Pulsions de vie: Thriller psychologique
Par Thierry Doré
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À propos de ce livre électronique
Chaque jour éloigne un peu plus Simon des cauchemars de son enfance. Pourtant, quand un chien croise sa route et qu’il l’achève à coups de pelle, tout s’effondre, le replongeant impitoyablement dans les abysses. Son père s’est-il réellement suicidé ? Qu’est devenue sa mère ? Et qui est cette inconnue qui pleure la nuit ? Déterminée à vaincre les démons qui le hantent, Jahia, avec qui il partage sa vie, se laissera-t-elle, à son tour, dévaster par ce tourbillon insensé de dévotion et de haine, de courage et de peur ? Par amour, osera-t-elle affronter les vérités que personne ne devrait jamais approcher ? Devra-t-elle renier ses propres valeurs et basculer dans la violence ? Autant de questions que ces personnages devront braver, autant de réponses qui prennent à la gorge au détour d’une nuit sombre.
Simon et Jahia arriveront-ils à surmonter ces terribles vérités ? Laissez-vous prendre dans le tourbillon de ce thriller psychologique haletant et glaçant !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
L’intrigue est maitrisée de bout en bout. Quand je pensais tenir la solution, un revirement de situation venait tout remettre en question. Un véritable labyrinthe cérébral dans lequel il est pratiquement impossible d’atteindre la sortie. Le final est incroyable. Je salue la prouesse narrative captivante de Thierry Doré pour ne pas dire hypnotique. Sûr que ce premier roman ne sera pas le dernier et qu’il va falloir compter avec lui dans le monde thrillerdien. - Collectif polar
À PROPOS DE L'AUTEUR
Originaire de la région parisienne, après avoir voyagé d’un bout à l’autre de la France, Thierry Doré a enfin posé ses valises dans le Limousin il y a une douzaine d’années. Enseignant, c’est au contact de ses élèves qu’il a retrouvé la magie des mots, avant de replonger dans les lectures de sa jeunesse bercée de fantastique et de thrillers. Dans ce premier roman, Thierry Doré mélange et réassemble les pièces d’un puzzle dont personne ne sort indemne. Avec ses personnages, jetés en pâture dans un monde sans pitié, il mène le lecteur sans ménagement vers ces vérités enfouies derrière le sourire lisse de la civilisation. Jusqu’où l’individualisme et l’égoïsme peuvent-ils mener ? Qu’est-ce qui sépare l’homme de l’animal qui sommeille en lui ? Comment faire face aux monstres oubliés de l’enfance ? Comment se protéger de ceux que l’on aime, quand notre survie en dépend ? Autant de questions que ses personnages devront affronter, autant de réponses qui prennent à la gorge au détour d’une nuit sombre. Il vit à côté de Limoges.
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Aperçu du livre
Pulsions de vie - Thierry Doré
À Valérie, Maxime et Élise,
sans qui rien de tout cela n’aurait été possible.
Le monde est dangereux à vivre !
Non pas tant à cause de ceux qui font le mal,
mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.
Albert Einstein
Le hurlement déchira les couloirs déserts de l’hôpital pour aller s’y briser. Ici, les cris n’étaient porteurs d’aucune joie et l’espoir d’un avenir meilleur ne franchissait pas les portes fermées à clé. L’établissement ne faisait pas dans la maternité.
Prise au piège, la jeune femme s’avança en boitant vers l’angle de la chambre. Tournée vers la fenêtre, elle savait qu’elle tromperait leur vigilance. Elle se faufilerait dans l’embrasure de la porte et ensuite elle courrait comme jamais elle n’avait couru. Dans sa main, le morceau de tasse, effilé comme un rasoir, ne pèserait pas bien lourd face aux molosses qui l’entouraient, mais elle lutterait jusqu’au bout et ils le savaient. Prudents, ils gardaient leurs distances, prêts à réagir à la moindre défaillance.
Elle esquissa un mouvement vers la droite, mais la route se referma aussitôt. Leurs yeux avides ne la quittaient pas d’une semelle.
— N’approchez plus ou je me taille !
Ils avancèrent d’un bon mètre. Elle avait sous-estimé ses adversaires.
Les vêtements en lambeaux, couverte de sang de la tête aux pieds, la prisonnière oscilla sur place, comme pour tester leurs réactions en une danse improbable et dangereuse.
— Je sais que vous êtes tous de mèche. Vous croyez que je ne vois pas de quoi vous êtes capables avec vos airs de dingues ?
Ses yeux, révulsés par l’angoisse, firent le tour de la pièce, sautant sans le moindre ménagement d’un visage à l’autre, passant des fenêtres à la porte.
— Mais je m’en fous ! Allez, approchez encore et vous verrez. Même à quatre contre une, personne ne m’arrêtera.
Un crachat atterrit sur la blouse de l’infirmier le plus proche.
— Plutôt mourir !
