À propos de ce livre électronique
On les nomme Karma, Mirage, Vie, Mort et Mental.
Ensemble, ils forment la Quintessence.
Cinq frères et sœurs aux pouvoirs exceptionnels.
Cinq divinités redoutables qui, autrefois, dévastaient le monde.
Oui, mais voilà : depuis leur toute dernière réincarnation, les Cinq n’ont pas le moindre souvenir de leur passé.
Désormais adolescents, ils subissent de plein fouet la traque de la Cellule Noire, une organisation secrète pluricentenaire vouée à leur extermination.
Un jour, leur refuge est attaqué…
À PROPOS DE L'AUTRICE
J. Robin écrit des romans fantastiques et de fantasy pour adolescents et adultes. Elle est également l’auteure de plusieurs romans à succès dont la duologie "Rouge Sang & Noir Corbeau".
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Aperçu du livre
Les nouveaux dieux - J. Robin
Prologue
Chroniques de la Cellule Noire
Angleterre – 1859
Un frisson dans le dos. Une peur viscérale. La sensation d’être épié…
Murray se retourna tandis qu’une calèche le dépassait. Les sabots des chevaux martelaient le pavé : tam, tam, tam ; ils frappaient la chaussée en cadence. Lorsque l’attelage eut disparu, Murray exhala un soupir de soulagement. Fausse alerte ! Il avait paniqué pour rien. La main tremblante, il se saisit d’un mouchoir en coton et tamponna son front dégoulinant de sueur.
Devant lui se dressait la tour de l’horloge. Fière. Glorieuse. La lumière des becs de gaz faisait danser des ombres sur sa façade ocre. Murray avait atteint la moitié du pont de Westminster lorsque Big Ben sonna. Il releva alors les yeux sur le cadran : une heure du matin. Déjà ? Je dois me dépêcher ! D’un geste, il enfonça le chapeau haut de forme sur son crâne, puis accéléra le pas. Son regard alerte fouillait les moindres recoins obscurs. Une angoisse persistante lui nouait l’estomac : chaque ombre, chaque mouvement entraperçu du coin de l’œil devenait un ennemi potentiel. Tel un animal, il était traqué.
Des croassements résonnèrent au-dessus des tours échancrées du Parlement. Sordide présage, mais Murray les ignora. Il suivit les quais jusqu’à ce qu’un escalier de pierres l’invite à descendre dans de sombres ruelles. Étroites, austères… Un filet d’eau sale coulait le long des caniveaux, emportant avec lui une puissante odeur d’urine.
Murray n’eut pas longtemps à attendre. Bientôt, une silhouette se présenta à lui. Par réflexe, ses doigts se portèrent à la crosse du petit revolver dissimulé sous sa veste à larges revers.
— Du calme, Murray. C’est moi.
L’interpellé se détendit. Cette voix… Il ne la connaissait que trop.
— Russel…, lâcha-t-il dans un soupir.
Le visage de son interlocuteur se dévoila à la lueur d’un réverbère. Le teint cireux, mais la chevelure impeccablement lissée, Russel semblait avoir moins souffert que lui du manque de sommeil.
— Tu es sûr de ne pas avoir été suivi ? demanda-t-il en claudiquant dans sa direction.
Russel boitait. Un souvenir douloureux, issu d’une confrontation passée. Depuis, le gentleman ne pouvait se déplacer sans sa fidèle canne en argent poli.
— Oui, le rassura Murray. Nous n’avons rien à craindre.
Sans plus attendre, Russel le saisit par le bras et l’entraîna à sa suite. Ils ne tardèrent pas à gagner un cul-de-sac encerclé de hauts murs en briques rouges.
— À combien s’élèvent les pertes ? s’enquit Murray.
— Il y a beaucoup de dommages matériels. Le trente-six Greming Street a été détruit ; un incendie a dévoré l’immeuble. Et on compte au moins dix morts.
L’annonce sonna comme un glas. Murray chancela. Si sa dignité ne le lui interdisait pas, il se serait laissé glisser sur le sol humide et terreux. Face à lui, Russel soupira :
— Et je crains que ce nombre ne grossisse de jour en jour. De nombreux membres ayant pris la fuite ne donnent plus signe de vie. Maddy, Jefferson… Ils nous recherchent, Murray. La Quintessence est à nos trousses !
— Où sont Laureen et les enfants ? s’inquiéta Murray.
Il avait tant de fois dîné avec la famille de Russel qu’il s’en sentait membre à part entière.
— À l’abri. Pour le moment…
Murray soupira puis se mura dans le silence. Un feu ardent le dévorait de l’intérieur. Une aigreur. Une peur toute justifiée.
— Que faire, désormais ? Nous ne sommes plus en sécurité à Londres. Ils nous traqueront jusqu’au dernier.
— Oui, je sais…, acquiesça son ami. La situation est épineuse, mais nous ne pouvons pas abandonner. Sans nous, il ne faudrait pas plus de quelques années pour que le monde tombe sous le joug de la Quintessence.
Russel se perdit un temps dans la réflexion, laissant ses doigts pianoter sur le pommeau argenté de sa canne. Murray y porta un regard sans conviction quand, soudain, son sang se figea. Les épaules du gentleman se contractèrent. Sa respiration, même, se coupa. L’œil incrédule, il fixait la cicatrice striant la main de son ami. Murray lui avait toujours connu cette boursouflure brune, un stigmate qui s’étendait du haut du poignet jusqu’à la naissance du pouce. C’était le souvenir d’une bagarre d’adolescents. Oui, mais voilà : Russel s’était blessé à la main droite. Pas à la main gauche !
Murray tenta de contenir ses émotions. Échec total. Son malaise n’échappa pas à Russel, qui s’enquit :
— Un problème ?
