Droit Maritime Antoine Vialard
Droit Maritime Antoine Vialard
DROIT FONDAMENTAL
COLLECTION DIRIGÉE PAR
STÉPHANE RIALS
Professeur à l'Université de Paris II, Panthéon - Assas
DROIT COMMERCIAL
Droit maritime
ANTOINE VIALARD
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ MONTESQUIEU - BORDEAUX IV
Abréviations et sigles 9
Introduction 13
LIVRE PREMIER
LE DANGER DE LA MER
Chapitre 1 / L'abordage et les autres accidents de la mer .. 45
Section 1 - L'abordage, une notion vague 46
Section Il - Responsabilité civile en cas d'abordage 48
Chapitre 2 / La solidarité humaine en mer 53
Section 1 - La solidarité externe : l'assistance et le sauvetage .. 53
Section Il - La solidarité interne : l'avarie commune 68
Chapitre 3 / La solidarité organisée : les assurances mari-
times 83
Section 1 - Présentation générale: péril de la mer et recherche
de la sécurité financière 83
Section Il - Lecontrat d'assurance maritime 90
Chapitre 4 / La limitation de responsabilité du propriétaire
ou de l'exploitant d'un navire 125
Section 1 - La limitation traditionnelle de responsabilité 127
Section Il - Les limitations spécifiques de responsabilité: nu-
cléaire, hydrocarbures, marchandises dangereuses . 143
LIVRE DEUXIÈME
LES PROFESSIONS MARITIMES
Chapitre 1 / L'armateur 155
Section 1 - La notion d'armateur 155
Section Il - Les difficultés de mise en œuvre de la notion d'ar-
mateur 164
Chapitre 2 / Les marins 170
Section 1 - Le capitaine 171
Section Il - L'équipage 181
Chapitre 3 / Les auxiliaires techniques de l'arrnateur : pilo-
tage et remorquage 192
Section 1 - Le pilotage 192
Section Il - Les contrats de remorquage 200
Chapitre 4 / Les auxiliaires commerciaux de l'armateur.
Consignataires, courtiers, commissionnaires et transi-
taires 212
Section 1 - Les consignataires 212
Section Il - Les courtiers maritimes 217
Section III - Commissionnaires, transitaires 222
LIVRE TROISIÈME
LES BÂTIMENTS DE MER
Chapitre 1 / Notions fondamentales 235
Section 1 - Le navire 235
Section Il - Les autres bâtiments de mer 255
Chapitre 2 / Le statut du navire 257
Section 1 - Le navire est un meuble particulier 257
Section Il - Le navire, objet de droits réels 273
Sous-section 1 - Les droits réels principaux : propriété et
copropriété 273
Sous-section 2 - Les droits réels accessoires sur le navire :
hypothèques et privilèges 295
LIVRE QUATRIÈME
L'EXPLOITATION COMMERCIALE DES NAVIRES
Index 477
I | DÉFINITIONS PRÉLIMINAIRES
1. Cette entrée en vigueur était subordonnée à la ratification par 60 États. Cette condition s'est trouvée
réalisée en novembre 1993, avec cette particularité que, panni les 60 pays ayant ratifié, 58 sont des
pays du Tiers Monde ; les deux autres sont l'Islande et la Bosnie. Les pays développés étant totale-
ment hostiles au titre XI de cette convention, traitant de l'exploitation du fond des mers, et de la mise
en place d'une Autorité et d'une Entreprise hallucinatoires, un «Agrément » est intervenu en juil-
let 1994, selon une procédure dont le «Machin »a le secret ; au résultat de cet Agrément qui se sub-
stitue en fait à l'ancien titre XI, les modalités de l'exploitation du fond des océans sont sensiblement
allégées et libéralisées. On en espère des ratifications significatives des pays développés, ratifications
qui, d'ailleurs, conditionnent l'entrée en vigueur de cet Agrément. Sur ce tour de passe-passe : Patrick
J. S. Griggs and David H. Anderson, The 1982 United Nations Law of the Sea Convention, CMI
News letter 1995, n° 1.
2. Cette convention de 1982 consacre, d'une part, l'extension des eaux territoriales sur une largeur de
12 milles marins à partir des lignes de base et, d'autre part, une notion inconnue du droit internatio-
nal public maritime classique : la notion de zone économique exclusive, qui peut s'étendre sur une lar-
geur supplémentaire de 188 milles au-delà de la limite extérieure des eaux territoriales. Alors que
l'État riverain a pleine souveraineté sur les eaux territoriales, sous réserve du droit de passage inoffen-
sif reconnu aux navires des pays tiers, il ne dispose sur la zone économique exclusive que d'une com-
pétence limitée à certains aspects de l'exploitation des ressources océaniques.
2 LEDROITMARITIMEESTLEDROITDESACTIVITESHUMAINESEN
MER.—Il a vocation, à ce titre, à saisir toutes les activités que
le progrès technique moderne a d'ailleurs multipliées. Traditionnelle-
ment, cependant, le droit maritime est compris comme étant, surtout
et d'abord, le droit du commerce sur mer. C'est là une vue bien
étroite des activités humaines qui se déploient sur mer, vue qui
conduit à faire l'impasse à peu près complète sur nombre d'utilisa-
tions actuelles de l'espace et des ressources de la mer. Nous tombe-
rons pourtant dans le travers : les dimensions de l'ouvrage nous
conduisent à faire une présentation classique du droit maritime. Nous
tenterons cependant, autant que possible, d'ouvrir quelques perspec-
tives vers des domaines habituellement laissés dans l'ombre, tels que
l'activité de la pêche en mer ou la navigation de plaisance. Même
encore, cela n'est pas représentatif de l'ensemble des industries que la
mer permet de nos jours et qui, depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, se sont considérablement diversifiées, mais cela contribuera
à faire saisir que le droit maritime ne peut pas se cantonner à la seule
étude du droit des transports maritimes.
I. Ce volume est énorme. Pour faire image, on en donnera l'illustration suivante, quasi polytechni-
cienne : si l'on voulait assécher les océans, et qu'on puisse pour cela inverser le cours de l'Amazone
qui viendrait se déverser à sa source dans un gouffre sans fond à la vitesse de 200000mJ/s, il faudrait
plus de deux cent mille ans pour faire disparaître mers et océans.
2. Mais il est des terroirs qui ne sont pas quelconques : ainsi, du Médoc, cette terre que la Terre nous
envie !
l'Angleterre ; et, dans leur prolongement, par le Guidon de la Mer, les
jugements de Damme ou le Recès hanséatique pour la Manche, la
mer du Nord et la mer Baltique. Tout comme est connu le Consulat
de la mer qui, au XIVe siècle, donne une forme écrite (et catalane
- mais les Italiens réclament parfois la paternité du document) aux us
et coutumes du commerce maritime en Méditerranée'.
La marque du droit maritime, à cette époque médiévale, est son
uniformité internationale assez poussée : le droit maritime est le droit
des gens de mer, le même ou à peu près d'une mer à une autre, d'un
port à un autre, d'un pays à un autre.
Plus tard, et au résultat des guerres incessantes que se livrent les
puissances européennes pour s'assurer la domination des mers, le
nationalisme juridique va faire son apparition dans le domaine du
droit maritime, et de même que l'on distinguait et que l'on distingue
encore un droit français, un droit espagnol, un droit japonais, on voit
apparaître un droit maritime français, un droit maritime anglais, etc.