Dos au mur, elle n’avait plus le temps d’écouter sa peur. Entre ses doigts blanchis, l’arme improvisée cessa de trembler. Pressée contre son poignet gauche, celle-ci glissait maintenant avec douceur, en une lente oscillation, sous l’œil attentif de son public improvisé. Concentrés sur chacun de ses mouvements, prêts à bondir, les hommes qui l’entouraient n’échangèrent pas même un regard.
— Espèces d’enfoirés, vous ne comprenez pas ? C’est à cause d’elle que tout ce malheur nous est tombé dessus !
Ils s’arrêtèrent. Encore une seconde, peut-être deux. À quelques détails près, chacun d’entre eux avait déjà vécu cette scène : après les insultes et les menaces venait toujours le moment fatidique du choix entre le cachet et l’injection. La plupart des arrivants hésitaient, pour la forme. Mais ils comprenaient très vite où se plaçait leur intérêt. Parfois, comme aujourd’hui, ils choisissaient la mauvaise case.
— Mais qu’est-ce que vous attendez ? Allez faire votre boulot au lieu de vous acharner sur moi ! C’est elle qui a voulu me tuer, et c’est à moi que vous vous en prenez !
Centimètre par centimètre, tous les yeux suivaient l’interminable progression du fragment de tasse, bateau ivre qui remontait le bras de cette rivière rouge. Alors, en une dernière parade de défi, le visage de l’inconnue s’éclaira enfin. Révélant la beauté cachée derrière les ecchymoses, le sang et la boue, elle leur dédia son sourire le plus éclatant.
C’était le signal qu’ils attendaient. D’un même élan, ils bondirent sur l’arme improvisée et repoussèrent la jeune femme jusqu’au lit. Un cri rauque s’échappa de sa gorge, aussitôt contenu par le bras musclé qui l’étranglait. Dans son dos, un genou brutal la plaqua sans pitié contre les draps. Des mains agrippèrent ses poignets et tirèrent ; des coudes l’empêchèrent de se relever. Submergée par la panique, elle les repoussa avec l’énergie du désespoir, sans un bruit. Mais les hommes refermèrent encore leur étreinte, la dominant sans merci du poids de leurs corps lourds dans un mélange excité de sueurs parfumées et de colère. Écrasée sur ce lit d’hôpital trop propre, elle n’était pas de taille. Son esprit vacillant, ravagé par l’incompréhension et l’injustice, lâcha prise.
Là, tout près de son oreille, tandis qu’une longue giclée de chimie rassurante se faufilait au creux de ses veines, une voix douce et anesthésiante lui murmura de ne pas s’inquiéter, que tout irait bien. Dans un silence de mort, sa conscience glissa vers l’oubli, loin de ces genoux qui lui labouraient la nuque et le dos, loin de ces mains, de ces corps durs et haletants qui l’étouffaient. Comme noyée, elle cessa tout mouvement. Plus rien ne serait comme avant et elle comprit qu’elle l’acceptait déjà.
— Détendez-vous, mademoiselle, faites-nous confiance, ce n’est qu’un calmant. Et ensuite, nous soignerons votre corps et votre esprit.
Ses traits tourmentés retrouvèrent la paix du soir qui se couche. Porteur d’oubli et d’apaisement, le néant dompta enfin la folie.
Sans un bruit, comme on revient du front, les hommes relâchèrent leur prise et descendirent de ce lit avec, sur le visage, des sourires de jeunes premiers et une terrible envie de fumer. Ils étaient quatre : deux policiers et deux infirmiers. L’un d’eux garderait de cette journée le souvenir d’une double rangée de dents refermées sans pitié sur son bras – sorte de médaille du travail qu’il arborerait avec fierté.
Un rapide examen confirma le rapport du SAMU : hormis l’entaille au bras et la blessure à la jambe, le sang qui couvrait la jeune femme de la tête aux pieds n’était pas le sien.
La porte s’ouvrit sur une blouse blanche aux larges épaules, qui progressa jusqu’au lit en grommelant de vagues excuses pour son retard. D’un geste professionnel, le nouveau venu vérifia aussitôt la solidité des sangles qui retenaient sa patiente endormie. Rassuré, il inclina la tête et s’autorisa une longue minute de contemplation béate.
— Vous aviez raison, c’est bien elle ! Beau boulot, les gars !
Son visage gras, illuminé et radieux, fit le tour de la pièce, porté par une joie de vivre qui détonnait avec les lieux.
— Faites-moi signe dès qu’elle refera surface ! Et surtout, que personne ne sorte ! s’exclama-t-il en quittant la chambre, accompagné d’un sifflement joyeux qui alla se perdre dans les couloirs.
Le pied droit crispé sur la pédale, Simon Lefebvre broyait du noir. À vingt-neuf ans, une fois encore, sa vie venait de basculer. Sans raison. Sa rage, sourde, s’écrasa sur le klaxon, faisant résonner l’air surchauffé de cette fin de journée.
— Vieille peau ! Tu peux pas dégager !
Machinalement, il frotta la jambe droite de son pantalon, comme pour en effacer la longue giclée rouge qui s’y était incrustée. En séchant, le sang s’était peu à peu fondu dans l’épaisseur du tissu pour y disparaître – ou presque –, mais rien n’effacerait cette journée.