Murray releva prestement le regard.
— Non, non… C’est seulement que… La fatigue. Je manque cruellement de sommeil.
Même lui devait le reconnaître : son mensonge manquait de subtilité.
Un sourire narquois étira les fines lèvres de Russel. Des canines trop blanches se dévoilèrent.
— Je vois… Où était mon erreur ?
Murray manqua de s’étouffer. Ses jambes flageolèrent et son esprit devint brumeux. Il comprit… malgré les apparences, ce n’était pas Russel qui se tenait en face de lui ! Ce n’était qu’une copie. Un vulgaire pantin.
L’infâme simulacre l’observait, une lueur malsaine au fond des yeux. Le choc laissa place à la colère et Murray se saisit du petit revolver accroché à sa ceinture. Il tira. Le coup remonta en échos le long des murs de briques. Russel fut touché en pleine poitrine, droit au cœur. Un coup mortel. Pourtant, il ne cilla pas. Pas même un tremblement. L’imposteur se contenta de scruter la fumée blanchâtre qui s’élevait du canon.
— Qu’espérais-tu donc faire avec ça ? railla-t-il. Me tuer ?
Murray se mit à trembler. Son souffle se fit saccadé. Maintenant qu’il y prenait garde, il pouvait les voir : ces vibrations tout autour des épaules de Russel, ces particules chahutées par une brise inexistante… Une illusion ! Un vulgaire effet d’optique. Il venait de tirer dans le vide. On se jouait de lui. Elle se jouait de lui ! Car oui, il n’y avait qu’elle pour créer de telles impostures !
— Mirage, grogna-t-il entre ses dents serrées. Vile sorcière ! Montre-toi.
Mirage. L’un des cinq membres de la Quintessence. Le fragment de l’imagination. La personnification même du mensonge et de la duperie. Sa violence n’avait pas de limites. Sa folie non plus.
Le simulacre de Russel fut pris d’un fou rire, et bientôt, sa voix mua. Elle se teinta de sonorités plus aiguës, plus féminines. L’illusion s’effondra. Russel fut balayé par le vent, son corps emporté par la brise. Derrière lui se dessina une autre silhouette. Elle s’avança, dévoilant des bottines de cuir, une longue robe bordeaux et un manteau de coton. Un chapeau aux larges bords recouvrait une chevelure d’ébène, tandis que, sous un voile, se dessinaient deux yeux aussi perçants que ceux des corvidés.
— Diantre… Tu as découvert le pot aux roses bien trop tôt. Cela a gâché mon plaisir.
Murray ne pouvait plus bouger. Il était comme statufié face à cette femme, face à la perfidie qui émanait d’elle. Un démon, une malédiction… Le résidu d’un dieu maléfique !
— Qu’avez-vous fait à Russel ?
— Oh, oui. Je suis navrée. Je l’aurais bien amené avec moi, mais il est un peu trop… dispersé, si tu vois ce que je veux dire. Non pas qu’il ait mis longtemps avant de te moucharder. À peine ai-je touché à sa fille qu’il a tout balancé, le couard ! J’aurais pu me contenter de l’égorger, mais lancée dans mon élan, je n’ai pas pu… comment dire… m’arrêter ?
Le désespoir frappa lourdement Murray. Il tomba sur ses épaules comme une chape de plomb. Une image sordide se forma dans son esprit : celle d’un charnier. Des corps mutilés, empilés les uns sur les autres. Il arrivait presque à sentir l’odeur du sang.
Le cœur lourd, Murray abaissa son arme. Il connaissait déjà l’issue de cette confrontation : on ne survivait pas à une rencontre avec l’un des Cinq. Encore moins lorsqu’il s’agissait de Mirage, la déesse sanguinaire.
Murray releva le menton. Il toisa l’être abject avec tout le courage et la fierté qui lui restaient. Sa haine se déversa, déposant un goût amer sur sa langue :
— Tu te délectes de cela, n’est-ce pas ? La peine, le sang, la peur… Démon !
— Ah. Tu fais erreur, mon cher. Mes frères et moi tenons du divin et non du démoniaque.
Elle sourit, la garce ! Pour elle, tout ceci n’était qu’un jeu. Un simple cache-cache mortel. Murray ne pouvait contenir sa colère, son dégoût. Son visage se plissait et chaque insulte projetait son lot de postillons :
— Vipère ! Vous n’êtes que les rebuts d’un dieu maudit ! Les excréments d’un être maléfique !
Le sourire sournois de Mirage se figea. Elle s’approcha d’un pas avant de lever un doigt autoritaire :
— Ah ? Maléfique pour qui ? Pardonne ma franchise, mais n’est-ce pas l’Homme qui engendre les guerres, massacre des peuples ou pollue l’air ? Vois la vérité en face : les vermines en ce bas monde, les véritables parasites, c’est vous autres. Pas nous.
— L’Homme est la création du Seigneur tout-puissant, il est fait à son image et…
— C’est cela, oui. Garde donc les yeux clos, s’il te sied d’être aveugle, mais les humains ne sont qu’une horde d’enfants turbulents, incapables de dissocier le bien du mal. Tôt ou tard, vous vous détruirez vous-mêmes, et vous emporterez ce monde dans votre chute.
— Vous ne nous exterminerez jamais ! La Cellule Noire survivra ! Nous vous retrouverons. Nous vous ferons payer vos crimes et nous vous éradiquerons de la surface de la Terre !
Cette dernière phrase sembla enthousiasmer son interlocutrice, qui sautilla sur place et frappa dans ses mains à la manière d’une enfant :
— Oh ! Faisons un pari. J’adore les paris ! À celui qui éradiquera l’autre en premier, à vos marques, prêts…
— Vous n’êtes que des suppôts de Satan ! Des démons perfides ! Des int…
Sa phrase s’en coupa là. Le sourire enjôleur de la femme se mua en une grimace de lassitude et elle leva les yeux au ciel.