La meilleure expression, en France, de cette poussée nationaliste est
la grande ordonnance sur la marine d'août 1681, due à Colbert2: la
qualité intellectuelle tout à fait remarquable de cette œuvre ne doit
pas occulter le fait qu'elle introduisait un facteur d'insécurité dans les
relations maritimes internationales, puisqu'elle faisait perdre au droit
maritime sa belle architecture monolithique du Moyen Age. Il est vrai
que cette insécurité juridique n'était que le reflet de l'insécurité phy-
sique accrue en mer par les guerres incessantes qui s'y déroulaient et
par la pratique de la course et de la piraterie.
Cet éclatement du droit maritime dure encore aujourd'hui. Il y a
toujours un droit maritime français, un droit maritime anglais, un
droit maritime suisse... Toutefois, dès la fin du siècle dernier, la com-
munauté maritime internationale a éprouvé le besoin d'une certaine
harmonisation et d'un regain de sécurité juridique ; le marin, l'arma-
teur a besoin de connaître à l'avance la règle juridique qui lui sera
appliquée et tout ce qui contribue à lui faciliter la tâche en ce
domaine doit être encouragé : l'harmonisation internationale du droit
est l'un des éléments de la solution.
1. Sur ces documents, voir Pardessus, Collection des lois maritimes antérieures au XVIesiècle (1828-
1845).
2. R. J. Valin, Commentairesur l'ordonnance dela marine dumois d'août 1681, La Rochelle, 1756(remar-
quable réédition en fac-similé, Moreux, 1982).
6 LEDROITMARITIMEAUNEFORTEDIMENSIONINTERNATIONALE.
—L'harmonisation internationale du droit maritime est le
résultat des efforts de plusieurs instances : Comité maritime interna-
tional (CMI), Organisation maritime internationale (OMI), Conférence
des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED)
ou Conférence des Nations Unies pour le droit commercial interna-
tional (CNUDCI).
7 CMIETDROITMARITIMEINTERNATIONAL.—C'est le CMI,asso-
ciation internationale très représentative des intérêts engagés
danslemondedushipping, quis'est attelé, lepremier, àl'élaboration de
conventionsinternationales dedroitmaritimeprivé, àpartirdelafindu
XIXesiècle, dans l'espoir de parvenir à une harmonisation internatio-
nale des règles gouvernant les activités humaines enmer. L'œuvre du
CMIest immensemêmesi, bienentendu, elle estloin derecouvrirtout le
champ du droit maritime. Desconventions internationales dues à son
initiative formentle soclejuridique denombreusespratiqueset institu-
tions contemporaines du droit maritime : abordage (convention du
23 septembre 1910), assistance maritime (autre convention du 23sep-
tembre 1910), transports de marchandises par mer (convention du
25 août 1924), saisie conservatoire des navires (convention du
10mai 1952),responsabilité despropriétaires ouexploitants denavires
(convention du 10octobre 1957), parmi beaucoup d'autres questions,
nepeuventsecomprendreaujourd'huiqu'à travers l'œuvreduCMI.
Cependant, au cours des années 1960, le CMIva progressivement
perdre son statut de concepteur privilégié des conventions internatio-
nales de droit maritime. Les dernières conventions qu'il élabore ne
reçoivent qu'un accueil parcimonieux de la communauté maritime
internationale, mis à part, sans doute, la convention de Bruxelles du
10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires
de navires de mer ou, encore, la convention de Bruxelles du
23 février 1968 (dite Règles de Wisby) modifiant la convention du
25 août 1924«pour l'harmonisation decertaines règles enmatière de
connaissement». Ultimes succès, avant que le relais ne soit pris par
des organismes internationaux, émanation politique ou technique de
l'Organisation des Nations Unies.
En effet, aujourd'hui, l'œuvre unificatrice du droit maritime au
plan international est poursuivie essentiellement par deux organes
spécialisés des Nations Unies : l'Organisation maritime internationale
(OMI), dont le siège est à Londres, d'une part, et la Conférence des
Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), dont
le siège est à Genève, d'autre part, la première paraissant, au plan de
l'effectivité de ses travaux, plus performante que la seconde.
8 OMI ET DROIT MARITIME INTERNATIONAL. — L'Organisation
maritime internationale', conçue en 1948 mais effectivement
créée en 1958, fut d'abord un organe essentiellement technique, spé-
cialisé dans les questions de sécurité maritime (règles de construction
des navires, règles de navigation, règles de formation des équi-
pages, etc.). Et on ne compte plus les conventions internationales de
type technique que cet organe a pu élaborer depuis sa création.
Mais, en 1967, et à la suite de la première grande marée noire
européenne (18 mars 1967 : naufrage du Torrey-Canyon), l'OMi crée
en son sein un comité juridique doté de la mission d'élaborer les
règles permettant de traiter la question des responsabilités civiles en
cas de pollution des mers par hydrocarbures. Et puis, l'organe créant
la fonction, le comité juridique a continué, depuis cette époque, à éla-
borer des conventions maritimes internationales de droit privé, desti-
nées à se substituer, tôt ou tard, aux conventions de même nature
imaginées auparavant par le CMI. C'est ainsi que l'on doit à l'OMi,
outre deux conventions importantes en matière de responsabilité
civile ou d'indemnisation en cas de pollution des mers par les hydro-
carbures (convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 et du
18 décembre 1971), une importante convention de Londres du
19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de
créances maritimes, et, plus près de nous, mais non encore entrées en
vigueur, une convention du 28 avril 1989 sur l'assistance ainsi qu'une
convention de mai 1993 sur les privilèges et les hypothèques mari-
times. L'OMI a récemment adopté, en avril 1996, une convention sur
le transport maritime des marchandises dangereuses2, et travaille
actuellement, entre autres choses, à une réforme de la convention sur
la saisie conservatoire des navires.
1. Elle s'appelait, jusqu'en 1982, Organisation maritime consultative intergouvernementale (OMCI).
2. L'adoption de cette convention, dite convention HNS(pour : hazardousandnoxious substances) ou, en
bon français, SNPD (pour : substances nocives ou potentiellement dangereuses), initialement prévue
pour 1993, est intervenue en avril 1996.
9 LA CNUCED ET LE DROIT MARITIME INTERNATIONAL. —
L'œuvre de la CNUCED dans le domaine maritime est moins
directement efficace. Organe très politisé des Nations Unies, dominé
par les pays du Tiers Monde qui y développent un discours et une
idéologie agressifs à l'égard des grandes puissances, son œuvre appa-
raît trop dogmatique pour pouvoir s'imposer par la seule force de la
raison. En outre, la CNUCEDne sait pas toujours très bien, dans les
conventions internationales qu'elle propose à l'adhésion de la com-
munauté internationale, faire le départ entre droit privé et droit
public ; de telle sorte que d'excellentes initiatives (relevant du droit
privé) se trouvent, en fait, paralysées à raison de leur combinaison
avec des règles de droit public jugées dangereuses par les États déve-
loppés, parce que contraires à l'idée qu'ils se font de leurs préroga-
tives de souveraineté politique ou économique. C'est là, peut-être, la
raison de l'échec relatif de bonnes conventions internationales comme
la convention de Hambourg du 31 mars 1978 qui avait l'ambition de
remplacer' la convention de Bruxelles de 1924 sur les transports de
marchandises par mer, ou bien encore la convention de Genève du
24 mai 1980 sur le transport multimodal. Parmi les succès relatifs de
la CNUCED,il faut tout de même signaler la convention de Genève du
6 avril 1974 portant code de conduite des conférences d'armateurs.
10 AUTRES ORGANISATIONS INTERNATIONALES TOUCHANT AU
DROITMARITIME.—Parmi d'autres instances qui, directement
ou indirectement, s'occupent de questions relevant du droit maritime,
il faut citer l'Organisation internationale du travail, OIT (et, notam-
ment, la convention n° 147 relative aux conditions de travail des
marins), toutes les instances, aussi, qui se préoccupent de l'environne-
ment, ou, encore, un organisme comme la FAOdirectement concerné
par les problèmes de pêche. Mais cette liste est loin d'être exhaustive.