Devant lui, au volant de la petite chose grise qui le narguait depuis dix bonnes minutes, les épaules de la vieille dame s’affaissèrent un peu plus quand, prise par l’émotion, elle lâcha l’embrayage et cala.
Un murmure s’échappa des lèvres serrées de Simon. Après avoir commencé avec ce chien blessé dans le coffre, il avait trouvé le moyen de se faire virer : lui, un pro ! Tout ça en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Sans parler du costume taché ! La clim poussée au maximum n’y changerait rien : Simon Lefebvre se consumait sur place. Les voitures qui l’entouraient et l’odeur entêtante du sang séché ne disparaîtraient pas en fermant les yeux. Jamais il n’aurait dû s’occuper de ce foutu chien. Tout ça parce qu’il avait voulu changer de route pour aller au boulot.
— Putain de malchance ! Putain de clebs !
C’était sûr, il n’en resterait pas là. Son patron ne le savait pas encore, mais il allait lui pourrir l’existence. L’enfer s’ouvrirait sous les pieds de cet abruti et de toute sa clique d’employés modèles. Il grimaça, vert de rage.
— Oui, monsieur. Bien sûr, monsieur… Je t’en foutrais, de tout ce bordel !
Dès ce soir, il préparerait une sacrée lettre à ce parfait connard qui avait osé le virer ! L’enfoiré allait en voir de toutes les couleurs ! Direct à son avocat !
Les nerfs à vif, il adressa un double doigt d’honneur au rétroviseur de la vieille dame. Après tous les efforts et les journées à rallonge passées à vendre ces putain de bagnoles, il ne manquait plus que cette vieille tarée avec sa caisse pourrie !
Les deux pare-chocs se touchèrent de nouveau.
C’était de son travail acharné qu’étaient issues les meilleures ventes, et voilà que, à cause d’un seul petit passage à vide de rien du tout, on le jetait à la rue comme un voleur ? Il leur ferait payer cher, très cher. L’addition qui les attendait serait salée ! Les deux mains écrasées sur le Klaxon de sa BMW, il joua avec l’idée de retourner au garage pour leur expliquer, à coups de pelle, ce qu’il pensait de sa journée. Il imagina leurs visages effarés quand il pousserait la porte vitrée pour leur défoncer leurs sales petites têtes.
Un petit smiley absurde le contemplait d’un œil sournois. Avec le temps, le jaune vif s’était mué en un pastel décoloré de fin de soirée. De celui qui vous remonte le long de la gorge, quand on vous met au lit, à coups de pied entre les omoplates pour étouffer vos cris. Quand on vous déplie de force pour vous allonger et que les sangles vous rentrent dans la chair. Sa paupière gauche s’agita comme pour envoyer un gigantesque clin d’œil au monde entier, afin d’oublier tous les plafonds jaune pisseux, les piqûres et le goût de vomi. Pour ne plus penser à ces heures qui se multiplient à l’infini et transforment le temps en années. Ces milliards de longues secondes à attendre que quelqu’un vous sorte de l’enfer, pour rien. Simon inspira profondément, trois fois. Comme on le lui avait appris. Il gonfla le ventre et souffla doucement.
Un Klaxon lui vrilla les tympans, le ramenant à ce smiley, qui venait de s’éloigner d’un bon mètre. Derrière lui, un gros 4x4 s’impatientait, vite rappelé à l’ordre par le majeur de Simon.
— Enfoiré de mes deux, tu veux montrer que t’es un bonhomme ? Recommence et je t’explose ! Putain, ils peuvent pas attendre que la grosse de devant dégage sa poubelle du passage ! Non, c’est trop demander ? Y en a toujours pour être plus malins que les autres !
Deux petits bras terrorisés s’agitèrent comme pour implorer un seigneur de la route qui ne viendrait pas. Engluée dans les bouchons, l’épave grise ne bougeait plus.
— Connasse de mes fesses ! Mais va crever ailleurs ! C’est pas vrai, mais retourne au cimetière ! On n’a pas toute la vie, c’est bon, quoi !
Une envie brutale de décrocher l’autocollant à coups de barre de fer le saisit. Plus que le sourire ou la couleur, c’était la petite phrase qui le rendait fou. Sortie du cerveau malade d’un pseudo-artiste féru de marketing post-soixante-huitard, elle le narguait, défilant en boucle dans ses pensées : Si t’es tellement pressé d’aller bosser, alors passe devant ! Moi, j’ai tout mon temps… Le genre de commentaire à provoquer des envies de massacre permanent.
Il ricana. C’était la vieille qu’il aurait dû sortir à coups de cric. Mieux : un bon feu aurait fait l’affaire. Un jerrican ou deux, une allumette, et Dieu aurait pu reconnaître les siens ! Dans son imagination sans bornes, la voiture qui lui barrait la route se tordait de douleur sous les flammes. La vieille dame desséchée hurlait en tapant sur la vitre arrière, à l’endroit précis où se trouvait l’autocollant. Il imagina les yeux exorbités, les cheveux violets qui passeraient à l’orange pendant qu’il la regarderait se débattre.