— Tu tournes en rond !
Elle n’eut qu’à lever le bras. Un couteau jaillit de sous sa manche. La lame d’acier fendit l’air pour se planter dans la gorge de Murray. Net. Précis. L’homme chancela en arrière tandis qu’un liquide chaud s’écoulait pour inonder sa chemise de vermeil. La douleur arriva ensuite. Puissante. Déchirante. Murray voulut effleurer l’arme du bout des doigts, mais le pommeau se désagrégea avant qu’il n’y parvienne. Une illusion… La lame était factice, pourtant, sa blessure, elle, était bien réelle. Murray s’écroula. Son corps se fracassa sur le sol, pris de convulsions.
Mirage s’approcha de lui. Lentement. Avec suffisance. Ses talons claquaient sur le sol glacé comme les sabots des chevaux sur le pont.
— Fabuleux, n’est-ce pas ? fanfaronna-t-elle en s’accroupissant à ses côtés. J’arrive désormais à créer des illusions à ce point réalistes que même la nature ne sait plus les distinguer de la réalité. Il me suffit d’imaginer une lame se plantant dans ta gorge, et ton cerveau fait le reste du travail. Nous ne sommes pas des dieux, dis-tu ? D’ici peu de temps, nous serons tout-puissants. D’ici peu, mes frères et sœurs seront libres. Alors, nous vous soumettrons et nous vous remettrons à la place qui est la vôtre, petits pucerons.
Elle afficha un dernier sourire enfantin, puis tapota le nez de Murray du bout du doigt.
— Ne t’inquiète pas. Tu ne mettras que quelques minutes à te vider de ton sang et à mourir. Mais je dois te laisser ! Il me faut encore retrouver le reste de tes petits camarades. Je te souhaite une merveilleuse agonie.
Et elle s’en alla.
Murray resta là, dans cette ruelle sordide. Seuls ses gargouillements brisaient le silence de la nuit. Peu à peu, il perdait ses forces. Le froid du pavé remontait dans sa chair, paralysait ses nerfs et brûlait sa peau. Puis l’obscurité l’emporta. Comme elle avait emporté Russel. Comme elle avait emporté tant d’autres avant lui. Mais la Cellule Noire, elle, survivrait. La fraternité était le dernier rempart face à la folie de ces monstruosités divines, face aux cinq fragments du dieu divisé.
***
Big Ben sonna. Trois heures du matin. On avait inauguré sa cloche quelques mois plus tôt. Il avait alors été donné une grande fête. Beaucoup de bruit pour un simple morceau de métal… Accoudée au parapet du pont, Mirage leva les yeux sur la tour de l’horloge.
Des plans germaient dans sa tête. Des idées qu’elle pourrait mettre en œuvre lorsque l’ennui se ferait sentir. Pourquoi ne pas détruire cette jolie façade ? Les humains avaient mis tant de temps à la construire, ils avaient déployé tant d’efforts… Ils étaient comme ces fourmis qui dressaient des murs de terre et de sable, qui s’affairaient jour après jour pour construire leur nid, qui mourraient, même, sans en voir la fin. Un coup de pied bien placé, et ces insectes seraient obligés de…
— Mirage, m’entends-tu ?
La voix pénétra son esprit et coupa là ses délicieuses réflexions. C’était la voix d’un homme, plutôt grave. Une légère oscillation perçait dans sa platitude habituelle. Mirage le connaissait suffisamment pour savoir que quelque chose n’allait pas. Il était en colère.
— Bonsoir, Mental.
— Les autres ne répondent pas. Tu es la seule.
— Oui, j’imagine qu’ils ont fort à faire. C’est qu’ils sont nombreux à avoir rejoint la Cellule Noire depuis un siècle…
— Bon sang, Mirage ! Qu’avez-vous fait ? Que s’est-il passé au temple ?
— Ah ! J’imagine que tu as trouvé les corps de ce cher Russel et de sa famille ? Navrée du désordre, mais ne compte pas sur moi pour faire le ménage.
— Rentre ! Nous devons parler !
— Parler de quoi ?
— Retourne au temple et presse-toi.
Il interrompit là leur échange. Mirage se retint de grogner.
Ah ! Mental… Il avait toujours été avare de paroles et ne cessait de leur donner des ordres. Il était l’aîné, l’incarnation de l’intelligence, certes ! Mais cela lui donnait-il le droit de jouer les leaders ? Les règles étaient pourtant claires : pas de chef dans la Quintessence. Les cinq fragments étaient tous égaux. De toute manière, ils allaient d’ici peu le remettre à sa place. Il était temps pour lui d’assumer ses erreurs.
Une bourrasque balaya le pont de Westminster. Sa robe battit l’air et son chapeau à plumes de corbeau s’envola. Mirage ne chercha pas à le retenir. Elle l’observa s’élever dans les airs avant de retomber dans la Tamise. Le courant l’emporta, le submergea. Bientôt, il ne fut plus qu’un souvenir. Une ombre du passé. Comme tous ces pauvres mortels qui ne faisaient que fouler brièvement le sol de ce monde. À peine étaient-ils nés que la terre les ensevelissait dans leur tombeau.
Mirage inspira. Son regard s’éleva sur les astres nocturnes, que les lumières de la ville camouflaient à peine. Pas un seul nuage à l’horizon. Au-dessus de sa tête s’étendait l’infini.
— Quelle merveilleuse nuit…
- 27 janvier 2005 -
À toi,
Si tu lis cette lettre, c’est que je suis mort.
