À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Rachid Mokhtari est universitaire, journaliste et romancier. Il a également publié plusieurs ouvrages consacrés à la littérature et la musique algériennes. Après Elégie du froid, Imaqar, L’amante est son troisième roman.
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Aperçu du livre
L'amante - Rachid Mokhtari
DU MÊME AUTEUR
Matoub Lounes, biographie. Editions Le Matin, 1999.
La chanson de l’exil, les voix natales 1939-1969, essai. Editions Casbah, 2002.
Cheikh el Hasnaoui, la voix de l’exil, essai. Editions Chihab, 2002.
La graphie de l’Horreur, essai. Editions Chihab, 2003.
Elégie du froid, roman. Editions Chihab, 2004.
Slimane Azem, Allaoua Zerrouki chantent Si Muhand U M’hand, essai. Editions Apic, 2005.
Le nouveau souffle du roman algérien, essai. Editions Chihab, 2006.
Imaqar, roman. Editions Chihab, 2007.
RACHID MOKHTARI
L’AMANTE
roman
CHIHAB EDITIONS
© Chihab Éditions, Alger, octobre 2009
Isbn : 978-9961-63-782-1
Dépôt Légal: 1508/2009
A ma mère
Je m’appelle Si Mohand Saïd Azraraq. J’ai le teint clair et les yeux bleu ciel. J’ai longtemps nourri les forges de Charenton où je fus recruté dès mon arrivée en France en 1916. J’avais quinze ans.
Mes pupilles en avaient souffert car je perdis la vue l’année même de mon retour de França en 1946. Si ce n’était que cela, je me serais résigné à mes souvenirs, à sentir de tout mon être Tamazirt Iâalalen. Mais, voilà, la pourriture des cantonnements, les heures glaciales des levers orphelins dans la désolation de hangars lugubres où des monstres de fer broyaient, crachaient le métal sans répit ni relâche, toute cette calamité crasseuse, je les avais en moi, dans des quintes de toux tenaces, sèches et convulsives qui perforaient de jour en jour mes poumons. J’avais un pied à Tamazirt Iâalalen et un autre à Jedi Salah, le cimetière où reposent mes aïeux.
Mon fils, Omar, l’enfant unique que j’eus de Tassadit, mon épouse, était une tête brûlée mais intelligente. Alors que nous habitions la vieille maison de mon propre père, Si Hamou Tahar, qui l’avait bâtie sur ses terres de Tamazirt Iâalalen, Omar s’était fait embaucher par un riche entrepreneur de la région qui avait fait fortune avec les Américains débarqués à Alger et dont quelques-uns, charmés par le pays et ses filles, étaient venus jusque chez nous, à la manière des cow-boys de la conquête de l’Ouest. On racontait ici et là que nos terres étaient riches en or. Peine perdue. Ils avaient beau creuser flancs et sommets des montagnes, il n’y avait que de la pierre, mais de la bonne pierre, de choix pour la construction de maisons.
Cet entrepreneur ne fit pas la fine bouche ; il se lança dans l’exploitation d’une carrière qui lui rapporta gros, investit dans l’importation de tuiles rouges et de machines de menuiserie. Omar, impétueux adolescent rôdé aux combines, devint, en un tour de main, son maître d’œuvre dans le contrôle des stocks de matériaux de construction. Il s’occupa de sa tâche avec dévouement, juste pour déjouer les soupçons. Car, la nuit venue, avec la complicité d’un veilleur de nuit qui était de chez nous, il détournait à son profit de petits chargements de briques à douze trous et des sacs de ciment éventrés, à dos de mulet jusqu’à Tamazirt Iâalalen, déposés à l’abri des regards, sous le grand frêne.