Un clignotant le ramena de toute urgence à la réalité. Le tacot était reparti, libérant de précieux mètres de bitume qu’une autre voiture lorgnait du coin de l’aile. Il lui coupa la route et accéléra derrière la vieille dame. Pas question de la laisser filer ! Ses mains, agrippées au volant, virèrent au blanc-violet quand l’autocollant s’engouffra dans l’entrée d’un parking. Hypnotisé par le sourire jaune délavé, il le suivit sans réfléchir. Malveillant comme une tique accrochée au derrière d’un chien, il avait encore deux ou trois mots à lui dire. La voiture s’insinua peureusement entre deux piétons, jusqu’à une place pour handicapés, là où elle serait le plus en sécurité : collée aux portes de ce supermarché de malheur.
Simon siffla, partagé entre surprise et frustration.
— Bien vu, vieille pomme, mais si tu crois t’en tirer à si bon compte, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au trognon !
Malgré sa colère, il passa devant sa cible sans même tourner la tête. Très calme, sa voiture poursuivit sa route jusqu’à l’autre bout du parking. Charmeur et affable : personne ne l’aurait soupçonné de quoi que ce soit en suivant son pas nonchalant jusqu’à l’entrée du magasin. D’un geste élégant, le jeune homme prit le temps de choisir la bonne clé, tout en s’approchant de la voiture grise. Méthodique, il laissa la pointe du métal pénétrer l’épaisseur de la peinture, d’un phare à l’autre, en petites vagues douces. Chaque crissement sur la carrosserie soulageait son corps des tensions de la journée. Pour Simon, qui aimait le travail bien fait, cet instant n’avait pas de prix. Satisfait, l’artiste recula d’un pas pour contempler son œuvre. Une merveille ! L’affront vengé, il pourrait enfin rentrer chez lui. « Elle n’a eu que ce qu’elle mérite, la salope. Regarde-la, elle n’a que ça à foutre, à emmerder les gens qui bossent ! »
Il s’éloigna discrètement, tiraillé par l’idée d’aller caresser les phares à coups de pied. Peut-être que le pare-brise aurait mérité un petit quelque chose, lui aussi… Mais il résista : le bruit aurait attiré l’attention. Finalement, pareil à ces enfants qui sonnent aux portes et s’enfuient à toutes jambes, il succomba à la tentation, fit demi-tour et arracha un rétroviseur, puis l’autre, comme on reprend une part de tarte aux pommes. La prochaine fois, la vieille réfléchirait avant de le narguer.
La vue du smiley accentua encore sa bonne humeur retrouvée.
— Si t’es tellement pressé d’aller mourir, alors passe devant ! Moi, j’ai tout mon temps… Voilà ce qu’il aurait fallu écrire !
Il explosa de rire entre les voitures. Le vieux croûton et sa voiture-épave lui avaient sauvé la journée. Pour un peu, il l’en aurait remercié.
Au même instant, dans le supermarché, sous les yeux effarés des clients et de leurs téléphones, une vieille dame affolée venait de s’effondrer. À cet âge, les émotions vont droit au cœur.
***
Grisé par la pluie battante, Simon accéléra à l’approche de la forêt. Encore cette dernière ligne droite et il atteindrait les arbres protecteurs. Là, il ralentirait et marcherait, prenant le temps d’écouter le murmure des feuilles, avant de s’offrir encore un ou deux tours du lac. Après, il retrouverait Jahia, celle pour qui le monde n’avait plus de limites, celle qui partageait ses rêves et son appartement, à deux rues de là.
Elle était la toute première à franchir les frontières invisibles qui entouraient Simon. Peut-être parce qu’il n’avait pas eu à lui raconter son passé. Il avait eu sa dose de toutes ces inconnues, psychiatres du dimanche, qui s’étaient pensées plus fortes que lui et qu’il avait éjectées de sa vie, sans jamais les regretter. Aucune femme n’avait le droit d’aller fouiller dans son passé. Pas même celles avec qui il couchait.
Il avait appris à redouter le moment où les réponses amenaient de nouvelles questions indiscrètes, qu’il n’accepterait plus. Quoi qu’il fasse, ce qui était arrivé continuerait de le hanter sans relâche pour revenir polluer le présent ; mais c’était sa vie, son histoire. Personne n’avait le droit d’entrouvrir les portes fermées de ses souvenirs sans son autorisation, et Jahia l’avait compris alors qu’ils n’avaient pas eu besoin d’en parler. Il l’avait lu dans ses yeux, noirs et purs, le soir même où elle avait débarqué sur son palier désert sans même un carton d’invitation. Comme un oiseau des îles fatigué après un long voyage impossible, elle s’était posée au creux de ses bras, simplement, en douceur, sans la moindre allusion embarrassante. Ils s’étaient reconnus au premier regard. Quelque chose dans son passé ressemblait au sien. Il n’avait pas eu à la faire taire, elle ne lui avait rien demandé.