J’imagine que tu te poses de nombreuses questions, aussi vais-je tenter d’y répondre le plus simplement possible. Laisse-moi te raconter une histoire. Notre histoire. Et, bien qu’il soit de bon goût de commencer par le début, nous entamerons celle-ci par le milieu, si tu le veux bien…
Tout a commencé en 1991, dans le sud-ouest de L’Estonie. Il s’y trouvait un bâtiment d’allure miteuse. Il s’agissait d’un ancien entrepôt reconverti en centre hospitalier pour les plus démunis. Un lieu où s’entremêlaient gémissements de douleur et pleurs endeuillés. La crasse inondait les murs, tandis que dans les couloirs s’alignaient des centaines de brancards.
Et c’est dans ce mouroir infâme que s’est produit le premier miracle.
Dans une pièce exigüe, une femme a donné naissance à une créature exceptionnelle. Un petit être doté de dons qui dépassaient l’entendement. La mère, une pauvre fille désargentée, nous a abandonné l’enfant sans trop de résistance : elle ne l’avait jamais désiré et quelques billets ont suffi à rompre tout lien maternel.
Je me revois sur ce parking, poussant Angéla afin de l’encourager à pénétrer dans le bâtiment. Elle commençait à peine à se remettre de son opération. Sa mémoire flanchait parfois, mais elle se souvenait de sa mission : protéger les cinq fragments du dieu divisé. Retrouver la Quintessence, coûte que coûte !
La jeune femme est entrée dans l’hospice, tandis que moi, je patientais sur le parking où se pressaient blessés et souffrants. Je m’en souviens comme si c’était hier… Beaucoup entraient. Peu en ressortaient.
Ne trouves-tu pas étrange de voir à quel point la vie humaine est fragile ? Tant d’espoirs, tant de rêves, tant de convictions… et en un battement d’ailes, clac ! Les voilà qui disparaissent. Mais la mort est-elle vraiment la fin en soi ? N’est-elle pas le début d’une nouvelle histoire ? Ou bien le milieu ?
Angéla est revenue, pressant contre elle un bébé emmailloté. Je ne suis pas doté d’une grande sensibilité, comme tu le sais. Pourtant, ce soir-là, mon cœur de pierre s’est serré. Un étrange sentiment m’a envahi face au visage rondouillard de ce nouveau-né.
Karma. La première des Cinq à renaitre de ses cendres. La première réincarnée de la Quintessence !
Comme il était étrange de la voir ainsi, si petite. Si fragile. Comme elle était loin, l’adulte forte et fière que j’avais connue par le passé. Elle, le fragment de la destinée. La personnification même de la conscience…
Le temps a filé et nous sommes restés là, à observer le nourrisson endormi, tournant le dos au vent afin de le protéger du froid. Mais nous savions tous deux que l’heure fatidique approchait et Angéla versait peu à peu dans l’anxiété.
Elle doutait d’elle-même et de sa capacité à accomplir sa mission. Je crois surtout qu’elle craignait de se retrouver seule, détachée de moi. Pourtant, elle était prête. Et de toute manière, je ne pouvais pas rester plus longtemps à ses côtés. Je devais agir rapidement, avant qu’il ne soit trop tard. Angéla serait la dernière. L’ultime fragment du Consensus !
Je lui avais laissé de l’argent et tout le nécessaire afin de lui permettre de quitter cet endroit infâme. Il ne lui restait plus qu’à dénicher un lieu où recueillir les cinq membres de la Quintessence : Karma, Mirage, Mort, Vie et… Mental.
Bien sûr, je lui brisais le cœur, mais rester avec elle, c’était les mettre en danger. La Cellule Noire connaissait mon visage. Ils ne m’auraient pas lâché. À présent, Angéla devrait retrouver les quatre autres. Elle devrait reformer la Quintessence et les mettre à l’abri. Car tel était son but. Sa dernière raison d’exister.
Je la connaissais. Mieux que personne. Mieux que moi-même. Angéla irait jusqu’au bout. Avec ou sans moi. Alors, après un dernier adieu, je disparus dans la nuit.
Au fond, je le savais : ceci n’était pas une fin en soi. C’était le début d’une nouvelle histoire… Ou bien était-ce le milieu ?
Marius
Karma
Chapitre 1 : Le bureau interdit
D'aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu conscience de tout. Du sang qui pulse dans mes veines à l’air qui gonfle mes poumons, rien ne m’échappe. Je suis comme bloquée dans un constant éveil, dans une acuité hors norme.
La conscience est souvent confondue avec l’intelligence. C’est une erreur. Ce n’est pas parce que vous avez conscience de quelque chose que vous la comprenez. La conscience est un concept flou, une essence qui se situe quelque part entre l’âme, la mémoire et l’intellect. C’est quelque chose d’intangible, et pourtant, de bien réel.
Bien entendu, mon enfance n’eut rien de banal. Pas d’école, pas d’amis… Angéla me faisait pratiquer des exercices quotidiens. Elle tentait de les faire passer pour un simple divertissement, pourtant, tout au fond de moi, je le savais : cela n’avait rien d’un jeu.
Je me rappelle ce jour-là comme si c’était hier. J’étais assise sur un tapis en mousse jaune, Angéla me faisait face. Elle tenait dans sa main un ensemble de cartes représentant des animaux : chat, chien, perroquet, éléphant ou girafe. Je devais avoir quoi… six ans, à l’époque ?
— Karmilla, insistait-elle en claquant des doigts afin d’attirer mon attention. Karmi, concentre-toi. Peux-tu me dire quel animal se trouve sur la carte que je vais retourner ?