J’étais manœuvre, transporteur de fûts, dans les forges. Je lui avais fait écrire une lettre lui annonçant que je n’allais pas tarder à rentrer définitivement au pays. Omar m’en avait dissuadé en m’expliquant que la fin de la Seconde guerre était pour bientôt et que les ouvriers maghrébins allaient être décorés pour les sacrifices consentis à l’économie française et au front anti-hitlérien. Je le crus.
Omar, donc, avait déblayé de la terre du côté nord, sur l’unique parcelle tout en plat de Tamazirt Iâalalen, où j’avais planté au grand bonheur de mon épouse Tassadit, des cerisiers ; il avait creusé des fondations. Un cousin, affolé, m’apprit la nouvelle, pensant que mon fils avait commis le sacrilège d’avoir vendu une partie de la propriété à des étrangers. Connaissant son caractère têtu, excessif, d’une détermination à toute épreuve, je pris mon courage à deux mains : je décidais de reprendre le bateau. Mais c’était la réquisition. Je n’eus plus de nouvelles du pays et, quand bien même j’en aurais eu, qu’aurais-je pu faire sinon attendre que la tourmente passât.
Nous vécûmes, l’année 1943, un rude hiver. Beaucoup de nos compatriotes qui n’avaient plus de travail moururent de froid dans les cantonnements des mines de la Rochebelle.
Avec moi, près des cuves, sans aucune protection, le torse nu, les yeux aveuglés par les étincelles du bouillonnement de cet enfer métallique (je ne peux pas m’empêcher de vous raconter ce qu’il y avait de djahennama sous ces hauts fourneaux) des compatriotes de la région d’Imaqar. Là, aucun de nous ne pouvait se vanter d’être marabout ou prétendre tenir d’un saint. Nous étions si petits, si fragiles, corps en sueur, devant ces grandes cuves aux gueules insatiables de coulées ferreuses. Nous implorions les saints du village, mais les giclées de fonte étaient plus fortes. Le patron, au tout début de notre embauche, voulait exploiter les relations de castes villageoises. Il avait nommé chef d’équipe du groupe des Kabyles un vieux marabout, aux cheveux grisonnants – être vieux à l’époque où je vous parle, c’était avoir quarante ans en immigration et, qui plus est, aux fours. Le pauvre, il se faisait bien respecter, mais il n’arrivait pas à suivre notre cadence effrénée, diabolique car, une fois face aux cuves, nous étions emportés par la fournaise, la fumée, l’odeur âcre qui racle la gorge. Mais il faut vous dire que cette nomination a joué à la défaveur du patron. Nous l’aidions du mieux que nous pouvions pour le soustraire aux réprimandes des chefs de sections qui, toujours, se plaignaient du faible rendement de nos bras engourdis qui avaient pris la raideur des branches de figuiers dénudés en été. Le soir venu, il avait droit à la meilleure ration.
Pendant ce temps, Omar s’amusait à construire une maison à étage à Tamazirt Iâalalen. Une terre sainte, sur laquelle veillait Tazazraït depuis des lustres, ne pouvait finir sous la pioche, la pelle et le fil à plomb ! Si Hamou Tahar de son vivant en avait fait sa qibla. Que de fois, me tenant par la main, il me montrait les limites de la propriété, m’apprenait à les repérer de visu, des haies de ronces sous lesquelles étaient posées de grosses pierres. Il m’initiait au travail de la terre, à la greffe des arbres fruitiers et aux secrets des saisons qui s’achèvent et renaissent, « comme nos vies » disait-il. A sa mort, quelques mois avant mon départ en France, les villageois mirent son naâch au beau milieu de Tamazirt Iâalalen.
En cette année de 1928, une vive nostalgie serra mon cœur. C’était le début de la crise. Les forges s’éteignirent. Avec les quelques économies arrachées à la fournaise des cuves, je retrouvai Tamazirt Iâalalen et mes poumons purent enfin respirer ! Omar est né en 1929. Une année de calamités, pour vous dire ! Les bateaux étaient en cale et la misère gagna le monde. Je me remis à la plantation de cerisiers, la greffe des oliviers, au défrichage de mes champs, Izougran et Timarzaguin.
