[go: up one dir, main page]

Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Memento: L'Éveil
Memento: L'Éveil
Memento: L'Éveil
Livre électronique435 pages5 heuresMemento

Memento: L'Éveil

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

« Qui suis-je ? »
Ce fut la première question posée par cette jeune fille dont les souvenirs s'étaient enfuis au réveil.
Dans un monde inconnu, dénuée de bons sens et de connaissances, elle cherchera son nom avec l'espoir de retracer son passé.
L'histoire de cette jeune fille dépourvue de patronyme s'accompagnera de sa rencontre avec un jeune homme fougueux, répondant au nom d'Arthur, et d'une petite voix étrangère ayant élu domicile en elle.
Embarquez avec elle dans son voyage embrumé de mystères et péripéties à la recherche de son passé.
LangueFrançais
ÉditeurBoD - Books on Demand
Date de sortie13 mai 2025
ISBN9782322606054
Memento: L'Éveil

Auteurs associés

Lié à Memento

Titres dans cette série (1)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Memento

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Memento - Romain Le Guinio

    Partie 1

    Eveil

    1

    Who

    « Qui suis-je ? »

    Pourquoi était-ce la première question qui me vint, lorsque je me réveillai ? Une personne normale se serait sûrement questionnée sur l’endroit dans lequel elle se trouvait. Ou même la date, si elle avait conscience de s’être égarée dans les couloirs du temps.

    Je n’étais pas dans ce cas-là. Une seule question taraudait mes lèvres : « Qui suis-je ? » Pourquoi ne me souvenais-je de rien ? Le fil de mes pensées était simple, sans complexité quelconque. Je me sentais l’esprit léger, mais le cœur lourd.

    Une ombre entra dans mon champ de vision. Une forme si particulière que mon instinct la reconnut immédiatement. Une main. La mienne. Je l’agitai sous mes yeux, maladroitement. Elle était si chétive, si fragile. Quelque chose me dérangeait, je n’arrivais pas à en discerner distinctement les contours. Peut-être était-ce à cause de la pénombre omniprésente ou de mes yeux qui me faisaient défaut.

    Une seconde ombre surgit à son tour. Mon autre main. La gauche ? La droite ? Je n’aurais su le dire, comme je n’aurais su expliquer ces deux termes. Ils résonnaient dans mon esprit comme une évidence et pourtant, jamais je n’aurais pu mettre de mots dessus. Quelle sensation étrange de savoir une chose sans la comprendre. Ma seconde main papillonnait autour de la première. Elles étaient jumelles. Au détail près que celle-ci était abîmée. J’y apercevais des plaies et des griffures.

    Au contact de l’air, quelque chose résonna dans ma main. C’était désagréable, voire insoutenable. Je perdis le contrôle de cette main, n’en ressentant plus l’existence. Le souffle du vent effleurant sa surface s’effaça, laissant place à un néant de sensation. L’espace d’un instant, je crus la perdre dans des ténèbres insondables, dépourvues de quelconque vie.

    La peur m’arracha un cri. Un son strident parcourut l’air autour de moi. Ses notes aiguës rejoignirent mes oreilles. Cette vibration me glaça le sang. De l’eau coula de mes yeux. Tout allait trop vite pour moi. Mon corps me dévoilait des choses que je ne comprenais pas. Je manquais d’air. Mon nez, par lequel le vent s’engouffrait pour redescendre à l’intérieur de moi et m’apporter un sentiment de satisfaction étrange, venait de me trahir en ne laissant plus rien passer. La panique et la terreur montèrent jusqu’à ma tête en secouant mon corps.

    Toutes ces sensations me firent prendre conscience d’une chose. Je n’étais pas un corps, je n’étais pas un ensemble. J’étais juste une petite chose abstraite perdue au milieu d’un mécanisme que la vie avait créé, il y a si longtemps. Ces mains, cette tête, ce buste, ces jambes, tout cela n’était qu’un assemblage de rouages me permettant d’interagir avec l’espace m’entourant. Ils faisaient partie de ce que le monde appelle « moi ». Cependant, ce n’était pas ce que j’étais. Je savais que je ne me trouvais pas dans mes jambes qui semblaient si loin, ni dans ces mains qui avaient cessé de tourbillonner devant mes yeux. J’étais dans la tête. Pas la tête en elle-même, mais dans un endroit profondément lointain et ancré à l’intérieur. Je n’étais qu’une étincelle qui donnait vie à mon tout. Rien de plus qu’une volonté prisonnière d’un état physique. C’était ce que j’étais et je devais l’accepter. Il n’y avait que comme ça que j’avancerai.

