pour l’Environnement et le Développement.
     communautaire.                                                             bassin du Congo. Une série de publication témoigne de la lutte que FPP
                                                                                mène pour une meilleure prise en compte des pratiques traditionnelles        Bigombe Logo, P.. 2006. Les élites et la gestion décentralisée des forêts au Cameroun, Essai d’analyse politiste de la gestion néo-patrimoniale de
                                                                                de ces populations dans les politiques de gestion forestière et            la rente forestière en contexte de décentralisation, CERAD-GEPAC-GRAPS/Université de Yaoundé.
     63 Patrice Bigombe Logo, 2006                                              notamment de conservation de la biodiversité.
54
54                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           55
                                                                                                                                                  AGTER    AGTER
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
56                                                                                                                         57
                                    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                                    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                              Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
     FORESTIÈRE AU
                                                                                                                                                              attribué aux différents acteurs (exploitants fores-
                                                                                   Dans le même temps, la préoccupation de l’opinion                                                                                                    Le plan de zonage fixé par la loi de 1994 prévoit
                                                                                                                                                              tiers, usagers locaux, collectivités locales...) des
                                                                                   publique internationale pour la protection des forêts                                                                                                la protection de 20 % de la superficie des forêts
                                                                                                                                                              droits et des obligations censés garantir le maintien
     CAMEROUN, DES                                                                 s’amplifie. Après le Sommet de la Terre organisé par
                                                                                   les Nations Unies à Rio en 1992, une plus grande
                                                                                                                                                              du couvert forestier y compris dans les zones
                                                                                                                                                                                                                                        camerounaises à travers la création d'aires proté-
                                                                                                                                                                                                                                        gées70. Certaines mesures issues de la réforme visent
                                                                                                                                                              d’exploitation. C’est ainsi que ces dernières peuvent
     DÉBUTS À NOS JOURS                                                            régulation du secteur forestier et la démocratisation
                                                                                   de la gestion des ressources forestières apparaissent
                                                                                                                                                              être établies, au côté des zones de sanctuarisation
                                                                                                                                                              (conservation), à l’intérieur du « domaine forestier
                                                                                                                                                                                                                                        à favoriser la participation des populations locales
                                                                                                                                                                                                                                        à la gestion de ces territoires. Leurs nouveaux
                                                                                   de plus en plus nécessaires.                                                                                                                         statuts reconnaissent la présence des populations
                                                                                                                                                              permanent » défini par la nouvelle loi.
                                                                                                                                                                                                                                        qui y vivent et leur attribuent des droits de gestion.
                                                                                                                                                              La loi de 1994 semble considérer, en revanche, que                        Certaines activités, en particulier la chasse et l’abat-
     L’exploitation des forêts avant la                                            Les efforts de régulation du secteur                                       toute forme d’activité agricole est incompatible avec                     tage des arbres, y sont strictement réglementées.
                                                                                                                                                              préservation de la forêt. Elle distingue les forêts
     réforme de 1994                                                               forestier à partir de 1994                                                 situées dans des zones où est pratiquée l’agriculture,
                                                                                                                                                                                                                                        Mais il semble qu’aucune des aires de conserva-
                                                                                                                                                                                                                                        tion établies à ce jour n’ait encore donné lieu à une
     Les administrations coloniales considéraient les                                                                                                         le « domaine forestier non permanent » et les espaces
                                                                                   Une réforme importante du cadre législatif, politique                                                                                                cogestion véritablement opérationnelle. Les difficul-
     forêts tropicales du Cameroun comme offertes à la                                                                                                        forestiers du « domaine forestier permanent ». Ce
                                                                                   et institutionnel relatif à la gestion des forêts du                                                                                                 tés liées à la concertation entre les acteurs étatiques
     « mise en valeur » de leurs ressources. Les coloni-                                                                                                      zonage, dont l’importance stratégique est impor-
                                                                                   Cameroun a lieu en 199467. Elle ouvre légalement                                                                                                     et les utilisateurs locaux des ressources, parfois
     sateurs se sont consacrés à l’organisation de leur                                                                                                       tante, est réalisé sans une véritable consultation des
                                                                                   leur contrôle et le partage de leurs bénéfices à                                                                                                     victimes de l’imposition de la loi sans consultation,
     exploitation et à la perception de la « rente » naturelle                                                                                                populations. Il isole ainsi au sein d’espaces couverts
                                                                                   davantage de camerounais. Cette réforme a été                                                                                                        entraînent d’importants conflits lors de la mise en
     qu’elles recèlent. L’État du Cameroun indépendant                                                                                                        de forêts des terres à «vocation» agricole, que la loi
                                                                                   conçue dans le cadre des programmes d’ajuste-                                                                                                        place des aires protégées71. Par ailleurs, il est notoire
     a largement repris à son compte cette vision de la                                                                                                       nomme zones « agro-forestières » où l’agriculture est
                                                                                   ment structurel définis par la Banque Mondiale                                                                                                       que les activités de braconnage et de prélèvement
     forêt. Au fil de décennies de gestion centralisée de                                                                                                     permise aux populations locales.
                                                                                   et le Fond Monétaire International, qui en ont fait                                                                                                  illégal de bois restent très répandues dans ces
     l’appropriation de la rente forestière, se sont établies
                                                                                   une condition d’octroi de leur financement. L’un de                        Cette distinction retire aux espaces que la loi qualifie                  vastes étendues dont le contrôle appelle des moyens
     des relations très déséquilibrées entre les entre-
                                                                                   ses principaux objectifs est d’accroître la contribu-                      de « forestiers » toute finalité de production alimen-                    supérieurs à ceux dont disposent les autorités qui
     prises exploitantes et les populations locales. Les
                                                                                   tion du secteur forestier aux recettes d’exportation                       taire. Elle institue par là-même l’idée que toute                         en ont la charge.
     premières, souvent d’origine étrangère, entretien-
                                                                                   camerounaises. Elle vise aussi à poser un cadre de                         présence humaine à un autre titre que celui de la
     nent des liens privilégiés avec les « élites » politiques
                                                                                   régulation et de gestion des ressources forestières                        « conservation » où de l’ « exploitation » est incompa-
     nationales et locales qui leur ont garanti l’accès aux
                                                                                   plus transparent et participatif.                                          tible avec le maintien durable de la forêt. Ce critère
     ressources forestières.
                                                                                                                                                              de séparation spatiale devient un puissant facteur
     L’exploitation commerciale des forêts débute dans                                                                                                        d’exclusion et une source de conflits68 lorsqu’il doit
                                                                                                                                                              être appliqué à des espaces où des individus et
     les années 1880 sur la côte Atlantique, puis s’étend
     vers le centre et le sud du pays à partir de 1930.                            PRÉSENTATION                                                               des groupes ont noué une relation de dépendance
     Elle est restée peu réglementée durant la période                                                                                                        alimentaire et culturelle avec la forêt (Voir Fiche 3.
     coloniale65.                                                                  GÉNÉRALE DE LA                                                             De la gestion commune à la privatisation des terres
                                                                                                                                                              et des ressources naturelles, un long processus qui
     Avec l’indépendance, l’exploitation du bois est en
     partie nationalisée et placée sous le contrôle de                             RÉFORME DU RÉGIME                                                          débute avant l’indépendance du Cameroun).
58                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           59
                                                                                                                                                     AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
60                                                                                                                                                                                          61
                                                                                                                AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                              LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
                                                                                                                                                     L’exploitation s’est nettement développée depuis la                         La durée des concessions d'UFA est fixée à quinze
                                                                                                                                                     fin de la colonisation avec une augmentation notable                        ans et est renouvelable. L'extraction des bois d'une
                                                                                                                                                     du nombre de compagnies forestières présentes                               parcelle ne doit pas avoir lieu dans les 30 ans qui
                                                                                                                                                     au Cameroun au cours des dernières décennies. En                            suivent sa première exploitation76. Les diverses
                                                                                                                                                     2005, 4,95 millions d’hectares de forêts étaient déjà                       conditions réglementaires auxquelles doit satis-
                                                                                                                                                     attribués au titre de concessions forestières (UFA)73.                      faire l’exploitation sont intégrées dans les « plans
                                                                                                                                                     Les forêts de production couvraient en 2008 34%                             d’aménagement ». Ils précisent l’assiette de coupe
                                                                                                                                                     de la superficie forestière totale74. La production                         annuelle (1/30 de la surface de l’UFA)77 et la délimi-
                                                                                                                                                     et le marché du bois sont aujourd’hui dominés par                           tation de trois zones appelées « séries » : une « zone
                                                                                                                                                     un petit nombre d’entreprises d’origine étrangère                           de conservation » de dimension assez réduite où
                                                                                                                                                     (françaises, chinoises, italiennes, libanaises et                           la coupe est interdite  ; une « zone d’agro-foreste-
                                                                                                                                                     belges).                                                                    rie » où les populations locales peuvent maintenir
                                                                                                                                                                                                                                 leurs activités ; et la série destinée à la production.
                                                                                                                                                     L’exploitation commerciale du bois par des                                  Les autorités administratives et traditionnelles
                                                                                                                                                                                                                                 locales doivent être informées par l’entreprise du
                                                                                                                                                     entreprises privées dans les Unité Forestière
                                                                                                                                                                                                                                 démarrage de l’exploitation avant qu’il n’ait lieu. La
                                                                                                                                                     d’Aménagement                                                               législation impose que la cartographie précise des
                                                                                                                                                     La réforme de 1994 permet l'établissement d'exploi-                         espaces utilisés par les populations locales (champs
                                                                                                                                                     tations forestières par des entreprises privées à                           agricoles, arbres fruitiers, sites sacrés...) dans le
                                                                                                                                                     travers deux types de permis :                                              périmètre concerné soit réalisée avec elles.
                                                                                                                                                         Les droits de « ventes de coupe » portent sur des                       Le plan d’aménagement doit être présenté par
                                                                                                                                                     surfaces qui ne peuvent excéder 2  500 ha. Elles                            l’entreprise adjudicataire dans les trois ans qui
                                                                                                                                                     sont délimitées dans le Domaine Forestier Non                               suivent l’attribution de la concession. Pendant la
                                                                                                                                                     Permanent et exploitables un an renouvelable                                période intermédiaire, la loi ne concède que des
                                                                                                                                                     deux fois. Il s’agit d’une intervention ponctuelle.                         droits provisoires d’exploitation. Dans la pratique,
                                                                                                                                                     Leur octroi ne nécessite pas pour le demandeur                              l’obligation de soumettre un plan n’est pas toujours
                                                                                                                                                     de présenter de plan de gestion des parcelles                               respectée.
                                                                                                                                                     concernées.                                                                 L'octroi de concessions par appels d'offre a permis
                                                                                                                                                         Les Unités Forestières d'Aménagement (UFA) sont                         d'augmenter les loyers de concession, qui sont
                                                                                                                                                     délimitées dans le Domaine Forestier Permanent.                             établis en proportion de la surface octroyée. Ils sont
                                                                                                                                                     Leur exploitation est cédée à des entreprises par                           passés de 0,6 dollars EU par hectare par an avant
                                                                                                                                                     l’État, dans le cadre de concessions d’exploitation                         la réforme à des montants situés entre 5,6 à 13,7
                                                                                                                                                     attribuées à l’issue d’  « appels d’adjudication ». Le                      dollars EU.
                                                                                                                                                     choix de l’entreprise adjudicataire est opéré par une                       Les appels d'offres lancés par l’État ne donnent
                                                                                                                                                     commission interministérielle qui doit prendre en                           cependant pas toujours lieu à la concurrence que
                                                                                                                                                     compte la qualité technique et financière de l’offre                        celui-ci pourrait souhaiter. Les moyens font par
                                                                                                                                                     proposée par les différents candidats à l’exploi-                           ailleurs défaut pour contrôler régulièrement les
                                                                                          Fig. 22 Formes de gestion du domaine forestier national
                                                                                                                                                     tation. La décision finale et ses motifs ainsi que le                       conditions d'exploitation comme il serait nécessaire
                                                                                                                                                     dossier du candidat retenu sont rendus publics.                             afin de limiter les fraudes.
                                                                                                                                                     Les entreprises ont clairement plébiscité le dispositif
     L’exploitation des forêts                                                   • Autorisations de récupération de bois ;                           des concessions, qui existait avant la réforme mais
                                                                                                                                                     à laquelle elles préféraient d'autres catégories de
     L'exploitation du bois reste la finalité majeure.                           • Forêt communautaire ; Vente de coupe ;
                                                                                                                                                     titres que celle-ci a supprimé. En 2006, 85% du bois
     La législation forestière camerounaise permet                               • Forêt communale ;                                                 commercialisé provenait de l'exploitation des UFA,
     l'exploitation des ressources forestières à travers                                                                                             alors qu'en 1998 elles n'en fournissaient que 30% (G.                       75 Données de l’OFAC, Observatoire des forêts d’Afrique Centrale,
     neuf « titres » différents délivrés sous la tutelle du                      • Concession forestière (portant sur              une « Unité       Topa & al., 2010). En 2009, 96 concessions forestières                      http://www.observatoire-comifac.net/index.php
     Ministère des forêts (MINFOF) Permis d’exploitation                         d’Aménagement Forestier », UFA).                                    avaient été attribuées pour une superficie totale de                        76 Cela signifie que l’exploitant a le droit de retourner sur la même
     du bois d’œuvre ;                                                                                                                                                                                                           parcelle seulement 30 ans après la première coupe.
                                                                                 L’exploitation effectuée sous chacun de ces titres                                                                                              77 Le plan d’aménagement prend aussi en considération le diamètre
     • Permis d’exploitation des produits spéciaux ;                             contribue différemment à la production totale de                                                                                                minimal en-deça duquel la coupe d’un arbre n’est pas permise
                                                                                 bois. Celle-ci est très majoritairement le fait des                 72 ILC, RRI, CIRAD. 2011. Large acquisition of rights on forest lands for   (« diamètre minimal d’exploitation », DME) fixé par l’Administration pour
     • Permis d’exploitation du bois de chauffe ou des                                                                                               tropical timber concessions and commercial wood plantations.                chaque essence. L’exploitation est de plus limitée aux essences à valeur
                                                                                 entreprises qui agissent dans le cadre de conces-                   73 Ibidem.                                                                  commerciales. Certaines essences spéciales font l’objet de restrictions
     perches ;                                                                   sions forestières. Le plan national d’affectation des               74 COMIFAC. 2009. Les forêts du Bassin du Congo. État des forêts 2008.      supplémentaires.
     • Autorisations personnelles de coupe ;                                     terres, « plan de zonage » destine 7 millions d’hec-
62                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    63
                                                                                                                                             AGTER   AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                               LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                               Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
64                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   65
                                                                                                                                            AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                                LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                 Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
         la création d’une « forêt communautaire »                               coupes» (à hauteur de 1 000 FCFA/m3 de bois coupé)                   Les principaux textes normatifs régissant les droits
     requiert des procédures administratives complexes.                          et sont reversées aux communes qui doivent les                       sur les forêts au Cameroun :
     Les démarches et les coûts qui leur sont associés                           employer pour financer des infrastructures dans la
     dépassent généralement les capacités techniques et                          zone concernée par l’exploitation. L’importance des
     financières des communautés locales.                                        recettes de cette taxe pour le revenu des communes
                                                                                 régresse cependant avec la moindre attribution des
         Par ailleurs, les moyens nécessaires à l’exploita-                      titres de « ventes de coupes ».
     tion des ressources ligneuses font le plus souvent
     défaut aux communautés. Leur dépendance vis à
     vis des agents économiques à qui elles doivent la
     confier (au sein même des communautés comme à
     l’extérieur) se traduit très fréquemment par l’acca-
                                                                                 UNE TENTATIVE
     parement d’une grande part des bénéfices ou des
     ressources à leurs dépens.
                                                                                 D’ENCADRER
     Un système plus équitable de taxation de
                                                                                 L’EXPLOITATION DES
     l’activité forestière                                                       FORÊTS POUR ASSURER
     La réforme de 1994 modifie la fiscalité applicable aux
     activités d'exploitation forestière, qui ne reposait                        DES BÉNÉFICES
     auparavant que sur la seule taxation des troncs
     (grumes) exportés. Elle vise à augmenter les recettes
     fiscales et à assurer un partage plus équitable de la
                                                                                 DURABLES ET MIEUX
     rente forestière.                                                           PARTAGÉS ?
     Un impôt s'applique désormais à tous les titres
     de coupe attribués par appel d'offre  : c'est                               La nouvelle loi forestière constitue une évolution
     la « Redevance forestière annuelle » (RFA) (ou                              politique significative dans un pays où l'exploitation
     « redevance de superficie »)83. Son montant est                             des forêts relevait du seul contrôle de l'État central
     proportionnel aux surfaces octroyées en concession.                         et s'opérait au travers de pratiques contractuelles
     Il s’apparente en cela à un loyer. Depuis sa création,                      très peu transparentes. Elle a mis à plat un ensemble
     la redevance à l’hectare84 a pu être progressivement                        de titres forestiers et de concessions de toutes tailles
     augmentée grâce à la mise en concurrence des                                et durées qui portaient parfois sur des portions de
     entreprises forestières pour l’attribution des titres.                      territoire se chevauchant85. Elle a restructuré les
     La loi de finance de 1998 répartit les recettes                             institutions publiques responsables de la gestion
     de la RFA entre l’État (qui en conserve 50%), les                           du secteur forestier et transféré une partie de leurs
     communes (qui en perçoivent 40%) et les commu-                              compétences vers le secteur privé, les collectivités
     nautés riveraines de l’UFA (à qui reviennent les                            locales et les communautés.
     10% restant). La part destinée à ces dernières doit                         Les forêts restent cependant essentiellement dans
     transiter par les communes. Les fonds issus de la                           le « domaine national » et relèvent encore à ce titre
     redevance forestière constituent le premier poste                           largement l'autorité première de l'État. La réforme
     de recette des collectivités locales. Dans la pratique,                     n'a pas modifié radicalement le degré de concentra-
     la distribution et l’utilisation de la RFA ne sont pas                      tion de l'activité d'extraction du bois. Vingt entre-
     transparentes. Il en résulte localement de nombreux                         prises industrielles contrôleraient 80% la production
     conflits. Une part minime des sommes prélevées                              nationale, essentiellement au travers des « conces-
     auprès des exploitants parvient effectivement aux                           sions forestières » de grandes superficies.
     populations locales.                                                                                                                             DOSSIER : Gouvernance des forêts du Cameroun – Fiche 6
                                                                                 Surtout, elle n'a pas réellement modifié les possi-                  FICHE RÉDIGÉE PAR : Marta Fraticelli (AGTER), Mathieu Perdriault (AGETR) et Cécile Pinsart (stagiaire AGETR), version initiale révisée par Christiane
     D’autres taxes, dites parafiscales car non régulées                         bilités de gestion des ressources forestières par                    Tobith (CED) et Patrice Kamkuino (CED)
     par la loi de finance, participent à la répartition de                      les communautés, comme l'illustrent les fiches                       DATE DE RÉDACTION : Juillet 2011
     la rente forestière. Elles s’appliquent aux « ventes de                     suivantes.                                                             Retrouvez ce document et beaucoup d’autres sur la site documentaire d’aGter
                                                                                                                                                      SOURCES :
     83 Un autre impôt introduit par la réforme de 1994 est la taxe d’entrée à
     l’usine, qui cherche à contrôler davantage les mouvements du bois et à                                                                            Cerutti P. O., et Lescuyer G.. 2011. Le marché domestique du sciage artisanal au Cameroun, état des lieux, opportunités et défis, CIFOR.