11 LE DROITMARITIMEALH ' EUREEUROPÉENNE2. —Au chapitre
de l'internationalisation du droit maritime, on ne peut passer
sous silence la lente maturation d'un droit maritime communautaire.
1. Cette convention de Hambourg est entrée en vigueur, pour les rares pays qui l'ont ratifiée, dans le
courant de l'année 1992.
2. Sur l'émergence des compétences maritimes de l'Union européenne : C. de Cet-Bertin, La réglementa-
tion communautaire des transports maritimes (évolution d'une approche), Thèse Nantes, 1995.
Au plan européen, en effet, le Traité de Rome de mars 1957 prévoyait
la mise en place de différentes politiques dans le domaine maritime :
une politique commune des pêches, d'une part, et une politique com-
mune des transports, d'autre part (art. 74 à 84 du traité). De son
côté, l'Acte unique européen des 17 et 28 février 1986, créant un Mar-
ché unique, impose une ouverture du marché maritime et renforce
donc les libertés de circulation, de prestations de services, et d'établis-
sement, dans le domaine des transports maritimes comme dans tous
les autres. Quant au traité de Maastricht, il modifie quelque peu la
procédure de prise de décision dans l'élaboration de la politique com-
mune des transports (nouvel article 75 du traité de Rome) et, pour le
surplus, donne une nouvelle compétence à la Communauté dans le
domaine de la sécurité maritime.
La politique commune des pêches maritimes est devenue assez
rapidement une réalité, puisqu'elle est amorcée depuis 1970, et se tra-
duit, au plan juridique et réglementaire, par des mesures sur la com-
position de la flotte (au travers notamment des plans d'orientation
pluriannuel - POP - visant à une réduction drastique de la flotte de
pêche en Europe), sur l'accès aux ressources (quotas, taux autorisé de
capture), sur les engins de pêche, etc. En revanche, la politique com-
mune des transports maritimes n'en est encore qu'à ses balbutie-
ments, quoique l'on note une accélération récente de l'histoire com-
munautaire dans ce domaine.
Dans un premier temps, en effet, il a semblé que les transports
maritimes (et aériens) constituaient un cas à part, dans la politique
commune des transports, puisque l'article 84 (2) du traité de Rome
réservait au Conseil des ministres de la Communauté le soin de déci-
der si des mesures appropriées devaient être prises pour ces variétés
de transports. Et on a pensé, pendant longtemps, qu'ils restaient en
dehors du champ d'application du traité de Rome, faute de mesures
spécifiques prises par le Conseil. Mais la Cour dejustice des Commu-
nautés européennes, dans un arrêt du 4 avril 19741, est venue décider,
à propos des règles nationales de composition des équipages des
navires de commerce, que les principes généraux du traité de Rome
s'appliquaient dans ce domaine comme dans tous les autres, à savoir
1. Commission des Communautés européennes c/ République française, affaire 167/73, Rec., p. 359.
les libertés de circulation des travailleurs, d'établissement et de pres-
tation de services, comme encore, par exemple, les règles concernant
la concurrence et les positions dominantes (art. 85 et 86 du traité).
Plus tard, un autre arrêt de cette même Cour', constatant la carence
du Conseil à intervenir en matière de transports, est venu lui faire
obligation de définir et développer une politique commune en ce
domaine; cet arrêt constatant la carence desinstitutions politiques de
la Communauté concernait, il est vrai, les transports routiers, ferro-
viaires et par voie fluviale, mais il paraît avoir été entendu aussi dans
le domaine des transports maritimes. En effet, depuis cette date, et
dans le prolongement de l'Acte Unique européen des 17 et
28 février 1986créant un marché intérieur unique au 1erjanvier 1993,
le Conseil des ministres de la Communauté s'est décidé à sortir du
relatif immobilisme où il s'était cantonné jusque-là, en vue de libéra-
liser le secteur des transports dans son ensemble.
Pour le secteur des transports maritimes, cela s'est traduit par
quatre règlements du Conseil du 22 décembre 19862. Au-delà de ces
règlements, d'autres projets ont été présentés par la Commission,
en 1989, en vue d'une libéralisation complète du secteur maritime,
par l'ouverture du cabotage maritime à l'intérieur de tout État
membre à tout résident de la Communauté, d'une part, par la créa-
tion d'un registre d'immatriculation européen des navires (projet
Euros), d'autre part, et par la définition dela notion d'armateur com-
munautaire, propre à bénéficier de toutes ces mesures, enfin.
De ces projets, pour l'instant (mais les choses sont très évolutives
en ce domaine et il faut rester très attentif aux mesures prises à
Bruxelles dans tous ces domaines), seul celui de la libéralisation du
cabotage intracommunautaire a vraiment pris tournure. Un accord
est intervenu entre ministres des Transports de la Communauté le
23juin 1992pour fixer le calendrier decette ouverture et pour décider
de la loi applicable au caboteur non résident dans le pays où il vient
proposer ses services (principalement la loi du pavillon ; résiduelle-
1. 22mai 1985, Parlement européen c/ Conseil des Communautés européennes, aff. 13/83, Rec., p. 1513.
2. Règlement n° 4055/86 portant application du principe de la libre prestation des services aux trans-
ports maritimes entre Etats membres et entre États membres et pays tiers ; n° 4056/86 déterminant les
modalités d'application des articles 85 et 86 du traité de Rome aux transports maritimes ; n° 4057/86
relatif aux pratiques tarifaires déloyales dans les transports maritimes ; n° 4058/86 concernant une
action coordonnée en vue de sauvegarder le libre accès au trafic océanique.
ment, pour les caboteurs de moins de 650 TJB, la loi du pays où le
cabotage est effectué).
Sans attendre cette encore hypothétique création, la Cour dejus-
tice des Communautéseuropéennes, par deux arrêts1, a décidé que les
conditions d'immatriculation des navires sur les registres nationaux
ne pouvaient plus faire référence à la nationalité des propriétaires ou
exploitants de ces navires et que devait suffire, pour obtenir l'imma-
triculation, le lieu del'exploitation effective decenavire. Une loi por-
tant diverses dispositions d'ordre maritime a tiré la leçon deces arrêts
et modifie notre droit qui subordonnait l'octroi du pavillon à des
conditions de nationalité2.
De son côté, la Commission, usant des prérogatives que lui don-
nent les articles 85 et 86 du traité et, aussi, en vertu du règle-
ment 4056/86 du 22 décembre 1986, a décidé de sanctionner par de
très lourdes amendes certains armateurs (dont un important arma-
teur français), pour des pratiques anticoncurrentielles et des abus de
position dominante sur la desserte maritime des côtes de l'Afrique de
l'Ouest.
Ledroit maritime communautaire existe donc, mêmesi nous pou-
vons, pour l'instant, le considérer comme embryonnaire. Son impact
sur le droit maritime interne se manifestera surtout, dans un premier
temps, sur les conditions d'attribution d'une nationalité aux navires,
et sur les conditions d'armement du navire ainsi immatriculé, ainsi
qu'on peut le voir dans la récente loi n° 96-151 du 26 février 1996
relative aux transports3. Il est cependant probable que la libéralisa-
tion du marché maritime devra conduire les législateurs nationaux
sur la voie d'une souhaitable quoique assez hypothétique harmonisa-
tion des règlesjuridiques applicables aux transports maritimes: cette
harmonisation juridique, qui aurait pour effet de soumettre les arma-
teurs de la Communauté à des règles à peu près comparables, passe
en effet pour l'un des moyens les plus sûrs de parvenir à poser les
bases d'une concurrence loyale entre eux.