    Tous les troubles parsemant mon corps m’étaient inconnus. Malgré tout, au fond de moi, mon instinct m’affirmait que je savais ce dont il s’agissait, que je connaissais tous ces maux et tous ces sentiments. Mes yeux ne déversaient plus cette drôle d’eau salée. Mon nez décida peu à peu d’accepter l’air frais qui voulait s’y frayer un chemin. Ma poitrine se soulevait au rythme de mon cœur, me remplissant de bonheur. Rassemblant mon courage, j’élevais à nouveau ma main meurtrie au-dessus de ma tête. Son néant réapparaissait comme elle rencontrait le vent. Cette fois, je ne cédais pas. Je plongeais mon regard sur ses lignes gracieuses et abîmées.

    « Dolor », pensai-je. Ce terme ne m’était pourtant pas familier. Un autre mot conquit mon esprit et détrôna le précédent. « Douleur ».

    Ainsi, je compris que le néant sur ma main s’appelait « douleur ». Il n’était pas agréable, pas du tout même. Ma voix intérieure me persuada que « douleur » ne serait pas éternel et que le temps le triomphera. Rassurée, je fermai les yeux. Ça, je connaissais. J’avais compris comment fonctionnaient ces étranges rideaux. Ils me protégeaient de la lumière quand j’en avais besoin. Plongée dans le noir, mes sens étaient accrus. Encore une drôle de sensation. Je me sentais si bien dans cet océan de sérénité.

    Tout à coup, un son me tira de cette torpeur nouvelle. J’ouvris vivement les yeux. Le bruit avait été émis depuis une source proche. Très proche. Tellement proche que je me rendis compte que j’étais la seule à avoir pu l’émettre. Comment ? Je sentis l’air sortant de mes poumons se mettre à danser dans ma gorge. Il ressortit par ma bouche sous forme de marmonnements. Je me surpris à aimer ça. J’essayais à nouveau. Mon souffle tapait contre les parois de mon cou en faisant vibrer une chose que je ne saurais décrire. Le temps s’écoulait paisiblement. Les murmures se muèrent en des sons plus palpables. J’élevai la voix chaque fois que je sentais mon souffle travailler.

    — Ah… Ah…

    Ces notes étaient plaisantes, mais je savais qu’elles ne signifiaient rien. J’avais le sentiment que je pouvais leur donner du sens. Comment ? Je me laissais guider par mon seul allié. Semblant provenir du tréfonds de mon cœur, ce petit compagnon surnommé « instinct » continuait de me montrer la voie. Je cessai alors la construction du labyrinthe de mes pensées et les laissai s’écouler vers un chemin qu’elles semblaient bien connaître. Mes lèvres, que je jugeais jusqu’à maintenant inutiles, entreprirent de se heurter et de jouer avec ma langue. Je ne comprenais pas pourquoi le choix de tels positionnements et mouvements, mais je les laissais faire. Les sons se muèrent en une suite d’onomatopées pourvues de signification à mes oreilles.

    — Je suis vivante.

    Ma propre voix remplissait mon cœur de chaleur. Je ressentis, à travers elle, mon identité. Oui, ces sonorités me correspondaient. Elles étaient une partie de moi. Sans me vanter, ma voix était belle. Elle était légère et douce. Envoûtée, je continuai de tester mon parler.

    — Qui suis-je ?

    Mettre des mots sur des pensées était une chose absolument géniale et jouissive. J’eus l’impression de réussir à interagir avec le monde, de ne faire qu’un avec lui. J’apprenais à composer avec mon corps, à m’en servir petit à petit pour exister. Les muscles de mes joues se soulevèrent doucement. Ma bouche se courba en arc de cercle. Ce mouvement surprenant allait de pair avec le bonheur que je ressentais à cet instant. Une envie irrépréhensible de laisser mon buste se contracter en créant des séquences d’air à la sonorité unique montait en moi, le tout s’exprimant par l’intermédiaire de ma bouche. « Ridere », « Rire ».

