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L'amante: Roman
L'amante: Roman
L'amante: Roman
Livre électronique214 pages2 heures

L'amante: Roman

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À propos de ce livre électronique

L’arrivée de Tamzat, la tisseuse, de son lointain Djebel Ouaq Ouaq à Tamazirt bouleverse la vie d’une famille dispersée par les guerres et l’exil. Les cuves des aciéries françaises ont rongé les poumons du père, Mohand Saïd Azraraq, revenu aveugle au village ancestral. Son fils, Omar, engagé volontaire en Indochine, déserte les rangs de l’armée française vaincue par Giap et rejoint les maquis d’Imaqar. Avant « ses » guerres, il a entamé la construction d’une maison à étage pour les beaux yeux de Zaïna. Une bâtisse maudite par la centenaire Tazazraït qui veille sur les burnous des aïeux offensés. Le cardage des guerres et des amours est de mauvaise laine ; les destins croisés des protagonistes butent sur l’inachèvement d’une maison, d’une guerre, d’une passion, d’une écriture. Le duo incantatoire de la mythique Tamzat et de Omar, dans une élégie du froid bleu de la mort, brouille les prises de parole, l’espace et le temps, les morts et les survivants…
À PROPOS DE L'AUTEUR


Rachid Mokhtari est universitaire, journaliste et romancier. Il a également publié plusieurs ouvrages consacrés à la littérature et la musique algériennes. Après Elégie du froid, Imaqar, L’amante est son troisième roman.

LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie30 nov. 2021
ISBN9789947394458
L'amante: Roman

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    Aperçu du livre

    L'amante - Rachid Mokhtari

    DU MÊME AUTEUR

    Matoub Lounes, biographie. Editions Le Matin, 1999.

    La chanson de l’exil, les voix natales 1939-1969, essai. Editions Casbah, 2002.

    Cheikh el Hasnaoui, la voix de l’exil, essai. Editions Chihab, 2002.

    La graphie de l’Horreur, essai. Editions Chihab, 2003.

    Elégie du froid, roman. Editions Chihab, 2004.

    Slimane Azem, Allaoua Zerrouki chantent Si Muhand U M’hand, essai. Editions Apic, 2005.

    Le nouveau souffle du roman algérien, essai. Editions Chihab, 2006.

    Imaqar, roman. Editions Chihab, 2007.

    RACHID MOKHTARI

    L’AMANTE

    roman

    CHIHAB EDITIONS

    © Chihab Éditions, Alger, octobre 2009

    Isbn : 978-9961-63-782-1

    Dépôt Légal: 1508/2009

    A ma mère

    Je m’appelle Si Mohand Saïd Azraraq. J’ai le teint clair et les yeux bleu ciel. J’ai longtemps nourri les forges de Charenton où je fus recruté dès mon arrivée en France en 1916. J’avais quinze ans.

    Mes pupilles en avaient souffert car je perdis la vue l’année même de mon retour de França en 1946. Si ce n’était que cela, je me serais résigné à mes souvenirs, à sentir de tout mon être Tamazirt Iâalalen. Mais, voilà, la pourriture des cantonne­ments, les heures glaciales des levers orphelins dans la désolation de hangars lugubres où des monstres de fer broyaient, crachaient le métal sans répit ni relâche, toute cette calamité crasseuse, je les avais en moi, dans des quintes de toux tenaces, sèches et convulsives qui perforaient de jour en jour mes poumons. J’avais un pied à Tamazirt Iâalalen et un autre à Jedi Salah, le cimetière où reposent mes aïeux.

    Mon fils, Omar, l’enfant unique que j’eus de Tassadit, mon épouse, était une tête brûlée mais intelligente. Alors que nous habitions la vieille maison de mon propre père, Si Hamou Tahar, qui l’avait bâtie sur ses terres de Tamazirt Iâalalen, Omar s’était fait embaucher par un riche entrepre­neur de la région qui avait fait fortune avec les Américains débarqués à Alger et dont quelques-uns, charmés par le pays et ses filles, étaient venus jusque chez nous, à la manière des cow-boys de la conquête de l’Ouest. On racontait ici et là que nos terres étaient riches en or. Peine perdue. Ils avaient beau creuser flancs et sommets des montagnes, il n’y avait que de la pierre, mais de la bonne pierre, de choix pour la construction de maisons.