     éviter les gaspillages.                                                                                                                           Alden Wily L.. 2011. A qui appartient cette terre ? Le statut de la propriété foncière coutumière au Cameroun, Centre pour l’Environnement et le
     84 Les taux fixés par la loi sont de 1000 FCFA/ha (1,52€) pour les                                                                               Développement, FERN, The Rainforest Foundation UK. Ed. Fenton.
     concessions forestières et de 2500 FCFA/ha (3,81€) pour les ventes de       85 G. Topa, A. Karsenty, C. Megevand, L. Debroux, Banque Mondiale,
     coupe.                                                                      2010                                                                  Cerutti P. O., et Lescuyer G.. 2011. Le marché domestique du sciage artisanal au Cameroun, état des lieux, opportunités et défis, CIFOR.
66                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      67
                                                                                                                                             AGTER    AGTER
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
68                                                                                                                       69
                                    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                                    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                            Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
     INTRODUIT UNE
                                                                                  triculation étant de fait hors de leur portée), on peut                                                                                               communautaire » (dans les cas où l’espace forestier
                                                                                  faire l'hypothèse que le fait de solliciter une « forêt                                                                                               correspondant à un seul village s’avérait trop réduit
                                                                                  communautaire » par les communautés réponde                                                                                                           pour justifier une telle demande ou lorsque les
     FIGURE LÉGALE                                                                souvent à cette préoccupation. En d'autres termes,                                                                                                    droits des habitants des deux villages se superpo-
                                                                                  il semble que l'intérêt des communautés pour                                                                                                          saient). Il s’agissait parfois de villages éloignés, qui
     DE « FORÊT                                                                   l'exploitation du bois puisse être dans un certain
                                                                                  nombre de situations moindre que celui d'obte-
                                                                                                                                                                                                                                        pouvaient appartenir à des identités claniques diffé-
                                                                                                                                                                                                                                        rentes et qui avaient construit dans le temps des
     COMMUNAUTAIRE »                                                              nir une forme de reconnaissance officielle de leurs
                                                                                  droits sur au moins une portion de leurs territoires.
                                                                                                                                                                                                                                        formes de gestion des ressources indépendantes les
                                                                                                                                                                                                                                        unes des autres. Dans ces conditions, la construc-
                                                                                  Mais cette dévolution de droits de gestion sur les                                                                                                    tion des nouveaux organismes de gestion collective
     La loi forestière n°  94/0186 a créé pour la première                        ressources forestières aux communautés à travers                                                                                                      des ressources paraît alors encore plus artificielle.
     fois au Cameroun un cadre normatif permettant                                l’outil juridique des « forêts communautaires » reste
     une gestion légale des forêts par les communau-                              tout à fait limitée.
     tés rurales. «forêt communautaire » et « foresterie
     communautaire » sont les mots employés par l'État
                                                                                                                                                                                                                                        La « foresterie communautaire »,
     pour qualifier les forêts concernées et les processus                                                                                                                                                                              nouvelle source de rente
     qui s'y rapportent.                                                          CONDITIONS                                                                                                                                            La dynamique la plus évidente mise en marche par
     D'emblée, il convient de souligner que ces termes
     prêtent à confusion. Une forêt communautaire                                 D'ÉLIGIBILITÉ ET                                                                                                                                      la foresterie communautaire est celle de la création
                                                                                                                                                                                                                                        d’une nouvelle rente. La ressource ligneuse, exploi-
                                                                                  LIMITES DU DISPOSITIF
     est, de façon générale, une forêt gérée de fait par                                                                                                                                                                                tée auparavant dans les villages d’une façon assez
     une communauté, que cette gestion soit ou non                                                                                                                                                                                      limitée (le sciage artisanal ne concernant alors que
     reconnue par l’État. Nous avons vu que d'immenses                                                                                                                                                                                  les arbres de grande valeur, de grande taille, et situés
     territoires forestiers étaient occupés depuis des                                                                                                                                                                                  en bordure de route), se profile comme une nouvelle
     temps immémoriaux par des populations locales,                                                                                                                                                                                     ressource économique maintenant accessible.
     des Bantous et des Bakas, qui en assuraient une                              Une limite de surface et de temps                                                   Fig. 24. Démarcation de la « forêt communautaire » de Nkolegne.   Dans la plupart des cas, quand les premiers revenus
     gestion communautaire, même s'ils n'exploitaient
                                                                                  Une forêt communautaire ne peut excéder en                                                                                       Photo : M. Merlet    issus de l’exploitation forestière arrivent à l’échelle
     pas leurs ressources ligneuses en coupant des arbres
                                                                                  surface 5  000 hectares. La période sur laquelle                            cette organisation qui signe une convention de                            villageoise, aucun mécanisme de redistribution
     pour vendre des grumes.
                                                                                  porte la convention est de 25 ans. Au regard des                            gestion de la ressource bois et des produits fores-                       n’a été mis en place. Bien que ces revenus soient
     Pour éviter toute confusion entre les forêts commu-                          expériences de foresterie communautaire qui ont                             tiers non ligneux avec l’administration forestière.                       destinés a priori à la construction d’infrastructures
     nautaires en général, très nombreuses et couvrant                            été des succès dans d'autres pays tropicaux, il est                                                                                                   sociales collectives, il existe une attente de la part
     de vastes surfaces au Cameroun et les « forêts                                                                                                           Ce processus introduit une notion de « commu-                             des villageois quant à leur redistribution à titre
                                                                                  clair qu'une surface inférieure à 5  000 hectares
     communautaires » répondant aux impératifs de la                                                                                                          nauté », d'organisation communautaire, différente                         individuel. Le paiement par l’entité juridique en
                                                                                  ne permet pas d'envisager au niveau d'une unité
     loi de 1994, nous utiliserons systématiquement dans                                                                                                      de celle déjà existante. Elle se superpose à un                           charge de la gestion de la forêt communautaire à
                                                                                  indépendante le montage d'une chaîne d'extraction
     ce texte des guillemets pour qualifier les secondes                                                                                                      système d’organisation sociale dans les villages de                       un villageois en compensation pour chaque arbre
                                                                                  et de transformation durable.87
     alors que nous conserverons l'expression sans                                                                                                            type lignager, défini comme « acéphale », c’est à dire                    abattu au sein de ses parcelles constitue une forme
     guillemets pour les forêts gérées de façon coutu-                                                                                                        dépourvu d’une autorité politique centrale88 (Voir                        de redistribution individuelle partielle de cette
     mière par les communautés, en dehors du cadre                                                                                                            Fiche 4. Les sociétés agro-forestières Bantoues du                        rente. Mais il ne couvre en général qu'un pourcen-
     normatif de l'État.
                                                                                  Un modèle qui se base sur une                                               sud du Cameroun). L'organisation formelle déter-                          tage marginal du revenu total obtenu par la vente
70                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         71
                                                                                                                                                     AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                             LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                               Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
     sés en parallèle à la structuration sociale lignagère                         appartiennent souvent à une minorité intellec-                  Conflits inter-villageois                                  dance réduit la capacité des villages à se défendre
     des villages.                                                                 tuelle, agissent comme des courtiers des projets                                                                           face aux acteurs externes (ONG, entreprises
                                                                                   de développement'. Elles ont centralisé dans leurs              Lorsqu’une « forêt communautaire » est créée               d’exploitation, municipalité, concessionnaires fores-
     Les nouvelles organisations en charge de la gestion                                                                                           en réunissant plusieurs villages, sa gestion est
                                                                                   mains la création et la gestion des forêts commu-                                                                          tiers (UFA), administration forestière, …).
     des « forêts communautaires » dans les villages,                                                                                              complexe et elle repose sur un consensus fragile.
                                                                                   nautaires. Il en a résulté un manque d’implication
     associations, coopératives ou GIC (Groupements                                                                                                Dans le droit coutumier, les espaces correspondant         ONG. Le positionnement des ONG dans le processus
                                                                                   du reste de la communauté et une forte méfiance,
     d’Initiative Commune) deviennent les interlocuteurs                                                                                           à des villages limitrophes sont souvent entremêlés         de mise en place des « forêts communautaires » fait
                                                                                   liée à un partage insuffisant de l’information. Un
     privilégiées pour l’ensemble des acteurs externes en                                                                                          (on peut utiliser l’expression d’« espaces arlequin »).    apparaître un paradoxe qui conduit à s'interroger
                                                                                   manque de transparence a souvent prévalu au sein
     lien avec la forêt communautaire (ONG, exploitants                                                                                            Des revendications surgissent souvent dès la rédac-        sur la façon dont a été pensée la « foresterie commu-
                                                                                   de l’instance même de gestion de la « forêt commu-
     forestiers, chercheurs, étudiants…). Le rôle de repré-                                                                                        tion du plan simple exigé pour la gestion de la « forêt    nautaire » et sur la perception que les populations en
                                                                                   nautaire » et de l’ensemble du village.
     sentation du chef de village vis-à-vis de l’extérieur,                                                                                        communautaire », du fait notamment de la compé-            ont. L’initiative de leur création est venue du dehors
     en particulier vis-à-vis des ONG, semble diminuer                             L’exclusion des autorités coutumières du processus              tition pour l’appropriation de la rente issue de           et leur fonctionnement reste extrêmement dépen-
     progressivement au bénéfice de ces nouvelles struc-                           de conception et de gestion de la « forêt commu-                l’exploitation forestière.                                 dant de l’extérieur, alors qu’elles devaient répondre
     tures, considérées par les acteurs externes comme                             nautaire » et leur participation seulement marginale                                                                       à des revendications historiques des populations
     plus démocratiques89.                                                         à la prise de décisions qui concernent pourtant la              Même quand la création d’une « forêt communau-             forestières90.
                                                                                   communauté dans son ensemble a contribué à les                  taire » ne concerne qu'un seul village, des conflits
     Les droits de gestion et d'exclusion attribués à ces                                                                                          peuvent émerger avec les villageois appartenant à          Les « forêts communautaires » se sont souvent trans-
                                                                                   délégitimer. Réciproquement la nouvelle unité de
     nouvelles institutions en tant que gestionnaires                                                                                              des villages voisins, lorsque le tracé rectiligne des      formées en forêts reliées à des projets de dévelop-
                                                                                   gestion a pu, grâce à de nouveaux moyens, asseoir
     des « forêts communautaires » chevauchent ceux                                                                                                forêts communautaires englobe des portions de              pement. Elles ont ainsi souffert des problèmes
                                                                                   son autorité, mais sans pour autant arriver à gagner
     des autorités traditionnelles, qu’il s’agisse des chefs                                                                                       territoires sur lesquels des villages voisins revendi-     inhérents à la plupart de ceux-ci. Les ONG qui les
                                                                                   une légitimité vis à vis de tous les habitants. Dans
     des familles élargies ou nucléaires ou des chefs de                                                                                           quent des droits. Parfois, il peut se produire qu’une      appuient sont souvent autant préoccupées par leur
                                                                                   certains villages, des ensembles d’acteurs porteurs
     villages. La légitimité de l’organisation qui gère la                                                                                         « forêt communautaire » soit mal positionnée par           reconnaissance, visibilité et financement que par le
                                                                                   de stratégies et d’intérêts concurrentiels sont
     « forêt communautaire » est souvent remise en cause                                                                                           rapport aux villages voisins en raison du non respect      développement des communautés. Leur implication
                                                                                   apparus. Au sein même des organismes de gestion
     dans la prise de décisions concernant la gestion                                                                                              des procédures de concertation lors de sa création.        s'organise dans le cadre de cycles de projet (de 3 à 5
                                                                                   de la « forêt communautaire » surgissent des conflits
     des ressources qui relevait auparavant du droit                                                                                               Des tensions importantes peuvent alors voir le jour        ans), qui se centrent souvent sur la première étape
                                                                                   de leadership qui entravent leur bon fonction-
     coutumier. Des conflits peuvent par exemple surgir                                                                                            entre le village bénéficiaire et les villages riverains,   du processus, l’obtention pour une portion de terri-
                                                                                   nement et peuvent déboucher sur la création de
     lorsqu’une assiette de coupe annuelle se super-                                                                                               avec un risque de violences lors de la mise en             toire du statut de « forêt communautaire ». Dans de
                                                                                   bureaux instables.
     pose à des espaces appropriés de façon coutumière                                                                                             exploitation.                                              nombreux cas, les ONG se sont ensuite retirées au
     par des villageois. La norme prévoyant des formes                             L’intérêt partagé est celui de l’accaparement de la                                                                        moment du démarrage de l’activité d’exploitation
     de compensation pour la coupe des arbres qui se                               nouvelle rente mobilisée par la gestion de la « forêt                                                                      forestière, alors que les communautés ne dispo-
     trouvent dans des parcelles et jachères individuelles                         communautaire ». Le reste des villageois vit de ce fait                                                                    saient pas encore des moyens ni des compétences
     (le propriétaire coutumier se voit attribuer une
     partie de la valeur de l’arbre qui coutumièrement
                                                                                   la « foresterie communautaire » comme une chose
                                                                                   externe à la communauté, qui ne concerne que le
                                                                                                                                                   ENJEUX DE                                                  nécessaires pour l’extraction et la commercialisa-
                                                                                                                                                                                                              tion du bois. Cela a porté préjudice au processus et
     lui appartient) n’est pas toujours respectée, et ce,
     particulièrement, lorsque les rapports de force entre
                                                                                   nombre restreint de personnes impliquées dans
                                                                                   sa gestion. L’attitude qui prédomine est l’attente
                                                                                                                                                   GOUVERNANCE                                                a créé une situation de blocage. Dans ces conditions,
                                                                                                                                                                                                              il a été difficile de constituer face aux entreprises
     les gestionnaires de la « forêt communautaire » et le
     propriétaire coutumier sont asymétriques.
                                                                                   passive des résultats de l’exploitation forestière. De
                                                                                   plus en plus, de jeunes instruits qui ne trouvent pas           ASSOCIÉS AUX                                               forestières à qui les villageois sous-traitent l’exploi-
                                                                                                                                                                                                              tation des contre-pouvoir qui auraient pu permettre
                                                                                                                                                   ACTEURS EXTERNES
                                                                                   d’emploi en ville reviennent au village. Ils s’intéres-                                                                    des évolutions plus favorables aux communautés.
     • Noyautage par les « élites » et conflits de                                 sent à la foresterie communautaire comme moyen                                                                             Les « forêts communautaires » sont ainsi devenues
                                                                                   d’ascension sociale, mais les acteurs engagés depuis                                                                       dans bien des cas des sources de frustrations et de
     leadership
                                                                                   le début dans le processus ne voient pas d’un très              À LA COMMUNAUTÉ :                                          conflits internes au lieu de constituer des motifs
     La diffusion du modèle de « foresterie commu-                                 bon œil l’arrivée de ces jeunes et cherchent à profiter                                                                    d'espoir de développement pour les communautés.
     nautaire » a été favorisée par des ONG, arrivées
     nombreuses au milieu des années 90 pour travailler
                                                                                   de leur implication pour consolider leur position
                                                                                   dominante.
                                                                                                                                                   DÉPENDANCES ET                                             Entreprises forestières sous-traitantes. Des rapports
     dans les zones forestières du Cameroun.
                                                                                   L’exclusion est encore plus forte à l’égard des                 VULNÉRABILITÉS                                             de force très déséquilibrés s’instaurent entre les
                                                                                                                                                                                                              communautés et les acteurs économiques liés à
     Le processus de mise en place des « forêts commu-                             populations Bakas, qui sont totalement exclues des                                                                         l’exploitation forestière. L’asymétrie existant dans
     nautaires » a été le plus souvent détourné par des                            processus de prise de décision, alors que l’exploi-             La création d’une « forêt communautaire » implique         l’accès à l’information, dans les compétences et les
     personnages qui en ont profité pour consolider et                             tation de la « forêt communautaire » porte souvent              des procédures administratives tellement                   capacités de financement entre ces deux acteurs,
     perpétuer une position dominante dans l’arène                                 atteinte à des ressources (fruits et plantes médici-            nombreuses et onéreuses qu’il s’avère normalement          rendent les communautés villageoises dépendantes
     villageoise. Il s’agit de personnes clé au niveau                             nales) primordiales pour leur subsistance. Beaucoup             impossible pour une communauté villageoise d’y             et vulnérables vis-à-vis des exploitants. Les entre-
     local, qui après avoir longtemps vécu en ville, sont                          d’entre eux ne savent même pas ce que signifie                  pourvoir sans avoir recours à des acteurs externes.        prises forestières qui travaillent avec les « forêts
     retournées au village suite à la crise économique                             « forêt communautaire », encore moins qu’il en existe           Après la création de la « forêt communautaire », la        communautaires » sont de petites et moyennes
     des années 1980. On les appelle les « élites ». Elles                         une dans leur communauté.                                       communauté manque de capitaux, des matériaux               entreprises camerounaises. Elles sont, semble-t-il,
                                                                                                                                                   et des compétences nécessaires au démarrage de
     89 Il est intéressant de constater que certaines élites locales préfèrent
                                                                                                                                                   l’exploitation. Les villages se voient ainsi obligés de
     refuser la chefferie pour avoir, ou maintenir, un rapport privilégié auprès                                                                   faire appel à des prestataires externes. Cette dépen-      90 D’après les résultats du travail de terrain (avril - aout 2011), en
     des ONG.                                                                                                                                                                                                 accord avec les travaux de Patrice Bigombe Logo (2010)
72                                                                                                                                                                                                                                                                                                 73
                                                                                                                                          AGTER    AGTER
     Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles                           LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                   Le Cameroun et les enjeux de développement liés aux ressources naturelles
                                                                                                                                                   Aujourd’hui, l’intérêt des ONG vis-à-vis des commu-                           Parmi les problèmes qui ont été pointés par de
                                                                                                                                                   nautés forestières se renouvelle grâce aux oppor-                             nombreux chercheurs, soulignons l’excessive
                                                                                                                                                   tunités qui s'ouvrent dans le cadre de l’accord de                            complexité et bureaucratisation des procédures
                                                                                                                                                   partenariat volontaire, APV FLEGT93 ou des projets                            nécessaires à la mise en place des « forêts commu-
                                                                                                                                                   de paiements pour services environnementaux                                   nautaires » qui serait un facteur primordial dans
                                                                                                                                                   (PSE), associés aux mécanismes de Réduction                                   l’émergence des difficultés liées à la foresterie
                                                                                                                                                   des Émissions liées à la Déforestation et à la                                communautaire. Une simplification des procédures
                                                                                                                                                   Dégradation des forêts (REDD). Les espaces forestiers                         permettrait aux communautés d’être technique-
                                                                                                                                                   des communautés apparaissent à nouveau comme                                  ment et financièrement plus autonomes et de
                                                                                                                                                   un terrain intéressant pour la mise en place de                               s’approprier plus facilement le modèle de gestion
                                                                                                                                                   projets de développement imaginés de l'extérieur.                             des « forêts communautaires »94 Mais les commu-
                                                                                                                                                   L'expérience des « forêts communautaires » risque de                          nautés ont aussi et surtout besoin de renforcer
                                                                                                                                                   se reproduire, celle de l'absence d'une réelle recon-                         leurs capacités de gouvernance collective, leurs
                                                                                                                                                   naissance des droits des communautés sur leurs                                compétences pour réaliser les activités d’exploita-
                                                                                                                                                   territoires.                                                                  tion et pour s'intégrer aux marchés, dans le but de
                                                                                                                                                                                                                                 faire valoir et respecter leurs droits par les acteurs
                                                                                                                                                   Les futures réformes de la loi forestière devront
                                                                                                                                                                                                                                 externes.