Nous étions en plein été et le soleil brillait au-dehors. Moi, petite fille aux bouclettes blondes, je ne rêvais alors que d’une chose : sortir jouer. Faire du patin ou du vélo, jouer à la marelle ou aux billes. Mais non. Je devais rester dans ce salon à prédire des cartes débiles.
— La souris.
Angéla retourna la carte. Un petit rongeur sur une bobine de fil apparut et un large sourire se dessina sur les lèvres d’Angéla.
— Bravo ! Et celle-ci ?
— Le kangourou.
— Bien ! Et celle d’après ?
— Le singe.
Les plis de ma robe me grattaient affreusement. La mousseline irritait ma peau d’albâtre et j’avais de plus en plus de mal à rester en place. Impatiente, je jetai un rapide coup d’œil à la main d’Angéla pour y compter le nombre de cartes restantes : plus que six. Bien ! Je pouvais régler cette affaire en quelques secondes.
J’ouvris grand la bouche et énumérai à toute vitesse :
— Le chat qui dort, la poule, l’ours grognon, le lapin blanc, le lion et le mouton noir.
Angéla retourna les cartes une à une, stupéfaite. Zéro faute. Record battu ! Un coup de chance ? Pas vraiment, car chez moi, le hasard, ça n’existe pas.
— Eh bien, marmonna Angéla, voilà qui est très…
— Je peux sortir, maintenant ?
Son regard coula en direction de la fenêtre. Un soleil radieux brillait au-dehors. Ses rayons filtraient au travers de la vitre pour baigner la pièce d’une lumière chaude. Le « Nid » : c’était ainsi qu’Angéla appelait notre manoir. Un cocon réconfortant. Et si j’en connaissais chaque recoin, l’extérieur, lui, restait un vaste monde inconnu.
— Non. Pas maintenant.
Sa réponse me frustra et mon visage prit peu à peu l’aspect de la déception.
— Pourquoi ?
— Il y a trop de monde dehors à cette heure-ci. Nous irons nous promener dans la forêt lundi soir, si tu es sage.
— Mais je suis allée au portail hier et j’ai vu d’autres enfants jouer dans la rue. Ils n’avaient pas peur, eux. Pourquoi moi, je ne peux pas sortir ?
— Je te l’ai déjà dit. Tu n’es pas comme les autres, Karmi.
Sa main caressa les rondeurs de ma joue. Sa peau était douce, mais cela ne calma en rien ma mauvaise humeur. Oui, je le reconnais : j’étais un peu capricieuse à cette époque. Malheureusement, mon manège ne prit pas : le son d’une sonnette nous interrompit. Angéla se releva en redressant le turban sur sa tête. D’aussi loin que je me souvienne, je ne l’avais jamais vue sortir de sa chambre la tête nue. Elle semblait souffrir d’une chute précoce des cheveux qui dégarnissait son crâne.
— Ne bouge pas d’ici, ordonna-t-elle en sortant de la pièce.
Bien décidée à exprimer ma frustration, j’avais alors laissé tomber les cartes pour remonter dans ma chambre en tapant des pieds. Qu’elle les prédise toute seule, ses cartes débiles !
Le parquet craquait à chacun de mes pas. Le manoir était vieux et grinçant. Il glougloutait, ronronnait, crachotait. Jamais il ne se taisait. Toute sa carcasse respirait la morosité et le vent, dans les conduits des cheminées, provoquait des sifflements inquiétants. Je craignais presque, parfois, de croiser un fantôme au détour d’un couloir.
Je m’en allai pour rejoindre ma chambre avec l’idée de commencer une partie de billes, mais ma course s’acheva sur le palier du second étage. Un grincement sourd résonna. Intriguée, je me tournai vers une porte de bois blanc munie d’une poignée en porcelaine. La seule porte que je n’avais pas le droit de franchir : celle qui menait au bureau d’Angéla. Figée sur place, je fixai l’entrebâillement qui venait de se créer ; un espace suffisamment grand pour laisser passer une enfant de ma taille. Un simple hasard ? Certainement pas ! Debout sur la dernière marche, je fixai cette ouverture. Quelque chose d’imperceptible commença alors à glisser tout autour de moi. Un murmure. Une invitation : Allez ! Va donc voir ce qui se cache derrière… Que crains-tu qu’il arrive ?
Il me parlait. Conscience me parlait. Conscience, c’était cette présence imperceptible, mon Jiminy Cricket à moi, la voix de la raison qui me guidait et me disait que faire ou ne pas faire. Et à cet instant précis, il m’encourageait à entrer dans le bureau d’Angéla. À imiter Alice avec son lapin blanc. À braver l’interdit. Quoi que renferme cette pièce secrète, quelque chose m’attendait de l’autre côté.
Rassemblant tout mon courage, je lâchai la rambarde et traversai le palier afin de rejoindre la porte. Ma main se posa sur la poignée. Elle était froide. Glacée, même. Un frisson remonta le long de mon dos pour hérisser les cheveux blonds sur ma nuque.
