Coda
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après "Khaos, Itinéraire d’un quidam", son premier roman autobiographique, Stéphane Vedovato-Mauge poursuit son exploration de l’un de ses thèmes de prédilection : la place essentielle de la culture dans nos vies. À travers les arts, la peinture, la photographie et la littérature, il met en lumière ce qui, selon lui, constitue à la fois le témoignage universel de l’humanité et un socle indispensable à la construction personnelle.
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Aperçu du livre
Coda - Stéphane Vedovato-Mauge
Chapitre 1
Lorenzo
Palerme, Italie, octobre 1959
Palerme, en 1959, est une ville divisée entre tradition et modernité, une métropole où le développement urbain incontrôlé côtoie la précarité de nombreux habitants. Pour les familles modestes, la vie quotidienne est un combat constant contre les difficultés économiques, les pressions sociales et surtout la présence étouffante de la mafia, qui infiltre tous les aspects de l’existence.
Adolescente, Claudia rêve encore. Elle rêve d’un prince charmant capable de l’arracher à la pauvreté dans laquelle elle vit depuis toujours. Ses parents l’aiment, ils l’ont toujours aimé avec ses frères. C’est le seul cadeau qu’ils leur ont offert sans retenue. Le seul qu’ils pouvaient. Pas d’argent. À peine de quoi vivre. Péniblement.
Les Morello sont une famille de cinq personnes. Giuseppe, le père, travaille comme ouvrier sur les chantiers de construction. Anna, sa femme, est mère au foyer. Leurs trois enfants, Pietro, dix-neuf ans, Claudia, seize ans, et Mario, six ans, vivent avec eux dans un petit appartement exigu au troisième étage d’un immeuble situé en périphérie de Palerme. Ce bâtiment, construit à la hâte dans le cadre du développement anarchique de la ville, porte déjà les stigmates de la corruption et de la spéculation immobilière.
La vie des Morello est marquée par des difficultés économiques. Giuseppe, malgré ses efforts, peine à subvenir aux besoins de tous. Son salaire d’ouvrier est irrégulier, dépendant des chantiers disponibles, et souvent insuffisant pour couvrir les frais quotidiens : nourriture, vêtements, et surtout l’éducation des enfants. Éduquer, former, instruire… L’apprentissage ne se limite pas à l’acquisition de connaissances, mais englobe aussi les bonnes manières, les usages de la société, le savoir-vivre. Anna, de son côté, passe ses journées à gérer le ménage tout en essayant d’arrondir les fins de mois en faisant quelques travaux de couture pour les voisines du quartier.
L’appartement est simple et modeste. Les murs fissurés témoignent de la piètre qualité des constructions réalisées à la va-vite pour répondre à la demande croissante de logements. Le mobilier est ancien, rafistolé, et chaque espace est optimisé pour accueillir les cinq membres de la famille. Pourtant, malgré cette austérité, l’atmosphère y est empreinte de chaleur et de tendresse. La table, installée dans la pièce qui fait office de cuisine, salle à manger et salon, est le lieu de rassemblement, où tous se retrouvent autour des plats préparés par Anna, notamment les pasta con le sarde, une spécialité sicilienne.
Le quartier est marqué par une forte solidarité entre les habitants. Les familles démunies, qui forment la majorité de la population, s’entraident pour surmonter les difficultés du quotidien. Les voisins se connaissent bien, échangent des denrées, des services et des conseils. Anna, après ses travaux de couture, passe ses après-midis à discuter avec les autres femmes du quartier. Elles se retrouvent au marché de Ballarò, vibrant d’animation, rythmé par les abbanniate, ces appels bruyants des vendeurs qui, avec leur accent local chantant, tentent d’attirer les passants, ou bien devant les portes des immeubles. Ces conversations sont l’occasion de partager les dernières nouvelles de la ville, de s’informer sur les meilleurs moyens de s’en sortir, d’échanger des astuces pour économiser ou encore de se plaindre des prix exorbitants des denrées alimentaires.
Les enfants jouent dans les rues, encore peu fréquentées par les voitures. Pietro, l’aîné, aide parfois son père sur les chantiers durant les week-ends ou les vacances, bien qu’Anna veille à ce qu’il poursuive ses études dans l’espoir d’un avenir meilleur. Mais pour beaucoup de jeunes garçons du quartier, l’école reste un rêve lointain. La plupart abandonnent tôt les bancs de classe pour travailler et soutenir leur famille.
Claudia, elle, a des rêves bien différents. Fascinée par les histoires diffusées à la télévision, un objet absent dans l’appartement familial, mais accessible chez une voisine, elle s’évade en regardant les émissions italiennes en noir et blanc. Elle imagine un monde au-delà de Palerme, une vie autre de celle de sa mère. Mais Anna sait que ceux de sa fille seront difficiles à réaliser dans une société profondément patriarcale.