                                                                                                                                                   prendre en compte la réalité des rapports de force
                                                                                                                                                   existant autour de l’exploitation forestière, afin de                             Dans cette perspective, l'étude menée par
                                                                                                                                                   mettre en place les moyens qui permettraient de                                   AGTER et les partenaires de RRI en parallèle au
                                                                                                                                                   les rééquilibrer et de démocratiser les pratiques                                 Cameroun et au Guatemala permet d'apporter un
                                                                                                                                                   de gestion des ressources. Pour limiter les risques                               certain nombre d'idées nouvelles sur les proces-
                                                                                                           Fig. 25 Village Baka. Photo M. Merlet   de développement de conflits, il faudra réduire la                                sus susceptibles de favoriser la construction de
                                                                                                                                                   dépendance et la vulnérabilité des communautés                                    nouveaux mécanismes de gouvernance durable des
     souvent impliquées dans le trafic de bois illégal 91.
     Elles profitent largement des déséquilibres dans le                         COMMENT AMÉLIORER                                                 vis-à-vis des acteurs externes, et poser les bases
                                                                                                                                                   d’une réelle appropriation par les acteurs locaux de
                                                                                                                                                                                                                                     ressources forestières par les populations.
                                                                                 LA GESTION DES
     rapport de force avec les communautés pour adopter                                                                                            la foresterie communautaire en tant que levier de
     des stratégies frauduleuses, comme la rédaction de                                                                                            développement.                                                                    Une série d'études de cas réalisées au Cameroun,
     contrats peu favorables aux communautés (un prix                                                                                                                                                                                présentées plus bas, permet d'approfondir cette
     largement inférieur aux prix de marché, des clauses                         FORÊTS PAR LES                                                                                                                                      réflexion et d'aller au delà des considérations
                                                                                                                                                                                                                                     générales de cette fiche, même si elles n'ont pas
     d’exploitations très contraignantes, une clause
                                                                                 COMMUNAUTÉS ?
                                                                                                                                                   93 L’APV FLEGT est un accord international bilatéral signé par le
     d’exclusivité mise sur l’ensemble des ressources…),                                                                                           Cameroun avec les pays de l’Union Européenne dans le but de s’assurer             l'ambition de couvrir l'ensemble des situations des
     le non-respect de certaines clauses établies dans                                                                                             que les importations de bois en provenance du Cameroun remplissent                communautés forestières du pays.
                                                                                                                                                   toutes les exigences réglementaires imposées. L’accord devrait ainsi
     les contrats, l’abandon de l’exploitation en cours
                                                                                                                                                   garantir que seulement le bois et les produits dérivés dont la légalité est
     sans payer ni récupérer le bois coupé, le pillage du                        La « foresterie communautaire » au Cameroun ne
                                                                                                                                                   vérifiée soient commercialisés.                                               94 G. Topa et al., 2010
     bois coupé sans rémunération, jusqu’à l’appropria-                          permet pas une véritable reconnaissance de droits
     tion des documents leur permettant de pratiquer                             de gestion des communautés sur les ressources
     du sciage sauvage en dehors de la « forêt commu-                            forestières des territoires qu'elles occupent. De ce
     nautaire » à laquelle se référent ces documents (par                        fait, les communautés ne se sont pas complète-
     exemple les « lettres de voiture »).92                                      ment approprié le dispositif.
74                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     75
                                                                                                                                          AGTER    AGTER
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
76
                                    AGTER
     Fig. 26 Localisation des études de cas
                                                                      La « forêt communautaire » de Minko’o, Akontangan, Djop
                                              Les études de cas présentées ici sont le résultat du travail de terrain réalisé par deux
                                              stagiaires d’AGTER, Cécile Pinsart et Jesse Raffert, en 2011 et en 2012, et de contributions
                                              complémentaires. Elles ne prétendent nullement donner une vision exhaustive de la
                                              « foresterie communautaire » au Cameroun, mais cherchent à mettre en avant les acquis
                                              obtenus et les difficultés rencontrées par certains dispositifs basés sur la loi de 1994.
                                              Les fiches illustrent donc les éléments présentés dans la fiche précédente ( Voir Fiche
                                              7. Comment le dispositif de « foresterie communautaire » s’est-t-il inséré dans les
                                              systèmes de gestion des territoires forestiers par les communautés ?), et notamment
                                              les difficultés liées aux lourdeurs administratives et financières qui caractérisent leurs
                                              procédures de création et la dépendance des communautés à l’égard d’opérateurs externes
                                              pour leur établissement et leur mise en exploitation.
                                              On y verra comment l’intégration de ce dispositif de gestion au sein des communautés
                                              interfère avec les systèmes traditionnels de régulation de l’utilisation des ressources
                                              naturelles, pouvant dans certains cas les affaiblir considérablement et, parfois, contribuer au
                                              contraire à les renforcer. Des conflits de prérogatives entre institutions nouvelles et autorités
                                              anciennes et entre villages voisins sont fréquents. La gestion de l’exploitation de la ressource
                                              bois et de la répartition de ses bénéfices peut être concentrée dans peu de mains et affaiblir
                                              considérablement les autorités coutumières.
                                              Bien qu’à l’heure actuelle la plupart des forêts communautaires n’aient pas encore développé
                                              une exploitation économiquement durable des ressources ligneuses, l’insertion de ce modèle
                                              de gestion au sein des arènes sociales et politiques coutumières a d’ores et déjà des effets
                                              concrets patents. Il est indispensable de les prendre en considération dans la perspective
                                              d’’une éventuelle réforme de la loi forestière camerounaise.
78                                                                                                                                                79
     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
80                                                                                                                         81
                                    AGTER
     La "forêt communautaire" de Minko'o, Akontangan, Djop (MAD), arrondissement de Djoum, département du Dja-et-Lobo   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         La "forêt communautaire" de Minko'o, Akontangan, Djop (MAD), arrondissement de Djoum, département du Dja-et-Lobo
     COMMUNAUTAIRE
                                                                                        attente.
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                                                                                                                                                         AGTER    AGTER
     La "forêt communautaire" de Minko'o, Akontangan, Djop (MAD), arrondissement de Djoum, département du Dja-et-Lobo   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   La "forêt communautaire" de Minko'o, Akontangan, Djop (MAD), arrondissement de Djoum, département du Dja-et-Lobo
     Difficultés à instaurer un                                                         une position avantageuse au sein des instances de                       de trésorier, se plaint de rétention d’information par                 illustré, la possibilité de décider de la répartition
                                                                                        gestion du GIC pour pouvoir orienter en fonction de                     le gestionnaire de la forêt communautaire et par les                   de la rente tirée de l'exploitation des ressources
     fonctionnement démocratique au                                                     leurs intérêts l'appropriation de la rente générée par                  villageois de Minko’o. Le chef de ce dernier village,                  ligneuses. Dans le cas de la forêt de MAD, la gestion
     sein du GIC                                                                        l'exploitation du bois. De ce fait, les autorités coutu-                bien que n'étant pas membre officiel du bureau du                      est compliquée par le fait que trois villages doivent
                                                                                        mières, comme le reste du village, ne disposent pas                     GIC, a en revanche accès aux informations relatives                    s'accorder sur la définition des limites de l'exploita-
     Le bureau du GIC de la « forêt communautaire » de                                  d'informations suffisantes sur la gestion de la « forêt                 à son fonctionnement et est convié par le gestion-                     tion et la répartition de ses bénéfices.
     MAD a été renouvelé trois fois. Les membres du                                     communautaire ». La majorité des villageois des trois                   naire du GIC lors des réunions et séminaires organi-
     premier bureau avaient été choisis par coopta-                                                                                                                                                                                    Les villageois d’Akontangan estiment que le Plan
                                                                                        communautés est extrêmement méfiante envers                             sés par les partenaires associatifs externes.
     tion par les initiateurs du projet. Tous étaient des                                                                                                                                                                              Simple de Gestion ne leur attribue pas la juste part
                                                                                        les membres du bureau du GIC. Certains disent de
     habitants d'un seul village, Minko’o, à l’exception                                                                                                        Le bureau du GIC est devenu une autorité concur-                       de bénéfices qui correspond à la proportion du
                                                                                        ces derniers qu'ils sont mus par le seul objectif de
     du délégué (un poste en réalité seulement fictif).                                                                                                         rente des instances coutumières dans le domaine                        périmètre exploité qui se trouve sur leur territoire
                                                                                        « bouffer l’argent ».
     Jusqu'à la rédaction du Plan Simple de Gestion, les                                                                                                        de la gestion des ressources naturelles et en parti-                   coutumier. Ils soupçonnent, par ailleurs, les villa-
     démarches ont été centralisées dans les mains de                                   La « foresterie communautaire » est ainsi vécue par la                  culier pour l'une des plus lucratives d'entre elles, le                geois de Minko’o d’adopter une stratégie colonisa-
     ce groupe, qui n'en a pas rendu compte au reste des                                plupart des villageois comme une affaire étrangère                      bois. Le surgissement de cette autorité a bouleversé                   trice aux dépens de leur « réserve foncière »97. Dès
     membres du GIC.                                                                    à leurs activités et à leurs intérêts. Les éventuelles                  les normes et références institutionnelles de la                       2011, le village d’Akontangan menaçait de se disso-
                                                                                        retombées positives promises pour la collectivité ne                    collectivité.                                                          cier de la « forêt communautaire » si une assemblée
     Le second bureau du GIC a été élu d'une façon plus                                 semblent pas justifier une implication plus active                                                                                             extraordinaire du GIC n'était pas convoquée pour
     démocratique sous les pressions des villages de                                                                                                            L'exemple suivant en fournit une illustration  :
                                                                                        pour les obtenir.                                                                                                                              permettre d'engager une procédure de révision du
     Djop et Akontangan. Le nouveau gestionnaire, issu                                                                                                          une des nouvelles règles impose aux villageois
                                                                                                                                                                                                                                       plan simple de gestion, permettant que le revenu
     du village de Djop, appartient à la catégorie sociale                              Certains jeunes villageois - souvent ceux qui bénéfi-                   l’obligation de demander au GIC une autorisation
                                                                                                                                                                                                                                       tiré de l'exploitation annuelle des assiettes de
     communément désignée par le terme « élite » au                                     cient des meilleurs niveaux de formation - sont                         pour couper tout arbre se trouvant à l'intérieur du
                                                                                                                                                                                                                                       coupe revienne à chaque village en proportion des
     Cameroun. Il est à la fois chef du clan réunissant                                 désireux de s’investir dans la « foresterie commu-                      périmètre de la « forêt communautaire », y compris
                                                                                                                                                                                                                                       surfaces forestières que celui-ci fournit.
     les populations de sept villages du canton Fang et                                 nautaire ». Ils ne parviennent cependant pas à                          lorsque celui-ci est situé sur une parcelle agricole
     leader politique. Il s’agit d’un haut fonctionnaire                                accéder à l’information relative à la gestion de son                    dont la « propriété » a été reconnue à des individus                   Une telle révision engendrerait une perte financière
     retraité qui, comme la plupart, a décidé de s’investir                             exploitation, que la loi impose pourtant de rendre                      par la communauté. Cela est perçu comme une                            importante pour les villages de Djop et Minko’o,
     dans des activités de courtage de développement.                                   publique. Ils sont encore moins susceptibles d'inté-                    discrimination exercée par les membres du GIC et                       qui prétendent de leur coté disposer de la plus
     Suite à la signature du contrat avec le SIFCAM, dans                               grer le bureau du GIC. Cette situation engendre                         ce, d'autant plus que la demande doit être formulée                    grande partie exploitée. Ils affirment par ailleurs
     un manque de transparence certain vis-à-vis des                                    frustrations, rancœurs et conflits.                                     par écrit. L'institution d'une « forêt communau-                       que c’est la densité de peuplement des villages
     villageois, le gestionnaire a été accusé de corruption                                                                                                     taire » sur des terres coutumières comprenant                          (Minko’o étant nettement plus peuplé que les deux
     et démis de ses fonctions.                                                                                                                                 non seulement des espaces couverts de forêts qui                       autres villages) qui justifie l'actuelle répartition des
     tion du troisième bureau, a été élu comme gestion-                                 de l'appareil de gestion de la                                          des friches arborées, entraîne une modification des
                                                                                                                                                                                                                                       L’organisation du territoire selon le droit endogène
                                                                                                                                                                                                                                       donne lieu à des espaces où les parcelles et les
     naire le secrétaire du premier bureau, principal
     initiateur du projet de la forêt communautaire. Il
                                                                                        foresterie vis-à-vis des autorités                                      droits qui avaient été fixés de façon endogène par
                                                                                                                                                                les habitants. De nombreux villageois contestent la
                                                                                                                                                                                                                                       jachères d’individus de villages différents s’entre-
     est une « élite » du village de Minko’o. Ancien cadre                              coutumières                                                             légitimité du bureau du GIC à établir de nouvelles
                                                                                                                                                                                                                                       mêlent. Il n'est donc pas possible de tracer des
     dans le secteur industriel à Yaoundé, il a dû se réins-                                                                                                                                                                           limites claires entre les villages et il semble donc
                                                                                                                                                                règles de gestion sur des ressources qui auparavant
                                                                                        Les autorités coutumières déplorent la difficulté                                                                                              peu probable que les villageois de Minko’o’ et
     taller dans son village suite à la crise économique.                                                                                                       relevaient du droit coutumier.
                                                                                        d'accès aux informations et l'impossibilité de parti-                                                                                          Akontangan trouvent aisément un consensus dans
     Il y a assumé un rôle d’intermédiaire avec les ONG,
                                                                                        ciper à la prise de décision concernant la gestion des                                                                                         la définition d’une telle limite.
     une activité qu'il considèrait suffisamment impor-
     tante pour avoir refusé d'assumer la chefferie du
                                                                                        ressources forestières au sein de la forêt commu-
                                                                                        nautaire. Elles restent pourtant du point de vue
                                                                                                                                                                DIFFICULTÉS LIÉES À                                                    La mise en œuvre d’une stratégie commune entre
     village. Cette position sociale lui permet de concen-
     trer l'information et de garder une place clé dans la
                                                                                        de tous les villageois les instances de référence
                                                                                        légitimes dans le cadre du droit coutumier.
                                                                                                                                                                LA MISE EN ŒUVRE                                                       les trois villages pour la gestion des ressources est
                                                                                                                                                                                                                                       complexe. Elle repose sur un consensus fragile. Les
     gestion de la « forêt communautaire ». Il est égale-
                                                                                                                                                                D’UNE STRATÉGIE
                                                                                                                                                                                                                                       rapports entre les villages sont caractérisés par
     ment en mesure d'exclure du bureau du GIC toute                                    Du fait de l'intérêt que représente la gestion de la                                                                                           une compétition pour l’espace et les ressources
     personne qu'il considérerait susceptible de lui faire                              forêt communautaire, des conflits surgissent                                                                                                   qui rend difficile la construction d'une stratégie
     perdre la maîtrise des décisions dans la gestion de la
     « forêt communautaire ».                                                               entre les familles élargies appartenant à des
                                                                                                                                                                COMMUNE À TROIS                                                        commune comme l'exige le modèle de la « foresterie
                                                                                                                                                                                                                                       communautaire ».
84                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         85
                                                                                                                                                       AGTER    AGTER
     La "forêt communautaire" de Minko'o, Akontangan, Djop (MAD), arrondissement de Djoum, département du Dja-et-Lobo   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
     SOURCES :
     Enquêtes de terrain de Cécile Pinsart lors de son stage au Cameroun en 2011
86                                                                                                                                                                                                                                            87
                                                                                                                                                       AGTER
     La «forêt communautaire» de COVIMOF, département du Nyong-et-So’o                                    LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                    La "forêt communautaire" de COVIMOF, département du Nyong-et-So'o
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                                                                                                                                           AGTER    AGTER
     La «forêt communautaire» de COVIMOF, département du Nyong-et-So’o                                   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                         La "forêt communautaire" de COVIMOF, département du Nyong-et-So'o
     Plusieurs formations offertes par des ONG aux                       normatif sur un espace et des ressources sur
     représentants de COVIMOF ont permis d’améliorer                     lesquels préexistait un système normatif endogène
     les compétences des membres en matière d'exploi-                    spécifique aux différents territoires villageois.
     tation forestière (sylviculture, abattage direction-                L'instance en charge de représenter la forêt commu-
     nel, sciage et cubage). Si certains d'entre eux ont                 nautaire, le Groupe d'Initiative Commune), consti-
     malheureusement quitté les villages, les commu-                     tue un acteur nouveau. Dans le cas de COVIMOF,
     nautés ont ainsi quelque peu renforcé leurs capaci-                 et contrairement aux visées de la loi, il semble que
     tés et leur maîtrise de l'exploitation du bois. La                  ses membres aient établi les nouvelles normes de
     forêt communautaire de COVIMOF est aujourd'hui                      gestion de l'exploitation sans qu’une réelle concer-
     en exploitation mais son fonctionnement connaît                     tation ait été mise en place à l’échelle des villages
     encore diverses entraves, notamment en en ce qui                    membres. Le GIC est l'instance de gestion principale
     concerne l’écoulement du bois qu'elle produit sur                   des ressources forestières de la « forêt communau-
     les marché d’exportation. Les rapports avec les                     taire » de COVIMOF. On retrouve parmi les membres
     entreprises exploitantes se sont amélioré, mais ils                 du GIC des habitants des sept villages. Depuis 2008,
     sont encore défavorables au GIC.                                    chaque village élit un délégué pour le représenter au
                                                                         sein du bureau du GIC et garantit sa pleine partici-
     L’appui d’ONG externes reste nécessaire pour
                                                                         pation aux activités de gestion de la forêt. Le bureau
     négocier auprès d'elles des conditions plus avanta-
                                                                         du GIC se compose, en plus des sept représentants
     geuses. Elles lui conseillent de n'accepter de verser
                                                                         villageois, de huit autres personnes101.