Bientôt, il lui raconterait les années perdues, les morts, les chiens, les allées bordées de cyprès et la solitude. Il lui montrerait cette peur, celle qui vous prend sauvagement, la nuit. Celle qui se jette sur votre âme pour mieux y planter ses crocs fiévreux. Un jour, il lui parlerait de sa mère et du placard. Enfin… peut-être plus tard. Jahia n’était pas encore prête à retourner avec lui dans ce passé où les angoisses vous chuchotent doucement aux oreilles pour mieux vous faire plonger. Et puis, si les choses tournaient mal et qu’elle partait en courant, il ne le supporterait pas. Sans elle, il ne serait plus rien et n’aurait plus qu’à disparaître.
Dépassant les grilles du parc, Simon se laissa happer par la ville. Ces milliers de gens, aveugles et sourds, le rendaient nerveux avec leurs manies incompréhensibles de robots sous caféine. Son père avait été l’un d’eux. Sa mère aussi, dans son genre, avec ses petites habitudes de vieille, au fond de son putain de jardin. Il aurait préféré qu’elle collectionne les cartes postales ou qu’elle se jette d’une falaise, qu’elle fasse attention à lui et qu’elle sorte de sa foutue serre… Pourquoi personne ne lui avait-il fait bouffer ses bouquets de chrysanthèmes au lieu de lui sourire niaisement ? Pourquoi fuir le monde alors qu’il aurait tant voulu qu’elle le regarde, qu’elle lui parle ? Non, elle n’en avait eu que pour ses fleurs, jour et nuit. Elle n’avait que ça à la bouche, et dérégler le thermostat ou passer toute la serre à l’eau de Javel n’avait rien changé. Il la voyait encore, les mains sur les hanches avec son air blasé habituel. « À chaque saison, sa floraison ! » Tu parles ! Quelle connerie, les fleurs ! Il ne manquerait plus que Jahia devienne comme elle ! Ça serait le pompon ! Sa mère avait commencé par planter quelques bulbes par-ci par-là, avant de déraper dans l’absurde, des deux pieds. Après la construction de l’énorme serre au fond du jardin, elle avait quasiment disparu et n’avait même plus essayé de faire semblant de s’intéresser à son fils. Il avait continué de l’apercevoir, de temps en temps, mais de loin, plongée dans la contemplation de ses fleurs de cimetière, avec sa solitude. « Concentre-toi, regarde droit devant ! Voilà la rue, là-bas : on aperçoit presque l’appart. Tu y es ! » Jamais il ne laisserait Jahia s’éloigner de lui. Il garderait les yeux ouverts et la surveillerait de près.
Ralentissant le pas, il chercha les fenêtres du troisième étage et vit le rideau de sa… de leur chambre se rabattre en hâte sur la jeune femme. Dans sa poitrine, son cœur s’élança à pleine vitesse. Une vague de colère lui traversa le corps. Il l’aurait parié : la sale petite fouineuse avait recommencé à le surveiller !
***
Jahia ouvrit un œil défraîchi sur l’emplacement vide, confirmant ce que sa main savait déjà.
— Simon, il est à peine trois heures du mat’. Qu’est-ce que tu fais, chéri ?
Elle se frotta les paupières. Cette fois, elle irait le rejoindre et lui tirerait les vers du nez.
Adossé au mur du salon, muet, il se contenta de la regarder, une photo serrée contre la poitrine. Sur ses joues, la lumière d’un réverbère lointain dessinait de longues traînées tristes. Ce chagrin inconnu formait une barrière que Jahia hésita un instant à franchir sans y être invitée. Elle traversa l’espace qui les séparait et le prit dans ses bras, en silence. Comme on berce un enfant, elle laissa la nuit s’écouler, sans questions inutiles. Sous ses doigts, les muscles tendus se relâchèrent peu à peu, les reniflements se firent plus rares. Enfin, elle l’entendit qui chuchotait.
— Il faut que je te parle de cette photo, de ma famille… et de son secret. Après tout ce temps, je te dois bien ça.
Le cœur de la jeune femme s’emballa. La surprise était de taille. Jamais Simon n’avait accepté de lui parler de ses parents. Elle ne lui connaissait ni famille, ni amis, ni passé ; rien que du présent. Les rares images qu’elle avait vues jusqu’alors ne montraient que des inconnus, sans noms et sans histoires, et voilà qu’au beau milieu de la nuit, il se décidait enfin !
— Tu vois, ajouta-t-il en dévoilant la photo du cadre, la vie de ma famille a basculé avec l’achat de ce bateau.
Elle regretta de ne pas avoir été plus curieuse. Ce voilier trônait depuis des lustres à côté de la télé, et jamais elle n’avait posé la moindre question. Peut-être avait-il attendu qu’elle se décide ? Sans lui accorder le moindre répit, Simon l’inonda d’un flot de paroles qui la glaça jusqu’aux os. La jeune femme se focalisa sur la mer et son horizon infini. Derrière les reflets brillants et la voile blanche se cachait tout un monde de désespoir, de violence et de mort qu’elle aurait préféré ignorer. Mais ici, pas de télécommande pour changer de chaîne. Dans la vraie vie, le spectacle est permanent et la musique doit continuer, même quand les spectateurs en meurent.