    Ce n’était pas désagréable, au contraire, je revivais. Cette expression vocale me réconfortait. Mon rire n’était pas beau, enfin je ne le pensais pas agréable à l’écoute. Il était confus et hésitant. Néanmoins, il restait le mien et celui de personne d’autre.

    Je me calmais. Peut-être eut-il été temps pour moi de me servir pleinement de l’instrument qu’était mon corps pour me mouvoir. Une chose incroyable se produisit alors. Sans que je ne comprenne, sans que je ne le demande, je me levai. Avec facilité et maîtrise, comme si j’avais fait ça toute ma vie. Vie que je ne connaissais pas. Mes muscles m’envoyaient des informations inconnues. Ils m’assuraient avec aplomb qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. Je me laissais guider par l’instrument dont j’étais maîtresse.

    Une de mes jambes, que je découvris pour la première fois, se lança en avant. La peur me parcourut. J’inspirais, pensant que j’allais chuter de toute ma hauteur. Ma jambe avait dû sentir ma panique et s’était rabattue au sol plus vite qu’elle ne pensait le faire. Je retrouvais, comment dit-on, « Aequilibritas » ? L’équilibre. Mes bras, grands princes, s’étaient positionnés de telle sorte à m’aider à retrouver ma stabilité. Je soufflai un bon coup, réflexe indépendant de ma psyché. « Confidentia » ou plutôt « Fiducia in corpore meo », je devais accorder de la confiance à mon corps. Était-ce la même chose qu’avoir confiance en soi ?

    Je laissais mes jambes commander. Laborieusement mais sûrement, je progressais dans l’espace autour de moi. Mon vocabulaire ne sera jamais assez étoffé pour exprimer ce que je ressentis à ce moment-là. Je marchais. Mon instinct hurlait de contentement. Il venait de réussir l’une des choses pour lesquelles je semblais être innée. Mes jambes dansaient et s’entremêlaient avec une symbiose majestueuse. Elles connaissaient chacune leur rôle et l’assumaient jusqu’au bout. Comme pour ma voix, ma démarche exprimait celle que j’étais. Je me découvrais à travers mes interactions avec l’espace.

    Gourmande, je tentai de lever mes mains. Ces instruments complexes s’exécutèrent sans contester. Je les vis entrer dans mon champ de vision. Pourtant, je continuais d’avancer. N’était-ce pas incroyable de parvenir à manier tous ces membres à l’unisson ? Une nouvelle fois, mon buste se contracta et je ris. Je ris fort. Plus fort qu’avant. Ma voix résonna tout autour de moi.

    — Je marche.

    Je pris conscience du rôle de mes oreilles. Elles percevaient les vibrations dans l’air et me les envoyaient pour qu’une partie de mon être, située entre « moi » et l’extérieur, les traduise. Ainsi, les vibrations prenaient sens. Une question me vint : Comment pouvais-je savoir que telle association de sons signifiait telle chose ? Mon instinct me répondit : « Tu le sais, c’est tout ». Mon compagnon avait l’air de savoir beaucoup de choses, mais cette fois, je sentis qu’il n’aurait pu me donner des réponses claires.

    Je venais de saisir le fonctionnement de mon corps. Comment activer mes jambes, bouger mes bras, gérer mon souffle, faire jouer mes lèvres ou encore traduire les sons. Je m’intéressais alors au reste. En premier lieu, la vue. Étrangement, elle n’avait pas de secret pour moi. Je comprenais que je voyais mal à cause de l’obscurité environnante. Je savais diriger mes yeux là où je voulais. C’était rassurant de déjà connaître quelque chose dans l’inconnu. Il fallait que je m’en serve intelligemment.