     à titre de préfinancement que 70% des frais de
     main d’œuvre et non l'intégralité comme le récla-
     ment souvent les entreprises. Elles cherchent à
     faire en sorte que le GIC obtienne des entreprises                  Exploitation collective ou
     qu'elles achètent toutes les essences disponibles                   exploitation individuelle
     et non uniquement les plus appréciées et qu'elles
     l'appuient dans l’installation d’unités de trans-                   L'activité d'exploitation est normalement gérée                                                                     Fig. 30 Organisation des droits concernant la gestion du foncier et des ressources forestières
     formation sur place et de commercialisation des                     par le bureau du GIC au nom des sept villages qu’il                                                                                                    dans l’espace de la « forêt communautaire » de COVIMOF
     produits transformés.                                               représente et réalisée dans le cadre de contrats de                         pour être réinvestie dans le dispositif. Toutefois, ce            village, s'effectue en fait par la vente des aménage-
                                                                         sous-traitance passés avec des entreprises exploi-                          système fonctionne encore peu à l'heure actuelle, la              ments réalisés par le vendeur (parcelles agricoles,
     En absence d'un tel soutien, les conditions enregis-                tantes privées. COVIMOF a décidé de mettre en                               majorité des villageois manquant des compétences                  maisons...). Le prix de vente d'un hectare a été
     trées par les contrats peuvent être très désavanta-                 place par ailleurs une deuxième forme d'exploita-                           et des moyens techniques nécessaires aux activités                estimé à 250 000 FCA (soit environ 380 euros).
     geuses pour la « forêt communautaire ». Le contrat                  tion forestière, celle des « Agents Commerciaux »,                          d'abattage et de sciage.
     passé avec l'exploitant d’origine canadienne évoqué                 qui permet à des individus appartenant à l'un des                                                                                             D'près la loi forestière, l'institution d'une « forêt
     plus haut en atteste  : il limitait l'achat des coupes                                                                                                                                                            communautaire » implique la cession par l’État de
                                                                                                                                                     DES PROBLÈMES LIÉS
                                                                         villages de la forêt communautaire de procéder
     aux seules essences précieuses (Padouk, Ikoko,                      à l'exploitation individuelle d'une partie de                                                                                                 droits de gestion sur les seules ressources fores-
     Acajou, Movingui, Limbali, Doussié, Bilinga) et fixait              l'assiette de coupe annuelle. Ce choix a été fait pour                                                                                        tières. La vente par des villageois de parcelles
     un prix unique d'achat de 90 000 Franc FCA, soit 137
     euros par mètre cube, inférieur à celui du marché.
                                                                         permettre à la foresterie communautaire de mieux                            À LA GOUVERNANCE                                                  foncières qui se trouvent sur les terres en conces-
                                                                                                                                                                                                                       sion dans le cadre d'une « forêt communautaire » est
                                                                         répondre à la demande des acheteurs, qui dépasse
     Par ailleurs, cette société utilise une scierie mobile
     (Lucas Mill) qui ne permet pas aux membres de la
                                                                         actuellement les capacités d’exploitation du GIC. Ce
                                                                         système est souvent vanté parce qu'il a l'intérêt de
                                                                                                                                                     DU FONCIER ET                                                     donc théoriquement interdite102.
     DE NOUVELLES
                                                                         Annuel d'Exploitation (CAE).
                                                                                                                                                     NATURELLES DONT IL                                                Mbalmayo et Yaoundé et de la facilité d'accès à la
                                                                                                                                                                                                                       zone. La pression foncière est donc forte.
                                                                         Le GIC propose aux exploitants individuels issus des
     NORMES ET PRATIQUES
                                                                         villages un mécanisme de préfinancement pour leur
                                                                         permettre de démarrer l'exploitation. Une partie
                                                                                                                                                     EST LE SUPPORT                                                    Les premières ventes de parcelles à des personnes
                                                                                                                                                                                                                       externes à la communauté ont été antérieures à la
                                                                         des recettes obtenues par l'exploitant individuel
     DE GESTION DES                                                      doit dans ce cas être reversée dans la caisse du GIC
                                                                                                                                                                                                                       création de la « forêt communautaire » (en 1996). Le
                                                                                                                                                                                                                       phénomène s’est fortement accéléré depuis. Les
                                                                                                                                                     L'intégrité du périmètre de                                       acheteurs proviennent souvent de Yaoundé et ils
     RESSOURCES                                                          101 Un Délégué (par abus de langage on l’appelle président au niveau
                                                                         du village), responsable de la gestion administrative et financière du      l'exploitation communautaire
                                                                                                                                                                                                                       aspirent à mettre en place des plantations agricoles
                                                                                                                                                                                                                       de taille moyenne. Celles-ci sont travaillées généra-
     FORESTIÈRES                                                         GIC (Depuis 2004 le poste est occupé par une personne du village de
                                                                         Fakele II, dans le souci de décentraliser les postes du bureau, occupés
                                                                         principalement par des habitants de Molombo)  ; un vice délégué
                                                                                                                                                     est compromise par des ventes                                     lement par des ouvriers agricoles qui s'installent
                                                                                                                                                                                                                       dans les villages. Dans un des villages membre de
                                                                         (par abus de langage appelé vice-président)  ; un secrétaire général,       individuelles de parcelles                                        la forêt communautaire de COVIMOF, une parcelle
                                                                         responsable des lettres de voiture pour le transport du bois  ; un
                                                                         gestionnaire, responsables des opérations forestières et de la gestion      Les représentants du GIC dénoncent la pratique                    d’environ 39 ha a été vendue dans une telle perspec-
                                                                                                                                                                                                                       tive au prix de six millions de Franc FCA. L'acheteur
     Le fonctionnement du GIC                                            des activités techniques de la foret communautaire (il s'agit de la
                                                                         même personne depuis 1996) ; un SG adjoint. Un trésorier, responsable
                                                                                                                                                     de la vente de parcelles individuelles de terres par
                                                                                                                                                                                                                       y a installé des plantations de plantain sur 3 ha et
                                                                                                                                                     certains villageois dans l'espace que le Ministère
                                                                         de l’enregistrement des encaissements et des décaissements et
     L'adoption du dispositif légal de la « forêt commu-                                                                                             des forêts a reconnu au titre de « forêt communau-
                                                                         justificatifs des dépenses (payé sur la base du temps travaillé)  ; et un
     nautaire » revient à définir un nouveau système                     trésorier adjoint.                                                          taire ». La « vente de la terre », interdite par le droit         102 Un vide juridique semblerait quand même exister quant à la
                                                                                                                                                     coutumier au bénéfice de personnes externes au                    possibilité d’immatriculer des parcelles dans l’espace de la forêt
                                                                                                                                                                                                                       communautaire.
90                                                                                                                                                                                                                                                                                                     91
                                                                                                                                            AGTER    AGTER
     La «forêt communautaire» de COVIMOF, département du Nyong-et-So’o                                            LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
     d’autres cultures sur la partie restante, et il aurait                      Pour les prévenir, a été créée une nouvelle norme
     réussi à obtenir un titre foncier officiel du pouvoir                       qui prévoit que tout arbre coupé dans la parcelle
     central pour cette parcelle qui est pourtant incluse                        d'un villageois doit donner lieu au paiement au
     dans l’espace de la forêt communautaire.                                    propriétaire coutumier de la parcelle d'une indem-
                                                                                 nité de 3  250 Franc FCA (soit environ 5 euros) par
     Les responsables du GIC craignent que l'entrée dans
                                                                                 mètre cube de bois abattu. Bien que cette règle ait
     les villages de personnes externes ne bouleverse
                                                                                 trouvé l'accord de tous les villageois au moment
     la gestion de la forêt communautaire, du fait du
                                                                                 de la formation de la « forêt communautaire », des
     pouvoir économique et politique de ces personnes.
                                                                                 contestations ont surgi dès que des espaces de
     Elles pourraient notamment parvenir à empêcher
                                                                                 culture individuels ont été concernés par l'acti-
     l’exploitation des ressources ligneuses sur les
                                                                                 vité de coupe. En 2011, des parcelles appartenant à
     parcelles de la « forêt communautaire » qu'elles ont
                                                                                 des personnes d'un village qui ne faisait pas partie
     « acquises ». L’obtention d’un titre foncier confère
                                                                                 de la « forêt communautaire » se trouvaient situées
     en effet à son propriétaire un droit de propriété
                                                                                 dans l'assiette de coupe. Le GIC a décidé de défrayer
     exclusif sur l’ensemble des ressources présentes sur
                                                                                 les propriétaires coutumiers sur la base du même
     les parcelles immatriculées, alors que coexistaient
                                                                                 principe que celui prévu pour les villageois appar-
     auparavant des droits multiples et plusieurs ayants
                                                                                 tenant à la « forêt communautaire ». Mais la négocia-
     droit.
                                                                                 tion n'a pas été simple.
     DÉMOGRAPHIE
                                                                                           moins d’un habitant par kilomètre carré. 25% de la
                                                                                           population de la zone est d'origine Baka (estimés à
                                                                                           1  250 personnes), le restant étant d'origine Bantou
     ET ÉCONOMIE DE                                                                        (3  750 personnes). Les Bakas et les Bantous vivent
                                                                                           parfois dans des villages « mixtes » mais les droits
     L’ARRONDISSEMENT                                                                      que chaque groupe a sur l’espace villageois et fores-
                                                                                           tier ne sont pas les mêmes. La population moyenne
     DE NGOYLA                                                                             des villages varie entre 20 et 150 habitants. 104
94                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          95
                                                                                                                                                            AGTER    AGTER
     Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
                                                                                           La forêt primaire proche du village est considérée                        de rotations très courtes, qui peuvent se réduire                               Une cacaoyère dans la région peut atteindre jusqu'à
                                                                                           comme une réserve foncière de celui-ci, un espace                         à deux années et entraîner une baisse rapide des                                2 hectares. Un chef de famille peut, en fonction de
                                                                                           qui pourra être mis en valeur par les générations                         rendements. Faute d'avoir pu réaliser une étude                                 ses ressources, disposer de plusieurs champs et
                                                                                           futures. Les villageois considèrent que cet espace                        agronomique approfondie et de pouvoir identifier                                posséder une superficie globale supérieure, mais
                                                                                           est à leur disposition et leur appartient collective-                     quels types de producteurs sont concernés par ces                               qui dépasse rarement les 5 hectares. Très souvent,
                                                                                           ment. Les limites de cet espace ne sont pas définies                      pratiques, nous ne pouvons que faire l'hypothèse                                ces champs sont éloignés les uns des autres. Ce
                                                                                           une fois pour toutes, mais elles se dessinent au fur                      qu'il peut exister des individus ou des groupes                                 « morcellement » est dû à plusieurs facteurs. D’abord,
                                                                                           et à mesure que des droits y sont établis et que le                       humains dans ces sociétés qui n'ont pas les moyens                              selon le droit coutumier, au moment d'un héritage,
                                                                                           couvert forestier est transformé.                                         d'accéder à la terre ou de réaliser une défriche                                les cacaoyères sont divisées entre tous les fils en
                                                                                                                                                                     exigeante en travail, même dans un contexte                                     âge de travailler. La plupart des hommes adultes
                                                                                           Les cultures vivrières                                                    d'abondance de terres vierges.                                                  héritent d’une cacaoyère, mais celle-ci peut être
                                                                                                                                                                                                                                                     très petite. Ils agrandissent alors leurs cacaoyères
                                                                                           Les principales cultures vivrières sont le manioc,                                                                                                        en installant de nouvelles plantations quand ils en
                               Fig. 32 Village baka de Dimako. Photo M. Merlet                                                                                       La culture du cacao
                                                                                           l’arachide, la banane plantain, le maïs, le concombre,                                                                                                    ont les moyens. Ils le font toujours en respectant la
                                                                                           le melon, le macabo, l’igname, et dans un moindre                         Introduite au Cameroun pendant la période                                       règle coutumière qui consiste à ne pas ouvrir une
     soutien public aux producteurs de cacao, imposée                                      mesure, la patate douce, la canne à sucre, et de                          coloniale, la culture du cacao se diffuse à l’est du                            nouvelle parcelle qui soit trop proche de celles des
     par les plans d'ajustement structurel des institutions                                nombreux légumes. Ces productions sont assurées                           pays sous l'administration française, qui obtient le                            autres agriculteurs, afin d’éviter les conflits. Cela
     internationales, a eu un impact négatif sur l’écono-                                  essentiellement sur les parcelles défrichées puis                         contrôle de cette région en 1922 et « encourage » ou                            leur permettra de laisser en héritage à leurs enfants
     mie monétaire des villages de Ngoyla, qui dépen-                                      brûlées, avec des cultures associées qui permettent                       oblige les agriculteurs bantous à l'introduire dans                             une parcelle qui pourra être élargie plus tard.
     dait dans une très large mesure de cette culture. Un                                  d'avoir des productions étalées dans le temps.                            leurs systèmes de cultures familiaux. Depuis, le
     grand nombre des villages de l’arrondissement sont                                                                                                              cacao est cultivé par une large majorité des produc-                            La culture du cacao demande beaucoup de travail à
     toujours aujourd'hui en déprise démographique.                                        Les cultures vivrières sont surtout une activité                                                                                                          certaines périodes, pour l'installation de la planta-
                                                                                                                                                                     teurs de la région. Les plantations s'intègrent bien
     Certains s'agrandissent au profit d'autres, mais on                                   féminine. Les femmes sont aidées par leurs enfants                                                                                                        tion, mais aussi tous les ans pour la récolte. Les
                                                                                                                                                                     dans les systèmes agroforestiers pré-existants.
     constate globalement un exode rural important des                                     (même de très jeune age) et elles recourent parfois                                                                                                       producteurs peuvent travailler plusieurs jours d’affi-
                                                                                                                                                                     Elles ne nécessitent pas l'abattage du couvert
     jeunes vers les villes congolaises et camerounaises                                   à l’embauche de travailleurs Bakas. Durant certaines                                                                                                      lée dans leur cacaoyère en y campant pour éviter
                                                                                                                                                                     arboré, et elles améliorent les performances du
     (Lomié, Abong-Mbang, Bertoua, Yaoundé, Douala…).                                      phases du cycle cultural, les femmes sont aidées par                                                                                                      des déplacements. Le recours à des formes de travail
                                                                                                                                                                     système de production en permettant de nourrir
                                                                                           les hommes et par d’autres femmes, notamment                                                                                                              en commun permet de mieux faire face à ces pics de
                                                                                                                                                                     plus de personnes sur une même surface. Les fèves
                                                                                           au moment de l'abattis du couvert arboré ou pour                                                                                                          travail (voir ci dessous).
                                                                                                                                                                     sont faciles à transporter et il est donc possible de
                                                                                           certaines récoltes. Toutefois, c'est le chef masculin
     Économie domestique et faible                                                         de la famille qui gère les profits issus de la vente
                                                                                                                                                                     produire du cacao dans des régions difficiles d'accès.                          Les planteurs ne disposent pas de moyens de
                                                                                                                                                                     Mais comme il s'agit d'une culture destinée au
     insertion dans les marchés                                                            des produits vivriers, quand il y a, ce qui est rare
                                                                                                                                                                     marché, cette amélioration n'est possible que s'il
                                                                                                                                                                                                                                                     stockage, et la majorité du produit est vendue entre
                                                                                           commercialisation de certains surplus.                                                                                                                    août et décembre. Des acheteurs arrivent alors
     L'économie des villages bantous de Ngoyla repose                                                                                                                existe des conditions de vente acceptables pour les                             nombreux dans la région. Le revenu dégagé peut
     pratiquement exclusivement sur des systèmes de                                        Les champs mesurent en moyenne un hectare. Ils se                         producteurs112.                                                                 être dépensé relativement rapidement pour l'achat
     production vivriers fonctionnant sur la base de                                       situent en général dans la forêt secondaire cultivée,                                                                                                     des produits de première nécessité.
                                                                                                                                                                     La production de cacao est pratiquée par une
     l'abattis-brûlis, avec des plantations de cacaoyers                                   directement derrière le « lotissement » familial où est
                                                                                                                                                                     majorité des ménages à Ngoyla, mais sa rentabilité                              Que ce soit pour les cultures vivrières ou pour les
     sous couvert forestier comme principale culture de                                    édifiée la maison, à une distance suffisante pour
                                                                                                                                                                     dépend beaucoup des prix payés par les intermé-                                 cacaoyères, il n'est pratiquement jamais fait usage
     rente, de petits élevages et un recours complémen-                                    éviter les dégâts causés par les animaux domes-
                                                                                                                                                                     diaires qui viennent dans les communautés acheter                               de pesticides et le travail est uniquement réalisé
     taire important à la chasse, la pêche et la cueillette                                tiques. Mais la localisation des champs vivriers peut
                                                                                                                                                                     les fèves.                                                                      avec un outillage manuel.
     en forêt111.                                                                          dépendre aussi d’autres facteurs, comme la fertilité
                                                                                           de la terre, la disponibilité du foncier dans le village.                 Le cacao est une culture pérenne, et une partie des
     Le système agraire est intégré dans un espace qui
                                                                                           Une règle endogène généralement reconnue oblige                           cacaoyères en activité aujourd’hui n'ont jamais été                             Les activités non-agricoles  : élevage,
     reste avant tout forestier. Il comprend d'une part
                                                                                           au respect d'une « zone tampon » autour d'un champ                        rénovées. Les cacaoyères anciennes sont les plus                                cueillette, chasse et pêche.
     la forêt « primaire », qui constitue le milieu au sein
                                                                                           ou d'une jachère ou friche d’autrui, la création d’un                     proches des habitations et de la route, alors que
     duquel il prend place et s'étend au fur et à mesure                                                                                                                                                                                             L'élevage de petits animaux (porcs, ovins, caprins,
                                                                                           nouveau champ juste derrière celui de son voisin est                      celles qui ont été plantées récemment sont plus
     de l'augmentation démographique et d'autre part la                                                                                                                                                                                              poules et canards) est très répandu, pour l'autocon-
                                                                                           interdite.                                                                éloignées113.
     forêt « secondaire », au sein de laquelle se pratique                                                                                                                                                                                           sommation, mais aussi pour des fonctions sociales
     la rotation longue dans laquelle se succèdent la                                      La distance entre les champs vivriers et les habita-                                                                                                      et rituelles (il est commun d’offrir des animaux
     défriche suivie de brûlis qui permet d'installer les                                  tions, construites le long de la route, n'excède pas                                                                                                      domestiques dans une dot, ou au moment d’une
     productions vivrières et une période de friche fores-                                 en général 3 km, afin de limiter le temps de marche                       112 Dans les années 60, le gouvernement du Cameroun indépendant
                                                                                                                                                                     a mis en place un système de stabilisation des prix et de soutien               cérémonie de deuil, de mariage, ou de veuvage).
     tière. Une partie des terres est plantée de cacaoyers,                                pour y accéder. L'ouverture de nouveaux champs                            technique aux producteurs. La vente du cacao était encadrée par
     une culture permanente sous couvert de grands                                         vivriers en forêt « primaire », très exigeante en travail,                des coopératives agricoles qui servaient d’interface entre les                  Dans l’arrondissement de Ngoyla, les espaces où
     arbres qui n'ont pas été coupés, qui procure aux                                      ne se produit en général que lorsque l'installation                       agriculteurs et les autres maillons de la chaîne de commercialisation.          prévalent des droits collectifs sont encore majori-
     planteurs l'essentiel de leurs revenus monétaires. Il                                 de nouvelles familles est nécessaire en dehors du                         Ce système a fonctionné jusqu’à la fin des années 1980, quand l’état            taires à la différence d'autres régions forestières
                                                                                                                                                                     Camerounais a été contraint d'adopter les « politiques d’ajustement             du pays, où le recours à l’établissement de droits
     s'agit donc avant tout d'un système agro-forestier.                                   terroir proche du village.                                                structurel ». Le système de soutien à la culture du cacao a été démantelé
                                                                                                                                                                     entre 1989 et 1994. Depuis cette date il n’existe aucune forme de soutien       individuels sur l'espace est plus fréquent. La récolte
                                                                                           Bien que la densité de population soit très faible, les                   publique pour la cacaoculture.                                                  et cueillette des fruits et autres produits végétaux
     111 L'économie des chasseurs cueilleurs Bakas n'est pas abordée dans                  informations recueillies sur place font parfois état                      113 Les autorités françaises avaient encouragé le regroupement des              peut se réaliser dans les champs individuels, tant
     cette fiche.                                                                                                                                                    cacaoyères individuelles en champs contigus le long des routes.
