Les chimères du Trieux: Graine d'Écume - Tome 3
Par Claire Connan
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À propos de ce livre électronique
Trois femmes se retrouvent au cœur d’une course éperdue pour sauver un nourrisson. Narratrice de cette histoire, la pétillante Éléonore, de nouveau en proie à des visions fantastiques, reprend en main, parfaite cavalière, les rênes de sa vie. Rose, sa mère, part de Cesson sur les traces de son père, réfugié espagnol. Nous suivons sa quête jusqu’en Espagne au travers des lettres qu’elle écrit à ses enfants. Caroline, de retour chez ses parents à Cherbourg et confrontée à ses origines irlandaises, nous confie les secrets de son journal intime. À la croisée de leurs chemins, entre Loguivy-de-la-Mer, l’archipel de Bréhat et le long du Trieux, se joue le destin de leur famille.
Dans ce troisième et dernier volet de sa saga familiale Graine d’écume, Claire Connan plonge une nouvelle fois le lecteur entre réel et imaginaire au cœur de l’Histoire bretonne et de ses légendes, mêlant habilement suspense, poésie, émotion et tendresse…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Claire Connan est née en 1960 à Cherbourg. Depuis plus de trente ans, elle vit à Paimpol. Professeur des écoles à la retraite, elle partage son temps entre petits-enfants, danse et… écriture.
En savoir plus sur Claire Connan
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Avis sur Les chimères du Trieux
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Aperçu du livre
Les chimères du Trieux - Claire Connan
1
Cesson, 2 novembre 1999
Tout à l’heure, le jour se lèvera, encore une fois. Les arcades du pont de chemin de fer percent lentement le voile de brume et peu à peu révèlent le jardin de la maison de briques.
J’ai mal dormi. Depuis une semaine, je ne prends plus mes cachets. Personne ne doit le savoir. Même pas Pascal. Surtout pas Pascal. Je suis experte dans l’art de dissimuler mes émotions. Je feins l’apathie et imprime consciencieusement sur mon visage un masque de stupeur imbécile. Tous me croient malade. Schizophrène, le docteur a dit. Tu parles ! N’empêche, j’en suis venue à douter de ma propre santé mentale, mais là je n’en peux plus. Alors, l’autre jour, à la faveur d’un éclair de lucidité, j’ai décidé de ne plus prendre mon traitement.
Au diable, neuroleptiques, antipsychotiques ! L’Éléonore d’avant est de retour, l’Éléonore sportive, la cavalière, vive, pétillante. Si les visions reviennent, je les tairai, je les maîtriserai. Oui je le peux, je le veux. Il le faut.
Cette nuit, un curieux rêve s’infiltre en moi. Le premier depuis si longtemps.
Mon cœur s’affole, s’enraie, s’embrase. Le silence et l’obscurité sont écrasants ; ma tête en feu résonne. Suis-je encore dans mon lit ? Je laisse courir ma main sur le sol, la porte à mon visage et la presse sur ma peau moite. Une forte odeur d’humus et de soufre me prend à la gorge. Les draps se font terre dans ma chambre funéraire.
Je cligne mes yeux en berne, qui peu à peu s’habituent au noir poisseux. Autour de moi se dessinent des sortes de totems, troncs immenses et menaçants. La chaleur m’oppresse ; je suffoque presque. Je dois quitter cet endroit de mort ou y rester à jamais. Avec difficulté, je m’extrais de la couche tombale et, en titubant, m’enfonce, d’écorce en écorce, au cœur de l’épaisse hêtraie.
Tout à coup, des éclats de voix me parviennent d’une clairière là-bas. Je m’approche et me trouve bientôt à découvert. Je tâte mon corps en transe, je respire enfin : je suis vivante mais presque nue. Personne ne semble s’apercevoir de ma présence. J’observe avec effroi la scène qui se déroule devant moi.
Une dizaine de personnes, visiblement aux ordres, s’affaire autour d’un homme de stature imposante à la tête ceinte d’une couronne sertie de pierres précieuses : un roi à cheval sur un magnifique étalon noir. Une partie de chasse se prépare. Le souverain essuie son front et pour se rafraîchir, relève les manches de sa tunique.