Faisais-je bien d’écouter Conscience ? Parfois, il ne m’attirait que des ennuis…
Après un dernier regard en arrière, je me décidai à ouvrir. La porte glissa sans la moindre résistance. De l’autre côté, il faisait sombre. Les persiennes étaient closes et la lumière du jour qui passait dessinait des rainures sur les murs. Il régnait ici une forte odeur de poussière. Toute la pièce semblait dormir, plongée dans une semi-obscurité. Un large bureau recouvert d’un panneau de cuir, des piles de papiers entassés, une vieille cheminée fermée d’une plaque en métal… J’avançai de quelques pas timides, craignant qu’un monstre jaillisse du placard pour me sauter à la gorge. J’aurais sans doute mieux fait de tourner les talons, mais j’avais alors un incroyable défaut, commun à beaucoup d’enfants de mon âge : j’étais curieuse. Mon attention se porta en premier lieu sur un coupe-papier posé sur le bureau. Un bel objet au manche de cristal. À côté se dressaient deux boîtes à stylos remplies de petites billes en fer et sur le mur du fond était accroché un large tableau. Je m’approchai afin de l’observer. L’homme représenté dessus me mettait mal à l’aise, avec sa grosse moustache et son monocle. Il semblait m’observer de son regard sévère, comme pour me dire : « Eh, toi ! Que viens-tu faire ici ? Tu vas être punie ! Tu n’auras pas de dessert, ce soir. »
Bon… je dois partir avant que…
Un second grincement résonna. Plus aigu, plus irritant. Nouveau frisson, et je me retournai en direction d’une vieille vitrine aux allures de vaisselier. L’un des battants était entrouvert. Encore. Comme la porte avant lui. Comme si une main fantomatique avait décidé d’attirer mon attention.
Je m’approchai à pas de loup et me mis sur la pointe des pieds afin d’observer les objets entreposés à l’intérieur. De l’argenterie, pour la plupart. Rien de bien passionnant… Puis mon regard se posa sur un petit écrin en bois. Une boîte longue et fine sans rien de particulier, pas même un dessin gravé sur sa face vernie. Pourtant, sans pouvoir l’expliquer, je me sentais irrémédiablement attirée par cette boîte. Une attraction anormale, comme si Conscience me murmurait à l’oreille : Vas-y. Prends-la dans tes mains. N’hésite pas ! Elle est là pour toi…
Et, contre tout bon sens, je cédai. J’envoyai une main se saisir de la boîte, tandis que de l’autre, j’en soulevais le couvercle. Qu’espérais-je y trouver ? Un trésor ? Un secret millénaire ? La corne d’une licorne ? Quelle ne fut pas ma déception lorsque seul le vide se dévoila ! Rien. Pas même un poil de gobelin. Je passai ma main sur le velours rouge qui recouvrait les parois. Il était doux et on aurait dit qu’un objet y avait laissé son empreinte. Un objet fin, mais lourd. Pas une corne de licorne, non. Peut-être plus une bagu…
— Karma !
Horreur et damnation !
Un sursaut m’échappa, et la boîte finit sa course au sol. Elle s’écrasa dans un bruit sourd. Les yeux ronds comme des soucoupes, je me tournai vers Angéla. Son visage apparaissait à contre-jour par l’embrasure de la porte.
— Que fais-tu ici ?
Sa voix chancelait. Elle montait et descendait dans les tonalités. Plus que de la colère, j’y perçus de la peur.
Je voulus ouvrir la bouche, mais seuls des mots brouillés en sortirent :
— C’est… la porte… ouverte… pas ma faute.
En trois pas, Angéla fut devant moi. Elle me saisit d’une main. Dans l’autre, elle tenait une enveloppe grande ouverte. Lorsque nous arrivâmes dans le couloir, je pus lire un nom inscrit sur le rabat : Marius. Sur le coup, je n’y fis pas attention, bien sûr. Ma seule crainte était de me faire gronder. Si j’avais su…
— Je t’avais interdit d’entrer dans mon bureau ! gronda Angéla en me faisant tourner sur moi-même. Je croyais avoir été claire, Karmilla !
— Pardon, bredouillai-je.
Des picotis dans ma gorge annonçaient l’arrivée imminente des larmes. Angéla pointa l’escalier du doigt :
— Dans ta chambre ! Et vite !
Je ne bronchai pas. Le pas traînant, je pris la direction indiquée et refermai la porte derrière moi. Puis, enfin, ce furent les grandes eaux.
Chapitre 2 : MILKA-chocolat
Angéla quitta le Nid ce soir-là. Je restai seule, enfermée dans ma chambre et prenant son départ comme une punition. Je finis mon assiette de coquillettes-jambon avant de m’endormir, épuisée d’avoir trop pleuré. Ce furent quelques coups à la porte qui me tirèrent de mon sommeil. Je me redressai dans mon lit, l’esprit brumeux.
— Karmi, réveille-toi, chuchota Angéla en allumant la petite veilleuse sur ma commode. J’ai quelqu’un à te présenter.
Sa voix était douce, mielleuse, même. Plus le moindre signe de colère. Je la suivis sans comprendre, quittant la moiteur de mes draps pour descendre jusqu’au salon. Là, sur le petit tapis de jeu, trônait un berceau. Un voile surmontait sa nacelle en osier. Je me figeai instantanément. Un berceau ? Mais… je suis bien trop grande pour entrer dedans ! Puis un bruit s’éleva dans la pièce ; un gargouillis, suivi d’une suite de glouglous ridicules. Mon regard glissa en direction d’Angéla, qui m’encouragea à avancer. Suspicieuse, je fis quelques pas pour découvrir le bébé qui gigotait à l’intérieur du couffin. Ses petits coups de pied faisaient glisser la couverture bleue sur son ventre rebondi. Lorsque ses yeux rencontrèrent les miens, je me figeai à nouveau. La surprise laissa place à l’horreur et de sombres idées défilèrent dans ma tête. Angéla a-t-elle décidé de me remplacer ? Ai-je fait la bêtise de trop, cette fois-ci ? Mes poils se hérissèrent et je courbai le dos à la manière d’un chat vexé.
— Je te présente Mirage. Il va venir vivre avec nous.
Je me tournai vers elle, les yeux ronds.
— Pourquoi ?
— Je te l’ai déjà expliqué. Tu n’es pas toute seule. Il y en a d’autres, des comme toi. C’est l’un de tes frères et sœurs perdus, et nous venons enfin de le retrouver. N’est-ce pas merveilleux ?