La mafia sicilienne joue un rôle majeur dans la spéculation immobilière, intervenant de trois manières : en servant d’intermédiaire dans l’achat et la vente des terrains, en acquérant des parcelles pour les revendre après les avoir loties, et en influençant l’aménagement du territoire communal grâce à la complicité du personnel politique et administratif. Pour les clans mafieux, c’est non seulement un formidable moyen d’enrichissement, mais aussi une occasion de renforcer les liens qu’ils entretiennent avec le monde politique et l’entrepreneuriat local. Ce phénomène est connu sous le nom de sac de Palerme.
La Cosa Nostra exerce dès lors une influence considérable sur la vie de la ville. Pour les familles dans la nécessité comme celle des Morello, la mafia est une présence aussi palpable qu’invisible, une menace sourde qui plane sur le quotidien sans qu’on puisse toujours la nommer. Giuseppe en est particulièrement conscient. Sur les chantiers où il travaille, il sait que les patrons qui embauchent les ouvriers sont souvent liés à la mafia.
Chaque mois, Giuseppe entend parler de collègues contraints de payer le pizzo, un impôt clandestin, un pot-de-vin exigé par la mafia en échange d’une protection, ou simplement pour pouvoir continuer à travailler. Lui-même n’a pas encore été directement ciblé, mais il sait que cela peut arriver à tout moment. La peur est omniprésente, car ceux qui refusent de payer s’exposent à des représailles violentes, voire à la mort. Il évite d’en parler à sa famille, préférant les préserver de cette réalité brutale.
Dans le quartier, tout le monde sait qui travaille pour la mafia, mais personne n’ose le dire ouvertement. L’omerta, la loi du silence, est une règle tacite respectée par tous, dictée par la peur des répressions. La violence est souvent invisible, mais elle rôde dans chaque coin de rue. On sait que des hommes puissants, souvent impeccablement habillés, viennent parfois rendre visite à certaines familles. Ce sont des capos, des hommes de main de la mafia qui veillent à ce que chacun reste à sa place. On les respecte autant qu’on les redoute.
Pietro est en première ligne pour observer les effets de la mafia dans le quartier. Certains de ses amis, plus âgés, se sont laissé entraîner dans des activités illégales. L’argent facile et rapide est une tentation puissante, une échappatoire à la misère. Pietro est tiraillé entre son désir d’aider financièrement sa famille et la volonté de suivre le chemin honnête que son père souhaite pour lui. Un jour, un de ses amis, Salvatore, lui propose un travail : transporter des paquets pour des hommes de main de la mafia en échange d’une belle somme d’argent. Pietro hésite. Il est conscient des risques. Les paroles de son père résonnent en lui : Reste toujours loin de ces hommes du mal. Elles ne font pas que résonner. Il refuse l’offre de Salvatore.
Essayer de maintenir un semblant de normalité et d’espoir. Façonner un quotidien fait de compromis, de peurs et d’espérances inassouvies. Prier à l’église.
Palerme, Italie, 1962
Claudia sort de temps en temps, le soir, vers vingt heures, en bas de l’immeuble de trois étages déjà insalubre, retrouver des amies et fumer une cigarette blonde, comme dans les films américains. Les GI ont laissé une trace d’insouciance et de modernité après l’opération Husky, en juillet 1943, en débarquant en Sicile pour libérer l’Europe.
Les garçons, toujours deux sur une Vespa, passent et repassent. L’un d’eux se distingue. Il est plus grand, brun, et ne parle jamais. Son regard noir la fixe à chaque fois. Mais pas un mot. Et lorsqu’il fait un signe aux autres, tous se mettent derrière lui et le suivent. On dit, dans le quartier, que c’est le chef d’une petite bande de voyous. Des gentils voyous. Seulement des petits larcins. Rien de commun avec les vrais mafieux qui molestent les prostituées, rackettent les commerçants et organisent les premiers grands trafics illégaux, avec violence.
— Ciao. Comment t’appelles-tu ?
— Claudia. Toi ?
— Matteo Messina. Viens faire un tour.
Claudia est tout d’abord surprise par le ton autoritaire. Pas beaucoup d’éducation, pense-t-elle. Mais ils sont tous plus ou moins comme cela, ces jeunes mâles sur leur Vespa. Ils veulent ressembler à Marlon Brando en chef d’une bande de motards, devenant l’icône du rebelle dans L’Équipée sauvage, film de László Benedek de 1953.
Plusieurs fois, elle refuse d’un simple regard baissé en tournant la tête. Ses amies, sous le charme de Matteo, la poussent à accepter. Elle hésite. Encore. Et un soir de septembre, elle cède.
Cheveux au vent, les mains autour de sa taille, Claudia, assise derrière Matteo, pose sa tête sur son épaule. Les virages se succèdent le long de la côte. Arrivés en haut du cap de Zafferano, au-dessus de la commune de Santa Flavia, Matteo s’arrête. Tout ce qui fait le charme de la Sicile se dessine sous leurs yeux. La mer Tyrrhénienne, d’un bleu azur, se fracasse en vagues sur les roches blanches. Sans un mot, Matteo attire Claudia vers lui, pose ses mains sur ses hanches et l’embrasse avec une autorité certaine. Un baiser maladroit, peu sensuel, un baiser loin de celui imaginé d’un prince charmant, mais un baiser dégageant une impression de force. La virilité sauvage de Matteo séduit Claudia. Elle a bien conscience que ce jeune homme n’est pas du genre sensible, mais il la protégera. Elle le sent. Elle veut y croire, dans une ville et un quartier où le respect passe par la crainte, la force.