Comme prise en faute, je sursaute : un immense serpent vient de tomber lourdement d’un arbre sur le monarque qui chute de sa monture et se débat au milieu des aiguilles de pin. Le cheval s’enfuit au triple galop, comme s’il avait vu le diable. Le reptile s’enroule, anneau après anneau, autour du bras nu. Impossible de l’en arracher. L’homme est blême ; l’animal se nourrit de son sang. J’aimerais l’aider, mais, spectatrice de cette scène dramatique, je suis impuissante.
Soudain, à mon grand étonnement, apparaît mon ange gardien Azénor, que l’on a mandé. Elle accourt auprès de lui et fond en larmes. Cet homme serait-il son père, le roi de Brest ? Que peut-elle contre cet animal monstrueux ? Quel rapport avec moi ?
Le groupe de valets occupés à tirer sur la bête s’écarte. Un seigneur du pays, âgé, visiblement respecté, s’approche, mains jointes au ciel. Tout en invoquant le Saint-Esprit, il s’adresse à Azénor :
— Reine Azénor, si tu suis mon conseil, ton père sera délivré du dragon.
— Il n’est rien, répond Azénor, même la mort, que je ne sois prête à souffrir pour sauver le roi.
— Oins-toi le sein d’huile d’olive et de lait doux de brebis, reprend le seigneur. Présente-le ainsi au monstre : il abandonnera le bras de ton père pour se précipiter vers toi. Aussitôt, avec ce couteau tranchant, coupe ton sein et jette-le dans les flammes avec le dragon. Et alors, ton père sera guéri.
— Tes paroles remplissent mon cœur de joie et je vais faire ce que tu me conseilles.
Azénor dévoile donc sa poitrine. Cher ange gardien, je ne t’ai jamais vue ainsi : ton corsage blanc pend d’un côté jusqu’à la ceinture et dénude ton sein clair d’où perle une goutte de lait¹. Non, c’est trop horrible, tu ne vas pas…
Je me réveille en sursaut, obscur pressentiment en tête. Quel message Azénor tente-t-elle de me transmettre ? Un sein, du lait, un enfant ? Quel enfant ? Je me dis que tout recommence et, malgré mon appréhension, cette idée m’est agréable. Il faut bien que quelque chose se passe : rêve, cauchemar, vision… peu importe. Tirer le fil, sortir de cette impasse.
1. D’après un texte latin de la fin du XIVe siècle : le Chronicon Briocense (Chronique de Saint-Brieuc).
2
Je me lève en prenant bien soin de ne pas te réveiller. Toutes ces épreuves nous ont éloignés l’un de l’autre. Pascal, j’aime t’observer ainsi abandonné dans notre lit. La couverture a glissé, je crève d’envie de caresser la fossette du creux de tes reins, de provoquer LE doux frisson. Nos jeux polissons des débuts me manquent. Il y a si longtemps que nos chairs s’ignorent.
Il se retourne, soupire. Son genou d’abord lové contre sa poitrine se déplie et dévoile ses formes rondelettes si attendrissantes, son ventre presque imberbe et les parties intimes de son corps de jeune homme. Si excitant ainsi offert. Je n’ose plus bouger. Le spectacle de sa nudité fait remonter en moi un désir presque douloureux. Il s’agite, mâchonne du bout des lèvres une bouillie de syllabes, méli-mélo de marmonnements incohérents, de sifflotements. Je m’amuse du va-et-vient de sa langue ; à mon insu, la mienne lui répond en miroir. Il tend le bras, s’étire, je gonfle ma poitrine.
Adolescente, garçon manqué jusqu’à l’extrémité de mes ongles rongés, je m’accommodais des formes désespérément plates de mes seins débutants. À la puberté, je me suis surprise à m’intéresser à ces deux protubérances féminines. Pour maîtriser leur éruption embarrassante, je me suis résolue à les enfermer à l’intérieur de cet engin de torture que je m’étais juré de ne jamais porter : un soutien-gorge.
Sa main roule par accident sur mon mamelon tendu et déclenche un flot de vocalises. Je crois distinguer mon prénom, suivi d’un « Non ! » ferme, autoritaire. Je sursaute, comme prise en faute. Pascal ne s’est pas réveillé. La magie est rompue, je détourne corps et regard à regret.