1. Arrêt du 25 juillet 1991, The Queen c/ Secretary of State for transport, aff. C. 221/89 ; et arrêt du
4 octobre 1991,Commissiondes Communautés européennes c/ Royaume-Unide Grande-Bretagne et
d'Irlande, aff. C. 246/89.
2. Cf. n°96-151 du 26 février 1996 relative aux transports.
3. JO, 27 février, p. 3094.
III | L'AUTONOMIE DU DROIT MARITIME
12 LEDROITMARITIME,UNDROITAUTONOME?—Toute introduc-
tion au droit maritime se doit d'aborder la fameuse question
de son autonomie. On débat énergiquement, en effet, du point de
savoir si le droit maritime est une branche de droit autonome, par
rapport aux autres branches du droit, et notamment au droit privé
terrien, ou bien si, au contraire, on doit le considérer comme une
branche de droit simplement un peu particulière, qui serait, pour l'es-
sentiel, subordonnée aux règles et principes d'un droit communsupé-
rieur (qui serait sans doute le droit commercial). Detrès vives contro-
verses doctrinales ont ainsi pu se développer sur ce thème: l'enjeu en
est techniquement important.
Eneffet, siledroit maritimeestundroit autonome,il constitueàlui
seul unesciencejuridique principale, dotée desespropres règles, deses
propres principes, de ses propres techniques : s'il ya lieu à interpréta-
tiondetelle outellerègle, detelle outellenotion, ilfaut entrouverlaclé
sans aller chercher ailleurs. Si, au contraire, le droit maritime est un
droit simplement particulariste, les difficultés d'interprétation qu'il
soulève peuvent être résolues en faisant appel à des notions et à des
règles qui lui sont extérieures et supérieures ; le droit maritime, dans
cettedeuxièmehypothèse, estunesciencesubordonnée.
Pour nous entenir à la doctrine la plus récente, onpeut dire qu'un
auteur commeChauveau était favorable à l'idée d'autonomie dudroit
maritimetandis qu'unautreauteurcommeRodièreétaitplusprochede
l'idée de simple particularisme. Ce dernier estimait, assez nettement,
queledroit maritimen'était, tout comptefait, qu'une branchespéciale
dudroit commercial,et, plusprécisément, dudroit destransports.
Pour nous, la réponse à apporter à la question n'est pas uni-
voque: le droit maritime nous paraît à la fois autonome et particula-
riste. Autonome, il doit l'être chaque fois que la notion qu'il utilise
puise ses racines dans l'histoire spécifique du droit maritime (ainsi,
par exemple, pour l'avarie commune)ou chaque fois quela notion ou
la technique puise sa source dans une convention maritime interna-
tionale (abordage, transports maritimes, responsabilité des proprié-
taires ou exploitants de navires) ou dans la pratique internationale
(ex. affrètement). Mais pour le surplus, on ne peut faire l'économie
des techniques juridiques traditionnelles : le droit maritime cesse
d'être autonome lorsqu'il fait appel aux grandes techniques classiques
du droit civil ou du droit commercial (les règles de formation des
contrats maritimes sont les mêmes que celles que l'on applique aux
contrats «terriens »') ou, à plus forte raison, lorsqu'il fait appel à des
institutions de droit terrestre pour les adapter au monde maritime
(pensons, par exemple, aux hypothèques maritimes, directement ins-
pirées par le droit terrestre).
Il estjuste, cependant, de constater que si l'on réduit le droit mari-
time, comme on a tendance à le faire, au seul droit des transports
maritimes, l'autonomie de ce droit tend à se diluer dans la tentation
de n'en faire qu'une branche particulière du droit commercial2. Même
alors, cependant, comme on vient de le dire, l'origine internationale
de ce droit maritime commercial nous paraît interdire de le considérer
comme une pure dépendance du droit français des transports terres-
tres. Il faut constamment garder à l'esprit qu'une règle, dont l'origine
internationale est avérée, ne peut s'interpréter à la seule lueur des
concepts civilistes ou commercialistes du droit interne : une approche
nationaliste réintroduirait sous couvert d'interprétation les disparités
juridiques que la convention ou la coutume internationale prévalant
en la matière a eu pour but de supprimer.
1. Unmoyen commode pour connaître l'état des ratifications, adhésions ou approbations de ces conven-
tions internationales de droit maritime privé est la consultation de l'annuaire du Comité maritime
international. Comme son nom l'indique, cet annuaire est annuel !
de la convention internationale; dans ce cas, l'harmonisation est
excellente, puisque c'est le même texte qui s'appliquera, en fait, aux
litiges relevant de la convention internationale et aux litiges relevant
du droit interne. La sécurité juridique ygagne ce qu'y perd peut-être
l'élégance.
Nousvenons designaler quele droit maritime interne a fait l'objet
d'une importante et complète réforme dans le courant des années
soixante. Auparavant, il était à peu près complètement contenu dans
le livre II du Code de commerce de 1807. Ce Code, dans sa partie
maritime, était lui-mêmefortement sous influence: l'ordonnance dela
Marine de 1681 lui servait en quelque sorte d'épine dorsale, de telle
manière qu'on lui a reproché d'être vieux avant mêmeque d'être né.
Pourtant, il a assez bien résisté à l'usure du temps, malgré les phéno-
ménales transformations techniques dans le domaine dela navigation
maritime tout au long du XIXesiècle et jusqu'à nos jours (mécanisa-
tion, construction métallique). Toutefois, après la deuxième guerre
mondiale, on ne pouvait plus guère différer la mise àjour d'un droit
maritime qui, à bien deségards, remontait au XVIesiècle. Ainsi qu'on
l'a dit, c'est à Rodière que fut confiée la tâche de concevoir les avant-
projets de la réforme. Celle-ci fut menée, pour l'essentiel, entre 1966
et 1969, en plusieurs trains de lois et décrets, selon la formule désa-
gréable imposée par les articles 34et 37de la Constitution de 1958.
Dans l'ordre, sont parus :
1/ La loi n° 66-420 du 18 juin 1966 et le décret n° 66-1078 du
31 décembre 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport mari-
time;
2/ La loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 et le décret n° 67-967 du
27 octobre 1967portant statut desnavires et autres bâtiments demer;
3/ Une loi du 3juillet 1967et un décret du 19janvier 1968relatifs
aux assurances maritimes; cette loi et ce décret ont été incorporés, à
l'occasion de la codification du droit des assurances (21 juillet 1976),
dans les titres VII (partie législative et partie réglementaire) dulivre 1
du Code des assurances ;
4/La loi n° 67-545 du 7 juillet 1967 et le décret n° 68-65 du
19janvier 1968relatifs aux événements demer;
5/ La loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 et le décret n° 69-679 du
19juin 1969relatifs à l'armement et aux ventesmaritimes.
Certains de ces textes ont fait, par la suite, l'objet de quelques
modifications, parfois substantielles. Ainsi, la loi sur les contrats d'af-
frètement et de transport maritime a fait l'objet de deux modifica-
tions, d'abord par une loi n° 79-1103 du 21 décembre 1979 et,
ensuite, par une loi n° 86-1292 du 23 décembre 1986; de même, la loi
du 3janvier 1967 portant statut des navires a connu plusieurs aména-
gements importants, par les lois n° 84-1151 du 21 décembre 1984,
n° 86-1272 du 15 décembre 1986 et n° 87-444 du 26juin 1987, et, sur-
tout, n° 96-151 du 26 février 1996 relative aux transports. Le Code
des assurances, dans sa partie consacrée aux assurances maritimes, a
été modifié en 1984 (loi n° 84-1172 du 22 décembre). La loi sur les
événements de mer, pour sa part, a subi une modification (loi n° 84-
1173 du 22 décembre 1984). Quelques modifications, parfois signifi-
catives, sont attendues, notamment dans le domaine des conditions
de francisation des navires1 et dans le domaine de la limitation de res-
ponsabilité d'exploitant ou propriétaire de certains navires. Et on
parle d'une recodification du droit commercial qui, selon toute vrai-
semblance, intégrerait le droit maritime interne, à l'image de son
prédécesseur.