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                                                                                                                                                            AGTER    AGTER
     Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
     qu’un arbre ou une plante n’a pas été plantée                                         Des systèmes où la terre est                                                  périodes de plantation et de récolte. Ils sont en                               tent pas s’installer de manière permanente dans la
     par la personne détenant le champ. L'extraction                                                                                                                     quelque sorte institutionnalisés et s'inscrivent dans                           région (cela peut être le cas de fonctionnaires).
     des produits forestiers non ligneux et la chasse                                      abondante et la force de travail est                                          le fonctionnement social et culturel des villages.
                                                                                                                                                                                                                                                         Cette possibilité offre une certaine flexibilité aux
     semblent aussi pouvoir se pratiquer fréquemment                                       une ressource rare                                                            Tout comme les tontines et les autres associations
                                                                                                                                                                                                                                                         familles qui ne sont pas en mesure de cultiver les
     sans problème dans la forêt primaire contrôlée par                                                                                                                  de crédit et/ou d’assurance qui sont apparues plus
                                                                                           Dans des situations d'agriculture forestière comme                                                                                                            terres dont elles disposent, ou encore aux indivi-
     d'autres villages.                                                                                                                                                  tard dans les villages, leur organisation permet
                                                                                           celle de Ngoyla, la terre est encore une ressource                                                                                                            dus qui décident de sortir du village à la recherche
                                                                                                                                                                         aux communautés Ndjyiem de survivre dans un
     La cueillette est une activité très répandue dans                                     abondante. Les facteurs limitant pour augmenter                                                                                                               d’opportunités économiques, de satisfaire un besoin
                                                                                                                                                                         contexte difficile.
     tous les villages ; c'est une activité majoritairement                                ses revenus sont la force de travail d'une part, et                                                                                                           immédiat d'argent tout en s’assurant que leurs
     féminine. Les produits forestiers non ligneux les                                     d'autre part, les opportunités pour vendre des biens                          L'augmentation des surfaces cultivées n'est possible                            cacaoyères soient entretenues. Ceci dit, les revenus
     plus exploités sont les manques sauvages, le djans-                                   collectés ou produits.                                                        que si l'on dispose de suffisamment de force de                                 tirés de la location d’une cacaoyère sont évidem-
     sang, le moabi et les ignames sauvages ; on collecte                                                                                                                travail. La terre étant abondante, on comprend                                  ment moindres que ceux qu'on obtiendrait par sa
     également le eru, le tondo, le cola / bitter cola, des                                Les systèmes d'abattis-brûlis se caractérisent                                l'intérêt pour les populations Bantous de s'appro-                              mise en culture directe. Ce manque à gagner peut
     chenilles, le miel et des champignons. Ces produits                                   toujours par une productivité du travail élevée, bien                         prier la main d’œuvre des Bakas, après leur séden-                              être à l'origine de l'accentuation de situations de
     servent à la fois à l'alimentation, la pharmacopée                                    que n'étant basés que sur des outils manuels. Avec                            tarisation, évoquée dans la Fiche sur l'organisation                            précarité.
     traditionnelle, les rites, la construction et/ou la                                   un nombre réduit de jours de travail, il est possible                         sociale et les systèmes de production agro-forestiers
     décoration.                                                                           d'obtenir une quantité de calories, et plus générale-                         des Bakas Fiche 5. On retrouve cette situation à
98                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             99
                                                                                                                                                                AGTER    AGTER
      Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
      quences pour les populations locales seront sans                                      ces pratiques, et demande le respect de la nouvelle                                                                                                         Les villages de Ngoyla ont décidé de regrouper
      aucun doute très importantes. C'est en ayant à                                        loi forestière dans l'octroi des permis d'exploitation                                                                                                      dans une coopérative les associations de foresterie
      l'esprit ces différents éléments que nous examine-                                    des ressources forestières. Patrice Pa'ah et les autres                                                                                                     communautaire, estimant qu'il aurait été beaucoup
      rons l'expérience originale et instructive de la CAFT.                                membres de l'association subissent des pressions                                                                                                            plus difficile de travailler de façon individuelle au
                                                                                            de la part de l'entreprise libanaise et des autorités                                                                                                       niveau de chaque village. Individuellement, les
      AGRO-FORESTIÈRE
                                                                                                                                                                                                                                                        financières nécessaires pour effectuer les démarches
                                                                                            reconnaissance des droits de gestion des commu-
                                                                                                                                                                                                                                                        de création des « forêts communautaires » et pour
                                                                                            nautés locales sur leurs forêts par le biais des dispo-
                                                                                                                                                                                                                                                        gérer les ressources forestières.
      DE LA TRINATIONALE                                                                    sitifs des « forêts communautaires ». Le but principal
                                                                                            est de sécuriser l'espace forestier environnant les                                                                                                         La coopérative permettrait de :
100                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           101
                                                                                                                                                               AGTER     AGTER
      Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN      Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
      En effet, à la différence du titre de propriété120, la                                Une « Assemblée Générale » réunit l'ensemble de ces                       n'avaient pas encore été attribuées et dont l'exploi-                        “Ba’ah Ba’ah”. En 1972, les familles de Zoulabot
      convention de gestion n’est pas acceptée comme                                        bureaux communautaires. Elle se réunit une fois                           tation n'a pas commencé. Pour cette raison, les                              décident de s’installer aux bordures de la route
      garantie pour un prêt.                                                                par an. On y décide collectivement des orientations                       populations locales connaissent mal la localisation                          récemment crée, à l'endroit où se trouve actuelle-
                                                                                            générales de la coopérative. L’Assemblée Générale                         exacte de ces espaces  : elles se projettent dans un                         ment le campement Baka de NDimako, qui avait été
      En fait, ce que les villageois recherchent en premier,
                                                                                            peut exclure de la coopérative les villages qui ne                        grand territoire qui chevauche largement la zone                             installé auparavant suite aux politiques de séden-
      c'est bien la reconnaissance de leurs droits sur les
                                                                                            respectent pas les orientations qui ont été décidées                      affectée par les autorités gouvernementales dans                             tarisation forcée menées par le Gouvernement.
      ressources que contient le territoire qui leur a été
                                                                                            collectivement.                                                           la capitale à une future exploitation industrielle du                        D’après les habitants de Zoulabot, ces terres
      assigné en concession sous la forme de « forêts
                                                                                                                                                                      bois. Pour le moment, les activités des villageois se                        n’appartenaient à personne et étaient donc dispo-
      communautaires ». Celui-ci fait partie d'espaces                                      Un « bureau directeur » est responsable de la
                                                                                                                                                                      concentrent dans les zones les plus proches de leurs                         nibles; mais les habitants d’Etekessang, revendi-
      dont ils avaient pris possession depuis leur instal-                                  recherche des marchés et des solutions techniques.
                                                                                                                                                                      habitations. Mais cette situation deviendra problé-                          quaient ces terres comme faisant partie de leur
      lation dans la région et qu'ils géraient suivant les                                  Il est composé de trois employés salariés, qui ne
                                                                                                                                                                      matique, voire conflictuelle, si les UFAs sont mises                         village, avant même la construction de la route. Ils
      règles coutumières, ce qui donne une réelle légiti-                                   sont pas nécessairement membres des villages
                                                                                                                                                                      en exploitation et lorsque les besoins d'expansion                           considèrent que les villageois de Zoulabot n'avaient
      mité à leur démarche. L'existence d'arbres sur                                        intégrant la CAFT. Il recherche des financements et
                                                                                                                                                                      des zones agro-forestières villageoises entreront en                         pas avoir le droit de s'installer sur ce territoire.
      pied susceptibles d'être un jour exploités constitue                                  veille à la défense des objectifs communs auprès
                                                                                                                                                                      concurrence avec elles.
      une richesse, un « capital naturel », qui n'est pour                                  des instances publiques et privées. C'est la seule                                                                                                     Aucune carte officielle ne validant les limites des
      le moment traduit en valeur monétaire que si les                                      instance qui interagit avec les acteurs externes à la                     La plus grande « forêt communautaire » faisant                               territoires de Zoulabot 1 et d’Etekessang, le tracé des
      arbres sont coupés. Il serait donc logique de pouvoir                                 coopérative, et ses membres sont souvent en dépla-                        partie de la CAFT s'étend sur 3 500 ha. Selon la loi,                        limites des « forêts communautaires » respectives en
      prêter plus d'argent aux communautés qui ont                                          cement à Lomié et à Yaoundé, afin d'assurer les                           elles pourraient avoir jusqu'à 5  000 ha chacune.                            2001 va rallumer le conflit. Les deux villages souhai-
      conservé ce capital qu'à celles qui n'en disposent                                    relations avec les organisations de la société civile                     L'attribution de surfaces en deçà de la limite                               tent en effet maximiser la superficie de leur « forêt
      pas, ou plus encore à celles qui en disposaient et                                    nationale et/ou internationale et avec les bailleurs                      autorisée s'explique par le fait que l'administration                        communautaire » et les opportunités de revenus
      qui n'ont pas su le conserver. Si la loi le permettait,                               de fonds.                                                                 forestière n'a donné ce type de concession que sur                           qu'il sera possible d'en tirer. Le village d’Etekes-
      il n'y aurait donc rien d'absurde à ce que les droits                                                                                                           la frange résiduelle qui subsistait sur le plan entre                        sang sort gagnant du conflit, en s'assurant le terri-
                                                                                            Si l’Assemblée Générale, composée des représen-
      d'exploiter concédés à une communauté puissent                                                                                                                  les UFAS à venir qui avaient été dessinées, dans le                          toire disputé. Mais la définition administrative des
                                                                                            tants des forêts communautaires membres de la
      être transmis à un organisme fournisseur de crédit                                                                                                              couloir agro-forestier tracé autour de la route. Seule                       limites des forêts communautaires est loin d'avoir
                                                                                            CAFT, participe à l’élaboration des stratégies de
      comme garantie. Pour que celui-ci l'accepte, il                                                                                                                 une partie restreinte des territoires villageois coutu-                      atténué les contradictions. La communauté Baka
                                                                                            développement des activités économiques et du
      faudrait en plus qu'il ait la possibilité de faire exploi-                                                                                                      miers est ainsi partiellement sécurisée par l'obten-                         de NDimako se retrouve au milieu de ce conflit. La
                                                                                            plaidoyer de la coopérative, son poids dans la défini-
      ter les arbres à des coûts acceptables, en cas de non                                                                                                           tion de la concession.                                                       chefferie de NDimako n’est pas administrativement
                                                                                            tion des orientations semble quelque peu secon-
      remboursement du crédit, ce qui ne semble pas                                                                                                                                                                                                reconnue. Les populations de NDimako ont été
                                                                                            daire par rapport à celui du bureau directeur.
      facile dans les conditions actuelles. En termes de                                                                                                                                                                                           incluses dans la gestion de la forêt communautaire
      droits, une telle politique reviendrait d'une certaine                                                                                                                                                                                       de Etekessang, mais la participation des membres
      façon à reconnaître à la communauté un droit de                                                                                                                                                                                              de NDimako à la gestion de la forêt communautaire
      propriété sur les ressources forestières. Ce droit,                                   La question de la reconnaissance                                                                                                                       semble n'être que formelle.122
      comme tous les droits de propriété, serait limité par
      l'obligation de respecter les lois et règles établies
                                                                                            des territoires coutumiers n'est pas
      par l'État pour garantir leur gestion durable. Mais il                                résolue par la définition des « forêts                                                                                                                 Une base économique qui reste à
      inclurait un droit de transfert, une des formes que
      prend l'abusus du droit romain et du code civil,
                                                                                            communautaires »                                                                                                                                       consolider
      matérialisé ici par la possibilité de sa session en                                   Les villageois de la CAFT font tous référence à un
                                                                                                                                                                                                                                                   Entre 2004 et 2008, aucune activité économique n'a
      garantie à une banque.121                                                             « territoire villageois », qui correspond à l'espace
                                                                                                                                                                                                                                                   été mise en place à l'échelle de la coopérative.
                                                                                            dans lequel ont lieu les diverses activités agricoles
                                                                                            et d'extraction des produits forestiers. Le mode                                                                                                       L’absence de retombées financières a poussé deux
      L'organisation de la CAFT                                                             d’appropriation foncière propre à la culture Ndjyiem                                    Fig. 35 Carte des « forêts communautaires » de la CAFT         des associations de « forêts communautaires »
                                                                                            est celui que nous avons décrit pour les populations                                                                                                   membres à débuter l’exploitation des ressources
      Le statut légal d'association a été préféré à ce niveau                                                                                                         La mosaïque composée par les territoires des diffé-
                                                                                            bantoues (Voir Fiche 4). Les limites de ce territoire                                                                                                  ligneuses sans l’accord des autres membres de
      aux autres options possibles pour l'organisation                                                                                                                rents villages est complexe et elle évolue constam-
                                                                                            se dessinent au fur et à mesure que l'ouverture des                                                                                                    la coopérative. Une des deux continue l’exploita-
      chargée de chaque « forêt communautaire » membre                                                                                                                ment, certains villages s'étant récemment installés
                                                                                            champs et l'installation des plantations avancent                                                                                                      tion aujourd’hui, toujours sans accord explicite
      de la CAFT. Cette association dispose d’un « bureau »                                                                                                           sur les sites qu'ils occupent aujourd'hui. Ainsi, des
                                                                                            dans l'espace forestier vierge.                                                                                                                        des autres membres de la coopérative123. L'autre
      composé d’environ 12 personnes.                                                                                                                                 membres d'un village ont pu établir des droits sur
                                                                                                                                                                                                                                                   communauté qui s'était essayée à l'exploitation
                                                                                            Les nouvelles limites introduites avec le tracé des                       un territoire qui est maintenant sous le contrôle
                                                                                                                                                                                                                                                   des ressources ligneuses y a mis fin après seule-
                                                                                            concessions forestières communautaires ne corres-                         d'un autre village et fait partie de la « forêt commu-
                                                                                                                                                                                                                                                   ment deux mois d’activités, suite à de mauvaises
                                                                                            pondent pas à celles des territoires traditionnels.                       nautaire » de ce dernier.
                                                                                                                                                                                                                                                   expériences, des détournements des fonds commu-
      120 Au moins au niveau du discours, car dans la pratique, on constate                 Elles sont matérialisées par des lignes droites, alors
                                                                                                                                                                      Le conflit territorial entre deux villages bantous
      toujours qu'un titre de propriété n'est accepté comme garantie banquaire              que les territoires coutumiers ne sont pas identifiés
                                                                                                                                                                      membres de la CAFT, Etekessang et Zoulabot 1
      que lorsque la Banque considère qu'elle pourra effectivement récupérer                de cette façon. Sur le papier, les limites des « forêts
      la propriété et la revendre sans perdre d'argent en cas de non paiement                                                                                         en constitue une illustration. Il oppose depuis les                          122 Il ne s'agit pas d'une exception. La situation d'infériorité des Bakas
                                                                                            communautaires » correspondent à celles qui ont été
      par le client.                                                                                                                                                  années 1970 ces deux villages voisins, qui parta-                            par rapport à leurs voisins Bantous fait que les droits de ces populations
      121 Voir Merlet M. (2010), Les droits sur la terre et les ressources                  dessinées pour les concessions forestières indus-                                                                                                      sont les moins respectés.
                                                                                                                                                                      gent d'importants liens de parenté  : la majorité de
      naturelles, fiche pédagogique du Comité technique «Foncier et                         trielles, des Unités Forestières d'Aménagement qui                                                                                                     123 Il ne nous a pas été possible de clarifier si cette forêt communautaire
      développement», disponible entre autres sur le site d'aGter                                                                                                     la population de chaque village fait partie du clan                          continuait ou non à faire partie de la CAFT.
102                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      103
                                                                                                                                                             AGTER    AGTER
      Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
      nautaires et le non respect du Plan Simple de                                         pour rendre possible le financement de projets à des                      prise de décisions dans la coopérative. C'est sans
      Gestion (PSG) par l'entreprise sous-traitante.                                        communautés qui ne disposent pas de ressources                            doute une des causes des difficultés que rencontre la
                                                                                            ou de biens en propriété. L'absence de fourniture                         consolidation du processus d’organisation collective.
      Cette expérience négative a engendré une prise de
                                                                                            des services sociaux de base (eau et électricité avant
      conscience collective, à la fois au sein du village                                                                                                             L'acquisition par les organisations membres des
                                                                                            tout) est un obstacle fondamental au développe-
      concerné et dans l'ensemble des villages membres                                                                                                                capacités techniques nécessaires à la gouvernance
                                                                                            ment d'activités productives locales.
      de la coopérative, à propos des dangers de l’exploi-                                                                                                            collective figurait parmi les objectifs initiaux de
      tation industrielle lorsque celle-ci était insuffi-                                   La dépendance financière persistante de la CAFT                           la coopérative lors de sa création. Cela n'a été que
      samment encadrée. Elle a renforcé la cohésion de                                      vis-à-vis de bailleurs externes pourrait aujourd'hui                      très partiellement réalisé, comme semble le confir-
      la coopérative autour de la défense de ses intérêts                                   affaiblir le processus d’organisation développé                           mer le sentiment de détachement des organisations
      communs.                                                                              entre 1998 et 2004, du fait de l'influence de ceux-ci                     membres vis à vis des décisions de la coopérative
                                                                                            sur la détermination des objectifs et des stratégies                      que l'on observe aujourd'hui.