Quel appel inconscient me pousse ensuite hors de la chambre ? Pieds nus, j’avance sur le palier. La maison est endormie. En passant, j’entends les ronflements de mon père Gustave : deux longs très lents suivis de trois brefs rapprochés, signaux de son sommeil profond. Mes parents font depuis pas mal de temps chambre à part. Celle de ma mère est entrouverte. Je risque un œil à l’intérieur. Le calme, anormal, me saisit à la gorge. Je me décide à entrer, me précipite vers le lit et secoue bêtement les draps. À quatre pattes, je regarde sous le sommier, comme si j’allais découvrir maman au milieu du troupeau de moutons. Comme quand j’étais petite et que je ne dérogeais jamais à mon rituel du soir : inspecter chaque recoin de ma chambre, chaque tiroir, chaque fond de placard. Mon sésame pour une nuit sereine sans cauchemar. Mais ça, c’est une autre histoire.
Je descends lentement l’escalier. Cette satanée marche du milieu craque, zut ! j’ai pourtant l’habitude. Temps d’arrêt. Rien à signaler. Cuisine. Paloma se lève de son coussin en s’étirant, se ravise, émet un léger grognement, fait trois fois le tour de son panier puis se laisse tomber lourdement. J’évite toujours de croiser son regard de grand chien noir. Regard trop humain qui semble surveiller nos allées et venues et juger chacun de nos actes. J’y perçois l’éclair de l’œil de mon grand-père disparu, mon Papinou. Ma folie sans doute, dans toute sa splendeur.
Excepté Paloma, personne dans la pièce. Une évidence : ma mère est partie.
Une enveloppe est posée sur la table. Je la saisis, je l’ouvre. De nature impatiente, je la déchire plutôt, c’est bien moi, ça, bon signe, je vais mieux. À l’intérieur, une lettre. Je la hume, la plaque sur mon nez, je me remplis, m’étourdis du parfum de maman un peu trop acidulé, mélange citron et zestes d’orange. Déplier le papier, encore une bouffée de cette fragrance presque entêtante, et lecture. L’écriture est bien formée, soignée. Comme si Rose avait réfléchi, pensé, pesé chaque mot, chaque lettre. La date n’est pas rédigée avec le même stylo. Manifestement, maman préparait ce départ depuis longtemps et avait juste attendu le moment adéquat. Mes lèvres excrètent malgré moi des paroles piquantes qui écorchent ma gorge. Ma poitrine se serre, Paloma dresse une oreille. Le son de ma voix dans le silence de la nuit me fait presque peur.
3
Cesson, le 1er novembre 1999
Mes chers petits, Gustave,
Quand vous lirez cette lettre, je serai loin.
Je ne sais pas quand je reviendrai. Ne me posez pas de questions, je n’ai pas de réponse. J’ignore ce que je vais trouver. Je pars, c’est tout.
Ce n’est pas de votre faute. Nous avons vécu tant de drames. J’ai besoin de me retrouver, de mettre de l’ordre dans ma vie de femme, dans mes souvenirs de petite fille aussi. Pour avancer, il me faut comprendre mon passé. Ne vous inquiétez pas pour moi, ce n’est pas un coup de tête, j’ai mûri ma décision depuis longtemps. Je vous expliquerai, le moment venu.
J’ai tenté d’être une bonne épouse, j’ai échoué. J’espère avoir été une bonne mère. Un jour peut-être, vous me comprendrez. Et vous me pardonnerez.
Je vous embrasse de tout mon cœur, mes chéris.
Je vous aime. Rose
4
Cherbourg
Cher journal,
C’est moi, Caroline, tu ne m’as pas oubliée ? Six heures du matin, encore une nuit sans sommeil. Me revoilà à Cherbourg. Me revoilà après toutes ces années, de retour dans ma petite chambre, celle du milieu sous les combles. Tellement pathétique ! Journal adoré, je t’ai délaissé, excuse-moi. Tu m’as attendue, personne ne t’a trouvé, tu étais bien caché, bien scotché, sous mon bureau d’écolière. Me revoilà à mon point de départ, dans la maison de mon enfance, la boucle est bouclée. J’ai la rage.
Oui, j’ai la rage et je pleure. Caroline, pleurer ? Qui l’eût cru ? J’aurais écorché, dépecé sur place celui qui aurait seulement effleuré cette pensée.