Je ne voyais absolument pas ce qu’il y avait de merveilleux là-dedans. Au contraire, même. Je m’approchai d’un pas et lançai un regard dédaigneux au nouveau-né. Je le trouvais gras et baveux. Il me faisait penser à une limace. Je n’avais nullement envie de l’accueillir chez moi. C’était mon Nid ! Mon Angéla !
Ma réticence ne dut pas manquer à cette dernière, car elle s’agenouilla à mes côtés pour me caresser tendrement les cheveux.
— Tu te souviens de ce que je t’ai dit, Karmi ? Au sujet de la Quintessence…
J’acquiesçai avec un petit « oui » boudeur.
— Vous êtes cinq. Cinq frères et sœurs. Chacun possède un don exceptionnel, tout comme toi.
— Ils peuvent prédire les cartes ?
— Non… non. Ça, c’est ton don, Karmilla. Eux, ils ont le leur. Toi, tu es la conscience, Mental est l’intelligence, Vie est l’instinct et Mort est la peur. Ce bébé que tu vois là, c’est Mirage. Il est l’illusion. L’imaginaire. Tu ne t’en souviens pas, mais vous vous connaissez déjà, tous les deux. Vous étiez frère et sœur dans vos vies antérieures.
— Et ils sont où, les autres ?
— Eh bien, je ne sais pas. Personne ne le sait. Ils se cachent, car ils craignent la Cellule Noire.
Je relevai les yeux sur elle. La Cellule Noire… Les méchants qui voulaient me faire du mal. Avec le temps et ce que m’en disait Angéla, ils prenaient peu à peu l’allure de croque-mitaines. Angéla m’avait expliqué qu’ils voulaient nos pouvoirs, qu’ils étaient les ennemis de la Quintessence. À l’opposé du Consensus, dont Angéla faisait partie et qui ne désirait que nous protéger.
— Mirage a fini son ancienne vie. Il s’est donc réincarné, comme tu l’as fait avant lui. Et, comme telle est ma mission, je l’ai retrouvé pour le protéger de la Cellule Noire. Regarde, il est tout petit. Sans défense. Sans nous, il serait totalement vulnérable.
Le bébé s’agita à ces mots. Son visage se fendit d’un large sourire et il battit des bras en poussant de petits couinements. Les lèvres pincées, je ne répondis rien.
— Il va avoir besoin de toi, Karmi, poursuivit Angéla. Tout comme les trois autres lorsqu’ils nous rejoindront. Ils auront tous besoin de toi. Tu es l’aînée dans cette vie. La grande sœur. Ce sera à toi de les protéger. Tu vas les aider, leur apprendre à contrôler leurs pouvoirs et à les dissimuler pour ne pas risquer d’être attrapés par la méchante Cellule Noire. Tu comprends ce que je te dis ?
Je hochai la tête pour toute réponse.
— Grâce à toi, ils grandiront ici, en sécurité. Loin du danger.
Oui, bon… je n’étais toujours pas convaincue de l’utilité d’avoir des frères et sœurs. Tant qu’à faire, j’aurais préféré avoir un lapin, mais l’idée d’être la plus grande et de les diriger me plaisait.
— C’est très bien, Karmi. Alors, pour commencer, il faut lui trouver un nom, qu’en penses-tu ? On ne va pas continuer à l’appeler Mirage. As-tu une idée ?
— Gaston ? proposai-je sans même réfléchir.
Si j’avais eu un lapin, je l’aurais appelé Gaston.
Angéla grimaça :
— Oui, alors… Et si nous lui trouvions plutôt un nom qui fasse penser à Mirage ? Comme Michel, par exemple ?
À mon tour de grimacer. Michel ? C’était un nom de vieux, ça !
— Milka ? suggérai-je avec entrain.
— Milka ?
— Oui, comme le chocolat. Il est gros. Je suis sûr qu’il aimera ça, le chocolat.
Les traits d’Angéla s’étirèrent. Un peu plus et elle éclatait de rire.
— Alors, ça non plus, ça ne va pas aller… On n’appelle pas un bébé comme une marque de chocolat. Tu n’aurais pas aimé que je t’appelle Panzani.
— Pourquoi m’aurais-tu appelée Panzani ? m’offusquai-je en aplatissant d’une main ma tignasse bouclée.
— Là n’est pas la question…
Elle fit mine de réfléchir avant de se parer d’un large sourire.
— Et que penses-tu de Mika ? Ça ressemble à Milka, mais sans le « L ». C’est joli, non ?
Hum… Ouais, non. Je préférais de loin Gaston, mais qu’importe, après tout. Je lui trouverais bien un surnom ridicule pour compenser.
— Bon, d’accord, abdiquai-je en soufflant.
Mon regard se fixa un temps sur l’affreuse petite larve qui se dandinait toujours dans son berceau. Des bulles de bave éclataient par intermittence entre ses lèvres potelées. Dégoûtant ! Pourtant, je finis par me détendre. Mes épaules retombèrent et, à bien y regarder, lorsque ses gros yeux noirs me fixaient avec cette moue enjouée, je pouvais presque le trouver mignon.
— Il ne dormira pas dans ma chambre ? m’inquiétai-je en me tournant vers Angéla.
— Non, bien sûr, s’amusa-t-elle. Ne t’en fais pas. Il ira au premier, à côté de la mienne.
Sa réponse me soulagea. Du moins, pour une courte durée, car il y avait une chose que l’on avait oublié de m’expliquer sur les bébés : les murs et les planchers, ça n’arrête pas leurs pleurs.
***
Mon Milka-Chocolat grandit à une vitesse folle. Pourtant, les cinq années passées seule avec lui me parurent durer des siècles. Malgré ma réticence du début, je dois bien l’avouer : elles furent sans doute les plus belles de mon enfance.