      L’expérience propre de la CAFT et la prise en compte
                                                                                            de la coopérative. Le projet PES que la coopérative
      des résultats désastreux de l'exploitation des                                                                                                                  Le bureau directeur de la CAFT cherche à maintenir
                                                                                            développe actuellement offre un exemple de cette
      ressources ligneuses dans le département voisin                                                                                                                 la communication avec les organisations membres,
                                                                                            situation. Malgré les opportunités que ce projet peut
      de Lomié, où l'exploitation illégale s'est développée                                                                                                           notamment à travers la convocation de l’Assemblée
                                                                                            présenter pour la coopérative, il s’agit d’un projet                                                                                                        Fig. 36 Panneau marquant l’entrée de l’espace minier de l’entreprise
      d'une manière effrénée, ont poussé la coopérative                                                                                                               Générale annuelle, mais il existe des difficultés de                                                                         Geovic. Photo M. Merlet
                                                                                            pilote sur cinq ans, fortement influencé par les
      et ses organisations membres à se tourner vers                                                                                                                  communication aussi au sein des mêmes commu-
                                                                                            orientations des institutions internationales qui le                                                                                                      économiques, en particulier pour l'acquisition des
      d'autres activités génératrices de revenus. La CAFT                                                                                                             nautés, entre le bureau des associations et le reste
                                                                                            financent, qui ne concerne que quatre des villages                                                                                                        compétences et des outils techniques nécessaires à
      envisage aujourd'hui de développer des filières                                                                                                                 du village 127.
                                                                                            membres, choisis par le bureau directeur et par le                                                                                                        la valorisation des produits forestiers non ligneux,
      commerciales pour la valorisation des produits
                                                                                            bailleur. Cette situation risque d’ébranler la solida-                    Ces derniers sont souvent dans l'expectative de                                 elle donne l'impression de s’être transformée
      forestiers non ligneux et s'intéresse aux mécanismes
                                                                                            rité de la coopérative et de créer des déséquilibres                      connaître un développement rapide de leur région,                               progressivement avant tout en un organisme de
      de paiements pour services environnementaux (PSE)
                                                                                            entre les villages membres qui y auront accès et les                      ce qui leur empêche de bien évaluer le coût et le                               plaidoyer et de recherche, ce qui est mal compris par
      qui permettraient de valoriser la grande richesse
                                                                                            autres.                                                                   temps nécessaires au changement et de facilement                                les organisations membres, et génère de la frustra-
      des forêts du massif de Ngoyla. La coopérative
                                                                                                                                                                      basculer dans le désespoir.                                                     tion et même parfois de la colère vis à vis du bureau
      considère aujourd'hui la possibilité d’abandon-
                                                                                                                                                                                                                                                      directeur.
      ner définitivement l’exploitation ligneuse pour se                                                                                                              Début 2013, la gestion des « forêts communau-
      consacrer uniquement à des stratégies de préser-                                      La difficile construction de                                              taires » en est encore à un stade embryonnaire et                               Par delà les tensions dont nous nous sommes fait
      vation des ressources forestières. Un projet d'éta-                                   nouvelles formes de gouvernance                                           le démarrage des activités entrepreneuriales est                                l'écho, les associations des « forêts communautaires »
      blissement d'un site éco-touristique est envisagé                                                                                                               très lent. La stratégie de développement adoptée                                membres de la CAFT existent bel et bien. Le proces-
      dans un des villages membres124. Ce changement de                                     locale                                                                    par la coopérative depuis sa fondation s’est avérée                             sus organisationnel qui a amené à la création de la
      stratégie, cohérent avec la situation d'enclavement                                   L'expérience de la CAFT conduit à s'interroger sur                        plus compliquée que prévue à mettre en place  : la                              coopérative et à la consolidation d'une approche
      qui caractérise encore le département de Ngoyla125                                    l'importance du leadership de quelques personnes                          coopérative n'a pas réussi à trouver une entreprise                             communautaire pour la gestion des ressources
      est en phase avec les « tendances » internationales                                   clés dans la mise en place de nouvelles modalités de                      forestière disposée à se soumettre aux règles d’une                             communes constitue une expérience très intéres-
      de promotion des activités de préservation et de                                      gouvernance des ressources et des territoires.                            exploitation respectueuse de l’environnement et des                             sante, notamment dans un contexte comme celui de
      stockage de carbone.126                                                                                                                                         systèmes de gouvernance locaux.                                                 l'Est du Cameroun.
                                                                                            Le processus de création et d'organisation de la
      Cependant, la mise en place des activités de valori-                                  CAFT doit beaucoup à l'initiative de Patrice Pa'ah.                       Les dirigeants de la CAFT lamentent le manque,
      sation des différents produits agro-forestiers
      implique une disponibilité de ressources humaines
                                                                                            Il est un leader reconnu dans l'arrondissement                            dans un contexte de pauvreté extrême et d'anal-
                                                                                                                                                                      phabétisme, des compétences et de l'expertise, mais
                                                                                                                                                                                                                                                      UN FUTUR INCERTAIN
                                                                                            de Ngoyla et une personne de référence dans tous
      et technologiques, ainsi que financières, que la CAFT                                 les villages, sur les questions liées à la gestion des                    aussi des technologies appropriées, qui seraient
      n'a pas pour le moment.                                                                                                                                         nécessaires pour rendre conforme la gestion des                                 Les communautés membres de la CAFT font preuve
                                                                                            forêts communautaires, mais aussi sur beaucoup
                                                                                                                                                                      ressources naturelles conforme aux réglementations                              d’une volonté affirmée de travailler ensemble,
      La coopérative demande depuis quelques années la                                      d'autres sujets. Il est difficile de concevoir, à l'heure
                                                                                                                                                                      en vigueur et pour leur transformation et insertion                             nourrie par une conscience de la nature “commune”
      mise en place au niveau national d'un cadre légis-                                    actuelle, une existence de la CAFT indépendante de
                                                                                                                                                                      dans les circuits commerciaux. Ils constatent que                               de leurs intérêts. Celle-ci se trouve renforcée face
      latif favorable au développement des petites et                                       la figure de Patrice Pa'ah. Il a su trouver des appuis
                                                                                                                                                                      beaucoup de travail reste encore à faire dans la                                aux risques que signifieraient des initiatives indivi-
      moyennes entreprises en milieu rural, notamment                                       au niveau d'organisations internationales diverses
                                                                                                                                                                      construction des capacités locales de gestion des                               duelles contradictoires dans un contexte de forte
                                                                                            et a pu en assurer la continuité dans le temps.
                                                                                                                                                                      ressources forestières et dans la mise en place de                              inégalité par rapport à des acteurs externes extrê-
      124 La CAFT est appuyée pour la mise en place de ces projets par le                   Toutefois, le fait que beaucoup de réflexions et                          mécanismes de gestion qui permettent le réinvestis-                             mement puissants.
      WWF. Une étude de faisabilité qui vient d'être conduite pour un projet
                                                                                            d'échanges décisifs pour l'avenir de la CAFT se réali-                    sement locale des revenus issus de ces activités.
      PES examine les possibilités, pour 4 des 9 villages membres, de la                                                                                                                                                                              Les avancées que la CAFT a pu conquérir n'ont
      rémunération d'une variété de « services » fournis, y compris des projets             sent à Yaoundé ou à Lomié et non là où se dérou-
                                                                                                                                                                      Les difficultés de financement auxquelles la coopé-                             toutefois pas permis de résoudre de façon satis-
      d’intensification agricole et de stockage du carbone.                                 lent les activités de la coopérative et la complexité
      125 Mais on peut se demander combien de temps elle perdurera,                                                                                                   rative doit faire face ont une influence évidente                               faisante la question de la non reconnaissance des
                                                                                            technique des thèmes qui sont en jeu accroissent
      d'importants projets de construction de routes et de chemins de fer                                                                                             sur sa stratégie de développement. En l'absence                                 droits des populations qui habitent les espaces
                                                                                            le sentiment d'éloignement des communautés
      étant programmés dans les années à venir.
                                                                                                                                                                      des fonds nécessaires à la mise en place d'activités                            forestiers. En l'absence de concurrent puissant direc-
      126 Le Cameroun est actuellement en train de valider sa stratégie pour                membres vis à vis du bureau directeur, parfois
                                                                                                                                                                                                                                                      tement présent sur la zone pour l'utilisation des
      la mise en place des programmes de réduction de la déforestation et                   accusé de centraliser la maîtrise du contexte
      dégradation. Le « REDD+ Readiness Proposal » est le document qui                                                                                                127 Durant les entretiens réalisés pendant l'étude, certains villageois,        ressources du massif forestier, autrement dit tant
                                                                                            politique et l'accès à l’information. Un déséquilibre
      définit la stratégie nationale de préparation du pays à l’implémentation                                                                                        en particulier des femmes, ont dit de ne pas savoir exactement ce               que les UFA de la région n'avaient pas été concédées
      de projets REDD+.
                                                                                            évident persiste au niveau de la participation à la                       qu'était la coopérative, ni quels étaient ses objectifs et ses activités.
104                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         105
                                                                                                                                                             AGTER    AGTER
      Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   Les «forêts communautaires» de Ngoyla et la Coopérative Agro-Forestière de la Trinationale, Département du Haut-Nyong
      à des entreprises privées et tant que les ressources                                  Le plaidoyer mené par la CAFT au niveau national ne
      minières ne faisaient pas l'objet d'ambitieux projets                                 vise pas seulement à développer les petites entre-
      d'exploitation, l'organisation de la CAFT avait été                                   prises dans la région. Il cherche aussi maintenant à
      sinon facile, du moins possible. Même dans ces                                        remettre en cause le démarrage prévu par l’État de
      conditions favorables, elle n'a obtenu que la possi-                                  l’exploitation forestière industrielle dans le dépar-
      bilité d'accéder légalement à un pourcentage très                                     tement de Ngoyla. La CAFT demande également
      limité de l'espace forestier, celui qui avait été défini                              que soit effectué un nouveau zonage qui prendrait
      par le zonage national.                                                               mieux en compte les enjeux sociaux et environne-
                                                                                            mentaux propres à cette zone.
      La situation des communautés intégrant la CAFT
      pourrait connaître prochainement des évolutions                                       Les contacts nationaux et internationaux dont
      dramatiques du fait de la mise en œuvre de vastes                                     dispose la Coopérative risquent d’être de la plus
      projets d'exploitation industrielle des ressources                                    grande utilité dans les batailles qui devront être
      forestières et minières. Après de longues années                                      livrées dans les années à venir pour la conservation
      d'hésitation sur l'affectation des UFA potentielles                                   des richesses naturelles de la région et la préserva-
      de la zone, pour la conservation ou pour l'exploi-                                    tion des droits de ses habitants.
      tation du bois, leur assignation récente par le biais
      d'appels d'offre indique que le démarrage des activi-
      tés est imminent. L'intensification des prospections
      minières constitue un autre sujet de préoccupation.
      SOURCES :
      Enquêtes de terrain de Jesse Rafert lors de son stage au Cameroun en 2012
106                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   107
                                                                                                                                                             AGTER    AGTER
      Le dispositif de la "forêt communale" au Cameroun, l'illustration par la "forêt commuanle" de Djoum   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
                       Le travail de terrain qui a été réalisé pour l’élaboration de ce dossier s’est surtout centré sur
                       l’analyse des « forêts communautaires ». Mais les « forêts communautaires » ne constituent
                       pas les seuls dispositifs qui aient été mis en place au Cameroun pour faire le lien entre les
                       populations locales et l’exploitation des forêts.
                       Deux études de cas ont été réalisées par Cécile Pinsart lors de son stage avec AGTER et le
                       CED en 2011. Elles portent sur :
                       - les interactions entre les concessions, « Unités Forestières d’Aménagement » (UFA) et les
                       communautés et les villages de leur voisinage;
                       - les forêts communales.
                       Compte tenu de l’importance spatiale et économique des UFA et de l’intérêt de la création
                       d’unités de gestion décentralisée opérationnelle des ressources forestières autour des
                       communes, nous avons choisi d’en présenter une synthèse dans ce dossier. Elles aident à
                       mieux comprendre la situation actuelle de la gouvernance des forêts au Cameroun.
                       Partant d’une observation ponctuelle de terrain, sans prétention aucune de décrire l’ensemble
                       des situations qui peuvent se présenter dans ces deux cas de figure, et grâce à un travail
                       bibliographique et à des entretiens avec des personnes ressources, ces deux fiches consti-
                       tuent avant tout une invitation à approfondir la réflexion.
108                                                                                                                                                 109
                                                                                                                                           AGTER
      Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun                                     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                               Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun
      GOUVERNANCE
                                                                                                                                                              les populations locales. Fréquemment, les autorités       communautés. Les autorités locales, sous-préfet,
                                                                                                                                                              administratives entretiennent à l'égard des commu-        gendarmes, chefs de poste..., censées exercer un
                                                                                                                                                              nautés des préjugés tenaces qui les conduisent à          rôle d'arbitrage et garantir le respect des conditions
      DES RESSOURCES                                                                                                                                          leur tenir des discours « moralisateurs ».                d'exploitation, sont souvent partiales. Avec leur
                                                                                                                                                                                                                        appui, les exploitants peuvent facilement dissuader
      NATURELLES DANS                                                                                                                                         Les populations locales, elles, ont le sentiment que
                                                                                                                                                              les exploitants forestiers pillent les ressources des
                                                                                                                                                                                                                        les communautés d’entreprendre des procédures
                                                                                                                                                                                                                        légales et les convaincre d'accepter un règlement
      LE CADRE DES                                                                                                                                            forêts qu'elles habitent depuis des décennies. Elles
                                                                                                                                                              n'ont pas l'impression de recevoir de justes compen-
                                                                                                                                                                                                                        à l’amiable dont les termes sont le plus souvent
                                                                                                                                                                                                                        inéquitables, et en tous cas éloignés des niveaux de
                                                                                                                                                              sations, ni d'être informées quant aux volumes et
      CONCESSIONS                                                                                                                                             aux bénéfices générés par leur exploitation.
                                                                                                                                                                                                                        compensations prévues par la loi132.
110                                                                                                                                                                                                                                                                                                         111
                                                                                                                                                    AGTER     AGTER
      Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun                                   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                   Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun
      une cartographie qui les documente, dans le souci                                                                                                     Des processus de redistribution locale de la                                  et les sous-comités villageois, ne fonctionnent
      d'éviter des conflits qui seraient trop coûteux.                                                                                                      Redevance Forestière Annuelle peu transpa-                                    souvent pas de manière démocratique. C'est à eux
                                                                                                                                                                                                                                          qu'il revient en théorie de proposer les projets de
      Les rapports de force entre les exploitants et                                                                                                        rents
                                                                                                                                                                                                                                          développement susceptibles d'être financés par la
      les populations locales restent toutefois encore
                                                                                                                                                            La loi établit qu'une part du prélèvement fiscal                              part des revenus de la fiscalité forestière destinée
      aujourd'hui extrêmement inégaux. Les communau-
                                                                                                                                                            que constitue la Redevance forestière Annuelle est                            aux échelons administratifs locaux. Quant aux 10%
      tés ne sont, dans la pratique, que marginalement
                                                                                                                                                            destinée à des actions de développement local dans                            du total de la RFA versé par une exploitation fores-
      intégrées dans la gestion des ressources au sein des
                                                                                                                                                            la zone d'emprise de la concession forestière136. Elle                        tière qui doivent être reversés aux communautés
      concessions et les nouveaux droits que la loi leur
                                                                                                                                                            doit permettre de financer des infrastructures socio-                         riveraines, ils sont, dans certains cas, bloqués au
      attribue en ce sens sont seulement partiellement
                                                                                                                                                            économiques collectives d'électrification et d'adduc-                         niveau de l'administration communale.
      respectés.
                                                                                                                                                            tion d’eau, des centres de santé, des écoles, … 137.
      Des conflits surgissent souvent, en particulier au
      moment de la définition des limites des concessions
                                                                                                                                                            Depuis 1996-1997 une soixantaine de communes
                                                                                                                                                            forestières sont concernées par la redistribution de
                                                                                                                                                                                                                                          ILLUSTRATION
      qui, dans de nombreux cas, ne respectent pas les
      espaces sur lesquels portent les droits coutumiers
                                                                                                                                                            la RFA. En 2004, le revenu généré par la fiscalité sur
                                                                                                                                                            l'activité forestière par le biais de la RFA a atteint
                                                                                                                                                                                                                                          À PARTIR
                                                                                                                                                                                                                                          D'OBSERVATIONS DANS
      des populations134. Ces dernières se trouvent alors
                                                                                                                                                            40 millions de dollars EU. En 2005, la RFA restituée
      évidemment lésées.
                                                                                                              Fig. 38 Section de tronc. Photo : M. Merlet   aux communes et aux populations s'est élevée à un
112                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           113
                                                                                                                                                   AGTER    AGTER
      Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun                                       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                    Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun
      La mise en place du nouveau cadre réglementaire                              ressources. Les conflits causés par l'ouverture des                                                                                                            forestier Voir Fiche 9.2 Le dispositif de la « forêt
      après 1994 et, parallèlement, la sensibilisation des                         pistes d'exploitation ou par des coupes de bois à                                                                                                              communale » au Cameroun, l'illustration par la
      acheteurs de bois tropical dans les pays occidentaux                         proximité des habitations ont souvent donné lieu à                                                                                                             "forêt commuanle" de Djoum.
      qui s'est traduite par la mise en place de certifica-                        une répression violente des communautés144.
                                                                                                                                                                                                                                                  L'arrondissement de Djoum et son canton Fang
      tions de filières d'exploitation et de commercialisa-
                                                                                                                                                                                                                                                  en particulier, vont connaître dans les prochaines
      tion semblent avoir permis une diminution certaine
                                                                                                                                                                                                                                                  années une expansion démographique consistante,
      du pillage illégal des ressources forestières. La
      société civile camerounaise, à Djoum comme
                                                                                   Une gestion non transparente de la                                                                                                                             du fait du goudronnage de la route qui relie la ville
      ailleurs, se montre souvent réservée quant à l'effec-                        redevance forestière annuelle                                                                                                                                  de Sangmelima au Congo. L'accroissement démogra-
                                                                                                                                                                                                                                                  phique va accroître la pression sur les ressources et
      tivité du respect des normes imposées par la certifi-
                                                                                   Dans l'arrondissement de Djoum, la gestion de la                                                                                                               les conflits avec les autres utilisations de l'espace
      cation, à cause de la corruption et des difficultés de
                                                                                   redevance forestière annuelle (RFA) par les autori-                                                                                                            forestier, en particulier les concessions industrielles.
      contrôle auxquelles font face les organismes certi-
                                                                                   tés municipales comme par les membres des                                                                                                                      Il sera nécessaire de revoir les limites du Domaine
      ficateurs indépendants142. Les effets de l'application
                                                                                   comités de gestion villageois a été l'occasion de                                                                                                              Forestier Permanent, ou de promouvoir la transition
      de la certification sur les relations entre communau-
                                                                                   nombreux détournements. Cette part de la rente                                                                                                                 vers des systèmes agro-forestiers moins deman-
      tés et exploitants forestiers ne peuvent pas encore
                                                                                   tirée de l'exploitation forestière a été appropriée                                                                                                            deurs en réserves foncières.