— Épouse-moi !
Toujours aussi peu délicat, Matteo, entre deux bouchées de gnocchis avalées avec bruit, assomme Claudia de son ton sec. Sans la regarder. Ce qui était un simple déjeuner dominical familial avec ses parents et ses frères devient, en une fraction de seconde, un coup de tonnerre.
— Claudia, épouse-moi !
Matteo a posé sa fourchette. Il la regarde droit dans les yeux. Pas un sourire. Pas un rictus. Pas un mouvement. Mais surtout, ne pas respecter la règle, l’unique : la demande officielle auprès de son père. Enfreindre l’incontournable.
— Laisse ma fille reprendre son souffle. Ne sois pas impatient.
Giuseppe vient à son secours. Les yeux à moitié baissés. D’une voix empruntée. Presque timidement. Soumis à une autorité physique. Il est petit. Enfin, pas très grand. Il sait que sa fille est amoureuse de Matteo. Il sait aussi qu’elle le craint. Prisonnière, quelque part. Elle est encore jeune. Trop jeune. Innocente. Ce dernier navigue en eaux troubles. Ses fréquentations sont malsaines. Il ne pourra jamais lui offrir une stabilité. Et ses colères. Cette manière d’exploser, comme un volcan, de crier, de hurler, de joindre le geste à la parole avant le mouvement violent. Comme cela. Sans véritable raison. Jamais sur Claudia. Pas encore. Un coup de poing dans le mur, une assiette fracassée sur la table, une porte claquée si fort que le chambranle en tremble après.
Le cliquetis des couverts dans les assiettes cesse. Matteo n’a pas regardé Giuseppe. Il ne lâche pas Claudia du regard. Il attend. Une réponse. Son frère aîné va pour parler lorsque la main de sa mère lui serre discrètement, mais fermement le genou sous la table. Les deux fenêtres de la pièce à vivre sont ouvertes. Seules les persiennes sont aux trois quarts fermées pour couper les rayons du soleil. La chaleur écrasante envahit néanmoins l’intérieur. L’atmosphère générée par l’attitude de Matteo paralyse. Il fait chaud. Très chaud.
Claudia a les mains moites. Faiblement, d’une voix à peine audible, les yeux dans son assiette de gnocchis déjà froids, elle dit péniblement :
— Si tu le veux, Matteo. Si tu le veux.
Bouée lancée à la mer pour dire qu’elle ne sait pas nager, mais que si la frêle embarcation de sa vie prend l’eau à cet instant, elle se jettera pour l’attraper.
— Parfait. Nous allons donc nous marier.
Matteo repousse d’un geste rapide son assiette, saisit la bouteille de vin rouge, et se sert un verre. Puis, en regardant ses futurs beaux-parents avec fierté, insolence et arrogance, l’avale d’un seul trait. Se lève. Et part.
Les semaines suivantes, Claudia reste enfermée dans la chambre qu’elle occupe avec ses frères. Ses yeux pleins de vie et de joie laissent place à deux billes noires en mouvement permanent, toujours aux aguets. Ses yeux tourmentés ne la quitteront plus jamais. Elle a peur. Mais impossible de faire marche arrière. En Sicile, l’honneur de son tizio prime sur tout. Son père n’a pas le courage de lui parler. Sa mère, par de simples gestes d’affection, lui fait comprendre son inquiétude. Ses frères sont passés à autre chose.
Claudia est superbe. Une robe couleur crème sans fioritures, un nœud bleu lavande retenant ses cheveux, dégageant un visage parfait, une allure folle, mais le regard inquiet. Mariage religieux orchestré par le père Rocco Benedetto, suivi d’un repas simple organisé dans la cour de l’immeuble. Trois tables dressées sur des tréteaux de bois recouverts de draps blancs. Repas trop arrosé d’un vin rouge piquant et trop chaud, où Matteo ne peut s’empêcher d’échanger insultes et coups de poing avec l’un des voisins invités, avant de s’effondrer sur une table, ivre mort. Contre l’avis de ses parents, Claudia emménage le soir même dans le petit deux-pièces de Matteo. Elle ne se souvient pas de cette première nuit. Elle ne veut pas s’en souvenir.
Elle ne doit pas sortir de chez elle, excepté pour faire les courses, voir sa famille ou aller prier à l’église. Elle subit, lorsque cela lui chante, les assauts sexuels de Matteo qui ne pense qu’à satisfaire ses pulsions animales. Il passe ses journées dehors, rentre souvent tard. De mauvaise humeur. Il fait des affaires. Pas de métier précis : des affaires. Elle