Je nous revois courir dans les couloirs, créer des maisons à l’aide de coussins, de pinces à linge et de serviettes…
Mika était un enfant turbulent. Il ne tenait pas en place ; une vraie tornade qui ne cessait de jacasser et de poser des questions. « Eh, Karmi, c’est quoi, ça ? Et ça, c’est quoi, hein ? Dis, il se passe quoi si je tire là-dessus ? » Je répondais : « Essaye, et tu verras. »
Le plus beau dans cette histoire, c’est qu’il semblait me vouer une dévotion sans faille. Il faisait tout ce que je lui disais et assumait toutes les punitions, tandis que moi, le cerveau de l’opération, je m’en sortais indemne. Mika était gentil, indéniablement. Bien moins futé que moi à son âge. D’ailleurs, ses pouvoirs tardèrent à se présenter : ce ne fut qu’à trois ans qu’il développa ses premiers talents pour le mensonge. Mirage possédait un don inné pour la duperie. Angéla gobait tout ce qu’il disait, même les poissons les plus gros.
Peu de temps après, il parvint à réaliser ses premières illusions. Sur son propre corps, tout d’abord : il pouvait changer de cheveux, d’habits… Pratique lorsque l’on voulait rester en pyjama toute la journée. Un jour, il prit mon apparence afin de voler des biscuits dans la cuisine. Sa supercherie me valut une soirée enfermée dans ma chambre, privée de dessert. Mais bon… je ne pouvais pas lui en vouloir : je lui en faisais tout autant baver et je gagnais toujours à nos parties de cache-cache.
— C’pas juste ! râlait-il en tapant du pied.
— C’est le jeu, Mika ! Tu as perdu, c’est tout.
— J’étais super bien caché. Tu aurais dû mettre plus d’une heure à me retrouver !
— C’est comme ça. J’ai juste eu de la chance.
— De la chance ? Tu m’as trouvé du premier coup ! Comme pour les dix parties précédentes. Tu triches, Karmi ! Tu utilises ton pouvoir !
— Eh ! J’y peux rien ! grognais-je. Moi, mes pouvoirs, je ne les contrôle pas. Conscience me guide.
— Menteuse ! Je sais que tu influences volontairement les probi… bi… bibilités ! C’est Angéla qui l’a dit.
— C’est toi le probibile !
Et ça partait en ruade.
Ah, la belle époque ! Avec Mika, je rêvais moins d’extérieur. Les journées passaient plus vite. Après les cours et les entraînements, nous nous lancions dans des jeux épiques. En vérité, je dois l’avouer : cela me manque. Cette insouciance. Cette innocence. Parfois, lorsque j’y pense, mon cœur se serre et je me demande comment tu vas, Mika. T’abandonner a sans doute été la chose la plus difficile à faire de toute ma vie.
Chapitre 3 : Les jumelles
L’an 2000 arriva. Nous n’étions toujours que deux au Nid, mais Angéla s’absentait parfois sur de longues périodes. Voilà plusieurs mois que je la soupçonnais d’être sur la piste d’un des trois autres fragments, et cette fois-ci, lorsque l’on sonna à la porte, ce fut moi qui allai ouvrir. Personne ne se présenta. En revanche, sur le seuil, on avait déposé une lettre, fermée par un cachet de cire frappé d’une étoile à douze branches. Le nom inscrit sur le rabat me sauta immédiatement aux yeux : Marius. Comme sur la première lettre, celle de Mika.
Angéla se précipita pour me l’arracher des mains, puis elle mit un terme à notre matinée d’entraînement pour s’enfermer dans son bureau. Mika, loin de se douter de quoi que ce soit, avait exprimé sa joie dans un cri :
— On va pouvoir jouer à la console ! Eh, Karmi, tu sais que la PlayStation 2 sort dans quelques mois ? Tu crois qu’Angéla acceptera de nous l’acheter pour Noël ?
Je ne répondis pas. Toute mon attention allait à la porte du bureau d’Angéla et à son affreuse poignée en porcelaine. Une puissante chaleur m’enveloppa et je sentis mon cœur s’accélérer.
Enfin ! Bientôt, nous serions trois.
— Je crois que nous aurons une autre surprise pour Noël, Milka-Chocolat, répondis-je finalement.
Il releva la tête et posa les yeux sur moi, repoussant sa tignasse brune d’un geste de la main. Mika n’avait jamais réussi à dompter sa crinière ébouriffée.
— Pourquoi tu dis ça ?
***
Malheureusement, les choses traînèrent. Un jour, une semaine, un mois… Angéla allait et venait, nous laissant parfois seuls au Nid des jours entiers. Heureusement, du haut de mes dix ans, j’étais relativement autonome. Je savais faire cuire des pâtes et préparer les affaires de toilette de Mika. Nous ne sortions pas du manoir. Pas même dans le jardin ou la forêt du domaine.
À chaque fois qu’Angéla revenait, elle était dans un état d’énervement qui ne lui ressemblait pas. Nous l’évitions alors avec soin, la laissant seule, assise dans le salon, devant sa tasse de thé fumante. Finalement, ce fut quatre ans plus tard, alors que moi-même je n’y croyais plus, que le miracle se produisit ! Je me souviens encore de la mine enjouée d’Angéla. Elle avait passé sa journée à préparer à manger et nous eûmes le droit de dévorer autant de gâteaux que nous le voulûmes. À midi, on sonna à la porte. Un homme et une femme entrèrent dans le Nid. Leur présence nous laissa sans voix, Mika et moi : jamais nous n’avions d’invités. Mais ce qui nous interpella le plus, ce fut les deux fillettes qui