Cher journal, j’ai de nouveau besoin de toi. J’étais heureuse avec Cyrille, mon tendre Cyrille. Nous avions réalisé notre rêve : ouvrir une école d’art à Loguivy-de-la-Mer, Budoc Arts, joli nom, n’est-ce pas ? Sans me vanter, c’est moi qui l’ai trouvé. Tout allait pour le mieux. Mais voilà, j’ai trahi, je n’ai pensé qu’à moi. Je te raconte.
Pol, mon petit neveu, a été enlevé par Taliesin, vétérinaire de son état, barde à ses heures perdues, ou l’inverse². Cet individu malfaisant était le coupable, je le savais. Cher journal, je n’ai rien révélé, de crainte qu’on ne m’accuse de complicité. Pourtant, je ne suis pas mauvaise, oh je t’en supplie, dis-moi que je ne suis pas mauvaise. Pol a été retrouvé, le véto est mort, mais le mal est fait. Cyrille ne me pardonnera jamais.
Cher journal, rappelle-toi, tu étais mon confident avant. Mon doudou adoré, je t’ai tant de fois serré contre ma poitrine quand j’avais du chagrin. Je caressais ta couverture peluche toute douce, je t’embrassais, t’étouffais presque. Bouche collée à ton oreille intime, je chuchotais mes mots de petite fille heureuse. J’inondais tes pages de mes dessins enfantins.
Adolescente, tu étais mon souffre-douleur, j’ai déversé sur toi mon trop-plein de colère, je t’ai tant de fois jeté à terre, piétiné, haï. Tu as supporté mes colères sans rien dire. J’ai été injuste. Pardonne-moi, j’étais révoltée. Pourtant, je possédais tout ce dont une jeune fille pouvait rêver : une vie aisée sans souci du lendemain, une maison d’officier de marine, mon cher, haute demeure bourgeoise, dix fenêtres, en plein cœur de Cherbourg, rue de la Bucaille.
Mon père, héritier d’une dynastie d’armateurs, partage son temps entre son chantier naval sur les quais près du port et le yacht-club où il s’efforce de tenir le rang imposé par la tradition familiale.
Durant les raouts du cercle nautique, sur fond de mondanités imbibées, l’ombre de mon grand-père pèse encore. Je t’en ai déjà parlé : c’était un notable, adjoint au maire, président de la chambre de commerce, un yachtman émérite respecté de tous. La « classe à Dallas » quoi si tu préfères. Les temps ont bien changé, le patron est moins charismatique. Malgré son blazer bien coupé, mon père n’a jamais trouvé sa place. Oui, la rancœur et son besoin inassouvi de reconnaissance le rongent ; il souffre de cette marche impossible à atteindre, de ce fantôme paternel trop présent. J’en ai bien conscience, cher journal, mais je peine à lui accorder la moindre excuse.
Je n’ai pas le droit de me plaindre. Mes amis, ceux qu’il me reste, m’envient. Je n’ai pas un caractère facile à ce qu’il paraît. Je te laisse juge… J’ai des parents aimants, surtout mon père. Oui, il est aimant, au propre et au figuré. Il nous aime toutes les deux, enfin surtout moi. Énormément, passionnément. Trop. Ma mère n’a pas besoin de travailler, elle n’en a pas le droit, elle reste à la maison et s’ennuie, je crois.
Bref, cher journal, mon père nous étouffe, il nous vampirise. Son appétit de puissance, de domination, de revanche, c’est sur nous qu’il l’exerce, c’est nous qui le subissons. Nous sommes ses poupées, ses jolies marionnettes. Je me revois petite, assise devant la psyché de ma chambre, j’épiais son reflet. La porte s’ouvrait doucement sans grincer. Il s’avançait vers moi, immense, saisissait la brosse à cheveux et longuement, inlassablement, peignait mes boucles rousses. J’ai grandi, il prenait plaisir à sortir avec moi. Il entretenait le doute, laissant croire aux passants que nous étions ensemble, m’attrapait par la taille, m’embrassait dans le cou. Pas comme un père. Ce petit jeu pervers l’amusait.
Et puis je suis devenue femme, j’ai réalisé que cet amour n’était pas normal. J’ai décidé de prendre ma vie en main. Je n’ai pas eu le courage de l’affronter, j’ai fui. Une fois loin de lui, j’ai fait