      être mesurés dans l'arrondissement de Djoum,
                                                                                   par quelques individus en charge de la gestion des
      puisque aucune entreprise n'en disposait encore au
                                                                                   comités villageois et leurs réseaux d'amis ou alliés.
      moment où cette fiche a été rédigée143.
                                                                                   Les autorités municipales ont alors décidé, de façon
                                                                                   unilatérale, de dissoudre les Comités de Gestion
                                                                                   Villageois et de centraliser à nouveau la gestion des
      Les conflits restent fréquents                                               revenus issus de la RFA au nom de la lutte contre ces
                                                                                   malversations.
      Malgré quelques avancées, l'exploitation fores-
      tière industrielle dans l'arrondissement de Djoum                            Le bénéfice de la RFA censé bénéficier à l'ensemble                               Fig. 39 Superposition du zonage forestier aux usages des ressources fo-
      continue dans de nombreux cas d'être opérée sans                             des habitants a été très maigre pour la plupart                                restiers par les communautés, dans la moitié nord du canton Fang Centre
      que les normes prévues par les plans d'aménage-                                                                                                              (élaboration de Cécile Pinsart, à partir de la carte communautaire d’utili-
                                                                                   d'entre eux alors que les sommes destinées aux
                                                                                                                                                                   sation des ressources forestières, réalisée par l’ONG américaine Carpe en
      ment soient respectées. Les populations locales                              localités auraient permis de subvenir à des dépenses                              2004 sur la base d’un important travail de cartographie participative).
      dénoncent des ouvertures de pistes ayant détruit                             de portée majeure pour tous (par exemple des
      des cultures vivrières et le fait que la cartographie                        services de financement des investissements                                   des logiques de patronage et du clientélisme145. Les
      participative n'ait pas été réalisée avant le démar-                         agricoles familiaux, des soins médicaux, de matériel                          populations, qui partagent souvent une identité
      rage de l'exploitation, tout comme n'ont pas été                             scolaire...). L'utilisation du budget communal dérivé                         clanique forte, sont ainsi poussées à s’unir autour du
      mises en place les autres formes de consultation                             de la RFA semble avoir été très peu transparente à                            candidat de leur canton dans l'espoir que ce dernier
      préalable des populations.                                                   Djoum. Différentes stratégies sont utilisées pour                             investira en priorité les revenus publics dans son
                                                                                   détourner les fonds, que les préfets et les autori-                           lieu d'origine. La gestion des ressources forestières
      Même si elles ne sont pas gérées par la société                                                                                                            collectives est encore loin d'être démocratique.
                                                                                   tés administratives départementales n'ont pas la
      française SFID, la plupart des UFA de l’arrondis-
                                                                                   capacité de contrecarrer faute de moyens pour
      sement de Djoum sont en contact avec elle et la
                                                                                   effectuer des contrôles. La gestion de la RFA dans
      scierie qui lui appartient. D'une certaine façon, cette
      société qui a connu dans le passé plusieurs conflits
                                                                                   l'arrondissement de Djoum illustre la faiblesse des                           Des usages qui se superposent
                                                                                   résultats de la décentralisation de la gestion fores-
      avec les communautés continue d'y avoir une réelle                                                                                                         La carte ci dessous montre comment la définition de
                                                                                   tière. La mise en œuvre des procédures communales
      influence.                                                                                                                                                 l'espace forestier par le zonage entre en conflit avec
                                                                                   est souvent menée autoritairement par un nombre
      Des habitants ont dénoncé des dégradations de                                restreint de personnes. La sanction citoyenne                                 les usages que font des ressources les communau-
      plantations, cultures et sites sacrés survenues avec                         politique au moment des élections locales est diffi-                          tés de la moitié nord du canton Fang Centre. Dans
      la mise en exploitation des UFA et le pillage de leurs                       cile du fait des pratiques diverses de rétribution qui                        deux villages, Essong et Efoulan, environ la moitié
                                                                                   peuvent rendre les victimes des accaparement des                              des terres sur lesquelles les villageois exerçaient des
                                                                                   ressources fiscales communes redevables vis-à-                                activités agricoles sont situées dans des UFA.
      juillet 2013).                                                               vis des responsables. De manière plus générale,
      142 Voir par exemple  : La RSE en Afrique : l’arbre qui cache la forêt ?                                                                                   Avec la création d'une forêt communale, de
      Michel Capron - Forum citoyen pour la RSE. Article Web - 09 avril 2010.      les rapports de force demeurent déterminés par                                nouveaux enjeux de gouvernance viennent s'ajouter
      hors-série n°  9 de la revue trimestrielle de solidarité internationale                                                                                    au panorama de cet arrondissement, déjà carac-
      Altermondes et Alternatives économiques dont les interrogations
      portent précisément sur le Groupe Rougier.                                                                                                                 térisé par la présence importante de concessions
      143 Alors que l'édition de ce document était en cours de finalisation, la    144 En l'absence de réponse des forestiers à leurs doléances, le              forestières industrielles. Les droits des populations
      Société Rougier a informé la presse le 25 mars 2013 qu'elle avait obtenu     seul moyen que les populations locales perçoivent pour faire valoir           locales sont à nouveau mis en danger par l'impo-
      le certificat FSC de bonne gestion forestière [FSC-C014550] délivré par      leurs droits est le blocage des routes. Ces pratiques sont violemment         sition de ce nouveau cadre de gestion de l'espace
      Rainforest Alliance pour les UFA 10038, 10056 et 10054 représentant un       réprimées par la police et l’armée, à qui les exploitants forestiers et les
      total de 285  667 hectares de forêts, mais celles-ci ne se trouvent pas      autorités locales font appel pour y mettre fin. Les habitants du village de
      dans la région de Djoum. La scierie de la SFID ne dispose que d'une          Mveng ont dénoncé avoir subi des tortures et des humiliations de la part
      certification TLTV-VLC, par la société SGS, Vérification de la Légalité et   des militaires qui opèrent dans la zone, suite au blocage de la piste qui     145 D'après George Courade (ed.), L'Afrique des idées reçues, Ed. Belin, Paris
      Traçabilité du Bois.                                                         conduit à une des UFA.                                                        2006
114                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 115
                                                                                                                                                       AGTER     AGTER
      Quelques problèmes soulevés par les concessions forestières au Cameroun         LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
      SOURCES :
      Stage de fin d’études d’Ingénieur de Cécile Pinsart
116                                                                                                                           117
                                                                                                                     AGTER
      Le dispositif de la "forêt communale" au Cameroun, l'illustration par la "forêt commuanle" de Djoum                     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                       Le dispositif de la «forêt communale» au Cameroun, l’illustration par la «forêt commuanle» de Djoum
118                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         119
                                                                                                                                                                 AGTER    AGTER
      Le dispositif de la "forêt communale" au Cameroun, l'illustration par la "forêt commuanle" de Djoum                       LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN         LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                         Le dispositif de la «forêt communale» au Cameroun, l’illustration par la «forêt commuanle» de Djoum
      ration allemande (GIZ), dans le but d’appuyer la                                         Les contestations avaient aussi pour cause l'impos-
      foresterie communale et surtout la création et la                                        sibilité engendrée par la création de la forêt commu-
      formation des Comités Paysans Forêt. Entre 2010                                          nale de pouvoir créer des « forêts communautaires »
      et 2011, cette organisation a appuyé la création de                                      dans les villages. La forêt communale n'a pas laissé
      nouveaux CPF auprès de la plupart des commu-                                             assez d'espace pour cela.
      nautés riveraines des forêts communales. Leurs
                                                                                               Les Comités Paysans Forêt sont par ailleurs peu
      membres ont suivi des formations relatives à la
                                                                                               représentatifs de la population de l'ensemble du
      gestion des forêts communales (relatives aux droits
                                                                                               canton. Ils ont du mal, pour cette raison, à assurer
      des populations locales définis par la loi, au procé-
                                                                                               un rôle de vecteur de participation démocratique.
      dure de contrôle de l'exploitation et de la gestion
                                                                                               Leurs membres sont souvent choisis par coopta-
      des ressources financières qu'elle génère...).
                                                                                               tion politique 154. Le noyautage de ces comités par les
                                                                                               élites locales, assez similaire à celui observé dans
      UNE ILLUSTRATION : LA                                                                    le cas des « forêts communautaires », les empêche
                                                                                               d'agir dans le sens de l'intérêt général des popula-
      FORÊT COMMUNALE                                                                          tions qu’ils sont sensés représenter. La rétention des
                                                                                               informations par les membres des comités est bien
      DE DJOUM                                                                                 plus courante que leur transmission aux villageois.
                                                                                               Les groupes qui souffrent le plus de ces logiques de
                                                                                               privatisation des choix collectifs sont les popula-
                                                                                               tions Bakas et les femmes, qui ne sont souvent que
                                                                                               des figurants au sein des CPF.
      Une faible implication des
                                                                                               Ainsi, les dispositions qui prévoient l'implication
      populations locales                                                                      des populations locales ont été, jusqu'à présent, peu
      Dans la commune de Djoum, dans la pratique, les                                          respectées dans la gestion de la forêt communale de
      populations locales ont été très peu impliquées au                                       Djoum.
      moment de la réalisation du plan d’aménagement
      de la forêt communale. Elles disent ne pas avoir été
      correctement informées à propos de la création de                                        Une répartition peu transparente
      la forêt communale durant de nombreuses années.
      Les deux premiers Comités Paysans Forêt (représen-
                                                                                               des ressources générées par
      tant deux des trois cantons de la commune) ont été                                       l'exploitation forestière
      créés à Djoum seulement en 2011, soit bien après
      l'exploitation du premier « bloc quinquennal »152 et                                     Les données comptables de l'exploitation de la
      la création même de la forêt communale, qui a été                                        forêt communale sont tout sauf publiques. Ni le
      classée en tant que telle en 2002.                                                       responsable de la cellule d’aménagement de la forêt
                                                                                               communale, ni les conseillers municipaux, ni aucun
      À sa création, les informations utiles n'ont souvent                                     membre des Comités Paysans forêt ne connais-
      pas été rendues publiques et les autorités tradition-                                    sent les volumes de bois effectivement exploités
      nelles n’ont pas été conviées au sein de la commis-                                      durant le premier bloc quinquennal d'exploitation                                      Fig. 40 Carte de la forêt communale de Djoum. Source : Mikaël Poissonnet et Guillaume Lescuyer, Aménagement forestier
      sion de classement. Les communautés locales ont                                          de la forêt communale. Le montant des revenus                                                                et participation : quelles leçons tirer des forêts communales du Cameroun ?, Vertigo Vol. 6 N°2, 2005
      contesté la délimitation de la forêt communale dès                                       que l'exploitation a rapporté à la commune et l'uti-
      la procédure de définition, car celle-ci ne tenait                                       lisation faite de ces bénéfices ne sont pas portés à
      pas compte de leurs utilisations des ressources                                          la connaissance des habitants des villages qui la
      naturelles153. La carte reprise du travail de Poissonnet                                 composent. Il est notoire, en revanche, qu'ils n’ont
      et Lescuyer illustre cette situation en montrant la                                      bénéficié de la construction d’aucune infrastructure
      superposition du périmètre de la forêt communale                                         sociale depuis que l’exploitation du premier bloc a
      avec les usages des ressources par les populations                                       débuté.
      locales.
                                                                                               On comprend dès lors que la forêt communale
                                                                                               soit perçue par les populations comme une entité
                                                                                               extérieure, dans laquelle elles n'ont aucun intérêt
      152 Chaque bloc d'exploitation est composé de cinq assiettes annuelles                                                                                                  DOSSIER : Gouvernance des forêts du Cameroun – Fiche 9.2
                                                                                               direct. Il s'agit, d'après elles, d'une « affaire accapa-
      de coupe, qui sont de fait calées sur le mandat d'un maire.                                                                                                             FICHE RÉDIGÉE PAR : Cécile Pinsart (stagiaire AGTER) et Marta Fraticelli (AGTER)
                                                                                               rée par la mairie ».
      153 Lorsque les communautés locales ont dénoncé la présence de                                                                                                          DATE DE RÉDACTION : Juillet 2011
      cacaoyères à l'intérieur du périmètre délimité pour la forêt communale,                                                                                                   Retrouvez ce document et beaucoup d’autres sur la site documentaire d’aGter
      des indemnisations ont été offertes dans deux des trois villages
      concernés. Dans le troisième, les cacaoyères ont été « enclavées » dans                  154 Il est, de ce fait, difficile d'établir une stratégie partagée entre les
      le périmètre de la forêt communale  : les propriétaires ont le droit d'y                 CPF des différents cantons qui se retrouvent opposés pour des raisons          SOURCES :
      travailler mais ils ne peuvent pas les agrandir.                                         purement politiques. (Source, entretiens réalisés sur le terrain)              Stage de fin d’études d’Ingénieur de Cécile Pinsart
120                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               121
                                                                                                                                                                    AGTER     AGTER
      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN
122                                                                                                                                    123
                                     AGTER    AGTER
      Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?                                              LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN        LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                                    Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?
      L'ÉTAT ET LES
                                                                                depuis le haut d'un droit d'une toute autre nature.                                                                                                      au regard des expériences du passé, au Cameroun et
                                                                                                                                                              En 2011, les unités forestières d'aménagement (UFA)
                                                                                La seule façon de sortir de ces contradictions serait                                                                                                    ailleurs dans le monde, il est permis d'en douter.
                                                                                                                                                              attribuées à une soixantaine de sociétés représen-
                                                                                de reconnaître une pluralité de droits et une plura-
      GRANDES ENTREPRISES                                                       lité d'ayants droit, et de s'inscrire délibérément dans
                                                                                                                                                              taient environ 6 millions d'hectares, sur un total de
                                                                                                                                                              8 millions d'hectares destinés aux forêts de produc-
                                                                                                                                                                                                                                             Les exploitants actuels ne continuent pas
                                                                                                                                                                                                                                         l'exploitation des zones qui avaient déjà été
                                                                                une perspective de « pluralisme juridique ».157
                                                                                                                                                              tion, alors que les 34 forêts communales couvraient                        coupées. Ils se sont redistribués dans la partie de
      L'histoire de la gouvernance des forêts au Cameroun                           Les ressources forestières sont traitées à part.                          un peu plus de 800  000 d'hectares. Les aires proté-                       la forêt qui était encore vierge. La rente forestière
      est celle d'une appropriation de plus en plus                             Après 1994, un « zonage » des espaces forestiers a                            gées, elles, représentaient 7,4 millions d'hectares.160                    y est importante. Qu'adviendra-t-il de ces forêts
      poussée des ressources communes par une minorité                          été réalisé, mais ce n'est qu'au travers du proces-                                                                                                      quand les arbres plusieurs fois centenaires qui
                                                                                                                                                              Globalement, la réforme a étendu l'aménagement
      d'acteurs et donc, parallèlement, aussi celle de                          sus postérieur de « classement »158 que les zones                                                                                                        sont aujourd'hui coupés auront disparu  ? On peut
                                                                                                                                                              forestier à toute la zone sud et sud-est du pays, qui
      la dépossession des populations qui y vivent. Les                         forestières sont légalement placées dans une                                                                                                             supposer que la rentabilité de l'extraction forestière
                                                                                                                                                              était encore quasiment vierge ou n'avait pas connu
      réformes du secteur forestier réalisées depuis 1994,                      catégorie juridique donnée, après qu'ait eu lieu                                                                                                         diminuera fortement et que les exploitants se retire-
                                                                                                                                                              d'exploitation forestière auparavant. Une partie des
      qui confèrent au pays un statut de pionnier dans le                       selon la loi un débat public et contradictoire. Ce                                                                                                       ront s'ils ont de meilleures opportunités de profit
                                                                                                                                                              forêts permanentes y a été classée comme zones
      bassin du Congo, ont sans nul doute conduit à des                         travail de classement conduit à définir un Domaine                                                                                                       ailleurs.
                                                                                                                                                              protégées et une autre a été destinée à la produc-
      améliorations sensibles en matière de transparence                        Forestier Permanent et un Domaine Forestier non
                                                                                                                                                              tion. (voir cartes 1992 - 2007)                                                La forêt appauvrie, écrémée de ses fûts les plus
      et de contrôle de l'exploitation forestière. Elles ont                    Permanent. En comparant les superficies couvertes
                                                                                                                                                                                                                                         recherchés, sera alors accessible grâce aux routes
      aussi institué des mécanismes visant à aller vers                         par l'ensemble de ces deux domaines et l'occupa-                              Dans les régions situées plus au nord, qui avaient
                                                                                                                                                                                                                                         d'exploitation qui auront été ouvertes et le dispo-
      une meilleure redistribution de la rente forestière                       tion actuelle du Sol du Cameroun, on s'aperçoit                               en partie fait l'objet d'une exploitation antérieure,
                                                                                                                                                                                                                                         sitif de surveillance ne sera plus opérationnel. Les
      aux populations. Mais ont-elles vraiment amélioré                         qu'une part importante du « domaine national de                               un grand nombre de permis n'ont pas été renouve-
                                                                                                                                                                                                                                         populations locales, cantonnées dans les espaces
      les chances des populations de pouvoir jouer à                            l'État » n'a pas encore été « classée ». Si l'essentiel des                   lés. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait plus du tout
                                                                                                                                                                                                                                         aux usages agro-forestiers des interstices existant
      l'avenir un rôle clé dans la gouvernance des terri-                       forêts denses, qui avaient été positionnées dans le                           d'exploitation forestière dans cette zone. Celle qui
                                                                                                                                                                                                                                         entre les UFA, auront perdu une source de travail
      toires et de leurs ressources ?                                           zonage comme devant intégrer le Domaine Forestier                             s'y opère encore est illégale, mais nullement négli-
                                                                                                                                                                                                                                         et n'auront absolument pas appris à gérer le patri-
                                                                                Permanent, ont déjà été classées comme telles,                                geable en volume161. C'est dans cette zone que se
      Nous avons vu que la terre et les ressources fores-                                                                                                                                                                                moine forestier commun que l'État avait jusqu'alors
                                                                                près de 90% des forêts qui devraient intégrer le                              trouve une grande partie des terres qui pourraient
      tières étaient gérées au Cameroun de façons                                                                                                                                                                                        cédé en concession aux grandes entreprises. Dans
                                                                                Domaine Forestier non Permanent n'ont pas encore                              intégrer le Domaine Forestier non Permanent, sur
      distinctes155.                                                                                                                                                                                                                     des situations similaires, la réponse est le plus
                                                                                été classées 159. L'ensemble des forêts, quel que soit                        les terres du « domaine national de l'Etat » (les forêts
                                                                                                                                                                                                                                         souvent un changement d'usage du sol pour des
           Le statut du foncier, hérité de l'époque coloniale,                  leur statut légal, doivent être gérées conformément                           du domaine national représentant en tout 14,6
                                                                                                                                                                                                                                         activités agricoles, réalisées par les acteurs qui ont
      reste largement ambigu. L’État est légalement le                          aux règles établies par le Ministère chargé des forêts.                       millions d'ha162). C'est aussi sur ce type de terres
                                                                                                                                                                                                                                         les moyens nécessaires pour le faire rapidement et à
      « gardien » des terres du « domaine national », mais                      L’État délivre des « concessions » ou autorise des                            que se posent les problèmes de non reconnaissance
                                                                                                                                                                                                                                         grande échelle.
      un certain nombre de textes du droit « positif »                          « ventes de coupe » ponctuelles. Les droits d'usage                           des droits coutumiers des communautés que nous
      ouvrent des brèches pour qu'il se comporte comme                          des populations locales sur la plupart des produits                           évoquions plus haut, et c'est aussi là que l'on voit                           La capacité de résistance des populations locales
      s'il était « propriétaire » de toutes les terres qui n'ont                non ligneux et de la chasse sont censés être respec-                          se multiplier les concessions agro-industrielles. On                       est souvent limitée, celles-ci ayant déjà perdu leur
      pas été préalablement immatriculées au nom d'une                          tés, à condition de ne pas toucher à des espèces                              y trouve aussi bien sûr les « forêts communautaires »                      emprise sur ces terres depuis longtemps. On peut
      personne ou d'une entité autre. Reconnaître des                           protégées et que ces usages se fassent « en vue                               (1 million d'ha en cours de négociation en 2011 et                         donc légitimement se poser la question de la durabi-
      droits à l'État sur le « domaine national » est tout                      d'une utilisation personnelle » et pas pour la vente.                         un peu moins de 600  000 ha avec une convention                            lité d'un tel système à moyen terme, même si ses
      à fait logique. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est                        Sur le terrain, les choses se passent le plus souvent                         définitive163), en rapide augmentation au cours des                        pratiques permettent au cours des premières décen-
      de considérer que ces droits de propriété sont de                         bien différemment  : c'est toujours la « fonction » de                        dernières années, mais dont nous avons vu précé-                           nies le maintien de la couverture forestière.
      même nature que ceux qui relèvent de la « proprié-                        production de la forêt qui est privilégiée et non les                         demment au travers de quelques exemples les
                                                                                droits d'usage des populations autochtones.                                                                                                              De nombreuses zones couvertes de forêts vont aussi
      té » d'un individu. En attribuant abusivement au                                                                                                        limites en matière de gestion par les communautés.