    Je parcourais des yeux l’endroit dans lequel je me trouvais. Rien. Les ténèbres étaient trop grandes. Pas tout à fait. Je devais associer autre chose à mes yeux pour en tirer plein potentiel. Je sentis la chose qui me séparait de la tête s’activer, comme elle s’était mise à fonctionner pour traduire les sons. Elle se mit à carburer à plein régime. Mon front chauffa d’une chaleur étrange. Je me sentis d’un coup très lucide. J’avais l’impression de pouvoir tout comprendre, tout appréhender, tout expliquer. Des images me traversaient et je sentis en moi se déverser un flot inextinguible de connaissances. Il y en avait trop. Je ne pus tout attraper. Le flot continua de s’écouler en moi. Mon compagnon me souffla de ne pas m’inquiéter, que le torrent que je venais de croiser continuerait de voyager en moi pour l’éternité. Ces informations étaient peut-être aussi une partie de moi. Elles ne me voulaient pas du mal. J’en eus pour preuve qu’elles avaient laissé l’une d’entre elles en ma compagnie pour m’aider à comprendre mon environnement.

    Mes yeux s’attelèrent une fois de plus à leur travail et tout devint clair. En face de moi, un mur se dressait, recouvrant même le ciel. « Petra », c’était un mur de roche. Mon compagnon m’assura que ce n’était pas un endroit où je devrais être. Sur ces enceintes de pierres, de la végétation avait poussé. Des plantes, des branches et des feuilles que je ne connaissais pas parsemaient le mur. L’obscurité m’empêchait d’en apprendre davantage. Je tournais les yeux de sorte à pouvoir en apprendre plus. Le même motif se répétait. Ma tête facilita la prise d’informations de mes yeux, mais je fus surprise de sentir qu’elle se bloquait à un certain point. Mes jambes connaissaient le problème et se mirent à pivoter. Ma tête changea totalement de côté et je découvris l’envers du décor. Les murs de pierre se rétrécissaient en une petite embrasure camouflée par la végétation, devenue plus autoritaire de ce côté. Un mur de lianes ou de lierre, je ne sais pas, à moins que ce ne soit de l’ignorace (encore un terme que je connaissais sans en connaître la signification) recouvrait le creux de l’enceinte de pierre. Mon compagnon me sonna que les ténèbres y paraissaient moins denses.

    Je marchai vers l’embrassure. Un mince filet d’air caressa ma joue avec douceur. Je pris le temps de l’apprécier et posai ensuite ma main sur le mur de pierre. Encore une sensation que j’ignorais. Ma paume cessa de ressentir des choses, comme elle se figea. Je la retirai vivement. Encore cette saleté de « douleur » ? Non, c’était différent. J’attendis simplement que le bon mot vienne rugir dans ma tête comme une évidence. Une partie de moi n’était pas très indulgente à mon égard.

    « Frigidus », « froid » pensai-je. Mon compagnon jugea que l’intensité du « froid » n’était pas dangereuse et je reposai la main sur le mur. D’un geste habile de l’autre, je repoussais la végétation. Mon environnement n’avait pas pour but de me bloquer, au contraire, il avait l’air de vouloir m’aider à progresser. Le petit passage dans la roche que j’avais aperçu n’était pas si étroit finalement. Je passais sans problème. Au fur et à mesure que j’avançais, l’obscurité s’affaiblissait devant une chose dont mes yeux raffolaient : la lumière. Elle m’inonda quand je sortis du passage. J’eus envie de réprimander mes yeux d’avoir tant réclamé la lumière pour, au final, tirer sur mes paupières pour se protéger. Mon bras vint à leur secours et passa par-dessus ma tête pour la bloquer. Je sentis sa chaleur sur ma peau. Quelle sensation agréable ! Être irradiée par des rayons de lumière chauds proférait un bien fou. La tiédeur me fit prendre conscience à quel point mon corps était parcouru par le « froid ».

    Quand mes yeux finirent par s’habituer à l’éblouissement, je découvris une salle. Oui, c’était ça, une salle. Un endroit de création non naturelle. Comme là où je m’étais éveillée, l’endroit était clos. Les murs étaient constitués de la même roche, à la différence près que celle-ci était légèrement différente. Il en manquait des minuscules parties. Ces absences semblaient suivre un certain pattern. « Taillée ». De nouveau, le flot de connaissances avait fait irruption dans mon esprit. Quelqu’un avait volontairement abîmé la pierre pour la rendre… Jolie ? Ce mot ne m’évoqua que complexité et abstraction. Fuyant ces pensées, je me dirigeai vers un élément très étrange accroché par je ne savais quelle magie au mur.