Je vécus l’année 1931 aux côtés de Tassadit qui avait repris des couleurs et dans la joie des premiers pas d’Omar sur la terre de Tamazirt Iâalalen, qui me donnèrent une seconde jeunesse. Les cerisiers que j’avais plantés, longtemps envahis par la ronce, étaient toujours féconds. Je le soulevais à hauteur d’une grappe et de ses deux petites mains, Omar l’arrachait avec le feuillage. Ce fut un événement le jour où il fit sa première sortie aux champs avec moi. Je l’ai emmené sur mes épaules à Timarzaguin, une belle propriété éloignée du village. Il faut vous avouer que je l’exhibais aux yeux des villageois car, en ce temps-là, un émigré qui n’avait pas d’enfants, c’était une honte, un exilé pour rien. Mais je le faisais également pour bien montrer que c’était le mien.
Quand il n’apercevait pas la chèvre qui allait brouter au fond du ravin, il l’appelait en gigotant. Une fois, nous sommes tous partis au champ. Sa mère l’avait fait asseoir sous un grand figuier. Et, pendant que nous étions, non loin, occupés à remplir un panier de figues, nous le vîmes jouer avec une couleuvre qui se tortillait sous ses pieds. Sa mère était pétrifiée. Je courus en renversant le panier. Le serpent, par je ne sais quel miracle, s’éloigna. En ce même endroit, plusieurs années plus tard, un autre événement eut lieu. Mais ce n’est guère le moment de vous le raconter.
La maison que Omar a décidé de construire me préoccupe plus que tout. Une maison à étage, à toiture en tuiles rouges. Elle dominera toutes les demeures du village et violera leur intimité. Je suis sûr qu’elle soulèvera la colère des voisins et attirera la curiosité des gendarmes et du caïd. Par le saint Sidi El Hadj Amar, qu’a-t-il besoin d’une maison à étage, lui qui est venu au monde sur de la terre battue, dans une masure en pisé, tassée, tapie, comme nouée aux racines du grand frêne dont le feuillage pérenne s’étale sur son toit de tuiles en terre cuite ?
Avec l’arrivée de cet Américain au village, Omar obtenait facilement les matériaux de construction : de la pierre, du carrelage à motifs floraux, des madriers, des tiges de fer. Pour le ciment, c’était une autre histoire. Il le subtilisait sous l’œil complice de ce gardien qu’il soudoyait d’une bouteille de vin. Selon le cousin offusqué, Tamazirt Iâalalen était devenue un chantier, un bourbier. Ce n’était plus le jardin potager et la belle cerisaie que j’avais laissés. Des voisins qui connaissaient mon attachement viscéral à cette terre et dont quelques-uns étaient avec moi en France ne tardèrent pas à se manifester, en exprimant leur inquiétude et leur colère. Ils dépêchèrent un émissaire à Charenton qui vint me voir un soir à la sortie de l’usine : Ton fils, que Dieu te le garde, a décidé de construire une habitation à étage. Te rends-tu compte du sacrilège qu’il commet ? Ton père Si Hamou Tahar, que Dieu agrée son âme, n’aurait jamais admis un tel gâchis dans cette propriété à nulle autre pareille ! Et puis, serons-nous obligés de couvrir nos cours intérieures pour être à l’abri des regards indiscrets ? Tajmaât va siéger à mon retour : elle est décidée à interrompre les travaux. Si Moh, nous te connaissons, tu es un homme sage, un marabout de noble lignée mais ton fils qui vient juste d’ouvrir les yeux au monde, comment pourrais-tu accepter cet affront qu’il nous fait ? Au fait, dis-moi, comment a-t-il fait pour avoir les matériaux de construction que nous n’avons jamais vus au pays? Je sais que ce que tu gagnes ici est une misère malgré tout ce qu’on s’imagine au pays. D’où lui vient l’argent ? Les Roumis, seuls, peuvent se permettre ce luxe ostentatoire dans un pays qu’ils considèrent comme leur. Si Moh, je te le dis, il y va de notre honneur à tous que tu arrêtes au plus vite ce sacrilège architectural ! Nous te respectons tous, ici, dans cette ghorba que nous subissons à longueur de journées et dans nos nuits sans rêves. Dieu te fera entendre raison !