                                                                                                                                                                                                                                         subir les conséquences négatives du développement
      concept de « propriété » (au singulier) une valeur                        Dans la pratique, même si les droits sur la terre                             Le choix qui a été fait par le gouvernement                                du secteur minier, par le biais de la construction de
      absolue et exclusive, on nie l'existence de tout autre                    ne sont pas concernés par la politique forestière,                            camerounais, avec l'appui de la Banque Mondiale,                           chemins de fer et oléoducs, et du fait des nuisances
      droit que celui du propriétaire. Or, ces terres sont                      l'impact sur l'emprise foncière des populations et                            a donc bien été celui de reconnaître aux grandes                           environnementales qui y sont généralement
      occupées par des communautés de façon coutu-
                                                                                                                                                              entreprises d'exploitation forestière le rôle de pivot                     associées.
      mière, parfois depuis très longtemps, et gouvernée
                                                                                                                                                              du développement des territoires forestiers. L’État
      avec un droit endogène qui évolue constamment.                                                                                                                                                                                     Dans les zones classées ou susceptibles d'être
                                                                                par une emprise évidente de l'homme sur la terre et une mise en valeur        constitue l'autre acteur pivot, avec un dispositif de
      Certaines dispositions légales précisent toute-                                                                                                                                                                                    classées comme Domaine Forestier non Permanent,
                                                                                probante, continueront à les occuper et à les exploiter et pourront,          réglementation et de contrôle, tant au niveau des
      fois que les communautés coutumières ou leurs                             sur leur demande, y obtenir des titres de propriété (art.17 et art. 15 de                                                                                l'insécurité juridique sur le foncier et les difficul-
                                                                                                                                                              aires protégées que des forêts de production.
      membres peuvent demander la « propriété » des                             l'ordonnance # 74-1 du 6 juillet 1974, cité par A. Rochegude et C. Plançon,                                                                              tés qu'ont les communautés à construire dans la
      terres qu'ils occupent156. Il ne s'agit pas tant d'une                    dans Décentralisation, acteurs locaux et foncier. Comité technique                                                                                       durée une capacité de gouvernance des ressources
                                                                                foncier et développement, Nov. 2009.                                          160 WRI, 2012, Op.cit.
                                                                                                                                                                                                                                         communes permettent de supposer que l'on assis-
                                                                                157 Notons que cette situation se retrouve dans beaucoup d'autres pays,       161 L'exploitation illégale constitue selon les experts la principale
      155 On peut en dire autant des ressources minières, qui sont aussi        et que le cadre légal camerounais est plus ouvert au pluralisme que la        source d'approvisionnement du marché national de bois et il semble         tera à une intensification des installations de
      gérées indépendamment des forêts et du sol.                               plupart d'entre eux.                                                          clair qu'elle a lieu essentiellement aujourd'hui sur ces forêts, les UFA   plantations agro-industrielles. Elles correspon-
      156 La loi précise que les collectivités coutumières, leurs membres       158 Toppa, Karsenty, et al. 2010. Banque Mondiale. Forêts tropicales          étant soumises à des contrôles de plus en plus stricts et les zones        dent au modèle agricole que le gouvernement
      ou tout autre personne de nationalité camerounaise qui occupent ou        humides du Cameroun. Une décennie de réformes. p. 32 - 35.                    protégées étant plus difficilement accessibles et gardées.
      exploitent paisiblement des terres d'habitation, des terres de culture,   159 WRI, 2012. Atlas forestier interactif du Cameroun. Version 3.0.           162 WRI,2012, Op.cit.
                                                                                                                                                                                                                                         camerounais semble vouloir privilégier aujourd'hui.
      de plantation, de pâturage et de parcours dont l'occupation se traduit    Document de synthèse. Carte 3 p 32 et observation p 33.                       163 Ibidem.                                                                Ce ne serait que la réplique, dans le domaine
124                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    125
                                                                                                                                                    AGTER     AGTER
      Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                  Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?
                                                                                                              agricole, du choix qui a été fait pour la gestion des    regards. Cette démarche originale, qui combine
                                                                                                              forêts, avec la grande entreprise comme acteur           une dimension de voyage d'étude et une expertise
                                                                                                              pivot, et le prolongement d'une longue tradition qui     citoyenne permet d'élargir le champs des obser-
                                                                                                              plonge ses racines dans l'époque coloniale et s'est      vations et joue un rôle essentiel dans le processus
                                                                                                              perpétuée avec les grandes plantations et unités de      d'élaboration d'une réflexion collective innovante.
                                                                                                              production agricoles de l’État après l'indépendance.     Les réflexions qui sont nées de cette riche
                                                                                                                                                                       expérience sont compilées dans un document spéci-
                                                                                                                                                                       fique, qui sera disponible en français et en espagnol.
                                                                                                              MONDE MONTRENT                                           des forêts a été possible. Dans les régions basses du
                                                                                                                                                                       Peten, ce sont les entreprises forestières commu-
                                                                                                                                                                       nautaires qui sont devenues les acteurs clés et
                                                                                                              QU'IL EXISTE                                             une dynamique de renforcement des communau-
                                                                                                                                                                       tés mayas des hautes terres est en cours. Nous
                                                                                                              D'AUTRES OPTIONS                                         renvoyons le lecteur au dossier similaire à celui-ci
                                                                                                                                                                       qui a été produit sur ce pays.
                                                                                                              Face à des situations de ce type, le renoncement est     La mise en place d'une option autre, qui s'appuierait
                                                                                                              souvent de rigueur. Faute de pouvoir imaginer que        sur les communautés villageoises, sur des entre-
                                                                                                              les choses puissent évoluer différemment, chacun         prises communautaires et de petits entrepreneurs
                                                                                                              essaye de tirer son épingle du jeu à titre individuel    nationaux, assumant le rôle d'acteurs pivot à la
                                                                                                              du mieux qu'il peut.                                     place des grandes entreprises est tout à fait envisa-
                                                                                                                                                                       geable. Mais il ne faudrait surtout pas déduire de
                                                                                                              Bien que les moyens dont l'équipe d'AGTER dispose        ces observations qu'il existe une solution facile,
                                                                                                              soient extrêmement réduits en comparaison avec           clef en mains. Cette option alternative ne peut être
                                                                                                              l'ampleur des défis qui existent en matière de           immédiatement viable et ne relèvera jamais de
                                                                                                              gouvernance des ressources naturelles, la méthode        l'application de modèles développés ailleurs dans le
                                                                                                              que nous mettons en œuvre vise à permettre aux           monde. Il nous faut nous interroger sur l'impact des
                                                                                                              utilisateurs de ne pas sombrer dans cette attitude.      politiques forestières et économiques sur l'évolution
                                                                                                              L'élaboration de ce dossier avec les partenaires de      des rapports de force entre les différents acteurs.
                                                                                                              Rights and Resources Initiative au Cameroun s'est        C'est cette évolution qui détermine dans une large
                                                                                                              réalisée en plusieurs étapes et de différentes façons,   mesure le futur sur le moyen et sur le long terme.
                                                                                                              mais sans présence permanente de chercheurs              Pour pouvoir comprendre la diversité des rapports
                                                                                                              d'AGTER dans le pays. Sans aspirer dans ces condi-       entre les différents groupes sociaux, la complexité
                                                                                                              tions à concurrencer les instituts de recherche au       des sociétés, nous avons dû renoncer à une vision
                                                                                                              niveau de la production scientifique, il est possible    juridique dans laquelle seul l'État dicterait le droit.
                                                                                                              de construire une réflexion collective critique avec     C'est la raison pour laquelle nous avons adopté une
                                                                                                              les acteurs qui disposent d'une profonde connais-        vision fondée sur le pluralisme juridique dans la
                                                                                                              sance du terrain. Nous nous sommes appuyés               construction de ces deux dossiers.
                                                                                                              sur les travaux des nombreux chercheurs, sur les
                                                                                                              connaissances accumulées des ONGs camerou-               En regardant l'expérience du Guatemala, on prend
                                                                                                              naises, mais aussi des producteurs agricoles et des      conscience que si les communautés rurales du
                                                                                                              chasseurs cueilleurs que nous avons rencontrés  :        Cameroun pouvaient effectivement apprendre à
                                                                                                              sans ces apports, cette réflexion n'aurait pas été       exploiter les ressources ligneuses des territoires qui
                                                                                                              possible.                                                leur sont reconnus, elles réussiraient sans doute à
                                                                                                                                                                       peser différemment dans les rapports de force au
                                                                                                              Mais c'est aussi sur la base des réflexions conjointes   bout de quelques années. La question qui se pose
                                                                                                              menées en parallèle au Guatemala que nous avons          alors est la suivante : que faudrait-il faire pour que
                                                                                                              travaillé. Fin Août 2012, un voyage d'étude auquel       les communautés des régions forestières puissent
                                                                                                              ont participé deux dirigeants d'organisations de         apprendre collectivement à gérer leurs ressources
                                                                                                              foresterie communautaire du Guatemala, et deux           communes  ? La construction de nouvelles modali-
                                                                                                              personnes de l'équipe centrale d'AGTER a permis          tés de gouvernance ne se fait jamais en quelques
                                                                                                              d'aller sur le terrain avec des dirigeants et des        jours, ni par décret. C'est un processus qui prend du
                                                                                                              membres d'ONG Camerounaises et de croiser nos            temps, qui exige de pouvoir corriger les erreurs en
126                                                                                                                                                                                                                                                  127
                                                                                                     AGTER    AGTER
      Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?     LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?
128                                                                                                                                                                                                                     129
                                                                                                       AGTER    AGTER
      Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?                                  LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN                                           Que retenir de ce voyage dans les forêts du Sud du Cameroun ?
130                                                                                                                                                                                                                                                                                          131
                                                                                                                                    AGTER    AGTER
      LA GOUVERNANCE DES FORÊTS AU CAMEROUN   LA GOBERNANZA DE LOS BOSQUES EN GUATEMALA                                                             Agter en unas palabras
                                              AGTER entend contribuer à la conception de nouvelles formes de gestion            POUR NOUS JOINDRE
                                              des ressources naturelles adaptées aux défis du XXIe siècle en favorisant         Le site de l’association : www.agter.org
                                              un processus permanent de réflexion et d’apprentissage collectif, destiné         Le site du fond de ressources
                                                                                                                                documentaires : www.agter.asso.fr
                                              à aider les membres des organisations de la société civile à s’informer, à
                                                                                                                                Adresse :
                                              formuler des propositions et à les mettre en pratique.
                                                                                                                                45 bis, avenue de la Belle Gabrielle, 94736
                                                                                                                                NOGENT SUR MARNE CEDEX, France
                                              Changer de regard sur la gouvernance des ressources naturelles ne peut
                                              se faire que progressivement et collectivement. En mettant en valeur et           Teléphone :
                                                                                                                                +33(0)1 43 94 72 59 / +33(0)1 43 94 72 96
                                              en diffusant les expériences remarquables des acteurs publics et privés,
                                              nous construisons un dispositif qui s’inscrit dans la durée et s’adapte           E-mail :
                                                                                                                                agter@agter.org
                                              constamment. Au cœur de ce dispositif, un vaste réseau de personnes très
                                              diverses qui travaillent à la construction de nouvelles formes de gouver-
                                              nance des ressources naturelles. Pour en assurer l’animation et en diffuser
                                              les produits, l’association proprement dite. Le caractère mondial du réseau
                                              permet de prendre en compte la dimension globale des problèmes traités
                                              et d’enrichir ainsi la vision de chacun.                                          QUELQUES AUTRES PUBLICATIONS
                                                                                                                                D’AGTER DISPONIBLES SUR DEMANDE AU
                                                                                                                                BUREAU DE L’ASSOCIATION:
                                                                                                                                Capitalisation sur l’expérience du Code Rural
                                                                                                                                au Niger. Un ensemble pédagogique pour
                                              AGTER intervient essentiellement par :                                            l’animation de projets débats.
                                                                                                                                L’ensemble pédagogique contient: un film
                                              • la mobilisation d’une capacité d’analyse interculturelle et interdiscipli-      documentaire de Loïc Colin et Vincent Petit
                                              naire, à travers l’organisation de chantiers de réflexion et d’échange. Des       disponible en 6 langues (français, anglais,
                                              groupes de travail spécifiques, des voyages d’étude et des conférences, avec      et quatre langues d’Afrique de l’Ouest) et
                                              l’utilisation de la vidéo pour faciliter la diffusion de toutes ces réflexions,   neuf fiches thématiques bilingues (français
                                              nous permettent de comparer des expériences diverses et de construire             anglais) rédigées par C. Jamart AFD, AGTER,
                                              collectivement des propositions, avec des chercheurs, des étudiants, des          E-Sud Développement, 2011.
                                              professionnels, des élus, des membres d’administrations publiques, des            Les normes locales de régulation de l’accès
                                              organisations de la société civile.                                               aux ressources naturelles. Voyages d’études
                                                                                                                                accompagné par vidéo au Mexique et en
                                              • la production de documents multimedia en accès libre pour partager ces          France.
                                              analyses. L’élaboration d’un fond documentaire web vise à permettre à             Livret incluant un double DVD en version
                                              chacun d’accéder à l’essentiel, parmi la profusion d’informations dispo-          bilingue français espagnol. AGTER, E-Sud
                                              nibles. pour relever les grands défis actuels. Cette base de connaissances        Développement, 2010.
                                              doit être de grande qualité, mais rester compréhensible par des non
                                                                                                                                Les appropriations de terres à grande
                                              spécialistes, afin de pouvoir contribuer à renforcer l’action citoyenne et le     échelle. Analyse du phénomène et
                                              fonctionnement démocratique.                                                      propositions d’orientations.
                                                                                                                                Document rédigé par M. Merlet et M.
                                              • des services d’expertise et de formation pour des organisations interna-
                                                                                                                                Perdriault. Existe en français, en anglais, en
                                              tionales, des institutions gouvernementales et des organisations non
                                                                                                                                espagnol et en portugais. AGTER et Comité
                                              gouvernementales, qui nous permettent de mobiliser le travail de réflexion        technique « Foncier et Développement ».
                                              accumulé pendant des années et les compétences de notre réseau pour               Ministère des Affaires Étrangères (MAEE) et
                                              répondre à leurs demandes spécifiques.                                            Agence Française de Développement (AFD),
                                                                                                                                2010.
132                                                                                                                                                                              133
                                     AGTER    AGTER
Les forêts tropicales assurent des fonctions essentielles pour préserver les grands équilibres de
la planète. Le futur de l’humanité dépend en partie de leur conservation. Elles ne peuvent être
traitées comme des biens marchands, et si elles sont d’intérêt mondial, elles doivent néanmoins
faire l’objet d’une gestion locale.
La politique forestière du Cameroun est considérée comme un exemple dans le bassin du Congo,
qui abrite un des plus grands massifs forestiers encore bien préservés. Elle a remporté des
succès reconnus, mais sera-t-elle durable sur le moyen terme ?
Ce dossier, construit par l’association AGTER en collaboration avec les partenaires camerou-
nais de la Coalition Rights and Resources Initiative, constitue une invitation à réfléchir sur la
gouvernance des ressources forestières dans le Sud du Cameroun et sur les évolutions en cours,
à un moment où se développent de grands projets miniers et agroindustriels qui mettent la forêt
en danger. Il décrit les lois et les politiques de l’État, et examine à partir de quelques études de
cas (réalisées en 2011 et 2012) leur application et leurs impacts. Son originalité est de partir
des habitants des zones forestières, de leurs systèmes des gestion des ressources, de la façon
dont ils ont été affectés par l’histoire, du droit endogène qu’ils ont mis en place et d’essayer de
comprendre la nature des évolutions en cours.
Sa spécificité vient aussi de ce qu’il a été construit en parallèle avec un dossier similaire sur le
Guatemala. La mise en perspective des évolutions de la gouvernance des forêts dans ces deux
pays ouvre de nouvelles pistes de réflexion susceptibles d’aider les acteurs de quelque région
que ce soit à construire leur propre stratégie originale et adaptée à la situation environnemen-
tale, sociale, économique et politique qui est la leur.
      Ces trois dossiers documentaires sur la gouvernance des forêts sont disponibles sur le site du
      fond documentaire d’aGter : http://www.agter.org/.
              CE TRAVAIL EST MIS À DISPOSITION SELON LES CONDITIONS DE LA LICENCE CREATIVE COMMONS – ATTRIBUTION
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