Maintenant que la porte s’entrouvrait, plus jamais elle n’ignorerait la terrible réalité de l’univers que Simon s’apprêtait à lui révéler.
Elle se laissa guider vers le passé, vers un Simon plus jeune, vers cette famille comblée qui naviguait d’île en île en pointillés optimistes. Bercée par les mots, Jahia laissa la scène prendre vie.
— Allez, moussaillons, c’est l’endroit idéal pour la bronzette !
Les deux garçons ne s’étaient pas fait prier pour lâcher la barre. En un clin d’œil, palmes et masque en place, ils s’étaient jetés à l’eau pour explorer la petite crique et ses fonds clairs qui leur ouvraient leurs bras accueillants. Les deux ou trois cents mètres qui les séparaient du rivage leur assureraient une tranquillité à toute épreuve. Les plongées en apnée s’étaient enchaînées, à la recherche de la perle magique qui ouvrirait les portes du royaume de Poséidon. Du haut de ses neuf ans, c’est avec le plus grand sérieux que Simon avait endossé son rôle de grand frère, sous l’œil admiratif de Martin, qui n’en avait pas perdu une seule miette.
— Promis, quand tu seras prêt, je te montrerai les sirènes, lui avait-il dit.
Un jour, ensemble, ils iraient jusqu’au fond de la mer pour y danser une farandole de joie et de lumière. Martin y croyait dur comme fer. Parce que son frère le lui avait juré, il savait que ce monde existait. Aucun adulte, aucune vérité ne l’auraient fait changer d’avis.
— Elles sont belles comme maman, répétait-il à qui voulait l’entendre, sous le regard attendri de sa mère.
Les deux garçons avaient pris l’habitude d’épier la mer, à la recherche du moindre indice de leur présence. Ils savaient qu’elles n’étaient jamais loin. Leurs parents, quant à eux, s’étaient toujours amusés de leurs histoires… jusqu’au jour du drame, quand la vie avait basculé. Confortablement allongée sur le pont, leur mère n’avait rien vu venir.
Pour le père, le compte à rebours s’était enclenché ce soir-là, à l’instant précis où ils avaient repris la mer. Chaque seconde s’était ajoutée aux minutes d’un cauchemar qui l’accompagnerait jusqu’à son dernier souffle – succession d’erreurs qu’il se repasserait en boucle. Parce qu’il était allé relever l’ancre, à l’avant, il n’avait pas vérifié ce qui se passait à l’arrière. Toutes voiles dehors, le bateau avait filé vers l’horizon. Fidèles à leurs habitudes, c’était en musique qu’ils étaient repartis. Une main sur la hanche, l’autre sur la barre, M. Lefebvre avait lancé la manœuvre. Plus concentré sur les paroles des Bee Gees que sur son équipage, il n’avait pas vu Martin se glisser dans l’eau.
Accablé par les souvenirs, Simon s’interrompit un instant tandis que Jahia, incrédule, hésitait à comprendre ce qu’il lui disait. La bouche grand ouverte, elle plaqua les mains sur son visage.
— C’est pas vrai ! C’est une blague ?
— Personne ne s’est rendu compte de rien.
— Mais pourquoi il aurait fait une chose aussi dingue ? Enfin, c’est pas une critique contre ton frère, mais quand même…
Simon ne releva pas.
— Tu sais, les sirènes, c’est au moment où le soleil se couche qu’on en rencontre le plus. C’est moi qui lui avais appris ça.
Jahia sentit deux larmes s’échapper et lutta contre les images qui se formaient dans sa tête. La nuit, le froid, un petit garçon seul qui regarde le bateau s’éloigner et qui comprend qu’il va mourir, abandonné de tous…
— C’est seulement quand maman est venue vérifier que nous étions prêts qu’elle a réalisé que Martin n’était pas avec moi, reprit Simon d’une voix calme. Nous avions levé l’ancre depuis une bonne heure ! Papa a viré de bord en hurlant comme un dingue tandis que maman retournait le bateau de fond en comble. On aurait dit deux fous possédés par le démon ! Tu n’imagines pas la panique ! Ils se sont déchiré les poumons à force de brailler. Le moindre centimètre carré du bateau a été remué un million de fois. Ils couraient partout ! Dix fois, ils sont repassés au même endroit, ils ont ouvert les mêmes coffres en criant. Après, ils se sont jetés dans les bras l’un de l’autre, puis se sont engueulés comme du poisson pourri, avant de bondir partout et de recommencer leur manège. Je revois maman qui se griffait les mains en sanglotant pendant que papa la secouait en beuglant.
— Quelle horreur ! s’écria Jahia dans un frisson.
Les yeux emplis de cette mer hostile, Simon interrompit son récit quelques secondes.
— Je n’ai pas su quoi faire. J’ai attendu qu’ils s’occupent de moi.