Je l’ai laissé parler. Je n’avais pas la force de lui répondre. J’avais la bouche sèche, la poitrine en feu et les jambes flageolantes. Ces maudites cuves auront ma peau avant que je ne puisse regagner le village définitivement. Que pouvais-je faire ? Omar était à peine sorti de l’adolescence que me voilà rabougri, vacillant le matin et fourbu le soir, fondu comme ce métal en fusion. On dit même qu’à force de le manipuler, d’en canaliser les coulées incandescentes, cela rend stérile. Quelques jeunes paysans qui avaient été embauchés quelques années après moi me l’ont dit. Ils ont tôt fait de déguerpir, préférant aller extraire du charbon dans les mines de La Rochebelle. La faim, le froid, passe. Mais retourner au pays sans « vie », plutôt la mort. Je ne les ai pas crus. Mais, je n’eus pas d’autres enfants. Pour le moment, alors que je besogne dans les entrailles du feu, mon fils s’emploie à défigurer Tamazirt Iâalalen, une parcelle de terre jalousée, aux riches mottes bien grasses, située sur le flanc nord du village, aux limites étroites à proximité de la maison ancestrale, s’élargissant vers la route, un chemin vicinal tracé par l’armée française. Ma chère Tassadit y plantait des carrés de pomme de terre, des navets, des courgettes, des tomates, excepté l’ail. Je ne sais pourquoi. Notre tribu maraboutique l’interdisait. Mon propre père m’avait raconté qu’un lointain aïeul qui avait dérogé à la règle se leva un jour, une gousse d’ail germant de son nombril ! Depuis, on en mangeait, mais on n’en plantait pas. De Tamazirt Iâalalen vers le nord, le paysage de la plaine des Amraoua et des montagnes chauves des Iflissen était féérique.
En 1932, je repris le bateau, direction, cette fois, les Aciéries de la Marine, à Saint Chamond, dans la Loire. Les premiers jours, j’avais été employé chez Gilet dans la fabrication de textiles artificiels. C’était l’enfer. Ma poitrine était en feu ! Nous n’avions pas de masques. Je suffoquais, je toussais, comme si une force maléfique m’essorait les poumons. Grâce à Saïd, je fus délivré de cette usine à poison et fus recruté dans ces Aciéries de la Marine qui fabriquaient, à mon entrée, des obus.
Que voulait Omar à Tamazirt ? C’est vrai que tout petit il aimait les hauteurs, l’inaccessible comme sa chère chèvre, mais de là à décider comme un chef, c’en était trop. Je lui envoyai une autre lettre. Saïd, un gars fort instruit qui arrivait de Paris me l’écrivit. Avec nous, après le travail éreintant, il ne parlait pas. Plus exactement, nous ne lui en donnions pas l’occasion. Il écrivait à chacun sa lettre, des plaintes et des complaintes adressées à ceux qui sont restés là-bas dans des villages fantômes attendant un maigre mandat arraché aux coulées de fonte. Nous avions beau nous laver, nous rincer, l’odeur de ce métal pourrissait notre existence et plombait nos rêves. Saïd, un dimanche matin, m’emmena sur une terrasse d’un café à proximité de notre garni. L’écriture de la lettre dura deux heures. Il prit la peine de me la lire en kabyle.
Pour ne pas brusquer les choses, j’avais demandé à Omar le plan exact de cette maison à étage. A mon retour,