Bien entendu, les lois et règlements intervenus dans le cadre de
cette réforme importante du droit maritime n'épuisent pas tout le
droit maritime ; il existe des quantités d'autres textes qui, sur tel ou
tel point, complète l'ordre juridique français dans notre domaine. On
renvoie, pour une idée d'ailleurs partielle de ces textes complémen-
taires, au recueil des textes du droit maritime français (au 1erjan-
vier 1988) édité, à l'initiative de l'Association française du droit mari-
time, par les revues «droit maritime français» et «journal de la
marine marchande ».
16 AUTRESSOURCESDUDROITMARITIME.—La pratique interna-
tionale est une autre source de connaissance du droit maritime
contemporain. Dans de très nombreux domaines, il est fait appel à
des contrats types, élaborés par des organismes professionnels ou des
associations, et qui sont d'un emploi très courant : contrats types
d'affrètement, contrats types d'assurance, contrats types d'assis-
tance, etc. Nous en reparlerons à chacune des rubriques concernées.
1. Cf. Loi n° 96-151 du 26 février 1996 relative aux transports, JO, 27 février.
Une autre source importante du droit maritime est, comme ail-
leurs aujourd'hui, la jurisprudence. Bien entendu, la jurisprudence de
la Cour de cassation est d'un intérêt particulier, même si les magis-
trats de notre Cour suprême ont parfois quelque mal à infléchir leur
mode de raisonnement «terrien» pour tenir compte des spécificités
du monde maritime. La jurisprudence étrangère, notamment anglo-
saxonne, est toujours d'un précieux secours. Dans le même registre, il
faut savoir que l'arbitrage est une ressource fréquente pour la solu-
tion des procès maritimes : cependant, l'accès relativement confiden-
tiel aux sentences qui sont ainsi obtenues en rend l'utilité plus aléa-
toire. La France s'est dotée d'un bon outil en vue de participer aux
arbitrages dans les affaires maritimes : la chambre arbitrale maritime
de Paris ; mais, comme presque toujours en notre domaine, c'est la
place de Londres que l'on doit considérer comme le pôle majeur d'at-
traction.
17 LA DOCTRINE FRANÇAISE. — La pensée maritimiste française
n'est pas négligeable et tient une place honorable dans le
concert international. Quelques grands noms de la littérature juri-
dique émergent dans le domaine du droit maritime. Pour nous en
tenir au xxe siècle, il faut connaître Bonnecase, professeur à Bor-
deaux, et Ripert, auteur d'un prestigieux traité de droit maritime en
trois tomes (1949-1958), qui continue, au moins au plan théorique, à
faire autorité. Plus près de nous, Chauveau (Traité de droit maritime,
1958), à un moindre titre de Juglart et, surtout, Rodière (Traité géné-
ral de droit maritime, en sept volumes) peuvent être considérés comme
les maritimistes de la deuxième moitié du XXEsiècle. Parmi les auteurs
vivants, des noms comme ceux de Pierre Bonassies, Emmanuel du
Pontavice, Martine Rèmond-Gouilloud ou Yves Tassel doivent être
connus et lus. Aux côtés de ces universitaires, une place non négli-
geable doit être faite aux praticiens qui, dotés d'une solide expérience
pratique, ont su transmettre leurs connaissances dans des ouvrages
d'une utilité remarquable : sans chercher à les énumérer tous, on
pense à des auteurs comme Lureau, qui, dans le domaine des assu-
rances maritimes, a occupé une place de tout premier rang ; ou Ray-
mond Achard, solide chroniqueur de la revue le Droit maritimefran-
çais (DMF).
18 AUTRESSOURCES.—Nous venons de citer la revue DMFqui
est la référence obligée en droit maritime français. D'autres
revues spécialisées peuvent ou doivent être consultées : le Bulletin des
transports ou la Revuededroitfrançais, commercial, maritime etfiscal
et, à un moindre titre, le Journal de la marine marchande. Bien
entendu, les revues juridiques classiques (Dalloz Sirey, Semainejuri-
dique, Gazette du Palais, etc.) rapportent à l'occasion des décisions
relatives à des affaires maritimes ou publient chroniques ou notes de
jurisprudence dans ce domaine. Constitue également une source très
intéressante l'Annuaire de droit maritime et aéro-spatial (ADMA),
édité par le centre de droit maritime et aérien de la faculté de droit et
des sciences politiques de l'Université de Nantes (son douzième
volume, Études en hommage au P' Mircea Mattesco-Matte, a été
publié en 1993). Cet annuaire est désormais édité sous le titre d'An-
nuaire dedroit maritime (ADM).
IV | ANNONCE DU PLAN
II / Point à débattre.
22 L'AUTONOMIE DU DROIT MARITIME. —La question clé de toute introduction
au droit maritime est celle de sa place et de son avenir dans l'ordonnancement juri-
dique. C'est la question de l'autonomie du droit maritime.
Tous les auteurs discutent de l'autonomie ou du particularisme ; chacun, au-delà de ses
positions personnelles, reconnaît à cette branche du droit une originalité irréductible. Trois
facteurs sont essentiellement présentés comme devant conduire à l'autonomie, au point de
faire du droit maritime une science principale : le facteur historique, par lequel on montre
que l'origine du droit maritime est autonome par rapport à celle du droit terrestre ; le fac-
teur géographique par lequel on montre que le droit maritime est appelé à s'appliquer dans
un monde hostile et étranger au monde terrien ; et le facteur international, d'ailleurs lié au
précédent, par lequel on montre que le droit maritime est par essence celui des relations
internationales et qu'il se doit, dans un souci de sécurité, de proposer des solutions aussi
universelles que possible, tranchant par le fait même sur le nationalisme, le chauvinisme
inhérent des systèmes juridiques territoriaux.
Qu'en penser ? Si l'histoire a certainement une vertu pédagogique, il faut tout de même
relativiser son rôle en droit positif. Ce n'est pas parce que les Phéniciens, les Égyptiens, les
Grecs ou les Romains ont eu telle ou telle initiative originale, que la règle en résultant soit
nécessaire à notre temps. On explique l'origine de la règle, mais pas nécessairement sa per-
tinence contemporaine, sauf à la passer à l'épreuve de la critique. Si le péril de la mer,
conséquence traditionnelle du milieu dans lequel se déploie l'activité maritime, conditionne
le droit maritime, c'est dans la mesure de son intensité : or, le risque de mer reculerait au
fur et à mesure qu'avancerait le progrès technique. Ces deux premiers facteurs de l'autono-
mie du droit maritime ont donc perdu un peu de leur acuité persuasive. En revanche, plus
que jamais, le troisième facteur, le facteur international, paraît rendre nécessaire l'autono-
mie contemporaine de nombre d'institutions du droit maritime. L'économie mondiale
repose sur les échanges internationaux par voie maritime : les statistiques sont là pour
prouver à quel point la société moderne est dépendante du commerce sur mer, et, dans une
certaine mesure, de la pêche en mer ; il n'est pas jusqu'à la plaisance pour se mouvoir dans
les espaces prétendument infinis des océans, pour ne rien dire de la recherche scientifique.
Cette dimension internationale des activités humaines en mer conduit à les inscrire dans un
cadre uniforme : il n'est de sécurité juridique possible que si le marin sait, à tout instant, à
quelle règle il sera accommodé. Mais on voit alors que le droit maritime se détache inéluc-
tablement de tout système juridique terrien qui prétendrait l'annexer.