Dans la pénombre, son menton tremblait.
— J’ai pensé que papa allait perdre pied à force de se pencher par-dessus bord. On se serait crus au zoo, quand les animaux deviennent fous et qu’ils tournent sans fin dans leur cage. Ensuite, ils m’ont secoué dans tous les sens pour me faire parler. Ils pensaient que, Martin et moi, on leur faisait une blague et que je savais où il était caché.
Simon se frotta la joue.
— J’ai eu droit à une claque terrible pour ne pas l’avoir surveillé. Ils ont dit que tout était ma faute. Mais comment j’aurais pu deviner qu’il allait disparaître ?
Un silence se fit. Jahia serra la main de Simon contre sa poitrine, incapable d’en faire plus.
— C’est à partir de ce jour-là que maman m’a détesté. Pour toujours. Après, ils se sont presque battus. Chaque fois que je les revois, face à face, ça me fait mal. Ils se sont insultés, et moi, je ne savais pas quoi faire.
La jeune femme attendit avec angoisse les mots qui suivraient. Elle fixa les mâchoires de Simon, qui se contractaient en rythme.
— Et Martin qui restait introuvable ! On s’attendait tous à le voir sortir de nulle part… Mais non, il avait bel et bien disparu ! Comme ça, d’un coup, sans rien me dire, sans prévenir personne. Ensuite, il y a eu ce moment terrible, quand nous sommes arrivés à la crique. Papa a arrêté le bateau et il nous a fait taire. La mer était calme et on a écouté les vagues pendant une éternité. Au moindre bruit, il courait jusqu’à l’endroit d’où ça aurait pu venir pour balayer l’eau avec sa lampe. Il hurlait à s’en faire exploser les cordes vocales, et puis il nous engueulait pour obtenir le silence. Maman et moi, on écoutait aussi fort que possible. Mais pour rien. On était tous K.-O. debout. Pour finir, il est allé chercher les fusées éclairantes et ça a été un véritable feu d’artifice. Cette nuit-là, j’ai vu mes parents perdre la raison, sous mes yeux. Je ne pouvais rien faire pour les aider. Pourtant, j’aurais tant voulu ! J’aurais fait n’importe quoi pour revoir Martin. J’aurais tellement voulu partir avec lui, jusqu’au pays des sirènes ! Je sais qu’il les a vues : c’est pour ça qu’elles ne l’ont pas laissé revenir.
Simon éclata de nouveau en sanglots, la tête enfouie dans la poitrine de Jahia.
— Tu sais, je l’ai détesté pour m’avoir abandonné. J’ai attendu qu’il revienne me chercher, mais il n’y a même pas pensé. Il n’avait pas le droit d’y aller tout seul ! C’est moi qui aurais dû prendre sa place ! C’est moi qui lui avais parlé des sirènes. Il a pris ma vie !
Elle imagina la mort qui tirait Martin par les jambes. Elle vit les bras qui se tendaient vers le néant de l’horizon, la bouche qui s’ouvrait pour crier, les poumons qui se remplissaient de mort liquide. Une vague de tristesse balaya les pensées de Jahia. Pourquoi Martin n’avait-il pas tenté de regagner la côte à la nage ? Les espoirs de survie d’un enfant sont faibles, mais il n’avait que quelques centaines de mètres à parcourir. Peut-être avait-il été retrouvé sur une plage, transi de froid, amnésique, mais en vie ? Il n’était pas trop tard, malgré les années, pour lancer des recherches…
Simon doucha les espoirs de la jeune femme.
— On a repêché son corps trois jours plus tard. C’est papa qui est allé le reconnaître. Après ça, il n’a plus jamais été le même. Au lieu d’aller à la mer, on galérait au cimetière. Papa a vendu le bateau, un superbe Bénéteau 455. Il ne nous a même pas demandé notre avis. Il n’a jamais remis les pieds sur aucun bateau. Je crois bien qu’il ne s’est plus jamais approché de la mer, et moi, ça m’a brisé le cœur. Tu sais combien ça mesure, un bijou pareil ? Tu sais ce que c’est que de contempler les voiles qui se gonflent, de le sentir fendre la mer ?
Jahia s’impatienta.
— Et ensuite ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Que sont devenus tes parents ? Pourquoi tu n’en parles jamais ?
Un rire mauvais, un peu artificiel, traversa la nuit.
— Eux aussi m’ont laissé tomber, exactement comme Martin. Enfin, pas tout à fait, mais le résultat est le même.
— Tu veux dire qu’ils sont… qu’ils sont… qu’ils sont morts ? finit par s’exclamer Jahia.
Il posa la tête contre le mur derrière lui.