    Alors que je m’en rapprochais, son contenu s’anima. Je reculai vivement. À l’intérieur de cette mystérieuse pierre lisse, une créature bougeait. Je restai figée un certain temps. Puis, je levai la main. La créature m’imita. Une pensée à l’intérieur de moi m’agressa presque. « Idiota puella , c’est un miroir. Ce que tu vois à l’intérieur est ton reflet .» Déterminée à vérifier ces pensées, je levai les mains devant moi et agitai les doigts. La personne dans le miroir effectua les mêmes mouvements en temps réel. C’était la vérité ? Cette personne que je voyais de l’autre côté, me faisant face, était « moi » ? Je m’avançai prudemment. Me plaçant assez proche de la surface du miroir, je fis la rencontre de celle que j’étais aux yeux du monde.

    Comment se décrire ? Mon flot de connaissance déferla dans ma tête, assoiffé de l’envie de me répondre. Dans le miroir se tenait une fille avec de longs cheveux châtains aux reflets orangés qui lui tombaient jusqu’aux épaules. Ils étaient en bataille et lui cachaient presque les yeux. Ces mêmes yeux d’un marron noisette me dévisageaient. Son nez, mon nez, était fin et parsemé de petites tâches discrètes s’étalant jusque ses, mes, joues. Mes lèvres étaient fines et pas vraiment pulpeuses. « Suis-je belle ? », pensai-je. La question m’était venue sans que je n’en comprenne le sens. Je continuais de parcourir le miroir. J’étais mince, très mince. Je remarquai enfin les morceaux de tissu que je portais. Ils me couvraient le buste et les jambes. Mes bras et mes pieds étaient à nu. Qu’est-ce que… « Des vêtements, Idiota puella ! », s’énerva la voix dans ma tête. « Tu es censée connaître des choses aussi élémentaires ! ». Cette petite voix commençait sérieusement à m’agacer, à me prendre de haut.

    Ces « vêtements », comme elle les avait appelés, n’étaient pas beaux. Tiens. Je commençais à saisir la notion de beauté. Le mot « joli » qui était apparu dans mon esprit tout à l’heure commençait à se teindre d’une signification bien particulière. Je ne portais que des morceaux de tissus usés et abîmés, troués à certains endroits. Leur couleur uniforme les rendait ternes et ennuyants. Je remarquai alors ma peau. Elle était si blanche. Une teinte anormale provenait de sous mes vêtements. Je soulevai mon haut pour découvrir son origine. Je dévoilais à la fille du miroir ma poitrine. En son centre, ma peau était violacée. Pile à l’intersection des parties dures qui protégeaient ma respiration. On aurait dit une tache cherchant à s’étendre le plus possible sur le reste de mon corps. Cette partie de mon ensemble n’était pas normale, je le sentais. Je laissai retomber le haut de mes vêtements, scellant ma poitrine sous ce morceau de tissu dépassé. Je pris du recul sur ce que j’étais en train de regarder. La fille dans le miroir me semblait si loin, tellement… Inatteignable. Peut-être était-ce mon imagination, elle se mit à bouger toute seule sans imiter mes gestes et me pointa du doigt.

    — Qui es-tu ?

    Ma voix qui résonna dans la salle me confirma que ce n’était bel et bien que mon imagination. Ce n’était pas elle qui avait posé la question, mais bien moi. Et pourtant, tout portait à croire que c’était ma réponse qui l’intéressait, elle. Je frémis en détournant les yeux du miroir. Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais l’impression de fuir. Quoi ? Aucune idée.

    La lumière se posa de nouveau sur moi. J’en aperçus la source vers le plafond. Ce dernier était troué en son centre par un conduit assez long qui donnait sur le ciel. Je ne pus en détacher les yeux. À travers la lumière, j’observais le ciel d’un bleu magnifique, j’avais enfin compris la notion de beauté. Ce ciel m’hypnotisait. Il fallait que je le rejoigne. Mon compagnon m’indiqua que ce serait une mauvaise idée de le rejoindre par le trou du toit. Je me mis en quête de chercher la sortie de cette salle. Je répétais le mouvement de rotation que j’avais appris pour observer l’espace m’entourant. Je la vis. Plus large que le passage que j’avais emprunté, une sortie. Ou pas. Je n’en savais rien.