Dès lors, la réponse à la question de l'autonomie du droit maritime paraît couler de
source : c'est une réponse normande, et il en coûte à un Girondin de le reconnaître. Chaque
fois que l'institution, la notion, la règle à appliquer est d'origine internationale, y compris
dans ses transpositions en droit interne, cette institution, cette notion, cette règle doivent
être considérées comme autonomes par rapport au droit terrien, a fortiori si l'histoire le
recommande, et si la géographie l'explique. Chaque fois, au contraire, que la technique ou
la règle paraît appartenir à un vieux fonds commun de principes juridiques, il n'y a pas d'in-
convénients à l'y rattacher, quitte à dire que le droit maritime n'est plus alors que particu-
lariste : ainsi, par exemple, on peut sans trop de complexes faire appel à la théorie des vices
du consentement du droit civil pour analyser la validité de la fonnation d'un contrat
d'affrètement.
A quel point cette originalité est-elle menacée par les modifications des conditions tech-
niques de l'exploitation des navires, et par l'amélioration permanente (au moins « sur le
papier ») de la sécurité de la navigation maritime ? Voilà où les auteurs se partagent. Un
point est cependant sûr : le droit maritime subit aujourd'hui de plein fouet l'impact des
nouvelles préoccupations environnementales, et nombre de ses notions ou institutions se
trouvent assez profondément perturbées. Alors que le droit maritime classique s'est cons-
truit essentiellement pour tous ceux qui, à un titre quelconque, s'exposaient au risque de la
mer (propriétaire de navire, marins et gens de mer, marchands affréteurs ou chargeurs, etc.)
parce que l'expédition maritime ne paraissait concerner que ces seuls intérêts, il n'en est
plus de même aujourd'hui. L'expédition maritime ne fonctionne plus en vase semi-clos. Les
catastrophes maritimes mettent désormais en cause des personnes et des biens qui n'ont
aucune attache directe avec le monde de la mer. Or le droit maritime classique a développé
des techniques, au premier rang desquelles la limitation de responsabilité, dont Ripert disait
qu'elle était la clé de voûte du droit maritime tout entier, que le terrien à qui elle est occa-
sionnellement opposée ne peut comprendre. Par ailleurs, les progrès de la technologie
contribuent à banaliser assez largement les conditions de cette exploitation : certains
auteurs vont même jusqu'à prétendre que le risque de mer n'existe pratiquement plus en
tant que tel et que l'accident maritime n'est plus aujourd'hui une fatalité parce qu'il n'est
dû, le plus souvent, qu'à une carence humaine (cf. Declercq, La réparation des accidents du
travail maritime, Thèse Nantes, 1993).
LIVRE PREMIER
LE DANGER DE LA MER
Introduction
23 LE PÉRILDEMER,ÉLÉMENTCENTRALDUDROITMARITIME. —
Le péril de mer est l'élément d'originalité essentiel du droit
maritime, et qui conduit à mettre en place des règles juridiques spéci-
fiques. Il est donc juste de le traiter comme l'une des clés de voûte du
droit maritime. C'est, à la mer, une réalité de tous les instants'.
Qu'est-ce que le péril de mer? Vers quelles conséquences entraîne-t-il
dans les cas extrêmes ?
III 1LESTRIBUNAUXMARITIMESCOMMERCIAUX
27 Événements de mer et accidents maritimes sont souvent reliés
par la faute humaine, faute de navigation, faute contre la disci-
plineenprésenced'undanger, etc. Cesfautes sont susceptiblesdecons-
tituer des infractions pénales (ou disciplinaires) qui, le moment venu,
devrontêtrejugées. Sicesfautes sontdescrimes,cesontlesjuridictions
du droit commun, les cours d'assises, qui sont compétentes (art. 25
CDPMM).Dèslors quecesinfractions nesont quedesdélits, le tableau
judiciaire se complique: à côté des tribunaux correctionnels, investis
d'une compétence générale pourjuger ces infractions, existent eneffet
lestribunauxmaritimescommerciaux(TMC).Bienmalnommés,cestri-
bunaux maritimes commerciaux (que l'on devrait appeler les tribunaux
maritimes pénaux) sont, en effet, desjuridictions d'exception destinées
àjuger les infractions maritimes, c'est-à-dire les infractions nautiques et
certaines infractions, les plus graves, contre la discipline du bord, en
vertu d'une compétence spéciale fixée par le Code disciplinaire et pénal
de la marine marchande. Parce quejuridictions pénales d'exception, il
est de bon ton de les déconsidérer, et d'autant plus que leur procédure
n'est pas tout à fait respectueuse des canons inspirés par les droits
modernes de la défense (impossibilité de l'appel, exclusion des parties
civiles, absence de motivation, cumul de certaines fonctions d'instruc-
tion et de ministère public, etc.). Mais leursjusticiables, les marins, les
aiment, ou, du moins, tendent à les préférer aux tribunaux correction-
nels : mieux vaut donner à laver son linge sale à des gens de la famille !
Leur histoire en témoigne :tel un phare à éclipses (voire à occultations),
le tribunal maritime commercial est un «phénix»' perpétuellement
renaissant de sescendres. Supprimés en 1791, rétablis en 1852et renfor-
cés en 1891, à nouveau supprimés en 1926, ils réapparaissent en 1939
(décret-loi du 20juillet 1939 modifiant les articles 88et s. du CDPMM),
pour semaintenir ensuite contre vents et arrêts2jusqu'à nosjours. Leur
réforme la plus récente, modifiant assez sensiblement leur composition,
d a t e d ' u n e loi n° 93-1013 d u 24 a o û t 19933.
1. M. Rèmond-Gouilloud, n° 197.
2. La jurisprudence de la Cour de cassation, appelée à juger des conflits positifs de compétence entre le
TMCet le tribunal correctionnel, lorsque les mêmes faits sont susceptibles d'être qualifiés infractions
maritimes et infractions de droit commun, donne systématiquement compétence aux tribunaux cor-
rectionnels. En ce sens: Cass. crim., 29janvier 1957, Rolla III, BOmar. march., 1957, p. 207; 30jan-
vier 1980, Bull. crim, n° 42.
3. P. Bonassies, Le droit positif en 1993, DMF, 1994, p. 9, n° 4.
4. Paris, 4juillet 1956, Champollion, D., 1956, p. 686, note Ripert ; DMF, 1956, p. 584, note Ripert.
5. Avec un problème de représentation particulier lorsque le prévenu est un plaisancier, poursuivi pour
abordage ou échouement de son navire, par exemple. Dans ce cas, son «pair » sera un capitaine de
navire de commerce ayant une expérience personnelle de la plaisance.
29 COMPÉTENCE.—La compétence territoriale des TMCest fixée,
en dernier lieu, par un décret n° 93-1236 du 15novembre 1993.
Il existe un TMCaux chefs-lieux de quartier des affaires maritimes, en
France métropolitaine.
Quant à leur compétence d'attribution, les TMCavaient, à l'ori-
gine, une double compétence, disciplinaire et pénale. Aujourd'hui, on
doit considérer que le volet pénal de leur compétence est nettement
plus affirmé que leur compétence disciplinaire (art. 36 et 36 bis
CDPMM).Cela n'est pas sans conséquence sur la solution à apporter à
la difficile question de l'autorité de chose jugée de ses décisions.