— C’était un vendredi soir, le jour anniversaire de la disparition de mon petit frère. J’étais revenu pour le week-end. Tu vois, chez nous, c’était la tradition : y en a qui se retrouvent pour faire la fête ; nous, on remplissait la voiture de fleurs et on allait au cimetière. Un peu comme dans les cérémonies officielles, on se mettait à deux pour porter la couronne jusqu’à la tombe. Je me souviens encore de l’odeur de tous ces chrysanthèmes. Tu n’imagines pas ce que ça me fait de rentrer chez un fleuriste ! Bref, maman avait encore planté un millier de variétés, pour ne garder que les plus belles. Tu peux me croire : elle y mettait tout son cœur. C’est elle qui faisait tout. Ça lui prenait un temps fou, mais personne n’aurait pu l’en dissuader. C’étaient son fils, sa douleur, ses fleurs, et plus rien d’autre n’avait la moindre importance ! Sauf que, Martin, il se foutait de tout ça !
Jahia hocha la tête.
— Ce jour-là, quand papa est arrivé, j’ai tout de suite senti qu’il n’était pas dans son assiette. Mais tu sais ce que c’est : on se rassure, on se dit que ça va passer. On se trouve des explications vaseuses et on y croit. J’ai pensé qu’il était mal à cause de l’anniversaire. Mes vieux ne se sont jamais remis de tout ça et ils étaient devenus bizarres, alors j’ai laissé faire. Papa a demandé à maman de le suivre, comme ça, sans un mot de plus, et ils sont sortis… On ne s’est même pas dit au revoir. Aucun des deux ne s’est retourné !
Jahia sentit les doigts de Simon qui cherchaient les siens.
— Comment… comment ils sont morts ?
Tendu, il tarda à répondre. Elle le rejoignit contre le mur.
— Simon, tu peux tout me dire.
— Papa avait un Luger, murmura-t-il à contrecœur.
Dans la pénombre, Jahia crut que le sol allait se dérober. Clouée par une vague de dégoût, elle lutta pour ne pas comprendre. Son épaule contre la sienne, elle baissa les yeux, pendant que la voix de Simon reprenait, étrangement monotone.
— C’était un voisin, un vieux résistant, qui le lui avait confié. Ça remonte à loin, tu sais : avant ma naissance, l’année où ils avaient acheté le bateau. C’était un flingue allemand, un modèle P08 Parabellum, de ceux qu’on voit à la télé, dans les films de guerre. Papa n’aurait jamais dû l’accepter, d’autant plus que je l’ai toujours soupçonné d’en avoir un peu peur. Pas du voisin, du flingue. Il ne nous l’avait montré qu’à deux reprises, mais à sa façon de le tenir, même gamins, on avait bien senti que c’était un vrai. On savait qu’il fallait s’en méfier. Papa nous avait expliqué que c’était pour se défendre, au cas où des pirates nous auraient attaqués en pleine mer.
Il fit une pause, un sourire aux lèvres.
— J’avais trouvé l’idée plutôt cool. Je nous imaginais face à une bande de barbus armés jusqu’aux dents avec des sabres et des couteaux, tu sais, avec leur bandeau noir et leur perroquet sur l’épaule. La totale, quoi ! Bien sûr, il nous avait dit que c’était verboten, mais moi, je savais où il était, parce que j’étais tombé dessus par hasard. Il l’avait planqué dans un caisson du bateau, sous le poste de navigation. Tu parles d’une cachette ! Un enfant de deux ans l’aurait trouvé. J’ai fait semblant de rien, et j’ai continué de rêver que papa nous sauverait de tous les méchants du monde, au péril de sa vie, évidemment. Après la vente du bateau, il n’en a plus parlé, mais nous savions qu’il l’avait ramené à la maison. Il ne voulait pas qu’on le sache. J’avais deviné qu’il l’avait planqué sans rien dire. La seule question était de savoir où.
La gorge nouée, la jeune femme comprit ce qui allait suivre. Simon ne s’accorda aucun répit et le flot de paroles reprit, ferme et déterminé.
— Ce vendredi-là, j’ai entendu deux coups de feu. Un pour maman, en plein cœur ; l’autre pour papa, dans la tête.
Jahia poussa un long soupir. L’ampleur du tsunami qui avait balayé cette famille la laissait sans voix. En un clin d’œil, le rêve avait viré au cauchemar. Elle aurait voulu que Simon se taise, qu’il la laisse sortir de toute cette histoire, mais il était lancé.
— C’est moi qui les ai trouvés, dit-il d’une voix étouffée. Quand les secours et la police sont arrivés, ils m’ont emmené et m’ont posé des tas de questions idiotes. Ensuite, une femme est venue, une brune à la voix douce ; et l’interrogatoire débile a repris de plus belle. J’aurais préféré que ce soit elle qui réponde à mes questions, qu’elle m’explique ce qui venait de se passer ! Mais non : ils ont décortiqué mes silences et mes réponses, ils ont tout épluché pour décider de ce qu’ils allaient faire de moi. Et puis ils sont repartis. Je suppose qu’ils avaient trouvé ce qu’ils cherchaient, alors je me suis retrouvé seul. J’ai laissé tomber la fac et j’ai trouvé du boulot.
Il s’autorisa un long sourire figé avant de reprendre.
— J’ai tout vendu et j’ai acheté l’appart.
Une profonde gratitude irradia dans la poitrine de sa compagne. Elle se montrerait digne de la confiance