    Une table, merci ma rivière de connaissance, se tenait juste devant mon échappatoire. Je ne pus la louper, elle me bloquait le chemin. Il n’y avait rien de particulier à dire sur elle, jusqu’à ce que je m’en aperçoive. Comme les murs de la salle autour de moi, elle était… Comment dire ? « Taillée » ? La petite voix agaçante resta muette, m’épargnant de remarques désobligeantes. Je ressentis la signification de ce que je voyais. Des formes étaient tracées sur la table. Elles étaient spéciales. Auraient-elles un sens, tout comme les paroles que j’étais capable de prononcer ? Mon instinct approuva ma théorie. Il m’envoya par la même occasion un mot : « Legere ». Je ne comprenais toujours pas pourquoi deux langages cohabitaient dans mon esprit. J’arrivais à les associer sans savoir comment. Je devais « lire » compris-je. De quelle manière ? Comment est-ce qu’on s’y prenait pour lire ? Ce que je redoutais arriva. La petite voix aigrie ressurgit. « Idiota puella, idiota puella, idiota puella ! Laisse-moi te montrer ! » Le flot de connaissance me frappa violemment, je perdis l’équilibre. Cette sensation, c’était comme si je l’avais toujours su. C’était désagréable.

    Je plongeai mes yeux dans ces formes dont la signification me faisait jusqu’à lors défaut. Elles prirent sens. Il s’agissait de lettres. Je les avais lus ? Peut-être était-ce là le bon terme.

    — Mar… prononçais-je avec hésitation.

    Non satisfaite de moi, je recommençai.

    — Mar.

    Puis, j’attendis. Je pensais que le torrent de connaissances, qui prenait un malin plaisir à me heurter lorsque la petite voix lui en donnait l’ordre, vienne encore une fois. Rien. Rien ne se produisit. C’en était inquiétant. Bien évidemment, je ne comprenais pas ce mot. Apparemment, je ne le connaissais vraiment pas. Contre toute attente, ce ne fut pas mon compagnon qui chercha à entrer en contact avec moi, mais mon cœur. Il se serra si fort que je suffoquais. Il m’intima que je connaissais ce mot mieux que personne, puis me le cria, hurla. « Mar, Mar, Mar » Pourtant, son sens m’échappait encore. Les larmes montèrent et mon nez me trahit de nouveau. Pourquoi ? Je ne comprenais pas pourquoi je me sentais aussi perdue. J’avais l’impression d’être incomplète.

    « Qui suis-je ? »

    Cette question hantait mon esprit. Je ne parvenais pas à la chasser. Elle revenait toujours à la charge, comme si elle attendait elle-même une réponse que je n’étais pas capable de lui donner. Je rassemblais mes forces dans ma tête. La chose d’où partait le torrent de connaissances, qui me submergeait parfois, se mit en ébullition. Je sentis ma tête chauffer. Des pensées, des mots et des interrogations naquirent en moi.

    — Je suis une fille qui s’est réveillée dans un endroit inconnu et étrange.

    Mes mots restèrent en suspens, comme une nouvelle question jaillit en moi. « Comment savais-je que j’étais une fille ?» J’avais déjà utilisé ce mot pour décrire la personne que je voyais dans le miroir. Je… « Idiota puella », me hurla de nouveau la petite voix. La traduction s’opéra toute seule en moi. Elle traitait de « fille idiote » depuis un moment. J’en déduisais que j’étais bien une fille, alors.

    Je commençais à avoir de sérieuses interrogations quant à l’identité de la petite voix. Elle semblait si détachée de moi. Je n’arrivais pas à savoir d’où elle provenait. J’avais aussi remarqué qu’elle paraissait filtrée. Quelque chose m’empêchait de l’entendre très distinctement. Elle me connaissait bien, mieux que je ne me connaissais moi-même. Malgré ça, je ne pouvais pas croire qu’elle me veuille du mal. Je passais une main sur la table, effleurant les lettres gravées.