    Cet entrepreneur ne fit pas la fine bouche ; il se lança dans l’exploitation d’une carrière qui lui rap­porta gros, investit dans l’importation de tuiles rouges et de machines de menuiserie. Omar, impé­tueux adolescent rôdé aux combines, devint, en un tour de main, son maître d’œuvre dans le contrôle des stocks de matériaux de construction. Il s’occu­pa de sa tâche avec dévouement, juste pour déjouer les soupçons. Car, la nuit venue, avec la complicité d’un veilleur de nuit qui était de chez nous, il détournait à son profit de petits charge­ments de briques à douze trous et des sacs de ciment éventrés, à dos de mulet jusqu’à Tamazirt Iâalalen, déposés à l’abri des regards, sous le grand frêne.

    J’étais manœuvre, transporteur de fûts, dans les forges. Je lui avais fait écrire une lettre lui annon­çant que je n’allais pas tarder à rentrer définitive­ment au pays. Omar m’en avait dissuadé en m’expliquant que la fin de la Seconde guerre était pour bientôt et que les ouvriers maghrébins al­laient être décorés pour les sacrifices consentis à l’économie française et au front anti-hitlérien. Je le crus.

    Omar, donc, avait déblayé de la terre du côté nord, sur l’unique parcelle tout en plat de Tamazirt Iâalalen, où j’avais planté au grand bon­heur de mon épouse Tassadit, des cerisiers ; il avait creusé des fondations. Un cousin, affolé, m’apprit la nouvelle, pensant que mon fils avait commis le sacrilège d’avoir vendu une partie de la propriété à des étrangers. Connaissant son caractère têtu, excessif, d’une détermination à toute épreuve, je pris mon courage à deux mains : je décidais de reprendre le bateau. Mais c’était la réquisition. Je n’eus plus de nouvelles du pays et, quand bien même j’en aurais eu, qu’aurais-je pu faire sinon attendre que la tourmente passât.

    Nous vécûmes, l’année 1943, un rude hiver. Beaucoup de nos compatriotes qui n’avaient plus de travail moururent de froid dans les cantonne­ments des mines de la Rochebelle.

    Avec moi, près des cuves, sans aucune protec­tion, le torse nu, les yeux aveuglés par les étincelles du bouillonnement de cet enfer métallique (je ne peux pas m’empêcher de vous raconter ce qu’il y avait de djahennama sous ces hauts fourneaux) des compatriotes de la région d’Imaqar. Là, aucun de nous ne pouvait se vanter d’être marabout ou prétendre tenir d’un saint. Nous étions si petits, si fragiles, corps en sueur, devant ces grandes cuves aux gueules insatiables de coulées ferreuses. Nous implorions les saints du village, mais les giclées de fonte étaient plus fortes. Le patron, au tout début de notre embauche, voulait exploiter les relations de castes villageoises. Il avait nommé chef d’équipe du groupe des Kabyles un vieux marabout, aux cheveux grisonnants – être vieux à l’époque où je vous parle, c’était avoir quarante ans en immigra­tion et, qui plus est, aux fours. Le pauvre, il se faisait bien respecter, mais il n’arrivait pas à suivre notre cadence effrénée, diabolique car, une fois face aux cuves, nous étions emportés par la four­naise, la fumée, l’odeur âcre qui racle la gorge. Mais il faut vous dire que cette nomination a joué à la défaveur du patron. Nous l’aidions du mieux que nous pouvions pour le soustraire aux répri­mandes des chefs de sections qui, toujours, se plai­gnaient du faible rendement de nos bras engourdis qui avaient pris la raideur des branches de figuiers dénudés en été. Le soir venu, il avait droit à la meilleure ration.

    Pendant ce temps, Omar s’amusait à construire une maison à étage à Tamazirt Iâalalen. Une terre sainte, sur laquelle veillait Tazazraït depuis des lustres, ne pouvait finir sous la pioche, la pelle et le fil à plomb ! Si Hamou Tahar de son vivant en avait fait sa qibla. Que de fois, me tenant par la main, il me montrait les limites de la propriété, m’apprenait à les repérer de visu, des haies de ron­ces sous lesquelles étaient posées de grosses pierres. Il m’initiait au travail de la terre, à la greffe des arbres fruitiers et aux secrets des saisons qui s’achè­vent et renaissent, « comme nos vies » disait-il. A sa mort, quelques mois avant mon départ en France, les villageois mirent son naâch au beau milieu de Tamazirt Iâalalen.