30 AUTORITÉDELACHOSEJUGÉE.—Grave question et qui a beau-
coup agité le Landemeau : les décisions des TMCdoivent-elles se
voir attachées l'autorité habituellement reconnue aux décisions
pénales ?Auvrai, onn'en ajamais douté pour les décisions decondam-
nations : lorsqu'un TMC, en condamnant, met en évidence l'honneur
perdu d'un capitaine, cette décision sera respectée dans tous les autres
procès pendant en attente de cette condamnation. Mais s'il s'agit d'un
acquittement? Des tribunaux chargés de se prononcer au civil ont
considéré que cette décision neles liait pas ; d'autres, aucontraire, met-
tant l'accent sur le côté répressif de la décision, y ont attaché la même
autorité que celle que l'on reconnaît habituellement à ce genre de déci-
sions. La doctrine est partagée. La solution est sans doute la suivante,
et qui doit tenir compte de l'étroitesse de la compétence reconnue au
TMC: appelé àjuger d'une infraction technique, le refus de reconnaître
cette infraction interdit à une autre juridiction de la tenir pour com-
mise, mais ne lui interdit pas de considérer que les mêmes faits, saisis
sous un autre angle, peuvent recevoir une autre qualification et
conduire, au civil, à une condamnation à réparation fondée sur une
faute civile ou une autre cause de responsabilité. Ainsi que le relève
Rodière1, l'autorité dela chosejugée par le TMCest fonction de cequi a
été nécessairement et certainement jugé : à inculpation large, autorité
forte ; à inculpation étroite, autorité réduite. Le débat s'alimente des
mêmes arguments que ceux que l'on développe, en droit terrestre, à
propos del'unité de la faute civile et dela faute pénale2.
1. Événements demer, n° 39.
2. La thèse classique est : A. Pirovano, Faute civile etfaute pénale, Thèse Aix, 1966, avec la préface de
P. Bonassies.
Pour aller plus loin
1. Caen, 19 octobre 1987, DMF, 1988, p. 743, et observations P. Bonassies, Le droit positif en 1988,
DMF, 1989, p. 17, n° 13. Il s'agissait de l'éperonnage volontaire d'un yacht par un des chalutiers pré-
tendant interdire l'entrée et la sortie d'un port.
time s'appliquent «sans qu'il y ait lieu de tenir compte des eaux où il
s'est produit» (art. 1, convention; art. 1, al. 2, loi 1967). Cette défini-
tion impose d'ailleurs que l'on se fasse une idée précise de la notion
de navire ; c'est l'un des intérêts de l'étude qui en sera faite1.
Pour la loi interne, la définition de l'abordage est beaucoup plus
large : s'il y a abordage, comme dans le cas précédent, en cas de colli-
sion entre navires «de mer» ou entre navires «de mer»et bateaux de
navigation intérieure (art. 1, al. 1), l'alinéa 2 de ce même article élar-
git assez considérablement le champ d'application du régime en assi-
milant soit au navire, soit au bateau de navigation intérieure «tout
engin flottant non amarré à poste fixe ». Cette extension soulève au
moins deux questions spécifiques au droit interne :
— Peut-on appliquer le régime de l'abordage à la collision de deux
engins flottants non amarrés à poste fixe, lorsque ni l'un ni l'autre
n'a, à l'évidence, la nature d'un navire «de mer»? La cour de
Rennes le pense, qui applique la loi de 1967 à l'accident mettant
en cause deux planches à voile, mais nous tiendrons cette solution
p o u r erronée2.
— Que d o i t - o n considérer c o m m e u n engin flottant « n o n a m a r r é à
poste fixe » ? Bien qu'il y ait p e u de j u r i s p r u d e n c e à ce sujet, n o u s
dirons qu'est u n engin flottant « n o n a m a r r é à poste fixe », l'engin
qui, p o u r être opérationnel, suppose qu'il soit en d é p l a c e m e n t ;
r é p o n d e n t alors à cette définition tous les engins qui, destinés à se
déplacer a u cours de leur exploitation, s o n t de t e m p s à a u t r e pro-
visoirement a m a r r é s (à u n quai, p a r exemple : cas d u navire en
escale d a n s u n port)3.
Section II
Responsabilité civile en cas d'abordage
36 ABORDAGESFORTUITSOUDOUTEUX,ABORDAGESFAUTIFS. —
Indépendamment de la responsabilité pénale de l'auteur d'un
abordage fautif (art. 81 CDPMMet autres infractions de droit com-
mun: coups et blessures, homicides involontaires, etc.), que ni la
convention ni la loi précitées ne traitent, l'abordage soulève essentiel-
lement un problème de responsabilité civile. Or, le régime mis en
place par la convention, bien suivi par la loi, repose sur des distinc-
tions qui contribuent à le séparer nettement de la responsabilité civile
du droit commun. Les textes du droit maritime opposent, en effet,
l'abordage par cas fortuit ou de force majeure3 ou l'abordage dou-
teux, d'une part, à l'abordage pour faute prouvée, d'autre part.
1. Dijon, 3 novembre 1992, Jurisdata n° 051189, affaire rendue intéressante par le fait qu'il s'agissait du
chavirage d'une barque provoqué à distance par le remous d'un hors-bord «habilité à la navigation
maritime ».
2. Aix, 14septembre 1984, DMF, 1985, p. 601, obs. P. Bonassies; Cass. com., 7avril 1987, DMF, 1988,
p. 670.
3. Le concept jurisprudentiel de force majeure est, là comme ailleurs, abusivement restrictif: la rupture
de son amarrage, préalablement renforcé dans lesrègles de l'art, par un méthanier amarré dans le port
de Sète, au cours d'une tempête dont la Méditerranée a le secret, ne peut constituer un cas de force
majeure, puisque le coup de vent, de force 10 à 12, avait été annoncé par la météorologie nationale
(qui ne s'était pas trompée cette fois-là) ; du même coup, l'événement manquait de l'imprévisibilité
nécessaire pour constituer un cas de force majeure : Cass. com., 16octobre 1990, Benjamin Franklin,
DMF, 1991, p. 577.
— Lorsque l'abordage survient par cas fortuit ou par force
majeure, ou lorsque l'on ne parvient pas à s'expliquer sur les causes
de l'accident (abordage douteux), la règle est alors que chacun sup-
porte son propre dommage.
— Il n'y a obligation à réparation que dans le seul cas d'abordage
fautif. Encore convient-il alors de distinguer selon que la faute de l'un
des deux navires1 seulement est prouvée ou bien la faute des deux.
Dans le premier cas, seul le navire dont la faute est prouvée est tenu à
réparation ; dans le second cas, il y a lieu à partage de responsabilité,
en fonction de la gravité respective des fautes commises par chacun (si
le dosage ne peut pas être effectué avec certitude, ce sera le 50%salo-
monien). La charge de cette preuve repose sur celui qui prétend à
l'existence d'une faute ; aucun des plaideurs, aucun des navires ne
bénéficie d'une quelconque présomption : ainsi, le fait pour un navire
d'être au mouillage alors que l'autre était en mouvement à l'instant
où l'abordage s'est produit ne débouche sur aucune présomption de
faute2. Quant aux modalités de la preuve, il faudra porter une atten-
tion particulière aux rapports de mer que chacun des capitaines aura
déposés après l'accident3.