    — Mar, répétai-je.

    Je n’en connaissais pas la signification, mais je savais que je finirai par la découvrir. Je contournais la table et m’engouffrais dans le deuxième passage. Les murs étaient moins étroits que le premier. Je marchais à présent sans difficultés. Plus je m’enfonçais, moins la végétation s’offrait à moi. Après un moment, je fus surprise de constater que les murs s’étaient mués en une chose lisse et verte. Je posai une main dessus. « Froid », encore. La pierre était belle. Son vert était hypnotisant. Je décelais, à travers elle, mon reflet. Je détournai la tête, incapable d’affronter le regard de cette fille que je ne connaissais pas. Les murs de pierre du passage avaient laissé place à ce vert puissant. Je sentis des rayons de lumières s’amuser à rebondir sur les parois de mon passage. Je plissais les yeux tant les rayons étaient intenses. Ces petits malins descendirent les rideaux, me rendant aveugle. Je tentai de poser une main sur le mur pour me repérer dans l’espace. Rien. Le mur avait disparu. Prise de panique, j’ouvris de force ces petits farceurs.

    Je n’avais plus les mots. Plus aucun. Que se passait-il devant moi ? Un spectacle époustouflant, magnifique, grandiose. Je vis le ciel. Un bleu éclatant et immaculé, semblant s’étaler à l’infini devant moi. Sa beauté et son immensité me saisirent. Je ne pouvais en détourner le regard. Ah si, je pouvais. Une boule de lumière destructrice m’aveugla farouchement, comme je plongeais mon regard en elle. Je restais sans vue durant quelques instants. J’avais compris la leçon : ne plus défier du regard la boule de feu. Mon compagnon intervint. Je m’attendais à ce qu’il me montre quelque chose. Au contraire, il me questionna. Sa missive prit forme sur mes lèvres.

    — Où suis-je ?

    2

    Where

    Je descendais l’immense surplomb de terre d’où j’avais émergé. Le passage que j’avais emprunté pour sortir de la salle débouchait sur un petit plateau en hauteur. J’y avais pris le temps d’y observer le ciel et l’horizon. Les reliefs du décor qui s’était dévoilé à moi étaient splendides. Je ne savais pas comment nommer ces excroissances de terre qui s’élevaient vers le ciel, mais je les trouvais majestueuses. Du haut de mon perchoir, j’avais pu constater la présence accrue de… Je ne trouvais pas mes mots. « Arbres », m’avait révélé, ou plutôt m’avait craché la petite voix. De mon point de vue, les « arbres » étaient vraiment beaux. Je pouvais les admirer aussi longtemps que je le voulais sans me lasser. Ils s’étendaient à perte de vue dans le paysage que j’étudiais. Le sol du petit plateau était fait de la même matière que les roches vertes présentes à la sortie du passage.

    Avide de découvrir le reste de ce qui s’offrait à moi, je commençais à arpenter le petit chemin sillonnant l’excroissance terrestre sur laquelle je me trouvais. Je descendais à travers les arbres et les rochers. Il y avait tellement d’éléments inconnus autour de moi que je ne savais plus où donner de la tête. Par exemple, qu’était-ce donc que cette chose ? Pendouillant du feuillage d’un arbre, une boule dorée dessinait des cercles. J’en approchai la main et celle-ci se mit à voler tout autour de moi avec grâce. Elle frôlait mes membres et me chatouillait. Puis, lorsqu’elle sembla lassée, elle s’éleva au-dessus de ma tête et plongea sur moi à une telle vitesse que je n’eus le temps de réagir. La boule dorée entra dans ma poitrine avec violence. Je poussai un cri de surprise. Ma peau devint lumineuse l’espace d’un instant à l’endroit par lequel elle avait pénétré en moi. Je m’attendais à ressentir quelque chose, de la « douleur ». Je fus presque déçue de constater que cela ne me fit rien. La petite boule dorée avait disparu en moi. Pourtant, je ne sentais pas de changement particulier. Devais-je rester là, à me demander ce qui se passait ? Trop pressée de continuer mon exploration, je repris mon chemin.