    En cette année de 1928, une vive nostalgie serra mon cœur. C’était le début de la crise. Les forges s’éteignirent. Avec les quelques économies arra­chées à la fournaise des cuves, je retrouvai Tamazirt Iâalalen et mes poumons purent enfin respirer ! Omar est né en 1929. Une année de calamités, pour vous dire ! Les bateaux étaient en cale et la misère gagna le monde. Je me remis à la plantation de cerisiers, la greffe des oliviers, au dé­frichage de mes champs, Izougran et Timarzaguin.

    Je vécus l’année 1931 aux côtés de Tassadit qui avait repris des couleurs et dans la joie des pre­miers pas d’Omar sur la terre de Tamazirt Iâalalen, qui me donnèrent une seconde jeunesse. Les ceri­siers que j’avais plantés, longtemps envahis par la ronce, étaient toujours féconds. Je le soulevais à hauteur d’une grappe et de ses deux petites mains, Omar l’arrachait avec le feuillage. Ce fut un événe­ment le jour où il fit sa première sortie aux champs avec moi. Je l’ai emmené sur mes épaules à Timarzaguin, une belle propriété éloignée du villa­ge. Il faut vous avouer que je l’exhibais aux yeux des villageois car, en ce temps-là, un émigré qui n’avait pas d’enfants, c’était une honte, un exilé pour rien. Mais je le faisais également pour bien montrer que c’était le mien.

    Quand il n’apercevait pas la chèvre qui allait brouter au fond du ravin, il l’appelait en gigotant. Une fois, nous sommes tous partis au champ. Sa mère l’avait fait asseoir sous un grand figuier. Et, pendant que nous étions, non loin, occupés à remplir un panier de figues, nous le vîmes jouer avec une couleuvre qui se tortillait sous ses pieds. Sa mère était pétrifiée. Je courus en renversant le panier. Le serpent, par je ne sais quel miracle, s’éloigna. En ce même endroit, plusieurs années plus tard, un autre événement eut lieu. Mais ce n’est guère le moment de vous le raconter.

    La maison que Omar a décidé de construire me préoccupe plus que tout. Une maison à étage, à toiture en tuiles rouges. Elle dominera toutes les demeures du village et violera leur intimité. Je suis sûr qu’elle soulèvera la colère des voisins et attirera la curiosité des gendarmes et du caïd. Par le saint Sidi El Hadj Amar, qu’a-t-il besoin d’une maison à étage, lui qui est venu au monde sur de la terre battue, dans une masure en pisé, tassée, tapie, comme nouée aux racines du grand frêne dont le feuillage pérenne s’étale sur son toit de tuiles en terre cuite ?

    Avec l’arrivée de cet Américain au village, Omar obtenait facilement les matériaux de construction : de la pierre, du carrelage à motifs floraux, des ma­driers, des tiges de fer. Pour le ciment, c’était une autre histoire. Il le subtilisait sous l’œil complice de ce gardien qu’il soudoyait d’une bouteille de vin. Selon le cousin offusqué, Tamazirt Iâalalen était devenue un chantier, un bourbier. Ce n’était plus le jardin potager et la belle cerisaie que j’avais laissés. Des voisins qui connaissaient mon attache­ment viscéral à cette terre et dont quelques-uns étaient avec moi en France ne tardèrent pas à se manifester, en exprimant leur inquiétude et leur colère. Ils dépêchèrent un émissaire à Charenton qui vint me voir un soir à la sortie de l’usine : Ton fils, que Dieu te le garde, a décidé de construire une habitation à étage. Te rends-tu compte du sa­crilège qu’il commet ? Ton père Si Hamou Tahar, que Dieu agrée son âme, n’aurait jamais admis un tel gâchis dans cette propriété à nulle autre pareille ! Et puis, serons-nous obligés de couvrir nos cours intérieures pour être à l’abri des regards indiscrets ? Tajmaât va siéger à mon retour : elle est décidée à interrompre les travaux. Si Moh, nous te connaissons, tu es un homme sage, un marabout de noble lignée mais ton fils qui vient juste d’ouvrir les yeux au monde, comment pourrais-tu accepter cet affront qu’il nous fait ? Au fait, dis-moi, comment a-t-il fait pour avoir les matériaux de construction que nous n’avons jamais vus au pays? Je sais que ce que tu gagnes ici est une misère malgré tout ce qu’on s’imagine au pays. D’où lui vient l’argent ? Les Roumis, seuls, peuvent se permettre ce luxe ostentatoire dans un pays qu’ils considèrent comme leur. Si Moh, je te le dis, il y va de notre honneur à tous que tu arrê­tes au plus vite ce sacrilège architectural ! Nous te respectons tous, ici, dans cette ghorba que nous subissons à longueur de journées et dans nos nuits sans rêves. Dieu te fera entendre raison !