37 EXCLUSION DES RÈGLES DE LARESPONSABILITÉ DU FAIT DES
CHOSES.—Comme l'abordage met en cause des navires ou des
engins flottants qui, dans la classification juridique, sont des choses,
ce régime de responsabilité à base de faute prouvée écarte toutes les
solutions actuellement rattachées par le droit terrien à la responsabi-
lité civile du fait des choses. La qualification «abordage », de ce point
de vue, est extrêmement grave de conséquences, car l'article 1384,
al. 1 C. civ. retrouve son empire (si la loi française est compétente)
1. «Faute du navire »: c'est l'expression des textes (art. 3L. et C.). Certains se sont emparés de la for-
mule pour construire une théorie d'après laquelle le navire pourrait se trouver en faute pour s'être
trouvé en situation anormale au moment de l'abordage, sans qu'il yait lieu de rechercher si son équi-
page avait ou non commis une erreur (R. Garron, La faute du navire dans le droit de l'abordage,
DMF, 1964, p. 579). Cette thèse, qui joue sur les mots, ne peut convaincre : une chose ne peut pas
commettre de faute ; ce sont les personnes qui l'utilisent qui peuvent commettre des erreurs de
conduite. Cette théorie avait pour objectif de contourner les exigences légales en matière de faute
prouvée et de rapprocher le régime de l'abordage de ce que permet l'article 1384, al. 1C. civ. C'est
évidemment une trahison des textes.
2. Le navire au mouillage peut très bien être la cause de l'abordage : mouillage de nuit, sans éclairage,
dans un chenal de navigation, par exemple.
3. Voir infra,
de mer liv. contradictoires.
seront II, chap. 2: «Lecapitaine ». Souvent, un abordage sera douteux parce que les rapports
pour les dommages causés par un navire lorsque les conditions d'un
abordage ne sont pas réunies : par exemple, pour les dommages
causés par un navire à des installations portuaires ou à tous autres
biens qu'on ne peut considérer comme engins flottants non amarrés à
poste fixe.
. 38 CORESPONSABILITÉETSOLIDARITÉ. —En cas d'abordage dû à
la faute commune de deux ou plusieurs navires, ces navires
sont-ils solidairement responsables des dommages causés aux tiers?
La loi distingue entre les dommages matériels et les dommages corpo-
rels. Pour les dommages matériels, les navires coresponsables ne sont
pas solidairement tenus à la réparation (art. 4, al. 2) ; pour les dom-
mages corporels, au contraire, la loi pose le principe d'une solidarité
(art. 4, al. 3).
39 COMPÉTENCEJUDICIAIRE. —Il existe deux conventions inter-
nationales du CMI(Bruxelles, 10mai 1952), l'une sur la compé-
tence pénale en matière d'abordage, fruit direct de l'affaire du Lotus'
qui défraya la chronique dans les années 1926-1927, l'autre sur la
compétence civile.
En matière pénale, la règle, simple, est que les infractions pénales
commises à l'occasion d'un abordage sont de la compétence exclusive
de l'État du pavillon, sauf d'ailleurs abordage dans les ports, rades ou
eaux intérieures d'un État étranger.
En matière civile, cela est un peu compliqué par la superposition
de la convention de 1952 précitée et de la convention européenne du
27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution
des décisions en matière civile et commerciale (cette dernière conven-
tion ne s'appliquera que par défaut, lorsque la convention de 1952 ne
s'appliquera pas). En supposant que la convention de 1952 s'ap-
plique, le demandeur a le choix d'assigner le défendeur devant les tri-
bunaux soit de la résidence de ce défendeur, soit du lieu où le navire
1. Abordage en haute mer, le 2 août 1926, du paquebot français Lotus et du charbonnier (à voile) turc
Bozkourt, faisant plusieurs victimes turques. A l'escale à Istanbul (alors Constantinople), l'officier
français responsable avait été arrêté, jugé et condamné aux geôles turques (Midnight Express). Grand
émoi, saisine de la Cour permanente dejustice internationale, qui retient la thèse turque de la compé-
tence turque, à raison de la nationalité turque des victimes (arrêt du 7septembre 1927); cf. Rodière,
Événements de mer, n° 100.
(ou un autre navire appartenant au défendeur) a été saisi après l'acci-
dent, soit du lieu de l'abordage. C'est, grosso modo, la solution
retenue par l'article 1erdu décret du 19janvier 1968 relatif aux événe-
ments de mer, qui ajoute cependant aux juridictions potentiellement
compétentes celle du port de refuge.
40 PRESCRIPTION. —La prescription des actions nées de l'abor-
dage est de deux ans à compter de l'événement (art. 7 de la
convention et de la loi). Les actions récursoires (par exemple, en cas
de dommages corporels dus à la faute des deux navires, lorsqu'un seul
a été poursuivi et condamné à l'intégrale réparation) peuvent être
exercées pendant un an après paiement de l'indemnité. Ces délais ne
sont pas considérés comme d'ordre public : leur bénéficiaire doit donc
les invoquer. Il faut signaler, outre les causes habituelles de suspen-
sion et d'interruption de ces prescriptions, une cause originale de sus-
pension : l'impossibilité de saisir le navire «fautif» dans les eaux sou-
mises à la juridiction française.
41 BIBLIOGRAPHIE. —P. Chauveau, Traité de droit maritime, Litec (1958), nos 576
et s. ; R. Garron, La faute du navire dans le droit de l'abordage, DMF, 1964,
p. 579 ; M. Rèmond-Gouilloud, Droit maritime, nos 387 et s. ; Rodière, Traité général de
droit maritime. Les événements de mer, nos 8 et s. avec, spécialement, l'importante bibliogra-
phie citée p. 17, n. 1; La faute dans l'abordage, DMF, 1971, p. 195 ; La compétence des tri-
bunaux français en matière d'abordage et la convention de Bruxelles de 1968, RCDIP,
1979, p. 341 ; Rodière et du Pontavice, nos 433 et s. ; Y. Tassel et al., Droits maritimes,
p. 348 et s. ; D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, Abordage, J.-Cl. com., fasc. 1232 et s.
(1989) ; J. Villeneau, La fixation des dommages-intérêts en matière d'abordage, DMF,
1987, p. 195.
R. Sturt, Collision Regulations, 3e éd., LLLP.
42 DISCUSSION. — Faut-il s'étonner du régime de la responsabilité civile encourue
en cas d'abordage ? En 1996, il peut paraître étonnant que les « bienfaits » de la
responsabilité objective, du fait des choses, n'aient pas irradié le traitement juridique de cet
accident maritime. Pourtant, la communauté maritime internationale reste attachée à ce
mécanisme. Peut-être faut-il se garder de francomorphisme juridique et re-situer le pro-
blème dans son contexte historique et international. La convention du 23 septembre 1910
date.... de 1910 ! Étonnant, non? On évolue alors, même en France, dans un système de
responsabilité civile fondé sur la faute prouvée. C'est, au plan international, une espèce de
dénominateur commun. La responsabilité civile du fait des choses, du type de celle que la
Cour de cassation vient de découvrir, en 1896, dans une affaire aquatique rappelant
Sommaire
L E D A N G E R D E LA M E R
L'ABORDAGE ET LES AUTRES ACCIDENTS DE LAMER
LA SOLIDARITÉ ORGANISÉE : LES ASSURANCESMARITIMES
LA LIMITATION DE RESPONSABILITÉ DU PROPRIÉTAIRE
OUDE L'EXPLOITANT D'UN NAVIRE
LES P R O F E S S I O N S M A R I T I M E S
L'ARMATEUR
LES MARINS
LES AUXILIAIRES TECHNIQUES DE LARMATEUR :
PILOTAGE ET REMORQUAGE
LES AUXILIAIRES COMMERCIAUX DE LARMATEUR :
CONSIGNATAIRES, COURTIERS, COMMISSIONNAIRES ET TRANSITAIRES
L E S B Â T I M E N T S DE M E R
NOTIONS FONDAMENTALES
LE STATUT DUNAVIRE
L'EXPLOITATION COMMERCIALE
DES NAVIRES
LESCONTRATS D'AFFRÈTEMENT
Généralités et règles communes
Les différents contrats d'affrètement
LES CONTRATS DETRANSPORTMARITIME
Le contrat de transport de marchandises par mer
Le déplacement maritime des personnes
Les ventes maritimes
228 FF 22412723/10/97
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