    Des petits animaux passèrent en trombe devant moi. J’eus le temps d’en observer un. C’était une petite créature touffue. Une boule de poils, rien de plus. Je ne vis ni jambes, ni bras et encore moins de tête. Ses poils d’un bleu insolite le rendaient facilement repérable. Son compagnon et lui ne s’arrêtèrent pas pour moi et tracèrent leur route dans les hautes plantes bordant le sentier. Je me surpris à sourire tendrement. C’était « mignon ». Une ribambelle de créatures en tout genre déambulait autour de moi. Je m’arrêtai, déroutée. Se retrouver encerclée par plein d’espèces inconnues en même temps était surprenant, voire terrifiant. Cependant, je remarquai qu’elles ne semblaient pas s’intéresser à moi. Elles avaient toutes leurs vies et leurs occupations. Je ne faisais que passer dans leur monde.

    Je marchais à mon rythme dans la « forêt », comme m’avait appris la petite voix. C’était drôle de donner un nom à un troupeau d’arbres. Je levai les yeux en tournant sur moi-même. J’avais quitté l’excroissance terrestre d’où je m’étais éveillée. J’étais encore à l’intérieur, il n’y a pas si longtemps. Quel étrange sentiment que de se dire ça. « Idiota puella ». Tiens, ça m’avait presque manqué. « Quelle idée stupide d’appeler ça une excroissance terrestre ! Dis Montagne tout simplement, Idiota puella ! » Toujours aussi aimable, mais je pris en considération sa leçon. Je m’étais donc éveillée à l’intérieur d’une « montagne ». Je la quittais après qu’elle m’ait bercée.

    La forêt semblait sans fin. J’avais eu la chance de rencontrer un nombre impressionnant de variétés d’espèces différentes. Pas seulement d’espèces comme des créatures, mais aussi des plantes toutes plus étranges les unes que les autres. Celle m’ayant le plus marquée était une tige se servant de ses feuilles comme des boucliers. Impossible de passer un doigt au travers de sa carapace. Par contre, elle était dépourvue de protection par au-dessus. Des minuscules boules lumineuses de toutes les couleurs volaient autour d’elle. Lorsque l’une de ces boules entrait en collision avec le bouclier, elle était absorbée et le bouclier se teintait d’une couleur plus claire. Je ne comprenais pas son fonctionnement. Il y en avait plein par ici. Plus j’avançais, plus je me rendais compte que le sentier était long. Sa surface en terre sèche et poussiéreuse me semblait énigmatique. Était-ce naturel ? Où m’emmenait-il ?

    Une nouvelle zone s’ouvrit devant moi. Moins d’arbres, plus de roches. Ces pierres étaient teintées de couleurs discrètes, rendant le paysage chaleureux. Le sentier se dessinait au loin. Je commençais à ressentir de la « douleur » dans mes pieds. Ils étaient nus et j’avais déjà bien marché. Je m’efforçai de continuer. L’air était plus lourd et plus… ? Chaud ? Ça devait être ça. La chaleur était particulière, elle m’empêchait de réfléchir convenablement. Dans le ciel, la boule de feu me narguait, tant elle en déversait sur moi.

    La faune et la flore n’étaient plus les mêmes en ces terres arides. Je rencontrais des petites créatures à l’opposé de ce que je m’étais habituée à voir. C’était comme si elles avaient une peau faite de pierre. À l’instar des autres, elles ne m’accordaient aucune importance. Les arbres avaient troqué leur feuillage vert pour une couleur plus sèche, moins vivante. Tout ici paraissait plus aride. Paradoxalement, un petit torrent animait les environs, les remplissant d’une douce mélodie. J’y constatais un certain nombre de créatures. Les voir s’abreuver réveilla quelque chose en moi. Ma bouche me fit comprendre que j’avais besoin d’eau. Mon compagnon m’assura que je ne devais pas hésiter quand je sentais ma bouche pâteuse. Je m’approchai du torrent. Je ne connaissais pas grand-chose, néanmoins, l’eau était une denrée dont je n’ignorais rien. Il n’était plus question d’instinct ou de petite voix, ce liquide était mon essence

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1