    Je l’ai laissé parler. Je n’avais pas la force de lui répondre. J’avais la bouche sèche, la poitrine en feu et les jambes flageolantes. Ces maudites cuves auront ma peau avant que je ne puisse regagner le village définitivement. Que pouvais-je faire ? Omar était à peine sorti de l’adolescence que me voilà rabougri, vacillant le matin et fourbu le soir, fondu comme ce métal en fusion. On dit même qu’à force de le manipuler, d’en canaliser les cou­lées incan­descentes, cela rend stérile. Quelques jeunes paysans qui avaient été embauchés quelques années après moi me l’ont dit. Ils ont tôt fait de déguerpir, préférant aller extraire du charbon dans les mines de La Rochebelle. La faim, le froid, passe. Mais retourner au pays sans « vie », plutôt la mort. Je ne les ai pas crus. Mais, je n’eus pas d’autres enfants. Pour le moment, alors que je be­sogne dans les entrailles du feu, mon fils s’emploie à défigurer Tamazirt Iâalalen, une parcelle de terre jalousée, aux riches mottes bien grasses, située sur le flanc nord du village, aux limites étroites à proximité de la maison ancestrale, s’élargissant vers la route, un chemin vicinal tracé par l’armée fran­çaise. Ma chère Tassadit y plantait des carrés de pomme de terre, des navets, des courgettes, des to­mates, excepté l’ail. Je ne sais pourquoi. Notre tribu maraboutique l’interdisait. Mon propre père m’avait raconté qu’un lointain aïeul qui avait déro­gé à la règle se leva un jour, une gousse d’ail ger­mant de son nombril ! Depuis, on en mangeait, mais on n’en plantait pas. De Tamazirt Iâalalen vers le nord, le paysage de la plaine des Amraoua et des montagnes chauves des Iflissen était féé­rique.

    En 1932, je repris le bateau, direction, cette fois, les Aciéries de la Marine, à Saint Chamond, dans la Loire. Les premiers jours, j’avais été em­ployé chez Gilet dans la fabrication de textiles arti­ficiels. C’était l’enfer. Ma poitrine était en feu ! Nous n’avions pas de masques. Je suffoquais, je toussais, comme si une force maléfique m’essorait les poumons. Grâce à Saïd, je fus délivré de cette usine à poison et fus recruté dans ces Aciéries de la Marine qui fabri­quaient, à mon entrée, des obus.

    Que voulait Omar à Tamazirt ? C’est vrai que tout petit il aimait les hauteurs, l’inaccessible comme sa chère chèvre, mais de là à décider comme un chef, c’en était trop. Je lui envoyai une autre lettre. Saïd, un gars fort instruit qui arrivait de Paris me l’écrivit. Avec nous, après le travail érein­tant, il ne parlait pas. Plus exactement, nous ne lui en donnions pas l’occasion. Il écrivait à cha­cun sa lettre, des plaintes et des complaintes adres­sées à ceux qui sont restés là-bas dans des villages fantô­mes attendant un maigre mandat arraché aux cou­lées de fonte. Nous avions beau nous laver, nous rincer, l’odeur de ce métal pourrissait notre existen­ce et plombait nos rêves. Saïd, un dimanche matin, m’emmena sur une terrasse d’un café à pro­ximité de notre garni. L’écriture de la lettre dura deux heures. Il prit la peine de me la lire en kaby­le.

    Pour ne pas brusquer les choses, j’avais deman­dé à Omar le plan exact de cette maison à étage. A mon retour,

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